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Débat discussion

L’espace reconfiguré et le paradoxe des discours. Deux points de vue iconoclastes sur le cours magistral

Claire Peltier

Texte intégral

1Le débat relatif à la pertinence et à l’avenir du cours magistral dans le contexte universitaire actuel initié dans le numéro 45 de Distances et médiations des savoirs se poursuit dans ce nouveau numéro avec deux contributions originales.

  • 1 « La posture dite du magicien prend forme autour de la théâtralisation, d’un jeu, d’un témoignage o (...)

2La première, celle d’Olivier Perlot, aborde le cours magistral sous l’angle de son agencement spatial, celui de l’amphithéâtre, dont les « caractéristiques matérielles peu flexibles » imposent une certaine forme d’enseignement. Dans sa contribution, O. Perlot choisit de « jouer » avec les contraintes imposées par l’amphithéâtre en tant que lieu matériel et symbolique et propose d’autres modes d’appropriation d’un espace, par essence peu modulable, à des fins d’enseignement et d’apprentissage. Pour ce faire, il s’appuie sur une typologie de métaphores spatiales empruntée à deux chercheurs en sciences de l’information et de la communication pour décrire différentes façons d’incarner un espace a priori peu propice à une diversité d’activités d’apprentissage. Au découpage de l’amphithéâtre en plusieurs « lieux » métaphorisés (« la scène », « le feu de camp », « le nid », « l’oasis », « les sources ») est associée une catégorie d’activités, individuelles ou collectives, formelles ou informelles, pour devenir, selon O. Perlot, un « lieu d’apprentissage hybride » qui reconfigure le cours magistral en un dispositif, « l’amphipédia », « où les enseignants et les étudiants contribuent à une création de connaissances ». S’il reconnaît lui-même le caractère quelque peu déstabilisateur de sa proposition (« En modifiant substantiellement le cours magistral et sans mise en œuvre progressive, nous prenons le risque d’un temps d’appropriation élevé, voire une totale désorganisation »), O. Perlot souligne la nécessité, dans ce cas de figure, de scénariser les activités, dans une perspective quasi cinématographique où les rôles et les actions de chacun doivent être pensés et orchestrés en amont afin d’éviter de laisser une trop grande part à l’improvisation. La proposition ambitieuse d’O. Perlot pourrait répondre à celle de Chrysta Pélissier qui, dans le cadre de sa contribution au débat parue dans le numéro 46 de Distances et médiations des savoirs, évoquait plusieurs postures d’enseignement possibles et constatait que la posture dite « du magicien »1 était difficilement envisageable dans « l’espace de l’amphithéâtre [qui] n’est pas forcément propice à la théâtralisation » (Pélissier, 2024, § 10). Elle pourrait également être mise en correspondance avec la contribution d’Amélie Duguet, parue dans le numéro 45, qui rappelait la nécessité de mener des travaux de recherche « visant à étudier comment les enseignants universitaires peuvent continuer à faire évoluer leurs pratiques à la fois DU cours magistral et EN cours magistral, mais aussi se pencher du côté des étudiants pour évaluer quelles sont leurs représentations, attentes et besoins à cet égard » (Duguet, 2024, § 14).

  • 2 En faisant référence aux travaux de Clanet (2001), M. Romainville relève qu’en France « l’exposé ma (...)

3La contribution de Marc Romainville pourrait sembler moins transgressive à première vue. Pourtant, elle contribue de manière salutaire à déconstruire les discours dominants, d’hier et d’aujourd’hui, plutôt critiques à l’encontre du cours magistral, alors que cette modalité pédagogique est encore très présente dans l’enseignement supérieur2, tant en contexte francophone qu’anglophone. Selon M. Romainville, la « persistance paradoxale du cours magistral » malgré les discours ambiants peut s’expliquer par un certain nombre de raisons, dont « son excellent rapport didactique coût-efficacité ». Cette particularité, relève M. Romainville, semble pourtant être peu évoquée dans les discours actuels, comme si, malgré une situation économique et budgétaire toujours plus en tension dans les universités, comme le rappelle Bertrand Moquet (2024) dans sa contribution parue dans le numéro 46, cet argument devait rester implicite. Un autre non-dit est soulevé par M. Romainville ; celui de la difficulté non négligeable de la mise en œuvre de méthodes pédagogiques alternatives : « les enseignants doivent déployer des trésors d’imagination didactique pour concevoir puis gérer des séances de pédagogie active, sans pour autant être certains que les acquisitions visées suivront ».

