Philippe Deboudt (éd.), 2010, Inégalités écologiques, territoires littoraux et développement, Lille, Presses du septentrion, 379 p.
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- 1 Petit O., Villalba B., Zaccaï, « L’interdisciplinarité et développement durable », in Zuindeau B. (...)
1Cet ouvrage collectif, préfacé par Corinne Larrue, est dirigé par Philippe Deboudt, maître de Conférences en Géographie au Laboratoire Territoires, Villes, Environnement, Société à l’université de Lille 1. L’ouvrage propose de traiter de la relation entre nature et culture dans les territoires littoraux avec comme objet d’analyse les inégalités écologiques. Ce travail est le résultat d’enquêtes menées dans le cadre du programme de recherche « politiques territoriales et développement durable » du Plan Urbanisme Construction Architecture et du service Recherche du ministère de l’Environnement entre 2003 et 2008. L’analyse de l’interaction du social et de l’écologique questionne les limites de l’interdisciplinarité entre les sciences humaines et sociales et les sciences de la nature1 : dans cet ouvrage la rencontre entre les sciences humaines et sociales (le droit, la sociologie, la géographie, l’économie) et les sciences de la nature est au contraire pluridisciplinaire.
2La question des inégalités écologiques est le fil conducteur de la démonstration. Elle permet d’interroger les politiques d’aménagement et la fragilité des territoires littoraux, qui subissent de nombreuses pressions urbaines et économiques alors que ce sont des écosystèmes vulnérables. Par conséquent, ces territoires reflètent de nombreux conflits d'usages entre la dynamique naturelle et la dynamique sociale (p.63). Par ailleurs, l’approche en termes d’inégalités permet de mettre en exergue les problématiques sociales et écologiques produites par les politiques d’aménagement dans les espaces littoraux. Ainsi, les auteurs examinent les contradictions entre les politiques sociales et les politiques écologiques, entre les lois de protection des espaces littoraux et la pression foncière; entre les politiques de renouvellement urbain de quartiers sensibles et le maintien de la cohésion sociale; entre la création d'espaces d'aménités et les grands projets de développement urbain; entre l'attractivité touristique, l'urbanisation et la préservation du patrimoine naturel… Une telle confrontation permet de s’interroger sur le rôle de l’écologie dans les politiques de préservation et d’aménagement du territoire. Nous retiendrons quatre axes de réflexion dans cet ouvrage.
A propos de la notion d’inégalités écologiques
- 2 Villalba, Bruno, Edwin Zaccaï, 2007, « Inégalités écologiques, inégalités sociales : interfaces, i (...)
3Le premier axe permet d’approfondir la notion d’inégalités écologiques en sciences humaines et sociales. Cette notion fait partie de ces nouveaux canons conceptuels révélateur de la complexité des problématiques liées au développement durable. Ainsi cette notion, appropriée par bon nombre de disciplines, ne fait pas l’objet d’une conception stabilisée et apparaît dans la littérature scientifique sous différents aspects2. La notion d’inégalités écologiques se traduit différemment dans les études urbaines selon les disciplines scientifiques (géographie, économie, sociologie, écologie). Elle revêt ainsi une multitude de méthodes d’analyses associées à des intentions disciplinaires distinctes.
- 3 Theys Jacques, 2002, « L’approche territoriale du " développement durable ", condition d’une prise (...)
- 4 Poser la question de la justice environnementale reviendrait à reconnaître la mobilisation de mouv (...)
- 5 Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés, Essai sur l’Homme et l’environnement dans l’hist (...)
- 6 Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, Paris, 2008
4En insistant sur la dimension territoriale3, et particulièrement sur le rôle dominant de la « nature » dans les inégalités écologiques des zones littorales (p.78), l’ouvrage met en avant le cumul d’inégalités sociales et inégalités écologiques dans les espaces urbanisés. Si les connexions entre l’homme et la nature apparaissent dans un rapport inégalitaire, se pose la question de la justice sociale4 dans les politiques d’aménagement durable des territoires. L’environnement participe à l’identité, aux différences entre les hommes5. La gestion socio-spatiale des territoires urbanisés reproduit localement une répartition inégale des biens environnementaux mais aussi une répartition inégale des risques6. Ces inégalités écologiques n'apparaissent pas uniquement par l'exposition aux situations physiques mais renvoie davantage aux inégalités sociales face à l'environnement (p. 80). Ce concept permet de réintroduire la valeur d'existence de l'écologie au coeur d'une réflexion plus systémique sur la notion de territoire (p. 81). L’enjeu écologique devient alors un facteur d’analyse pertinent des politiques territoriales d’aménagement pour réduire les inégalités, réfléchir à la répartition des biens et des risques environnementaux résultant d’une ségrégation spatiale des populations socialement défavorisées (p. 86).
