1Notre objectif est de répondre à l’invitation à contribuer au débat lancé par Claire Peltier (Peltier, 2024) sur le cours magistral (CM) contemporain en nous appuyant sur l’article « D’une magistralité à l’autre. Remédiation de l’ethos professoral par le dispositif du MOOC » (Aïm et Depoux, 2015). Nous envisageons d’explorer la question de la transférabilité des propositions de cet article concernant les changements communicationnels entre enseignants et étudiants induits par l’arrivée des MOOC à aujourd’hui. Nous nous positionnerons, d’une part, d’un point de vue écosystémique (Bronfenbrenner, 1979) et, d’autre part, en mobilisant une analyse longitudinale du CM à partir de la notion de trajectoire (Bretesché, 2021). Ainsi, notre objectif est de mettre en lumière des éléments de réflexion durables sur certaines variables qui ont évolué sur cette période 2015-2024, comme le rôle des acteurs et la place du CM dans le paysage universitaire actuel.
2Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur le contexte global de l’enseignement supérieur. Celui-ci est-il le même en 2024 qu’en 2015 ? Nous proposons d’initier cette démarche en adoptant un point de vue pluridisciplinaire et systémique en débutant par un regard actuel sur l’enseignement supérieur français. Nous discuterons ensuite de la forme du CM qui, pour nos auteurs, met en regard « deux catégories communicationnelles que sont la « magistralité » et l’« accès » (Ibid., p. 13) ». Pour les deux auteurs, la magistralité évoque une vision centrée sur le contrôle et la surveillance, représentative d’une approche traditionnelle de l’enseignement où l’enseignant détient le savoir et le transmet de manière unidirectionnelle, sans réelle interaction avec les apprenants, tandis que l’accès suggère un changement vers une approche plus collaborative et inclusive, en direction des étudiants. De notre point de vue, la magistralité concerne davantage la pratique enseignante alors que l’accès concernerait l’apprentissage des étudiants, la manière dont ils accèdent à la connaissance. L’une comme l’autre, intimement liée au sein d’un dispositif selon Foucault (1975), lequel est inscrit dans une relation de pouvoir par les discours (le dit autant que le non-dit) qui évoluent dans le temps comme dans l’espace. Ainsi, la posture de magistralité de l’enseignant et l’accès à la connaissance par les étudiants seront aussi abordés dans cette discussion au sujet de la médiation, de la médiatisation (Peraya, 1999) et des formes d’interactivités du CM.
3Comme les auteurs de l’article de 2015, nous nous posons des questions suivantes : « dans quelle mesure la magistralité est-elle « remédiée » ? » (Aïm et Depoux, 2015, p. 4) et en quoi les CM améliorent l’accès à la connaissance des étudiants ? Enfin, une autre question est abordée : comment le CM est-il encore aujourd’hui l’expression d’un dispositif au sens de Foucault (1975) ? Pour finir, nous proposerons, en guise de conclusion, d’élargir le débat à l’éventuelle nécessité d’une nouvelle forme de CM.
4Dans nos travaux de recherche sur le numérique universitaire (Mocquet, 2020), nous avons pris pour habitude de construire une méthodologie d’analyse de l’enseignement supérieur en utilisant un modèle écosystémique représenté sur la figure ci-dessous. Au niveau macro, nous retrouvons les valeurs, l’histoire et les cultures associées au contexte. Le niveau exosystémique porte les besoins de la Société, la réglementation, les politiques publiques, etc. Pour le niveau méso, nous retrouvons l’organisation de ce service public, au plus près de l’usager ou bien concernée par la mise en place des technologies numériques. Au niveau du microsystème, se situent les usages des personnes concernées par les technologies numériques ainsi que les pratiques associées des membres du service public, ici les enseignants et enseignants-chercheurs, les étudiants.
