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I. Articoli
1

De la critique des dualismes de Val Plumwood aux histoires subalternes enchevêtrées

Julie Beauté

Abstract

Questo contributo si propone di seguire le orme dell’ecofemminista Val Plumwood, per mostrare come la sua critica dei dualismi, all’interno di un’analisi multidimensionale della subalternità e dell’oppressione, apra strade alternative per sfuggire a visioni dicotomiche e gerarchiche del modello dominante e ponga le basi per una lotta a favore della giustizia epistemica nella scrittura della storia. La posta in gioco non è quindi quella di riprendere la linearità razionale della storia ufficiale imposta dall’Occidente, ma al contrario di lasciare spazio a una varietà eterogenea di narrazioni subalterne più-che-umane, di seguire i loro mutevoli intrecci all’interno di configurazioni ecologiche e politiche.

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Testo integrale

“Val Plumwood (1990)” by Sean Kenan via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)Visualizza l'immagine
Credits: Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)
  • 1 Thiam, Awa, La Parole aux négresses, Paris, Denoël, 1978, p. 13.

Opposer une résistance à tous les plans
une résistance active
une résistance effective
à toute oppression
d’où qu’elle soit – à tout moment.
Seule une multitude de voix,
une multitude de résistances,
[…] pourraient changer la face actuelle du monde1

1. Introduction

  • 2 Salleh, Ariel, Introduction, in Mies, Maria, Shiva, Vandana (edited by), Ecofeminism, London-New Yo (...)

1L’écoféminisme est un mouvement théorique et politique qui insiste sur les liens historiques entre la domination des femmes et la destruction de la nature – deux oppressions non seulement contemporaines mais encore appuyées l’une sur l’autre. En soulignant les conjonctions multiples entre le féminisme et les préoccupations environnementales, le courant écoféministe fournit un cadre pour penser ensemble un faisceau de facteurs et d’oppressions, comme le capitalisme néolibéral, le militarisme, l’exploitation des travailleur·euse·s, les violences sexistes, le néocolonialisme, le racisme, les technologies du nucléaire, la déforestation, l’extractivisme, l’appropriation des terres et de l’eau, les changements climatiques ou encore le progrès moderne2.

  • 3 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, London, Routledge, 1993, p. 1 (toutes les citati (...)

2Il s’agit ici de suivre les pistes ouvertes par l’écoféministe Val Plumwood (1939-2008), philosophe australienne, pionnière en philosophie de l’environnement et militante écologiste, qui propose d’aider à développer un féminisme environnemental compatible avec la théorie féministe et ses exigences : un « féminisme écologique critique »3. Cette posture critique l’amène à analyser les pensées environnementale, féministe et écoféministe existantes, à proposer une théorie de la domination et à s’efforcer de réinventer nos identités et notre sensibilité au monde vivant tout en se dégageant de l’emprise des concepts abstraits occidentaux. Loin de se fonder sur les polarités du masculin et du féminin, ou de la culture et de la nature, le point de vue écoféministe de Val Plumwood repose sur une nette déconstruction des dualismes en tant que tels.

  • 4 Relativement aux Subaltern Studies, nous nous inscrivons dans le sillage de Spivak (Chakravorty Spi (...)
  • 5 Hache, Émilie (sous la dir. de), Reclaim: Recueil de textes écoféministes, Paris, Cambourakis, 2016

3Nous proposons ainsi de montrer en quoi sa critique de l’ensemble des dualismes, inscrite au sein d’une analyse pleinement multidimensionnelle de la subalternité et de l’oppression4, ouvre des pistes décentrées pour échapper aux visions binaires et hiérarchiques du modèle dominant, et pose les jalons d’une lutte pour la justice épistémique dans l’écriture de l’histoire. Il s’agit par-là de tirer le fil de la question des formes narratives de connaissance et, pour ce faire, d’enchevêtrer la voix plumwoodienne à d’autres voix : celles du recueil Reclaim d’Émilie Hache5, celle de la politologue décoloniale Françoise Vergès, de l’anthropologue américaine Anna L. Tsing, du philosophe post-colonialiste camerounais Achille Mbembe, de l’intellectuelle féministe américaine bell hooks ou encore de l’autrice de sciences-fictions Ursula Le Guin.

4Nous procéderons en trois temps. Nous commencerons par montrer comment Val Plumwood disqualifie les dualismes au sein d’une critique du rationalisme, afin de dégager la nécessité de renouveler notre rapport à la pensée et au savoir. Nous mettrons ensuite en évidence en quoi la multidimensionnalité, le décentrement et les relations permettent précisément de désamorcer ces dualismes et proposent des alternatives au modèle centrique, oppressif et dominant du maître. Nous en tirerons enfin les conséquences en termes de posture épistémologique, au sens où une distanciation des dualismes s’avère possible par la narrativité. L’enjeu sera alors non pas de reprendre la linéarité rationnelle de l’histoire officielle imposée par l’Occident, mais bien au contraire de faire place à une diversité de récits subalternes humains et plus qu’humains, de poursuivre leur fils enchevêtrés et mouvants au sein d’agencements écologiques et politiques.

2. Disqualifier les dualismes au sein d’une critique du rationalisme

2.1. La suprématie de la raison

  • 6 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit.
  • 7 ID., « Nature, Self, and Gender: Feminism, Environmental Philosophy, and the Critique of Rationalis (...)
  • 8 ID., Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 3.

5La critique des dualismes de Plumwood s’articule au sein d’une mise en cause du rationalisme occidental. Dans Feminism and the Mastery of Nature6, l’autrice souligne le rôle clef de la raison, souvent considérée comme la caractéristique définissant l’être humain authentique. La raison introduit une séparation tranchée entre humain·e·s et monde autre qu’humain : la suprématie accordée à cette faculté distinctive apparaît comme la clé de l’anthropocentrisme occidental7. Elle instaure au sein de l’humanité un modèle masculin d’abstraction, qui oppose le rationnel au personnel, au particulier et à l’émotionnel. Cette forme de rationalisme a donc influencé, par logocentrisme et ethnocentrisme, ce qui est au centre de toute morale, à savoir les concepts et sentiments éthiques impliquant une certaine rationalité. Le concept de raison fournit un contraste unificateur et déterminant pour le concept de nature, tout comme le concept de mari pour celui d’épouse ou le concept de maître pour celui d’esclave : « la raison, dans la tradition occidentale, a été construite comme domaine privilégié du maître, concevant la nature comme épouse ou subordonnée, comme sphère séparée et inférieure de la matérialité, de la subsistance et du féminin » 8.

  • 9 ID., « Decolonising relationships with nature », in PAN: Philosophy Activism Nature, 2/2002, pp. 7- (...)
  • 10 Denevan, William M., « The Pristine Myth: The Landscape of the Americas in 1492 », in Annals of the (...)
  • 11 On parle d’agentivité autre qu’humaine ou d’agentivité plus qu’humaine quand les agents en question (...)
  • 12 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 3.
  • 13 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2018, p. 184.

6La suprématie de la raison délimite de ce fait des aires de déficit rationnel, à savoir non seulement les émotions, mais aussi la nature, les soi-disant « primitifs » et les femmes9. L’idéologie rationaliste appliquée aux humain·e·s et aux autres qu’humains s’est notamment manifestée lors de la colonisation européenne des peuples indigènes et de leurs terres, considérées comme inutilisées ou vides10. Dans le cadre de cette forme eurocentrique de l’anthropocentrisme, l’agentivité autre qu’humaine11 est subordonnée, sinon niée : les autres qu’humains sont perçus comme un exogroupe défini comme une simple ressource, manquant d’esprit, de rationalité ou de ce qui en est l’expression. La nature apparaît donc comme une catégorie politique plutôt que descriptive, une sphère formée à partir de multiples exclusions par rapport au « protagoniste-super-héros de la psyché occidentale »12. La raison a ainsi formé la matière de l’histoire intellectuelle occidentale, dénigrant en bloc la nature, les femmes, le corps, le non-civilisé, la matière, les émotions, l’animalité ou encore le privé – en tant que sphères d’altérité non-rationnelles. Loin d’une hiérarchisation des oppressions, l’exclusion de la catégorie maîtresse et distinctive de la raison fournit les liens conceptuels entre les différentes catégories de domination, où les autres sont enfermés dans le paradigme du maître et de l’esclave, dans la dialectique de l’omnipotence et de l’impuissance, de la victoire et de la défaite13.

  • 14 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

7Le supposé déficit de rationalité invite à la conquête et à l’ordonnancement par ceux qui exemplifient au mieux la raison : les représentants de l’élite masculine, européenne et blanche. Un tel rationalisme motive l’exploitation – de la nature par la culture, du monde autre qu’humain par l’humanité, des primitifs par les civilisés, des femmes par les hommes, du corps par l’esprit, de la matière par la pensée ou des émotions par la raison. L’anthropocentrisme rationaliste introduit des champs de contrôle multiples, non seulement par rapport aux autres qu’humains, mais aussi dans divers groupes d’humain·e·s et dans des aspects de la vie qu’il s’agit de maîtriser. Le dépassement continuel et cumulatif de la nature par la raison engendre ainsi les concepts occidentaux de progrès et de développement, désignant alors des moyens de surmonter ou de contrôler la sphère non-rationnelle14.

