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Débat-discussion

L’actualité récente de la TÉLUQ : quel héritage  ? Quelles leçons  ? Quels enjeux et quelles perspectives pour l’enseignement universitaire  ?

Daniel Peraya

Texte intégral

  • 1 Le réseau de l'Université du Québec (UQ) a été créé en 1968 et regroupe dix « constituantes » : les (...)

1À la fin de l’année 2015, le journal québécois La Presse (Chouinard, 2015) se faisait l’écho de la volonté du gouvernement de Philippe Couillard et de son ministre François Blais de réorganiser la formation universitaire au Québec : abolition du siège social de l’Université du Québec1 à Québec et fermeture éventuelle de la Télé-université du Québec (TÉLUQ). Ces nouvelles ont été largement commentées et répercutées dans la presse (voir par exemple Radio-Canada, 2015-a, 2015-b et 2015-c). Les principaux arguments avancés sont de l’ordre de l’optimisation des pratiques : « Nous voulons avoir des pratiques plus efficaces » ou « C’est important pour nous, la formation à distance, et ça va continuer de l’être. Mais c’est sûr qu’on se demande comment ça peut être déployé au Québec. Est-ce que ça peut être mieux  ? (Attachée de presse du ministre, cité dans Chouinard, 2015-a, §2-3). Si le scénario de la fermeture de la TÉLUQ ne semble plus d’actualité (Chouinard, 2015-b, § 5) – il est totalement irréaliste pour de nombreux acteurs du champ (F. Henri, communication personnelle, 18 janvier 2016) –, le rôle de la TÉLUQ au sein des universités du Québec devrait être largement repensé « tout en démontrant, plus que jamais, son leadership » (Legault, cité dans Chouinard, 2015-a, § 5).

2Un deuxième argument relève de la rationalisation de la gouvernance comme de la gestion globale des instituts de formation universitaire : éliminer « les dédoublements administratifs » et, à propos du siège social de l’Université du Québec, « L’enjeu, ce n’est pas d’examiner s’il y a des économies à faire ou pas en abolissant le siège social. Ce qui est en jeu, c’est de répondre aux lacunes dans la gouvernance de l’Université du Québec constatées par le Vérificateur général récemment. » (Chouinard, 2015-b, § 5). Quelles que soient les mesures évoquées (notamment le renforcement du réseau et de ses entités constituantes ainsi que la consolidation des universités en région), il est difficile de ne pas les mettre en rapport avec le contexte économique général et la volonté du Conseil du trésor de compresser les dépenses d’éducation à hauteur de 200 millions de dollars pour 2016 (Radio-Canada, 2015-b, §1). On comprend alors la portée politique que soulèvent ces mesures annoncées : « qu’on nous fasse la démonstration qu’en bout de course c’est pour davantage de formation, une meilleure formation de qualité, mais qu’on n’est pas dans une logique de déficit zéro puis d’obsession à l’austérité (…) » (Intervention du député Cloutier, cité dans Chouinard, 2015-b, § 10).

3Nombreux sont les acteurs européens qui ne sont demeurés indifférents ni à ces annonces ni à leurs enjeux. L’une des premières raisons de ces inquiétudes réside sans aucun doute dans le rôle important qu’a joué la TÉLUQ dans le développement de leur propre pratique professionnelle et, vraisemblablement, pour leur progressive reconversion vers la conception et la mise en œuvre de dispositifs de formation partiellement ou entièrement à distance. Deuxièmement, maints principes pédagogiques et organisationnels sur lesquels la TÉLUQ a construit sa pratique me semblent extrêmement actuels au regard, notamment, du développement et de l’évolution des dispositifs hybrides de formation ainsi que des MOOC. La troisième raison vient du fait que l’histoire même de la TÉLUQ – on l’a souvent qualifiée de « tumultueuse » (Crespo, 2008, p. 354) – intéresse tous les acteurs institutionnels de la formation à distance dans la mesure où elle illustre « de quelle façon et pour quelles raisons un projet éducatif se trouve transformé et comment s’élabore une politique de la formation à distance » (Guillemet, 2007, p. XIV). Cette histoire apparaît comme « un bel exemple de ce que les institutionnalistes appellent la modification ou l’ajustement des buts organisationnels (goal displacement) à des fins de survie. » (Crespo, ibidem). Dans cette perspective, les enjeux et les défis auxquels s’est trouvée confrontée la TÉLUQ au cours de son histoire et ceux qu’elle doit affronter aujourd’hui sont assurément ceux que connaît aussi notre enseignement universitaire, quelles que soient ses modalités d’organisation, présentielles, hybrides et à distance.