Figure 1. Interprétation graphique du modèle écologique du numérique universitaire
Mocquet (2020) à partir de Bronfenbrenner (1979)
5Une des trois caractéristiques de la forme universitaire est « un enseignement articulé principalement autour des cours magistraux » (Fouilland, 2023, p. 4). Les deux autres, pour cet auteur, étant des enseignants à la fois diffuseurs et producteurs de savoirs et une organisation disciplinaire des savoirs et des carrières. Cette première caractéristique est ancrée historiquement dans nos modes de fonctionnement, au point qu’elle est analysée comme objet d’histoire (Bruter, 2008). Elle apparait renforcée d’autant plus que le CM en amphithéâtre est perçu comme une réponse aux contraintes budgétaires et à la massification de l’enseignement supérieur (Westerlund, 2008). Si le CM répond à des traditions historiques, des habitudes de fonctionnement, des contraintes organisationnelles des établissements (une corrélation entre la réduction du nombre de titulaires et l’augmentation du nombre d’étudiants), d’un point de vue pédagogique (le niveau microscopique, en lien avec les étudiants et les enseignants/enseignants-chercheurs) il est possible qu’il change. Pour nous, le CM est l’un des éléments constituant les valeurs de l’enseignement supérieur. Ce statut institutionnel que les auteurs ont porté au rang de « dispositif de la magistralité » (Aïm et Depoux, 2015, p. 13) a-t-il évolué depuis 2015 ?
- 1 Loi no 2018-166 du 8 mars 2018 (ORE) et Loi no 2020-1674 du 24 décembre 2020 (PEPR) disponibles sur (...)
6En France, au niveau exosystémique – nous parlons ici du cadre réglementaire de l’enseignement supérieur français – le contexte a changé depuis 2015, notamment avec deux nouvelles lois1. L’une d’entre elles concerne plus directement notre sujet : la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE). Elle a pour but d’assister chaque étudiant dans son parcours vers la réussite académique. Dans cette perspective, elle cherche à garantir une meilleure compréhension des programmes d’études et à élargir les possibilités répondant aux besoins des étudiants de premier cycle. En conséquence, les organisations universitaires sont incitées à penser davantage leur offre de formation dans une logique student-centry approach (Rajaram, 2021). Cette logique renforce le besoin d’accès aux études par l’étudiant avec une révolution d’approche : ce n’est plus aux étudiants de s’adapter au dispositif pédagogique, mais bien au dispositif de s’adapter aux différents types d’étudiants en vue de favoriser leur réussite.
7Les universités sont aussi devenues plus autonomes en France et le seront plus encore dès à présent conformément à la déclaration du président de la République française conduisant « dans un délai de 18 mois, à l’ouverture de la phase 2 de l’autonomie des universités françaises et à une avancée vers une autonomie réelle » accompagnée d’une réforme de la gouvernance (Rigot, 2023). Cette autonomie provoque une « évolution statutaire (…) en outre porteuse d’une transformation des pratiques de management, en ce qu’elle renforce la nécessité de pilotage des universités et oblige dès lors à instituer ou développer des dispositifs dédiés » (Raimbault, 2021, p. 120). L’allocation des ressources pour la pédagogie est également concernée par cette évolution. Tout ceci est, de surcroît, balisé dans une logique de réduction du budget 2024, de l’ordre de 100 millions d’euros pour les établissements supérieurs sur le budget voté en 20232 et de baisse minime du nombre d’étudiants (-1,5 %) en 2022 (MESRI, 2023).
8Au niveau meso, l’opérationnalisation de l’offre de formation, dans ce contexte de renforcement de l’autonomie, pousse les établissements à être davantage en compétition, en ce qui concerne les formations qu’ils délivrent. Il est fréquent de constater cette compétition entre différentes filières d’études dans une même région géographique. Elle est souvent exacerbée par des systèmes d’orientation qui impliquent la sélection des choix des étudiants à travers des plateformes nationales telles que Parcoursup, pour l’accès à la première année de Licence, ou TrouveMonMaster, pour l’accès à la première année de Master. Cette évolution introduit de nouvelles régulations entre les établissements, qui sont incités à se profiler individuellement à travers des contrats d’objectifs et de moyens pluriannuels (COMP) (Cordonnier, 2023). Plus que jamais, il y a une intensification de la compétition (François et Musselin, 2022).
