Penser, classer ?! La discipline de l’organisation
Robert J. Glushko & al, The Discipline of Organizing: Professional Edition, 4th Edition [ebook], Robert J. Glushko editor, published by O’Reilly Media: Sebastopol, CA (USA).
1st ed. [hardcover]: The MIT Press: Cambridge, Massachusetts (USA); London (England). ISBN : 978-0-262-51850-5.
Texte intégral
- 1 Cf. : http://disciplineoforganizing.org. Ouvrage non traduit en français.
1The Discipline of Organizing (La Discipline de l’organisation)1 est un ouvrage collectif édité et rédigé sous la direction de Robert J. Glushko, professeur à l’École des sciences de l’information (School of Information) de l’Université de Californie à Berkeley.
2 La première édition du livre, publiée en version papier et numérique, a paru en 2013. Les versions successives, deuxième (2014) et troisième éditions (2015), ont été enrichies et déclinées en deux versions : l’édition professionnelle (Professional Edition), qui s’adresse aux étudiants ayant un niveau avancé ainsi qu’aux enseignants et professionnels, et une édition abrégée (Core Concepts Edition) qui présente les concepts fondamentaux de l’organisation et de la gestion de l’information. L’ouvrage a été colauréat du prix 2014 du meilleur livre sur les sciences de l’information décerné par l’ASIS&T (Association for Information Science and Technology). La quatrième édition propose, en plus des deux versions précédemment citées mises à jour, une édition informatique (Informatics Edition) spécifiquement axée sur la science des données, et sans le contenu propre aux disciplines et domaines touchant à la bibliothéconomie, aux musées et aux archives documentaires.
3 L’édition professionnelle sur laquelle porte la présente note a été enrichie dans l’objectif d’articuler les fondements des systèmes d’organisation et de la science des données – celles-ci reposant essentiellement sur la façon dont les ressources sont décrites et organisées. Ainsi, cette quatrième édition intègre de nouveaux exemples de sélection, d’organisation, de classification, de mise à jour et de personnalisation des ressources axées sur les données. L’idée, comme stipulée dans la préface, étant de « renforcer une focalisation commune sur l’organisation, tout en mettant en évidence les concepts, les technologies et les méthodes qui distinguent ces points de vue ». Le format ebook permet d’enrichir le texte en reliant les propos à des schémas ou encore aux définitions (glossaire), et en exploitant des liens permettant d’approfondir des points spécifiques. La lecture du livre est dense, mais chaque fin de chapitre – exceptés pour le 1 et le 12 – propose une liste de points-clés récapitulant les idées et notions importantes.
4Dans le résumé qui introduit l’objectif de l’ouvrage, Robert J. Glushko précise :
« […] nous organisons les choses, nous organisons l’information, nous organisons l’information sur les choses, et nous organisons l’information sur l’information. L’organisation est une question fondamentale dans de nombreux domaines professionnels, mais ces domaines n’ont qu’un accord limité quant à la façon dont ils abordent les problèmes d’organisation et dans ce qu’ils recherchent comme solutions. »
5L’objectif de l’ouvrage est donc bien de proposer une synthèse transdisciplinaire des concepts des sciences de l’information, des sciences cognitives et de l’informatique, et ainsi de rendre compte des principes sous-jacents des techniques d’organisation. C’est, de notre point de vue, ce qui fait l’intérêt majeur de cet ouvrage : la présentation d’un cadre plus abstrait pour les questions et les problèmes d’organisation, en mettant l’accent sur les concepts et objectifs communs des différents domaines, disciplines et professions (les bibliothèques, les musées, l’éducation, le droit, la médecine, les entreprises, les industries, etc.) qui les étudient ou les mettent en œuvre. Robert J. Glushko propose, pour mieux cerner et définir l’activité d’organiser – omniprésente dans nos vies quotidiennes et professionnelles, répondant à la fois à des besoins humains et façonnant des services et des infrastructures – le concept de « système d’organisation » qu’il définit « comme une collection intentionnellement organisée de ressources et les interactions qu’elles supportent ». Il s’agit alors d’identifier, en comparant et contrastant la façon dont cette activité se déroule dans les différents contextes et domaines, des modèles d’organisation et ainsi de développer une discipline de l’organisation ; que l’on peut comprendre comme un nouvel enseignement, mais également comme la capacité à penser, et donc organiser, les ressources.