4Ainsi détricotées, les mailles du discours actuel dévoilent ses propres contradictions. Mais ce n’est pas en (re)mettant en lumière quelques-unes des vertus du cours magistral que cela le rend exempt de défauts et de fragilités. M. Romainville souligne que, pour que le cours magistral profite véritablement à l’apprentissage des étudiants, certaines conditions doivent être réunies. Par exemple, l’une des conditions énoncées impose « que les auditeurs disposent d’un arrière-plan cognitif – en matière de vocabulaire, de préacquis, de référents, etc. – proche de celui de l’orateur. L’apprentissage se déroule alors sans trop de heurts puisque le maître énonce un discours aisément accessible, sur les plans linguistique et cognitif, à des auditeurs qui lui accordent immédiatement une signification proche de celle que l’orateur avait en tête ». Or, relève-t-il, cela est loin d’être le cas dans les dispositifs actuels. À cet égard, M. Romainville évoque « l’asymétrie de la relation pédagogique en matière d’expertise [qui] fait qu’il existe souvent une distance importante entre les structures mentales de l’enseignant-chercheur et celle des étudiants ». Cette remarque entre en résonance avec la contribution de Didier Paquelin dans le numéro 45 qui proposait de repenser le cours magistral dans une perspective de partage intentionnel et d’attention conjointe « selon des principes de réciprocité et d’accordage affectif qui installeraient une symétrie attentionnelle là où, conventionnellement, la relation est fondée sur l’asymétrie discursive » (Paquelin, 2024, § 15).

5Dans la dernière partie de sa contribution, M. Romainville mentionne une récente étude fort intéressante qui traite des difficultés rencontrées par des enseignants pourtant chevronnés dans la mise en œuvre de pédagogies actives. L’un des écueils évoqués, une certaine répulsion des étudiants à l’égard de ce type de pédagogie, mérite que l’on s’y attarde, car il vient également heurter l’idée préconçue selon laquelle les étudiants seraient nécessairement hostiles au cours magistral et forcément friands de méthodes actives d’apprentissage.

6Plus le débat se ramifie, plus il soulève des questions supplémentaires. Pourtant, les différentes pistes de réflexion ouvertes par nos contributrices et contributeurs apportent à notre problématique des éléments d’éclairage particulièrement stimulants. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le prochain numéro qui clôturera le Débat-discussion de cette année 2024.

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Bibliographie

Duguet, A. (2024). Le cours magistral et ses différentes formes de magistralité. Éléments de discussion. Distances et médiations des savoirs, 45. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.9957.

Moquet, B. (2024). Évolution du cours magistral : vers une négociation didactique entre acteurs. Distances et médiations des savoirs, 46. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vlp.

Paquelin, D. (2024). La magistralité, une approche attentionnelle. Distances et médiations des savoirs, 45. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/dms.9954.

Pélissier, C. (2024). D’une magistralité à l’autre par une flexibilité des postures enseignantes. Distances et médiations des savoirs, 45. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vlq.

Perlot, O. (2024). L’amphipédia : un cours magistral « innovant » par la reconfiguration spatiale de l’amphithéâtre. Distances et médiations des savoirs, 47. https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/10628 (consulté le 22 octobre 2024).

Romainville, M. (2024). Pourquoi le cours magistral se maintient-il contre vents et marées ? Distances et médiations des savoirs, 47. https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/10635 (consulté le 22 octobre 2024).

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Notes

1 « La posture dite du magicien prend forme autour de la théâtralisation, d’un jeu, d’un témoignage ou d’une mise en situation, dans une atmosphère très détendue laissant la place aux questionnements et aux tâtonnements. Cette posture vise à donner une dimension ludique, émotionnelle et bienveillante à l’activité pédagogique » (Pélissier, 2024, § 7).

2 En faisant référence aux travaux de Clanet (2001), M. Romainville relève qu’en France « l’exposé magistral [reste] la méthode d’enseignement majoritaire (autour de 60 % des pratiques observées) ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Peltier, « L’espace reconfiguré et le paradoxe des discours. Deux points de vue iconoclastes sur le cours magistral »Distances et médiations des savoirs [En ligne], 47 | 2024, mis en ligne le 22 octobre 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dms/10625 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12jk0

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Auteur

Claire Peltier

Université Laval, claire.peltier@fse.ulaval.ca ; Université de Genève
claire.peltier@unige.ch

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