1En présentiel, les différents volets de l’activité enseignante sont, le plus souvent, imbriqués et assurés par un acteur central (Glikman, 2002). L’enseignant peut ainsi réguler son cours et ses interventions dans un processus d’ajustement aux événements et aux étudiants. En prise avec le contexte, le quotidien de la formation et la proximité des étudiants, certaines actions relèvent de l’implicite de l’action éducative : réactions à chaud, réponses, conseils et ressources au fil des échanges, ajustement des contraintes… Les étudiants prennent leurs repères par : la fréquentation des lieux de formation, leur organisation et leur environnement, le calendrier de formation, la proximité des ressources matérielles, la personnalisation des enseignants, et le repérage des services universitaires.
2L’étudiant à distance ne peut pas compter sur un tel cadre pour suivre sa formation. Il a à sa disposition les ressources, les supports et l’encadrement que lui propose le dispositif. L’intervention pédagogique dans des contextes de formation en ligne se caractérise par sa désynchronisation, sa réticularisation et son instrumentation. L’étudiant à distance doit compter sur la maîtrise de moyens matériels et techniques, sur une réelle capacité d’organisation et d’autonomie et croire en sa capacité de réussite. La littérature du champ (Moore, 2007) s’accorde pour souligner l’importance de la capacité d’autoformation et d’autorégulation des étudiants qui suivent à distance leur formation. Pour autant, cette délégation partielle de la responsabilité pédagogique n’infirme pas celle du formateur. Son rôle se déploie autrement, dans une grande diversité de pratiques, d’objectifs, de contextes, de cadres institutionnels…
3Dans ce texte, en nous appuyant principalement sur la licence à distance de FORSE1, nous nous intéressons à ce travail d’accompagnement de l’étudiant qui apprend à distance. Le formateur est, ici, celui qui est au contact à distance de l’étudiant : tuteur ou enseignant. Nous ne travaillons pas sur les spécificités du tuteur et de l’enseignant, mais sur l’action qu’ils peuvent être amenés à réaliser auprès de l’étudiant en train de se former à distance.
4Nous choisissons une approche par modèle pour décliner cette action du formateur en ligne. Par travail de modélisation de l’action, nous entendons ici l’identification de variants et d’invariants, et des relations qu’ils entretiennent. L’enjeu est de rendre intelligible un phénomène complexe et contingent (Le Moigne, 1990), à savoir, pour ce qui nous concerne ici, l’action pédagogique en ligne en formation d’adultes. De ce point de vue, le modèle est au service de l’action, de sa compréhension et de son anticipation. Pour ce travail de modélisation, nous nous appuierons principalement sur trois études menées sur la licence en sciences de l’éducation du campus FORSE entre 2003 et 2011 : un questionnaire distribué aux étudiants en 2003 ; une présentation de l’unité d’enseignement optionnelle D4 et une analyse thématique des échanges au sein de cette option, de 2005 à 2011 ; une enquête menée auprès des tuteurs en 2011. Avec le cas FORSE, nous partons de représentations d’étudiants pour décrire et articuler les différentes actions qu’un formateur à distance peut être amené à réaliser. Les hypothèses en tension ici sont de trois ordres :
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Les différentes tâches auxquelles s’emploie le formateur doivent faire système dans le dispositif d’ensemble. L’organisation des tâches – à objectif direct ou d’immersion – est mise au service de l’efficacité pédagogique.
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L’expertise du formateur – et sa spécificité quand il est à distance – porte sur sa capacité à intégrer sa compétence technique, son activité sociale, et sa fonction disciplinaire.
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Le sentiment de communication dans le groupe porte largement sur la capacité du formateur à poser des indicateurs de présence, de structuration d’activité et d’accompagnement, dans un dispositif en réseau.
5Enfin, nous ne confondons pas à distance et en ligne. Quand nous parlons ici de formation à distance, c’est bien dans le cadre actuel d’une intégration massive des technologies de l’information et de la communication dans les pratiques de formation pour des étudiants à distance (Hotte et Leroux, 2003, Marchand et al., 2002).
- 2 Entre autres : Linard (2003), Wallet, Godinet, Caron et Béziat (de 2002 à 2007) pour les références (...)
6Le campus FORSE a déjà fait l’objet de plusieurs présentations2. Il existe depuis plus d’une dizaine d’années et propose un cursus en sciences de l’éducation, de la licence au master. C’est un dispositif de formation à grande échelle porté par un consortium – CNED, universités de Rouen et de Lyon 2. Les premières modalités d’accompagnement tutoral prenaient en compte les outils de communication disponibles : téléphone, courrier et, pour ceux qui en étaient équipés, messagerie électronique sur connexions internet bas débit. Depuis que l’internet haut débit s’est généralisé, tous les étudiants de FORSE en sont maintenant équipés et le dispositif a suivi les évolutions technologiques : passage au tout en ligne (plus d’envoi de cours papier), médiatisation de cours disponibles sur la plate-forme, tutorat intégralement par internet. Enfin, parmi les différentes expérimentations sur FORSE, depuis cinq ans, la licence propose une option « initiation à la FOAD » (unité d’enseignement D4 : l’UE D4).
- 3 CNED (2004). Livret des professeurs. Département gestion – sciences de l’éducation, CNED institut d (...)
7Le dispositif mobilise un nombre important d’acteurs au sein des équipes de formation : enseignants, auteurs de cours, tuteurs, animateurs de plate-forme, responsables de formation, correcteurs, administrateurs. La licence FORSE est construite sur un modèle classique d’enseignement, non collaboratif : livraison magistrale des cours et examens sur table en fin d’année. Le dispositif (la plate-forme, le tutorat, les devoirs d’entraînement…) est là pour accompagner le travail d’apprentissage individuel des cours. L’action enseignante est prise en charge par trois acteurs principaux dans le dispositif : les rédacteurs de cours, les correcteurs des devoirs d’entraînement et les tuteurs. L’action de ces formateurs, pour l’essentiel, est ainsi définie par le CNED3 : 1/ le rédacteur de cours doit prendre en compte, dans son écriture du cours, que l’étudiant le lira seul ; 2/ le correcteur doit personnaliser sa correction pour permettre à l’étudiant de pouvoir comprendre sa note, bonne ou mauvaise (celle-ci ne compte pas dans la validation de la licence) ; 3/ le tuteur doit accompagner, soutenir et comprendre l’étudiant. D’une manière générale, l’attitude de ces différents formateurs doit être encourageante et la plus compréhensible possible par l’étudiant, et doit pouvoir l’aider à être plus autonome dans son parcours de formation. Cette prescription renvoie en bonne partie à la réalité des pratiques (Wallet, 2007), et certains étudiants manifestent clairement l’usage et le besoin qu’ils ont eu de l’accompagnement qui leur a été proposé (Béziat, 2004).