6 Ainsi, l’ouvrage va présenter les concepts fondamentaux de l’organisation de l’information, de la description des ressources, de la conception des catégories et de la classification, pour permettre de comprendre les logiques qui les sous-tendent, et souligner l’importance de l’interprétabilité des caractéristiques et des principes d’organisation. Plus précisément, l’ouvrage est divisé en 12 chapitres bien structurés, et enrichi par de nombreuses notes, encadrés, schémas, tableaux et images. Les définitions des terminologies, et terminologies disciplinaires spécifiques, sont données en contexte et précisées dans un glossaire de 139 pages.
7 Le chapitre 1 propose une réflexion sur l’activité d’organiser dont l’objectif est d’imposer intentionnellement un ordre et une structure. Il s’agit à la fois d’une activité assez courante de la vie quotidienne (ranger sa cuisine, ses vêtements, trier ses papiers, etc.), d’une activité professionnelle (gérer des bases de données, trier des fichiers clients, etc.), et aussi d’une question fondamentale dans de nombreuses disciplines (sciences de la documentation et de l’information, informatique, droit, économie, gestion industrielle, etc.). Toutefois, chaque système d’organisation – individuel comme professionnel – repose sur un choix particulier de propriétés et de principes utilisés pour décrire et organiser des ressources, et pour favoriser les interactions avec elles. En comparant et contrastant la façon dont ces activités se déroulent dans différents contextes et domaines, il est cependant possible d’identifier des procédures similaires, et donc des modèles d’organisation. Les systèmes d’organisation suivent donc souvent un cycle de vie commun. Internet et le développement de nouvelles technologies ne font qu’accroître la puissance de gestion et de traitement des informations, mais les principes de catégorisation et de classification résultent toujours d’un même processus cognitif. Pour Glushko, il s’agit donc plutôt d’une question de degré par rapport aux techniques traditionnelles des bases de données ; mais il est probable, dans le cas de l’organisation de très grandes collections de données où chaque enregistrement peut contenir des centaines ou des milliers de variables, que cela puisse induire des changements dont la science des données permettrait de rendre compte.
8 Le chapitre 1 va donc présenter et expliciter certains termes et concepts. En premier lieu il va définir celui de « système d’organisation » – concept qui s’inspire en partie de ceux développés et proposés pour les domaines bibliographiques par Elaine Svenonius dans The Intellectual Foundation of Information Organization (2000). Un système d’organisation est une caractérisation abstraite de la façon dont une collection de ressources est décrite et organisée pour permettre aux agents humains ou informatiques d’interagir avec ces dernières. Il s’agit plutôt d’une vue architecturale et conceptuelle, distincte de l’agencement physique des ressources qui pourrait l’incarner (comme par exemple une bibliothèque), mais aussi distincte de l’individu, de l’entreprise ou encore de l’institution qui le met en œuvre et le fait fonctionner. Une vue systémique peut être appliquée aux systèmes d’organisation avec n’importe quel type de ressources, ce qui permet une discussion plus nuancée sur la façon dont les coûts et les avantages économiques, sociaux et cognitifs de l’organisation sont répartis entre les différents champs ou métiers où ils interviennent.