9Tout ceci pousserait ainsi les établissements et leurs équipes dirigeantes à une recherche d’amélioration de l’offre de formation en se souciant d’une compétition avec les autres établissements, d’un maintien du budget consacré, voire une réduction de celui-ci, et de l’attrait, en termes d’image de marque (Mocquet, 2020) qu’elles auraient pour les étudiants. La modalité d’apprentissage devient ainsi un des éléments stratégiques de l’établissement.
10Nous comprenons bien ici ce que sous-tend la forme du CM en termes d’enjeu et de stratégie, qui dépasse l’espace-temps de la relation formés/formateurs (les acteurs) que nous aborderons au niveau micro, l’environnement technopédagogique immédiat de l’étudiant et de l’enseignant ou de l’enseignant-chercheur.
11Les éléments évalués et décrits dans les rapports de chaque établissement dans une logique d’assurance qualité (Cosnard, 2020) reposent sur le Référentiel d’évaluation des formations du 1er et du 2e cycle (HCERES, 2023). Nous trouvons quatre références (de la 5e à la 8e) du domaine « L’organisation pédagogique de la formation » qui délimitent le domaine d’application qui nous intéresse, le CM comme une des méthodes ou modalités pédagogiques :
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La Référence 5 (« La formation met en œuvre les méthodes pédagogiques adaptées aux compétences visées »), notamment le critère C1 (« La formation définit et met en œuvre ses objectifs, ses contenus, ses méthodes pédagogiques et ses méthodes d’évaluation des acquis des étudiants, dans une approche favorisant l’alignement pédagogique. Elle appuie sa démarche sur une approche programme et sur une approche par compétences ») ;
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Tous les critères de la référence 6 (« La formation développe et diversifie ses pratiques pédagogiques »).
12L’offre de formation devient ainsi un livrable qui focalise toutes les attentions des acteurs : étudiants, stagiaires, enseignants, enseignants-chercheurs, personnels de support à la Formation et vie de l’étudiant, équipes dirigeantes en interne et en externe, le Ministère, le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).
13En conséquence, le CM impacte aujourd’hui (indirectement) l’évaluation globale de l’établissement, et joue un rôle qui va au-delà de la forme technopédagogique. C’est un élément peu abordé dans l’article en débat, qu’il nous parait indispensable de prendre en compte aujourd’hui.
14En focalisant d’un point de vue micro sur la forme universitaire, nous trouvons un autre cadre qu’il nous parait intéressant de mobiliser. Il s’agit de quatre sous caractéristiques, l’espace, le temps, les règles et rapports sociaux et enfin le rapport au savoir (Peltier, Peraya, Bonfils et Heiser, 2022). Les dimensions espace et temps (sphère close et séparée et synchronie) semblent être plus malléables, toujours selon ses auteurs, car « La plupart des actions mises en œuvre en vue d’un changement paradigmatique portent surtout sur ces deux dimensions et plus rarement sur les autres d’entre elles » (Ibid., p. 448). Une certaine malléabilité apparaitrait sur le CM, qui autoriserait pour nous une possibilité d’évolution de forme.
15Pour reprendre l’article en débat, nous focalisons notre attention sur les acteurs et le CM, « une fois la porte de l’amphi fermée », notre sphère close en quelque sorte. Nous focalisons ainsi davantage sur l’environnement technopédagogique reposant sur des formes complexes de médiatisation et de médiation (Meunier et Peraya, 1993 et 2004). C’est ainsi que nous proposons une analyse du CM en examinant d’abord sa médiation, au sens de médiation humaine (Peraya, 1999) et sa médiatisation, puis les formes d’interactivité, en discutant :
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la magistralité définie par Aïm et Depoux (2015, p. 13) comme « une tension entre la relation présentielle et la distance de la massivité d’un support d’enseignement pensé comme le plus linéarisé qui puisse être : « suivre » un cours en continu pendant plusieurs heures selon une attitude de réception recueillie et patiente » ;
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et l’accès, que nous envisageons comme relevant de l’accès pour les étudiants aux savoirs contenus dans le CM.
