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Texte intégral

Michel Alhadeff-Jones est professeur en formation des adultes au Teachers College, Columbia University. En Suisse, il enseigne également en Sciences de l’éducation à l’Université de Fribourg, et il dirige l’Institut Sunkhronos qu’il a fondé à Genève. En tant que psychosociologue et philosophe de l’éducation, il conduit depuis une dizaine d’années ses recherches autour des enjeux inhérents aux temporalités et aux rythmes de la formation et de l’apprentissage tout au long de la vie. À l’occasion de la parution de son livre « Time and the Rhythms of Emancipatory Education » (Alhadeff-Jones, 2017), les auteurs des différents articles de cette revue thématique ont choisi de s’entretenir avec lui autour de certaines questions qui ont émergé au fil de la préparation de ce numéro. Nous lui avons ainsi soumis une liste de questions auxquelles il a accepté de répondre, davantage en tant que « rythmanalyste », qu’en tant qu’expert dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Christophe Gremion : En écrivant nos textes et en les discutant lors de nos échanges, nous avons pris conscience des très fortes contraintes que les formations en régime numérique imposent parfois à leurs utilisateurs. Selon vous, jusqu’où l’école peut-elle dicter ses rythmes aux apprenants ?

Michel Alhadeff-Jones : Pour appréhender l’influence temporelle de l’école – et au-delà, des institutions centrées sur les apprentissages formels – il convient d’abord d’en préciser la nature. Il me faut donc opérer un bref détour avant de pouvoir esquisser une réponse à cette question.

L’école, comme toute autre institution, repose sur une organisation du temps qui lui est propre. Le pouvoir d’influence qu’elle exerce sur les personnes qui y travaillent ou qui interagissent avec elle (enfants et adultes) repose en premier lieu sur le « cadre temporel » (Grossin, 1996) qui régit les activités qui s’y déroulent (notamment les horaires, les calendriers, les programmes, etc.) Cette première forme d’influence est de nature fonctionnelle. Elle contraint l’activité quotidienne des uns et des autres (arriver à l’heure, être engagé dans un moment de lecture, être « libre » de courir dans le préau, disposer d’une échéance pour réaliser un projet, interagir avec d’autres apprenants). L’influence temporelle de l’institution définit et limite également les possibilités d’accès à l’apprentissage formel tout au long de la vie, en fonction de cadres législatifs et réglementaires établis (par exemple les âges d’entrée et de sortie de la scolarité obligatoire ou la possibilité de ré-entrer dans une démarche de formation à l’âge adulte).

Le cadre temporel défini par l’institution exerce également une influence symbolique sur la manière dont on se représente le temps vécu et l’expérience subjective. Comme le relève Jacques Ardoino (2000), la représentation du temps imposée par l’école (exprimée en années, en mois, en jours, en heures ou en minutes) renvoie à une conception du temps quantifiable qui révèle un ordre chronométrique et chronologique (Alhadeff-Jones, 2014) reposant sur des unités homogènes, interchangeables et réversibles (des heures « manquées » peuvent ainsi être « rattrapées »). Une telle conception du temps, si elle privilégie une représentation abstraite des changements qui se déroulent à l’école, ne permet pas de nommer et de qualifier le temps tel qu’il est vécu de manière subjective. La quantification prend ainsi le pas sur la qualité des changements vécus (les états physiologiques ou psychologiques) et sur l’historicité dans laquelle ils s’inscrivent (par exemple le sens d’un instant, inscrit dans la continuité de l’existence singulière d’une personne ou d’un collectif). De plus, le découpage temporel de l’organisation scolaire, en inscrivant les échanges entre apprenants et éducateurs dans un horaire et un programme compartimentés, contribue à réduire la compréhension que l’on peut avoir des processus temporels (la croissance, le développement, la maturation) qui rythment la vie de chacun (apprenants et éducateurs) sur le court et le long terme.

Si les temporalités de l’école et de la formation sont spécifiques, leurs rythmes ne sont pas pour autant complètement intrinsèques à ces institutions. Ils découlent également de rythmes qui leur sont imposés par d’autres institutions, telles que le pouvoir politique, la famille ou le monde du travail. Ils doivent également intégrer des rythmes physiques (l’alternance jour-nuit, les saisons), des contraintes matérielles (l’infrastructure informatique), mais aussi biologiques (les rythmes du sommeil, de la digestion) qui limitent ou contraignent l’activité d’apprentissage. De même, les connaissances transmises, en fonction de leur nature et de leur envergure, contraignent la rythmicité des apprentissages (par exemple l’apprentissage d’une langue étrangère s’inscrit dans un temps relativement long). Ainsi, l’école impose des rythmes qui résultent d’un agencement complexe entre ses spécificités organisationnelles (comme l’organisation de l’activité par cohortes d’âges et par discipline), et les besoins inhérents à son environnement social (par exemple permettre à de jeunes adultes d’entrer dans le marché du travail), intégrant également des contraintes culturelles, mais aussi matérielles et vivantes. Elle pérennise ainsi des rythmes qui lui sont imposés, qui la déterminent et qui influencent son évolution au fil du temps. S’il est vrai que l’école « dicte ses rythmes », il me semble plus précis de considérer qu’en tant qu’institution l’école est organisée autour d’un consensus, produit d’une histoire sociale et culturelle, plus ou moins explicite, relatif à ses temporalités. Comme tout consensus, celui-ci révèle des rapports de force passés et présents entre les acteurs du champ social et les contraintes auxquelles ils sont soumis.

