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I. Articoli
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Histoire environnementale, violence épistémique et contre-récit subalterne. Sur la controverse entourant la chasse au phoque au Canada

Julien Hocine e Oumar Kane

Abstract

Questo articolo indaga la controversia riguardo la caccia alle foche in Canada e le campagne mediatiche “anti-caccia” che si sono susseguite dagli anni Sessanta. La ricerca mette in discussione il quadro di riferimento della storia ambientale, ricollegando la nozione di subalterno al rinnovamento della critica postcoloniale. Alcuni aspetti della controversia sono discussi in quanto testimoniano la mobilitazione socio-politica degli Inuit e l’emergere di un contro-discorso subalterno. Questa contro-narrazione contribuisce a cogliere le implicazioni implicite delle sfide socio-ecologiche, la diffusione della violenza epistemica, il fondamento di una visione del mondo eurocentrica, la cui natura pregiudiziale si basa su preoccupazioni esogene che tendono ad emarginare e alienare ulteriormente comunità geograficamente isolate e simbolicamente subordinate.

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Testo integrale

Inukshuk Stones Roche by imaginarr(Public Domain)Visualizza l'immagine
Credits: imaginarr (Public Domain)

1. Contexte et démarche

  • 1 ARNAQUQ-BARIL, Alethea, Angry Inuk, Alethea Arnaquq-Baril et Bonnie Thompson, Canada, 2016, 85’.

[…] it bothered me when I saw animal welfare groups portray seal hunting as an evil and greedy thing. The images and statement they put on don’t reflect the seal hunting I know. They don’t even mention Inuit1.
Alethea Arnaquq-Baril,
Angry Inuk, 2016

  • 2 Il existe différentes propositions sur l’emploi de l’ethnonyme «Inuit» (au pluriel) et « Inuk » (au (...)
  • 3 Il s’agit de l’ensemble des territoires inuit de l’Arctique canadien. L’Inuit Nunaat désigne l’ense (...)
  • 4 PETER, Aaju, ISHULUTAK, Myna, SHAIMAIYUK, Julia, SHAIMAIYUK, Jeannie, KISA, Nancy, KOOTOO, Bernice, (...)

1La citation en exergue est extraite du documentaire Angry Inuk (2016) réalisé par Alethea Arnaquq-Baril. Elle témoigne de la lutte des Inuit2 de l’Inuit Nunangat3 contre certaines positions d’Organisations non gouvernementales (ONG) telles que Greenpeace et l’emploi d’une iconographie violente dans les campagnes médiatiques entourant la controverse de la chasse au phoque au Canada. Les effets de ces campagnes ont été dévastateurs pour les communautés inuit, quoique trop peu considérés au regard des préjudices et traumatismes liés au colonialisme, les enjeux de sécurité et de souveraineté alimentaire ainsi que la place du phoque dans l’identité inuit4. La démarche d’enquête menée par la réalisatrice inuk met en évidence l’importance de cette chasse et sa signification pour les Inuit. En cela, elle dénonce les relations de pouvoir et les biais cognitifs de ces campagnes médiatiques.

  • 5 BETASAMOSAKE SIMPSON, Leanne, Danser sur le dos de notre tortue. La nouvelle émergence des Nishnaab (...)

2Dans cet article, nous prenons appui sur cette controverse entourant la chasse au phoque et proposons d’approfondir la question des représentations pour montrer que les positions morales relatives à la notion de droit des animaux et leurs effets politiques et socio-économiques ont eu pour conséquence d’affaiblir encore plus ces communautés géographiquement éloignées. Ces dernières ont été davantage stigmatisées, leurs modes de vie et leurs moyens de subsistance ont été attaqués tandis que leur voix peinait à se faire entendre dans un univers discursif privilégiant un registre symbolique et linguistique différent des leurs. La problématique de la représentation nous apparaît ici incontournable : elle témoigne des défis contemporains de l’impérialisme cognitif5 et du renversement des cadres d’intelligibilité privilégiés pour définir les liens entre les êtres humains et leur environnement.

  • 6 HEATHERINGTON, Tracey, Wild Sardinia: Indigeneity and the Global Dreamtimes of Environmentalism, Se (...)
  • 7 En tant que chercheurs affiliés à une université occidentale, il convient ici de rendre compte de n (...)

3Selon Tracey Heatherington, la surrégulation environnementale s’inscrit dans une approche biocentrée et technocentrée qui peut donner lieu à des injustices environnementales en raison des expropriations dictées par exemple par des projets de création de parcs nationaux et d’aires protégées. Ces rapports de pouvoir ont été remis en question par des mobilisations sociopolitiques locales et l’internationalisation des mouvements sociaux autochtones. Il reste toutefois pertinent d’interroger les impensés des discours dominants et des agendas politiques à l’échelle globale6, notamment par le biais de l’étude d’un contre-récit subalterne7.

  • 8 MARIS, Virginie, «Le temps presse: Les contrechants d’une histoire environnementale du Canada», in (...)
  • 9 EGAN, Michael, «Subaltern Environmentalism in the United States: A Historiographic Review», in Envi (...)

4Car en dépit des injonctions légitimes à une lutte multisectorielle face aux défis socioécologiques contemporains, certains discours environnementalistes bénéficient d’une visibilité accrue et continuent à véhiculer des visions du monde qui manifestent des « [...] rapports d’asservissement constitutifs de la modernité et de la crise environnementale»8. Autrement dit, les biais de ces discours exigent de sortir des paradigmes de l’historiographie traditionnelle pour faire émerger d’autres récits concernant les rapports humains-environnement, d’autres cadres d’intelligibilité et propositions alternatives dans le domaine écologique9. Il s’agit ici de comprendre les rapports humains-environnement de manière spécifique : non pas en donnant plus d’autonomie à la « nature » (comme certaines recherches historiographiques le font avec raison), mais plutôt en décentrant quelque peu le regard sur les registres de justification des uns et des autres relatifs à des pratiques jugées non éthiques pour les uns, mais tenues pour parfaitement éthiques et écologiques pour les autres. Ce faisant, c’est l’arrière-plan colonial et les modes dissymétriques de répartition de la légitimité qui nous intéresseront au premier chef.

  • 10 Depuis la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) en 1975, le Nuna (...)
  • 11 En effet, la mobilisation contemporaine des Inuit: «[…] would require us to delve more deliberately (...)

5D’emblée, précisons que notre démarche est ici exploratoire et ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous renvoyons le lecteur à différents repères contextuels et sociohistoriques lorsque cela s’avère pertinent. En raison des contraintes de temps, d’espace et d’accès au terrain dans le contexte lors duquel nous avons entrepris cette réflexion, nous avons constitué un corpus restreint composé de diverses sources documentaires : des archives médiatiques disponibles en ligne via les ressources numérisées de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (rubrique « patrimoine québécois »), des articles scientifiques évalués par les pairs, des monographies et des documents politiques officiels permettant de dresser une compréhension générale des événements politiques et médiatiques entourant la controverse de la chasse au phoque au Canada. Nous avons par ailleurs davantage scruté les articles de presse du magazine inuit Taqralik au Nunavik10. Cette brève exploration empirique contribue en outre à soutenir la réflexion épistémologique et critique dont ce texte se fait le relais: l’historiographie de la chasse au phoque au Canada, en deçà des questions d’image et de représentation, touche à des enjeux fondamentaux sur les savoirs et les pratiques autochtones, les relations de pouvoir en lien avec la puissance narrative et, de ce fait, la place de la subalternité à propos de la question environnementale. Notre objectif est certes modeste en regard de la littérature existante, mais nous entendons approfondir un manque dans la littérature11. L’objectif est de rendre compte des événements tout en démontrant d’un point de vue diachronique l’agentivité des Inuit dans la sphère médiatique et en référence au débat moral qui entoure la chasse au phoque.

2. Historicité de la controverse de la chasse au phoque au Canada

  • 12 LIVERNOIS, John, «The economics of ending Canada’s commercial harp seal hunt», in Marine Policy, 34 (...)
  • 13 INNIS, A. Harold, The fur trade in Canada: an introduction to Canadian economic history, Toronto, U (...)
  • 14 BUXTON, William (dir.), Harold Innis and the North: Appraisals and Contestations, Montréal-Kingston(...)
  • 15 HAWKINS, Roberta, SILVER, Jennifer J., «From selfie to #sealfie: Nature 2.0 and the digital cultura (...)
  • 16 SANDLOS, John, Hunters at the Margin. Native People and Wildlife Conservation in the Northwest Terr (...)

