1Évasivement divulguée et jamais démentie, la menace de fermeture de la TÉLUQ, par les craintes et les interrogations qu’elle suscite, révèle les problèmes que pose à une institution phare de formation à distance la venue de l’enseignement numérisé. Et interroge du même coup les autres institutions sur la nature de leurs forces et faiblesses en comparaison des institutions traditionnelles.
- 1 Cette recommandation avait déjà été faite deux ans plus tôt par le chantier sur la loi-cadre des un (...)
2La menace était bien réelle. Évoquée par l’attachée de presse du ministre de l’Éducation le 30 octobre 2015 et soulignée par le départ de la directrice générale de la TÉLUQ, recrutée par le ministère pour diriger une réflexion sur la formation à distance, cette annonce faisait suite à la menace d’abolition du siège social de l’université du Québec évoquée une semaine plus tôt1. Mais, alors que le ministre avait reculé une semaine plus tard, assurant qu’il n’entendait pas fermer le siège social de l’université du Québec, mais donner plus de pouvoirs aux établissements en région (Boivin, 2015), rien de tel dans le cas de la TÉLUQ, le ministre soulignant simplement lors d’un débat à l’Assemblée nationale qu’il « était en réflexion sur la formation à distance au Québec » (Chouinard, 2015).
3Ballon d’essai ? Gaucherie d’un ministre soucieux de montrer son engagement à atteindre les objectifs de rigueur budgétaire de son gouvernement, mais n’ayant pas prévu les inquiétudes que cette annonce allait susciter ? Incapacité à maîtriser un dossier complexe ? Quoi qu’il en soit, un remaniement ministériel devait intervenir trois mois plus tard sans que l’on en sache plus, et le sort de la TÉLUQ laissa la place à d’autres préoccupations.
4La justification de cette menace – comment déployer la formation à distance au Québec ? – était nébuleuse. L’annonce faisait ici référence à un récent rapport du Conseil supérieur des universités (CSE) qui recommandait, entre autres, « d’augmenter le nombre de cours et de programmes à distance qui sont offerts sur la base d’une collaboration entre des universités ou des unités d’enseignement ». Ce rapport soulignait en effet que si l’expertise de la TÉLUQ était incontestable, son rôle avait été remis en question à plusieurs reprises et que si, à sa création, la TÉLUQ s’était vu confier la mission de coordonner l’offre de formation à distance au sein du réseau de l’université du Québec, « force est de constater qu’elle ne joue pas ce rôle : chaque composante a mis en place ses propres activités de formation à distance ». Autrement dit, « le CSE écorche la TÉLUQ sans pour autant se prononcer sur ce que le gouvernement devrait en faire » (Chouinard, ibid.). On comprenait qu’il était temps d’agir.
5Il y avait pourtant un problème. Si la référence au rapport du CSE était fidèle, l’analyse de cet organisme présentait une erreur factuelle importante, puisque la TÉLUQ n’avait jamais eu cette responsabilité de coordination que lui imputait le Conseil, ni au sein de l’université du Québec ni à l’échelle du Québec. Tout au plus avait-elle reçu à sa création, en octobre 1972, le mandat de coordonner deux programmes de formation des maîtres sous la houlette du siège social de l’université du Québec. Mais dès le milieu de l’année 1974, suite à de multiples tensions avec les constituantes, elle avait dû abandonner ce champ, perdant du même coup la responsabilité de la coordination de la formation à distance. La lecture que faisait le Conseil du rôle de la TÉLUQ était donc fausse. Or, dans son rapport, le Conseil dépeignait la formation à distance comme « un potentiel à optimiser » et proposait un ensemble de recommandations en ce sens. Cependant, l’optimisation visée se résumait à deux domaines : l’accessibilité des cours et programmes ainsi que la coordination entre les établissements, l’accent étant mis à cette occasion sur l’histoire tumultueuse de la TÉLUQ tandis que l’épisode de sa coopération avortée avec l’UQAM était occulté (Conseil supérieur de l’éducation, 2015).
6Comment comprendre alors que des informations fausses aient pu aboutir à envisager une décision aussi radicale ? Faisons simplement l’hypothèse que les déboires de la TÉLUQ des dernières années et la transformation du paysage de l’enseignement supérieur à distance, peut-être accompagnée d’une certaine lutte d’influences, ont pu raviver l’image d’une institution ayant de la difficulté à entretenir des collaborations, ainsi qu’une interrogation quant à la nature de la formation à distance et à l’organisation susceptible de mieux la servir. Selon les explications de l’attachée de presse du ministre, « C’est important pour nous, la formation à distance, et ça va continuer de l’être. Mais c’est sûr qu’on se demande comment ça peut être déployé au Québec. Est-ce que ça peut être mieux ? »
- 2 L’université Laval mise sur un enseignement hybride basé sur cinq modèles de formation (Gérin-Lajoi (...)