- 7 Joël Dozzi, Moritz Lennert et Grégoire Wallenborn, « Inégalités écologiques : analyse spatiale des (...)
5Par conséquent, nous retrouvons dans l’analyse des inégalités écologiques deux paramètres: les espaces sociaux organisés dans un milieu anthropique et un espace écosystémique organisé autour de l’équilibre socio-biologique du même milieu (p. 63). Les limites écosystémiques du territoire littoral ne correspondent pas aux limites administratives du territoire (p. 54), l'analyse de leur interaction reste un champ d'étude à explorer. En termes d’impacts générés et d’impacts subis par les populations précarisés7, les ménages les plus modestes sont ceux qui polluent le moins alors qu’ils sont victimes des nuisances provoquées par les activités anthropiques ou des options dans les politiques d’aménagement du territoire (p. 264) (exposition aux risques, ségrégation socio-spatiale, répartition des biens et des risques environnementaux). L'écologie représente alors un enjeu social et interroge le rapport entre les représentations sociales de la nature et les pratiques sociales qui lui sont associées (p. 90).
- 8 John Bair Callicott, L’éthique de la Terre, Wildproject, Paris, 2010
6Au regard de l’urgence climatique et de la rareté des ressources naturelles, l’intérêt de cette notion d’inégalité écologique est d’examiner le statut de l’environnement comme vecteur de transformation territoriale et de réduction des inégalités sociales. La question de l'environnement, comme valeur sociale peut représenter une piste intéressante pour réduire les inégalités (p. 264). La notion d'écosystème est définie, dans l'ouvrage, comme un concept clé de l'écologie représentant « une structure biologique dont le fonctionnement implique l'existence permanente de déplacements à l'intérieur de ses composants et entre ces derniers. Il est en permanence traversé par des flux d'énergie actionnant des transferts de matière entre le milieu physico-chimique et la biomasse (…) Les écosystèmes constituent des entités en équilibre dynamique susceptibles d'évoluer en fonction des variations spontanées. » (p. 72). Ainsi, la notion d'interaction est considérée comme un des deux concepts clé à l'origine de l'écologie contemporaine avec l'adaptation des espèces à l'environnement (p. 71). Le rapprochement des auteurs au courant de l'écologie urbaine, développé par l'école de Chicago, signale la prise en compte des phénomènes de mobilité et de crise participant au fonctionnement des milieux écologiques (p. 75). A travers ces postulats conceptuels et le souhait initial des auteurs d'intégrer la nature au coeur de l'analyse des inégalités écologiques, nous pouvons regretter que cette approche élargie de l'écologie ne soit pas traitée en tant que telle dans l'ouvrage. En effet, cette approche interroge les interactions entre le milieu naturel et le milieu anthropique. L'analyse des inégalités écologiques au regard de l’équilibre sociobiologique du milieu de vie aurait été intéressante pour examiner le social comme une valeur écologique8. Cette réflexion participe au développement d’une conscience écologique et favorise la prise en compte des interactions entre le social et l’écologique dans les politiques territoriales d’aménagement.
Quelle complémentarité des politiques sociales et écologiques ?
- 9 Theys Jacques, 2007, « Pourquoi les préoccupations sociales et environnementales s’ignorent-elles (...)
- 10 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, principes de gestion des forêts, http: (...)
7Le deuxième axe met en avant l’incohérenceet l’absence de complémentarité des politiques sociales et des politiques environnementales9. Les dix études présentées tentent d’identifier les interrelations entre le développement urbain, les trajectoires territoriales et l’environnement. C’est ainsi que sont présentées les relations entre les différentes disciplines (le social, l’économique, la géographie le juridique et l’écologique), les contradictions entre les pratiques des politiques d’aménagement, l’exigence d’une politique environnementale adaptée au changement climatique (préservation, adaptation) et le développement des projets urbains. Alors que le sommet de Rio en 1992 proposait d’adopter des engagements précis pour une gestion écologiquement rationnelle de l'environnement10, nous voyons apparaître des stratégies territoriales de développement de projets urbains à proximité des espaces littoraux et des espaces à forte valeur écologique organisés autour de la valeur économique de la nature.
