1La rubrique Débat-discussion accueille pour ce dernier numéro de l’année et pour clore la discussion amorcée dans le numéro 17, quatre contributions proposant des points de vue différents, contribuant ainsi à la richesse de la controverse. Nous les présenterons brièvement avant de tenter une synthèse générale des articles parus durant cette année 2017 dans la rubrique.
2La première contribution est un entretien que nous avons mené avec Michel Hottelier (Hottelier et Peraya, 2017). Il est le coauteur d’un Mooc consacré aux droits de l’homme (2012). À cette époque, avec sa collègue Maya Hertig Randall, il se lançait dans l’aventure Mooc, sans aucune préparation, mais aussi sans aucun a priori. Une motivation pourtant le guidait : innover et modifier sa pratique pédagogique. Sa contribution a donc la valeur d’un témoignage : que découvre un enseignant habitué à la transmission en amphithéâtre ? Quelle posture énonciative adopter face à la caméra et au prompteur, sans public ? En quoi cette expérience nouvelle modifie-t-elle son comportement et sa pratique pédagogiques ? Comment concevoir une capsule vidéo unique, compatible avec deux usages particuliers : intégrée dans un Mooc ou utilisée comme ressource dans le cadre de cours présentiels classiques ou « inversés » ? Rappelons que les difficultés posées par ces deux usages des capsules vidéo ont déjà été évoquées par Françoise Docq dans sa récente contribution à la rubrique (Docq, 2017). Les effets de l’innovation, qu’ils soient souhaités ou perçus, sur le comportement des étudiants et des étudiantes, préoccupent aussi cet enseignant. Voilà quelques questions qui surgissent de la pratique et que rencontrent bien sûr les préoccupations des chercheurs comme des ingénieurs pédagogiques.
3La contribution de Barbara Class, « s’inscrit dans une démarche à la croisée du praticien réflexif et du praticien chercheur » (§1) : elle témoigne donc d’une posture réflexive qui aboutit à l’adoption d’une posture d’ingénieur pédagogique. L’auteure aborde le débat sur les caractéristiques spécifiques du média par le biais de la notion d’affordance dont elle rappelle clairement les définitions. Elle opte alors pour celle proposée par Schrader et ses collègues (2017), qui concerne directement les affordances des vidéos. La définition de celles-ci est essentielle dans la mesure où ces auteurs, dans une version antérieure de leur texte, lient explicitement le processus de conception des vidéos à la connaissance des affordances du média : « Defining its key characteristics and affordances may allow us to see how videos may be effectively designed for different purposes, provide different levels of interaction, afford different types of viewing, and create a different type of virtual learning environment » (2004, p. 2). Un des apports de ce texte est de poser l’interaction affordance-pédagogie comme essentielle dans ce processus (2004, p. 5).
4Dans la définition à laquelle se réfère B. Class, Schrader et al., (2017) identifient trois catégories d’affordances ; deux liées directement au média en tant que tel, tandis que la troisième comprend « les opportunités qu’offre la conception pédagogique et qui peuvent être perçues comme des affordances (par exemple, la structuration de la rétroaction, la scénarisation de l’activité réflexive) » (Class, 2017, § 3). Aussi, le rôle de l’ingénieur pédagogique revient au premier plan puisque c’est à lui qu’incombe la tâche de créer ces opportunités en tenant compte des affordances des médias susceptibles de renforcer la scénarisation pédagogique. Au final, « la conception pédagogique est primordiale et se doit de considérer l’affordance des médias pour, ensemble, être au service de l’apprentissage » (2017, § 5).
5Dans la suite de sa contribution, B. Class montre que les vidéos ne sont qu’un élément de granularité fine du dispositif Mooc et que le principe d’alignement pédagogique doit être respecté à tous les niveaux du dispositif global. Ce déplacement de point de vue, de la scénarisation des vidéos à celle du Mooc dans sa globalité, était déjà proposé par F. Docq depuis une posture assez semblable, celle du concepteur de Mooc et d’acteur du processus d’ingénierie. La description du processus de conception, de réalisation et d’évaluation de la qualité d’un Mooc genevois permet à l’auteure d’asseoir et de concrétiser son argumentation. Enfin, l’auteure envisage la formation des enseignants et des enseignantes sur la base d’un processus de conception et de réalisation de Mooc. La proposition, une formation par immersion impliquant la participation à un Mooc pour en vivre les contraintes et les difficultés, n’est pas neuve, mais elle a fait ses preuves dans plusieurs formations à l‘usage pédagogique des technologies.