16Traditionnellement le CM établissait un cadre formel d’apprentissage, avec un horaire fixe et un programme prédéfini, ce qui permettait aux étudiants de mieux organiser leur temps d’apprentissage et de se familiariser avec les principaux concepts du cours. Il met en lumière les défis de communication et les obstacles à l’apprentissage des étudiants, tout en explorant les différentes stratégies pour favoriser une meilleure interaction entre enseignants et étudiants afin de réduire la magistralité. Sans effort de communication réciproque entre les acteurs en jeu, nous pensons qu’il est source d’échec, d’abandon, en renforçant les inégalités statutaires ou cognitives.
17Les aspirations post-Covid des étudiants pour une plus grande flexibilité dans leur apprentissage (Marescot, Leleu-Merviel et Bougenies, 2022) bousculent ces règles traditionnelles, notamment l’accès à la connaissance. Il faut reconnaitre que la modalité magistrale a souffert durant la pandémie (Kneubühler, 2023) et qu’en sortie de Covid les dispositifs de formation ont été changés :
L’adoption forcée d’une nouvelle forme d’ingénierie pédagogique a modifié les rythmes, les formes de médiatisation et de médiation, et par-dessus tous les modes de communication entre les acteurs en amplifiant et en fractionnant les échanges au quotidien (Bonfils, 2020, p. 8).
18Le Covid, à mi-parcours entre 2015 et aujourd’hui, a permis d’interroger autant la magistralité que l’accès à la connaissance. Pour autant, il est des disciplines (en médecine par exemple) où une grande majorité des étudiants interrogés (Kharbach, Issaui, Retal et Khallouk, 2020) estime que le CM conserve une importance primordiale dans leur formation initiale. Il est sans doute délicat de considérer cette vision des choses comme étant commune à l’ensemble des disciplines. L’absence d’études à ce sujet nous invite à une certaine prudence à cet égard.
19La période Covid nous a aussi enseigné que « le défaut de socialisation inscrit les étudiants dans une dimension pathologique qui induit un défaut d’intégration » (Geuring et Masy, 2022, p. 295), ce qui donne une autre dimension, ici d’interaction humaine, au CM. Abordées par Aïm et Depoux sous la forme de la « typologie de relations » (p. 9), ces interactions sont les meilleurs prédicteurs des formes d’engagement de l’étudiant (pensée, émotion et comportement) (Duguet, 2024) mais aussi une cause de désertion des amphithéâtres (Paquelin, 2024). Il y a ainsi une forme de socialisation des étudiants qu’il conviendrait de maintenir pour renforcer l’accès à la connaissance, sous-entendu l’accès des étudiants à leurs études. Cette socialisation est confirmée pour ces enseignants de droit pour qui « Le contact humain, la présence des uns et des autres, quelle que soit la taille de l’amphithéâtre, est irremplaçable. Il y a échange. » (Gautier et Pimont, 2022, p. 81) et semble indissociable de cette forme pédagogique.
20La médiatisation du CM a évolué depuis 2015 en proposant des replays dans certaines universités. Lorsque ces programmes de rediffusion du CM en amphithéâtre sur une plateforme pédagogique sont utilisés de manière à supplémenter le cours en présence, l’apprentissage est plus rapide et facilite l’accès à la connaissance (Wittkuhn, Chien, Hall-McMaster et Schuck, 2021). Ce replay est davantage apprécié par les étudiants s’ils peuvent parcourir rapidement les fichiers, naviguer parmi les chapitres et créer leur propre parcours d’apprentissage à travers la séance enregistrée (Pennarola et Caporarello, 2013). Ici l’accès a pour effet de « déformer » la magistralité en agissant sur la linéarité initiale du CM rendu malléable d’un point de vue temporel par les technologies numériques.