8D’autres formations à distance reposent sur des modèles non collaboratifs. C’est le cas notamment de la licence à distance en sciences de l’éducation de l’IED-Paris 84. Pour cette licence (Kim, 2009), l’encadrement est classique : un cours et un enseignant. Les étudiants fréquentent l’espace numérique du cours, l’enseignant enseigne : production et livraison des ressources de cours, communications le plus souvent asynchrones par le forum dédié à son cours. Un tutorat d’accueil et méthodologique est aussi proposé sur le campus. La spécificité de cette licence à distance étant qu’il n’existe pas un modèle pédagogique type qui s’appliquerait à tous les cours, les enseignants choisissent d’utiliser la plate-forme numérique5 comme ils le souhaitent : 1/ de manière « magistrale » – un cours à lire, puis on échange sur le forum entre pairs et avec l’enseignant ; 2/ de manière active, en utilisant les outils de production d’exercices et d’activité en ligne de la plate-forme ; 3/ de manière interactive, en animant les travaux demandés aux étudiants… Dans tous les cas de figure, l’enseignant est présent, accompagne le travail d’apprentissage et de production des étudiants, et cette présence est vécue comme nécessaire pour l’appropriation des contenus proposés (Béziat, sous presse).
9Par contraste, nous prenons l’exemple d’un campus où les formations sont toutes construites sur un modèle d’apprentissage collaboratif, le campus CvTIC de l’université de Limoges6. Dans ces formations, la priorité est donnée au travail collaboratif des étudiants, l’enseignant ou le formateur organise les ressources et le travail à faire, donne des consignes et des orientations de travail, accompagne l’activité des étudiants, répond quand on l’interpelle, provoque et anime des rencontres synchrones (clavardage ou visioconférence). Chaque promotion d’étudiants, au sein des formations, est organisée en communauté virtuelle d’apprentissage, et, dans chaque unité d’enseignement, selon l’orientation donnée par l’enseignant, les étudiants sont répartis en groupe de travail collaboratif plus ou moins grand. L’expérience montre que certains groupes fonctionnent bien, que d’autres n’arrivent pas à être opérationnels (réussir une tâche de production collective dans laquelle tout le monde s’implique). Dans tous les cas, la présence du formateur (enseignant-chercheur, professionnel, chargé de cours) est fondamentale, soit pour valider la réussite du groupe et donc encourager les étudiants dans leur activité d’apprentissage, soit pour intervenir sur les groupes en difficultés, au niveau du collectif (organisation du travail, partage des responsabilités…) et au niveau individuel (arbitrage des conflits, implication de chacun, validation de ceux qui travaillent…). L’enseignant a un rôle fondamental dans la structuration de l’activité d’appropriation et d’apprentissage des étudiants, dans la mise en cohérence des groupes constitués, et dans la régulation et la validation de l’activité des groupes de travail collaboratif.
10Prenant en compte le point de vue de l’enseignant à distance, Choplin (2009) pointe la nécessité de se positionner sur les relations que les apprenants entretiennent avec le savoir. L’enjeu n’est pas seulement de trouver la bonne distance avec l’apprenant, mais plutôt d’assumer cette distance, quel que soit le modèle pédagogique choisi pour la formation proposée. Enseigner, accompagner, former à distance ne peut pas reposer sur une culture du présentiel.
- 7 Master à distance en traduction spécialisée (formation continue) de l’université de Gênes (Italie) (...)
- 8 Linard, M. (2000). L’autonomie de l’apprenant et les TIC. 2e journée réseaux humains/réseaux techno (...)
11Par exemple, dans le cas du master F@rum7, Bonizzone et al. (2007) reconnaissent cet écart entre le « savoir-faire en présentiel » et le « savoir-faire à distance ». Dans la mise en place de cette formation, pour compenser son inexpérience pour la distance, l’équipe de formateurs (enseignants et tuteurs) a joué sur une collaboration étroite pour donner la sensation d’un ensemble cohérent aux étudiants. L’objectif était de tenir compte de la spécificité d’un public d’adultes en formation continue, ayant principalement en référence une culture de l’enseignement présentiel, et de les amener à s’interroger sur les présupposés méthodologiques d’une formation en ligne. D’une manière générale, « l’expérience acquise depuis de nombreuses années au sein des universités à distance montre qu’un suivi pédagogique permanent des étudiants constitue un des points essentiels pour que le système fonctionne » (Hotte et Leroux (2003), citant Linard8).
12L’action elle-même peut se caractériser par son intentionnalité, sa processualité et sa finalité (Friedrich, 2001), autrement dit : « le concept d’action intentionnelle est associé à celui d’action au cours de son déroulement » (p. 94), en référence à ses finalités. Dans notre cas, nous intéresse tout ce qui sert à l’action du formateur (enseignant ou tuteur) dans son travail d’accompagnement en ligne des étudiants.
13Plusieurs travaux tentent de théoriser ou de modéliser l’action du formateur à distance. Parmi eux, nous choisissons d’évoquer trois approches : la responsabilité pédagogique (Develay & al., 2006), la présence à créer (Jezegou, 2010) et l’articulation entre les profils étudiants et les profils tutoraux (Glikman, 2002, 2002, 2008). Il nous semble que ces trois dimensions (responsabilité, présence, relation) qualifient la dynamique de l’action du formateur, de manière générique.
14Develay et al. parlent de mise en réseau de compétences qu’ils réfèrent « au terme d’écologie, ce qui traduit la nécessité, a priori, d’interactions diversifiées pour gérer la complexité du dispositif ». Pour eux, l’enseignement-apprentissage sur un campus numérique s’appuie le plus souvent sur un dispositif hybride (distant-présentiel). Pour notre part, et de manière tendancielle, nous dirons qu’à cela s’ajoute la dimension synchrone-asynchrone, en sus ou en remplacement de l’alternance présentielle-distancielle, selon le type de formation et au regard des évolutions technologiques.
15Les auteurs voient dans la délocalisation et la désynchronisation de la relation pédagogique de nouvelles logiques professionnelles pour assurer cette relation pédagogique à distance. Ces logiques supposent la participation coordonnée d’acteurs qui assurent des tâches didactiques, pédagogiques, administratives, informatiques et techniques. La qualité du dispositif repose sur une répartition claire des tâches. Ainsi, chaque profil d’acteur est défini selon un degré d’expertise qui est reconnu comme tel par les autres profils du dispositif. Le bon déroulement de la formation dépend de la capacité de cohérence et de coordination des différents acteurs du dispositif.