6C’est d’ailleurs sur l’une de ses expériences d’enseignant concepteur de ses propres vidéos pédagogiques que Bruno Poellhuber bâtit sa contribution : le projet Mathéma-TIC, codirigé avec Samuel Bernard, un professeur de mathématiques du collégial, et le MOOC ITES (Innovations technopédagogiques en enseignement supérieur) réalisé avec Thierry Karsenti.
7Le texte de B. Poellhuber est une relation à la première personne d’une analyse, sur la base d’une démarche inspirée du SoTL (Scholarship of Teaching and Learning) portant sur son expérience personnelle. L’auteur cherche par la même occasion à valider cette pratique, mais aussi à « aider les enseignants concepteurs à améliorer leurs vidéos » (2017, § 2). Il définit sa démarche comme faisant volontairement table rase du passé du domaine et donc comme « amnésique » : elle se veut radicalement pragmatique et inductive, tournée vers l’amélioration de vidéos déjà produites. Dans cette optique, l’une des premières questions qui surgit est celle de la qualité des vidéos, préoccupation déjà évoquée par B. Class en relation avec l’évaluation des vidéos des Mooc. On se souviendra des critères suggérés : certains relèvent de la littérature, de cadres de référence et de modélisations a priori, d’autres proviennent directement de la perception subjective des usagers récoltée a posteriori à partir du nombre de clics favorables ou non que les vidéos recueillent après chaque diffusion.
8Le cheminement de l’équipe de B. Poellhuber est totalement différent, mais en totale cohérence avec les a priori de départ : pragmatisme et induction mis en œuvre en suivant une analyse de la valeur pédagogique (Roque, Langevin et Riopel, 1998) qui définit la procédure d’analyse des fonctions du produit, au regard des besoins des utilisateurs. Cinq acteurs de l’enseignement et une réalisatrice ont été réunis afin d’analyser chacun les mêmes trente vidéos et de proposer, sur cette base individuelle, des critères de qualité, enfin de les partager avec les autres membres du groupe. La technique du groupe nominal a permis de réduire progressivement le nombre de critères retenus par chacun pour arriver finalement à un classement ordonné, mobilisé ensuite dans une première formation destinée aux enseignants concepteurs du projet Mathéma-TIC. Dans un second temps, une formation à destination d’un plus large public a été organisée. C’est dans ce cadre que des notions techniques de base de la production télévisuelle (plan, cadrage, éclairage, etc.) ont été présentées aux participants avant qu’ils ne réalisent leur première vidéo. Ce n’est que lors de discussions collectives d’évaluation des travaux qu’est apparue la nécessité de retourner aux questions qui touchent au statut médiatique de la production vidéo : « Certaines limites de notre approche sont devenues manifestes, tout comme le besoin de revenir à des cadres des sciences de la communication. » (Poellhuber, 2017, § 16).
9Matthieu Cisel adopte lui aussi une double posture, celle d’un chercheur en sciences de l’éducation spécialisé dans les technologies éducatives d’une part et, d’autre part, celle d’un producteur de Mooc. Il a coordonné en effet la conception du Mooc « Monter un MOOC de A à Z », au sein du laboratoire Sciences Techniques Éducation Formation (Université Paris-Saclay). Sa contribution, qui s’inspire des travaux menés dans le cadre de sa thèse (2016), se développe selon deux orientations. La première vise « l’analyse des attributs des vidéos afin de mieux comprendre la logique qui sous-tend la conception de ces Mooc » (2017, § 2). Nous pourrions qualifier cette logique de discursive, dans la mesure où il s’agit de déterminer à quel genre de texte appartiennent les vidéos : se rapprochent-elles du cours universitaire, du « documentaire ARTE », de la conférence de vulgarisation, du blog vidéo, etc. ? Pour l’auteur, la connaissance des divers types de vidéos et la possibilité de rattacher chaque vidéo à l’un de ces types permettrait de pouvoir interpréter de façon plus pertinente les indicateurs quantitatifs de performance classiques, tels que le nombre d’inscrits, le taux de certification ou encore les traces d’interaction. Or une telle analyse typologique doit se fonder sur une analyse précise des dimensions caractérisant le média télévisuel et sur leur modélisation.