2.2. La logique oppositionnelle du dualisme

  • 15 ID., « Nature, Self, and Gender », cit.

8La raison, comprise comme caractéristique suprême, introduit une discontinuité, une séparation ontologique correspondant à un modèle oppositionnel de valeurs : celui-ci permet de définir l’humanité selon un idéal masculin occidental, faisant face à la fois aux femmes et à la nature. D’après Plumwood, au fondement de l’aliénation des êtres humains par rapport à la nature, se trouve une aliénation des êtres humains par rapport aux qualités qui assurent une continuité avec la nature – la sympathie, la compassion ou encore le souci. À partir d’une dichotomie des valeurs et d’une distribution des caractères humains en deux pôles, l’autrice élabore une théorie du moi divisé, au sein de laquelle l’essence humaine est définie par exclusion de ce qui est associé à la sphère naturelle inférieure : ce qui, en l’être humain, est essentiel, correspond précisément à ce qui permet un contrôle maximal de la sphère naturelle – la rationalité, la liberté ou encore la capacité à transcender la matière15. L’humanité est définie non comme partie de la nature, mais comme partie séparée et opposée à elle, ontologiquement et axiologiquement. L’enjeu devient alors de reconceptualiser à la fois l’humanité et la nature contre l’héritage rationaliste occidental, en reconnaissant pour elles-mêmes les qualités déniées, construites comme étrangères et renvoyées à la sphère inférieure.

  • 16 ID., Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 57.

9Plumwood montre que cette structure oppositionnelle correspond à la logique propositionnelle classique, principale théorie logique de la modernité. La négation y apparaît en effet comme la clef de compréhension d’un binarisme drastique. Désignée par ~p (« non-p »), elle est définie comme étant l’univers sans p, c’est-à-dire tout ce qu’il y a dans l’univers qui ne recoupe pas p. Le diagramme de Venn représente de manière explicite p comme un disque, entouré d’un carré représentant l’univers, où ~p est interprété comme l’univers moins le disque p, c’est-à-dire comme « le reste »16. Ainsi, ~p ne peut être identifié positivement, puisqu’il dépend de p pour sa définition. Il n’a pas de rôle propre, il est l’autre de la notion première et principale p. La logique classique produit ainsi un cadre conceptuel pour la raison instrumentale, échouant à faire des distinctions plus fines dans l’identité prépositionnelle.

  • 17 Ibidem, p. 47.
  • 18 Ursula K. Le Guin (1929-2018) est une écrivaine américaine féministe de science fiction et de fanta (...)

10Ce modèle oppositionnel, appuyé sur la négation logique, introduit une hiérarchisation des valeurs, des concepts et des identités, selon un procédé dualiste. Le dualisme est en effet plus qu’une différence, une dichotomie ou une non-identité. Il exagère les dissemblances et nie les points communs en agençant les éléments selon un pôle inférieur et un pôle supérieur. Ainsi, « le dualisme est l’expression culturelle intense, établie et développée d’une relation hiérarchique qui construit des concepts et des identités culturelles de telle sorte que leur égalité et leur mutualité en deviennent impensables »17. Le dualisme signe l’inscription dans la culture de la relation de séparation et de domination, comme le souligne l’écrivaine Ursula K. Le Guin18 :

  • 19 Le Guin, Ursula, L’identité de genre est-elle une nécessité ?, in ID., Danser au bord du monde : Mo (...)

C’est la lutte pour la domination qui règne. La division est imposée, l’interdépendance refusée. Le dualisme des valeurs qui nous détruit, celui qui oppose le supérieur à l’inférieur, le dominant au dominé, le possédant au possédé, l’employeur à l’employé, pourrait dès lors céder la place à des modalités beaucoup plus saines, salutaires et prometteuses en matière d’intégration et d’intégrité19.

  • 20 Hache, Émilie, Préface, in id. (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57, p. 20.

11Cette volonté de dépassement du dualisme est caractéristique du mouvement écoféministe, qui s’efforce de déconstruire la hiérarchisation du monde entre, d’un côté, la matière, la corruption, l’impureté, le sensible, l’irrationnel, les femmes, la nature ; et, de l’autre, la raison, l’esprit, la culture, la pureté, la transcendance, les hommes20.

2.3. La structure du dualisme : les mécanismes de domination

  • 21 Ce paragraphe est construit à partir du chapitre 2 de Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Na (...)

12Au sein d’une critique politique et culturelle, Plumwood examine le concept de dualisme et en identifie une structure rigoureuse : elle dégage en effet cinq mécanismes de domination distincts mais interconnectés en jeu21.

13La mise en arrière plan (dénégation) – Le dualisme rejette à l’arrière-plan les catégories infériorisées en les présentant comme une simple toile de fond de l’histoire et de la pensée. Ce processus résulte de conflits insolubles que la relation de domination crée pour le maître : celui-ci bénéficie de l’Autre tout en niant une dépendance à ses services. L’Autre est alors pensé comme inessentiel. Dans un contexte androcentrique, centré sur les hommes, la contribution des femmes est niée, leur exploitation étant permise via l’expropriation de ce qu’elles produisent. De même, les colonisé·e·s sont dénigré·e·s en étant relégué·e·s à l’arrière-plan de la civilisation, tout comme leur terre. Cette nature elle-même est jugée inessentielle et négligée massivement, de telle sorte que ses exigences de survie ne semblent imposer aucune limite aux buts et entreprises humaines occidentales.

14L’exclusion radicale (hyper-séparation) – Le deuxième mécanisme consiste à soutenir que les catégories inférieures sont radicalement et essentiellement différentes des catégories supérieures. Il s’agit par là de définir l’identité dominante emphatiquement et en opposition à l’identité subordonnée, par exclusion de ses qualités réelles ou supposées. L’exclusion radicale ne correspond donc pas seulement à une séparation mais à une hyper-séparation : le maître tente d’amplifier le nombre, la portée et la signification des qualités distinctives, afin de traiter comme inessentielles les qualités partagées et les ressemblances. Les deux natures se trouvent alors séparées par un gouffre empêchant leur complémentarité. Cette maximisation de la séparation rend toute proximité, toute conjonction et toute continuité inimaginables : elle enferme les Autres dans l’altérité et naturalise la domination. L’humanité est donc conçue comme étant en dehors et à part d’une nature passive, qu’il s’agit de conquérir, d’investir et de maîtriser.

15L’incorporation (définition relationnelle) – Les catégories infériorisées sont définies par rapport aux catégories supérieures, par la négative et par la mise en évidence de manques ou de lacunes à combler. Ainsi, l’identification de l’Autre ne devient possible qu’en relation à l’identité dominante, selon un cas particulier d’incorporation. L’Autre est intégré aux besoins et aux désirs du maître, qui voit dans la dissemblance du subordonné un appel à le contrôler et à le gouverner. Les différences deviennent des déficiences – et donc la base de l’infériorité. Ainsi, dans le cas des colonisé·e·s, leurs discours, leur voix, leurs projets et leur religion ne sont valorisés que dans la mesure où ils sont assimilés à ceux du colonisateur. Leurs différences ne sont jamais perçues comme des signes de diversité, mais comme des négatifs à rectifier.

16L’instrumentalisme (objectification) – Les catégories inférieures se voient nier tout but propre. Elles sont intégrées à un réseau de buts attelés aux objectifs et aux besoins du maître. Celui-ci devient libre d’imposer ses propres fins. L’identité des inférieur·e·s est donc construite instrumentalement : les canons de vertu d’une bonne épouse, d’un·e bon·ne colonisé·e ou d’un·e bon·ne travailleur·euse sont définis en termes d’utilité pour l’identité dominante. L’Autre n’est pas agent de son sens culturel : il reçoit sa signification à travers les manipulations de la subjectivité du maître. Le colonisateur impose son agentivité et les colonisé·e·s sont fait·e·s pour le servir, comme moyens pour ses fins. De la même manière, la nature, dépourvue d’agentivité, peut être traitée comme une sphère instrumentale. Cette vision distord alors notre sensibilité et notre connaissance de la nature, empêchant toute forme d’humilité, d’étonnement et d’ouverture dans l’approche du monde plus qu’humain. Elle produit des modes étroits de compréhension et de classification qui réduisent les autres qu’humains à des matériaux bruts pour les projets humains dominateurs.