Il y a dès lors différentes manières d’interroger les limites de l’influence rythmique de l’école. Sur le plan social, l’impact temporel de l’organisation scolaire est très étendu, puisqu’elle détermine le fonctionnement d’autres sphères d’activité comme le travail ou les loisirs. Sur le plan individuel, dans la mesure où elle contraint nos rythmes biologiques (en imposant, par exemple, l’heure du réveil et les pauses pendant lesquelles il est possible de se reposer ou de manger) son influence est véritablement inscrite dans notre chair. Si l’on considère maintenant la nature de l’influence rythmique de l’école dans sa durée, il me semble que son impact le plus puissant est de nature symbolique. En effet, en apprenant très tôt à identifier le temps à travers le comptage des heures, des jours et des semaines, et en associant l’idée d’apprentissage avec un temps formalisé d’échange, l’école marque d’une empreinte symbolique particulièrement forte nos représentations et notre imaginaire des rapports entre temps et éducation. Cet imaginaire du temps détermine en effet notre compréhension du monde et de ses dynamiques pour le restant de notre vie. Chercher dès lors à modérer cette influence passe probablement autant par le fait de cultiver un imaginaire alternatif des temporalités de l’apprentissage, que par la possibilité de revisiter et de questionner tout au long de sa vie les présupposés à partir desquels on envisage la mesure des changements qui nous affectent, et la nature des processus à travers lesquels on apprend, on se transforme, on se développe, et on croît.

CG : L’influence temporelle de l’école représente-t-elle une forme de violence ? Est-elle nécessaire pour garantir l’efficacité pédagogique d’un dispositif de formation ?

MAJ : L’imposition par une institution, telle que l’école, de rythmes fonctionnels et des formes symboliques à travers lesquelles on se représente les changements vécus, repose toujours sur l’exercice de contraintes. La notion de « contrainte temporelle » à laquelle je fais référence renvoie à l’influence que peut avoir une temporalité donnée et, plus spécifiquement, le fait qu’elle peut conduire à confiner, limiter, restreindre ou mettre sous tension les opérations impliquées par un phénomène – tel que l’apprentissage, la transformation ou le développement individuel ou collectif – ainsi que les représentations que l’on s’en fait (Alhadeff-Jones, 2017, p. 52). Ainsi, l’organisation de l’instruction repose sur un ensemble de contraintes temporelles, à la fois fonctionnelles et symboliques.

L’imposition d’un rythme est inévitable dès lors qu’on évolue au sein d’un collectif dont les membres sont interdépendants. Cela est donc d’autant plus significatif lorsqu’il s’agit de réaliser des tâches en commun. Tout processus de synchronisation implique en effet l’exercice d’une forme d’influence qui révèle la capacité d’une personne, d’un groupe ou d’une organisation à entraîner autrui, à travers un rythme donné. En classe, l’enseignant a ainsi la responsabilité de déterminer qui va « donner le tempo » au rythme de l’activité entreprise ; il en va de même dans une discussion de groupe. Aller plus ou moins vite ou lentement, ou organiser une activité en fonction d’une séquence plus ou moins rigide d’étapes peut naturellement être vécu comme l’exercice d’une violence physique ou symbolique, en fonction de l’activité, des dispositions et des ressources de chacun, ou des modalités d’interactions. À mon sens, il y a violence physique ou symbolique s’il n’existe pas de moyen de réguler les rythmes en présence, ou la manière dont on se les représente. L’acquisition de cette capacité critique de régulation (voire d’autorégulation) ne va pas de soi. Elle représente également un enjeu d’apprentissage et de formation. Le problème dans le contexte contemporain, c’est qu’un tel apprentissage demeure un implicite de la formation…

DMS : L’imposition de contraintes temporelles s’exerce-t-elle de la même manière avec des enfants et des adultes ?

MAJ : L’exercice de contraintes temporelles n’est pas spécifique à un âge de la vie. Par contre, la nature de ces contraintes, la conscience que l’on peut en avoir, ainsi que la capacité à y résister ou à privilégier certains rythmes plutôt que d’autres, représentent autant d’aspects qui évoluent avec l’âge et l’expérience. De plus, l’une des caractéristiques essentielles qui distingue les enfants des adultes, réside dans le fait qu’à l’âge adulte on a déjà internalisé un grand nombre de normes temporelles, de représentations et d’attentes implicites constitutives du rapport au temps des collectifs au sein desquels on évolue.

CG : Quelles modalités organisationnelles et pédagogiques convoquer et mettre en œuvre pour respecter les rythmes de l’apprenant ?

