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Lectures

Éloi Laurent, 2011, Social-Écologie, Paris, Flammarion, p. 226.

Caroline Lejeune

Texte intégral

  • 1  Les Objectifs du millénaire pour le développement, Rapport 2010, http://www.un.org/fr/millenniumgo (...)
  • 2  Theys, J., 2007, « Pourquoi les préoccupations sociales et environnementales s’ignorent-elles mutu (...)

1L’ouvrage d’Éloi Laurent, économiste senior au Département des Études et conseiller scientifique de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), se propose d’interroger, par le biais des inégalités, la conciliation entre les objectifs d’éradication de la pauvreté et ceux de la préservation de la biodiversité1. Pour cela, l’auteur mobilise des lectures macro-sociale (p. 69 ; p. 180) et micro-sociale (p. 115 ; p. 77) des territoires. Ces échelles contribuent à rendre visibles les inégalités sociales et environnementales liées à la consommation et à la dégradation des ressources naturelles des pays du nord et des pays du sud. C’est donc à travers la vulnérabilité écologique des territoires qu’Éloi Laurent aborde les contradictions entre les politiques sociales et environnementales dans la gestion des inégalités territoriales2. A travers ce qu’il appelle « la social-écologie », l’auteur propose un modèle d’économie verte pour réduire les inégalités, préserver et conserver les ressources naturelles (p. 209), afin d'adapter le système capitaliste mondialisé au contexte de la crise écologique. Nous retiendrons quatre axes de réflexion pour contribuer à soulever les contradictions proposées par l’auteur.

Quel est l’impact de la pauvreté sur la soutenabilité des territoires ?

  • 3  L’auteur parle de « pays pauvres ». Cette qualification mobilise implicitement l’idée d’un nécessa (...)

2Tout d’abord, Éloi Laurent nous apporte quelques données quantitatives. En effet, le capital naturel représente 26 % de la richesse des « pays pauvres »3, soit treize fois plus que dans les pays riches (p. 72). Par ailleurs, 75 % de la population mondiale « pauvre » habite dans des zones rurales ; et ces populations « pauvres » dépendent de 60% des services éco-systémiques de leurs territoires (pêche, agriculture, forêts, ressources minérales, etc.). Par conséquent, les habitants des zones rurales « pauvres » n’ont pas d’autres choix que de consommer leurs ressources naturelles, dont ils dépendant (p. 73). Ensuite, Éloi Laurent nous indique que « les chocs environnementaux » tels que les nuisances environnementales (pollution, santé) et les risques naturels (tremblement de terre, inondations, etc.) intensifient la vulnérabilité des territoires pauvres (p. 73). En effet, le cumul d’inégalités sociales et écologiques ne permet pas aux pays pauvres d’être en capacité de garantir la soutenabilité de leurs ressources naturelles(voir l’exemple d’Haïti, p. 74).

3On peut cependant regretter que l’auteur ne mette pas ces inégalités de richesse en perspective avec les inégalités de responsabilité historique vis-à-vis du dérèglement climatique. Aujourd’hui encore, les pays du Sud représentent 37 % de la population mondiale mais ne sont responsables que de 7 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) (p. 180).Les pays pauvres se trouvent donc désormais en situation de devoir faire face au dérèglement climatique, alors même qu’il s’agit d’une externalité négative d’un développement dont ils n’ont pas bénéficié. A cette injustice s’ajoute celle de devoir activement préserver les ressources naturelles de leurs territoires sans en avoir forcément les moyens : 80% du capital naturel de la planète se trouve dans les pays pauvres, mais il est convoité à la fois par les pays du Nord et par les populations autochtones. Ainsi, la délocalisation des moyens de production par la mondialisation a amené les pays du Nord à entamer le capital naturel des pays du Sud. Toutefois, ces derniers doivent préserver les ressources nécessaires à leurs besoins et être ou devenir responsables de leur capital naturel.

4L’auteur fait remarquer que cette pression des pays du Nord menace d’autant plus les ressources naturelles des pays du Sud que ces ressources sont elles-mêmes déjà soumises à rude épreuve du fait de la pauvreté des habitants, parfois si pauvres qu’ils sont dans une logique de survie. Car, écrit Éloi Laurent, « la pauvreté accroît l’urgence de survivre, y compris aux prix des dégradations insoutenables (…) « la pauvreté oblige (…) à consommer son capital naturel au lieu de l’entretenir » (p. 75). C’est ainsi que les pratiques de consommation accentuent les mécanismes inégalitaires (p. 75). Par conséquent, la corrélation entre la consommation des ressources et leur préservation, nécessite une réflexion sur la gestion équitable des ressources territoriales pour favoriser un développement soutenable. Nous pouvons regretter qu’elle n’ait pas été examinée car elle aurait souligné la nécessité, dans un objectif à la fois de justice sociale et de préservation environnementale, d’une « autolimitation » des pratiques de consommation des pays du Nord.

Quel est le lien entre inégalités de revenu, qualité des politiques environnementales et qualité de l’environnement ?