21Sur la forme, convenons que les éléments rapportés ici convergent vers un meilleur accès pour l’étudiant, devenu alors prioritaire dans l’acte de communication, avec un renforcement des interactions entre les parties prenantes, qui contribuent à une meilleure socialisation des étudiants indispensable à l’expérience universitaire. Son évolution vers des supports de rediffusion numérique personnalisable en lecture permet une révision flexible et personnalisée. Sur ce dernier point, c’est la magistralité qui se retrouve modifiée, au profit d’un meilleur accès.
22Traditionnellement, le comportement des acteurs engagés dans les CM se traduit, pour les enseignants, par une position très hiérarchique et une forme d’expression unilatérale devant un public nombreux censé écouter et (peu) réagir durant toute la durée de la séance. Cette modalité, très descendante en termes de communication, est-elle en train d’évoluer ?
23Face à ces défis énoncés, un souhait d’améliorer l’accès à la connaissance aux étudiants apparait et des enseignants optent pour des prises d’initiative changeantes avec davantage d’interactions sociales, des pédagogies plus actives. Ils favorisent l’approche socio-constructiviste, qui est pour nous l’approche la mieux adaptée pour répondre au besoin des étudiants d’aujourd’hui, car il renforce la participation et investit les étudiants dans leur apprentissage. La partie qui suit examine les implications de cette perspective sur les pratiques pédagogiques des enseignants dans le CM en réalisant un état de l’art non exhaustif sur les retours d‘expériences de mise en place de CM en pédagogie active depuis 2020.
24Toujours selon Kharbach, Issaui, Retal et Khalloukn (2020), il est devenu impératif que le CM traditionnel évolue vers une forme plus active et interactive, en intégrant une variété de méthodes pédagogiques telles que les échanges de questions-réponses et les mécanismes de vote. En droit, pour ces enseignants-chercheurs, ces échanges sont possibles, souvent à la condition de respecter les propos de l’enseignant : « Il est vrai que dans le cours magistral il existe peu de contradiction, même si on peut inviter les étudiants à manifester leur désaccord » (Gautier et Pimont, 2022, p. 81). En sciences de la vie, une équipe d’enseignants de premier cycle met en place un dispositif pédagogique hybride, sous la forme de classes inversées, reposant sur l’alternance de phases d’assimilation à distance et de mises en application en présentiel. Ces enseignants ont mesuré « une adhésion très forte (…) [des étudiants] à la démarche, une motivation accrue à travailler et un sentiment de progression méthodologique. » (Agnès, Leduc et Locker, 2023).
25Le CM ne se cantonne pas ainsi à une pédagogie de la transmission traditionnelle en présentiel synchrone. Il peut aussi évoluer en présentiel enrichi, « une situation de formation dans laquelle il y a un usage de supports multimédias en présence des apprenants » (Ulmann, Rodriguez, Betton, Caro et Balas, 2023, p. 12) ou en présentiel amélioré « des situations d’enseignement ou de formation réalisées en amont et/ou en aval à distance en lien avec le présentiel » (Leblanc et Roublot, 2007). Des dispositifs de classe inversée récents en pharmacotoxicologie clinique (Grenet et al., 2021), en classe préparatoire (Bosco et Virey, 2023) confirment l’intérêt des étudiants pour cette inversion d’interactions.
26In situ, dans l’amphithéâtre, de nouvelles modalités d’actions pédagogiques de l’enseignant sont envisageables pour accroitre l’activité de l’étudiant. Il s’agit de ponctuer d’exercices, de travaux collectifs, sur un temps donné et permettre ainsi une mise en action des étudiants (Duguet, 2014). Au-delà de la participation, c’est bien la dynamique motivationnelle qui est renforcée par un apprentissage actif, notamment « la perception du sentiment de contrôlabilité (niveau de contrôle exercé sur son propre apprentissage) » (Viau, 2006, p. 3).