MAJ : Il n’existe naturellement pas de solution simple et universelle qu’il suffirait d’appliquer. L’enjeu premier réside dès lors dans la capacité à analyser les dimensions temporelles inhérentes à toute situation pédagogique. Il apparaît ainsi important, dans un premier temps, de préciser de quels rythmes on parle lorsqu’on évoque une situation d’apprentissage formel. La distinction opérée par Pascal Michon (2005) – dans une perspective anthropologique – entre rythmes discursifs, rythmes corporels et rythmicité des interactions, me semble ici pertinente à mobiliser. Les rythmes discursifs renvoient aux « patterns » qui caractérisent l’usage du langage pour penser, réfléchir ou pour communiquer avec autrui. Les rythmes corporels renvoient à la fois aux rythmes biologiques et physiologiques qui nous animent, mais aussi à la manière dont notre corporéité se manifeste et évolue dans l’espace (les mouvements, les déplacements, les voyages). Finalement, les rythmes d’interactions renvoient à la manière dont nos rapports avec autrui fluctuent au fil du temps, marqués par plus ou moins d’intensité ou de relâchement.

Ainsi, toute situation d’apprentissage formel contraint les modalités à partir desquelles certains discours peuvent ou non être exprimés (le silence imposé dans la classe, obligation de s’exprimer dans une certaine langue, modalités d’échanges – synchrones ou asynchrones – dans un forum de discussion en ligne). De telles contraintes influencent à la fois le degré de fluidité de la pensée et de l’expression de soi. Ainsi, le silence peut favoriser la réflexion en classe. De même, l’échange asynchrone dans un forum de discussion permet à chacun d’élaborer sa pensée en suivant son propre rythme. Le fait de devoir s’exprimer dans une langue spécifique peut également accélérer ou ralentir la communication en fonction du degré de maîtrise que l’on en a. Les situations d’apprentissage formel contraignent également les rythmes corporels, notamment en privilégiant certaines activités (par exemple l’attention cognitive) au détriment d’autres (comme la relaxation, le repos), ou en définissant l’espace dans lequel il est considéré comme désirable de rester tranquille (l’obligation de rester assis en classe) ou de se mouvoir (la nécessité de fréquenter en alternance des lieux différents de formations). Finalement, les interactions sociales elles-mêmes fluctuent de façon rythmique en fonction du cadre de la formation : en classe, les échanges sont intensifiés, tout en étant régulés et limités dans le temps, de même que les interactions avec l’éducateur ou le formateur peuvent alterner avec un travail réalisé seul (les devoirs), en groupe, ou dans un milieu hétérogène impliquant d’autres interlocuteurs (la formation duale).

Ainsi, en fonction de ses caractéristiques, tout dispositif éducatif détermine des agencements spécifiques, caractérisés par des modes de régulation des rythmes discursifs, corporels et d’interactions. Avoir conscience des rythmes impliqués dans la situation de formation constitue une première étape. Il s’agit ensuite d’être en mesure de les réguler de manière appropriée. On retrouve cette préoccupation très tôt dans l’histoire de l’instruction ; toutefois, ce n’est qu’à partir du début du 20e siècle qu’elle devient un enjeu associé à l’épanouissement des apprenants et aux respects des différences individuelles. Ainsi, l’éducation formelle contemporaine implique l’expérience d’une « double contrainte temporelle » pour les apprenants, les éducateurs et les administrateurs. D’un côté, la visée éducative de l’institution repose sur la maîtrise des rythmes individuels, notamment pour des raisons de contrôle et d’efficacité. Historiquement, l’instruction formelle a ainsi toujours été caractérisée par une régulation assez rigide des rythmes des élèves (Alhadeff-Jones, 2017 ; Foucault, 1975). D’un autre côté, la mission de l’institution implique désormais une contrainte inhérente à la nécessité de « respecter » les rythmes de chacun, en particulier pour des raisons d’équité. Sur le plan temporel, l’école contemporaine est ainsi soumise à une « double contrainte » (au sens où Gregory Bateson a défini la notion de double bind) dans la mesure où les principes d’efficacité et d’équité qui la régissent sont à la fois antagonistes, contradictoires et complémentaires, et que leur respect constitue un impératif incontournable de l’éducation formelle. Tout éducateur est ainsi soumis à l’injonction d’utiliser le temps à disposition de manière efficace (donc rationnelle), tout en respectant les rythmes de chacun – ce qui suppose une forme de sensibilité pas nécessairement objectivable et encore moins quantifiable. Comme l’ont démontré Bateson et ses collaborateurs, le fait d’être confronté à ce type de contradictions peut créer un véritable malaise. L’expérience de doubles contraintes de ce type est selon moi en partie à l’origine de l’épuisement professionnel que l’on observe de plus en plus dans les métiers de l’humain, et en particulier chez les enseignants et les responsables d’établissements scolaires et de formation.

