1L’article 2 de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) définit la biodiversité comme étant « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celles des écosystèmes ». Or, dans l’ouvrage « Les marchés de la biodiversité », les auteurs centrent leur recherche sur les ressources génétiques et les savoirs locaux. En effet, le fil conducteur de cet ouvrage est l’un des objectifs affichés par la CDB : « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques », dont l’enjeu est de « garantir l’accès aux ressources génétiques pour les pays du Nord et permettre aux pays du Sud de contrôler cet accès et d’en tirer des avantages » (article 1 de la CDB). Pour conserver le vivant, la CDB mise sur le marché qui devrait notamment permettre d’organiser la bioprospection et mettre ainsi fin à la biopiraterie. Les auteurs se livrent alors « à une déconstruction et à une analyse critique des politiques de conservation reposant sur le marché telles qu’elles sont envisagées par la CDB » (p. 17).
2La CDB se positionne dans un schéma classique offre-demande : le Sud est riche en biodiversité, le Nord détient les leviers de la conservation et de la valorisation de cette biodiversité, et le marché doit permettre à chacun d’exploiter ses avantages comparatifs. Les auteurs s’intéressent donc successivement aux ressources génétiques du point de vue de leurs utilisateurs potentiels (côté demande – première partie de l’ouvrage), puis du point de vue de leurs détenteurs (côté offre – deuxième et troisième parties).
3Dans la première partie de l’ouvrage, les auteurs analysent la demande de deux secteurs d’activités : les firmes pharmaceutiques et l’agro-industrie. À travers la présentation des modalités d’exploitation des ressources génétiques par ces deux secteurs (identification des acteurs, des pratiques, des besoins, et de la manière dont ces secteurs ont accès aux ressources), les auteurs décrivent des mécanismes empiriques complexes, en décalage avec la conception et les attentes inscrites dans la CDB.
4Dans la deuxième et la troisième parties, les auteurs s’intéressent aux pays du Sud, aux communautés locales, paysannes et autochtones, détenteurs des ressources génétiques. Tout d’abord, ils décrivent la manière dont ces pays se prémunissent contre le pillage de leurs ressources, valorisent ces ressources sur le marché international et identifient les difficultés auxquelles ils sont confrontés. À travers des récits de biopiraterie et de problèmes rencontrés lors de dépôts de brevets (dysfonctionnements, non reconnaissance des savoirs traditionnels, conflits, procès, etc.), les auteurs montrent à nouveau un décalage entre la solution envisagée par la CDB pour lutter contre le phénomène d’érosion de la biodiversité et les souhaits formulés par les acteurs du Sud. Ensuite, ils étudient les processus de requalification des savoirs locaux qui ont fait suite à l’émergence du marché comme solution à la conservation de la biodiversité, prônée par la CDB. Les savoirs locaux représentantles connaissances, les innovations et les pratiques traditionnellesfondées sur des ressources biologiques, ilspeuvent contribuer à la protection de la biodiversité. Par exemple, le guarana est cultivé par les Satéré Mawé (peuple indigène du bassin de l’Amazonie) et a la réputation de maintenir jeune et de stimuler les fonctions cognitives et la mémoire. Considéré comme une plante sacrée par les communautés locales, il occupe une place particulière sur leur territoire qui constitue alors la plus grande banque de gènes in situ du monde. Ainsi, au départ d’ordre politique et culturel, les revendications de ces savoirs se sont déplacées vers les sphères juridique et commerciale, ces savoirs étant « requalifiés comme patrimoine culturel à respecter, information à protéger ou encore marchandise à valoriser pour une nouvelle économie de la connaissance » (p. 165). Les auteurs s’interrogent alors sur le devenir de ces savoirs. Or, au vu des situations très diverses de valorisation de ces savoirs, toute généralisation semble difficile : « dans une perspective de conservation de la biodiversité et des savoirs associés, mieux vaut sans doute privilégier des approches flexibles, maintenir des espaces de négociation, ne pas inscrire les droits et devoirs des uns et des autres en termes trop précis dans la législation, pour permettre que des compromis satisfaisants soient trouvés » (p. 194). Par ailleurs, toujours à travers le récit d’expériences, les auteurs mettent en avant le fait que les instruments de marché tels que les labels, les indications géographiques ou le commerce équitable ne peuvent suffire à protéger la biodiversité et les savoirs locaux.
5Contrairement au reste de l’ouvrage qui aborde les marchés de la biodiversité de manière pluridisciplinaire, la dernière partie est dédiée à l’approche économique. Les auteurs soutiennent une posture différente de celle généralement adoptée dans la littérature consacrée aux marchés de la biodiversité (par exemple, Landell-Mills et Porras, 2002 ; Pagiola et Platais, 2002 ; OCDE, 2003) : ils n’adhèrent pas à la vision du marché telle que prônée par la théorie microéconomique standard mais sont plutôt partisans du courant néo-institutionnaliste, considérant que les réflexions doivent porter sur la mise en place d’institutions et de mesures d’accompagnement du marché : nécessité d’encadrer et d’organiser les marchés, de définir des politiques concertées en matière d’accès aux ressources et savoirs traditionnels.
6Au final, le lecteur pourra être surpris du contenu de l’ouvrage et de la manière dont sont abordés les marchés de la biodiversité et ce, pour plusieurs raisons.
7Tout d’abord, la biodiversité est appréhendée à son niveau le plus élémentaire : les ressources génétiques. Bien que les auteurs précisent que ce terme « est utilisé de manière extensive pour désigner l’ensemble des ressources biologiques et savoirs associés » (p. 235), les diversités spécifique et écosystémique ne sont jamais évoquées. Le titre de l’ouvrage n’est donc pas exactement le reflet de son contenu qui, au final, ne recouvre qu’une partie de la biodiversité, les marchés étant vus ici au travers de la bioprospection. Un tel ouvrage est toutefois très intéressant dans la mesure où, d’une part, il se focalise sur un aspect particulier de la biodiversité qui est peu abordé, ou du moins pas de manière aussi détaillée qu’ici, dans la littérature relative aux marchés de la biodiversité, et, d’autre part, il s’interroge précisément sur la question des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et les savoirs locaux.
8Ensuite, l’angle d’analyse n’est pas uniquement économique, comme on pourrait s’y attendre, mais est pluridisciplinaire, les auteurs étant économiste, sociologue, anthropologue, juriste, ingénieur agronome ou forestier, ou biochimiste. D’ailleurs, abordé uniquement dans la dernière partie de l’ouvrage, l’aspect économique a une place à part. À travers le récit d’expériences de marchés de la biodiversité, principalement dans le cadre de contrats de bioprospection, les auteurs mettent en avant les dysfonctionnements, les problèmes rencontrés dans ces types de marché pour conclure que le marché ne peut pas à lui seul apporter les solutions à la conservation de la biodiversité. Pour les auteurs, les préconisations de la CDB, formulées en adéquation avec la microéconomie standard, sont en décalage avec la réalité : il faut se tourner vers la sphère institutionnelle et ne pas miser uniquement sur la sphère marchande. Les auteurs avaient pour ambition d’ « évaluer ex-ante et ex-post l’émergence des « marchés de la biodiversité », [ce qui revenait à] s’interroger sur le modèle de conservation fondé sur un imaginaire marchand » (p. 245), leur réponse est claire : un marché ne suffit pas, il faut à présent l’encadrer et l’organiser en définissant des politiques concertées. Les auteurs apportent ainsi un regard différent du marché et des ambitions qu’il peut être en mesure d’atteindre dans le cadre de la conservation du vivant : c’est ce qui fait l’originalité et la force de cet ouvrage.