  • 2 France Henri est enseignante-chercheuse à la TÉLUQ depuis 1982.

4Je ferai donc en premier lieu un bref rappel d’aspects particuliers de la Télé-université du Québec qui peuvent légitimement nourrir nos réflexions actuelles et, dans un second temps, sur la base de l’analyse proposée par France Henri2 lors d’un entretien mené à l’occasion de la préparation de cette rubrique, je tenterai de montrer concrètement la pertinence de l’analyse de Crespo évoquée ci-dessus.

5La TÉLUQ, fondée en 1972 à l’exemple de l’Open University britannique, est la seule université francophone entièrement à distance d’Amérique du Nord. L’appartenance à une même communauté linguistique a sûrement contribué à la diffusion de ses modèles pédagogiques et organisationnels dans nos milieux universitaires. L’ouvrage collectif Le Savoir à domicile publié voilà trente années (Henri et Kaye, 1985) a sans aucun doute contribué à accréditer la TÉLUQ comme une référence dans le domaine francophone : l’ouvrage développe en effet une vision et un projet pédagogique originaux. On y trouve décrites et analysées les principales composantes d’un système – d’un dispositif – de formation à distance : la spécificité de l’acte d’enseignement à distance, l’enseignement individualisé, la focalisation sur le processus d’apprentissage et sur l’apprenant, la relation pédagogique et le tutorat, l’apprentissage autonome, la place primordiale des médias, de l’ingénierie et d’une pédagogie spécifique liée aux médias, les particularités de la communication pédagogique, enfin la massification de l’enseignement, le poids du rôle de l’institution dans la formation comme un système de production industrielle et la division du travail. Dans notre contexte, ces dimensions constituent toujours un objet central pour les travaux des chercheurs et lorsque l’on relit cet ouvrage à la lueur des problématiques contemporaines, on se rend compte qu’il n’a rien perdu de sa pertinence.

6Au cours de l’entretien, France Henri (op.cit.) revient sur certains de ces aspects qui constituent, pour elle, le savoir-faire et le cœur de métier de la TÉLUQ. Au départ, il y avait ce projet pédagogique résolument innovant : « Les créateurs de télé-universités étaient des visionnaires qui voyaient dans la formation à distance un moyen de transformer le rapport au savoir. C’était aussi un moyen de rejoindre nos étudiants, surtout les adultes, en régions, un peu partout sur l’ensemble du territoire du Québec (…). Mais selon moi, le moteur de ce projet était un moteur pédagogique, vaincre la distance était un élément de stratégie. » La possibilité de mettre en œuvre cette vision doit beaucoup à la particularité de la Télé-université du Québec qui, malgré son nom, ne possédait pas de corps professoral. Aussi, la pensée pédagogique, la pensée de formation était prise en charge par ce que l’on appelle aujourd’hui des technologues de l’éducation appuyés par une équipe de médiatiseurs, audiovisualistes, graphistes, communicateurs pédagogiques, correcteurs linguistiques, etc. » (F. Henri, op. cit.). Quant aux concepteurs des contenus de cours, ils étaient recrutés sur une base contractuelle parmi les professeurs d’« universités campus ». Ils avaient le statut d’experts scientifiques et ils participaient à l’équipe de conception et de réalisation de chaque cours en tant qu’experts scientifiques et fournisseurs des contenus. Le rôle des technologues de l’éducation était alors de réaliser « une double adaptation, pédagogique et médiatique des contenus » (F. Henri, op. cit.). Autant dire que, par exemple, « à aucun moment on n’a pris un professeur et on ne l’a fait parler devant la caméra ». Au moment où les capsules vidéo, des podcasts au format standardisé, semblent s’imposer comme des ressources pédagogiques incontournables, notamment lors de la conception des MOOC, ces quelques brefs rappels d’une vision et d’une conception de la formation à distance devraient susciter la réflexion des concepteurs comme des chercheurs.