9 Le chapitre 1 va également définir les termes de ressource (toute chose ayant de la valeur et pouvant soutenir une activité axée sur des buts ; il peut donc s’agir d’une chose physique ou dématérialisée, ou encore de l’information sur des choses physiques et dématérialisées ; c’est finalement tout ce que l’on souhaite organiser), de collection (groupe de ressources sélectionnées à des fins précises), d’arrangement intentionnel (actes d’organisation, explicites ou implicites, commis par des personnes, ou par des processus informatiques agissant comme des substituts ou comme mise en œuvre de l’intentionnalité humaine), de principe d’organisation (directives pour la conception ou la disposition d’un ensemble de ressources qui sont idéalement exprimées d’une manière qui ne suppose aucune mise en œuvre ou réalisation particulière), d’agent (toute entité, un individu ou un ordinateur, capable d’organiser le travail de façon autonome et intentionnelle), d’interactions (c’est-à-dire une action, une fonction ou encore un service qui utilise les ressources d’une collection ou la collection dans son ensemble), et enfin de ressource d’interactions (chaque enregistrement d’un choix d’utilisateur concernant par exemple l’accès, la navigation ou encore l’achat, devient alors une « ressource d’interaction » qui peut être analysée pour réorganiser la collection de ressources ou influencer les interactions ultérieures avec les ressources primaires).
10 Le chapitre 2 présente six grandes questions qui permettent de définir un système d’organisation : Quoi ? Pourquoi ? Combien ? Quand ? Comment ? Et où ? Ce cadre de description et de comparaison des systèmes d’organisation permet d’aller au-delà des catégories propres et familières à chaque discipline et de donner des modèles de conception. Il s’agit alors d’appliquer les connaissances sur des domaines familiers à des domaines inconnus.
11 Le chapitre 3 compare les activités d’organisations individuelles à celle des institutions et des entreprises. Il passe ainsi en revue une grande variété de systèmes d’organisation et décrit quatre activités, ou fonctions, communes à tous : la sélection des ressources, l’organisation des ressources, la conception d’interactions et de services fondés sur les ressources, et la pérennité des ressources. Ces activités ne sont pas identiques dans tous les domaines, mais les termes généraux utilisés permettent la communication et l’apprentissage de méthodes et de vocabulaires spécifiques à chaque domaine. Le chapitre 2 va également aborder les questions de préservation et de conservation des ressources qui doivent reposer sur des politiques claires de collecte et de maintien des ressources au fil du temps. Il présente également la question de la gouvernance, essentielle, notamment pour faire face aux changements fréquents dans les systèmes d’organisation des entreprises (les données scientifiques posant par ailleurs des problèmes particuliers de gouvernance en raison de leur ampleur).
12 Le chapitre 4 traite des ressources sous l’angle des questions « qu’est-ce qui est organisé ? » et « pourquoi les ressources sont-elles organisées ? » afin de présenter les défis et les méthodes qui permettent d’identifier les ressources dans un système d’organisation en mettant l’accent sur la façon dont ces décisions reflètent les buts et les interactions qui doivent être développées. Il y est ici question de la catégorisation et de l’Internet des objets ; Glushko parle plutôt de ressources actives qui peuvent créer des effets ou de la valeur par elles-mêmes. Il est possible de définir un continuum entre des ressources totalement passives, qui ne peuvent initier aucune action, et des ressources actives qui peuvent initier des actions basées sur des informations qu’elles perçoivent de leur environnement ou qu’elles obtiennent par des interactions avec d’autres ressources.
13 Les chapitres 5, 6, 7 et 8 permettent de faire le point sur les processus de descriptions, de catégorisations, et de classifications des ressources. Ces différents processus, qui peuvent comprendre plusieurs étapes interdépendantes et itératives, régissent l’organisation des ressources et explicitent les types de services et d’interactions. Le chapitre 5 présente un processus systématique pour créer des descriptions efficaces et analyse comment cette approche générale peut être adaptée à différents types de systèmes d’organisation. Le chapitre 6 présente le vocabulaire spécialisé utilisé dans les descriptions de ressources. Le chapitre 7 passe en revue les théories de la catégorisation du point de vue de la façon dont les catégories (culturelles, individuelles, institutionnelles, etc.) sont créées et utilisées dans les systèmes d’organisation, et comment cela influence la perception des ressources. Et le chapitre 8 traite de la vaste gamme des classifications (décimale, à facettes, etc.) utilisées dans les systèmes d’organisation. Les auteurs insistent sur le fait que les classifications sont toujours biaisées par les buts, les expériences, les valeurs et les autres caractéristiques et préférences des personnes qui les font. Ils montrent également les liens étroits entre la classification et la normalisation ; certaines classifications deviennent des normes qui peuvent alors définir de nouvelles classifications.