Production des inégalités territoriales
8Le troisième axe insiste sur les différents mécanismes de production des inégalités territoriales. Ils résultent de quatre processus. 1) La valeur économique de l’espace littoral résulte de la perception de l’environnement par les habitants et les pouvoirs publics. La valeur paysagère et la valeur d’aménités proviennent des manières de percevoir la qualité des espaces naturels par les habitants (vue sur la mer, espace protégé). 2) Une telle valeur devient aussi vecteur de valorisation sociale. Le désir de paysage est surdéterminé par la proximité avec la mer et implique une politique de conservation du patrimoine naturel participant à l’intérêt privé des habitants. La préservation de ces espaces littoraux surenchérit les principes de conservation. Cette surenchère réduit sensiblement l’accessibilité à d’autres populations, assurant ainsi la qualité du cadre de vie et l’« entre-soi » (p. 156) des résidents de ces espaces protégés; pour les pouvoirs publics, la conservation de l’environnement peut relever du souhait de soutenir « la qualité de l’espace environnant des résidences principales ou secondaires » (p. 131). Allier des politiques de préservation avec une politique d’acquisition foncière questionne les effets de la protection des milieux sur la valeur instrumentale de la nature. D’autre part, la valeur économique et sociale (contemplation, valorisation sociale) de la nature conditionne les stratégies d’accessibilité aux espaces de nature. Ainsi les politiques publiques territoriales souhaitent développer l’attractivité des territoires insulaires et traiter la question des inégalités écologiques par « l’intégration spatiale du site à l’espace urbain » (p. 157). La gestion des inégalités écologiques est ici réduite à l’aspect consumériste des espaces littoraux. 3) La lutte contre les inégalités écologiques doit-elle passer par l’accessibilité et l’exploitation de la nature à des fins d’aménités au détriment de la préservation de la nature? La construction culturelle du rapport de l’habitant avec la nature locale se définit davantage par la qualité du cadre de vie et l’accès aux aménités (p. 193) que par une conscience écologique et le besoin de nature. Le rapport à l’environnement dépend du sentiment de contemplation et de plaisir éprouvé par l’usage de la nature au détriment de sa valeur d’existence. L’usage de la nature semble s’inscrire dans la construction de l’identité culturelle et sociale des populations. Cela implique irrémédiablement un accès limité aux aménités et à la compréhension des enjeux écologiques par les populations plus défavorisées (p.220). Cependant, pour les populations en situation d’inégalités, ce n’est pas tant un désir de nature qui marque leur rapport à leur environnement de proximité mais davantage la construction d’un sentiment d’appartenance à leur territoire et leur attention à leur cadre de vie (p.263). 4) Enfin, la construction collective d’un espace public permet de tenir compte des représentations sociales des acteurs locaux (institutionnelles, citoyennes, techniques), de leurs besoins effectifs (p.235), des enjeux exprimés, en tenant compte des besoins écologiques dans la structuration et préservation des espaces. Cette « construction d’un bien commun » (p. 223) amène à se rapprocher d’un équilibre socio-écologique où la découverte de la nature par la rencontre avec l’autre dans l’espace public permet de s’approprier un lieu « commun à partager » (p. 234) et à préserver.
Quelle gouvernance ?
- 11 Le pacte de solidarité écologique: http://www.developpement-durable.gouv.fr/Citoyennete.html, sous (...)
9Dans le contexte de l’adaptation des territoires au changement climatique, la gouvernance des politiques de développement territorial en matière d’aménagement nécessite des outils inédits d’aide à la décision, notamment pour appréhender les interactions entre le social et l’écologique. Les inégalités écologiques sont encore peu intégrées dans les politiques publiques en France. Récemment, la notion a été intégrée au Pacte de solidarité écologique 11 du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en 2010.
10En matière de gouvernance environnementale, l’accent est souvent mis sur la définition d’indicateurs. La jonction de la science et de la gouvernance, entre la connaissance écosystémique des milieux et des espèces et la gestion des politiques territoriales de développement, réclame des indices d’observation, d’état, de qualité, et de suivi (p.284) mais aussi de compréhension des pratiques sociales, de la construction des enjeux dans le parcours identitaire des populations. L’évaluation des interactions entre le social et l’écologique est une demande sociale croissante des acteurs politiques. Les auteurs proposent de déterminer des indicateurs pertinents pour évaluer l’interaction du social et de l’écologique rendant compte « d’une approche écosystémique globale correspondant à un système d’interactions entre les populations de différentes espèces vivant dans un même site et entre ces populations et le milieu physique, avec des interactions à double sens » (p. 282). La définition d’un indicateur interactionnel réside, selon les auteurs, dans la multiplicité des strates d’évaluation (p. 298).