6Au Canada, l’exploitation commerciale des fourrures par les colons (settlers) et les exportations vers l’Europe remonte au XVIe siècle12. Les recherches historiques ont permis de relier l’histoire du développement économique du Canada à celle de la traite des fourrures, par exemple par le biais de postes commerciaux comme la Compagnie de la Baie d’Hudson jusqu’à son abolition en 1869 et la compagnie française Revillon Frères. Le marché organisé autour de ces pratiques commerciales a été déterminant dans la colonisation des territoires et l’évolution des modes de transports (notamment l’usage des réseaux fluviaux du pays pour le transport de marchandises). L’historien et économiste Harold A. Innis (1894-1952), figure proéminente de l’économie politique au Canada et de l’histoire des médias et des communications fait office de référence sur le sujet parmi d’autres. Dans son étude The Fur trade in Canada13 – qui fournit un important cadre d’analyse à l’historiographie environnementale canadienne – il soutient que le développement du Canada s’est accompli en raison de sa géographie (et non en dépit de celle-ci) et de ses « ressources », intimement liées au mode de vie et aux connaissances des peuples autochtones14. L’après-Deuxième Guerre mondiale témoigne d’une attention accrue pour la conservation et la gestion de la faune au Canada en raison de l’importance des ressources naturelles dans le développement canadien à l’issue du conflit global et, pour le sujet qui nous intéresse ici, en raison des variations saisonnières des populations de phoques et des risques de « surpêche »15. Ce fut toutefois dès la fin du 19e siècle que les intérêts commerciaux de l’État témoignèrent de certaines motivations conservationistes et de régulations en matière de chasse, de création de parcs nationaux et d’espaces protégés, tout en ayant manifestement pour effet de contraindre les activités de subsistance des peuples autochtones16.

  • 17 L’emploi du masculin dans le présent article a pour seul but d’alléger le texte et ne relève aucune (...)
  • 18 DEYGLUN, Serge, Les Grands Phoques de la banquise, in Radio-Canada [télévision], 17 mai 1964, 19’, (...)
  • 19 WENZEL, George, «‘I Was Once Independent’ : The Southern Seal Protest and Inuit», in Anthropologica(...)

7Nous pouvons situer les débuts d’une véritable controverse sociopolitique et environnementale globale entourant la chasse au phoque au Canada dès la seconde moitié du XXe siècle. D’abord propulsées sur la scène politique et médiatique dans les années 1950 par la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA), les protestations « anti-chasse » s’internationalisent durant les trois décennies suivantes par le biais d’actions directes, mais aussi une visibilité médiatique croissante des militants17 et des principaux acteurs de groupes de protection des droits des animaux comme le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) ou Greenpeace. En 1964 paraît le film-choc Les Grands Phoques de la banquise qui met en images la chasse pratiquée aux Îles-de-la-Madeleine et à Terre-Neuve et suscite l’indignation de l’opinion publique18. Si le cadrage discursif de ces organisations reposait initialement sur la promotion des mesures de conservation de la faune, il a rapidement opéré un virage pour se concentrer sur la notion de droits des animaux19. Dès 1972, le Marine Mammal Protection Act aux États-Unis met un point d’arrêt à l’importation des produits issus de la chasse au phoque et autres mammifères marins, une première victoire pour les organisations qui y sont opposées.

  • 20 DAUVERGNE, Peter, NEVILLE, Kate J., «Mindbombs of right and wrong: cycles of contention in the acti (...)
  • 21 S.N., «Background information on Seal Pups Directive», in ec.europe.eu, URL : < https://ec.europa.e (...)
  • 22 JOLIVET, Gérard, «L’Europe ne veut plus de peaux», in Radio-Canada [télévision], 6 février 1983, UR (...)
  • 23 Royal Commission on Seals and the Sealing Industry in Canada, MALOUF, Albert H. (1986). Seals and s (...)

8Les protestations anti-chasse gagnent davantage de visibilité et d’adhésion de la part de donateurs sensibles au bien-être animal dans les années 1970 et 1980 avec, notamment, les campagnes médiatiques de Greenpeace dont les « cycles de contestation » et l’usage d’une rhétorique et d’images fortes renforcent le déploiement d’une nouvelle stratégie appelée anti-sealing mindbombs20. En décembre 1982, un vote du Parlement européen signale l’arrêt temporaire de l’importation de peaux de blanchons depuis le Canada pour les dix membres de la Communauté économique européenne (CEE)21. Le parlement justifie cette interdiction en invoquant une clause anti-pornographie, un instrument juridique contraignant pour les exportateurs, destiné à protéger la « morale publique » conformément aux dispositions de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)22. Enfin, au Canada, les campagnes aboutissent en août 1984 à l’établissement d’une Commission royale sur les phoques et l’industrie de la chasse au phoque dirigée par le juge Albert H. Malouf. Les recommandations du rapport Seals and Sealing in Canada : Report of the Royal Commission23 (1986) en trois volumes entraînent des changements importants dans la législation (notamment des interdictions et des quotas de chasse). La chasse aux blanchons est désormais interdite et une nouvelle réglementation des méthodes de chasse visant à répondre aux injonctions de l’opinion publique est imposée aux chasseurs sur les côtes atlantiques.

  • 24 HAWKINS, Roberta, SILVER, Jennifer J., op. cit., p. 115.
  • 25 Par exemple la chasse aux «blanchons», les jeunes phoques qui ont une fourrure blanche caractéristi (...)
  • 26 S.N., « Les communes en faveur de la chasse au phoque », in Le Soleil, 25 mars 1977, s.p.

9Sur le plan des représentations médiatiques – plus particulièrement en Europe –, la pratique de la chasse au phoque est communément associée à une iconographie violente. Celle-ci dépeint effectivement une pratique qui apparaît « cruelle » à la faveur des stratégies de communication médiatiques des ONG (qui, comme certains le dénoncent, y ont vu l’opportunité de recueillir davantage de fonds). C’est ce que soulignent Roberta Hawkins et Jennifer J. Silver, pour qui « […] close-up pictures of fluffy white newborn seals so central to early campaigns were not neutral (re)presentations [...]»24. Ces stratégies ont donc cherché à émouvoir l’opinion publique en mettant l’accent sur des pratiques jugées condamnables25. Ces images et la pression exercée sur les pouvoirs publics sont ainsi parvenues à définir la chasse au phoque avant tout comme une pratique non éthique devant être régulée, voire interdite. Cette pression sur les pouvoirs publics se fait sentir au printemps 1977 : à l’occasion d’une manifestation, des militantes du IFAW s’enchaînent aux colonnes de la Maison du Canada à Trafalgar Square (Londres) pour dénoncer la chasse aux phoques qui débute sur la côte atlantique du Canada. Au même moment, au Canada, Greenpeace demande la tenue d’un moratoire sur la chasse aux phoques et exige la démission de Roméo LeBlanc, ministre des pêche­ries et de l’environnement tandis que la Chambre des Communes du Canada renouvelle son appui au droit de chasser le phoque26.

  • 27 Depuis les débuts de la controverse, de Paul McCartney en 2006 à Ellen Degeneres en 2014 en passant (...)
  • 28 YUNES, Erin, «Arctic Cultural (Mis)Representation. Advocacy, Activism, and Artistic Expression thro (...)
  • 29 Le dessin est une représentation de Brigitte Bardot en Inuk, vêtue d’un large manteau de fourrure e (...)

10Les images marquent les esprits27, mais ces protestations voient grandir l’opposition des chasseurs et pêcheurs autochtones et allochtones des côtes atlantiques et de la rive nord du fleuve Saint-Laurent, notamment face à la visibilité médiatique de plusieurs personnalités publiques28. Ils n’hésitent d’ailleurs pas, du point de vue de l’iconographie et des représentations médiatiques, à subvertir et détourner l’image d’une pratique cruelle. Par exemple, lors d’une entrevue avec Michael P.J. Kennedy en 1996 à Ottawa, Alootook Ipellie (1951-2007), artiste inuk reconnu entre autres pour ses dessins satiriques et engagés, évoque l’histoire derrière son œuvre intitulée After Brigitte Bardot29. Il témoigne de sa démarche derrière ce dessin et de la manière dont il a été affecté par la controverse dans les années 1970.