7Les compétences de la TÉLUQ, celles qui ont fait la qualité de ses cours mais aussi sa notoriété, relèvent donc de la maîtrise du processus d’ingénierie pédagogique que j’ai défini, en opposition aux effets de médiation, comme le processus de médiatisation, à savoir « les opérations conceptuelles ainsi que les processus créatifs et techniques qui aboutissent à une mise en média », certes des contenus, des connaissances, des ressources pédagogiques, mais aujourd’hui de l’ensemble des fonctions génériques de tout système de formation (Peraya, 2000, 2010). L’une des bases de cette démarche introduite par la TÉLUQ est la séparation des fonctions pédagogiques en deux étapes bien distinctes : a) d’une part, « la conception d’un matériel didactique et d’un environnement pédagogique approprié » (Henri et Kaye, 1985, p. 162) ; b) d’autre part, « la diffusion de ce matériel et la mise en place de cet environnement » (F. Henri, op. cit.). On retrouve cette proposition différemment formulée aujourd’hui en fonction des problématiques qui ont émergé : les scénarii d’apprentissage et d’encadrement, composant le scénario pédagogique en formation à distance (Decamps, De Lièvre et Depover, 2009) ou encore la « double scénarisation » des dispositifs médiatisés, les scénarisations de médiatisation et d’appropriation (Peltier, Peraya, Grenon et Larose, 2016) liées à la modélisation du concept de dispositif et à l’analyse du processus d’appropriation des dispositifs numériques de formation (Paquelin, 2009).

8Il est une dernière dimension du projet de la Télé-université du Québec sur laquelle j’aimerais revenir brièvement. L’institution s’est dotée dès le début de son existence d’une unité de recherche institutionnelle composée de « professionnels de la recherche qui sillonnaient la planète pour être au fait de ce qui se faisait en formation distance et dont l’objectif était d’observer et d’analyser les pratiques des autres institutions à distance, par exemple celles l’Open University, afin de s’inspirer de leurs modèles et leurs innovations et de les adapter au contexte de la TÉLUQ, c’est-à-dire apprendre des autres et aller plus loin » (F. Henri, op. cit.). Cette conception d’une recherche qui est directement mise au service du développement et de l’évolution de l’institution elle-même, de la gestion de l’innovation fait songer à la politique menée dans ce domaine par l’Open Universiteit hollandaise créée en 1984 à Heerlen et qui se définissait à l’époque comme une université d’enseignement. Le cahier des charges des enseignants stipulait en 1993 encore que ceux-ci devaient consacrer « 80 % de leur temps et de leurs activités à l’enseignement et 20 % de leur temps à la recherche dans le domaine de la didactique et de la pédagogie de la matière enseignée. » (Peraya et Hässig, 1993, p. 36-37).

9En 1992, la TÉLUQ se voit menacée de fermeture. En effet, elle constitue une forte concurrence pour les autres constituantes du réseau bien qu’elle ne possède pas de corps professoral, ce qui est vivement reproché. En résumé : « Sans professeurs, pas d’université de plein droit » (F. Henri, op. cit.). L’institution décide donc de se doter de professeurs, à l’instar des universités classiques.

