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Notes de lecture

L’importance des rythmes dans la perspective d’un apprentissage émancipateur, comprendre pour agir

Aude Vaudan Méresse
Référence(s) :

Alhadeff-Jones M. (2017). Time and the Rhythms of Emancipatory Education. New York : Routledge.

Texte intégral

1Cette note de lecture a pour intention de présenter succinctement le contenu du livre de Michel Alhadeff-Jones en langue française.

2Il s’agit d’une note brève avec une synthèse des différents points, suivie d’un point de vue personnel de l’auteure de la fiche, maître de conférences dans un institut de formation pour enseignants. Les lecteurs du livre de Michel Alhadeff-Jones pourront se faire un point de vue personnel ancré dans leurs propres exemples et contre-exemples, le livre les accompagnera dans cette réflexion.

3Dans sa monographie « Times and Rhythms of Emancipatory Education », Michel Alhadeff-Jones aborde de manière compréhensive et réflexive les enjeux du temps, des temporalités et des rythmes en lien avec l’éducation émancipatrice. Dès les premières lignes, l’auteur expose les tensions que les questions de temporalités peuvent produire dans le cadre de formations. Rapidement, le lecteur perçoit la complexité des questions que l’auteur soulève, notamment en lien avec l’efficience de l’enseignement et les enjeux tant sociaux, économiques, politiques qu’éducatifs.

4En s’appuyant sur des références multidisciplinaires dans des champs allant de la philosophie, à la sociologie, à l’histoire ou à la politique, l’auteur aborde la notion de temps dans sa complexité et s’interroge sur les dimensions temporelle et rythmique de l’éducation et la formation.

5Le livre est composé de trois parties, structurées et articulées de manière à guider le lecteur dans une logique d’explicitation des concepts, de description des situations complexes, de réflexion de développement d’une théorie rythmique de l’éducation émancipatrice. La structure du livre présentée dans la préface permet de comprendre la démarche proposée par l’auteur et de participer à sa réflexion. Selon le propos de l’auteur, la première partie met l’accent sur les spécificités inhérentes à l’étude du temps en sciences de l’éducation, la deuxième aborde l’évolution des contraintes temporelles qui déterminent comment l’éducation est institutionnalisée, organisée et vécue. Pour conclure, la troisième partie interroge le sens de l’éducation émancipatrice dans le contexte de l’aliénation temporelle.

Partie 1 - L’étude du temps en sciences de l’éducation

6Dans cette première partie, Michel Alhadeff-Jones aborde l’étude du temps en approchant les différentes disciplines qui ont pu traiter et questionner la notion de temps. Il s’agit ici d’une approche multidisciplinaire qui permet d’aborder l’origine de la représentation du temps et du discours qui s’y rapporte en éducation. Sur le plan de la méthodologie, l’auteur fait référence à Edgar Morin et à sa définition de la complexité pour expliquer la construction d’un cadre épistémologique à l’intérieur duquel des visions du temps et des phénomènes temporels contradictoires et complémentaires interagissent.

7Pour Alhadeff-Jones, aborder les questions de temps et des temporalités en sciences de l’éducation est une démarche qui a déjà été menée par plusieurs auteurs, dans le cadre de recherches qui ont pu mettre en évidence la nature hybride du temps dans les théories en éducation. Si pour certains le temps est considéré comme un facteur externe qui contraint l’apprentissage, un facteur qui ne requiert pas une attention spécifique, d’autres assument le caractère inévitable de cette question et la reconnaissent comme un champ de recherche dans les processus éducatifs. Dans ce chapitre, il s’agit pour l’auteur d’articuler les différents points de vue en fonction des disciplines et de mettre en évidence les tensions inhérentes à la prise en compte des dimensions épistémologiques, culturelles et politiques.

8L’auteur fait ici référence à Krisztof Pomian et à son ouvrage « L’ordre du temps » (1984) pour organiser la manière dont le temps est considéré ou non en éducation et dans les pratiques éducatives.

9Il s’agit de la chronométrie, de la chronographie, de la chronologie et de la chronosophie. Ainsi, les approches chronométriques du temps représentent le temps au travers d’un cycle invariant qui se répète. Le temps sert de structure qui décrit des moments ou des changements se produisent comme dans l’enseignement et l’apprentissage : calendrier, horaires, etc. Elles s’intéressent aux régularités, externes à l’individu. Ensuite, les approches chronographiques du temps se retrouvent dans des chroniques mettant en évidence les éléments « spécifiques » qui sortent de l’ordinaire. À titre d’exemple, il utilise la mise en récit et les journaux d’apprentissage. Les approches chronologiques renvoient quant à elles aux systèmes de représentations articulant dimensions qualitative et quantitative. Ce type d’approches permet de décrire dans une logique de succession d’étapes et présente une séquence d’événements. Finalement, les approches chronosophiques analysent les liens entre le passé, le présent et le futur. Elles recourent à diverses techniques visant à prévenir l’avenir ou à y avoir accès. Dans ces approches, les recherches mettent en évidence les liens de causalité entre les éléments mis en œuvre et leurs effets.