  • 4 Olson M., 1965, The logic of Collective Action, Harvard, Harvard University Press. Eloi Laurent mob (...)
  • 5 L’empreinte écologique permet de calculer facilement cette corrélation entre augmentation des reven (...)
  • 6  Lipietz, A, 1998, "Économie politique des écotaxes ", La documentation française, Conseil d’Analys (...)
  • 7  Cette définition des inégalités environnementales se rapproche de celle des inégalités écologiques (...)

5Pour Éloi Laurent, le cumul des inégalités de revenus et des dégradations écologiques explique la difficile durabilité des pays du Sud. L’auteur commence par invalider la courbe environnementale de Kuznets en démontrant que l’augmentation des revenus ne s’accompagne pas d’une réduction des dégradations environnementales (p. 80). Pour cela, il mobilise une série d’études empiriques et théoriques: 1) Les travaux de Mancur Oslon4 ont montré que l’augmentation du niveau de revenu (des pays comme des individus) était corrélée à un surcroît d’intérêt et d’investissements pour la protection de l’environnement (p. 95) ; 2) Cependant, cette augmentation du niveau de revenu implique également, par ailleurs, une augmentation de la consommation, ce qui se traduit par une aggravation de la pression sur l’environnement5. Alain Lipietz résume ainsi ce paradoxe dans son rapport intitulé Économie politique des écotaxes6 (p.99) : « les riches ont une plus grande capacité à polluer...une plus grande disponibilité à payer pour polluer (mais aussi) …une plus grande capacité à payer le prix de la protection de leur environnement, que n’en ont les pauvres »; 3) Inversement, les inégalités de revenu traduisent un accès inégal à la qualité de l’environnement pour les populations fragilisées. Pour toutes ces raisons, on peut observer que les populations fragiles, à bas revenus, sont celles qui subissent un environnement dégradé, sans avoir la capacité de manifester leurs expositions aux risques auprès des politiques locales (p. 96). Par conséquent, la disqualification environnementale accentue la vulnérabilité sociale des populations précaires. Enfin l’auteur mobilise la justice environnementale (p. 102). Ce mouvement associe les inégalités de revenus et les discriminations ethniques aux disparités écologiques7 (p. 102) en revendiquant le droit à un environnement de qualité. Nous pouvons regretter que l’auteur n’ait pas davantage développé sa réflexion sur ce thème de la justice environnementale. Cela aurait permis de montrer la capacité des populations à revendiquer la conciliation de la préservation et la gestion des ressources naturelles avec le développement local. C’est en s’appuyant sur le droit à l’équité et à la reconnaissance de leurs identités sociales que ces populations militent pour une gestion culturelle de leurs territoires.

Qu’est-ce qu’une démocratie écologique ?

  • 8 Voir par exemple, les analyses autour des dérives oligarchiques : Kempf, H., 2011, L’oligarchie, ça (...)

6Pour analyser les problèmes d’instabilité politique des pays pauvres, Éloi Laurent convoque une définition opératoire et contemporaine de la démocratie: « c’est un régime électoral représentatif effectif qui repose notamment sur la loi de la majorité » (p. 136). Une telle définition est sans doute trop restrictive8, même si elle a le mérite d’insister sur les conditions de l’égalité et de liberté dans le régime démocratique. Ce système démocratique, est, pour l’auteur, la condition majeure d’ « une gestion des inégalités présentes et à venir (avec les générations futures) » (p. 137). L’auteur présente les critiques auxquelles doit faire face le régime démocratique sur sa capacité à tenir compte des perturbations écologiques : la prise en compte du long terme (p. 142), l’articulation des échelles locales et internationales (p. 142), les dérives de contraintes sociales localisées (p. 142), la surexploitation des ressources de l’économie capitaliste (p. 143). Après les avoir réfutées, Éloi Laurent affirme que l’objectif de « la démocratie est de promouvoir des politiques environnementales susceptibles d’orienter l’économie vers la réduction des inégalités » (p. 149). Cependant il semble que la transformation écologique nécessite irrémédiablement la compréhension des mécanismes de corruption de la démocratie bénéficiant aux intérêts économiques. Finalement, Éloi Laurent préconise des négociations et des débats coopératifs contradictoires entre les citoyens et les scientifiques (p. 150) pour constituer « des lois communes » (p. 151). Ces délibérations collectives favoriseraient une juste répartition des ressources nécessaires (p. 170). Cette considération sympathique de la démocratie perpétue et conforte un système économique mondialisé. Or, la crise environnementale démontre les limites sociales et écologiques créées par ce système. Par conséquent la délibération démocratique implique d’intégrer dans les procédures de décisions les seuils écologiques et sociaux présentés par les études internationales (GIEC, UICN, FAO, ONU) afin de formuler des propositions coercitives approuvées collectivement.

Quelle politique social-écologique pour réduire les inégalités ?