10Ce changement va avoir de nombreuses conséquences dont l’importance avait sans doute été sous-estimée comme le souligne France Henri. Tout d’abord, la responsabilité de l’enseignement se déplace de l’institution vers les enseignants. Avant cette réforme, les enseignants signaient certes les cours en tant que responsables scientifiques des contenus, mais la responsabilité de l’enseignement appartenait à l’institution, à la TÉLUQ. La dévolution de cette responsabilité aux enseignants, comme c’est le cas dans toutes les universités, a contribué à désengager l’institution d’une de ses missions initiales : changer les conditions d’enseignement et d’apprentissage, modifier le rapport au savoir. Et comme ces nouveaux enseignants étaient issus des milieux de la formation tertiaire présentielle, ils ont réintroduit, dans certains cas, une culture académique plus traditionnelle favorisant un modèle globalement plus transmissif. Ensuite, la constitution d’un corps professoral a entraîné une division statutaire du travail entre les académiques (les professeurs) et les équipes « techniques » (ingénieurs pédagogiques, médiatiseurs, etc.) considérées dès lors comme des prestataires de service. Ces équipes perdent alors progressivement l’espace de créativité et d’innovation qu’ils occupaient et leurs activités tendent à se restreindre à des activités de service au profit des professeurs et de leurs conceptions de l’enseignement. Enfin, la conception et les objectifs de la recherche n’échappent pas à cette évolution. La recherche, comme l’enseignement, dépend elle aussi de chaque enseignant qui mène désormais ses projets personnels dans son domaine disciplinaire propre. La recherche « institutionnelle », fédératrice des pratiques pédagogiques et ferment de la culture de la TÉLUQ, cède donc progressivement la place au modèle cher aux universitaires, celui de l’enseignant-chercheur. Le service de recherche institutionnel a d’ailleurs été aboli avec la création d’un corps professoral.

11S’il fallait résumer brièvement l’analyse proposée par France Henri, j’insisterais sur l’aspect paradoxal de cette évolution. Pour assurer son existence face aux autres universités qui se sentent menacées, la TÉLUQ a fait le choix de s’aligner sur le modèle organisationnel et pédagogique de ses concurrentes afin de pouvoir lutter « à armes égales ». Mais ce faisant, elle se retrouve directement dans un rapport de concurrence accrue face aux autres constituantes et dans une situation sans doute moins favorable encore. De fait, elle a renoncé, partiellement en tout cas, à sa meilleure arme, sa vision de la spécificité du processus d’enseignement et d’apprentissage à distance, « mais la logique du maintien de sa spécificité l’aurait menée à la mort » (F. Henri, op. cit.). Comment dès lors « retrouver son leadership »  ? (Legault, op.cit.).

12Les questions que pose cette analyse révèlent les véritables enjeux du débat : la viabilité – et donc la vulnérabilité –, dans un contexte de forte concurrence, de toutes les universités, qu’elles soient à distance, présentielles ou bimodales. Ce débat n’est d’ailleurs pas récent. Il avait déjà été abordé, par exemple, dans un article de Greville Rumble initialement publié en 1992 et réédité dans l’ouvrage collectif dirigé par cet auteur : Papers and Debate on the Ecomomics and Costs of Distance and Online learning (2004). En 2006, dans Distances et savoirs, François 0rivel en a proposé une intéressante lecture critique. Enfin, quelques années plus tard, toujours dans Distances et savoirs, Marie-Noëlle Lamy se penche sur cette question et remet en cause les analyses de Rumble à partir de l’expérience de l’Open University (2011). Voilà quelques jalons et quelques repères qui marquent ce débat. Même si certains de ces textes peuvent paraître datés aujourd’hui, un regard historique permettra de mieux définir et cadrer la problématique actuelle.