  • 30 KENNEDY, Michael P.J., « Alootook Ipellie: The Voice of an Inuk Artist: Interview by Michael Kenned (...)

Some of the images came about because I was affected by events like Brigitte Bardot going to Newfoundland [Terre-Neuve] and protesting against the seal hunt. It affected our people, not only in Canada, but in Greenland. I went up to Greenland and visited a tannery after the European Community refused importation of seal pelts. It was sad for our people. I used that story [“After Brigitte Bardot”] to get the message across. I used clippings of the event in Newfoundland and took them up to the Arctic where the Inuit could be close to her, even though Brigitte Bardot wasn’t up there. I wanted to tell her what we thought about what she did to our people30.

  • 31 Voir PARCORET, Florence, « La chasse au phoque du Groenland à Essipit : enjeux et perspectives sur (...)
  • 32 Hormis lors du mea culpa de Greenpeace, voir: KERR, Joanna, « Greenpeace apology to Inuit for Impac (...)
  • 33 Nous renvoyons à cet égard les lecteurs et lectrices au poster représentant deux étudiantes inuit e (...)

11La dimension éthique (indignation) de la dénonciation de la chasse au phoque a semble-t-il surdéterminé l’évaluation des enjeux de cette pratique pour les Inuit pour qui elle constitue un mode de relation spécifique au territoire en même temps qu’une activité de subsistance. La chasse commerciale du phoque n’était en effet pas pratiquée de manière incontrôlée dans les communautés qui peuvent en tirer un revenu modeste et l’exercent comme moyen de subsistance. Particulièrement les Inuit dans leurs territoires : le Nunavik (dans l’Arctique québécois), le territoire fédéral du Nunavut, le territoire autonome du Nunatsiavut (dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador) et la région désignée des Inuvialuit (dans les Territoires du Nord-Ouest) ; ni d’ailleurs par des chasseurs issus d’autres communautés autochtones et allochtones sur les côtes du fleuve Saint-Laurent et de l’océan atlantique31. La vague de protestation ne visait certes pas directement ces communautés, mais aucune distinction n’est faite entre l’exploitation industrielle, les pratiques traditionnelles et la chasse commerciale à petite échelle32. Bien que ne bénéficiant pas d’une même visibilité, à l’instar des chasseurs et pêcheurs des côtes atlantiques, les Inuit ont fait montre d’une mobilisation visant aussi à renverser les représentations et les imaginaires liés au droit des animaux33.

  • 34 LAUGRAND, Frédéric et Oosten, Jarich, Hunters, Predators and Prey. Inuit Perceptions of Animals, Ne (...)

12Les anthropologues Frédéric Laugrand et Jarich Oosten se sont intéressés à la pratique de la chasse au phoque des Inuit et à sa signification. La relation qui unit les Inuit au territoire, à la mer et aux êtres vivants qui peuvent être chassés définit un lien vital pour survivre dans un milieu exigeant, il en est de même de la notion de respect entourant la chasse : « [the] killing of game is therefore not considered an act of violence by a human being towards an animal, but a meaningful act in which hunter and animal are connected as partners»34. Selon les auteurs, ce lien fait référence à la cosmologie des Inuit et à une spiritualité qui témoigne de la responsabilité éthique qui incombe aux chasseurs :

  • 35 Ibidem, p. 52.

The sky, the sea and the land are populated by spirits and animals that have to be respected in various ways. All animals are sentient beings […]. Hunters should be aware of the nature of the animals they encounters […]. They should assess the nature of a being before killing it and eating it. But whatever the nature of a particular animal, all animals have power and can retaliate if they are not respected, or if they are abused or ridiculed […]35.

  • 36 Ibidem.

13Enfin, Niqituinnaq signifie en inuktitut « country food » ou « real food » (dialecte du Nunavik et de certaines communautés de l’île de Baffin) : une distinction marquée existe entre la nourriture chassée et celle disponible en magasin, associée à la consommation de masse des Qallunaat, désormais présentes dans les communautés36.

3. L’environnement et la subalternité : une heuristique pour déconstruire un monde vu « d’en haut »

  • 37 SEN, Malcolm, «Spatial justice: The ecological imperative and postcolonial development», in Journal (...)

14Le cas de cette controverse et la forte mobilisation des Inuit sur laquelle nous nous penchons plus particulièrement dans ce texte justifient l’articulation de l’environnement et de la subalternité comme une heuristique destinée à réfléchir aux dispositifs historiques qui peuvent contribuer directement ou indirectement à rendre inaudibles certains discours. En nous inspirant de la pensée de Gayatri Chakravorty Spivak, nous élargissons quelque peu la notion de « violence épistémique » pour la penser de concert avec celle « d’impérialisme cognitif » en ce qu’elles constituent un puissant, silencieux, mais néanmoins réel instrument de domination et d’oppression hérité de l’histoire coloniale. Cet instrument ne s’est pas seulement imposé comme un mode de gouvernement et d’oppression des peuples colonisés sur le plan territorial, politique et économique. Il relève d’un dispositif complexe visant à établir une vision hégémonique du monde. Une telle violence ne se limite pas aux institutions et aux discours, elle s’étend également à la géographie, aux pratiques sociales et aux conditions matérielles de reproduction de la société, dont les pratiques et savoirs séculaires des subalternes sont exclus. La critique entreprise à l’égard de ces injustices contribue à dénoncer l’effacement des modes de pensée des sociétés dominées. Faire l’histoire par le bas (history from below), pour reprendre les termes de Malcolm Sen qui plaide en faveur d’un paradigme écocritique postcolonial, procède davantage d’une réécriture des paradigmes de la connaissance du monde véhiculés par l’histoire impériale37.

  • 38 CHAKRABARTY, Dipesh, «The Climate of History: Four Theses», in Critical Inquiry, 35, 2/2009, pp. 19 (...)
  • 39 SPIVAK, Gayatri C., Can the Subaltern Speak?, in MORRIS, Rosalind C. (dir.), Can the Subaltern Spea (...)

15Cette articulation nécessite bel et bien une analyse politique et historique de l’environnement dans la mesure où certains savoirs et certaines pratiques ont par le passé - et continuent encore aujourd’hui - d’être marginalisés ou ignorés, à l’instar de la question environnementale dans la science historique elle-même38. Entreprendre de décentrer quelque peu le regard posé sur les interactions entre humains-environnement exige vraisemblablement de revenir aux fondements épistémologiques critiques des perspectives dites « subalternes ». Le célèbre essai de Spivak Can the Subaltern Speak ?39 entreprend en ce sens un projet épistémologique ambitieux : la déconstruction de l’historiographie impériale et la critique radicale de la domination épistémique et des représentations que le pouvoir colonial véhicule des subalternes (et, dans une autre mesure, la « voix » des opprimés que les penseurs postmodernistes et poststructuralistes occidentaux tentent d’incarner).

  • 40 CHATTERJEE, Partha, Reflections on  Can the Subaltern Speak?”, in MORRIS, Rosalind C. (dir.), Can (...)
  • 41 Ibidem., p. 83.
  • 42 CHAKRABARTY, Dipesh, op. cit., pp. 197-222.
  • 43 SPIVAK, Gayatri C., op. cit., p. 35.
  • 44 Les subalternes ne peuvent constituer un groupe ni un ensemble d’individualités porté par une condi (...)

