1L’utilisation de la visioconférence ou des classes virtuelles pour développer des interactions synchrones suscite un intérêt grandissant en formation à distance (FAD). Ainsi, l’édition 2012 du colloque JOCAIR1 s’est ouverte par une conférence sur « La synchronie dans les apprentissages médiatisés », animée par le professeur Jacques Wallet, qui a noté à cette occasion, le nombre croissant de communications qui se situent dans une perspective synchrone ou partiellement synchrone (Sidir, Baron & Bruillard, 2012)2. Pour de nombreux chercheurs, les potentialités de la synchronie en formation à distance s’avèrent en effet prometteuses. Le développement de la communication synchrone et la généralisation d’outils de plus en plus mobiles (tablettes et smartphones) permettraient de « toucher l’apprenant partout mais aussi immédiatement » et de conjuguer à la fois les bénéfices de l’enseignement en présence et à distance. La classe virtuelle permettrait ainsi de rompre l’isolement de l’étudiant en renforçant la présence à distance (Jézégou, 2010). D’autres chercheurs se montrent toutefois plus réservés quant aux effets sur les apprentissages de ces dispositifs de communication synchrone. Ils mettent en avant de nombreuses contraintes et le retour à un modèle pédagogique transmissif peu susceptible de favoriser l’engagement et la réflexivité de l’apprenant (sur ce débat contradictoire, voir Wallet 2012). Ce manque de consensus oblige les responsables de dispositifs de formation à distance et les formateurs concernés à s’interroger avant de promouvoir la synchronie et l’utilisation des classes virtuelles comme modalité de formation : la classe virtuelle permet-elle véritablement de réduire l’isolement de l’étudiant, la distance entre le formateur et l’apprenant ? Engendre-t-elle des effets sur la manière d’enseigner et sur les interactions en formation ?
- 3 Ce champ inclut les travaux relatifs à la CMC (Computer Mediated Communication) et l’CSCL (Computer (...)
- 4 Au contraire des travaux sur les forums de discussion, beaucoup plus fréquents dans la littérature (...)
2Cette recherche s’inscrit dans le domaine de la communication et du travail médiés par ordinateur3. Elle vise à mieux percevoir les effets de l’utilisation de la visioconférence sur l’enseignement pour anticiper d’éventuelles conséquences sur les apprentissages. Pour cela, nous avons, dans le cadre d’un master « Education et métiers de l’enseignement du premier degré », comparé le même cours animé en présence et à distance. Macedo-Rouet (2009) montre en effet, dans une revue de littérature sur la visioconférence, tout l’intérêt d’une telle comparaison. Elle constate par ailleurs, le peu d’articles dans ce domaine4 ce qui rend difficile l’évaluation de l’utilisation des classes virtuelles ou des actions de formation synchrones.
3La classe virtuelle appelée aussi webinaire est une modalité technico-pédagogique de formation à distance qui permet à des personnes d’établir des échanges synchrones pouvant utiliser l’image, le son et le texte. C’est une application de téléconférence assistée par ordinateur (TCAO). Souvent appelé visioconférence, ses usages se sont développés dans les années 90, d’abord dans l’enseignement supérieur puis progressivement dans l’enseignement secondaire et primaire au fur et à mesure que les technologies numériques se sont développées et que leur coût a diminué.
4Macedo-Rouet (2009) propose une typologie d’usages en fonction de situations recensées (débats avec des experts, apprentissages de langues étrangères, résolution collaborative de problèmes, échanges interculturels, intégration d’élèves avec des besoins particuliers, développement professionnel, diffusion de cours à distance), alors que Wallet (2012) distingue trois modalités d’utilisation selon que l’accent est porté sur la transmission d’informations, la communication ou la formation. La réunion virtuelle permet l’échange d’informations lors de réunions de régulation par exemple, le séminaire virtuel favorise la communication d’un petit groupe sur un objet commun. La classe virtuelle correspond à une situation de formation, à un « cours » virtuel en direct. C’est ce dernier aspect que nous étudions.