17L’homogénéisation (stéréotype) – Le processus d’homogénéisation consiste en une division du monde en deux ordres unifiés et cohérents. Dans la perspective du maître, tout ce qui n’est pas le dominant n’est que l’autre de ses réussites, sans distinction interne. Mettant dans le même panier la multiplicité des situations et des identités qui composent la sphère des dominé·e·s, l’homogénéisation s’appuie sur des stéréotypes, comme par exemple dans les questions de genre et de sexisme : il y aurait deux natures, une mâle et une femelle, éternelles et parfaitement cohérentes. Non seulement le dualisme construit deux genres parfaitement différenciés et normés, ignorant par-là la complexité concrète des identités individuelles de genre, mais il lisse en outre la diversité des situations au sein d’une même identité de genre, ne tenant compte que d’un seul type d’oppression à la fois. Il en va de même dans la relation coloniale : les colonisé·e·s sont perçu·e·s comme étant tou·te·s semblables. Iels sont considéré·e·s non comme individus mais comme collectivité anonyme dont les éléments sont uniformes et interchangeables. L’homogénéisation permet aussi de considérer les autres qu’humains eux-mêmes, ou bien comme des ressources homogènes et substituables les unes aux autres, ou bien comme une nature vierge, une wilderness pure – sous-estimant dans les deux cas la complexité de la nature. Le dualisme impose un cadre conceptuel qui crée deux ordres d’êtres traitables de manière unifiée, fournissant un support pour de multiples formes de centrisme.

2.4. Un abandon de la raison ?

  • 22 La notion de « plus qu’humain », quand bien même elle est moins négative et péjorative que les term (...)

18Cette critique du rationalisme passe spécifiquement par une mise en évidence de ce que Plumwood appelle la perspective du maître : la philosophe montre que la suprématie accordée à la raison engendre un faisceau de dualismes connectés les uns aux autres, qui polarisent les groupes en termes de supériorité et d’infériorité, ouvrant la voie aux oppressions de genre, de race, de classe et de la nature. Appuyés sur la logique classique et sur une discontinuité ontologique, ils empêchent tout rapport de liaison qui s’inscrive dans une perspective non seulement éthique et juste, mais aussi réaliste. L’autrice s’efforce donc d’esquisser des perspectives d’échappement à la structure dualiste. Elle montre qu’en faisant de la différence le véhicule de la hiérarchie, le dualisme distord la notion de différence. L’enjeu est alors de reconstruire, de façon critique, historique et politique, la relation et l’identité selon un concept non-hiérarchique de différence. Il s’agirait donc de reconnaître une dépendance envers ce qui a été ignoré, d’affirmer la continuité et non l’exclusion, de revendiquer une indépendance positive aux êtres, de considérer l’Autre comme source de besoins et de valeurs, et enfin de prendre conscience de la complexité et de la diversité humaine et plus qu’humaine22.

19Son propos s’oppose effectivement à la suprématie de la raison, à l’hégémonie de la tradition occidentale et à ses aspects colonialistes. Toutefois, une approche moins colonisatrice de la raison et de la nature ne revient pas à nier la raison humaine ni l’ensemble des conceptions de la rationalité, mais cesse de traiter cette faculté comme base de la supériorité et de la domination :

  • 23 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 4.

Critiquer les formes dominantes de la raison, qui incarnent l’identité maîtresse et qui s’opposent à la sphère de la nature, n’implique pas d’abandonner toutes formes de raison, de science et d’individualité. Il s’agit plutôt de les redéfinir ou de les reconstruire de manière moins oppositionnelle et hiérarchique. Découvrir l’identité politique derrière ces formes dominantes de raison, ce n’est pas diminuer, mais bien au contraire considérablement augmenter la portée et le pouvoir de l’analyse politique23.

  • 24 ID., « Nature, Self, and Gender », cit.

20La raison apparaît en effet comme une faculté plus large que la pensée objective dualiste. Le problème n’est pas de raisonner, mais de polariser et de créer un intervalle entre le sujet et l’objet : ce clivage introduit des rapports d’opposition et de domination entre les deux pôles, et passe sous silence les continuités. L’enjeu est alors de développer des réponses et des alternatives à cet héritage rationaliste24, afin d’échapper aux injustices épistémiques et aux visions binaires et hiérarchisées du modèle dominant, du modèle du maître.

3. Désamorcer les dualismes : multidimensionnalité, décentrement, relations

3.1. La multidimensionnalité face au modèle du maître

  • 25 Sur l’interconnexion de l’anthropocentrisme et de l’androcentrisme, voir notamment: Burgart Goutal,(...)
  • 26 Plumwood, Val, « Nature, Self, and Gender », cit.
  • 27 Crenshaw, Kimberlé W., « Mapping the margins: Intersectionnality, identity, politics and violence a (...)

21L’analyse de la structure du dualisme permet à Plumwood de mettre en évidence les mécanismes communs et les liens conjugués des différentes relations de domination. Sa démarche s’inscrit dans le projet écoféministe qui vise à établir des connexions entre anthropocentrisme et androcentrisme : ces deux formes de domination s’appuient l’une sur l’autre et inversement, au-delà d’un simple parallélisme logique25. Néanmoins, Plumwood aspire à un projet plus étendu puisque, sans pour autant les mentionner, elle fait écho aux Subaltern Studies qui soulignent l’interconnexion des oppressions de race, de classe sociale, de genre, de sexualité ou encore de religion. L’autrice parle en effet d’un « réseau de dualismes interconnectés »26. On a donc affaire à une cartographie complexe où les différents rapports de domination s’articulent non pas de manière simplement analogique, mais de manière spécifique et non additive27 : les dominations interagissent dans une variété de contextes, générant des formes synergiques d’exclusion.

  • 28 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes int (...)
  • 29 Hutchinson, Darren, « Identity Crisis: “Intersectionality,” “Multidimensionality,” and the Developm (...)
  • 30 Ibidem.

22L’intersectionnalité analyse l’imbrication entre des systèmes de domination croisés plutôt que séparés et exclusifs. Les identités sont enchâssées dans des rapports de force de manières différentes et situées, une personne ayant à la fois une identité de genre mais aussi une position sociale, une éducation, une couleur de peau, une nationalité, une orientation sexuelle, etc.28. Darren Lenard Hutchinson29 décrit les apports des analyses intersectionnelles : l’intersectionnalité permet de ne pas se rapporter aux catégories oppressées comme à des groupes monolithiques ; d’analyser une oppression en examinant comment les autres systèmes de domination sont affectés ; de ne pas centrer l’analyse sur des individus privilégiés ; enfin de tenir compte de l’interaction des différentes formes de domination. Toutefois, d’après Hutchinson, il n’y a pas simplement une intersection entre des discriminations, mais des discriminations multidimensionnelles. La notion de multidimensionnalité vise à étendre la portée de l’intersectionnalité, telle qu’elle s’est construite historiquement autour de l’expérience des femmes racisées. D’une part, elle en élargit le contenu, en intégrant la domination hétéronormative en plus de celles de la race, du genre et de la classe. D’autre part, elle complexifie les concepts et les catégories de domination, en soulignant le caractère contextuel et mouvant des identités et des oppressions, ainsi que leur renforcement mutuel30.

  • 31 Vergès, Françoise, Un féminisme décolonial, Paris, la Fabrique, 2019, p. 35. La militante féministe (...)

Il ne s’agit pas de relier des éléments de manière systématique et finalement abstraite, mais de faire l’effort de voir si des liens existent et lesquels. Une approche multidimensionnelle permet d’éviter une hiérarchisation des luttes fondées sur une échelle d’urgence dont le cadre reste souvent dicté par des préjugés31.

  • 32 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 1.

23L’analyse multidimensionnelle de Plumwood s’oppose elle aussi à la segmentation des perspectives, puisque l’autrice tire de nombreux fils pour mettre en lumière des réseaux d’oppressions concrets qui tissent la toile de l’exploitation. Se distinguant d’une hiérarchisation des oppressions, sa critique s’appuie sur une théorie de la domination et analyse le modèle du maître. L’enjeu est d’en articuler les différentes plaques tectoniques pour échapper aux réductionnismes : « lorsque quatre plaques tectoniques [...] – celles concernées par les oppressions de genre, de race, de classe et de la nature – finissent par se réunir, les tremblements qui en résultent ébranlent à leurs fondements les structures conceptuelles de l’oppression »32. Plumwood présente la critique du modèle du maître comme un enrichissement du féminisme à la suite de rencontres avec d’autres formes de domination et leurs théories. Elle invite à franchir une frontière supplémentaire, essentielle quoique difficile, en intégrant la domination de la nature. La nature est certes une catégorie très large et changeante, mais elle est la pièce manquante du cadre d’analyse. Si une explication adéquate de la domination de la nature doit s’appuyer sur les théories d’autres formes d’oppression, elle semble en retour pouvoir contribuer à une compréhension plus complète de la domination et de la colonisation. Plumwood propose ainsi un cadre commun et intégré pour la critique de la domination humaine et de la domination de la nature, en reconnaissant la complexité de l’identité dominatrice du maître.

3.2. Contourner le centrisme en décolonisant la pensée

  • 33 Lugones, Maria, « Heterosexualism and the colonial modern gender system », in Hypatia, 22, 1/2007, (...)
  • 34 Oyěwùmí, Oyèrónk, The Invention of Women: Making an African Sense of Western Gender Discourses, Min (...)
  • 35 Voir: Mohanty, Chandra, « Under Western Eyes: Feminist Scholarship and Colonial Discourses », in Fe (...)
  • 36 Vergès, Françoise, Un féminisme décolonial, cit., p. 25.