En ce qui concerne la formation à distance, cette double contrainte est non seulement présente, mais on pourrait même faire l’hypothèse qu’elle est d’autant plus marquée que la marge accordée aux rythmes individuels est importante au sein du dispositif. Du point de vue des apprenants, il s’agit d’un aspect particulièrement critique. En effet, dans un dispositif d’instruction traditionnel, l’essentiel de la régulation des rythmes réside dans le contrôle exercé par l’enseignant dont l’activité, encadrée par l’organisation, régule les rythmes des discours, des corps et des interactions, tels qu’ils sont prescrits ou attendus par l’institution. De même, les rythmes des apprenants sont également autorégulés à travers leurs échanges in situ ; la présence de feedbacks non verbaux (les attitudes, les expressions faciales, les comportements visibles) est cruciale pour cette régulation. Dans l’enseignement à distance, on retrouve également ces aspects à travers le cadre organisationnel prescrit et certaines modalités de dialogue (par exemple la visioconférence). Toutefois, les apprenants sont soumis à l’injonction d’être en mesure de réguler les rythmes de leur engagement pédagogique, de manière probablement plus prononcée, dans la mesure où le contrôle et la régulation externes sont limités et les signaux échangés plus restreints (en raison notamment de l’absence de communication para-verbale ou non verbale dont on sait qu’elle permet de réguler les conditions de dialogue). On observe ainsi une internalisation des contraintes temporelles du dispositif (comme devoir consulter régulièrement ses messages, aménager un espace-temps protégé qui permette de rester concentré, porter une attention accrue aux significations verbales échangées). Avec la plus grande autonomie conférée aux apprenants et la possibilité de « respecter leurs propres rythmes », émerge finalement la responsabilité pour chacun d’être en mesure de discriminer, d’interpréter, d’évaluer et d’assumer les rythmes à travers lesquels on choisit de s’exprimer, de réfléchir, de communiquer et d’échanger. Cela exige des ressources (en termes de connaissance et de compréhension d’autrui et de soi-même) dont l’acquisition ne va pas de soi. Ce type de disposition repose sur la capacité à développer ce que j’ai appelé une « intelligence rythmique », c’est-à-dire la capacité individuelle et collective à s’approprier les caractéristiques rythmiques d’une situation, de manière à pouvoir s’y adapter. En permettant à chacun de disposer d’une plus grande liberté dans la régulation de ses rythmes, on introduit dès lors une source supplémentaire de contraintes et potentiellement d’inégalités. En effet, tout le monde ne dispose pas des mêmes ressources pour réguler son activité ; de plus, notre rapport au temps et notre expérience des rythmes vécus varient aussi en fonction de variables telles que l’âge, le genre ou l’origine culturelle.

Pour l’éducateur ou le formateur, respecter les rythmes des apprenants suppose ainsi d’être en mesure d’interpréter les sources qui rendent compte de la variabilité rythmique qui s’exprime en situation d’apprentissage, afin de déterminer le degré d’homogénéité ou de différenciation possible et souhaitable. En d’autres termes, une fois que l’on a identifié les rythmes impliqués par la situation d’apprentissage, il s’agit d’interroger les raisons pour lesquelles un apprenant est susceptible de se les approprier ou au contraire d’y « résister ». De même, il est crucial de déterminer dans quelle mesure les apprenants ont la capacité de réguler les rythmes impliqués par le dispositif. Finalement, respecter les rythmes de l’apprenant suppose de reconnaître différentes modalités d’ajustement. Dans certains cas, on ne peut que reconnaître la présence d’une altérité rythmique à laquelle la situation d’apprentissage doit s’adapter (citons la présence d’un handicap qui limite l’élocution ou la mobilité ; ou encore les caractéristiques technologiques inhérentes à l’infrastructure informatique utilisée). Dans d’autres cas, l’ajustement peut également porter sur les modalités à travers lesquelles on maintient le rythme collectif de l’activité, tout en accommodant les besoins de certains individus (en proposant un accompagnement individualisé par exemple). Enfin, on peut également relever les situations dans lesquelles les modalités d’apprentissage et les rythmes de l’activité doivent être modifiés, simplement parce qu’ils ne correspondent pas aux besoins ou aux attentes d’une majorité des participants ; on régule alors les normes temporelles (l’horaire, la cadence des activités, etc.) à partir desquelles l’activité d’apprentissage est envisagée.

CG : Et dans les cas où la massification est une contrainte institutionnelle et économique, comment respecter tout de même les rythmes des apprenants ?