16La question de la présence en formation à distance est largement débattue dans la littérature (Jacquinot, 1993, Dell’Ascenza, 2002, Follet, 2007). Prenant cette entrée, Jézégou (2010) décline trois dimensions de la présence en formation à distance qu’elle articule en un système d’interdépendance de ces dimensions pour que le sentiment de présence soit effectif pour les étudiants. Les trois dimensions repérées sont : la présence cognitive, la présence socio-affective, la présence pédagogique. La présence cognitive fait référence à la transaction entre les membres du groupe pour résoudre un problème, réaliser une tâche en collaborant et en communiquant à distance. La présence socio-affective fait référence au cadre nécessaire pour que la confrontation des points de vue – la transaction – soit possible, dans un climat d’aménité et de respect mutuel basé sur la symétrie de la relation sociale. De ce point de vue, cette présence socio-affective soutient la présence cognitive. La présence pédagogique renvoie aux enjeux liés à l’adhésion aux méthodologies de travail en formation à distance. Le formateur a ici, un rôle de facilitateur dans l’acquisition des habiletés nécessaires pour pouvoir se former à distance. Il encourage les échanges au sein du groupe, dans un climat socio-affectif positif. De ce point de vue, la présence pédagogique soutient la relation qu’entretiennent les deux autres dimensions de la présence en formation à distance.
17Dans son travail de modélisation, Glikman articule les types de tutorat avec les types d’apprenants. Pour elle, il n’existe pas de profil tuteur idéal, mais à certains types de formation, à certains types d’étudiants correspondent mieux certains types d’actions tutorales et de tuteurs. De manière générale et tendancielle, on peut retenir de ce modèle que les tuteurs les plus affectifs correspondent mieux aux étudiants qui doutent, plus fragiles, plus anxieux, et que les tuteurs les plus techniques correspondent mieux aux étudiants plus autonomes, plus sûrs dans les objectifs qu’ils poursuivent. Les premiers opèrent sur un mode plutôt proactif, les seconds sur un mode plutôt réactif.
18Par effet de synthèse de ces trois entrées et pour rendre possible cette dynamique de l’action du formateur en ligne, on peut retenir que :
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Au niveau du système de formation, il est nécessaire de développer une complémentarité des fonctions et des rôles entre tous les acteurs, des formateurs jusqu’aux étudiants.
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Au niveau de l’acteur inscrit dans ce système, le formateur doit prendre conscience des actes qu’il doit réaliser pour poser des indicateurs de présence à travers la maîtrise et la gestion des modes et des contenus de communication. Ce faisant, il pose un cadre rassurant et structurant pour l’activité des étudiants.
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Au niveau de la relation au sein de la communauté, elle doit être comprise comme un des moteurs des apprentissages et des pratiques de formation. Une certaine entente est nécessaire, entre le formateur et l’étudiant, quel que soit le modèle pédagogique choisi (magistral, collaboratif…).
19Ainsi, l’action du formateur en ligne serait à la fois solidaire des autres acteurs de la formation, visible, adaptative et structurante pour l’activité autonome des étudiants. Le cas de la licence FORSE est, de ce point de vue, éclairant.
20La licence FORSE accueille des étudiants qui ne sont pas nécessairement familiers des environnements techniques dans les pratiques de formation, qui n’ont pas nécessairement d’appétence ni de compétences particulières pour les TIC, et qui suivent une formation (les sciences de l’éducation) principalement porteuse d’une culture de l’enseignement présentiel (hormis les cours sur les TICE et la FOAD). Les étudiants eux-mêmes sont massivement porteurs de cette culture du présentiel, par leur histoire personnelle et, pour ceux qui travaillent dans le milieu éducatif, par leurs pratiques professionnelles. Les trois études que nous présentons plus loin sur cette licence proposent trois points de vue : des étudiants ayant un enseignement en ligne (l’UE D4), des retours d’expériences et d’impressions d’étudiants (questionnaire 2003) et de tuteurs (enquête 2011). Nous cherchons ainsi à mettre en relief certaines caractéristiques et certaines attentes liées à la présence et à l’action du formateur.
- 9 Classes virtuelles ou Skype.
21Les marqueurs de présence, au moins pour cette licence à distance, semblent se situer sur la capacité de réactivité du formateur, sur les forums, par courriel ou autre. Le formateur donne à lire autant sur le contenu de ses réponses que sur la réalité de sa présence auprès des étudiants. Du point de vue des étudiants comme des tuteurs, l’aide apportée est principalement individualisée. Pour les études présentées dans ce texte, les tuteurs et les étudiants s’entendent sur ce point-là. Celle-ci donne une certaine réponse matérielle et tangible au besoin de contact humain que les étudiants expriment. Elle encourage l’implication des étudiants, ou, au minimum, s’ils participent peu, elle leur permet de se sentir au contact de la formation et de son dispositif. Elle permet de prendre confiance dans un environnement fortement instrumenté. Le contact, quant à lui, prend forme dans l’organisation de rencontres synchrones (visioconférence9, téléphone, clavardage) ou asynchrones (la réactivité des échanges écrits par courriel ou sur les forums). Son objectif est, entre autres, de « lutter contre l’isolement ».
22Sur le sens de la formation, certains étudiants – plus que d’autres – ont besoin pour se motiver de se faire aider pour pouvoir se situer dans l’environnement de formation à distance : comprendre l’organisation et l’articulation entre les contenus de formation et leurs supports techniques, maîtriser davantage les moyens techniques proposés par le dispositif de formation (être encouragé à engager un processus d’appropriation instrumentale), être accompagné par un formateur proactif, recevoir des consignes de travail et d’organisation. Tous ces éléments semblent contribuer à aider l’étudiant à faire des liens, à prendre ses repères.
23Participent aussi à cette aide l’expérience propre du formateur (Daguet et al., 2007). Dans le cas des tuteurs, ils sont souvent recrutés pour leur qualité propre et leur expérience : enseignants, personnes en démarche de reprise d’études, doctorants…, ils ont aussi souvent des contraintes familiales. Leur situation de salariés et de parents est largement partagée par les étudiants qui s’inscrivent en formation à distance. Le tuteur met sa propre expérience au service des étudiants. C’est une des forces de son action : puiser dans son expérience pour trouver les clés de sa démarche. Sa posture réflexive est en partage.
- 10 « pour échanger en ligne, il faut concevoir le questionnement et la verbalisation comme nécessaires (...)
24Des études antérieures sur le tutorat dans le dispositif FORSE ont relevé certaines spécificités de l’accompagnement en ligne. En identifiant les acteurs du dispositif, Godinet et Caron (Caron et Godinet, 2002 ; Godinet et Caron, 2003) font ainsi état des compétences nécessaires chez le tuteur : techniques, relationnelles, pédagogiques, discursives10, technologiques, administratives. Les deux première compétences font référence à l’accueil et l’accompagnement des étudiants par le tuteur dans la formation, les deux suivantes à son travail pédagogique et méthodologique d’aide aux apprentissages, les deux dernières sont transversales (Béziat et Caron, 2005).
25Trois études sont présentées plus loin : un questionnaire présenté à des étudiants en 2003, la présentation d’une unité d’enseignement optionnelle sur la FOAD (2005-2011), une enquête menée auprès des tuteurs (2011). L’objectif est de croiser trois types de regards : des étudiants témoignant d’un dispositif émergent (la plate-forme numérique de formation), des retours d’évaluation d’étudiants sur une classe virtuelle d’initiation à la FOAD, et des retours d’expérience de tuteurs de licence. Ce travail nous amènera à discuter des attentes et du rôle du formateur en ligne (tuteur ou enseignant).