7Ces interrogations s’expliquent peut-être en partie par l’évolution paradoxale de la TÉLUQ : durant vingt années, elle lutta pour obtenir son autonomie, connaissant des épisodes de coexistence difficile avec les universités constituantes de l’université du Québec, notamment les universités régionales qui voyaient en elle une concurrente redoutable ; elle se trouva ainsi tantôt menacée de fermeture, tantôt astreinte à collaborer avec elles, mais finit par établir sa crédibilité universitaire et obtint enfin sa reconnaissance officielle malgré les avis divergents des organismes-conseil du ministre (Guillemet, 2007). Toutefois, de nouvelles difficultés l’attendaient. À partir de 1996, elle lança un vaste projet de modernisation de ses enseignements, le « campus virtuel », qui s’avéra cependant coûteux et dont les résultats furent mitigés. Faisant face à des difficultés financières et constatant alors les limites à son développement, elle envisagea à partir de 2002 un projet ambitieux d’université bimodale avec l’université du Québec à Montréal (UQAM) et se rattacha à cette dernière (Bertrand, 2013). Toutefois, le projet, mal défini, issu des directions des deux établissements et manquant de mécanisme de suivi, éveilla vite des résistances de la part des syndicats de professeurs, pourtant initialement favorables. Une crise financière importante à l’UQAM, suivie d’un changement des équipes dirigeantes devait alors provoquer le ralentissement des projets conjoints, puis une méfiance croissante qui eut pour résultat la fin du rattachement et le détachement de la TÉLUQ en 2012 pour retrouver son autonomie (Guillemet, 2012b). Or, dans le même temps, l’université Laval, qui représentait 24 % des inscriptions en formation à distance en 1995-1996, et avait égalé la TÉLUQ en 2010-2011 comptait en 2013-2014 pour 55 % des inscriptions contre 35 % pour la TÉLUQ, en baisse nette (Clifad, 2015)2. On peut supposer que cette concurrence et ce changement de position dominante ont donné lieu à des représentations quelque peu divergentes de la formation à distance auprès du ministère.
- 3 Ainsi que 600 professeurs associés, 775 professeurs de clinique et plus de 4 380 chargés d’enseigne (...)
- 4 Rappelons que la petite taille du corps professoral avait précisément été la principale raison ayan (...)
- 5 Près de la moitié du personnel de la TÉLUQ est alors impliqué dans ces projets.
- 6 La méthode MISA, jugée assez aride lors d’une expérimentation préalable, donnera lieu à une version (...)
8Comment s’explique ce changement rapide ? Au premier chef, il faut compter avec la taille du corps professoral de l’université Laval, 3 685 professeurs et chargés de cours3 contre 70 à la TÉLUQ4, mais aussi avec l’impulsion donnée par cette institution au développement de la formation à distance (université Laval, 2008). Mais il faut aussi constater une importante différence dans la stratégie de numérisation des enseignements de ces deux universités. À partir de 1998, la TÉLUQ met de l’avant une vingtaine de projets de modernisation en privilégiant le principe de la liberté universitaire5 et expérimente trois plates-formes dont l’une s’accompagne d’une méthode de support à la conception d’un système d’apprentissage6. Cependant, les progrès sont lents et beaucoup reste à faire deux ans plus tard. Elle décide alors de « créer un tout cohérent à partir de morceaux disparates en favorisant l’intégration de certains d’entre eux » dont l’intégration va cependant s’avérer ardue, tandis qu’une panne provoque une baisse sensible du traitement des inscriptions. Pour sa part, l’université Laval opte pour une plate-forme unique : elle réussit ainsi à offrir 213 cours en ligne sur les 348 cours de sa banque en 2006, alors que seulement 118 cours de la TÉLUQ sur un total de 467 ont été modernisés, dont 91 sont offerts en ligne (Guillemet, 2006).
- 7 Rappelons que, selon le Code du travail québécois, le syndicat a l’exclusivité de représentation de (...)
- 8 Le cadre de gestion expérimental prévoyait le dégagement de 15 professeurs de l’UQAM pour l’année 2 (...)