10Selon l’auteur, et sur la base de l’analyse menée dans ce chapitre, la pluralité des approches est de mise. Elle requiert une étude multiréférencée qui nomme explicitement les dimensions concernées qu’elles soient épistémologiques, culturelles ou politiques. Pour Michel Alhadeff-Jones, ce constat est d’autant plus pertinent que le but de l’éducation est appréhendé sous l’angle de l’autonomie et de l’émancipation de la personne.

11Dans le troisième chapitre, l’auteur s’appuie sur le postulat que « pour théoriser les enjeux du processus d’émancipation d’un point de vue temporel et éducatif, il est nécessaire de comprendre les dynamiques qui permettent à l’autonomie d’évoluer et d’être régulée » (p. 7). Ce lien entre autonomie et émancipation est construit en s’appuyant d’une part sur la notion de contrainte temporelle et sur le rôle de l’émancipation sur le développement de l’autonomie individuelle et collective.

Partie 2 - L’évolution des contraintes temporelles et les rythmes en éducation

12Dans cette deuxième partie, des exemples de pressions temporelles sont cités afin de mettre en évidence, dans un cadre historique, les différentes postures en lien avec les questions de rythmes en éducation. De la fin du XIVe siècle à nos jours, les points de vue mettant en lien le temps avec l’apprentissage, avec les structures institutionnelles ou les rythmes personnels d’apprentissage, etc. sont fort nombreux ; pour l’auteur, considérer le temps comme un aspect central en éducation est une évidence. La question fondamentale réside dans le processus de définition de sa valeur. Il le développe ici, dans le chapitre 4.

13Dans le chapitre 5, l’auteur présente le double mouvement qui s’est développé au début du XXe siècle : d’une part des recherches scientifiques qui ont mis en évidence l’importance de l’organisation temporelle des écoles afin de favoriser l’efficience et, d’autre part, des méthodes éducatives soutenant un idéal sociétal d’harmonie rythmique. Ce double point de vue mis en exergue dans les recherches a ouvert la voie à de nouvelles exigences posées par les politiques éducatives davantage centrées sur l’autonomie. Il s’agit dès lors, dans la deuxième partie du XXe siècle, notamment pour les éducateurs, de prendre en compte la double contrainte, celle qui, dans une gestion institutionnelle efficace du temps (découpage temporel), prend en compte les besoins individuels des personnes en formation.

14Le chapitre 7 conclut cette partie en observant la fragmentation des apprentissages formels dans un contexte d’apprentissage tout au long de la vie. La discontinuité observée dans les parcours vécus a été identifiée comme une caractéristique centrale au XXe siècle. L’auteur choisit d’analyser comment le rapport aux différents temps de formation – formelle, non formelle et informelle - est envisagé au travers de quatre axes : les rythmes qui caractérisent les activités de l’étudiant alternant liberté et contrainte, les effets associés à l’alternance entre travail et étude en formation professionnelle, la relation entre étude formelle et non formelle tout au long de la vie et la dimension formative des différents lieux de formation de l’adulte apprenant au travers de son histoire. L’analyse proposée de ces quatre axes met en évidence les enjeux relatifs à l’organisation des rythmes éducatifs.

Partie 3 – Points de vue théoriques sur les rythmes d’une éducation à visée émancipatrice

15Dans la dernière partie de son livre, l’auteur s’intéresse plus particulièrement à la notion d’émancipation, aux conditions d’émancipation en lien avec le rythme de vie toujours plus intense de nos sociétés occidentales. Michel Alhadeff-Jones situe l’émancipation « au travers de la fluidité qui définit tant sa nature (entre autonomie et dépendance) et la nature des changements qu’elle implique (entre processus continu et état figé) ». Un questionnement qui intègre des situations de vie et des situations éducatives et qui étudie comment le « mouvement » des rythmes éducatifs questionne la singularité des rythmes individuels dans le processus d’émancipation.