MAJ : L’enjeu central demeure toujours pour l’éducateur de déterminer les rythmes discursifs, corporels et d’interactions privilégiées, et le degré toléré d’écart à la norme. Ainsi, les phénomènes de « massification » des situations d’apprentissage renvoient à au moins deux enjeux distincts sur le plan rythmique. Le premier est celui des normes temporelles à partir desquelles l’action pédagogique est organisée et régulée ; le second est celui du degré d’homogénéisation des pratiques. La présence d’un grand nombre d’apprenants implique nécessairement une plus grande variabilité des rythmes discursifs, corporels et d’interactions. Elle rend d’autant plus nécessaires la définition et le respect de normes relatives aux modalités d’expression et d’échange. De même, elle tend à privilégier une logique d’homogénéisation liée à l’imposition de certains rythmes au plus grand nombre. Dans l’absolu, rien n’empêche toutefois de reconnaître des différences à l’intérieur du collectif et de regrouper les participants en fonction de caractéristiques plus ou moins objectives (l’âge, la maîtrise de la langue, la localisation géographique, ou les contraintes technologiques, dans le cas de l’enseignement à distance), ou en fonction de leurs préférences personnelles (le travail individuel, en duo ou en sous-groupe). Les difficultés posées par la massification d’une situation d’apprentissage ont moins trait aux procédés de différenciations des interlocuteurs (en fonction de leurs rythmes propres ou des contraintes sociales ou techniques auxquelles ils sont soumis), qu’au coût que cela peut engendrer, notamment en termes de régulation, de suivi et d’évaluation. En ce sens, les phénomènes de massification ne font que révéler un antagonisme plus profond, propre à toute situation d’apprentissage, lié à la présence de logiques temporelles hétérogènes. Dans le cas de l’enseignement à distance, ces logiques renvoient à des aspects psychologiques (la capacité d’attention, le maintien de la motivation, etc.), économiques (notamment le coût relatif à l’implémentation et au suivi de la formation), technologiques (l’infrastructure à disposition), mais aussi sociaux (la prise en compte des décalages horaires, ou de l’engagement des participants dans d’autres sphères d’activité concurrentes, telles que la famille ou le travail).

CG : De telles contraintes peuvent-elles se révéler sources de créativité ?

MAJ : Les effets associés à l’exercice de contraintes temporelles sont variables. Il est commun de penser que la pression temporelle, parmi d’autres formes de contraintes, peut stimuler un mode de pensée divergent qui peut se révéler source d’inventivité. Toutefois, la pression temporelle peut également se révéler inhibante si elle devient une source de préoccupation qui ne permet pas à l’apprenant de se concentrer sur la tâche elle-même. Si l’on souhaite penser les rapports entre temps et créativité dans une situation d’apprentissage, il me semble important de considérer au moins trois aspects.

Le premier renvoie à la manière dont le cadre temporel inhérent à la situation d’apprentissage est présenté et perçu. Les contraintes temporelles imposées (par exemple le temps imparti pour réaliser une tâche) sont-elles de « vraies » contraintes (sur lesquelles le formateur n’aurait pas d’emprise) ou des contraintes « artificielles » introduites pour tester les apprenants ? En d’autres termes, qu’est-ce qui donne sa légitimité à la contrainte temporelle exercée ? On peut également interroger les risques associés à l’échec. Est-il toléré ou, au contraire, présenté comme une source de sélection ? La perception du cadre temporel privilégié situe ainsi les dispositions des apprenants vis-à-vis de cette contrainte.

Le deuxième aspect est lié au rapport au temps entretenu par chaque apprenant. De quelle manière réagit-on au sentiment de pression temporelle ? Cette pression est-elle vécue comme stimulante ou menaçante ? S’il y a un sentiment de stress, comment est-il toléré ? Chacun d’entre nous a appris à vivre de manière très particulière les pressions temporelles, tout au long de sa vie. Une situation d’apprentissage réactive un rapport au temps existant, autant qu’elle peut éventuellement permettre de le modifier.

Le troisième aspect renvoie à la tâche à effectuer et au temps requis pour l’entreprendre. Sur le plan pédagogique, c’est probablement le point le plus délicat à identifier. Si le temps imparti est inférieur à celui nécessaire pour réaliser de manière satisfaisante une tâche donnée, la tâche prescrite enferme l’apprenant dans une double contrainte temporelle. On se retrouve face à une injonction paradoxale qui consiste à devoir réaliser de manière satisfaisante une tâche dont on sait (ou non) qu’il n’est pas possible de la mener à bien, dans le temps mis à disposition. Ce type de contrainte temporelle est fréquent en éducation (et dans le monde professionnel, plus largement). Le problème est qu’elle peut se révéler particulièrement contre-productive sur le plan pédagogique.

Personnellement, il m’est arrivé de vivre ce type de situations lorsque, en raison de contraintes horaires, j’ai dû demander à mes étudiants d’entrer dans un certain type de dialogue (portant sur leur expérience de vie passée), tout en anticipant le fait que l’on ne disposait pas d’assez de temps pour que chacun puisse s’essayer à formuler suffisamment de questions pour être en mesure d’apprendre lesquelles seraient véritablement heuristiques et lesquelles seraient plus anecdotiques. Ce type d’échange peut être vécu comme très frustrant. L’apprentissage qui en découle réside davantage dans l’appréhension de ce type de situation. Ainsi, la crainte de prendre la parole dans un groupe où chacun est en compétition par rapport au temps de parole disponible peut se révéler très inhibante. De même, le fait de ne pas être en mesure de formuler des questions perçues comme pertinentes, par manque de temps nécessaire pour faire des « essais-erreurs », peut être vécu comme disqualifiant par les participants. Ceux-ci peuvent en effet être conscients de ne pas avoir atteint les objectifs de l’échange (par exemple formuler les « bonnes » questions), sans forcément être conscients que les modalités prescrites ne le permettaient pas. C’est pour cette raison qu’il me semble absolument indispensable d’engager les apprenants, autant que faire se peut, dans une réflexion sur les modalités temporelles qui cadrent les activités dans lesquelles ils sont impliqués. Ainsi, ils peuvent par exemple réaliser qu’il est possible de ne pas avoir appris à formuler certaines questions, tout en apprenant qu’une situation de dialogue critique requiert un cadre temporel minimum – ce qui constitue déjà, à mon sens, un apprentissage significatif dans un contexte social où l’on pense pouvoir tout faire plus vite.