13Rumble, après avoir examiné la situation de vingt-sept universités internationales à distance fondées entre 1950 et 1989, jugeait incertain l’avenir de ces universités soumises à une forte concurrence de la part des unités de formation à distance créées par les universités présentielles, les centres de télé-enseignement universitaires (CTEU) ou les universités bimodales. Si, à l’époque de l’article, les frontières entre la formation in situ et la formation à distance semblaient déjà s’estomper, la situation aujourd’hui semble bien plus confuse encore. L’hybridation des dispositifs de formation présentiels tend à se généraliser tandis que de nombreuses universités ont adopté le modèle bimodal dans leur plan stratégique de développement comme l’a fait l’Université Laval à Québec pour ne citer qu’un seul exemple (Gérin-Lajoie et Potvin, 2006). Dans les universités à distance, la pratique des séances de regroupement sur site pour certaines activités existe depuis les années 80-90 (F. Henri, op.cit. ; L. Sauvé, communication personnelle, le 23 février 2016). La TÉLUQ offrait à ses débuts des ateliers présentiels orientés certains vers le soutien aux travaux d’évaluation par des activités de type formatif, d’autres vers des échanges sur des thématiques particulières. À la FernUniversität allemande, dans les années 90, des séminaires présentiels d’encadrement et des travaux pratiques, notamment pour les cours de statistiques, étaient organisés in situ (Peraya et Hässig, 1993). Par contre, la conception et la mise en œuvre de dispositifs répondant à une définition stricte de l’hybridation (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006) sont plutôt exceptionnelles : à part le cours assuré par Louise Sauvé dans le cadre d’un partenariat entre la TÉLUQ et l’Université Laval entre 1986 et 1991, je n’en connais pas d’autres. Enfin, derniers arrivés dans ce monde, ni les MOOC dans leur diversité ni les SPOC ne contribuent à apporter de la clarté dans le champ.

14Pour Rumble, économiste de formation, le coût de la formation n’est pas nécessairement en faveur de la formation à distance : sur la base d’études comparées, il réfute l’argument qui justifie la création d’établissements de FAD et selon lequel ceux-ci seraient moins coûteux que les universités présentielles. Les études qu’il a menées – mais il est vrai que ces données sont aujourd’hui datées – montrent que globalement le coût par étudiant est le même. Aussi, privilégie-t-il le modèle bimodal parce que cette formule s’avérerait la plus économique. Dans ces universités, en effet, le coût du matériel pédagogique est déjà largement amorti par son utilisation dans les formations présentielles et les coûts de sa production sont bien moins élevés que ceux observés dans les institutions de formation à distance, car sa qualité est moindre. Mais, argumente-t-il, la plus-value pédagogique du matériel produit par les institutions à distance ne lui semble pas démontrée (Orivel, 2006, p. 125).

15Selon Orivel (op. cit., p. 126), l’argumentation de Rumble vise la qualité du matériel d’enseignement et d’apprentissage ainsi que de la formation en général. Citant White, auteur du chapitre 6 du livre de Rumble, Orivel poursuit : « pendant longtemps, les universités traditionnelles ont considéré que les universités à distance offraient un service de qualité inférieure à celle des universités résidentielles, alors qu’en se lançant dans une offre de formation à distance, elles acceptent d’offrir des ressources pédagogiques de qualité en moyenne plus sommaire que les universités à distance. L’offre de services de second choix a changé de camp. » (ibidem). Selon White, cité toujours par Orivel (op.cit.), il serait plus facile pour une université à distance de se muer en une université présentielle que de développer des formations à distance au départ d’une université résidentielle. Ces considérations nous ramènent bien évidemment à l’analyse de la TÉLUQ : d’une part, à sa volonté de changer le rapport au savoir et, dans cette perspective, la valeur ajoutée de la qualité pédagogique d’un matériel et d’un environnement d’apprentissage médiatisés et, d’autre part, aux rapports – fusion, absorption, intégration, complémentarité – entre les universités distancielles et présentielles, dont la courte période d’intégration de la TÉLUQ à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) constitue en effet un exemple intéressant pour la sociologie des organisations.