11La gouvernance est aussi très friande de procédures d’évaluation. L’ouvrage s’interroge sur les méthodologies d’évaluation (p. 297). La méthodologie d’évaluation des inégalités écologiques propose sept grilles de lectures (état des lieux environnemental, état des lieux social de la commune, foncier, gestion des risques et nuisances, capacité de réaction, gestion de la pression anthropique et accès, homogénéité du cadre de vie). Cette grille d’analyse présente la juxtaposition de résultats quantitatifs rendant peu ou pas compte des interactions. Nous pouvons émettre une réserve personnelle quant à la démarche strictement quantitative et cloisonnée amenant un manque de visibilité sur l’interaction des milieux sociaux et écologiques.
12Le livre se présente comme une utile contribution à l’analyse des politiques d’aménagement des espaces littoraux, confrontés à la double tension de gérer une pression sociale de plus en plus importante sur ces espaces (au risque d’accentuer les inégalités entre les groupes sociaux) et de s’adapter aux contraintes climatiques. Les politiques d’aménagement se doivent d’intégrer ces dimensions pour réduire l’exclusion des plus défavorisés et diminuer la vulnérabilité écologique des plus précaires. L’analyse des inégalités écologiques invite également à reconsidérer le rapport des hommes à la nature pour enclencher une révolution écologique dans notre appréhension du concept de nature.
Notes
1 Petit O., Villalba B., Zaccaï, « L’interdisciplinarité et développement durable », in Zuindeau B. (ed.), Développement durable et territoire, Presses Universitaires du Septentrion, 2010, p. 37-48.
2 Villalba, Bruno, Edwin Zaccaï, 2007, « Inégalités écologiques, inégalités sociales : interfaces, interactions, discontinuités ? », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 9 : Inégalités écologiques, inégalités sociales, mis en ligne le 02 septembre 2007, consulté le 20 janvier 2011. URL : http://developpementdurable.revues.org/3502.
3 Theys Jacques, 2002, « L’approche territoriale du " développement durable ", condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 1 : Approches territoriales du Développement Durable, mis en ligne le 23 septembre 2002, consulté le 20 janvier 2011. URL : http://developpementdurable.revues.org/1475.
4 Poser la question de la justice environnementale reviendrait à reconnaître la mobilisation de mouvements sociaux revendiquant le droit à un environnement sain. Cependant le texte ne traite pas de cette question, par conséquent la justice sociale apparaît plus appropriée.
5 Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés, Essai sur l’Homme et l’environnement dans l’histoire, Gallimard, Paris, 2000 (1997), p.149
6 Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, Paris, 2008
7 Joël Dozzi, Moritz Lennert et Grégoire Wallenborn, « Inégalités écologiques : analyse spatiale des impacts générés et subis par les ménages belges », Espace populations sociétés [En ligne], 2008/1, mis en ligne le 01 juin 2010, consulté en septembre 2010. URL : http://eps.revues.org/index2443.html
8 John Bair Callicott, L’éthique de la Terre, Wildproject, Paris, 2010
9 Theys Jacques, 2007, « Pourquoi les préoccupations sociales et environnementales s’ignorent-elles mutuellement. Essai d’interprétation à partir du thème des inégalités écologique », in Cornut, Bauler et Zaccaï (coord.), Environnement et inégalités sociales, Editions de l’université de Bruxelles, pp. 24-35. 2007.
10 Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, principes de gestion des forêts, http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm
11 Le pacte de solidarité écologique: http://www.developpement-durable.gouv.fr/Citoyennete.html, sous le volet citoyenneté relatif à la convention Aarhus sur l’information, la participation de citoyens et l’accès à la justice en matière d’environnement. Consulté le 20 janvier 2011.
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References
Electronic reference
Caroline Lejeune, “Philippe Deboudt (éd.), 2010, Inégalités écologiques, territoires littoraux et développement, Lille, Presses du septentrion, 379 p.”, Développement durable et territoires [Online], Vol. 2, n° 1 | Mars 2011, Online since 15 March 2011, connection on 14 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/developpementdurable/8895; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/developpementdurable.8895
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