- 9 Communiqué du SPUQ à ses membres, 18 décembre 2006.
- 10 Pour en savoir plus sur cette période, voir le site Vers l’UQAM bimodale (Guillemet, 2012a)
9Ce changement s’explique également par l’image que la TÉLUQ a alors de sa raison d’être et par une définition de la formation à distance qui tend à exclure les pratiques de formation hybrides. Pourtant, lors du rattachement de la TÉLUQ à l’UQAM, le but visé n’était pas d’accoler deux modes au sein d’une université, mais bien de favoriser le plus possible la souplesse pour les étudiants, notamment grâce à des cours hybrides. Mais, dès sa naissance, cette université bimodale porte en elle un paradoxe puisque « la TÉLUQ est une entité rattachée à l’UQAM, mais elle garde son autonomie de gestion et son autonomie de fonctionnement », comme l’explique sa directrice générale (Haroun, 2005). Pour sa part, le recteur de l’UQAM évoque l’image de « l’université dans l’université », sans toutefois la préciser, suscitant aussitôt le scepticisme du syndicat des professeurs de l’UQAM. Or, les professeurs de la TÉLUQ, plutôt que de rejoindre leurs rangs choisissent de signer une nouvelle convention collective de la TÉLUQ7, et refusent leur intégration dans une assemblée départementale ainsi que la création d’une École supérieure de télé-enseignement, comme le propose le syndicat des professeurs de l’UQAM (SPUQ). La méfiance s’installe alors entre les deux syndicats tandis que les professeurs de la TÉLUQ se plaignent que leur institution n’ait pu bénéficier des ressources promises par l’UQAM8. La crise financière qui frappe l’UQAM en 2006 accentue cette tension, alors que le syndicat des professeurs de l’UQAM recommande à ses membres « de ne pas entreprendre et même de cesser immédiatement toute collaboration avec la TÉLUQ tant que les règles du jeu n’auront pas été précisées et validées9 ». Dès lors, la vingtaine de projets conjoints est progressivement mise en veilleuse ; aucun d’entre eux d’ailleurs ne prévoyait un enseignement hybride10.
10Selon l’image frappante d’un professeur de la TÉLUQ : « Deux ans après ce rattachement, la Téluq est restée comme une bouteille dans un aquarium. On pensait que des projets communs entre l’UQAM et la Téluq allaient naître spontanément, mais ces passerelles n’ont pas fonctionné. La rectrice qui sollicitait au printemps 2008 un second mandat n’a pas été soutenue par les enseignants et a démissionné ». On ne saurait mieux dire : d’une part se trouvait une jeune université nostalgique de l’université populaire rêvée par son premier directeur général et qui brûlait de devenir une « vraie université », mais entièrement à distance ; de l’autre, il s’agissait une université bien établie qui souhaitait ajouter une flèche à son arc, mais sans vraiment préparer le changement ni remettre en cause son mode de fonctionnement. Dès lors s’est posée la question : l’enseignement à distance est-il soluble dans une université traditionnelle ? (Guimont, 2009) L’expérience suggère une réponse négative. Mais sans doute est-ce parce que la distance a été envisagée ici dans sa forme traditionnelle caractérisée par la séparation entre le professeur et l’étudiant dans l’espace et dans le temps, nettement distincte de l’enseignement en présence. Comme l’a fait remarquer Peraya (2016), l’hybridation était en effet plutôt exceptionnelle à la TÉLUQ. Tout autre était dans la même période la pratique de l’université Laval, où l’ouverture à la formation à distance avait d’emblée été envisagée sur le mode hybride, une option qui semble d’ailleurs avoir été fort appréciée des étudiants (AELIÉS, 2014).
11Des erreurs de gestion ont marqué ces années pour la TÉLUQ. D’abord une modernisation entreprise de façon désordonnée avec plusieurs chantiers menés de front qu’il a été ensuite difficile d’harmoniser, laquelle a été coûteuse en ressources humaines et financières. Puis un projet trop ambitieux qui a contribué à heurter les sensibilités syndicales, là où un projet-pilote aurait sans doute été plus réaliste. Et évidemment un raidissement consécutif à la crise financière de l’UQAM. Mais aussi des facteurs plus profonds, sans doute issus de l’histoire de l’institution.