5L’efficacité de cette modalité de formation à distance, comme nous l’avons vu en introduction, est source de débats dans la communauté scientifique. Le principal argument en faveur des classes virtuelles, et qui explique son développement croissant, est qu’elles permettent de « créer de la présence à distance » (Jézégou, 2010) ce qui réduit le sentiment d’isolement, source de la plupart des abandons en formation à distance (Depover & Marchand, 2002). Certains auteurs considèrent en outre que les échanges par ce biais sont plus authentiques comparés aux autres formes de communication (mails, forums,…) utilisées dans l’enseignement à distance (Jacquinot-Delaunay, 2002). Des chercheurs considèrent même que l’enseignement via les visioconférences peut s’avérer plus profitable qu’en présentiel. Ainsi, Martin (2005) trouve que les étudiants sont plus impliqués, plus concentrés et plus indépendants dans leur apprentissage dans les cours donnés en visioconférence que dans les cours en présence.
6A l’inverse, d’autres recherches remettent en cause ces supposés bénéfices (voir Wallet, 2012). Les critiques sont relatives au caractère synchrone de la communication et aux aspects techniques. Le direct impose des contraintes horaires et ne favorise pas la prise de distance des formés. Leur efficacité nécessite un surcroît de travail de préparation du formé et du formateur. Les importantes contraintes techniques limitent fortement les interactions et favorisent un enseignement transmissif, presque exclusivement centré sur l’enseignant (Henri cité par Wallet, 2012). En outre, ces classes sont régulièrement perturbées par des problèmes techniques (les logiciels non professionnels, moins coûteux, sont peu stables et les problèmes de son fréquents). Ainsi, pour certains chercheurs, l’utilisation des classes virtuelles occasionne la perte des avantages de l’enseignement à distance (flexibilité, temps de réflexion et d’élaboration) (Bruillard, 2010), sans offrir en retour les avantages du présentiel. La classe virtuelle donnerait ainsi l’illusion d’une proximité retrouvée mais ne serait pas efficace en termes d’apprentissage.
7Le recours, qui se généralise en formation à distance, de la classe virtuelle et de la synchronie serait-il en définitive une fausse bonne idée ? Constate-t-on des effets sur les pratiques enseignantes et sur les apprentissages des étudiants à distance ? Nous nous appuierons sur une étude de cas pour répondre à ces questions.
- 5 Devenue en septembre 2013, École supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE). Depuis 2011, l (...)
- 6 Pour le concours 2013-2014, les épreuves du concours ont changé l’année suivante.
8L’étude a consisté à comparer une séance d’enseignement, visant le même objectif, le même contenu et se déroulant selon un scénario identique, menée par le même formateur afin de neutraliser partiellement l’effet maître (Bressoux, 1994), en présence et à distance, via une classe virtuelle. Les deux séances observées se sont déroulées dans le cadre du Master « Éducation et métiers de l'enseignement du premier degré » de l’IUFM de Créteil5. Le choix s’est porté sur les unités d’enseignement de préparation aux épreuves d’admission au concours de recrutement de professeur des écoles et plus spécifiquement sur la préparation à l’oral de français6 en deuxième année de master. Deux séances ont été identifiées au premier semestre. Dans les deux cas, il s’agissait de la deuxième séance de l’année, le contenu retenu étant celui de la compréhension littéraire, la durée prévue des séances étant de deux heures dans les deux dispositifs.
9Pour mesurer les effets sur la pratique de l’enseignant, nous avons conçu un dispositif qui permettait de neutraliser la variable « cours » dans sa durée, son organisation et son contenu. Nous avons dans un premier temps, élaboré un champ lexical structuré autour de la question traitée. Nous nous sommes appuyés sur la démarche proposée par Vancomelbeke (2004). À partir de la question « À quels mots nous fait penser l’expression : « lecture et compréhension littéraire » ? », un ensemble de mots ou de syntagmes ont été recueillis. Nous avons ensuite regroupé ceux qui entretenaient à nos yeux une relation de sens, certains ont été écartés, d’autres ajoutés et enfin nous avons caractérisé en la nommant la relation sémantique qui liait chacun de ces ensembles de mots au syntagme-clé (lecture et compréhension littéraire). Cet outil nous a permis de lister puis de structurer toutes les notions que nous souhaitions aborder dans la séance. Nous avons retenu dix-neuf items.