24Plumwood met en place une critique décoloniale de la modernité : le colonialisme, jouant un rôle décisif dans le point de vue du maître, interfère dans les dominations de race, de classe, de genre et de la nature. Dans le cas du genre, le féminisme décolonial a notamment souligné la colonialité du genre33, liée à l’hégémonie du biologisme occidental et à la domination de l’idéologie nord américaine dans la théorie féministe34. Dans une volonté de justice épistémique, il s’agit au contraire de réclamer l’égalité entre les savoirs : le féminisme décolonial conteste l’idée selon laquelle l’Occident est le siège de l’élaboration des connaissances. Il en appelle à « décoloniser » la sphère de production des savoirs, dans la mesure où les universitaires occidentaux·ales en détiennent le monopole35, et à s’opposer à « l’idéologie occidentale-patriarcale qui a fait des femmes, des Noir·e·s, des peuples autochtones, des peuples d’Asie et d’Afrique des êtres inférieurs et marqués par l’absence de raison, de beauté, ou d’un esprit naturellement apte à la découverte scientifique et technique »36.

  • 37 On pourrait ajouter le repro-centrisme, très clairement mis en évidence dans Mortimer-Sandilands, C (...)
  • 38 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

25Plumwood accuse de même la suprématie du système colonial eurocentrique, qui consiste en un système de relation de pouvoir où les intérêts des dominants sont distingués comme étant universels et mutuels, mais où le colonisateur prospère au dépend du colonisé. Son analyse de la structure conceptuelle coloniale, fondée sur la logique oppositionnelle du dualisme, l’amène au total à récuser non seulement l’androcentrisme et l’anthropocentrisme, mais aussi l’ethnocentrisme et l’eurocentrisme37. Décoloniser la connaissance revient alors à accuser la tendance au centrisme et à élaborer des théories contre-centriques, susceptibles de transcender la perspective coloniale et dualiste ainsi que ses pièges conceptuels systématiques. La structure centrée témoigne en effet d’une insensibilité envers les besoins de l’Autre, envers son agentivité et ses revendications. Le centrisme empêche toute compréhension sensible, sympathique ou même fiable : il s’inscrit au sein d’une « cécité morale et culturelle »38. Plumwood en appelle ainsi à abandonner le paradigme centrique au profit d’un cadre qui encourage l’écoute de l’autre et la rencontre avec la terre.

  • 39 Ibidem. Plumwood utilise dans ses textes le terme de non-human, que nous avons traduit comme tel, e (...)
  • 40 Plumwood, Val, The Eye of the Crocodile, Canberra, ANU E Press, 2013, p. 16. Nous nous référons not (...)
  • 41 Plumwood donne ainsi une couleur particulière à la formule rapportée par Émilie Hache : « Nous ne n (...)

26Le féminisme écologique critique aspire à décoloniser la pensée dans le rapport aux autres, humain·e·s et plus qu’humains. Plumwood rend compte des effets indirects de la colonisation que sont les pillages et les dégâts causés sur les terre des colonisé·e·s et sur les populations biotiques. Ainsi, « le concept de colonisation peut être appliqué directement à la nature non-humaine elle-même »39 : la relation entre certains êtres humains et le monde plus qu’humain est une relation de colonisation. Pour reconnaître que la nature et les peuples indigènes ont été colonisé·e·s, il semble nécessaire de repenser, relocaliser et redéfinir nos concepts au sein d’une critique anti-coloniale plus large. En réinventant nos identités et notre sensibilité au monde vivant, la critique du point de vue du maître débouche sur une ontologie relationnelle écoféministe, susceptible de désamorcer les conditions subalternes dans leur diversité. « Reformuler la vie humaine en termes écologiques, et reformuler la vie non-humaine en termes éthiques »40 est une voie pour décoloniser et écoféminiser la pensée, en se laissant contaminer par les milieux vivants41.

3.3. De la déliaison aux relations

  • 42 Mbembe, Achille, op. cit. Achille Mbembe (1957-...), philosophe camerounais, est professeur d'histo (...)
  • 43 Ibidem, p. 65.
  • 44 Ibidem, p. 14.

27Les dualismes produisent séparations et discontinuités : il s’agit de les désamorcer explicitement. Dans cette perspective, Achille Mbembe propose une analyse de la déliaison42 susceptible d’éclairer la portée du geste plumwoodien. Il souligne que notre époque est celle du fantasme de la séparation, voire de l’extermination. Même pour rassembler, la division est de rigueur : « chaque fois que nous disons “nous”, il nous faut à tout prix exclure quelqu’un, le dépouiller de quelque chose, procéder à quelque confiscation »43. Le capitalisme génère de nombreuses pulsions de séparation : il fabrique des races et des espèces, il cherche à tout calculer et à tout convertir en marchandises échangeables, et il exerce un monopole sur la fabrication du vivant. Il amplifie les attaches narcissiques, avec lesquelles l’imaginaire se fixe sur l’étranger, le non-semblable, objet d’hostilité sinon de haine. Mbembe dépeint ainsi un « monde des hommes sans liens, où les hommes n’aspirent qu’à se mettre en congé les uns des autres »44, un monde régi par la relation de déliaison, une relation sans désir. Ce lien d’inimitié qui détruit tout autre lien social et normalise l’idée selon laquelle le pouvoir ne s’acquiert et ne s’exerce qu’au dépend de la vie d’autrui.

  • 45 Plumwood, Val, The Eye of the Crocodile, cit.

28Dans cette période d’exposition et de destruction extrêmes, la fragilité et l’instabilité sont le lot de tou·te·s. Le fond commun des vivants est la vulnérabilité, à commencer par celle du corps exposé à la souffrance. Se laisser affecter par autrui pourrait constituer le premier pas vers une forme de sollicitude qui échappe à la déliaison. C’est l’objectif de Plumwood dans son ouvrage The Eye of the Crocodile45, qui aborde les questions de prédation, de nourriture ainsi que de vulnérabilité. Au-delà de toute exceptionnalité humaine, les êtres humains sont de la nourriture pour beaucoup d’autres organismes. Plumwood nous confronte à la réalité de l’incarnation, à notre appartenance au règne animal en tant que denrée alimentaire, en tant que corps vulnérable, et à notre affiliation à ceux que nous mangeons. Se concevoir sous les traits d’une nourriture utile pour d’autres, se comporter comme tel, est un moyen non seulement de trouver une place dans le monde sous un jour plus égalitaire, mais aussi d’affirmer la solidarité qui nous lie aux autres plus qu’humains. Mbembe comme Plumwood en appellent donc à la reconnaissance de nos vulnérabilités communes, de l’irréductibilité du lien humain et de sa non-séparabilité avec les autres vivants.

  • 46 Plumwood, Val, Environmental Culture: The Ecological Crisis of Reason, London-New York, Routledge, (...)
  • 47 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 67.

29Une pensée des complémentarités doit donc remplacer celle de la différence, au sein d’une éthique et d’une politique de la réciprocité. Le concept requis n’est pas celui d’identité ou d’unité, mais celui de solidarité, c’est-à-dire de relation de soutien au sens politique46. La notion de solidarité permet une nette distinction, mise en évidence par Mbembe, entre l’« universel » et l’« en-commun » : le premier implique l’inclusion à quelque entité déjà constituée, tandis que le second présuppose un rapport de coappartenance et de partage47. Cette politique du vivant, par-delà l’humanisme, ouvre ainsi la voie à l’idée d’une communauté vivante pleine d’agentivités multiples qui trouvent foyer commun sur la terre.

  • 48 Ibidem, p. 26.

Les occupants du monde ne se limitent plus aux seuls êtres humains. Plus que jamais, ils incluent nombre d’artefacts et toutes les espèces vivantes organiques et végétales. Il n’y a pas jusqu’aux forces géologiques, géomorphologiques et climatologiques qui ne complètent la panoplie des nouveaux habitants de la Terre. […] Nous sommes donc passés de la condition humaine à la condition terrestre48.

  • 49 Plumwood, Val, « Nature, Self, and Gender », cit. Le moi-en-relation apparaît comme l’expression de (...)
  • 50 Mbembe parle à ce propos d’« éthique du passant ». Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., (...)
  • 51 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit. Sur la question de la parenté avec (...)
  • 52 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 202.

30Cette condition terrestre implique des enchevêtrements plus qu’humains. Le « moi-en-relation »49 est inséré dans un réseau de relations non pas extrinsèques mais essentielles aux autres : l’identité est affaire de plasticité, de co-composition, d’ouverture, de réciprocité entre de multiples chairs et de multiples lieux. Les existences font des détours et des rapprochements parfois improbables, nouent et dénouent des situations, opèrent des transformations dans la continuité, s’assimilent réciproquement, par phagocytage et assemblage de singularités multiples50. Cette représentation relationnelle, fondement pour une éthique du lien et du souci des autres, reconnaît donc à la fois la continuité et la différence, puisqu’elle décrit les chevauchements et la parenté des existences sans ignorer l’indépendance de l’autre51. Elle repose sur la double expérience « de présence et d’écart, de solidarité et de détachement, mais jamais d’indifférence »52 : elle est une pensée du passage et de la vie qui s’écoule.