16Avec le tournant poststructuraliste, le principal axe des études subalternes porte sur la manière dont les groupes subalternes sont effectivement représentés40. L’objectif est de poser les bases d’un renouvellement de la pensée critique postcoloniale arrimée à la problématique de l’existence d’un sujet souverain de l’histoire que postule l’historiographie occidentale : « Subaltern historiography had in fact challenged the very idea that there had to be a sovereign subject of history possessing an integral consciousness »41. La subalternité n’est pas seulement affaire de représentation politique stricto sensu. Elle implique davantage de repenser les cadres épistémologiques dominants et de déconstruire l’historiographie impériale, qui demeure effectivement corrélative d’une vision du monde par le haut42. Selon Ritu Birla, il s’agit de dépasser un paradigme postcolonial insuffisamment critique, le terme « postcolonial » restant problématique en raison du fait qu’il postule que le colonialisme est « chose du passé ». Rien n’est moins sûr et cette critique est légitime, car les indices de la présence des subalternes – et de leur existence – se logent dans les interstices du récit dominant, vecteur de l’épistémologie occidentale sur lequel, en définitive, ils n’ont pas de prise. Ainsi, pour Spivak, les subalternes ne peuvent pas se faire entendre puisque toute tentative de situer leurs voix se heurte aux subterfuges et stratégies de domination renouvelés du colonialisme. D’autant que, comme elle le rappelle, « the colonized subaltern subject is irretrievably heterogeneous »43. Si l’essai de Spivak se concentre sur le cas de l’Inde et son histoire coloniale, on peut néanmoins avancer que la subalternité se situe irrévocablement dans les marges de la représentation (ou, pour reprendre les termes de Spivak, dans le centre silencieux et disqualifié par le pouvoir)44.

4. Signification de la chasse au phoque pour les Inuit et défiance à l’égard des environnementalistes

  • 45 WATT-CLOUTIER, Sheila, Le droit au froid, Montréal, Écosociété, 2019, p. 356 ; «Qallunaat» signifie (...)

17Il n’apparaît pas étonnant que dans son autobiographie, Sheilla Watt-Cloutier, ancienne présidente du Conseil circumpolaire inuit, souligne la défiance des Inuit à l’égard des environnementalistes et des organisations qallunaat malgré une collaboration harmonieuse pour lutter sur d’autres fronts communs dans le contexte des changements climatiques et les bouleversements provoqués par les activités d’extraction des ressources dans la région arctique45.

  • 46 La littérature anthropologique est certes abondante sur cette question, mais elle implique les même (...)

18En dépit des injonctions légitimes à la protection et la conservation de la biodiversité, les campagnes qui ont marquées les années 1960 et les décennies suivantes jusqu’au vote de l’Union européenne relèvent davantage d’un registre moral et rendent manifeste une violence à l’égard d’une pratique qui répond à d’autres régimes de savoir et s’inscrit dans un registre symbolique autre pour les communautés concernées46. La chasse de subsistance implique une division des tâches entre les hommes et les femmes et réfère aux activités suivantes :

  • 47 BORRÉ, Kristen, « Seal Blood, Inuit Blood, and Diet: A Biocultural Model of Physiology and Cultural (...)

[the] preparation of equipment and both cloth and skin clothing for camping and hunting; food preparation for travel and camping; maintenance of hunting equipment; search and pursuit of quarry; gathering of herbs and berries; camp maintenance ; the preparation of skins; and the distribution of skins, the cash from which is used to pay for materials used in hunting47.

  • 48 Ibidem, p. 54.

19Selon Kristen Borré, certains aînés considèrent que le sang des phoques n’occupe pas seulement une dimension symbolique pour les Inuit, mais qu’il contribue à la santé et au bien-être, « [b]ecause seal blood is seen as fortifying human blood by replacing depleted nutrients and rejuvenating the blood supply, it is considered a necessary part of the Inuit diet»48. Elle souligne notamment une dimension sur le plan socioéconomique qui a été évacué de la question de la chasse au phoque et de l’importance qu’elle revêt d’un point de vue économique pour les communautés :

  • 49 Ibidem, p. 50.

From a Western perspective, cash is an end in itself, to be used for acquisition of material goods and production of more cash. […] Without the sealskin trade, Inuit are forced to compete with one another for jobs or else spend their time making crafts for sale. Though wage-labor pays well, there are very few jobs compared to the number of people who seek them49.

  • 50 WENZEL, George, op. cit.; WATT-CLOUTIER, Sheila, Le droit au froid, Montréal, Écosociété, 2019, p. (...)
  • 51 RODGERS, Kathleen, SCOBIE, Willow, op. cit., p. 73.

20Initialement, les protestations des groupes environnementalistes et de défense des droits des animaux ne concernaient certes pas directement les pratiques des Inuit. Elles ont néanmoins eu des impacts immédiats sur leur mode de vie et la pratique de la chasse au phoque annelé (Phoca hispida) : l’effondrement d’une économie locale facilitée par les dynamiques du marché global des fourrures, le déclin des pratiques socioculturelles et une dépendance accrue face aux institutions coloniales50. Bien qu’affectés au premier chef par le conflit qui faisait rage au sud, « [...] the story of the Inuit’s financial dependence on the seal hunt was almost completely absent»51.

21Au printemps 1984, la Nation Dénée (Yellowknife) organise une conférence intitulée « How Will We Survive ? » à laquelle des représentants politiques inuit du Canada participent et dont l’objectif est de :

  • 52 OKITUK, Paulusi, «Native People Meet to Combat Effects of So-Called Conservation Groups», in Taqral (...)

[…] counter the gains made by radical conservation groups, such as Greenpeace, the International Fund for Animal Welfare and others, in their attempt to put an end to harvesting activities, which include hunting and trapping52.

  • 53 Le magazine «Taqralik» (aussi orthographié Takralik ou Taralik), fondé en 1974 par l’Association de (...)
  • 54 SAUNDERS, Malee, «Pauktuutit Staking out the Future for Inuit Women», in Taqralik, 2/1985, pp. 24-2 (...)

22Dressant le constat que les campagnes médiatiques négatives ont dévasté l’économie locale des communautés, l’article de Paulusi Okituk parût dans le magazine Taqralik53 indique qu’à l’issue de cette conférence, une résolution réclamait que les peuples autochtones soient inclus dans tous les aspects de la gestion de la faune et que leurs droits soient défendus au titre des activités de subsistance et du maintien des économies locales fondées sur la chasse et le piégeage. Pauktuutit - l’association des femmes inuit – tient en janvier 1985 à Igloolik (dans l’actuel Nunavut) sa première assemblée générale depuis sa création deux ans plus tôt à Frobisher Bay (l’ancien nom de la capitale du Nunavut, Iqaluit). Plus de cent femmes issues de communautés inuit des Territoires du Nord-Ouest (désormais Inuvialuit et Nunavut), du Nunavik (Nord-du-Québec) et du Nunatsiavut (Nord du Labrador) se réunissent et échangent sur le rôle des femmes dans le développement économique de l’Arctique canadien54. Selon Malee Saunders, les résolutions adoptées par Pauktuutit lors de cette assemblée générale témoignent de leurs inquiétudes, mais aussi de leur volonté de faire entendre leurs points de vue et de partager le sentiment d’injustice que ressentent leurs communautés respectives :

  • 55 Ibidem., p. 26.

Inuit are concerned with efforts of groups like Greenpeace which oppose the harvesting of seals and furbearing animals. Inuit suspect that these groups do not sufficiently understand the Inuit way of life or have a point of view completely the opposite of Inuit. The conference affirmed the traditional Inuit values of conservation of seals and furbearing animals and that groups such as Greenpeace be informed of the Inuit outlook on harvesting and of the impact any ban on harvesting would and does have on the Inuit economy and society55.

  • 56 GIRARD, André, «Makivik Presents Brief to Royal Commission on Sealing», in Taqralik, 2/1985, pp. 30 (...)
  • 57 Ibidem., p. 31.

23Cette résolution met particulièrement l’accent sur le manque de communication entre Greenpeace et les communautés. Elle réaffirme que les valeurs de conservation de la faune ancrées dans la « tradition inuit » devraient en premier lieu informer les décisions politiques. À l’occasion des audiences de la Commission royale sur les phoques et l’industrie de la chasse au phoque au Canada, Paulusi Okituk, représentant mandaté par Makivik, témoigne également du sentiment d’impuissance et d’injustice des Inuit du Nunavik56. La combinaison de l’interdiction votée par la CEE et du déclin du marché des sculptures inuit renforce le fait que les Inuit ont désormais moins d’opportunités de sécuriser un revenu suffisant pour vivre. Le besoin de collaboration est aussi mis de l’avant en suggérant que « […] the animal welfare agencies could help monitor the hunt to ensure the continued existence of seals »57. En outre, tandis que les représentants politiques inuit appellent à unifier les objectifs de conservation des organisations environnementales avec les perspectives des Inuit, un paradoxe est dénoncé et met en évidence les contradictions mêmes des protestations et leur mutisme à l’égard des réalités de la vie dans le Nord. La présentation rapportée de John Amagoalik (1985) qui présente la position de l’Inuit Tapiriit Kanatami auprès de la Commission rend évidentes ces contradictions dans les arguments « anti-chasse » :

  • 58 GIRARD, André, «Inuit Tapirisat of Canada’s Statement on Sealing», in Taqralik, 2/1985, p. 31.