10La seconde perspective se centre sur l’étude de l’utilisation de ces vidéos et des interprétations qui sont proposées à leur égard : « on ne saurait faire l’économie d’une étude de la place des vidéos dans le dispositif, du rôle qu’elles y jouent, si l’on souhaite pleinement interpréter les utilisations qui en sont faites » (2017, § 3). Chacune de ces deux approches contribue à une interprétation plus pertinente des indicateurs d’utilisation des vidéos des Mooc, mais la seconde ne peut se construire que sur la base des résultats de la première : par exemple, « les statistiques d’inscription dithyrambiques annoncées à corps et à cris n’ont que peu de sens si l’on ne conçoit pas clairement à quoi s’apparentent les MOOC. À budget constant, mille personnes qui visionnent un documentaire, cela n’a pas la même signification que mille personnes qui terminent une formation pour adultes ou un cours universitaire » (2017, § 7).
11À partir de ses recherches, M. Cisel entre dans le cœur de la controverse en posant des exigences tant théoriques et méthodologiques rigoureuses. Il critique de nombreux travaux d’outre-Atlantique qui se caractérisent par une certaine fascination pour l’analyse quantitative, par une démarche exclusivement descriptive ainsi que par leurs approches « athéoriques », ce qui limite la validité de leurs résultats. Enfin, il se montre partisan d’une méthode mixte, hybridant les méthodes qualitatives et quantitatives qui seraient trop peu utilisées dans le domaine des Mooc. Aussi, il « milite en faveur d’une synthèse entre une approche théorique à la française de l’analyse des dispositifs, et un ancrage empirique solide fondé sur l’analyse de traces d’interaction avec les vidéos » (2017, § 3). Le point de vue est tranchant lorsqu’il rappelle l’existence de différences importantes entre les postures épistémologiques et les cultures scientifiques de chercheurs nord-américains et français.
12Que retenir des contributions publiées dans la rubrique au cours de cette année ? Quels enjeux et quelles perspectives voit-on émerger de l’ensemble de ces prises de postillons ? Rappelons quelques éléments du texte de cadrage. L’importance des Mooc et surtout celle des capsules vidéo au sein de ceux-ci ont provoqué dans la littérature un regain d’intérêt pour le double statut – d’une part communicationnel et médiatique (télévisuel) et, d’autre part, pédagogique – des vidéos des Mooc. Dans cette perspective, nous avons observé une résurgence des recherches portant sur les attributs des médias et sur leurs effets potentiels dans le processus d’apprentissage, ravivant en cela l’ancien débat cristallisé autour les positions respectives de R. Clark et R. Kozma (Peraya, 2017a).
- 1 Parmi les composantes de la posture, C. Peltier étudie dans sa thèse les représentations qu’ont les (...)
13La thématique divise encore les intervenants, comme le montrent les contributions rassemblées tout au long de ces trois derniers numéros de DMS (18, 19 et 20). Certains, par exemple Bruillard (2017) ou Docq (2017), ne la prennent tout simplement pas en compte tandis que Poellhuber (2017), dans un premier temps, fait le choix de ne pas entrer dans ce débat. On pourrait donc supposer que l’identité disciplinaire, la fonction professionnelle et les tâches qui en découlent, l’insertion institutionnelle ainsi que la posture des acteurs1 à un moment de leur parcours de carrière contribuent à expliquer ce désintérêt pour cette question de recherche. En revanche, quand la problématique est abordée, le débat porte alors sur l’importance relative accordée à l’influence des caractéristiques du média télévisuel par rapport aux approches et à la scénarisation pédagogiques.