Figure 1: Items retenus dans le champ lexical structuré sur la « lecture compréhension littéraire »
- 7 Voir le canevas de séance ci-dessous.
10Dans un second temps, nous avons élaboré le canevas de la séance en précisant la durée envisagée pour chacune des phases ainsi que les modalités et les contenus à traiter7.
11La question de recherche portant sur la pratique professionnelle des enseignants, le cadre méthodologique choisi est celui de l’observation écologique par l’observation directe et l’enregistrement des échanges. Nous avons ensuite procédé aux transcriptions et à l’analyse de contenu (Bardin, 1997). Pour l’analyse des interactions, la littérature de recherche s’accorde aujourd’hui à distinguer les échanges relatifs aux contenus d’apprentissage, à la dimension sociale et aux aspects organisationnels ou techniques. Ainsi, Quintin (2008) propose trois catégories pour analyser les modalités d’interventions du tuteur (MIT) à distance :
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MIT socio-affective : Etablir et maintenir un climat relationnel propice au travail de l’équipe ; favoriser la cohésion entre les membres ; soutenir les étudiants dans l’effort ; valoriser le travail individuel et collectif qui est réalisé
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MIT organisationnelle : Soutenir l’organisation du travail collectif au niveau de la répartition des tâches et de leur planification ; rappeler les échéances ; inciter la réflexion sur l’organisation de l’équipe
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MIT pédagogique : Expliciter les objectifs et les critères d’évaluation ; intervenir par étayage sur les contenus ; apporter un soutien méthodologique ; susciter la réflexion métacognitive ; soutenir les conflits sociocognitifs
12De manière proche, Peraya et Dumont (2003) caractérisent les échanges selon trois dimensions :
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La dimension référentielle qui concerne les contenus d’apprentissage
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La dimension relationnelle qui regroupe les actes de sociabilité
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La dimension régulatrice des mécanismes conversationnels
- 8 La grille de Quintin (2008) comporte 34 sous-catégories. Elle permet d’analyser les échanges entre (...)
13Nous avons retenu cette dernière grille, en la subdivisant en quatorze sous-catégories8 susceptibles de permettre l’analyse fine des échanges entre la formatrice et les étudiants en présence et à distance.
Figure 2 : Critères d’analyse des interactions de l’enseignant définis à partir de la grille Peraya et Dumont (2003)
- 9 Ce travail de groupe n’était pas prévu dans le protocole initial.
14Quantitativement, le volume de mots échangés est supérieur d’environ 35% sur une même durée de cours en FAD. On observe un phénomène de densification de la parole. Le flux de parole est continu et les pauses dans le discours moins nombreuses et moins longues, il y a moins d’hésitations. En présentiel, la mise en route effective du cours a été décalée de six minutes, temps nécessaire à l’installation et à la distribution des sujets. À partir de la 45e minute, les bavardages et les bruits parasites (toux, bruits de chaise, recharge d’ordinateur…) ont commencé à être importants nécessitant des pauses, des attentes ; enfin à deux reprises le professeur note des informations au tableau. Le clavardage permet les échanges simultanés, les étudiants s’expriment pendant que le formateur anime son cours sans que cela soit considéré comme du bavardage. Si on retire le clavardage au total de mots échangés, le volume reste supérieur de 16 % en FAD. Ce résultat est toutefois à prendre avec réserve puisque une partie du cours en présence (9 mn) a été consacrée à du travail de groupe9 et n’a donc pu être pris en compte.
Figure 3 : Comparaison du nombre de mots échangés à distance et en présence
- 10 La prise en compte simultanée des messages oraux et écrits des étudiants requiert toutefois une cer (...)