Inuit have always depended on animals for life and therefore reject the view of many of those opposed to the seal hunt which is that hunting is wrong. Such organizations have no right to tell Inuit how to live with animals. [...] if people in the industrial cities are allowed to stop others from hunting, then what is next? Will they ban fishing? Will they ban the keeping of cows, pigs and chickens for meat, eggs and leather? What will people eat58?

  • 59 S.N., «Price Support Program for Seal Pelts», in Taqralik, 5/1985, p. 37.
  • 60 Ibidem.
  • 61 GIRARD, François, «Low-Flying Angels. Discussion of animal rights brakes down into mudslinging», in (...)

24Du côté de la réponse du gouvernement fédéral à la crise économique qui frappe les communautés, celle-ci consiste à compenser les préjudices : en 1983, John Fraser, ministre des Pêches et des Océans, annonce la mise sur pied d’un programme de soutien à hauteur de 250 000 dollars canadiens pour la saison de chasse de 1984. L’objectif est d’assurer un revenu complémentaire pour les chasseurs de la côte est du Canada et des communautés inuit affectés par cette crise dans l’industrie du phoque59. Les chiffres rapportés indiquent que l’industrie du phoque est en effet lourdement affectée par l’interdiction décidée par la CEE. L’Europe était d’ailleurs le principal marché d’exportation des peaux de phoque au Canada. Les prix chutent drastiquement en 1983-84 par rapport à 1982 et l’aide octroyée aux chasseurs par le gouvernement s’inscrit dans un contexte où le marché est pratiquement inexistant à partir de 198460. Le rapport de la Commission propose donc de compenser les pertes pour les chasseurs. Toutefois, alors que le gouvernement fédéral a sous-estimé l’impact des campagnes pour les communautés éloignées, les Inuit dénoncent des pratiques qui contribuent à « institutionnaliser leur précarité et leur pauvreté »61, en raison du coût afférant au principal moyen de transport pour chasser (le Ski-doo) et de celui du matériel de chasse, en plus des coûts élevés des biens de consommation courants dans l’Arctique canadien.

5. Une mobilisation renouvelée des Inuit à travers les réseaux numériques : vers un renversement des relations de pouvoir ?

  • 62 THE EUROPEAN PARLIAMENT AND THE COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION, «REGULATION (EC) No 1007/2009 OF THE (...)
  • 63 HENDRIE, Stephen, SIMON, Carole, «European Union Knows Proposed Seal Ban Would be Unlawful», in inu (...)
  • 64 SIMON, Carole, «Exemptions Help But EU Seal Ban Must Go», in inuitcircumpolar.com, 7 août 2015, URL (...)
  • 65 LAUGRAND, Frédéric, OOSTEN Jarich, « The religion of nature: Evangelical perspectives on the enviro (...)

25Le 16 septembre 2009, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne valident un embargo plus restrictif que celui de 1983. Il concerne cette fois-ci l’ensemble des produits issus de la chasse au phoque62. Les Inuit continuent de manifester leur opposition en dépit du maintien d’une exemption les concernant63. Cette exemption est octroyée aux chasseurs inuit du Groenland, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest (Inuvialuit) au Canada dont les autorités compétentes ont fait les démarches pour obtenir une certification auprès de l’UE. Du point de vue des militants et représentants politiques qui défendent la chasse au phoque pratiquée par les Inuit, l’abandon pur et simple de l’embargo de l’UE contribuerait, même modestement, à un premier pas pour réparer les préjudices socioéconomiques et les injustices culturelles64 subis au cours des cinq décennies précédentes. D’autant que ces décisions – en contraignant les Inuit à une dépendance économique vis-à-vis de l’État et en affectant davantage le bien-être des communautés (comme en témoigne le documentaire Angry Inuk) - ont fait augmenter dramatiquement le nombre de suicides et ont contribué à creuser l’insécurité alimentaire et les inégalités entre les différents groupes sociodémographiques des territoires nordiques. Elles perpétuent ainsi des traumatismes de l’histoire coloniale et restreignent les perspectives d’avenir pour les Inuit au Canada. Toutefois, des auteurs notent des revirements, notamment du point de vue du discours et de l’évolution des croyances dans les communautés inuit. Laugrand et Oosten se sont ainsi intéressés aux mouvements évangéliques dans les communautés inuit de l’Arctique de l’Est, plus particulièrement le Canada Awakening Ministries (CAM) qui intègre les valeurs traditionnelles des Inuit dans un cadre spirituel chrétien moderne. Ils montrent que ces mouvements sont appelés à grandir et se positionnent en alliés des Inuit, car ils critiquent les groupes environnementaux et s’approprient des savoirs occidentaux au service des perspectives des Inuit65.

26Plus récemment, c’est via le réseau social Twitter que les Inuit ont trouvé un levier pour faire entendre leur voix suite à la décision de l’UE de 2009. Kathleen Rodgers et Willow Scobie proposent une lecture du mouvement #Sealfie inspirée des théories des mouvements sociaux et de la mobilisation en ligne des peuples autochtones ainsi que la notion de « résilience » issue des théories postcoloniales. Elles montrent que le mot-clic (ou hashtag) #Sealfie s’inscrit dans la lignée de l’histoire de la lutte entre les organismes militants opposés à la chasse au phoque et les communautés qui tentent de faire entendre leurs voix.

  • 66 Voir le message et la photographie du compte Twitter de la réalisatrice Alethea Arnaquq-Baril deven (...)
  • 67 Le Conseil de l’Arctique est un forum intergouvernemental circumpolaire qui réunis les États-nation (...)
  • 68 NUNATSIAQ NEWS, «No Seal, No Deal petition explained», in Nunatsiaq News, 3 mai 2013, URL: < https: (...)

27Roberta Hawkins et Jennifer J. Silver se penchent quant à elles sur la manière dont cette même campagne a contribué à la fois à contester les démarches militantes des organismes environnementaux au sujet de la chasse au phoque, et à recadrer le débat public pour dépasser les cadres d’intelligibilité dominants et mettre en avant la notion de droit qui est fondamentale dans les revendications des Inuit. La campagne socionumérique a contribué à rallier de nombreux alliés et remettre en question la contextualisation et les cadres du débat public orientés majoritairement par l’influence politique et médiatique de quelques célébrités et le capital de sympathie acquis par des ONG. Elle rend compte de l’agentivité des Inuit et de la continuité de leur mobilisation visant à subvertir des représentations préjudiciables héritées de l’impérialisme cognitif et de la violence épistémique exercée par le discours dominant. Pour Irena Knezevic, Julie Pasho et Kathy Dobson, le cas de Twitter et du #sealfie66 ne permet cependant pas de conclure à une réelle opportunité d’influer sur les décisions politiques. Toutefois, d’autres tentatives ont été déployées comme levier politique : par exemple, un article du quotidien inuit du Nunavut Nunatsiaq News donne la parole à Karliin Aariak qui, dans sa lettre adressée à l’ensemble de sa communauté, lance une pétition pour que soit refusé à l’UE le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique67. L’appel de cette pétition est ainsi éloquemment résumé dans le titre de l’article : « No Seal, No Deal [petition explained] »68.

  • 69 DEAN, Dave, «Tanya Tagaq’s Cute Sealfie Pissed Off A Lot of Idiots», in Vice Media, 9 avril 2014, U (...)

28L’usage des outils socionumériques semble être un vecteur d’agentivité à double tranchant en ce qu’il a favorisé un regain de violence à l’égard des Inuit. En effet, comme le montre le documentaire Angry Inuk relativement à la couverture médiatique du # Sealfie, certains acteurs du mouvement ont non seulement reçu des insultes en s’affichant vêtus de vêtements faits de peau phoque ou en montrant des scènes de chasse et de partage communautaire, mais ils ont aussi fait l’objet de profondes et troublantes attaques contre leur culture, leur mode de vie et leur dignité humaine : à l’instar de l’auteure et chanteuse de gorge inuk Tanya Tagak69 qui a exposé une photo de son enfant aux côtés d’un phoque chassé.