12Faisons ici l’hypothèse d’une confiance exagérée de la TÉLUQ dans sa position dominante et dans son expertise en formation à distance. Cette confiance explique peut-être son choix d’une stratégie expérimentale pour la modernisation de ses cours plutôt que la standardisation de ses outils de conception, comme l’université Laval. Dans le même esprit, elle a voulu profiter de l’occasion pour permettre à son centre de recherche, le LICEF de déployer son expertise en ingénierie cognitive. Ainsi une logique de recherche marquée par le développement de prototypes performants a-t-elle coexisté avec une logique d’utilisation caractérisée par la recherche de la fiabilité et de la convivialité à coûts minimes. Mais sans doute la TÉLUQ a-t-elle aussi sous-estimé la capacité de l’université Laval de mettre des cours en ligne et d’attirer ainsi de nouveaux étudiants.
- 11 Ce doute fut notamment exprimé par celui qui devint le directeur général de la TÉLUQ en 2008.
- 12 Il était envisagé que ces professeurs aient pour mentors des professeurs de la TÉLUQ.
- 13 On peut ici imaginer que la fierté des professeurs de la TÉLUQ de maîtriser un nouveau mode d’ensei (...)
13Soulignons enfin l’ambivalence de la TÉLUQ, vis-à-vis du rattachement à l’UQAM. D’un côté, on pouvait constater la fierté, après avoir enfin obtenu ses lettres patentes qui lui valaient la reconnaissance des autres universités, de donner naissance à la plus grande université bimodale francophone : ce rattachement consacrait en effet l’expertise unique de la « seule université francophone en Amérique du Nord à offrir tous ses cours à distance » et sa compétence dans la médiatisation des contenus et l’ingénierie des connaissances. Mais de l’autre existait également un doute sur la nécessité du rattachement11 et une certaine réticence à passer le drapeau à une université traditionnelle, aussi bien intentionnée soit-elle. Ces deux postures ont amené des prises de position qui se sont avérées problématiques. Ainsi, lors des débuts du projet, après un accueil favorable de la part des deux syndicats, des tensions se sont manifestées, imputables à des évaluations divergentes de la libération de charge de travail associée à la mise en ligne des cours, qui était moins généreuse à l’UQAM qu’à la TÉLUQ. Cette remise en cause du « modèle de la TÉLUQ », qui devait présider au déploiement de la formation à distance à l’UQAM avec le dégagement annuel d’une quinzaine de professeurs12, explique peut-être pourquoi les professeurs de la TÉLUQ ont choisi dès 2005 de renouveler leur convention collective plutôt que de se rattacher au syndicat des professeurs de l’UQAM comme ils l’avaient initialement envisagé. Ce sera le début d’une longue mésentente13.
- 14 Cet épisode permet de comprendre l’accent mis par le Conseil supérieur de l’éducation sur l’optimis (...)
14On peut imaginer que la TÉLUQ, fière de son nouveau rôle, a entretenu quelques attentes irréalistes envers le rattachement. Mais on peut constater aussi, dans le même temps, une méfiance croissante envers l’UQAM qui se transformera en hostilité. Elle prend son ampleur peu après la découverte de la crise financière de l’UQAM alors que le nouveau recteur, constatant la stagnation du projet de rattachement, nomme un chargé de dossier qui prône une intégration accrue des deux institutions et recommande qu’elle cesse d’être une structure autonome sur le plan financier. Soupçonnée de vouloir démanteler la TÉLUQ, l’UQAM est alors l’objet d’une campagne de protestation très médiatisée et la tension s’accroit entre les deux universités ; peu après, la TÉLUQ entame les démarches qui aboutiront au détachement. Tout se passe donc comme si elle avait alors fait fi des raisons qui l’avaient convaincue du bien-fondé de ce rattachement. On imagine que le ministre, en lui accordant à nouveau ses lettres patentes en 2012, ait pu être quelque peu étonné de défaire ce qui lui avait été demandé sept ans plus tôt14.
15Les événements relatés ci-dessus renvoient au débat sur la viabilité à long terme des institutions universitaires créées afin d’offrir des services d’enseignement à distance sans accueillir d’étudiants dans leurs bâtiments. Dans un article publié en 1992 dans la revue Open Learning, Greville Rumble soutenait que ce type d’établissement était menacé par la croissance rapide des départements d’enseignement à distance créés par les universités traditionnelles. Cet article a fait l’objet d’un débat portant un ouvrage du même auteur publié en 2004 (Orivel, 2006).
- 15 Orivel souligne à ce propos : « Il y a plus de dix ans que Rumble a écrit cette réponse, et rétrosp (...)