4. Distancer les dualismes par des récits subalternes plus qu’humains

4.1. Savoirs situés

  • 53 Gloria Jean Watkins (1952), connue sous son nom de plume bell hooks, est une autrice et une activis (...)
  • 54 hooks, bell, De la marge au centre - théorie féministe, Paris, Cambourakis, 2017.

31Il s’agit désormais de dégager, des pistes esquissées autour de la multidimensionnalité, du décentrement et des enchevêtrements, une posture épistémologique susceptible de distancer les injustices épistémiques inhérentes au modèle du maître. Dans cette perspective, au sein des réseaux de relations, contextualiser sa démarche à partir de l’expérience devient une méthode, l’effort d’auto-compréhension et d’auto-explication permettant d’éclairer et d’amplifier la portée de l’argumentation. On distingue ce trait au sein des Subaltern Studies et notamment chez la penseuse bell hooks53. Sa critique a en effet été influencée par son statut de membre d’un groupe opprimé, par son expérience de la domination sexiste et par sa frustration universitaire vis-à-vis du féminisme occidental54 : en se référant à son expérience, elle renforce son propos et donne de la visibilité à la vie des femmes noires.

  • 55 Hache, Émilie, Préface, in Hache, Émilie (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57, p. 54.

32De manière similaire, Plumwood n’hésite pas non plus à mettre en avant sa propre biographie et ses propres expériences pour soutenir son propos, malgré son approche philosophique. C’est en particulier le cas dans The Eye of the Crocodile, écrit à la suite de son accident au Kakadu National Park : en 1985, elle échappe à un crocodile marin et cette expérience va influencer son travail de manière cruciale. La visée didactique et critique de cette approche concrète est commune au sein du courant écoféministe, qui développe un mode de connaissance empirique et non a priori. Il s’agit pour les écoféministes de redécouvrir l’histoire de la destruction croisée des femmes et de la nature en partant des rapports sensibles et de l’expérience incarnée, afin de sortir de l’épistémologie dominante objectivante et inerte55.

  • 56 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 19.
  • 57 Haraway, Donna, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partia (...)

33Déconstruire le modèle du maître semble alors en passer par la pleine reconnaissance du statut provincial de nos discours et de nos concepts56. Pour mettre en œuvre une critique de l’universalisme abstrait et hégémonique, la théorie du point de vue – ou du positionnement – interroge les conditions de possibilité de l’objectivité et d’un point de vue privilégié sur lequel fonder la connaissance. Donna Haraway propose notamment une épistémologie féministe appuyée sur la notion de savoirs situés57, au sens où les connaissances sont issues d’encorporations spécifiques et contingentes, et où elles inaugurent des perspectives partielles sur le monde. Non seulement toute connaissance se doit d’être délimitée, localisable et contextuelle, mais seule la perspective partielle garantit une vision objective. Contre toute astuce divine (god-trick) qui prétendrait à un point de vue universel et omniscient, une position véritablement objective est une connexion partielle.

  • 58 Ibidem, p. 583.

34Les savoirs situés consistent ainsi en une pratique critique de l’objectivité et désamorcent toute prétention d’innocence : ils invitent sans cesse à interroger, déconstruire et reconstruire les connaissances et leurs méthodologies. « L’objectivité féministe est affaire d’emplacement délimité et de savoir situé, pas de transcendance et de division entre sujet et objet. Ainsi seulement pourrons-nous répondre de ce que nous apprenons à voir58 » : les savoirs situés s’inscrivent ainsi dans la continuité de la critique des dualismes et rendent possibles les connexions et les ouvertures inattendues, les rencontres de vues partielles et de voix hésitantes dans une position subjective collective.

  • 59 Haraway, Donna, When Species Meet, Minneapolis & London, University of Minnesota Press, 2007.
  • 60 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes int (...)

35Il s’agit donc d’apprendre à voir d’en bas59 et de se doter d’instruments optiques forgés à partir des regards minoritaires60. Le regard dominateur, totalisant et centré empêche la justice épistémique. La marginalité offre en revanche une perspective unique sur le monde et sur la connaissance pour critiquer l’hégémonie et enrichir la diversité des savoirs et des points de vue. Comme le confirme bell hooks, si être dans la marge, c’est faire partie d’un tout mais en dehors de l’élément principal, la position marginale permet de comprendre à la fois la marge et le centre.

  • 61 hooks, bell, De la marge au centre - théorie féministe, cit., pp. 59-60.

Cette façon de voir les choses nous rappelait l’existence d’un univers entier, d’un corps principal constitué à la fois d’une marge et d’un centre. Notre survie dépendait de notre conscience ostensible permanente de la séparation entre la marge et le centre, et de notre conviction individuelle profonde que nous étions une part vitale et nécessaire de cet ensemble61.

  • 62 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

36C’est ce sens de l’entièreté et de la complexité que Plumwood s’efforce de toucher. Quoique membre d’une culture colonisatrice envers les peuples indigènes australiens, elle en appelle à une connaissance approfondie et concrète à la fois de la marge et du centre62.

4.2. Parler avec : pour une écriture dialogique

  • 63 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes int (...)
  • 64 Alcoff, Linda, « The Problem of Speaking for Others », in Cultural Critique, 20, 1991, pp. 5-32.
  • 65 hooks, bell, Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics, Toronto, Between-the-lines, 1990.
  • 66 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes int (...)

37La vision d’en bas s’avère toujours dangereuse. Un risque majeur est celui de la captation et de l’usurpation de la parole par les personnes en position dominante : « parler pour les personnes minorisées d’ores et déjà invisibilisées, c’est redoubler l’exclusion et déposséder toute capacité d’action et d’expression »63. D’un tel positionnement et de telles prises de paroles découlent violence, domination et impérialisme épistémiques64, comme en témoigne bell hooks : « nous craignons celles et ceux qui parlent de nous, qui ne parlent ni à nous ni avec nous. Nous savons ce que c’est que d’être réduit·e·s au silence »65. Il conviendrait donc, dans une posture d’allié·e·s, de privilégier le « parler à » et le « parler avec », afin d’éviter les possibilités de mé-compréhension et les injustices épistémiques. En favorisant le dialogue, on s’oppose en effet à la réaffirmation de sa propre autorité et de ses privilèges, ainsi qu’à l’opposition impérialiste entre l’agent connaissant et l’objet de la connaissance66.

  • 67 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

38On voit donc la nécessité de relayer la parole et non de l’accaparer, de diffuser les savoirs, les philosophies, les littératures et les imaginaires, et surtout de parler avec, d’écouter et d’engager des dialogues. C’est d’ailleurs sur cette piste que s’engage Plumwood, en insistant sur la nécessité de réinventer de nouvelles manières de dialoguer. Elle défend l’idée que si les relations centrées sont particulièrement dangereuses, c’est parce qu’elles sont monologiques plutôt que dialogiques. Elle oppose ainsi la rationalité du monologue, qui consiste en une relation unilatérale, et l’adaptation mutuelle du dialogue qui repose sur l’accommodement, la négociation, la communication et l’attention. Elle encourage à renoncer à la démarche monologique du paradigme centrique, pour un cadre dialogique et libérateur qui encourage l’écoute de l’autre et la rencontre de la terre67.

4.3. Écouter la terre par la narration

  • 68 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 6. Ce modèle des relations à la terre s (...)

39La démarche dialogique peut s’étendre au monde plus qu’humain lui-même, comme en témoigne le travail de Plumwood : son attachement singulier aux lieux montre que les territoires et les plus qu’humains sont au cœur de sa pensée. Elle met en évidence l’appauvrissement de la biodiversité et de la culture de la terre australienne, causé par les velléités de conquêtes colonisatrices. Selon le point de vue du maître, les lieux sont perçus comme des surfaces neutres par une vision euclidienne et insensible qui bloque la rencontre avec les plus qu’humains. Il s’agit au contraire de reconnaître l’agentivité, la centralité et la spécificité des lieux et des contextes, et de nouer une relation essentielle d’identité et de parenté avec certains endroits particuliers et leurs habitants plus qu’humains. La culture maîtresse doit désormais retourner à la terre : « ce n’est plus simplement une question de justice, mais à présent aussi une question de survie »68.

  • 69 ID., « Decolonising relationships with nature », cit.
  • 70 Sur ce point, voir: Berndt, Ronald M., Berndt, Catherine H., The Speaking Land: Myth and Story in A (...)
  • 71 En anglais : a wood of plum trees. Je remercie les deux relecteur·rice·s pour avoir attiré mon atte (...)
  • 72 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.
  • 73 Le Guin, Ursula, Discours de la main gauche pour une remise de diplômes, in Le Guin, Ursula, Danser (...)
  • 74 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

40Un premier pas pour engager la décolonisation de notre rapport au territoire consiste en l’acte de nommer ou de renommer, de manière soucieuse, attentive et interactive. Renommer revient alors à chercher l’esprit du lieu auprès de et avec les êtres humains et autres qu’humains, à chercher une connaissance venant d’autrui en accordant une attention compatissante – au contraire des pratiques colonisatrices qui imposent des noms de manière anthropocentrique et eurocentrique69. Pour Plumwood, il s’agit là d’un projet partagé démocratique, qui vise à se rapporter à la terre dans ses propres termes, à la terre parlante70. Une dénomination profonde (deep naming) lie ensemble les savoirs botaniques, empiriques, pratiques et philosophiques de la région, et propose des noms connectés à des récits, qui donnent sens et voix à la terre et aux vivants. C’est dans cette perspective que Plumwood a changé son propre nom pour placer son identité en dialogue avec l’endroit où elle vivait : un bois de pruniers71. L’enjeu est donc de générer des noms dialogiques qui témoignent d’une relation signifiante à la terre et d’une coopération culturelle entre les habitant·e·s indigènes et non-indigènes72. En nous souvenant que « la terre est notre contrée »73, nous pourrons trouver l’Esprit des Lieux et commencer à « parler dans de nombreuses langues »74.