27Pour faire réagir de grands groupes d’étudiants, l’apport des technologies numériques est aussi une évolution souhaitée par les étudiants (Kharbach, Issaui, Retal et Khallouk, 2020). Cet apport développe des interactions et des interactivités (Mocquet, 2018), crée de l’engagement (Plump et LaRosa, 2017), augmente la participation de l’étudiant et améliore leurs notes académiques (Martín-Sómer, Casado et Gómez-Pozuelo, 2024).
28Certains chercheurs (Agnès, Leduc et Locker, 2023) reconnaissent que « Côté enseignants, le changement peut aussi brusquer ». En effet, l’apprentissage actif « a pour corrélat un changement de posture de l’étudiant comme de l’enseignant, le premier devenant acteur de son propre apprentissage et le second un guide essentiel à sa progression, plus qu’un passeur de savoir (Agnès, Leduc et Locker, 2023, p. 2). Une phase de transition et d’accompagnement nous parait indispensable pour les acteurs, mais encore faut-il lui trouver une forme. Si l’article dont nous débattons s’intéressait à la nouvelle forme de magistralité avec l’émergence des MOOC, il s’agit bien de toujours aujourd’hui de « réinventer le modèle du cours, en l’occurrence dans l’enseignement supérieur » (Aïm et Depoux, 2015, p. 3) : il y a bien une constance ici.
29Deux rapports de force ont émergé depuis 2015, qui guident, de notre point de vue, une transformation du CM, tant sur l’accès à la connaissance que sur la magistralité.
30Le premier concerne le dispositif pédagogique relevant, selon Aïm et Depoux (2015) d’une inspiration foucaldienne. Nous avons démontré que l’exigence stratégique qui pèse sur le contexte universitaire en 2024 repose sur un dispositif institutionnel d’aide à la réussite à l’université. Le dispositif pédagogique actuel est toujours d’inspiration foucaldienne (et peut-être encore plus), et c’est un nouveau rapport de force entre acteurs qui s’ajoute et qui dépasse la sphère close de l’amphithéâtre.
31Le second est issu de la période Covid. Cette période a créé de nouvelles règles du jeu qui sont apparues au sein même des séances de CM, le plus souvent de manière imposée et souvent improvisée avec pour objectif la résolution de la crise sur un fond de continuité pédagogique. Ces « règles du jeu » sont « à la fois contrainte et ressource pour les participants, et un processus de construction-modification-recréation de ces règles » (Friedberg, 2009). La crise a justifié l’imposition, sans accord préalable des parties prenantes, de l’utilisation de technologies numériques pour les enseignants et les étudiants lors des cours magistraux (sous forme de rediffusion ou de modalités comodales la plupart du temps). Le modèle (descendant) de transmissions de l’information trouve ainsi ses limites et il nous parait raisonnable qu’il évolue vers davantage de communication où toutes les parties prenantes échangent des informations.
32Nous estimons qu’il est désormais temps d’engager un dialogue négocié, implicitement ou explicitement, basé sur une interdépendance mutuelle enseignants/étudiants. En ce sens, nous partageons ce ressenti avec Didier Paquelin (2024) qu’il faut reconcevoir le CM en invitant en amont les étudiants et les enseignants à dialoguer autour de « temps spécifiques d’ajustements et d’accordage entre les acteurs de la relation pédagogique » (Paquelin, 2024, p. 6). Cette négociation ne peut être envisagée que dans une réciprocité qui se manifeste à travers des règles du jeu, comme l’a initié la théorie socioconstructiviste de l’apprentissage (Vygotsky, 1978). Cette démarche pourrait prendre la forme d’une négociation didactique, définie comme « ce processus qui coordonne conjointement l’activité cognitive de l’apprenant et l’activité de médiation de l’enseignant » (Tindo, 2021).