16Pour Marie-Noëlle Lamy, le problème que rencontrent aujourd’hui les institutions de formation à distance n’est pas le renforcement de la concurrence avec les universités bimodales, même dans un contexte technologique caractérisé par Internet, l’e-learning, et l’omniprésence du tout en ligne. Analysant la situation de l’Open University, elle conclut qu’il s’agit « d’un véritable assaut (…) frontal, conséquence directe d’une conjoncture politique et économique exceptionnellement défavorable » (2011, p. 617). Elle rappelle l’importante augmentation des coûts de la scolarité dès 2011 qui auraient eu pour conséquence une diminution de 10 à 13,5 % des inscriptions des étudiants de plus de 21 ans, les mature students, le principal public de l’université. De plus, les budgets consacrés à l’éducation supérieure, aux enseignants et au suivi des étudiants, ont diminué de 40 %, ce qui a représenté une perte annuelle de 90 millions de livres sterling (Lamy, 2011, p. 612). Puisque la survie d’une université à distance repose sur un juste équilibre entre des coûts fixes élevés et une massification de la formation, le défi pour l’Open University a donc été de trouver des solutions pour « dans ces conditions, combiner restrictions budgétaires et croissance du marché » (Lamy, 2011, p. 613). Je ne détaillerai pas les différentes mesures prises par l’institution pour répondre à cette situation. Je voudrais simplement indiquer que, pour l’auteure, le principal danger encouru par les universités entièrement à distance semble avoir changé de nature et, en conséquence, les stratégies institutionnelles de survie demandent un redéploiement différent sur la base d’une analyse introspective et réflexive, guidant l’innovation. On observe notamment une attention importante accordée aux produits éducatifs et à l’encadrement (la double scénarisation évoquée ci-dessus), à une meilleure visibilité professionnelle des filières de formation, enfin à la motivation, au soutien et à l’autonomisation des équipes à l’interne. Ces réformes se construisent sur ce postulat « ‘produire plus pour enseigner plus’ ne constitue pas une bonne réponse à la pression budgétaire » (Lamy, 2011, p. 614). Cette affirmation rompt avec une certaine tradition de la formation à distance, et mise plutôt sur une offre ciblée articulée, sur une vision pédagogique et organisationnelle ainsi que sur une identité et une culture institutionnelles qui la distinguent de manière fortement lisible des autres universités. Cette stratégie visiblement porterait ses fruits.

17Les prochains numéros de Distances et Médiations des Savoirs accueilleront divers acteurs et responsables institutionnels d’universités traditionnellement à distance, d’universités bimodales et enfin d’universités présentielles promouvant l’hybridation.

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Bibliographie

Charlier, B., Deschryver, N. et Peraya, D. (2006). Apprendre en présence et à distance : une définition des dispositifs hybrides. Distances et savoirs, vol. 4, no 4, 469-496.

Chouinard, T. (2015-a). La TÉLUQ menacée de fermeture. La Presse [mis en ligne le 30.10]. Récupéré du site du journal : http://www.lapresse.ca/actualites/education/201510/30/01-4915503-la-teluq-menacee-de-fermeture.php

Chouinard, T. (2015-b). Blais laisse planer le doute sur le sort de la TÉLUQ [mis en ligne le 30.10]. Récupéré du site du journal : http://www.lapresse.ca/actualites/education/201510/30/01-4915626-blais-laisse-planer-le-doute-sur-le-sort-de-la-teluq.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_vous_suggere_4915503_article_POS1

Crespo, M. (2008). Compte rendu. Patrick Guillemet, Former à distance. La Télé-université et l’accès à l’enseignement supérieur 1972-2006, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007, Recherches sociologiques, vol. 49, no 2, 353-355.

Decamps, S., De Lièvre, B. et Depover, B. (2009). Entre scénario d’apprentissage et scénario d’encadrement. Quel impact sur les apprentissages réalisés en groupes de discussion. Distances et savoirs, vol. 7, n° 2, 141-154.