  • 75 Ibidem.
  • 76 Le Guin, Ursula, Quelques réflexions sur la narration, in ID., Danser au bord du monde, cit., pp. 5 (...)

41Le paradigme communicatif, dans lequel s’inscrit Plumwood, repose sur des méthodes narratives servant à nommer et à interpréter la terre : raconter l’histoire de celle-ci, c’est en élaborer, par une interaction dialogique, une connaissance intense et partagée. Analysant les patterns narratifs aborigènes de dénomination, articulés autour d’histoires, l’autrice montre que la capacité à se relier dialogiquement au monde plus qu’humain est source de récits et fait place à une multiplicité des sujets narratifs – les plus qu’humains – sur une terre parlante, participante, pleine d’histoires et de voix mythiques. Le récit et les discours semblent ainsi être d’une importance décisive pour constituer l’identité morale des êtres vivants, capables d’intentionnalité et dont les voix sont connectées par des récits, sans misérabilisme ni polarisation. Les histoires construisent une identité commune et une pratique spirituelle, en intégrant de manière riche, complexe et éclairante ce que l’Occident traite comme opposé : la vie et la théorie75. Les récits acquièrent ainsi un statut épistémologique singulier, en tant que stratagèmes non seulement de lien mais aussi d’impermanence. Selon l’écrivaine Ursula K. Le Guin, la narration est même « un moyen et une façon de vivre »76, en tant qu’elle affirme le temps dont on fait l’expérience, ce temps chargé de sens, au sein d’une poétique de la Terre.

  • 77 Hache, Émilie, Préface, in ID. (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57.
  • 78 Au sens d’« HistoirE » ou d’« Herstory », appellations utilisées pour se détacher de l’hégémonie de (...)
  • 79 Le Guin, Ursula, Discours de remise de diplômes à Bryn Mawr, in ID., Danser au bord du monde, cit., (...)
  • 80 Ibidem, p. 178.
  • 81 Ibidem, p. 179.

42L’émergence d’histoires dans notre relation au monde et aux autres êtres souligne l’importance de la langue et de l’écriture. L’écoféminisme en prend acte et fait de l’écriture un lieu d’élaboration central de la pensée, afin d’instaurer une prise particulière sur le monde. Émilie Hache insiste sur l’hybridité de textes écoféministes aux approches multiples et sur la « polyarticulation » des dimensions littéraires, théoriques et politiques en leur sein77. L’écoféminisme regroupe un grand nombre de fictions, de narrations non-fictionnelles, de poésies, de pièces de théâtre, de danses, de chants ou encore de théalogies, qui permettent aux écoféministes de revendiquer leur propre histoire78. Dans ce cadre, le choix épistémologique du récit privilégie un mode de pensée sensible et au contact de l’expérience, qui ne coupe pas les idées de leur milieu ni ne dépolitise les luttes. L’enjeu de l’écriture est de développer une langue qui puisse s’opposer à ce que Le Guin appelle le dialecte de « la langue paternelle » – le langage de la pensée qui vise à l’objectivité, qui met à distance et crée des intervalles insurmontables79. La langue paternelle exprime les valeurs d’un monde clivé qui crée des subdivisions, elle parle d’en haut et ne va que dans un sens, elle n’attend aucune réponse. Or, « la langue des pères, de l’Homme dans son ascension, de l’Homme conquérant, civilisé, n’est pas votre langue natale. Elle n’est d’ailleurs la langue natale de personne »80. Les histoires et les créations littéraires permettent de retrouver la langue maternelle – langue vulgaire, commune, familière, ordinaire, inférieure – qui, elle, attend une réponse et vise à une mise en relation multiple : écrite ou orale, elle est un nœud d’échanges, un réseau complexe et intense de liens, elle est portée par le souffle de notre vie, nous rendant à notre liberté. Elle cherche des connexions narratives et non l’affirmation de faits : « c’est la langue dans laquelle on raconte les histoires »81.

4.4. Récits enchevêtrés plus qu’humains

  • 82 Morizot, Baptiste, Sur la piste animale, Arles, Éditions Actes Sud, 2018, p. 21.
  • 83 Sur la notion de poétique de l’attention, voir : Despret, Vinciane, Habiter en oiseau, Arles, Éditi (...)
  • 84 Tsing Lowenhaupt, Anna, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruin (...)
  • 85 Stengers, Isabelle, « Jeux de ficelle avec Haraway », in Caeymaex, Florence, Despret, Vinciane, Pie (...)
  • 86 Deleuze, Gilles, Guattari, Félix, Capitalisme et Schizophrénie, t. 2, Mille plateaux, Paris, Éditio (...)
  • 87 Tsing Lowenhaupt, Anna, Le Champignon de la fin du monde, op. cit., p. 77.

43À contre-courant du modèle du maître, le récit apparaît donc comme une voie pour décoloniser et écologiser la pensée. Il s’agit dès lors d’écrire des histoires en suivant la trace des êtres, en pistant leurs points de vue et en en tirant les fils, en toute responsabilité. Pister, c’est « décrypter et interpréter les traces et empreintes, pour reconstituer des perspectives »82, c’est enquêter sur l’art d’habiter des autres vivants en centrant l’attention sur les lieux et les relations83. Suivre une trace devient alors une manière de chercher un point de vue en écrivant des histoires, tissées de contingences et attachées à des perspectives disparates, multiples et particulières. L’anthropologue Anna L. Tsing, dans Le Champignon de la fin du monde, cherche des histoires selon de multiples points de vue, humains et plus qu’humains, afin de rendre compte de la précarité de la vie et des enchevêtrements à l’œuvre dans le monde84. Elle déploie des récits qui ne coupent pas les ficelles des pensées et qui enchevêtrent les lignes de vie pour créer de nouveaux motifs, au-delà des modèles, des plans, des patrons et des schémas85. Dans ces histoires, la carte des perspectives et des relations vivantes n’est pas plate, mais vallonnée, ouverte, à entrées multiples, connectable dans toutes ses dimensions, susceptible de recevoir constamment des modifications86. Écouter et raconter des histoires troubles et mouvantes devient alors non seulement une méthode, mais aussi une science, à ajouter au panel de la connaissance : « son objet de recherche est la diversité contaminée ; son unité de base est la rencontre indéterminée »87.

  • 88 Le Guin, Ursula, Quelques réflexions sur la narration, cit., p. 61.

44Contre une vision computationnelle, fonctionnaliste et scalable, les histoires permettent de saisir le monde comme ouverture, sur le mode de l’inattendu. Elles prennent acte de la précarité, de la fragilité et de l’instabilité des existences en retraçant leurs cheminements multiples, par circonvolutions et pas de côté. Elles enchevêtrent les lignes de vie des êtres qui, tant bien que mal, se dérobent à l’équivalence, à l’entropie et au chaos : ils agencent et réagencent, créent du sens dans l’espace-temps et inventent de nouvelles configurations. La narration apparaît alors comme une technique souple voire comme une stratégie de survie qui déploie l’histoire de la vie88.

  • 89 Tsing Lowenhaupt, Anna, Le Champignon de la fin du monde, cit., p. 250.

L’« histoire » est à la fois la pratique humaine qui consiste à raconter des histoires et cet ensemble de résidus qui, surgissant du passé, sont transformés en histoires […] De telles pistes et traces soutiennent des enchevêtrements interspécifiques contingents et circonstanciels, comme composantes du temps « historique ». Pour prendre part à un tel enchevêtrement, il s’agit de ne pas faire histoire sur un mode unique. Même si d’autres organismes se mettent ou pas à « raconter des histoires », ils contribueront aux recoupements des pistes et des traces que nous saisirons comme histoire. L’histoire devient alors le compte rendu de multiples trajectoires de fabrication du monde, humaines et non humaines89.

  • 90 Mbembe, Achille, op. cit., p. 168.

45Les histoires enchevêtrées murmurent que l’humanisme est désormais une catégorie désuète : l’humain participe d’emblée au non-humain, au plus qu’humain, à l’ailleurs de l’humain. Mbembe envisage alors une condition cosmique, à savoir « la scène de la réconciliation entre l’humain, l’animal, le végétal, l’organique, le minéral et toutes les autres forces du vivant, qu’elles soient solaires, nocturnes ou astrales »90, où tout est entrelacement, inachèvement, dilatation et contraction.

