Rétrospective sur les travaux fondateurs de la recherche d’aide : sont-ils toujours pertinents ?
Stuart A. Karabenick, Strategic Help Seeking, L. Erlbaum Associates, ISBN: 978-0-8058-2384-4
Texte intégral
- 1 Gravier C., Fayolle J., Bayard B., Ates M. et Lardon J. (2008). State of the Art About Remote Labor (...)
1Publié originalement en 1998, Strategic Help Seeking. Implication for Learning and Teaching, édité par Stuart A. Karabenick, professeur à l’université du Michigan, est un ouvrage sur l’étude de la recherche d’aide chez les apprenants. La date de publication de ce livre pourrait, au premier abord, amener à le considérer comme dépassé. Cependant, la recherche dans les environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) voit continuellement apparaître des travaux autour des interactions d’aide entre apprenants1. Plusieurs études soulignent la difficulté d’amener les étudiants à demander de l’aide, à exploiter au mieux les aides reçues, ou encore à utiliser les fonctionnalités d’aide que peut offrir un outil numérique.
2À travers un recueil de dix articles, cet ouvrage présente le travail de contributeurs majeurs à la recherche sur la demande d’aide, définie comme une stratégie d’apprentissage proactive. Lorsque des apprenants sont incapables de résoudre un problème, d’appréhender une ressource pédagogique qui leur est fournie, ou de comprendre une explication d’un enseignant, ils peuvent obtenir une assistance depuis diverses sources, tels que leurs amis, collègues de classe, enseignants ou encore par des tuteurs informatiques mis à leur disposition. La recherche sur cette manifestation d’un comportement d’autorégulation est principalement motivée par l’observation commune que font les auteurs sur la faible apparition de ce phénomène dans un contexte d’apprentissage. Quand bien même les apprenants réalisent qu’ils sont en difficulté et ont à leur connaissance l’existence d’une assistance potentielle, nombreux sont ceux qui tendent à persister seuls dans leur échec, à abandonner ou encore à attendre passivement l’intervention de l’enseignant.
3Relire cette œuvre pourrait être intéressant pour reconsidérer les résultats de ces recherches dans le contexte actuel, et déterminer si certains verrous de l’époque pourraient être levés aujourd’hui ou, à l’inverse, si l’évolution des enseignements et des technologies a soulevé de nouvelles problématiques quant à la demande d’aide.
4Stuart A. Karabenick, auteur du premier chapitre, propose une introduction à la recherche d’aide en présentant les théories sous-jacentes qui ont amené à remettre en question la place d’un tel phénomène dans l’apprentissage. L’auteur porte un regard critique sur la perception de la demande d’aide dans l’enseignement aux États-Unis. Dans une société prévygotskienne, cette activité était alors considérée comme une antithèse de l’excellence, une marque de faiblesse et de fainéantise intellectuelle. Ce n’est qu’au début des années 1980 que différents chercheurs vont repenser la recherche d’aide d’un point de vue socioconstructiviste. Plusieurs travaux, présentés par la suite dans ce livre, vont ainsi être menés pour collecter des preuves de l’impact de ce comportement sur l’apprentissage, comprendre quels facteurs peuvent inciter ou inhiber ce phénomène, et proposer des modèles analytiques de la recherche d’aide.
- 2 Aleven V., Stahl E., Schworm S., Fischer F. et Wallace R. (2003). Help Seeking and Help Design in I (...)