Sur le fond, ce type de situation pose la question de savoir comment déterminer le temps minimum requis pour entreprendre une tâche d’apprentissage. L’expérience est ici cruciale. Pour ma part, c’est par essai-erreur que j’ai appris à identifier le seuil temporel en dessous duquel il est préférable de ne pas opérer. Plus largement, cela renvoie au thème de l’accélération en formation et la tendance qui s’est développée, depuis le milieu des années 1970, autour de la compression temporelle des formations, notamment à l’université et dans la formation continue (Wlodkowski, 2003). En cela l’enjeu est didactique, mais il est également politique dans la mesure où il interroge les rapports de force entre les contraintes économiques, sociales et pédagogiques qui déterminent toute situation d’apprentissage formel.

CG : Avec l’essor des nouvelles technologies et la possibilité de se former n’importe où et n’importe quand, comment envisager le rapport aux différents temps de la formation ?

MAJ : Pour aborder cette question, il me semble intéressant de faire référence au concept de « moment » tel qu’Henri Lefebvre (1961) l’a développé, et tel qu’il a été mobilisé par des chercheurs comme Rémi Hess (2009) en Sciences de l’éducation. Contrairement à l’acception habituelle, le moment n’est pas assimilé chez Lefebvre à une « courte durée » ou à un « instant ». La théorie des moments « tend à revaloriser le discontinu, en le saisissant dans le tissu même du “vécu”, sur la trame de continuité qu’il présuppose […] » (Lefebvre, 1961, p. 342). Le moment : « c’est une forme supérieure de la répétition, de la reprise et de la réapparition, de la reconnaissance portant sur certains rapports déterminables avec l’autre (ou l’autrui) et avec soi. » (Lefebvre, 1961, p. 344) On peut ainsi évoquer le moment de l’amour, le moment du jeu ou celui du repos, celui de la poésie ou de l’art, le moment de l’éducation formelle, ou celui de la formation à distance. Ces moments se répètent au cours d’une vie ; chacun de ces moments se construit en se répétant. Certains émergent très tôt dans la vie, d’autres plus tard. De même, certains perdurent tout au long de l’existence et d’autres disparaissent. Le moment suppose une durée et, dans sa coexistence avec les autres moments de la vie, génère une histoire. Comme l’évoque Lesourd (2006), les moments alternent, résonnent, se recouvrent, émergent, durent et disparaissent. Un moment a son propre contenu ; il a également ses propres rythmes.

Ainsi, faire l’expérience d’un apprentissage médiatisé par un support technologique – je prendrai ici l’exemple de l’apprentissage à distance – constitue un moment spécifique dans la vie d’un apprenant. L’intérêt du concept de moment est qu’il permet d’envisager au moins trois aspects temporels qui caractérisent une telle expérience. Tout d’abord, comme cela a été évoqué précédemment, le moment de l’apprentissage à distance est caractérisé par ses propres rythmes (discursifs, corporels et d’interactions) ; de plus, lorsqu’on envisage la manière dont il s’inscrit dans la trame du vécu, on observe qu’il manifeste à la fois une forme de continuité et de discontinuité. Ainsi, en tant qu’expérience formatrice, le moment de l’apprentissage à distance s’inscrit dans la continuité d’autres formes d’apprentissage formel, telles que celles qui caractérisent l’école ou la formation continue. Il mobilise également des outils (le téléphone, l’ordinateur, etc.) qui font déjà partie de l’expérience de chacun. De même, on peut envisager son inscription biographique à travers la continuité des épisodes à travers lesquels il est vécu, de la « toute première fois » où l’on utilise une plateforme telle que Moodle, à la formation d’une habitude dans la manière dont on s’y connecte. Ce moment s’inscrit finalement dans une durée au fil de laquelle il peut se renforcer : à la suite d’une première expérience, on peut ainsi prendre le goût pour ce type de formation et profiter de la pléthore d’offres disponibles pour se forger un parcours d’apprenant en ligne. Toutefois, dans la mesure où il est caractérisé par des modalités spécifiques d’élaboration, de transmission, et d’échanges, et parce qu’il implique également des supports et des acteurs avec lesquels on n’interagit pas en permanence, le moment de l’apprentissage à distance introduit également de la discontinuité dans la vie des apprenants. Cette discontinuité marque d’abord le quotidien : les situations d’apprentissage à distance impliquent de protéger un espace et un temps qui s’insèrent entre d’autres moments, tels que celui du travail ou celui de la famille, par exemple. Il constitue également une rupture dans la continuité du moment de l’apprentissage formel in situ, avec lequel, selon les dispositifs, il alterne.