26Une enquête11 a été menée auprès de la promotion d’étudiants 2002-2003, la première année avec la plate-forme WebCT12 pour la licence FORSE. Il était attendu un retour d’usage des étudiants sur un dispositif nouveau pour la licence : articulation entre les cours papier et sur cédérom, la plate-forme numérique et l’accompagnement pédagogique – tuteurs et enseignants. Le questionnaire d’enquête a été distribué à Rouen lors du dernier regroupement de l’année. Sur environ 200 étudiants présents, 112 ont répondu au questionnaire papier distribué.
27Parmi les répondants, une majorité d’étudiants sont salariés : pour les 31 en formation IFCS (cadre de santé), la licence est une obligation et ils ne peuvent la suivre qu’à distance ; 31 travaillent dans le milieu scolaire – enseignants premier ou second degré, aides-éducateurs, CPE, surveillants… En 2003, une majorité d’étudiants se connecte en bas débit (49 sur 69 répondants à la question).
28Sur la question de l’accompagnement tutoral :
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64 % des répondants en ont été utilisateurs, 36 % non ;
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41 % n’ont jamais sollicité leur tuteur, 37 % très peu, 19 % assez souvent et 3 % très souvent.
29Autrement dit, 78 % des étudiants n’ont pas ou très peu contacté leur tuteur, mais une nette majorité des étudiants en ont été utilisateurs, par la lecture des forums de discussion.
30Sur la question concernant le contact avec les enseignants : 10 % n’ont pas éprouvé le besoin d’être en contact avec lui, 35 % au moins une fois, 55 % auraient souhaité être en contact en permanence. Enfin, à la question de savoir s’ils ont réussi à appréhender les cours avec les ressources du campus et le cédérom, 54 % des étudiants répondent oui, 46 % répondent non. Ceux-là déclarent avoir manqué de dialogue oral, de quelques rencontres synchrones ou présentielles, d’une aide individualisée, de réponses sur des points précis.
31Les étudiants ont des attentes assez nettes sur le type d’accompagnement en formation à distance. Ils ont besoin d’un contact humain – certains plus que d’autres – et ils le savent, ils ont aussi besoin d’une réelle interaction sur le fonds et sur les contenus. Ce n’est pas la critique du tutorat en lui-même qui est faite ici, plutôt l’expression d’une certaine ambigüité sur sa fonction, voire de la déception. Même si, globalement, les étudiants ayant répondu à cette enquête reconnaissent l’importance et la qualité de l’accompagnement humain que les tuteurs leur proposent, ils regrettent le manque de suivi pédagogique et spécialisé sur les cours.
32Cette enquête montre des postures contrastées, déjà repérées par ailleurs : les étudiants peuvent être assidus au forum, et ne pas contribuer aux échanges, ils sont en demande de contact, mais ne vont pas nécessairement le chercher par eux-mêmes. De ce point de vue, le tuteur a un réel rôle d’animateur du groupe : faire que la communauté existe, et que chacun, s’il le désire, s’y sente impliqué. Nous verrons plus loin , dans notre enquête auprès des tuteurs de la licence FORSE en 2010, que cet aspect est vécu comme une des difficultés de leur tâche.
- 13 L’auteur de cet article. L’étude proposée ici répond à un besoin de formalisation d’une pratique de (...)
33Cette unité d’enseignement optionnelle D4 « Initiation à la FOAD » a été mise en place dans la licence pour l’année universitaire 2005-2006. Cette UE se compose d’une partie de cours classique dans le dispositif, et d’une classe virtuelle « Conception des dispositifs de FOAD ». Nous schématisons dans la figure 1 (Béziat, 2009) l’organisation de cette option. Ce que cette option a de spécifique par rapport aux trois autres proposées dans cette licence est qu’elle est encadrée par un enseignant référent13, qui, à la fois, a une fonction tutorale sur la partie de cours dont il n’est pas l’auteur, et d’enseignant pour les contenus de la classe virtuelle. Celle-ci est constituée d’un ensemble d’activités, de pratiques et de réflexions sur la FOAD.
Figure 1. Organisation de l’option D4 de la licence FORSE
34Dans une alternance de cours magistraux (synchrones et asynchrones), de travaux dirigés (synchrones) et de travaux pratiques (asynchrones), les tâches de formation au sein de l’UE D4 ont pour finalité : aider à l’apprentissage du cours écrit ; encadrer les activités des étudiants ; évaluer les travaux et les devoirs ; faire cours à distance. Enfin, il faut préciser que les étudiants ne sont pas spécialistes des TIC. Leur maîtrise instrumentale dans des contextes pédagogiques fait partie des contenus de formation.
- 14 ConnectPro (Adobe) ou EVO.
35Cette option est structurée par un ensemble de travaux individuels ou en classe virtuelle14. Le rythme des rencontres synchrones (environ une séance de 2 heures tous les 15 jours) structure l’activité et les apprentissages des étudiants à distance, en autoformation. Elles aident chacun à sentir l’implication de ses pairs et du formateur, et à s’impliquer soi-même. Elles structurent l’appropriation progressive des contenus et des outils de la formation.
36Le scénario pédagogique des séances synchrones se rapproche assez nettement d’un accompagnement de type « travaux dirigés » en présentiel. Elles ont pour objectifs : 1/ d’assurer le lien entre l’enseignant et les étudiants ; 2/ de donner du sens à l’apprentissage instrumental des outils numériques ; 3/ faire des liens entre les contenus et les questionnements du cours sur les TICE et la FOAD et les autres cours de la licence en sciences de l’éducation. À cela, nous pouvons ajouter que le cadre d’activité proposé permet aux étudiants de prendre confiance dans un contexte de formation fortement instrumenté. L’usage régulier de la classe virtuelle est un moyen de régulation pour le groupe, et d’autorégulation pour chacun, ce que montre l’analyse des échanges sur l’UE D4.
37Une analyse thématique15 a été menée sur les traces écrites et certaines traces orales et écrites (courriers électroniques, forums de discussion, clavardage, retours écrits des étudiants, échanges oraux en séances synchrones) des différentes promotions d’étudiants ayant fréquenté l’option. Celle-ci nous permet d’appréhender la fonction des échanges dans un contexte de formation à distance avec des rencontres synchrones régulières. Ce sont ainsi 42 étudiants qui ont fréquenté l’UE D4 sur 6 années universitaires. Nous avons archivé les messages produits dans le cadre de nos échanges. Ce sont ainsi 550 items qui ont été collectés : 402 émis par les étudiants, 141 par le formateur de la D4, 7 par d’autres formateurs FORSE. Pour les étudiants, une moitié a produit 89 % des messages et témoignages de cette sous-population, l’autre moitié, 11 %.