14 Le chapitre 9 complète la perspective conceptuelle et méthodologique du processus de création de descriptions des ressources (structuration et écriture) par une perspective de mise en œuvre. Il passe ainsi en revue une série de métamodèles développés pour structurer les descriptions, en se focalisant en particulier sur les langages XML, JSON et RDF. Il conclut en comparant et en contrastant trois « mondes de description » : le traitement des documents, le web (où les documents, les données et les services sont conceptualisés en tant que ressources, et identifiés à l’aide d’identificateurs uniformes de ressources, URI) et le web sémantique.
15Le chapitre 10 explicite l’idée d’un « continuum informationnel organisationnel » : récupération de l’information, interactions entre les ressources, notion de pertinence de l’information, etc. et présente quelques-uns des concepts et des techniques utilisés par les différents domaines lorsqu’ils interagissent avec des ressources dans les systèmes d’organisation : intégration, interopérabilité, cartographie des données, etc.
16 Le chapitre 11 propose « une feuille de route d’un système d’organisation », c’est-à-dire une sorte de modèle générique en quatre phases pour aider à la mise en œuvre d’un système d’organisation pour guider l’analyse des choix de conception et des compromis qui doivent être faits à différentes étapes du cycle de vie du système (en tenant compte des facteurs économiques dans le cas des systèmes autres que personnels) : une phase d’identification et de délimitation du domaine, une phase d’identification des besoins et des conditions, une phase de conception et de mise en œuvre, et une phase opérationnelle. Les auteurs insistent de façon pertinente sur le fait que l’une des exigences essentielles de tout système d’organisation est de veiller à ce que les interactions prises en charge puissent être découvertes et invoquées par les utilisateurs auxquels elles sont destinées ; les concepteurs reconnaissant que leurs systèmes ont des conséquences réelles pour les gens devraient alors s’engager à adopter des mesures de transparence et un processus de négociation continu qui permet aux personnes touchées d’exprimer leurs préoccupations concernant les effets néfastes que la technologie pourrait avoir sur eux et sur leurs collectivités.
17 Enfin, le chapitre 12 permet de penser ce qu’est un système d’organisation à travers 19 études de cas très divers (organiser une collection de photos multigénérationnelles, organiser une cuisine, réaliser un film documentaire, penser la nouvelle interface de recherche du projet CalBug, etc.) permettant d’appliquer les concepts et méthodes précisés dans l’ouvrage et stipulés dans la feuille de route.
18 En conclusion, The Discipline of Organizing nous semble être une référence essentielle pour les enseignants et les étudiants en sciences de l’information, et de façon plus spécifique dans le cadre de la préparation du Capes de documentation. L’ouvrage est également une source riche de réflexions pour les organismes et les entreprises qui font face aujourd’hui au traitement d’un grand nombre d’informations. La façon de (re)penser les systèmes d’organisation au prisme de techniques qui reposent sur des pratiques et un vocabulaire communs (que ce soit pour organiser sa cuisine, ou une bibliothèque municipale) permet de requestionner des pratiques qui, sous une apparente simplicité, témoignent d’actes à la fois constitutifs d’infrastructures informationnelles (les outils et les ressources peuvent avoir des effets modélisants) et de schémas de pratiques (culturelles et sociales). Au lieu de simplement s’approprier des concepts et des méthodes issus des différents domaines et disciplines, les auteurs les unifient pour aboutir à une compréhension plus globale de leur articulation ; le point commun des systèmes d’organisation résidant sans doute dans leur aspect politique : aucun d’entre eux n’est neutre, et chacun est donc porté par un objectif précis.
Pour citer cet article
Référence électronique
Magali Loffreda, « Penser, classer ?! La discipline de l’organisation », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 20 | 2017, mis en ligne le 22 décembre 2017, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/2046 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.2046
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