À l’échelle du quotidien et, plus largement à l’échelle de l’existence, le fait que le moment de l’apprentissage à distance soit caractérisé par de la continuité et de la discontinuité suppose qu’il évolue de manière rythmique. En d’autres termes, ce moment est non seulement défini par les rythmes qui constituent l’activité qui le caractérise, mais également par la rythmicité à travers laquelle il alterne avec d’autres moments vécus. Envisager le rapport aux différents temps de la formation – formelle, non formelle et informelle – suppose de réfléchir aux conditions de cette rythmicité. Sur le plan temporel, au moins trois enjeux sont à considérer en particulier : celui des transitions, celui de la dominance d’un moment sur d’autres, et celui de la régulation.

L’expérience d’un moment est caractérisée par la manière dont on y entre et dont on en ressort. Les routines et les rituels occupent ici une place importante. Ainsi, l’entrée dans le moment de la formation à distance suppose qu’on développe certaines habitudes qui nous permettent d’abord d’entrer dans les activités qu’il mobilise, puis le moment venu, d’y mettre fin. Ces rituels de transition sont cruciaux d’une part pour assurer une rupture avec ce qui précède et ce qui suit la situation d’apprentissage à distance, mais aussi pour garantir une continuité entre les occurrences successives de ce moment. Concrètement, on peut choisir de s’isoler, fermer la porte de sa chambre, se préparer un café et s’asseoir confortablement ; cela aide à se protéger d’autres sollicitations propres à d’autres moments du quotidien (le repos, la famille, le travail). On peut également reprendre les notes de son journal d’apprentissage, ou lorsqu’on a terminé la session, rédiger quelques notes de manière à créer une amorce, et faciliter la réentrée dans ce moment, la fois suivante. Parfois, tout cela n’est pas possible et l’expérience de ce moment se fait de manière beaucoup plus brève et furtive (comme lorsque l’on vérifie ses messages sur son mobile ou que l’on lit quelques pages d’un texte dans le bus). L’important est d’avoir une stratégie pour faire en sorte que ce moment du quotidien ait une certaine consistance et une cohérence, en dépit des interruptions.

Un second enjeu réside dans la place occupée par les différents moments du quotidien. Il existe en effet toujours un risque que certains moments prennent le dessus et deviennent « hégémoniques ». Dans sa forme extrême, ce phénomène renvoie à des situations d’aliénation qui peuvent être très sérieuses ; c’est typiquement le cas des situations d’addiction ou de comportements compulsifs. Un moment – par ailleurs normal – de la vie quotidienne (le jeu, l’amour, l’usage de son ordinateur, la consommation de certains produits) prend une place dominante et empêche la réalisation des autres activités de la vie de tous les jours, en imposant ses propres rythmes. On perd ainsi le contrôle de son temps quotidien, en s’enfermant dans un moment qui devient compulsif. Le fonctionnement des NTIC n’échappe pas à ce type de dérives. Sans aller aussi loin, la question de trouver le juste équilibre entre les différents moments de la vie quotidienne est une question à laquelle chacun est confronté et qui n’épargne pas l’apprentissage à distance. D’un point de vue quantitatif, il s’agit ainsi d’être en mesure de déterminer combien de temps il est raisonnable d’y investir et quelle proportion cela devrait représenter par rapport aux autres activités qui nous mobilisent. Il est également crucial d’interroger les qualités du moment vécu (librement choisi et aménagé, ou au contraire, ressenti comme un besoin, une nécessité ou une contrainte subie).

Cela renvoie finalement au dernier enjeu à considérer : la régulation de son activité. Ici, il s’agit de trouver un équilibre entre une approche « programmée » et « stratégique » de son temps. La première peut apparaître rassurante, dans la mesure où elle permet la planification de son emploi du temps ; elle peut aussi se révéler rigide et contraignante, si elle ne laisse pas place à la spontanéité et à l’imprévu. La seconde suppose de savoir identifier les opportunités et les instants « justes » pour investir l’activité d’apprentissage à distance, en fonction des aléas du quotidien, des disponibilités, du désir, et des changements inattendus qui peuvent survenir.

Être en mesure de réfléchir sur la manière dont on opère des transitions entre les différents moments du quotidien (de manière à protéger la consistance et la cohérence d’activités investies de manière discontinue), l’équilibre à travers lesquels on les mobilise (entre sous — et surinvestissement), et la manière dont on régule son activité (entre programmation et stratégie) représentent ainsi trois enjeux, parmi d’autres, sur lesquels il peut être intéressant de réfléchir avec les apprenants, de manière à les aider à développer un rapport plus conscient aux temporalités de leur formation, et plus globalement de leur développement personnel et professionnel. D’un point de vue rythmique, la finalité principale me semble être d’apprendre à identifier et à inscrire dans la durée une certaine fluidité de ses activités d’apprentissage, de manière à éviter les situations de ruptures et de décrochage, ou au contraire les situations d’emprise et d’enfermement.