6. « Décoloniser » et penser autrement les interactions humains-environnement

  • 70 SEJERSEN, Frank, The Anatomy of an Arctic Knowledge Debate: Lessons for capacity building, in Build (...)
  • 71 Voir: CALLISON, Candis, How Climate Change Comes to Matter. The Communal Life of Facts, Durham et L (...)
  • 72 ROUÉ, Marie, «Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones: De la tradition à la mod (...)
  • 73 MARIS, Virginie, op. cit.
  • 74 SEN, Malcolm, op. cit.
  • 75 CHARTIER, Daniel, « Renversements décoloniaux de la cartographie de l’Arctique », in Captures, 5, 1 (...)
  • 76 CHATTERJEE, Partha, op. cit.
  • 77 DORLIN, Elsa, Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, Éditions La Découverte, 2018, p. (...)

29Le problème des voix qui informent les débats publics sur l’environnement et qui disposent d’une plus grande visibilité médiatique suppose le risque de nuire à l’autodétermination des communautés locales par le biais de considérations qui leur sont exogènes. Frank Sejersen souligne ainsi qu’un tel « […] match of science and colonialism to some extent is made apparent in native communities as they are often put in a marginal, dominated position, where they have little or no say on their own futures »70. Ces tensions à l’égard des luttes environnementales et de défense des droits des animaux soulèvent ainsi des questions qui ont davantage trait aux représentations médiatiques de l’environnement71, et plus particulièrement qui parle, qui est entendu, avec quelles conséquences ? Toute proportion gardée, le cas de cette controverse entourant la chasse au phoque illustre les défis de l’impérialisme cognitif et de la violence épistémique qui se logent dans les interstices du pouvoir et d’une vision dominante du rapport humains-environnement et de la « conservation de la biodiversité »72 qui peut contraindre les conditions d’une nécessaire contre-histoire environnementale73. En nous inspirant de la pensée de Spivak, nous élargissons quelque peu les modalités de déploiement de la notion de violence épistémique en ce qu’elles constituent un puissant, silencieux, mais néanmoins tangible instrument de domination et d’oppression héritée de l’histoire coloniale. Cet instrument ne s’est pas seulement imposé comme un mode de gouvernement et d’oppression des peuples colonisés sur le plan territorial, politique et économique. C’est aussi un dispositif complexe visant à asseoir une vision hégémonique du monde. Une telle violence ne se limite pas aux institutions et aux discours, elle s’étend également à la géographie et aux conditions matérielles de reproduction de la société, reproduction dont les subalternes tendent à être marginalisés. Cette forme de violence est au contraire manifeste dans plusieurs domaines où une certaine vision du monde s’impose comme supérieure et conduit à l’effacement, à la marginalisation ou à l’oubli des modes de pensée des sociétés dominées. Faire l’histoire par le bas (history from below) procède davantage d’une réécriture des paradigmes de la connaissance du monde véhiculés par l’histoire impériale74 : « [l] e colonialisme n’est pas qu’une affaire politique : c’est aussi l’imposition d’un mode de pensée (posé comme supérieur) qui dévalorise les cultures ainsi dominées et les remplace »75. Les modalités d’exercice du pouvoir montrent que les perspectives subalternes n’émergent en définitive que dans et en dehors des politiques nationales et internationales76. Donc sans réelles garanties de remise en question des rapports de pouvoir et d’une reconnaissance effective de leurs droits, pourtant – et paradoxalement – assurés par des textes internationaux et divers textes de lois sur le territoire national. Penser la violence en lien avec l’histoire environnementale par le biais d’une lecture diachronique de la chasse au phoque nécessite de déconstruire nos cadres d’interprétation de l’histoire tant humaine qu’environnementale. Le « privilège » de l’exercice de la violence apparaît être corrélatif des conditions historiques du statut de subalterne des peuples dominés et opprimés77. C’est seulement à la condition de tenir compte d’une telle donnée qui travaille silencieusement les discours et les pratiques relatifs à l’environnement qu’il sera possible de produire une historiographie « alternative » susceptible de conjuguer la dimension écologique à une réflexivité critique propre à favoriser l’émergence d’écosystèmes effectivement plus justes, inclusifs et durables.

Torna su

Note

1 ARNAQUQ-BARIL, Alethea, Angry Inuk, Alethea Arnaquq-Baril et Bonnie Thompson, Canada, 2016, 85’.

2 Il existe différentes propositions sur l’emploi de l’ethnonyme «Inuit» (au pluriel) et « Inuk » (au singulier), qui signfie «être humain». Nous retenons la perspective de Louis-Jacques Dorais sur l’admissibilité controversée de l’accord en genre et en nombre de l’adjectif : DORAIS, Louis-Jacques, « Rectitude politique ou rectitude linguistique? Comment orthographier “Inuit” en français », in Études/Inuit/Studies, 28, 1/2004, pp. 155-159.

3 Il s’agit de l’ensemble des territoires inuit de l’Arctique canadien. L’Inuit Nunaat désigne l’ensemble des territoires inuit des régions circumpolaires (incluant le Kalaallit Nunaat – Groenland -, et les territoires des peuples Iñupiat et Yupiit en Alaska, ainsi que dans la péninsule du Chukotka en Russie) : S.N., «Our Story», in inuitcircumpolar.com, URL : < https://www.inuitcircumpolar.com/about-icc/ > [consulté le 21 juin 2020].

4 PETER, Aaju, ISHULUTAK, Myna, SHAIMAIYUK, Julia, SHAIMAIYUK, Jeannie, KISA, Nancy, KOOTOO, Bernice, ENUARAQ, Susan, « The seal : An integral part of our culture », in Études/Inuit/Studies, 26, 1/2002, pp. 167-174.

5 BETASAMOSAKE SIMPSON, Leanne, Danser sur le dos de notre tortue. La nouvelle émergence des Nishnaabeg, Montréal, Varia, 2018, p. 290.

6 HEATHERINGTON, Tracey, Wild Sardinia: Indigeneity and the Global Dreamtimes of Environmentalism, Seattle, University of Washington Press, 2010, pp. 17-18.

7 En tant que chercheurs affiliés à une université occidentale, il convient ici de rendre compte de notre posture critique et de notre réflexivité. Notamment en raison d’un sujet à la fois sensible qui divise encore aujourd’hui, mais aussi en raison de l’historicité des études à l’égard des Inuit. Le discours anthropologique portant sur les peuples nordiques et son insitutionalisation dans les universités du sud du Canada et ailleurs dans le monde occidental apparaît avec les premiers travaux en « esquimologie » dont, entre autres, ceux de l’anthropologue Franz Boas (1888). Ce champ est si vaste qu’il est vain de tenter d’en dresser ici les contours. Toutefois, son évolution vers ce qu’ont appelle abusivement les « études inuit » font l’objet de critiques légitimes quant aux déséquibres qui persistent entre Inuit et Qallunaat – ceux qui ne sont pas Inuit. Au-delà des travaux majeurs de plusieurs anthropologues et linguistes dans ces champs – dont les intentions et les méthodes soulignent des objectifs et des démarches honnêtes pour un grand nombre d’entre eux – l’étude systématique de la culture inuit révèle de tels déséquilibres et le privilége d’étudier l’Autre qui n’est vraisembablement pas aisément réversible.

8 MARIS, Virginie, «Le temps presse: Les contrechants d’une histoire environnementale du Canada», in Captures, 2, 1/2019, pp. 1-11, URL : < http://www.revuecaptures.org/node/753 > [consulté le 16 juin 2020].

9 EGAN, Michael, «Subaltern Environmentalism in the United States: A Historiographic Review», in Environment and History, 8, 1/2002, pp. 21-41.

10 Depuis la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) en 1975, le Nunavik est un territoire administré par les Inuit via l’Administration régionale Kativik. Les Inuit sont représentés au titre de leurs droits territoriaux auprès du gouvernement fédéral du Canada et du gouvernement provincial du Québec par la Société Makivik. Sur l’évolution du statut du territoire et l’émergence des structures d’auto-gouvernance inuit voir : MARTIN, Thibault, Hydro development in Quebec and Manitoba: Old Relationships or New Social Contract?, in MARTIN, Thibault, HOFFMAN, Steven M. (dir.), Power struggles: Hydro development and First Nations in Manitoba and Quebec, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2008, pp. 19-38 ; NUNGAK, Zebedee, Contre le colonialisme dopé aux stéroïdes. Le combat des Inuits du Québec pour leurs terres ancestrales, Montréal, Boréal, 2019, p. 192.