15Trois cent cinquante-deux interventions sont comptabilisées en FAD et quatre-vingt-sept en présence. Ce résultat peut apparaître paradoxal car la représentation qu’un cours en présence favorise et facilite les échanges est très ancrée. Ce résultat doit toutefois être nuancé car les interventions à distance se répartissent entre trois cent vingt-trois interventions en clavardage et vingt-neuf interventions voix. Le clavardage, pendant les classes virtuelles, semble faciliter la participation des étudiants, ce que constatent également Chanier et Vetter (2006). Ces interventions peuvent intervenir en même temps que celles de l’enseignant, les deux canaux se superposant sans se faire concurrence10. L’envoi de messages peut être simultané, plusieurs étudiants pouvant intervenir pour s’exprimer sur le même contenu ce qui n’est pas possible en présence où la parole doit nécessairement s’alterner. L’usage du clavardage semble avoir également une incidence sur le nombre de participants. Vingt étudiants ont pris la parole à distance sur les vingt-deux présents et sept en présentiel pour les seize présents. Une moindre inhibition à intervenir par l’intermédiaire du clavardage peut être envisagée. La répartition des interventions est également différente. En présentiel, les étudiants qui interviennent les premiers sont ceux qui interviennent le plus tout au long de la séance. En FAD, la répartition semble se faire par séquence. L’intervention d’un étudiant dès le début de la séance n’indique pas qu’il interviendra davantage. Le nombre de mots moyens est sensiblement proche avec une moyenne de neuf mots. On observe à la fois des interventions très courtes (1 à 3 mots) ou des prises de parole plus longues (environ 90 mots). En classe virtuelle, le nombre de mots par intervention est souvent proche de la moyenne soit environ neuf mots. Enfin, s’agissant des modalités, comme l’a montré l’analyse des interventions, les étudiants en FAD questionnent plus le formateur, demandent des précisions, des reformulations, des exemples. Une nouvelle fois le clavardage semble expliquer cette différence.
16L’analyse selon les critères retenus (dimension référentielle, relationnelle et régulatrice) montre une plus grande variété d’interactions à distance.
Figure 4 : Analyse des interactions selon la dimension référentielle (fréquence en nombre de mots)
17Premier constat assez inattendu, les interventions uniquement centrées sur le contenu sont plus nombreuses en présentiel, alors que l’on a pu constater que la quantité d’informations échangée était plus importante en FAD. Les éléments structurants et leurs corollaires (glose) étaient nettement plus présents en FAD. Ce résultat s’explique en considérant les deux autres dimensions (relationnelle et régulatrice) ; en FAD les interventions sont plus diversifiées, l’enseignante investit les trois dimensions et propose un discours pédagogique moins monolithique.
18Deuxième constat en formation à distance, les interventions sur « comment on va traiter le contenu qui nous réunit aujourd’hui » sont présentes. L’enseignante apporte des éléments de guidage méthodologique. En présentiel, cette dimension est ignorée, la suppression de la phase de présentation des objectifs l’explique en partie.
19Enfin troisième constat, la modalisation des interventions est plus équilibrée en FAD, l’enseignante sollicite autant qu’elle répond à des questions. La part prise par le formateur dans ces deux séances est très importante (plus de 80 %). Toutefois à distance, les échanges formateur-apprenant sont plus importants en quantité (2300 mots en FAD et 950 en présentiel), l’analyse de contenu confirme ces données quantitatives. Le formateur est plus sollicité par les étudiants en FAD qu’en présentiel, ce qui génère plus d’interactions formateur-apprenants.
Figure 5 : Analyse des interactions selon la dimension relationnelle (fréquence en nombre de mots)
20Cette dimension est significativement plus investie en FAD et sur presque l’ensemble des critères sauf l’humour. L’absence de coprésence physique des participants semble vouloir être compensée par l’introduction dans le discours d’éléments qui doivent contribuer à installer une situation de communication favorable à des échanges de qualité. Les étudiants sont interpellés par leur prénom (les noms des participants sont affichés dans la classe virtuelle ; en présence, le formateur ne connaît pas forcément le nom des étudiants). Lorsque l’enseignante répond à une question, elle implique le groupe en tant qu’interlocuteur dans la réponse. En revanche, la distance ne semble pas propice à introduire des tonalités humoristiques dans le discours. L’absence de communication non-verbale l’explique très certainement. En présentiel, les échanges à tonalité humoristique reposaient sur le contexte (un étudiant qui se mouche très bruyamment) et l’implicite (« On pense qu’ils ont compris » en parlant des élèves d’une classe « et en fait pas du tout » sous-entendu peut-être comme vous). En FAD, le formateur fait preuve d’empathie compréhensive (« Je vous comprends, c’est normal, nous allons essayer ensemble »), ce que l’on ne retrouve pas en présentiel. Les perceptions différentes que le formateur a de la difficulté à conduire sa formation dans l’un et l’autre dispositif peuvent expliquer l’expression de cette empathie. En outre, la classe virtuelle a lieu le soir (après une journée de travail pour beaucoup) ce qui peut accroître sa sollicitude.