38Le corpus est essentiellement constitué de messages, commentaires et témoignages par mail (35 % des items) et sur forum de discussion (53 % des items). Les modes d’échanges d’une promotion à l’autre ont été très hétérogènes. Certains groupes ont préféré le forum, d’autres l’échange mail avec le formateur. Certains groupes ont fortement participé aux séances bilan de la D4 en fin d’année, d’autres, très peu. Certains groupes ont été très actifs (promotions 2, 3 et 6), d’autres peu (promotions 1, 4, 5).
39Les échanges ne rendent pas compte de toute l’activité sur l’UE D4. Celle-ci est rythmée par les rencontres synchrones en visioconférence dans la classe virtuelle. Ces rencontres synchrones sont soit techniques (prendre en main des interfaces de communication), soit des rendez-vous individuels, sur demande des étudiants, soit des séances de cours animés par le formateur, soit des séances de travaux dirigés, animés par les étudiants. Les échanges asynchrones (les items du corpus d’analyse), pour l’essentiel, accompagnent cette activité synchrone. L’analyse thématique a permis de dégager 16 thèmes principaux structurant les échanges au sein de la D4. Ces thèmes sont présentés dans la figure 2.
Figure 2. Présence des thèmes (en pourcentage pour chaque sous-population)
40Les rencontres synchrones, individuelles ou collectives, sont l’occasion d’échanger sur les contenus de formation de l’UE D4, sur la réalisation des activités, la prise en main technique des outils numériques. Ce sont aussi des moments de soutien, d’encouragement, d’explication du fonctionnement de l’option et de sa place dans la licence.
41Les échanges asynchrones par courriel et par forum servent majoritairement à la gestion des rendez-vous, surtout pour l’enseignant. Les activités demandées pour la validation de l’option sont réalisées et livrées au fil du semestre. La gestion (accompagnement, explication des consignes, livraison des travaux, échanges sur les devoirs d’entraînement du CNED…) représente une part importante des échanges asynchrones entre l’enseignant et les étudiants. Le thème « gestion de la formation » concerne les questions relatives aux examens et à la validation en contrôle continu de l’UE D4, livraison des travaux, ouverture de la classe virtuelle… Les échanges techniques renvoient aux problèmes d’accès aux espaces d’interactions de la D4, à la prise en main des différentes interfaces, au réglage du matériel personnel (se servir de la webcam et du microphone dans des échanges à plusieurs…). Les échanges asynchrones, quant à eux, permettent l’organisation et le suivi de l’activité du groupe et de chacun.
42Les points négatifs évoqués par les étudiants portent sur les problèmes techniques rencontrés lors des séances synchrones, sur la difficulté à trouver des plages horaires de rendez-vous quand le groupe est international, sur le volume horaire consacré à cette option et pour la licence en général, sur des questions d’ergonomie du cours… Les étudiants inscrits dans l’UE D4 sont volontaires, impliqués et intéressés. Ils ont été sensibles à certains aspects spécifiques de l’option : les rencontres synchrones, les contenus de formation, la vie du groupe, les liens qu’ils ont pu faire entre la FOAD et certains autres contenus de formation de la licence de sciences de l’éducation, entre les aspects techniques et théoriques de la FOAD, et leur propre expérience.
43Sur le mode d’enseignement et les rencontres en visioconférence, l’interaction des temps de travail synchrones et asynchrones est favorablement perçue : « En fait, ce cours me plaît parce que c’est le seul à aller au bout des choses : on lit et on échange. Le top ! » ; « Si dans la D4, il n’y avait pas ce principe de classe virtuelle, j’aurais raté quelque chose. » La présence de l’enseignant aussi : « Si nous avions le temps, nous pourrions nous demander […] si votre action n’a pas permis que nos demandes de « soutien » ne naissent pas. […] Dans le cadre de l’unité que nous avons vécue, j’ai eu le sentiment d’une immersion dans la réflexion autour des formations à distance. » Ce qui est souligné ici : les rencontres synchrones régulières ont aidé les étudiants à structurer leur activité, et à les rassurer. Ce qu’une autre étudiante exprime ainsi : « je me sentais mieux cadrée par les consignes ». En fait, les échanges font apparaître assez nettement cette présence de la consigne de travail. La succession des rencontres synchrones maintient l’étudiant dans l’activité, à la fois par la contrainte de présentation de ses travaux en classe virtuelle et par celle de ses pairs.
44Les contenus de formation de l’UE D4 sont autant techniques que théoriques. Les étudiants y sont sensibles : « La D4 : facile pour des outils que l’on pense difficiles. » ; « On trouve la théorie et la pratique au même endroit ! ! ! Liées ! ! ! » La dimension sociale n’est pas absente des préoccupations des étudiants : « Possibilité de mettre un visage sur les noms. Échanges synchrones plus motivants et plus spontanés. Mise en situation réelle lors des rendez-vous virtuels » ; « La réactivité des participants est un aspect très positif. » La discipline elle-même est questionnée : « Les sciences de l’éducation comme un (outil) instrument pour regarder le monde de l’éducation. Avec cette UE Foad, j’ai eu le sentiment d’approcher les travaux de recherche en sciences de l’éducation, de mettre du sens dans les autres enseignements […]. » Enfin, d’une manière générale, l’organisation de l’option est vécue par certains comme structurante pour les apprentissages : « Une accessibilité constructive. Architecture structurante du cours. Ergonomie, espace organisé lisible. Hiérarchisation des idées. Ressources organisées et accessibles. Un contenu très ouvert ».
45Ressort de cette analyse, l’intérêt qu’ont eu les étudiants pour cette organisation du travail en autoformation en appui à des temps réguliers de rencontres synchrones en classe virtuelle. Les étudiants y trouvent du contact humain, des espaces de questionnements et de validation de leurs travaux, un moyen de structurer les apprentissages durant le semestre de formation de l’UE D4.
46Cette troisième étude sur FORSE propose l’analyse d’un questionnaire envoyé aux tuteurs de la licence FORSE en juin 2011. Cette enquête a pour objectif de les interpeller sur la perception qu’ils ont de leur tâche d’accompagnement des étudiants.
47Pour l’année universitaire 2010-2011, dix-huit tuteurs sont en activité – 10 à Lyon et 8 à Rouen. Sept tuteurs ont répondu au questionnaire (39 % de retours). Cette étude a une valeur prospective.
48Le questionnaire lui-même est structuré ainsi, avec huit questions centrées sur les activités de formation et d’accompagnement des tuteurs :
-
Questions fermées avec des réponses par ordre d’importance (par rang) : 1/ sur les tâches effectuées, 2/ sur les aides apportées, 3/ sur l’accompagnement sur les contenus de formation, 4/ sur l’accompagnement sur le dispositif de formation.
-
Questions sur les modes de communication avec les étudiants.
-
Questions ouvertes : sur les difficultés rencontrées dans l’exercice de la fonction, qualifier sa propre pratique d’accompagnement en ligne.