11 En effet, la mobilisation contemporaine des Inuit: «[…] would require us to delve more deliberately into Indigenous-settler relations, histories of colonialism (and its spawn, neoliberalism), environmental justice and environmental racism, and animal rights discourse, as well as the neoliberalization of the broader environmental movement». KNEZEVIC, Irena, PASHO, Julie, DOBSON, Kathy, «Seal Hunts in Canada and on Twitter: Exploring the Tensions between Indigenous Rights and Animal Rights with #Sealfie», in Canadian Journal of Communication, 43, 3/2018, pp. 421-439, p. 435.

12 LIVERNOIS, John, «The economics of ending Canada’s commercial harp seal hunt», in Marine Policy, 34, 1/2009, pp. 42-53.

13 INNIS, A. Harold, The fur trade in Canada: an introduction to Canadian economic history, Toronto, University of Toronto Press, 2008, p. 502.

14 BUXTON, William (dir.), Harold Innis and the North: Appraisals and Contestations, Montréal-Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2013, p. 417.

15 HAWKINS, Roberta, SILVER, Jennifer J., «From selfie to #sealfie: Nature 2.0 and the digital cultural politics of an internationally contested resource», in Geoforum, 79, 2017, pp. 114-123.

16 SANDLOS, John, Hunters at the Margin. Native People and Wildlife Conservation in the Northwest Territories, Vancouver, University of British Columbia Press, 2008, p. 360.

17 L’emploi du masculin dans le présent article a pour seul but d’alléger le texte et ne relève aucunement d’une déconsidération du féminin.

18 DEYGLUN, Serge, Les Grands Phoques de la banquise, in Radio-Canada [télévision], 17 mai 1964, 19’, URL : < http://archives.radio-canada.ca/environnement/ecologie/dossiers/1023/ > [consultée le 23 mai 2020].

19 WENZEL, George, «‘I Was Once Independent’ : The Southern Seal Protest and Inuit», in Anthropologica, 29, 2/1987, pp. 195-210 ; RODGERS, Kathleen, SCOBIE, Willow, «Sealfies, seals and celebs: expressions of Inuit resilience in the Twitter era», in Interface: a journal for and about social movements, 2015, pp. 70-97.

20 DAUVERGNE, Peter, NEVILLE, Kate J., «Mindbombs of right and wrong: cycles of contention in the activist campaign to stop Canada's seal hunt», in Environmental Politics, 20, 2/2011, pp. 192-209.

21 S.N., «Background information on Seal Pups Directive», in ec.europe.eu, URL : < https://ec.europa.eu/environment/biodiversity/animal_welfare/seals/index_en.htm > [consulté le 7 juin 2020].

22 JOLIVET, Gérard, «L’Europe ne veut plus de peaux», in Radio-Canada [télévision], 6 février 1983, URL : < http://archives.radio-canada.ca/environnement/protection_environnement/clips/5756/ > [consultée le 5 juin 2020].

23 Royal Commission on Seals and the Sealing Industry in Canada, MALOUF, Albert H. (1986). Seals and sealing in Canada: Report of the Royal Commission. Montréal: Royal Commission on Seals and the Sealing Industry in Canada. Voir notamment le chapitre 11 sur l’opinion publique et la perception de l’abattage de mammifères marins, dont les baleines et les phoques au Canada, aux États-Unis et dans les pays européens.

24 HAWKINS, Roberta, SILVER, Jennifer J., op. cit., p. 115.

25 Par exemple la chasse aux «blanchons», les jeunes phoques qui ont une fourrure blanche caractéristique avant leur mue douze jours après leur naissance; ou encore l’usage de «gourdins» ou de «hakapiks» dans les méthodes d’abbatage.

26 S.N., « Les communes en faveur de la chasse au phoque », in Le Soleil, 25 mars 1977, s.p.

27 Depuis les débuts de la controverse, de Paul McCartney en 2006 à Ellen Degeneres en 2014 en passant par Brigitte Bardot et sa sortie médiatique aux côtés de Paul Watson en 1977 lors de sa visite controversée à Terre-Neuve, une campagne médiatisée contribue à la globalisation des protestations à l’égard de la chasse au phoque au Canada. Voir: APRIL, Pierre, « Fini le massacre des blanchons. Brigitte Bardot a gagné... », in Le Devoir, LXXVII, 293, 18 décembre 1986, p. 1.

28 YUNES, Erin, «Arctic Cultural (Mis)Representation. Advocacy, Activism, and Artistic Expression through Social Media», in Public, 27, 54, 2016, pp. 99-103.

29 Le dessin est une représentation de Brigitte Bardot en Inuk, vêtue d’un large manteau de fourrure et marchant blottie sous l’épaule d’un homme affichant lui-aussi une tenue citadine confectionnée à partir de peau de phoque. En second plan, un phoque arborant de petites cornes et une queue diabolique brandit une matraque et s’apprête à assainir un coup sur la tête de l’homme. IPELLIE, Alootook, Arctic Dreams and Nightmares, Penticton, Theytus Books, 1993, p. 104. Pour une mise en contexte de la démarche de l’artiste, voir pp. 104-113.

30 KENNEDY, Michael P.J., « Alootook Ipellie: The Voice of an Inuk Artist: Interview by Michael Kennedy », in Studies in Canadian Literature, 21, 2/1996, p. 162.

31 Voir PARCORET, Florence, « La chasse au phoque du Groenland à Essipit : enjeux et perspectives sur une activité innu aitun en péril », in Ethnologies, 41, 2/2019, pp. 129-155.

32 Hormis lors du mea culpa de Greenpeace, voir: KERR, Joanna, « Greenpeace apology to Inuit for Impacts of seal campaign », in greenpeace.org, 24 juin 2014, URL: < https://www.greenpeace.org/canada/en/story/5473/greenpeace-apology-to-inuit-for-impacts-of-seal-campaign/ > [consulté le 18 juin 2020].

33 Nous renvoyons à cet égard les lecteurs et lectrices au poster représentant deux étudiantes inuit et un veau d’élevage pour sensibiliser l’opinion publique au préjudice culturel que subissent les Inuit et subvertire l’iconographie des campagnes « anti-chasse » à l’égard de pratiques d’élevage et d’abbatage qui ont cours au Sud (2006). Dans RODGERS, Kathleen, SCOBIE, Willow, op. cit., p. 89. Mentionné avec l’aimable autorisation d’Angus Murray (2020).

34 LAUGRAND, Frédéric et Oosten, Jarich, Hunters, Predators and Prey. Inuit Perceptions of Animals, New York-Oxford, Berghahn Books, 2015, p. 38.

35 Ibidem, p. 52.

36 Ibidem.

37 SEN, Malcolm, «Spatial justice: The ecological imperative and postcolonial development», in Journal of Postcolonial Writing, 45, 4/2009, pp. 365-377.

38 CHAKRABARTY, Dipesh, «The Climate of History: Four Theses», in Critical Inquiry, 35, 2/2009, pp. 197-222.

39 SPIVAK, Gayatri C., Can the Subaltern Speak?, in MORRIS, Rosalind C. (dir.), Can the Subaltern Speak? Reflections on the history of an Idea, New York, Columbia University Press, 2010, pp. 21-78.

40 CHATTERJEE, Partha, Reflections on  Can the Subaltern Speak?”, in MORRIS, Rosalind C. (dir.), Can the Subaltern Speak? Reflections on the history of an Idea, New York, Columbia University Press, 2010, pp. 81-86.

41 Ibidem., p. 83.

42 CHAKRABARTY, Dipesh, op. cit., pp. 197-222.

43 SPIVAK, Gayatri C., op. cit., p. 35.

44 Les subalternes ne peuvent constituer un groupe ni un ensemble d’individualités porté par une condition commune équivalente à la catégorie marxiste de classe puisque toute conscience collective est inatteignable.

45 WATT-CLOUTIER, Sheila, Le droit au froid, Montréal, Écosociété, 2019, p. 356 ; «Qallunaat» signifie communément «non-Inuit».