Figure 6 : Analyse des interactions selon la dimension régulatrice (fréquence en nombre de mots)
21Comme la dimension relationnelle, la dimension régulatrice est plus représentée à distance. L’environnement technique dans lequel se déroule une classe virtuelle explique ce phénomène. Il est nécessaire de s’assurer que tous les participants entendent la réception d’un feedback. La stabilité de la liaison Internet n’est pas garantie pendant toute la durée, notamment pour les étudiants à l’étranger. Pour cette raison, la classe fut ainsi interrompue à deux reprises. De plus, tous les étudiants n’ont pas la même aisance à utiliser les modalités de communication offertes par le logiciel, notamment la prise de parole. La nécessité d’activer et de désactiver le micro à bon escient afin d’éviter des effets larsen a provoqué des interventions de régulation. En FAD, les interventions de régulation sont essentiellement centrées sur les problèmes techniques. En présentiel, elles relèvent essentiellement de la gestion de groupe. Deux types d’interventions sont observées : les interventions visant à ramener un niveau de silence propice aux échanges et celles visant à organiser le travail de groupe.
22Pour repérer d’éventuels effets sur la pratique de l’enseignant, nous avons comparé les deux séances selon trois axes : le respect des durées et de la chronologie des phases, ainsi que les contenus traités. Pour chacun de ces axes, nous avons mesuré l’écart entre le canevas prescrit et le canevas mis en œuvre dans chacun des dispositifs.
Figure 7 : Comparaison des durées des différentes phases des deux séances (en minutes)
23Dans les deux cas, les séances ont une durée inférieure à deux heures alors que la contrainte temporelle apparaît de façon récurrente dans le discours de l’enseignante : « On n’a pas trop le temps », « Il nous manque du temps », « On n’a pas le temps pour ça », « On est pressé par le temps ». Les décalages entre le canevas prescrit et sa mise en œuvre apparaissent assez tôt dans les séances qu’elles soient menées en présence ou à distance. Les décalages les plus importants, une dizaine de minutes d’écart avec le temps prévu initialement, interviennent dans la présentation des textes du corpus. Les transcriptions des séances montrent qu’ils sont liés à une augmentation des interactions avec les étudiants. Dans les deux cas, l’enseignante donne la priorité aux échanges plutôt qu’au respect du canevas. En revanche, la régulation des décalages s’avère différente. En présence, l’enseignante choisit de ne pas traiter certaines phases. Dès le début de la séance, après une mise en route de six minutes, elle passe directement à l’identification du thème. Ensuite, elle décide de ne pas traiter la coélaboration de la méthodologie de l’introduction, ce qu’elle exprime explicitement : « Ça, on n’aura pas le temps de le faire ». À distance, la régulation se fait par ajustements progressifs tout au long de la séance, sans sacrifier aucune des phases. Pendant le cours à distance, l’enseignante regarde l’heure régulièrement et note le « timing » sur son support de cours.
24L’ordre des phases est respecté dans les deux cas, le canevas n’a pas été réorganisé. En revanche des phases disparaissent en présence : la présentation des objectifs, la méthodologie de l’introduction et la synthèse. Nous l’avons vu précédemment, la méthodologie de l’introduction et la synthèse ont été délibérément écartées pour répondre à des contraintes de temps. Les deux séances commencent de manière radicalement différente. En présence, l’installation du groupe prend près de six minutes, les étudiants arrivent juste à l’heure voire légèrement en retard, l’heure du début du cours n’est pas perçue comme l’heure à laquelle le cours commence du point de vue des activités cognitives, mais l’heure à laquelle on doit être présent physiquement dans les locaux. L’enseignante distribue les documents, les étudiants signent la feuille de présence. La prise en main des documents (un sujet type concours) semble implicitement signifier les objectifs de la séance.