49Les sept répondants ont plus de 5 ans d’ancienneté dans la formation à distance, tous chargés de cours (docteurs, doctorants, professionnels, autre statut universitaire qu’enseignant-chercheur). Quatre d’entre eux ont plus de 50 ans, deux ont entre 40 et 50 ans, un entre 30 et 40 ans. Trois d’entre eux travaillent aussi sur le master FORSE. Ils peuvent cumuler plusieurs fonctions : tuteur, correcteur, animateur, coordonnateur. Les tuteurs répondants sont des tuteurs expérimentés.
50Pour les modes de communication, la messagerie électronique est privilégiée comme mode de contact (tous les tuteurs), vient ensuite l’usage des forums dédiés sur la plate-forme (2/3 des répondants). Deux tuteurs utilisent aussi le clavardage et/ou le téléphone. Quatre tuteurs déclarent ne communiquer qu’avec chaque étudiant, individuellement, les 3 autres, indifféremment en individuel ou en groupe.
51Les tuteurs entretiennent majoritairement une relation individualisée avec les étudiants qu’ils accompagnent. Dans le tableau 1, nous présentons les réponses données par les répondants aux quatre questions fermées, sur les tâches effectuées, les aides apportées et le type de réponses apportées aux étudiants. Les répondants ont eu à classer par ordre de priorité les items utiles. Dans le tableau, ce sont les rangs moyens qui sont donnés. Aucun répondant n’a complété la liste d’items avec la réponse « Autre », proposée pour chaque question.
Tableau 1. Réponses aux questions fermées (par ordre d’importance des items)
Questions/Réponses
|
Rangs moyens
|
1/ Tâches effectuées
|
|
Répondre aux étudiants
|
2,28
|
Aider chaque étudiant
|
2,42
|
Soutenir les décrocheurs
|
3,16
|
Veille du forum
|
3,75
|
Animer les activités du groupe
|
3,75
|
Produire/proposer des ressources
|
4,2
|
Animer les échanges
|
6,33
|
Organiser des réunions synchrones
|
6,5
|
2/ Aides apportées
|
|
Méthodologique
|
1,42
|
Organisation de l’activité des étudiants
|
2
|
Disciplinaire
|
2,25
|
Motivation
|
3,14
|
Personnelle
|
3,4
|
Coordination du groupe
|
5
|
Ressources informations
|
5,25
|
Technique
|
5,66
|
3/ Type de réponses sur les contenus
|
|
Compréhension du cours
|
1
|
Activités du cours
|
1,5
|
Questions de vocabulaire
|
2,25
|
Ressources externes au cours
|
3,75
|
Ressources du cours
|
4
|
Problèmes de lecture des cours
|
|
4/ Types de réponses sur le dispositif
|
|
Organisation du travail sur l’année
|
1,14
|
Modes d’échanges et de communication
|
2,4
|
Méthodes de travail à distance
|
2,8
|
Repères dans l’environnement de formation
|
3,4
|
Prise en main des outils de communication
|
3,5
|
Prise en main de la plate-forme de formation
|
4
|
52Les réponses données renforcent deux points déjà évoqués : les tuteurs privilégient un accompagnement individualisé ; ils proposent essentiellement un accompagnement méthodologique et transversal.
53Sur la première question, pour les tâches effectuées, cette dimension individualisée apparaît nettement avec les 3 premiers items. L’animation du groupe et des échanges n’est qu’une tâche secondaire. Nous retrouvons cet accompagnement individualisé dans la question 3, sur le type de réponses sur les contenus : le tuteur apporte une aide à la compréhension et à la réalisation des activités, auprès de chaque étudiant, selon son rythme de travail. Les aspects techniques liés à la distance en formation sont moins présents dans l’aide apportée (questions 2 et 4). Le tuteur se centre sur l’effort d’apprentissage de l’étudiant.
54Sur les difficultés rencontrées (question ouverte), les tuteurs font part du mal qu’ils ont à impliquer certains étudiants et à installer des modes d’échanges clairs : « La sollicitation extrême de certains, le fait qu’en dépit des annonces ou réponses déjà faites il faille souvent « répéter » les informations » ; « Difficultés à faire participer l’ensemble des étudiants. Beaucoup de lecteurs attentifs, mais passifs ». À la fois, la distance et ses contraintes rendent difficile la communication, et certains étudiants ont besoin que les réponses leur soient adressées. Ceux-ci ont un usage limité des ressources numériques du dispositif : ils ne vont pas fouiller dans les forums pour voir si les réponses existent déjà. Ils vont contacter leur tuteur pour avoir le plus rapidement possible une réponse à une question ou une inquiétude : « n’être sûr de la réponse que si mon tuteur me la donne ». Béziat, Godinet et Wallet (2005) ont déjà relevé cette culture de l’immédiateté de l’étudiant qui peut contacter son formateur référent – ici son tuteur – au fil de ses propres cheminements, et en attend une réponse personnalisée et rapide. Sont ici en cause, à la fois le modèle pédagogique de la formation et la maîtrise technique des étudiants.
55Sur la perception de l’accompagnement qu’ils effectuent, les tuteurs enquêtés font nettement apparaître la dimension humaine qu’ils essaient d’apporter : « Créer une « communauté » d’apprentissage au niveau de mon groupe. Mise en place d’un fichier de compétences« »afin de favoriser le partage et l’entraide. Écoute individuelle » ; « Mon accompagnement se focalise davantage sur des aspects méthodologiques. Je cherche à être réactive face aux demandes pour limiter le sentiment d’isolement. Je fais valoir mon expérience d’ancienne. »
56D’une manière générale, les tuteurs marquent leur souci d’être présents, de mettre en place des marqueurs de cette présence, d’apporter des repères, soit en termes d’organisation de la communauté, d’organisation de rencontres (clavardage…), par le partage d’expérience.
57Ces trois études montrent des postures d’étudiants paradoxales. Parmi elles : vouloir du soutien sans nécessairement le demander explicitement ; avoir à travailler en autoformation et éprouver un réel intérêt pour des temps d’accompagnement synchrones et dirigés. Le tuteur lui-même adopte parfois certaines postures emphatiques, cherchant ainsi, par échange de réciprocité, à montrer qu’il comprend les difficultés, et qu’il encourage et soutient l’effort de l’étudiant. D’une manière générale, les tuteurs enquêtés reconnaissent leur rôle d’animateur du groupe. Ce faisant, leur présence est structurante pour le travail d’apprentissage des étudiants. En cassant d’emblée toutes références au groupe (Bourdet, 2006), la distance oblige l’étudiant à trouver d’autres types de repères structurant sa position spécifique et son parcours en formation, par rapport à son activité professionnelle et sa vie personnelle. Le formateur en ligne est, par son action, un des éléments forts de prise de repères pour l’étudiant, d’existence du groupe et de structuration du processus de formation.