16Le chapitre 10 met l’accent sur les dimensions rythmiques des approches pédagogiques qui soutiennent et développent l’émancipation des personnes. L’auteur cite et étudie Freire, Rancière et Mezirow avant de développer plus longuement les approches pédagogiques centrées sur l’idée de « rythmanalyse » de Bachelard et Lefebre. Il explore davantage ce dernier dans le chapitre 11 en s’appuyant sur sa théorie du moment. Il situe dès lors l’émancipation comme un « moment de l’existence en lien avec des expériences de transgression qui favorise un temps de rupture ». Au travers de l’exemple de Ruth, une jeune adulte, l’auteur illustre les trois concepts-clés qui caractérisent l’émancipation : la transgression, la périodicité et l’accommodation.

17Finalement et en guise de conclusion, l’auteur propose plusieurs thèmes de réflexion, des ouvertures qui participent à l’approfondissement de la théorie rythmique pour une éducation à visée émancipatrice.

Point de vue personnel sur cet ouvrage

18L’ouverture du livre avec la première expérience de « dissonance rythmique » permet d’entrer dans la problématique qui est abordée par Michel Al-hadeff-Jones, « Comment appréhender les enjeux temporels et rythmiques de la formation et de l’éducation ? ». L’auteur décrit avec précision les tensions, leur nature et origine afin de permettre au lecteur de comprendre en profondeur les tensions, les enjeux, les contraintes perçues dans le système éducatif et plus largement dans la société.

19À la fin du livre, le lecteur possède des clés pour appréhender de manière interdisciplinaire la complexité des situations d’apprentissage ou des contextes de formation qui l’intéressent.

20À plusieurs reprises, Alhadeff-Jones apporte un regard historique et des exemples parlants et révélateurs. L’auteur guide en amenant des clés de lecture accessibles et complexes à la fois.

En quoi ce livre participe à une réflexion en lien avec la distance et la médiation des savoirs ?

21Dans ma pratique de formatrice, les questions relatives au développement de dispositifs hybrides sont aujourd’hui centrales. Elles m’amènent à étudier le « comment » ces outils numériques transforment le contexte d’apprentissage et d’identifier dans quelle mesure la « distance » favorise les différents rythmes institutionnels, personnels et/ou collectifs. L’utilisation d’une plateforme collaborative répond d’une part à des logiques centrées sur les rythmes individuels et en parallèle contraint les personnes à répondre, à interagir dans des rythmes qui ne sont pas forcément les leurs. Elle favorise la prise de distance, l’explicitation et d’autre part isole les apprenants « sociaux » que nous sommes. Elle contraint et facilite, elle soutient et complexifie les processus et les rythmes d’apprentissage.

22Dans ce contexte, l’ouvrage de Michel Alhadeff-Jones ouvre des pistes de réflexion passionnantes ; celle qui m’est venue en premier est la suivante : le numérique et l’utilisation de plateforme d’apprentissage n’offrent-ils pas les conditions idéales afin de favoriser des apprentissages émancipateurs, en permettant d’expérimenter, de transgresser, voire de renormaliser les processus d’apprentissage ?

23L’apprenant dans ce contexte pourrait se positionner et se recentrer sur son rythme en exploitant les potentialités d’autonomisation de l’outil.

24La distance questionne le contexte et les situations d’apprentissage comme le met en évidence l’auteur, tant dans des modalités formelles qu’informelles. De nouvelles règles doivent-elles être redéfinies, formalisée et/ou normalisées ? Si le contexte de formation change, le rôle du formateur doit-il lui aussi changer ? Les choix didactiques transformés ? Les savoirs requestionnés ? Et si oui comment ? Les rythmes se (re-) jouent constamment dans cet environnement numérique avec, je le perçois à la lecture du texte d’Alhadeff-Jones, une réelle opportunité pour des apprentissages émancipateurs.

25Comment mettre en œuvre ces environnements favorables ? Avec quelles ressources ? Nous avons de nouvelles clés de compréhension, il s’agit maintenant de trouver des pistes pour agir. Un regret peut-être en arrivant au terme du livre, qui lui ne propose pas ces outils.

En deux mots…

26Un ouvrage qui permet au lecteur d’analyser en continu ses propres processus d’apprentissage et ceux qu’il met en œuvre dans ses pratiques éducatives… Un apport théorique qui favorisera la prise de distance, au lecteur ensuite de s’inventer des pistes pour agir, oser peut-être la transgression et la mise en œuvre de stratégies émancipatrices.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aude Vaudan Méresse, « L’importance des rythmes dans la perspective d’un apprentissage émancipateur, comprendre pour agir »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 22 | 2018, mis en ligne le 23 mai 2018, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/2164 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.2164

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Auteur

Aude Vaudan Méresse

Maître d’enseignement à l’Institut Fédéral des Hautes Études en Formation Professionnelle (IFFP), aude.vaudanmeresse@iffp.swiss

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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