Figure 8 : Lancement des séances en présence et à distance
25Sur la base du canevas de la séance, le contenu de chaque phase a été comparé au contenu effectivement mis en œuvre. La comparaison a porté sur les phases qui ont été mises en œuvre dans les deux dispositifs (identification du thème, analyse du corpus, apports théoriques et élaboration de la séquence). D’une manière générale, sur cet aspect, les contenus sont globalement traités de manière homogène dans les deux dispositifs. Par exemple, dans la partie théorique, l’enseignante illustre les notions d’inférence directe et indirecte en s’appuyant sur les mêmes apports, en l’occurrence les définitions données par Giasson (2008). Ce cas de figure est récurrent. On remarque toutefois une différence qui s’amorce très tôt dans la séance en présentiel et se poursuit jusqu’à sa clôture : la centration sur le support pédagogique destiné aux élèves, en l’occurrence l’extrait de l’album Sa majesté de nulle part de Gérard Moncomble. Dès la phase d’analyse du corpus, l’enseignante passe deux fois plus de temps en présentiel sur ce texte et le même phénomène se produit quand débute la phase d’élaboration de la séquence. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : tout d’abord en présence, l’enseignante avait l’album dans les mains, elle le manipulait, le feuilletait. L’objet exerçait sur le groupe un vif intérêt. Il attendait de pouvoir le manipuler à leur tour. Il apportait à la fois une dimension très concrète et professionnelle, car c’est un support d’apprentissage mais aussi une ouverture vers une certaine forme de rêveries (lectures d’enfance, fascination pour le personnage du chat ou de la sorcière). Consciente de cet intérêt, l’enseignant a cherché l’adhésion du groupe en début de séance en s’appuyant sur l’intérêt pour ce texte. À une seconde reprise, elle utilise l’album de façon stratégique. Après la pause, la formatrice utilise une nouvelle fois l’album pour remobiliser le groupe en le présentant page par page. Cet échange fera l’objet d’une séquence digressive sur les superstitions autour du chat. Les différences de traitement des contenus entre le présentiel et la FAD pour ce corpus repose essentiellement sur l’utilisation de l’objet livre en présence. Cet aspect n’a pas été neutralisé dans le protocole et il introduit un biais dans la comparaison.
26Sinon, les occurrences directement liées au contenu du cours sur la base des éléments structurants identifiés dans le champ lexical (voir ci-dessus) sont prononcées de manière plus systématique dans la classe virtuelle, en moyenne deux fois plus, soient cent cinquante-neuf occurrences à distance pour les dix-neuf items retenus et soixante-huit occurrences en présence. L’ensemble des notions est plus souvent évoqué à distance, sauf pour le rappel qui a fait l’objet d’une question en présence : « Qu’est-ce que c’est exactement le rappel ? » et a nécessité une reformulation de la part du formateur. Quatre éléments structurants ne sont pas évoqués en présence (coopération du lecteur, compréhension fine, textes résistants, compréhension en îlots) et deux en FAD (compréhension fine et résumé). Quatre éléments structurants sont surreprésentés en FAD (questionnaire, inférences, interprétation, implicite).
27L’élaboration et l’animation d’un cours à distance invitent l’enseignant à plus de rigueur et de précision (Ferone, 2012), nos analyses montrent que ce principe s’applique en particulier lors d’un enseignement en classe virtuelle. Ce constat nous amène à nous interroger sur le bénéfice qu’en retirent les étudiants. Enseigner en classe virtuelle a-t-il des effets sur les apprentissages ?
28De nombreux travaux, en particulier ceux de Carré (2010), Cosnefroy (2010) et Jézégou (2012), nous invitent à prendre en considération les caractéristiques de l’apprenant et de l’environnement d’apprentissage pour statuer sur l’efficacité potentielle de tout dispositif technologique. Ces travaux mettent en évidence des configurations plus ou moins favorables aux apprentissages en fonction du niveau d’autonomie de l’apprenant et du contrôle pédagogique plus ou moins fort exercé par le dispositif pédagogique.