58Nos hypothèses de départ nous ont conduits à regarder certains aspects de l’action du formateur : son travail d’immersion dans le dispositif et la communauté pour installer un climat positif ; sa capacité à intégrer l’ensemble des compétences qu’il mobilise pour une action mise au service des apprentissages des étudiants ; son implication et sa capacité à encourager les échanges et la communication. D’un point de vue méthodologique, nous proposons un modèle déductif à partir des travaux présentés dans ce texte. Ce modèle propose une hypothèse sur la nature de l’action du formateur en ligne, en intégrant les compétences identifiées et les attentes que la fonction suscite. Sous cet angle, nous nous plaçons dans une approche systémique : « La définition est la description d’un acte : une notion doit pouvoir être définie de façon instrumentale par la réalisation ou la description de sa construction. » (Le Moigne, 2003).
59Ce modèle est construit à partir des espaces d’intervention du formateur à distance : le dispositif et les interactions. Ce sont ses supports et ses moyens de contact, de diffusion de ressources, d’animation des activités… Les interactions se font entre le formateur, le groupe et chacun des membres du groupe – les individualités. Le dispositif a vocation à porter les contenus et les activités de formation. À chaque lien entre les items collectifs, individualités, activités et contenus de formation correspond une posture type du formateur, selon la tâche à réaliser : médiateur, ergonome, animateur, coordinateur. La synthèse d’ensemble se réalise dans les quatre champs d’action (enseigner, accompagner, encadrer, mettre en œuvre).
Figure 3. Modèle d’action du formateur à distance
- 16 En référence à la définition courante proposée par Albero (2010) : « un dispositif est une organisa (...)
60Ce modèle cherche à articuler les différents types d’actions qu’un formateur à distance est amené à réaliser dans le cadre de son intervention pédagogique. Sur l’ellipse citer figure 3, sont positionnés quatre champs d’action : enseigner, accompagner, encadrer, mettre en œuvre. Aux angles, les attracteurs de l’action du formateur : ce qui fait varier la situation et ce qui est variant dans le contexte (les contenus de formation, les individus, les activités, le groupe). Les diagonales représentent les espaces d’action : les interactions possibles (individuelles ou avec le groupe) et le dispositif de formation16, support de présentation des contenus, pour les activités, les ressources. C’est dans ce cadre que nous plaçons les postures possibles (sur les côtés) et les déterminants de l’action (aux angles). Par déterminants, nous entendons un ensemble de propriétés et de moyens permettant à l’action certaines formes de régulation et d’adaptation aux contextes.
61Commençons par les contenus, autour desquels se structure un dispositif de formation. Le scénario fait référence à la présentation des cours, au choix qui est fait dans leur présentation (niveau de médiatisation et de médiation) et l’interaction avec les ressources. Selon son statut – enseignant ou tuteur –, le formateur a une plus ou moins grande influence sur le scénario. Nous parlons d’ingénium (Le Moigne, 2003) pour évoquer ce travail de sens que le formateur doit parfois mener auprès des étudiants : ce bricolage appropriatif, cette capacité à mettre en lien. L’étudiant à distance est parfois perdu dans le dispositif, a du mal à comprendre où sont les priorités (cours, aspects techniques, communication…), il faut parfois l’aider à voir que tout le dispositif est au service des apprentissages, et apprendre à s’en servir comme tel. En travaillant sur le sens (de la formation, du dispositif…), le formateur apporte une dimension humaine et adaptative dans un contexte fortement instrumenté.
62À distance, le formateur a un groupe à accompagner, mais chaque membre est isolé et doit donc être considéré comme tel. Il a donc à s’adresser à chacun d’entre eux. Sur l’angle « individualités », les deux déterminants « clinicien » et « impliqué » renvoient à cette réalité. Le formateur en ligne ne peut faire autrement que de prendre en compte certaines particularités et certaines attentes de chacun des étudiants qu’il accompagne et adopter des actions proactives de prise de contact et d’accompagnement individuel.
63Les activités représentent la mise en scène des contenus et du travail d’appropriation des étudiants. À distance, les aspects techniques et instrumentaux sont prégnants, dans la capacité à rechercher et organiser de l’information, à s’approprier des interfaces et des espaces numériques d’activités synchrones ou asynchrones, à exploiter l’ensemble des ressources du dispositif… La technicité, quant à elle, est autant technologique que pédagogique. Le déterminant « instrumenté » renvoie à la gestion instrumentale du dispositif par le formateur, pour garantir la cohérence du groupe et de son activité.
64La réalité matérielle du collectif est constituée par l’ensemble des membres de la communauté éducative – formateurs et étudiants – qui auront à vivre « ensemble, mais loin » un cycle de formation. On en attend beaucoup quand on est à distance, car c’est ce qui peut manquer le plus : du social, de la relation, un sentiment de solidarité dans l’effort. Pour autant, ce n’est pas le collectif qui est garant de la réussite du cursus. À distance, les cours, leurs ressources et leurs activités doivent pouvoir y suffire, même dans des modèles collaboratifs d’apprentissage. Le collectif fait écho à cette attente sociale et relationnelle que le tuteur incarne. Le déterminant « solidaire » désigne l’encouragement du formateur auprès des étudiants, par sa présence et son activité. De Lièvre et al. (2003) ont montré l’influence de la présence du tuteur sur les étudiants. Le déterminant « en réseau » pointe la réalité et les contraintes de la distance.
65Les postures présentées sur ce modèle synthétisent celles évoquées dans les travaux cités dans ce texte. La référence à la médiation est classique dans une approche socioconstructiviste en formation d’adultes. La dimension ergonomique s’impose dans des contextes instrumentés : trouver/choisir/former à l’outil qui convient le mieux, en fonction des activités à mener en ligne, de la compétence technique du public cible, de la charge de travail imposée par l’apprentissage des cours, de l’importance de l’activité qui mobilise la ressource numérique… Le formateur en ligne est aussi animateur de l’espace, de la plate-forme, en termes de veille, de mise à disposition et d’organisation des ressources, de relance de contact… Aussi régule-t-il et organise-t-il les activités proposées : rythme, intensité, correction/autocorrection, en groupe ou pas…
66Enfin, le formateur en ligne doit être capable de coordonner l’activité du groupe, en cohérence avec les objectifs de formation.
67Notre but ici est de tenter d’articuler les composantes de l’action du formateur en ligne au contact des étudiants. En faisant varier chacune des composantes du modèle, nous pouvons approcher certaines réalités de formations à distance. Par exemple : polarisés sur les contenus et les individualités, nous évoquons des modèles classiques de formation ; polarisés sur les activités et le collectif, nous évoquons des modèles collaboratifs d’apprentissage ; polarisés sur le collectif et les contenus, nous faisons référence à des responsables de formation ou des coordonnateurs de plate-forme ; et polarisés sur les individualités et les activités, nous faisons référence à un tutorat d’accompagnement de type transversal… Aucune de ces polarisations n’est exclusive des autres et un même formateur peut prendre en charge plusieurs niveaux d’action. Dans le cas, par exemple, de l’option D4 de la licence FORSE présentée dans ce texte, deux tâches sont essentiellement menées par l’enseignant de cette unité d’enseignement : enseigner et encadrer. Le formateur est, dans ce cas, en alternance, centré sur les contenus de formation et les individualités, et sur le collectif et les activités.