14La position de compromis défendue par B. Class est de ce point de vue caractéristique. Elle reconnaît certes l’existence d’affordances propres au média télévisuel, mais accorde une importance « primordiale » aux stratégies et à la scénarisation pédagogique. La position initiale de Schrader et al. semblait cependant plus équilibrée puisqu’il y est question d’une « interaction entre pédagogie et affordance » (2004, p. 5). Le primat accordé à la démarche pédagogique renforce, nous l’avons vu, le rôle de l’ingénieur pédagogique ce qui pose, de notre point de vue, deux problèmes. D’abord, le terme « ingénieur pédagogique » oblitère la composante technologique du rôle et du métier de cet acteur essentiel au processus de médiatisation et d’ingénierie (notamment Peraya, 2010). En cela, elle entretient le dualisme et l’opposition entre technologies et médias d’une part, approches pédagogiques, d’autre part. Nos choix terminologiques reflètent en effet nos conceptions. Aussi préférons-nous le terme d’ingénieur technopédagogique qu’utilise par exemple B. Poellhuber dans sa contribution (2017) qui rend indissociables ces deux dimensions. Ensuite, cette approche n’explicite nullement le rôle de la recherche et son importance dans le processus de médiation ; ils apparaissent comme des impensés. Il existe pourtant des propositions méthodologiques qui ont déjà fait leurs preuves dans le domaine, telle la recherche-action-formation (Charlier, 2005) ou le design based research (Anderson et al., 2012) et qui impliquent l’ensemble des acteurs concernés dans un processus commun.
15Par ailleurs, lors de la mise en œuvre d’une approche volontairement inductive et fondamentalement pragmatique – comment améliorer les vidéos d’enseignants producteurs (Poellhuber, 2017) ? –, le cadre théorique communicationnel de référence, s’impose « naturellement », a posteriori, à la manière d’un retour du refoulé. Au demeurant, n’est-il pas utopique de penser que des acteurs de terrain impliqués dans le champ des technologies éducatives et de l’éducation puissent procéder à des analyses en faisant table rase de leur expérience, de leurs préconceptions et de leurs représentations de l’objet « vidéo » ?
16Quant aux tenants d’une caractérisation de l’objet vidéo, il faut encore distinguer les recherches athéoriques essentiellement descriptives principalement centrées sur l’objet réel, empirique (par exemple, Guo et al., 2014) et celles qui, au contraire, construisent leur objet de recherche comme un construit théorique. Peltier et Campion (2017a et 2017b), Roland (2017) ou Cisel (2017) ont adopté cette seconde approche : ils insistent sur la nécessité de modéliser, à partir d’un cadre théorique, l’objet vidéo avant toute démarche de production télévisuelle ou avant toute analyse de ses effets sur les diverses dimensions du comportement des apprenants comme sur celui des enseignants. L’identification, en référence à un cadre d’analyse discursif, de nouvelles magistralités (Aïm et Depoux, 2017 ; Duvillard 2017) ou encore du genre de vidéo et du Mooc produit (Cisel, 2017), relèvent de cette même démarche.
17L’expérience vécue d’un acteur de terrain, sans connaissance particulière des théories des médias et, de ce point de vue on peut donc le considérer comme un enseignant concepteur « athéorique », (Hottelier et al., 2017), lui permet cependant de prendre conscience très clairement du changement de sa posture énonciative lorsqu’il enseigne en présence dans un amphithéâtre ou seul face à la caméra lors de la réalisation de vidéos pour un Mooc. Comment donc rendre compte de ces modifications et comment les mobiliser dans le processus de conception et de réalisation des vidéos et d’analyse de leurs effets si l’on ne possède aucun cadre, aucun modèle communicationnel ?
18Ce débat, on le voit, n’est pas clos, tout au contraire, mais il suscite l’intérêt pour de nombreuses questions : les premières interventions avaient déjà permis de les identifier (Peraya, 2017b), tandis que les contributions suivantes ont contribué à renforcer leur actualité. Certaines dépassent en réalité le strict domaine des Mooc, comme celle des rapports entre la recherche et l’ingénierie des Mooc et des vidéos. D’autres renvoient à la posture épistémologique du chercheur et, en conséquence, à ses choix méthodologiques.
19L’actualité des Mooc et de leurs vidéos, même si d’aucuns pensent que le phénomène Mooc s’essouffle, aura concouru à reposer quelques questions fondamentales pour les enseignants concepteurs de dispositifs, les ingénieurs technopédagogiques et les chercheurs, tant en sciences de l’éducation qu’en sciences de l’information et de la communication.