29Jézégou (2010) développe le concept d’auto-direction qui s’appuie sur un double ressort : la motivation et l’autorégulation. La motivation se construit à travers la perception que l’apprenant a de lui-même au regard de son projet d’apprentissage (Pourquoi je m’engage dans cette formation ? Dans quels buts ? Suis-je capable de la mener à son terme ? Quelles sont mes chances de réussite ? Quelles sont mes marges de manœuvre, mes espaces de négociation ? Quels bénéfices puis-je en espérer ?, etc.). C’est dans les réponses à ces questions que les ressorts motivationnels s’élaborent. La seconde dimension du contrôle psychologique est l’autorégulation. L’apprenant met en place des stratégies pour surveiller, contrôler et évaluer ses apprentissages. Ces stratégies d’autorégulation interviennent à trois niveaux. Elles peuvent agir sur l’état socioaffectif de l’apprenant, sur ses comportements ou enfin sur son environnement de travail.
30L’apprenant exerce un contrôle psychologique sur la formation, mais la structure du dispositif de formation exerce elle aussi un contrôle qualifié de pédagogique ou structurel. Jézégou (2008) pointe le fait que peu de recherches s’attachent à cette dimension de l’apprentissage autodirigé. Elle montre dans un premier temps que le contrôle pédagogique varie en fonction du degré de liberté de choix d’un dispositif. Puis dans un second temps, du lien qui existe entre contrôle psychologique et contrôle pédagogique. L’interaction entre ces deux formes de contrôle fait émerger des configurations plus ou moins favorables au développement de l’auto-direction de l’apprenant.
Figure 9 : Relation entre contrôle pédagogique et contrôle pédagogique selon Jézégou (2008)
- 11 Pour Moore (1993), les distances spatiale et temporelle ne sont pas opérationnelles pour mesurer la (...)
31Les situations 2 et 3 sont les situations les plus favorables au développement et au maintien de l’auto-direction de l’apprenant. La situation 1 peut mener à l’abandon de la formation si des relais d’accompagnement ne sont pas mis en place. Ces relais peuvent s’appuyer sur du tutorat, des blogs ou des forums. Ces dispositifs vont permettre d’augmenter la présence sociale et de réduire la distance transactionnelle11. La situation 4 peut générer des situations conflictuelles, les contraintes imposées par la formation ne vont pas correspondre aux besoins et à l’organisation personnelle de l’apprenant. L’apprenant peut alors développer des stratégies d’ajustement ou de compensation en dehors du cadre de la formation afin de retrouver l’espace de liberté nécessaire à son projet.
32Les travaux sur l’auto-direction soulignent ainsi que les apports varient selon le profil des étudiants et qu’il existe des configurations plus ou moins bénéfiques en fonction du degré de contrôle opéré par l’enseignant en relation avec le niveau d’autonomie des étudiants. Nos données ne nous permettent pas d’établir une corrélation directe entre les changements de pratique observés et les apprentissages des étudiants. En effet, nous avons évalué les connaissances des étudiants par rapport à l’objectif visé avant et après la séance, mais, outre le fait qu’il nous manque un certain nombre d’évaluations, nous ne disposons d’aucune donnée fiable sur le degré d’autonomie des étudiants. Ainsi, nous devons nous appuyer sur ces travaux de recherche pour inférer d’éventuels effets sur les apprentissages et émettre l’hypothèse que, puisque l’animation d’une classe virtuelle contraint l’enseignant à un cadrage plus rigoureux, cet effort de structuration et d’explicitation devrait bénéficier en priorité aux étudiants les moins autodirigés (situation 3).
- 12 Dans le contexte de classe, les travaux américains et français sur les interactions maîtres-élèves (...)