7Éloi Laurent présente ensuite les conditions de la complémentarité du social et de l’écologique à travers deux exigences: la solidarité environnementale globale (macro-sociale) et la lutte contre les inégalités environnementales (micro-sociales) (p. 172). Pour cela, l’organisation mondiale devrait, selon l’auteur, élaborer un système de gestion adaptée à différentes échelles de coopération décentralisée: d’une part, apporter une assistance aux pays pauvres en transférant gratuitement des technologies propres (p. 180) ; d’autre part, réduire les inégalités écologiques par une gestion socio-spatiale des territoires vulnérables dans les pays développés, mesure proposée par Alexis Leroy (p.196). Ainsi l’auteur en arrive à proposer un « seuil de pauvreté écologique à partir duquel nous pourrions prévoir d’instituer de nouveaux types de minima sociaux » (p. 204). Nous pouvons rester sceptiques sur cet instrument qui accordera du pouvoir d’achat supplémentaire dans un contexte de surconsommation. Cette allocation sociale n’assurerait pas systématiquement un investissement des populations modestes dans la réhabilitation écologique de leurs logements (isolation, panneaux solaires, géothermie), par exemple. Par ailleurs, Éloi Laurent envisage le renouvellement des politiques économiques à travers une restructuration des filiales existantes ainsi que des éco-industries (p. 212). L’auteur préconise donc la combinaison de l’économie verte (emplois verts, secteurs verts) et des politiques de redistribution (politique de transport, politiques fiscales) (p. 207). Les mécanismes d’ajustement qu’il suggère doivent garantir des politiques socialement justes (p. 205). Cependant cette option semble décharger les pays développés de toute contrainte, sociale ou environnementale, et la répercute sur le modèle de développement du Sud.

8Ce livre est une contribution intéressante pour comprendre l’incompatibilité entre croissance verte et viabilité territoriale lorsqu’il s’agit d’adaptation à la crise écologique et de réduction des inégalités. La richesse des sources internationales mobilisées situe les débats entre pays du Sud et pays du Nord sur la soutenabilité et la réduction des dégradations environnementales dans les négociations internationales. C’est par la voie de l’économie verte que l’auteur propose de concilier le social et l’écologique, ce qui revient à inviter les pays pauvres à suivre le modèle de développement des pays riches pour réduire les inégalités territoriales. Ne pourrait-on pas inverser cette logique ? Les pays riches ne pourraient-il pas envisager de réduire leurs propres consommations et envisager une gestion territoriale de leurs ressources? Cela contribuerait à imaginer les conditions d’appréhension de la résilience collective et ainsi atténuer les inégalités écologiques au regard des contraintes écologiques actuelles.

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Notes

1  Les Objectifs du millénaire pour le développement, Rapport 2010, http://www.un.org/fr/millenniumgoals/ (consulté le 10/04/2012).

2  Theys, J., 2007, « Pourquoi les préoccupations sociales et environnementales s’ignorent-elles mutuellement ? Un essai sur d’interprétation à partir du thème des inégalités écologiques », in Cornut P., Bauler T., Zaccaï E. (dir.), Environnement et inégalités sociales, Bruxelles, Editions de l’université de Bruxelles, p.23-27.

3  L’auteur parle de « pays pauvres ». Cette qualification mobilise implicitement l’idée d’un nécessaire développement de ces pays selon les critères de la richesse des sociétés industrialisées ; voir Rousseau, S « Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, Editions de l’Aube, 2003 », Développement durable et territoires [En ligne], Lectures, Publications de 2003, mis en ligne le 18 mars 200,. URL : http://developpementdurable.revues.org/1300(consulté le 23 mars 2012)

4 Olson M., 1965, The logic of Collective Action, Harvard, Harvard University Press. Eloi Laurent mobilise cet auteur p.95.

5 L’empreinte écologique permet de calculer facilement cette corrélation entre augmentation des revenus et hausse de l’impact environnemental. Voir le calcul de l’ADEME : http://www.ademe.fr/climact/ , consulté le  10/04/2011

6  Lipietz, A, 1998, "Économie politique des écotaxes ", La documentation française, Conseil d’Analyse Économique n°8 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/984001351/index.shtml, (consulté le 10/04/2011).

7  Cette définition des inégalités environnementales se rapproche de celle des inégalités écologiques définies par Laigle L., Oehler V., 2004, Les enjeux sociaux et environnementaux du développement urbain : la question des inégalités écologiques, Final Report, Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, Paris.

8 Voir par exemple, les analyses autour des dérives oligarchiques : Kempf, H., 2011, L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, Paris, Seuil.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Lejeune, « Éloi Laurent, 2011, Social-Écologie, Paris, Flammarion, p. 226. »Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 3, n° 1 | Mai 2012, mis en ligne le 21 mai 2012, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/developpementdurable/9188 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/developpementdurable.9188

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Auteur

Caroline Lejeune

Caroline Lejeune est doctorante en science politique au Centre d'Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS) de l'université Lille 2. Sa thèse porte sur l’interaction du social et de l’écologique dans la politique de renouvellement urbain de la zone de l’Union à Roubaix. Elle examine les conditions d’une approche transversale et interdisciplinaire dans la décision politique.

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