Gérin-Lajoir, S. et Potvin, C. (2006). Évolution de la formation à distance dans une université bimodale. Distances et savoirs, vol. 9, no 3, 349-374.

Guillemet, P. (2007). Former à distance. La Télé-université et l’accès à l’enseignement supérieur 1972-2006. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Henri, F. et Kaye, A. (1985). Le savoir à domicile. Pédagogie et problématique de la formation à distance. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Lamy, M.N. (2011). Où va la distance, par des temps agités  ? Réponses d’une organisation distancielle, l’Open University. Distances et savoirs, vol. 9, no 4, 611-618.

Orivel, F. (2006). L’économie de la formation à distance : l’apport de Greville Rumble. Distances et savoirs, vol. 4, no 1, 123-130. Récupéré du site de la revue : http://ds.revuesonline.com/gratuit/DS4_1_12_lecture_critiqueorivel.pdf

Paquelin, D. (2009). L’appropriation des dispositifs numériques de formation. Du prescrit aux usages. Paris : l’Harmattan.

Peltier, C., Peraya, D., Grenon, V. et Larose, F. (à paraître). Usages et effets des cours enregistrés à l’Université de Genève : une approche mixte et exploratoire. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire (RITPU).

Peraya, D (2000). Le cyberespace : un dispositif de communication et de formation médiatisée. Dans S. Alava (dir.), Cyberespace et formations ouvertes : vers une mutation des pratiques de formation  ? (p. 17-44). Bruxelles : De Boeck.

Peraya, D. (2010). Médiatisation et médiation. Des médias éducatifs aux ENT. Dans V. Liquète (dir.). Médiations (p. 35-48). Paris : CNRS.

Peraya, D. et Hässig, C. (1993). La production de matériel didactique à la FernUniversität et à l’Open Universiteit. Une description comparée (Cahiers de la Section des Sciences de l’Education, N° 75). Genève : Université de Genève.

Radio-Canada (2015-a). L’avenir incertain de la TÉLUQ suscite l’inquiétude sur la Côte Nord [mis en ligne le 4 novembre]. Récupéré du site de Radio-Canada : http://ici.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2015/11/04/013-teluq-formation-distance-cote-nord.shtml

Radio-Canada (2015-b). Le siège social de l’Université du Québec à Québec en péril  ? [mis en ligne le 23 octobre]. Récupéré du site de Radio-Canada : http://ici.radio-canada.ca/regions/quebec/2015/10/23/005-siege-social-universite-du-quebec.shtml

Radio-Canada (2015-c). L’UQAR dit non à l’abolition du siège social du réseau de l’Université du Québec [mis en ligne le 23 octobre]. Récupéré du site de Radio-Canada : http://ici.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2015/10/23/007-uqar-reseau-uq-universite-quebec.shtml

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Notes

1 Le réseau de l'Université du Québec (UQ) a été créé en 1968 et regroupe dix « constituantes » : les universités de Rimouski, Montréal, Trois-Rivières, Chicoutimi, Gatineau et Rouyn-Noranda de même que l'École nationale d'administration publique (ÉNAP), l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), l'École de technologie supérieure (ÉTS) ainsi que la Télé-université  du Québec (TÉLUQ). L’UQ cohabite avec six autres universités : McGill, Sherbrooke, Laval, Montréal, Concordia, Bishop.

2 France Henri est enseignante-chercheuse à la TÉLUQ depuis 1982.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Daniel Peraya, « L’actualité récente de la TÉLUQ : quel héritage  ? Quelles leçons  ? Quels enjeux et quelles perspectives pour l’enseignement universitaire  ? »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 13 | mars 2016, mis en ligne le 17 mars 2016, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/1327 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.1327

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Auteur

Daniel Peraya

TECFA, Université de Genève, Suisse

Daniel.peraya@unige.ch

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