- 16 Pour une plus ample discussion des coûts des dispositifs en ligne, voir Luthi (2010)
16Essentiellement, la thèse de Rumble tient en trois points : (1) l’enseignement à distance engendre des coûts fixes plus élevés que ceux de l’enseignement traditionnel, et ce n’est qu’en proposant ce mode d’accès à la formation à un grand nombre d’étudiants que l’enseignement à distance peut être compétitif avec l’enseignement traditionnel ; (2) les supports pédagogiques produits par les universités à distance tendent à être plus sophistiqués et donc beaucoup plus coûteux que dans les universités bimodales, notamment pour les cours mis en ligne ; (3) les universités mixtes ont davantage de flexibilité, car elles peuvent adapter les modalités de l’offre à l’évolution de la demande et choisir plus facilement les modalités les moins coûteuses. Pour sa part, dans le même ouvrage, Mugridge estime que toutes les institutions sont condamnées à s’orienter vers plus de flexibilité et que les universités, quel que soit leur mode dominant d’offre de formation, seront incitées à développer des coopérations interinstitutionnelles. Keegan préconise, quant à lui, de spécialiser les institutions dans les créneaux où elles ont un avantage comparatif et soutient que si la clientèle de l’enseignement à distance est inférieure à un certain seuil, qu’il estime à 22 000 étudiants, il ne faut pas créer une université à distance, mais un département d’enseignement à distance au sein d’une université existante. En réponse, Rumble persiste à penser que l’avenir des institutions mixtes ou duales est plus porteur que celui des nouvelles universités à distance15. En commentaire à ce débat, Orivel (2006) souligne que les TIC tendent à modifier la structure des coûts de l’enseignement à distance16 en raison de l’effort mis pour améliorer le suivi des étudiants, qui augmente de façon conséquente les coûts variables autrefois observés dans l’enseignement à distance et contribue à diminuer son avantage économique. Ainsi, « il ne fait pas de doute que les deux systèmes, UR (universités résidentielles) et UD (universités à distance), tendent à la convergence vers des UM (universités mixtes) ».
17On aura remarqué qu’à aucun moment dans l’histoire récente de la TÉLUQ relatée plus haut il n’a été question de coûts. Toutefois, on ne peut manquer d’être frappé par sa ressemblance avec les scénarios évoqués par ces auteurs : perte rapide de la part de marché dans le premier cas, problèmes de coopération interinstitutionnelle dans le second, ainsi qu’une valse-hésitation entre l’intégration à une université résidentielle et une structure autonome. Ces deux coïncidences témoignent de la vulnérabilité d’une université à distance vis-à-vis de deux universités résidentielles. En quoi, au-delà de ce cas, éclairent-elles les nouveaux enjeux de la formation à distance ? Notamment, si l’avantage compétitif des institutions de formation à distance – les économies d’échelle – tend à s’estomper, à l’exception des méga-universités étudiées par Daniel (1998), peuvent-elles compter sur d’autres atouts ?
- 17 À titre d’exemple, on peut citer l’accent mis par HÉC Montréal, une université résidentielle, sur l (...)
18Constatons tout d’abord qu’à l’instar des universités résidentielles et des universités mixtes, le développement des universités à distance dépend étroitement de leur capacité à répondre à des besoins. Il ne s’agit ici pas seulement de capacité des institutions à déployer une offre de cours et programmes diversifiée, mais d’attirer des étudiants vers cette offre de manière efficace. Ceci suppose la plupart du temps une préoccupation envers l’utilité des formations et leur application en milieu de travail, puisque la majorité des étudiants sont des adultes pour qui la formation à distance s’inscrit essentiellement dans une perspective professionnelle17. Mais il s’agit tout autant des modalités de la formation, notamment en ce qui a trait à l’aménagement des formules hybrides, afin de favoriser la conciliation études-travail-famille ainsi que le recrutement, la persévérance et la réussite des étudiants (Université Laval, 2017). On comprend dans ce contexte l’importance de la recherche visant à cerner les facteurs de la performance institutionnelle, ainsi que la recherche sur les pratiques de formation à distance dans les autres universités.
- 18 Ainsi, durant une courte période de son histoire, la TÉLUQ a été astreinte à offrir son expertise e (...)
- 19 Mentionnons par exemple le master MFEG « ingénieur en e-formation » de l’université de Rennes 1 cré (...)