46 La littérature anthropologique est certes abondante sur cette question, mais elle implique les mêmes précautions que nous évoquions au début de cet article. Ce discours ne saurait rendre compte des subjectivités et des perspectives de l’ensemble des habitants « ordinaires » de l’Arctique canadien, Autochtones comme Allochtones. C’est la raison pour laquelle nous avons entrepris d’explorer autrement et diachroniquement l’agentivité des Inuit et certains répertoires d’action mobilisés pour faire entendre leur voix. Par exemple, selon Brigitte Sonne, « In addition to allowing the procurement of skins for daily use, the bearded seal, by letting itself be caught, made possible admissions and relations to animal souls, spirits, and deceased relatives of the Other World, on which the entire life on earth depended», voir: SONNE, Brigitte, « Inuit Symbolism of the Bearded Seal», in Études/Inuit/Studies, 41, 1-2/2017, pp. 29-50, p. 46.

47 BORRÉ, Kristen, « Seal Blood, Inuit Blood, and Diet: A Biocultural Model of Physiology and Cultural Identity », in Medical Anthropology Quarterly, 5, 1/1991, pp. 48-62, p. 49.

48 Ibidem, p. 54.

49 Ibidem, p. 50.

50 WENZEL, George, op. cit.; WATT-CLOUTIER, Sheila, Le droit au froid, Montréal, Écosociété, 2019, p. 356.

51 RODGERS, Kathleen, SCOBIE, Willow, op. cit., p. 73.

52 OKITUK, Paulusi, «Native People Meet to Combat Effects of So-Called Conservation Groups», in Taqralik, 8/1984, pp. 23-24.

53 Le magazine «Taqralik» (aussi orthographié Takralik ou Taralik), fondé en 1974 par l’Association des Inuit du Nouveau-Québec (1972), diffuse des nouvelles d’intérêt pour les résidents du Nord du Québec (l’actuel Nunavik). Consulter les numéros parus pendant la controverse offre un éclairage particulier sur les événements. Le premier volume du livre Voices and Images of Nunavimmiut (2010) édité par Minnie Grey et Marianne Stenbaek présente des passages de ce magazine et témoigne de son importance pour les Inuits du Nunavik.

54 SAUNDERS, Malee, «Pauktuutit Staking out the Future for Inuit Women», in Taqralik, 2/1985, pp. 24-26.

55 Ibidem., p. 26.

56 GIRARD, André, «Makivik Presents Brief to Royal Commission on Sealing», in Taqralik, 2/1985, pp. 30-31.

57 Ibidem., p. 31.

58 GIRARD, André, «Inuit Tapirisat of Canada’s Statement on Sealing», in Taqralik, 2/1985, p. 31.

59 S.N., «Price Support Program for Seal Pelts», in Taqralik, 5/1985, p. 37.

60 Ibidem.

61 GIRARD, François, «Low-Flying Angels. Discussion of animal rights brakes down into mudslinging», in Taqralik, 2/1987, pp. 5-6.

62 THE EUROPEAN PARLIAMENT AND THE COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION, «REGULATION (EC) No 1007/2009 OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL of 16 September 2009 on trade in seal products», in Official Journal of the European Union, 31 octobre 2009, URL: < https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32009R1007 > [consulté le 23 mai 2020].

63 HENDRIE, Stephen, SIMON, Carole, «European Union Knows Proposed Seal Ban Would be Unlawful», in inuitcircumpolar.com, 27 mars 2009, URL: < https://www.inuitcircumpolar.com/press-releases/european-union-knows-proposed-seal-ban-would-be-unlawful/ > [consulté le 18 mai 2020].

64 SIMON, Carole, «Exemptions Help But EU Seal Ban Must Go», in inuitcircumpolar.com, 7 août 2015, URL: < https://www.inuitcircumpolar.com/press-releases/exemptions-help-but-eu-seal-ban-must-go/ > [consulté le 18 mai 2020].

65 LAUGRAND, Frédéric, OOSTEN Jarich, « The religion of nature: Evangelical perspectives on the environment”, Études/Inuit/Studies, 34, 1/2010, pp. 71-90.

66 Voir le message et la photographie du compte Twitter de la réalisatrice Alethea Arnaquq-Baril devenu emblématique du mouvement #Sealfie en réponse au célèbre selfie pris par Ellen DeGeneres lors de la cérémonie des Oscars (2014). Récupérée le 26 novembre 2020 de https://twitter.com/Alethea_Aggiuq/status/448913591509331968, avec l’aimable autorisation d’Alethea Arnaquq-Baril.

67 Le Conseil de l’Arctique est un forum intergouvernemental circumpolaire qui réunis les États-nations de l’Arctique, des membres permanents issus de différentes organisations autochtones et allochtones et des observateurs (étatiques ou non) extérieurs aux régions arctiques.

68 NUNATSIAQ NEWS, «No Seal, No Deal petition explained», in Nunatsiaq News, 3 mai 2013, URL: < https://nunatsiaq.com/stories/article/65674no_seal_no_deal_petition_explained/ > [consulté le 29 mai 2020].

69 DEAN, Dave, «Tanya Tagaq’s Cute Sealfie Pissed Off A Lot of Idiots», in Vice Media, 9 avril 2014, URL: < https://www.vice.com/en_ca/article/4w7awj/tanya-taqaqs-cute-sealfie-pissed-off-a-lot-of-idiots > [consulté le 20 juin 2020]. Le documentaire Angry Inuk dépeint la violence de ces attaques sur les réseaux sociaux et témoigne qu’elles sont le reflet de ce que les Inuits ont enduré depuis des décennies en termes de marginalisation et d’oppression. En affichant une photo de son bébé aux côtés d’un phoque chassé, Tanya Tagaq fera l’objet d’une vague de haine et d’attaques ad hominem.

70 SEJERSEN, Frank, The Anatomy of an Arctic Knowledge Debate: Lessons for capacity building, in Building Capacity in Arctic Societies: Dynamics and Shifting Perspectives. Proceedings of the Second IPSSAS Seminar, Iqaluit (Québec), Université Laval, pp. 63-80, p. 64.

71 Voir: CALLISON, Candis, How Climate Change Comes to Matter. The Communal Life of Facts, Durham et London, Duke University Press, 2014, p. 328.

72 ROUÉ, Marie, «Histoire et épistémologie des savoirs locaux et autochtones: De la tradition à la mode», in Revue d’ethnoécologie, 1/2012, URL : < http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnoecologie/813 > [consulté le 19 avril 2019].

73 MARIS, Virginie, op. cit.

74 SEN, Malcolm, op. cit.

75 CHARTIER, Daniel, « Renversements décoloniaux de la cartographie de l’Arctique », in Captures, 5, 1/2020, URL : < http://www.revuecaptures.org/node/4103/ > [consulté le 9 juin 2020].

76 CHATTERJEE, Partha, op. cit.

77 DORLIN, Elsa, Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, Éditions La Découverte, 2018, p. 288.

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Per citare questo articolo

Notizia bibliografica digitale

Julien Hocine e Oumar Kane, «Histoire environnementale, violence épistémique et contre-récit subalterne. Sur la controverse entourant la chasse au phoque au Canada»Diacronie [Online], N° 44, 4 | 2020, documento 5, online dal 29 décembre 2020, consultato il 10 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/diacronie/14890; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12fgi

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Autori

Julien Hocine

Julien Hocine est doctorant en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et récipiendaire d’une bourse du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il s’intéresse aux études critiques et à l’étude des discours relatifs aux représentations des territoires circumpolaires, aux infrastructures et usages des médias et des communications, et à l’environnement. Il est membre étudiant du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS) et de la Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique à l’UQAM.
URL: < http://www.studistorici.com/progett/autori/#Hocine >

Oumar Kane

Oumar Kane est professeur titulaire au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal. Il s’intéresse à l’épistémologie des sciences sociales et à l’articulation des luttes et des enjeux environnementaux avec les dimensions institutionnelles, politiques et médiatiques. Il est membre régulier de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) et du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS) à l’UQAM. Il est l’auteur de La communication environnementale. Enjeux, acteurs et stratégies (Paris, L’Harmattan, 2016).
URL: < http://www.studistorici.com/progett/autori/#Kane >

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