5. Ouvertures : pour une histoire vivante

  • 91 Le Guin, Ursula, Le fourre-tout de la fiction, une hypothèse, in ID., Danser au bord du monde, cit. (...)
  • 92 Ibidem, p. 199.
  • 93 Ibidem, p. 181.
  • 94 Starhawk, Rêver l’obscur : femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015, p. 129.

46Les histoires de lignes de vie enchevêtrées émergent dans les interstices de la perspective du maître, pour la faire éclater. La relation de domination articule en effet l’histoire officielle et destinale, où l’universel est le nom donné à la violence des héros et des vainqueurs. Elle est le récit d’un conflit, où l’existence est perçue comme une lutte, la vie comme un combat, et où tout est formulé en termes de défaites et de victoires. Cette Histoire de l’Ascension de l’Homme Héros, Le Guin la nomme « l’histoire qui tue »91 : « celle-là, on la connaît, tous nous savons tout ce qu’il y a à savoir sur tous les gourdins, javelots, cimeterres, tout ce qui assomme, transperce et frappe, toutes ces choses longues et dures »92. Il s’agit dès lors de passer de la figure de l’épée à celle du panier, de désapprendre les enseignements du Héros, aux côtés de désenseignantes, de désinstructrices, de déconquérantes et de déguerrières93. Plumwood pose les jalons d’un tel désapprentissage en désamorçant les dualismes et en en ouvrant des pistes pour changer le cadre théorique de l’écriture de l’histoire, pour contrevenir à l’hégémonie du Grand Récit et pour lutter contre l’oubli organisé des existences. Dans ce cadre, c’est bien l’histoire qui fait toute la différence. Il semble donc urgent de chercher la nature, le sujet et les mots de l’autre histoire, celle de l’histoire vivante, en déployant des récits et des chants subalternes enchevêtrés, en langue maternelle. Nous avons besoin d’« avoir de nouvelles images à l’esprit, [de] nous aventurer dans un paysage transformé, [de] raconter de nouvelles histoires »94.

47Sur ce point, Le Guin suggère que le roman est un type d’histoire fondamentalement non-héroïque : en lieu et place de héros, les romans contiennent des gens. L’écrivaine se plaît ainsi à mettre en scène des personnages maladroits, des gens qui ne comprennent rien, des objets insignifiants, des pertes, des transformations et des traductions, des tours de passe-passe, des vaisseaux en panne et des missions qui échouent. La science-fiction apparaît alors comme une forme d’histoire vivante particulièrement appropriée, si l’on se soustrait toutefois à l’héroïsation technologique et si on redéfinit les sciences et techniques comme un vaste fourre-tout culturel, plutôt que comme une arme de domination.

  • 95 Le Guin, Ursula, Quelques réflexions sur la narration, cit., p. 65.
  • 96 ID., Discours de remise de diplômes à Bryn Mawr, cit., p. 192.

48Les histoires enchevêtrées œuvrent ainsi à fissurer les vieilles sédimentations culturelles, pour penser au-delà de ce qui se présente comme raisonnable, pour permettre de nous battre sur un mode vivant, pulsionnel et sensible, afin de guérir et de transformer nos relations. L’imagination a un rôle à jouer dans le devenir politique : c’est grâce à elle que nous pouvons échapper au carcan du présent, « en inventant, conjecturant, stimulant ou découvrant une voie que la raison pourra ensuite emprunter afin de pénétrer dans l’infini des possibles »95. Les histoires nous font passer du « pouvoir sur », qui ne va pas sans domination, au « pouvoir de », qui implique puissance et responsabilité. Elles nous insèrent dans le réseau des vivants, créent des rencontres multiples et des écarts inattendus dans la cartographie changeante des êtres, revendiquent et affirment (reclaim) une puissance d’agir et de penser sensibles. « Nous sommes des volcans »96, écrit Le Guin : nous pouvons faire bouger les montagnes et changer la face du monde.

Torna su

Note

1 Thiam, Awa, La Parole aux négresses, Paris, Denoël, 1978, p. 13.

2 Salleh, Ariel, Introduction, in Mies, Maria, Shiva, Vandana (edited by), Ecofeminism, London-New York, Zed Books, 2014, pp. IX-XII.

3 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, London, Routledge, 1993, p. 1 (toutes les citations issues de cet ouvrage seront des traductions personnelles).

4 Relativement aux Subaltern Studies, nous nous inscrivons dans le sillage de Spivak (Chakravorty Spivak, Gayatri, « Can the Subaltern Speak? », in Nelson, Cary, Grossberg, Lawrence (ed. by), Marxism and the Interpretation of Culture, Basingstoke, Macmillan, 1988, pp. 271-313), mais nous employons le terme « subalterne » dans un sens plus lâche et plus large.

5 Hache, Émilie (sous la dir. de), Reclaim: Recueil de textes écoféministes, Paris, Cambourakis, 2016.

6 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit.

7 ID., « Nature, Self, and Gender: Feminism, Environmental Philosophy, and the Critique of Rationalism », in Hypatia, 6, 1/1991, pp. 3-27. Toutes les citations de cet ouvrage seront des traductions de Hicham-Stéphane Afeissa issues de: Plumwood, Val, « La nature, le moi et le genre », in Écologie politique, 48, 1/2014, pp. 143-175. Plumwood s’appuie en effet sur une critique du rationalisme occidental pour disqualifier l’anthropocentrisme (conception qui considère que l’être humain est l’entité centrale la plus significative) ainsi que l’androcentrisme (conception qui considère que l’individu masculin est l’entité centrale la plus significative).

8 ID., Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 3.

9 ID., « Decolonising relationships with nature », in PAN: Philosophy Activism Nature, 2/2002, pp. 7-30 [toutes les citations de cet ouvrage seront des traductions personnelles].

10 Denevan, William M., « The Pristine Myth: The Landscape of the Americas in 1492 », in Annals of the Association of American Geographers, 82, 3/1992, pp. 369-385.

11 On parle d’agentivité autre qu’humaine ou d’agentivité plus qu’humaine quand les agents en question ne sont pas nécessairement des êtres humains.

12 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 3.

13 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2018, p. 184.

14 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

15 ID., « Nature, Self, and Gender », cit.

16 ID., Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 57.

17 Ibidem, p. 47.

18 Ursula K. Le Guin (1929-2018) est une écrivaine américaine féministe de science fiction et de fantasy. Elle a écrit de nombreux romans, mais aussi des poèmes, des nouvelles et des essais.

19 Le Guin, Ursula, L’identité de genre est-elle une nécessité ?, in ID., Danser au bord du monde : Mots, femmes, territoires, Paris, Éditions de l’Éclat, 2020, pp. 20-31, p. 31 [ed. or.: Dancing at the Edge of the World, New York, Grove Press, 1989].

20 Hache, Émilie, Préface, in id. (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57, p. 20.

21 Ce paragraphe est construit à partir du chapitre 2 de Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., pp. 41-68 et du texte ID., « Decolonising relationships with nature », cit.

22 La notion de « plus qu’humain », quand bien même elle est moins négative et péjorative que les termes « non-humains » ou « autres qu’humains », demeure cependant toujours problématique en tant qu’elle se réfère toujours aux êtres humains : elle apparaît en cela ne pas complètement se dégager du dualisme. Une recherche lexicale s’avère donc en chantier, afin de désigner de manière non-dualiste non seulement les êtres animés, mais l’ensemble des entités biotiques et abiotiques.

23 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 4.

24 ID., « Nature, Self, and Gender », cit.

25 Sur l’interconnexion de l’anthropocentrisme et de l’androcentrisme, voir notamment: Burgart Goutal, Jeanne, Être écoféministe : Théories et pratiques, Paris, L’Échappée, 2020 ; Beauté, Julie, « ‘Être écoféministe’ de Jeanne Burgart Goutal », cit.

26 Plumwood, Val, « Nature, Self, and Gender », cit.

27 Crenshaw, Kimberlé W., « Mapping the margins: Intersectionnality, identity, politics and violence against women », in Standford Law Review, 43, 1991, pp. 1241-1298. Pour la traduction française de Oristelle Bonis, voir Crenshaw, Kimberlé Williams, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », in Cahiers du Genre, 39, 2/2005, pp. 51-82. Kimberlé Crenshaw, juriste féministe américaine, définit le concept d’intersectionnalité en démontrant la façon dont les catégories juridiques contribuent à reproduire des rapports de domination, ignorant les oppressions situées à l’intersection de plusieurs types de domination.

28 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour rendre en compte les personnes concernées », in Genre, sexualité & société, 22, 2019, URL: < http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gss/6006 > [consulté le 29 novembre 2020].

29 Hutchinson, Darren, « Identity Crisis: “Intersectionality,” “Multidimensionality,” and the Development of an Adequate Theory of Subordination », in Michigan Journal of Race and Law, 6, 2/2001, pp. 285-317. Professeur de droit à l’Université de Floride, Darren Hutchinson théorise la notion d’intersectionnalité en proposant une perspective historique.

30 Ibidem.

31 Vergès, Françoise, Un féminisme décolonial, Paris, la Fabrique, 2019, p. 35. La militante féministe et politologue française Françoise Vergès (1952-...) reprend ainsi la notion de multidimensionnalité de Hutchinson pour l’appliquer à l’analyse de l’oppression des femmes racisées, au sein d’un féminisme décolonial.