33L’amélioration des performances des réseaux et la généralisation de nouveaux outils favorisent le développement des classes virtuelles en formation à distance. L’intérêt des chercheurs s’accroît mais les recherches sur l’efficacité de ces classes en termes d’apprentissage restent peu nombreuses et les résultats s’avèrent contradictoires. L’ESPE de Créteil propose aux étudiants souhaitant devenir professeur des écoles, des formations totalement à distance. Dans ces formations, les formateurs utilisent régulièrement des classes virtuelles. Le bilan de cette utilisation se montre lui aussi contrasté et source de tensions (Ferone, 2012). Les enseignants reconnaissent l’intérêt de cette modalité de formation pour favoriser la relation avec leurs étudiants, mais ils évoquent aussi de nombreuses contraintes. Elles sont liées à l’animation du groupe (en l’absence d’indices visuels, il est plus difficile de « sentir » et d’interagir avec le groupe), à la charge de travail, qui nécessite pour beaucoup d’enseignants, une préparation plus importante que pour un cours en présence, et aux obligations horaires (les classes se déroulent uniquement le soir). Concernant les apprentissages des étudiants, la perception des enseignants est également contrastée. C’est en particulier pour comprendre si la classe virtuelle peut être efficace en termes d’apprentissage que nous avons mené cette étude et cette comparaison entre le même cours mené en présence et à distance, encouragé en cela par Macedo-Rouet (2009). Des limites méthodologiques sont à prendre en compte et relativisent nos résultats. La première concerne bien sûr la taille de l’échantillon étudié. Il aurait fallu pouvoir comparer un ensemble de cours suffisamment important pour pouvoir donner à nos résultats une dimension plus générale. Nous ne disposons pas, en outre, d’informations précises sur le profil des deux groupes d’étudiants. Ces informations constituent, en effet, un paramètre au moins aussi important que la modalité de communication, pour expliquer la différence de participation et d’implication des étudiants dans le cours. Enfin, le cours étudié est particulièrement centré sur le formateur qui monopolise l’essentiel de la parole. Il est difficile de savoir à quel point ce type de pédagogie est représentatif du fonctionnement habituel des formateurs des ESPE12. On peut toutefois penser que, compte tenu des modalités du concours « professeurs des écoles » et de validation des différentes unités des masters préparant à ce concours, principalement centrées sur les connaissances et la réussite personnelle, l’aspect transmissif dans la formation initiale des enseignants français est encore très prégnant.
- 13 Il est à noter qu’en présence, la formatrice a mis en place un travail de groupe qui n’était pas pr (...)
34Malgré ces importantes réserves, nous pouvons toutefois avancer que l’utilisation d’une classe virtuelle influence les pratiques de l’enseignant. La classe virtuelle a pour conséquence de renforcer le caractère transmissif du cours13. L’enseignant cadre plus strictement ses interventions, respecte de manière plus étroite le canevas d’apprentissage fixé, notamment les différentes phases et le temps consacré à ces phases. L’enseignant reste, en outre, plus centré sur les contenus qu’en présentiel où les digressions sont plus fréquentes. Cela ne l’empêche pas de rester attentif à la dimension relationnelle (Ferone, 2011). Nous n’avons pu recueillir les données nécessaires pour valider notre deuxième hypothèse et vérifier que ce cadrage plus strict bénéficie surtout aux étudiants les moins autonomes, ceux qui ont besoin d’un enseignement explicite et d’un étayage plus soutenu. Mais nous pouvons nous appuyer sur les résultats de recherche pour le supposer (voir les travaux de Jézégou [2008], ou, dans un contexte différent ceux du groupe RESEIDA, ceux de Rochex & Crinon, 2011). Les étudiants, dans des questionnaires relatifs à l’utilisation des classes virtuelles, ont souligné deux autres aspects qui plaident en faveur de l’utilisation des classes virtuelles en formation à distance. Le premier est lié à la structuration du temps. Les étudiants, même les plus en réussite, sollicitent ces rendez-vous fixes qui donnent des repères temporels et structurent le rythme de travail. Ils considèrent également que leur participation régulière dans ces classes renforce l’identité du groupe. Être présent simultanément dans un même cours, même à distance, semble renforcer les liens entre les apprenants. Dans nos prochains travaux, pour vérifier et approfondir ces résultats, nous envisageons d’une part, de tester différentes configurations de classe virtuelle afin de comparer l’effet d’un contrôle pédagogique fort et faible sur les résultats d’étudiants plus ou moins autodirigés et d’autre part, de mesurer s’il y un effet « classes virtuelles » sur l’identité du groupe et sur la communication entre étudiants. Les échanges entre étudiants sont-ils plus denses avant et après les classes virtuelles dans les espaces prévus à cet effet ?