CG : Alors qu’il est parfois possible de négocier le cadre temporel d’un dispositif avec un formateur (en repoussant par exemple une échéance), comment négocier les contraintes temporelles imposées par la technologie utilisée ?

MAJ : Il me semble qu’on peut distinguer au moins deux types de contraintes temporelles inhérentes à l’usage des NTIC en formation : d’une part, les contraintes inhérentes au matériel utilisé ; et d’autre part, les contraintes issues de la programmation des interfaces logicielles mobilisées.

La contrainte matérielle renvoie à l’ancrage physique des moyens pédagogiques engagés. Elle concerne le traitement de l’information (par exemple la vitesse des processeurs utilisés par les ordinateurs) et de la communication (notamment les caractéristiques du réseau). Elle est issue de contraintes physiques (comme la qualité des matériaux), et du design des infrastructures et du matériel informatique utilisés. Elles traduisent les priorités privilégiées par les ingénieurs qui les ont conçus, les techniciens qui les entretiennent, les gestionnaires qui les administrent, et les instances qui les financent. La manière dont ces priorités sont déterminées est toujours le fruit d’un processus social qui traduit des rapports de force et des logiques de justification. Concrètement, ce sont généralement des considérations économiques qui vont déterminer les choix réalisés. Ce sont ainsi les contraintes financières et budgétaires d’une organisation, d’une région, voire d’une nation, mais aussi les contraintes géographiques (notamment pour les réseaux de communication), qui vont influencer la qualité du matériel utilisé et dès lors ses performances. Dans le quotidien de la situation d’apprentissage, ces aspects – bien qu’omniprésents – ne peuvent pas directement faire l’objet d’une négociation entre apprenants et formateurs. Ils renvoient davantage à des enjeux stratégiques qui touchent les personnes ayant un pouvoir décisionnel relatif à l’infrastructure utilisée.

En ce qui concerne la contrainte logicielle, elle influence les temporalités de l’activité d’apprentissage de différentes manières. En premier lieu, le choix des logiciels et des plateformes d’échange utilisés détermine les variables sur lesquelles l’administrateur et le formateur ont un certain contrôle (comme les paramètres pouvant être configurés). Sur le plan temporel, cela signifie par exemple que l’accès à certaines fonctions (par exemple la remise de documents, la participation à un forum) est programmable. Pour autant que les usagers soient familiers avec ces modalités de configuration, il n’y a dès lors pas de raison qu’elles ne puissent être modifiées et donc négociées. Les logiciels et les plateformes utilisés (par exemple Moodle) déterminent également la séquence des activités pédagogiques, en fonction du curriculum de la formation. Ici encore, la temporalité du processus est le résultat de choix effectués par les formateurs au moment où ils ont élaboré le « programme » des activités. Tout programme pouvant être modifié, il n’existe a priori pas de raisons techniques qui empêchent de procéder à des changements. Dans la pratique toutefois, compte tenu du temps et des ressources investies dans la programmation d’un cours, et le fait qu’elle implique également des acteurs parfois distants de la situation pédagogique (les administrateurs, le personnel technique, etc.) avec leurs propres emplois du temps, d’autres facteurs contraignants interviennent qui compliquent une possible négociation entre apprenants et éducateurs. Ainsi, aux temporalités inhérentes à l’interface informatique, viennent s’ajouter des contraintes temporelles sociales, liées aux processus d’interaction entre les acteurs impliqués (la possibilité de contacter une assistance technique, la disponibilité des uns et des autres).

En fin de compte, l’enjeu critique est d’être en mesure de déterminer quelles sont les contraintes temporelles qui doivent être considérées comme particulièrement difficiles ou impossibles à changer et quelles sont celles qui peuvent faire l’objet d’une négociation. Pour les usagers, il est généralement raisonnable de concevoir que l’infrastructure d’un réseau de communication fait partie de la première catégorie de contraintes. Dans le cas des contraintes négociables, il s’agit ensuite de déterminer quels sont les interlocuteurs privilégiés (les formateurs, les administrateurs ou les techniciens) et quels pourraient être les facteurs de contraintes qui s’y rapportent (l’inertie administrative, la disponibilité, le manque de compétences ou de maîtrise des logiciels utilisés). De ce point de vue, la technologie peut rapidement devenir un prétexte pour dissimuler des formes de « résistances » beaucoup plus humaines, liées par exemple à un manque de disponibilité. On retombe alors sur des conflits temporels plus traditionnels, tels que des conflits d’agendas…

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Bibliographie

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Alhadeff-Jones, M. (2014). Pour une approche réflexive et critique des rapports entre temporalités et professionnalisation. Revue Phronesis, 3(4), 4–12.

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Pour citer cet article

Référence électronique

« Formation en régime numérique et contraintes temporelles »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 22 | 2018, mis en ligne le 22 juin 2018, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/2174 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.2174

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