32 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 1.

33 Lugones, Maria, « Heterosexualism and the colonial modern gender system », in Hypatia, 22, 1/2007, pp. 186-219.

34 Oyěwùmí, Oyèrónk, The Invention of Women: Making an African Sense of Western Gender Discourses, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1997.

35 Voir: Mohanty, Chandra, « Under Western Eyes: Feminist Scholarship and Colonial Discourses », in Feminist Review, 30, 1988, pp. 61-88 ; pour la traduction française de Brigitte Marrec, voir: Mohanty, Chandra, « Sous le regard de l’Occident. Recherche féministe et discours colonial », in DORLIN, Elsa (sous la dir. de), Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, pp. 149-182.

36 Vergès, Françoise, Un féminisme décolonial, cit., p. 25.

37 On pourrait ajouter le repro-centrisme, très clairement mis en évidence dans Mortimer-Sandilands, Catriona, Erickson, Bruce (edited by), Queer Ecologies: Sex, Nature, Politics, Desire, Bloomington, Indiana University Press, 2010.

38 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

39 Ibidem. Plumwood utilise dans ses textes le terme de non-human, que nous avons traduit comme tel, en gardant cependant bien à l’esprit la volonté de l’autrice de dépasser toute forme d’anthropocentrisme. On voit donc là tout l’enjeu du lexique et de l’écriture.

40 Plumwood, Val, The Eye of the Crocodile, Canberra, ANU E Press, 2013, p. 16. Nous nous référons notamment aux extraits et à la traduction de Marie Cazaban-Mazerolles parue dans la revue Terrestres (Plumwood, Val, « L’œil du crocodile », in Terrestres, 2019.).

41 Plumwood donne ainsi une couleur particulière à la formule rapportée par Émilie Hache : « Nous ne nous battons pas pour la nature – blanche, masculine, capitaliste, hétéronormée, désagentivée –, nous sommes la nature – fémini/ste, noire, sacrée, vivante – qui se défend » dans: Hache, Émilie (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57, p. 55. « Nous ne nous battons pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend » est le nouveau récit des activistes du mouvement de justice climatique, proposé par le laboratoire d’imagination insurrectionnelle, labofii.wordpress.com.

42 Mbembe, Achille, op. cit. Achille Mbembe (1957-...), philosophe camerounais, est professeur d'histoire et de sciences politiques à l’université de Witwatersrand (Johannesburg). Grand théoricien de post-colonialisme, il propose notamment une écologie des liens et une politique du vivant particulièrement utiles pour mettre en question les polarisations et clivages de la perspective hégémonique du maître.

43 Ibidem, p. 65.

44 Ibidem, p. 14.

45 Plumwood, Val, The Eye of the Crocodile, cit.

46 Plumwood, Val, Environmental Culture: The Ecological Crisis of Reason, London-New York, Routledge, 2001, p. 202. Sur le concept de solidarité de Plumwood, voir: Mallory, Chaone, « Val Plumwood and Ecofeminist Political Solidarity. Standing With the Natural Order », in Ethics and the Environment, 14, 2009, pp. 3-21.

47 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 67.

48 Ibidem, p. 26.

49 Plumwood, Val, « Nature, Self, and Gender », cit. Le moi-en-relation apparaît comme l’expression de relations éthiques tenues auparavant comme périphériques – comme le respect, la sympathie, le souci, la compassion, la gratitude, l’amitié ou encore la responsabilité.

50 Mbembe parle à ce propos d’« éthique du passant ». Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 202.

51 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit. Sur la question de la parenté avec le monde vivant, voir Haraway, Donna, Manifeste des espèces compagnes, Paris, Climats, 2019.

52 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 202.

53 Gloria Jean Watkins (1952), connue sous son nom de plume bell hooks, est une autrice et une activiste féministe afro-américaine. Elle enseigne l’anglais, l’histoire afro-américaine et les études féministes dans différentes universités, et a publié de nombreux textes sur la pédagogie, la sororité, l’impérialisme blanc ou encore la culture populaire.

54 hooks, bell, De la marge au centre - théorie féministe, Paris, Cambourakis, 2017.

55 Hache, Émilie, Préface, in Hache, Émilie (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57, p. 54.

56 Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cit., p. 19.

57 Haraway, Donna, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », in Feminist Studies, 14, 3/1988, pp. 575-599.

58 Ibidem, p. 583.

59 Haraway, Donna, When Species Meet, Minneapolis & London, University of Minnesota Press, 2007.

60 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour rendre en compte les personnes concernées », cit.

61 hooks, bell, De la marge au centre - théorie féministe, cit., pp. 59-60.

62 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

63 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour rendre en compte les personnes concernées », cit.

64 Alcoff, Linda, « The Problem of Speaking for Others », in Cultural Critique, 20, 1991, pp. 5-32.

65 hooks, bell, Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics, Toronto, Between-the-lines, 1990.

66 Le Gallo, Sklaerenn, Millette, Mélanie, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour rendre en compte les personnes concernées », cit.

67 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

68 Plumwood, Val, Feminism and the Mastery of Nature, cit., p. 6. Ce modèle des relations à la terre s’avère lié au biorégionalisme, dont la stratégie est d’inviter les habitant·e·s à développer des relations privilégiées aux lieux, de manière responsable et soucieuse.

69 ID., « Decolonising relationships with nature », cit.

70 Sur ce point, voir: Berndt, Ronald M., Berndt, Catherine H., The Speaking Land: Myth and Story in Aboriginal Australia, Rochester, Inner Traditions, 1994.

71 En anglais : a wood of plum trees. Je remercie les deux relecteur·rice·s pour avoir attiré mon attention sur cette mise en pratique du deep naming par la philosophe australienne.

72 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

73 Le Guin, Ursula, Discours de la main gauche pour une remise de diplômes, in Le Guin, Ursula, Danser au bord du monde, cit., pp. 142-145, p. 145.

74 Plumwood, Val, « Decolonising relationships with nature », cit.

75 Ibidem.

76 Le Guin, Ursula, Quelques réflexions sur la narration, in ID., Danser au bord du monde, cit., pp. 55-65, p. 58.

77 Hache, Émilie, Préface, in ID. (sous la dir. de), Reclaim, cit., pp. 9-57.

78 Au sens d’« HistoirE » ou d’« Herstory », appellations utilisées pour se détacher de l’hégémonie de l’Histoire patriarcale occidentale.

79 Le Guin, Ursula, Discours de remise de diplômes à Bryn Mawr, in ID., Danser au bord du monde, cit., pp. 176-192.

80 Ibidem, p. 178.

81 Ibidem, p. 179.

82 Morizot, Baptiste, Sur la piste animale, Arles, Éditions Actes Sud, 2018, p. 21.

83 Sur la notion de poétique de l’attention, voir : Despret, Vinciane, Habiter en oiseau, Arles, Éditions Actes Sud, 2019.

84 Tsing Lowenhaupt, Anna, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La Découverte, 2017.

85 Stengers, Isabelle, « Jeux de ficelle avec Haraway », in Caeymaex, Florence, Despret, Vinciane, Pieron, Julien (sous la dir. de), Habiter le trouble avec Donna Haraway, Bellevaux, Éditions Dehors, 2019, pp. 299-320.

86 Deleuze, Gilles, Guattari, Félix, Capitalisme et Schizophrénie, t. 2, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 20.

87 Tsing Lowenhaupt, Anna, Le Champignon de la fin du monde, op. cit., p. 77.

88 Le Guin, Ursula, Quelques réflexions sur la narration, cit., p. 61.

89 Tsing Lowenhaupt, Anna, Le Champignon de la fin du monde, cit., p. 250.

90 Mbembe, Achille, op. cit., p. 168.

91 Le Guin, Ursula, Le fourre-tout de la fiction, une hypothèse, in ID., Danser au bord du monde, cit., pp. 197-204, p. 201.

92 Ibidem, p. 199.

93 Ibidem, p. 181.

94 Starhawk, Rêver l’obscur : femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015, p. 129.

95 Le Guin, Ursula, Quelques réflexions sur la narration, cit., p. 65.

96 ID., Discours de remise de diplômes à Bryn Mawr, cit., p. 192.

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Notizia bibliografica digitale

Julie Beauté, «De la critique des dualismes de Val Plumwood aux histoires subalternes enchevêtrées»Diacronie [Online], N° 44, 4 | 2020, documento 1, online dal 29 décembre 2020, consultato il 08 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/diacronie/14597; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12fge

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Autore

Julie Beauté

Julie Beauté est doctorante en philosophie contemporaine à l’École Normale Supérieure (Paris). Ses recherches portent sur la coexistence des êtres vivants et plus précisément sur les cohabitations symbiotiques. Elle propose ainsi des analyses mêlant philosophie, architecture et écologie évolutive. Dans le cadre de sa thèse, elle s’intéresse au rôle des plus qu’humains dans la conception de l’architecture et s’appuie pour ce faire sur les humanités environnementales et sur les épistémologies féministes.
URL: < http://www.studistorici.com/progett/autori/#Beauté >

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