68À vouloir lister ne serait-ce que quelques caractéristiques évoquées dans les travaux présentés dans ce texte, et au-delà, pour qualifier les compétences attendues chez le formateur à distance, on peut s’inquiéter sur la nature de la tâche à effectuer pour aider l’étudiant à réussir à distance : impliqué, technologue, sociable, administrateur, manager, pédagogue, présentateur, conseiller, expert, évaluateur, motivateur, débrouillard, altruiste, réflexif, médiateur, discursif, structurant, méthodologue, organisateur, affectif, didactique, psychologue, accompagnateur, animateur…
- 17 1/ Hybrides ou intégralement à distance. 2/ Multiplication des supports numériques, en plus du mail (...)
69Cette qualification plurielle et mosaïque de la charge d’accompagnement pédagogique en ligne est symptomatique de la complexité croissante des dispositifs numériques de formation à distance17, et de la diversité des besoins, selon les contextes. L’acteur de terrain (celui qui accompagne) doit prendre en compte des enjeux de communauté, technologiques, temporels, de régulation... des problématiques individuelles, matérielles, instrumentales, institutionnelles…
- 18 Instrumentale, pédagogique, organisationnelle.
70La nature des tâches et les supports d’action sont déterminés par les objectifs de formation et l’ingénierie productrice du dispositif. Les finalités de l’action vont donc principalement déterminer ce que le formateur en ligne aura à faire. Trois directions possibles, toutes au service de l’action pédagogique : 1/ les tâches d’immersion (relationnelle, holistique, emphatique, solidaire…) qui participent à lier le groupe et à mobiliser l’individu ; 2/ les tâches organisationnelles et de régulation ; 3/ les tâches directement centrées sur le travail d’enseignement-apprentissage (l’objectif même de la formation). Le formateur en ligne doit donc développer une compétence d’intégration sociale, technique18 et disciplinaire. C’est là un élément fort de son expertise.
71Enfin, un dénominateur commun aux travaux présentés : il est nécessaire de mettre en place des signes de présence et de structuration (Jacquinot, 1993, 1999). L’enjeu est bien de permettre à chacun de prendre confiance (Gléonnec, 2004) et de rendre la communication possible. Faire état de cette capacité d’interaction, de présence et de structuration chez le formateur en ligne est un des sens du modèle proposé ici.
72Produire un modèle d’action du formateur en ligne permet d’interpréter les spécificités et les enjeux de l’action dans des contextes instrumentés et en réseau, et les enjeux de formation des formateurs en ligne. En ligne, le formateur est amené à penser son action, en mobilisant des ressources et des compétences spécifiques à la distance. Ce travail réflexif sur l’action permet de développer sa capacité d’adaptation aux contextes, à leurs occurrences et à leurs finalités – pour la licence qui nous concerne ici : former à distance à la distance en formation.
73Dans ce texte, nous avons pris en compte un modèle de formation à distance fortement accompagné. Nous avons qualifié de « formation classique, magistrale » des modèles pédagogiques reposant sur une livraison des ressources de cours que les étudiants ont à lire et à apprendre. Même si cette situation pédagogique repose essentiellement sur l’autoformation, seule, elle n’interdit pas des pratiques collaboratives « spontanées », par l’échange entre étudiants pour le co-apprentissage du cours (Audran, 2004). Les modèles collaboratifs, quant à eux, reposent sur une mise en activité volontaire, systématique et plus ou moins encadrée des étudiants. Cela dit, le paradigme socioconstructiviste s’applique à l’ensemble des modèles pédagogiques, dès lors qu’ils sont proposés dans un contexte de mise à distance de la formation. Linard (1995) parle de renversement de perspective pour qualifier cette priorisation du pôle apprentissage sur le pôle enseignement avec la mise à distance de la formation. Perriault (1991) a déjà noté que « la vision institutionnelle de la formation fait très souvent oublier que bien des apprentissages s’effectuent dans la vie entre pairs, par échanges horizontaux de problèmes et solutions » (p. 113). De fait, on ne peut pas s’en tenir aux pratiques pédagogiques habituelles quand on est à distance. L’action du formateur s’adapte aux contraintes et aux contextes que forment la mise à distance de la formation et de la communauté, les instruments et les dispositifs techniques, et les objectifs de formation. Une des voies qui s’impose passe par une responsabilisation plus importante de l’apprenant dans son parcours de formation. Pour autant, les formateurs ne disparaissent pas, et les ingénieries dans lesquelles ils s’intègrent reformulent leurs rôles et leurs fonctions.
- 19 Nous n’avons traité dans ce texte que de l’action enseignante et d’accompagnement en ligne.
74Cette prise d’autonomie de l’apprenant devient de plus en plus évidente à mettre en œuvre, notamment sous l’influence, entre autres : 1/ d’une intégration technique de plus en plus performante des matériels et des interfaces numériques, et des nouvelles interactions rendues possibles ; 2/ du processus de mondialisation fournissant des cadres idéologiques et des supports matériels à l’explosion des pratiques numériques de formation. De ce point de vue, la mise à distance de la formation passe par une rupture intégrative : rupture en termes de modèles pédagogiques et de représentations sur la fonction d’enseignement et le processus d’apprentissage19 ; intégration des savoirs et des savoir-faire en formation dans des dispositifs d’ensemble reformulant la charge d’accompagnement et de formation des apprenants ; enfin, intégration en termes de finalités – réussir son cursus, sa formation. La notion de distance en formation évolue avec l’invention et la capacité d’interprétation des acteurs et des institutions impliqués dans des dispositifs de formation utilisant partiellement ou exclusivement la distance.
75Loin de se conformer à un rôle, à un profil standard de comportements, chaque formateur possède une identité et une sensibilité qui lui sont propres et font qu’il peut mettre l’accent sur telle ou telle partie de l’éventail des champs et des tâches sur lesquels il peut intervenir, dans un jeu d’adaptation et d’affirmation qui garantit la présence pour laquelle il est sollicité. Par la mise en ligne de sa fonction, l’acteur, le formateur, dont nous avons débattu ici se trouve dans l’obligation d’avoir à redéfinir ses actions, leur portée et leurs limites, et de les penser articulées à un dispositif et à d’autres acteurs avec qui il doit s’entendre. L’évolution est profonde, en termes d’identité professionnelle, de représentations sur la relation enseigner/apprendre, et, dans une démarche réflexive, d’obligation d’avoir à se représenter sa propre action.
Marchand et al. (2002), Guide des pratiques d’apprentissage en ligne auprès de la francophonie pancanadienne, Montréal, GRAVTI (groupe de recherche sur l’apprentissage à vie par les technologies de l’information) et SAIC (Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes du Québec).