5Les trois chapitres suivants présentent les concepts et modèles théoriques de la recherche d’aide, perçue comme une stratégie d’apprentissage qui reflète un comportement d’autorégulation, voire comme une composante propre au processus social d’apprentissage. Dans le second chapitre, Richard Newman présente le modèle de processus de recherche d’aide sur lequel s’appuient la plupart des EIAH qui abordent la question de la demande d’aide2. L’auteur propose ensuite une analyse de la manière dont les étudiants faisant preuve d’autorégulation peuvent mettre en œuvre une séquence d’évènements cognitifs, métacognitifs et interpersonnels pour optimiser l’efficacité d’une recherche d’aide. Si Newman se concentre sur les facteurs motivationnels et affectifs qui sont impliqués dans ce processus, Sharon Nelson-Le Gal et Lauren Resnick étudient au chapitre suivant comment la recherche d’aide reflète les différences individuelles dans la motivation et les buts, mais également comment celle-ci est conditionnée par des valeurs culturelles et par la structure sociale de la classe. Enfin, Aria Nadler étudie les différents types de recherche d’aide et leurs conséquences sur l’apprentissage. La recherche d’aide autonome désigne un phénomène bénéfique pour cet apprentissage, preuve d’un comportement d’autorégulation, tandis que la recherche dépendante, à l’inverse, décrit un comportement de faible niveau de contrôle de la part de l’apprenant. Finalement, chacun de ces auteurs conclut sur l’importance de la prise en compte des interactions sociales dans les modèles d’apprentissage, afin d’augmenter les comportements d’autorégulation.
6Dans le chapitre 5, Amy Arbreton applique la théorie des buts de réussite à l’étude de l’aide. Son expérimentation menée en classe de mathématiques montre que les étudiants qui ont un objectif centré sur l’apprentissage (i.e. qui se focalisent sur la compréhension et l’apprentissage) ont tendance à appliquer une recherche d’aide autonome. À l’inverse, ceux dont le but est extrinsèque ou de performance relative (i.e. respectivement, qui tendent à montrer leurs aptitudes ou qui cherchent à être meilleurs que les autres) tendent à éviter l’aide ou à rechercher une aide dépendante (exécutive).
7De façon similaire, Allison Ryan et Paul Pintrich traitent des buts sociaux en classe, opposant les buts de relations (i.e. centrés sur l’établissement de liens durables) aux buts de statuts (i.e. centrés sur le regard que portent les autres, à travers la popularité ou le prestige) et se ramènent à des conclusions similaires à celles des auteurs précédents. Dans le premier cas, les apprenants ont tendance à éviter la recherche d’aide tandis que dans le second, leur but social se rapporte au but d’apprentissage et implique une plus grande pratique de la recherche d’aide instrumentale. Tout comme Nadler, les auteurs terminent leur chapitre sur la nécessité de changer les pratiques d’apprentissage pour faciliter la recherche d’aide des étudiants.
8Dans le chapitre 7, David Shwalb et Seisoh Sukemune illustrent l’impact de la culture sur la recherche d’aide par une étude comparative des sociétés japonaise et américaine, et soulignent l’importance de maîtriser les spécificités culturelles pour concevoir l’engagement des apprenants dans les activités de recherche d’aide.
9L’interrogation d’un apprenant étant la forme la plus évidente de recherches d’aide, les chapitres 8 et 9, proposés par Dilon et Hans van der Miej, sont dédiés à l’étude du questionnement. Les auteurs s’appuient notamment sur l’expérience de perplexité, condition sine qua non pour amener l’apprenant à poser une question. Des formats d’enseignements propices à ces phénomènes sont proposés, dont une particularité commune et de diminuer le rôle, voire d’exclure l’enseignant de la boucle de questionnement-réponse qui repose alors sur les interactions entre apprenants.
10Dans un dernier chapitre, Jane Keefer et Stuart Karabenick projettent la réflexion autour de la recherche d’aide sur l’évolution des technologies de l’information et de la communication. L’augmentation de l’information disponible, le développement d’outils de gestion et de recherche d’information de plus en plus sophistiqués, et les changements dans les modes d’interaction entre les apprenants et les sources d’information soulèvent différentes problématiques propres à la demande d’aide. En examinant la littérature des sciences de l’éducation, des systèmes et de la recherche d’information, mais également en communication, les auteurs tentent de déterminer dans quelles mesures les nouvelles technologies peuvent faciliter ou nuire à la recherche d’aide, et quelles conséquences celles-ci pourraient avoir sur le rôle des différents acteurs de l’éducation.