33Il reste à déterminer le dispositif organisationnel le plus approprié afin de faciliter cette négociation, en se demandant s’il convient de la mettre en œuvre à un niveau micro (comme au sein des travaux dirigés ou pratiques, ou pour l’ensemble des étudiants inscrits à une matière ou à une unité d’enseignement), à un niveau méso (au niveau d’une formation complète menant à un diplôme, ou au niveau d’un département ou d’une composante), ou bien à un autre niveau méso pour l’ensemble de l’université. Nous excluons volontairement une injonction à faire cette négociation au niveau exo, par réglementation par exemple, qui ne nous semble pas productif aux échanges entre acteurs. Il restera après à évaluer (Bédard, 2022) au cas par cas ce qui fonctionne et qui ne fonctionne pas. Des débats-discussions approfondis sont à prévoir à cet égard, et certains établissements débutent cette négociation dès 2022-2023 en invitant les étudiants à leur journée pédagogique (Université Gustave Eiffel, 2023).
34La forme traditionnelle du cours magistral, ancrée dans l’histoire et motivée par des contraintes budgétaires et la massification de l’enseignement supérieur, a subi des pressions de transformation en raison de l’arrivée des MOOC en 2015. En 2024, c’est la combinaison d’un autre élément exogène (suite de la crise Covid, qui a interrogé la médiatisation, la médiation et les formes d’interactivités) et un mouvement endogène (créations de dispositifs de formation student-centered soutenus par le réglementaire, la loi pour la réussite étudiante) qui renforce implicitement un renouveau du CM.
35Les aspirations post-Covid des étudiants se tournent vers une plus grande flexibilité dans leur apprentissage. De nouveau, les propos « réinventer le modèle du cours, en l’occurrence dans l’enseignement supérieur » (Aïm et Depoux, 2015, p. 3) sont d’actualité : il s’agit bien d’un dispositif au sens de Foucault, la magistralité de l’enseignant est toujours un élément indissociable, même si elle perd de sa « hauteur » en autorisant des moments d’interactions par l’intervention d’animations mobilisant des technologies numériques, ou de collaboration, de discussion entre pairs durant le CM, dans une logique d’amélioration de l’accès à la connaissance.
36La place du CM dans la stratégie d’un établissement est un aussi facteur nouveau, qui impacte au moins implicitement les acteurs. Il ajoute une dimension stratégique à la complexité mise en jeu dans le CM, qui nécessite une transformation de la médiatisation, de la médiation et des formes d’interactivités dans une logique d’amélioration de l’accès, qui devient student-centered. Cette évolution, marquée par l’adoption forcée de nouvelles pratiques pédagogiques et la reconnaissance de l’importance primordiale du CM dans la formation initiale par les étudiants, soulève des questions cruciales sur la manière dont le CM peut s’adapter aux besoins contemporains.
37Examiner la trajectoire de transformation du CM entre 2015 et aujourd’hui, nous a permis d’offrir une perspective sur la dynamique entre les changements à court terme et la construction à plus long terme des cultures professionnelles. La transformation vers des approches pédagogiques plus actives et interactives, ainsi que l’intégration de technologies numériques pour enrichir l’expérience d’apprentissage, constituent des pistes prometteuses pour favoriser les échanges entre acteurs. Cependant, une transition est nécessaire, et nécessite une réflexion approfondie sur la manière de concilier les exigences de la nouvelle forme de CM avec les pratiques établies et les contraintes institutionnelles.
38Dans cette optique, une approche de négociation didactique émerge pour nous comme un cadre conceptuel pertinent, offrant la possibilité de coordonner conjointement les activités cognitives des apprenants et la médiation des enseignants pour favoriser une meilleure adaptation du CM aux besoins actuels. Les prochaines étapes consisteront à explorer les dispositifs pédagogiques les plus appropriés pour faciliter cette transition, en tenant compte des différents niveaux d’intervention, du micro au méso, et à engager des débats-discussions approfondis pour orienter l’évolution future du CM et de l’enseignement supérieur dans son ensemble.