19L’expertise en médiatisation est l’un des atouts des institutions de formation à distance puisqu’elles ont toujours dû miser sur les technologies afin de diffuser leurs enseignements, ce qui leur a valu assez vite la convoitise des autres universités18. Cependant, cet avantage peut devenir un facteur de vulnérabilité lorsque les supports pédagogiques qu’elles produisent deviennent plus coûteux que dans les universités mixtes. Comme le décrit Orivel (2006), ceci se produit quand « on conçoit des CD-ROM sophistiqués, avec textes, images, séquences animées, simulations, interactions, possibilités étendues de navigation personnalisée, qui mobilisent des professionnels nombreux et spécialisés, avec des prix de revient sans commune mesure avec la mise sur site des textes produits par les professeurs des UM. » À ceci s’ajoute que cette expertise est moins évidente en ce qui a trait à l’enseignement en ligne, que les universités ont apprivoisé à peu près toutes en même temps et avec plus ou moins de bonheur comme on l’a vu plus haut. L’avantage compétitif des universités à distance tient ici plutôt dans leur expérience de la pédagogie à distance, voire dans leur ingénierie pédagogique, à condition qu’elle soit adoptée. Toutefois, cet avantage historique est temporaire, dans la mesure où les universités résidentielles peuvent, elles aussi, embaucher du personnel formé à l’enseignement à distance et en ligne19 ou ayant acquis une expérience appropriée en la matière.
- 20 On pense ici à la communauté de pratiques blog de t@d, http://blogdetad.blogspot.ca/, qui se consac (...)
20L’autre atout majeur est l’accompagnement, condition essentielle de l’apprentissage à distance, quelle que soit la qualité de l’ingénierie pédagogique. Comme le mentionne Luthi (2010) à propos de l’enseignement en ligne : « le facteur clé est la présence ou l’absence du formateur, c’est l’illusion du remplacement du formateur qui a généré, dans les années nonante, une vague d’enthousiasme autour de la formation en ligne. […] J’ai été amusé de voir comme les réflexions évoluent sur ce sujet […] pour finalement arriver à la conclusion qu’il faudrait pouvoir engager des stagiaires comme e-tuteur ce qui permettrait de substantielles économies de coûts ». Or, cette fonction essentielle est complexe (Rodet, 2007) tandis que le métier de tuteur reste mal défini et peu institutionnalisé et que les formations au tutorat sont peu nombreuses (Ben Salah Jemli, 2010). Il faut toutefois compter cette fois avec le fait que cette expertise n’est pas seulement incarnée dans la pratique des universités à distance et formalisée par les diverses formations offertes, mais qu’elle est aussi diffusée en ligne et qu’elle touche tous les aspects des interventions d’encadrement ainsi que les principales problématiques qui y sont liées20, ce qui facilite son appropriation par les universités résidentielles.
21Bref, les avantages de la formation à distance, du moins dans les institutions de taille petite ou moyenne, tendent à s’éroder dès lors que les universités résidentielles s’engagent dans la formation à distance de façon vigoureuse, systématique et éclairée. Comme le souligne Rumble, la compétition n’est pas une option, mais une contrainte contextuelle : si les effectifs étudiants baissent, certaines institutions en pâtiront, d’autres en mourront. Rien d’étonnant à cela, lorsqu’une organisation réussit à faire mieux ou à moindre coût que ce qui était offert jusqu’alors, ou lorsqu’elle offre un produit ou un service indisponible auparavant. C’était d’ailleurs probablement ce à quoi la directrice générale de la TÉLUQ faisait allusion un an après son arrivée (Dion-Viens, 2014).
- 21 Signe des temps, La TÉLUQ annonçait le 1er février 2016 que les étudiants pouvaient faire part, via (...)
- 22 Le 20 avril 2016, la nouvelle ministre confirmait en Chambre qu’il n’était pas question d’abolir la (...)
22Quel avenir, dès lors pour les petites et moyennes universités de formation à distance ? Les voies qui s’offrent à elles sont multiples : coopération ciblée et suivie avec des universités résidentielles, recherche de créneaux d’enseignement profitables, exportation, recherche institutionnelle ou dans le champ de la formation à distance, exploitation de l’expertise pédagogique acquise et des modes d’accompagnement efficaces, adaptation de l’offre de programmes et de services afin de répondre aux nouvelles réalités des étudiants et aux besoins de la société, mais aussi suivi attentif des rétroactions des étudiants21. La voie est large, et les possibilités sont nombreuses. Refonder la formation à distance, donc : elle ne s’en portera que mieux et la TÉLUQ pourra s’y employer22.