11Newman, à l’instar des autres auteurs de cet ouvrage, distingue la recherche d’aide des autres stratégies d’apprentissage de par le fait qu’elle implique une autre personne. La principale critique que l’on pourrait faire de cet ouvrage serait de ne pas traiter parallèlement l’offre d’aide. Comme le montrent les chapitres 8 et 9, l’étude de l’offre est tout aussi importante que celle de la demande. Aujourd’hui encore, cette inégalité de traitement existe, notamment dans la recherche appliquée aux EIAH. Si de nombreux travaux dans les systèmes de tuteurs intelligents (où l’aide est apportée par le système et non par un pair) se sont approprié ces études, on retrouve finalement très peu de recherches sur la prise en compte de l’aide entre pairs dans ces environnements ; ce qui pourrait s’expliquer par ce manque d’analyse sur l’action d’aide elle-même.
12Toutefois, la démocratisation de l’utilisation d’environnements informatiques, et l’augmentation du nombre de participants offrent aujourd’hui de nouvelles opportunités d’étudier les actions d’aide entre pairs. Ainsi, l’article « Accompagnement à l’autonomie d’apprentissage dans les cours en ligne offerts aux masses. Contribution à la définition de la notion “d’agir participant” » (Brudermann et Pélissier) de De ce numéro de DMS exploite les traces des forums d’un MOOC pour identifier les stratégies de participation des apprenants à des tâches de groupe.
13Les distinctions faites entre les différents types de recherche d’aide, les facteurs causals ou encore l’implication des différences culturelles sont autant d’éléments toujours pertinents dans un contexte actuel de massification de l’enseignement. Cependant, à l’époque de l’écriture de cet ouvrage, la problématique de la mise à l’échelle était encore loin de celle à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. Dans le domaine des MOOC, le nombre important d’inscrits et l’hétérogénéité forte entre apprenants requièrent de nouvelles approches pour concevoir des outils adaptés pour la recherche d’aide. Toujours dans ce numéro de DMS, l’article « Spécificités et généricités des difficultés et besoins d’aide exprimés par les inscrits à un MOOC » (Testini et Cabassut) aborde les problématiques de l’aide dans un contexte d’enseignement massif. À la recherche de dispositifs et d’accompagnements à proposer aux apprenants dans ces environnements, les auteurs effectuent une fouille de données pour identifier les spécificités et les généricités des difficultés et des besoins d’aide exprimés par les utilisateurs.
14Dans le dernier chapitre, Keefer et Karabenik retiennent comme avantages des environnements numériques la diminution des marqueurs verbaux et non verbaux, ainsi que celle des marqueurs sociaux, et présentent ces outils comme un élément permettant aux apprenants de poser des questions sans se sentir embarrassés. Mais ces arguments sont certainement à reconsidérer aujourd’hui, car les études récentes sur les outils d’aide font toujours le constat d’une faible utilisation de ces outils. dans ce numéro de DMS, l’article « Quels tuteurs informatisés pour réduire les comportements d’évitement de la recherche d’aides des apprenants » (Mulet, Sakdavong et Huet) aborde les problématiques actuelles rencontrées dans les outils de tutorat et propose un nouveau modèle de tuteur intelligent métacognitif-motivationnel pour augmenter la demande d’aide de la part de l’apprenant.
15Cependant, si le discours de Keefer et Karabenik sur les interactions d’aide entre un apprenant et une intelligence artificielle peut sembler aujourd’hui obsolète, leurs réflexions concernant l’impact des technologies sur les interactions entre pairs ou entre apprenants et enseignants sont toujours appropriées pour appréhender ces phénomènes au sein des EIAH actuels et offrent un autre regard sur l’utilisation de l’informatique pour engager les apprenants dans des situations d’autorégulation. Ces écrits, bien qu’âgés d’une vingtaine d’années sont donc toujours pertinents, notamment pour leur application dans les apprentissages médiatisés par l’informatique.
Notes
1 Gravier C., Fayolle J., Bayard B., Ates M. et Lardon J. (2008). State of the Art About Remote Laboratories Paradigms. Foundations of Ongoing Mutations. International Journal of Online Engineering, 4(1).
2 Aleven V., Stahl E., Schworm S., Fischer F. et Wallace R. (2003). Help Seeking and Help Design in Interactive Learning Environments. Review of Educational Research, 73, 277-320.
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Référence électronique
Rémi Venant, « Rétrospective sur les travaux fondateurs de la recherche d’aide : sont-ils toujours pertinents ? », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 19 | octobre 2017, mis en ligne le 14 octobre 2017, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/1910 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.1910
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