Mark Lynas, 2007, Six Degrees. Our future on a hotter planet, Fourth Estate (Harper Collins).
Texte intégral
1À quoi ressemblerait une application du catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy au sujet du changement climatique ? Bien qu’il n’y fasse pas référence, Six degrees en est un très bon exemple. Certes, il existait déjà des livres décrivant le futur apocalyptique que nous promet une planète beaucoup plus chaude, et l’ouvrage de Mark Lynas s’inscrit pleinement dans ce registre : de ce point de vue, il n’est pas particulièrement original, si ce n’est par l’ampleur des données scientifiques qui étayent les propos de l’auteur (la bibliographie renvoie à près de 300 articles scientifiques de géologie, de climatologie, de glaciologie, de paléontologie, etc.).
2Ce qui fait davantage l’originalité de ce livre, c’est que Mark Lynas tente de décrire le réchauffement climatique de manière apocalyptique, mais aussi graduée. En référence à Dante qui explore l’horreur croissante des neuf cercles concentriques de l’enfer, Mark Lynas nous conduit dans l’horreur croissante d’un monde un peu plus chaud à chaque chapitre : le premier chapitre décrit un monde à +1°C, le deuxième un monde à +2°C et ainsi de suite jusqu’au sixième chapitre qui décrit un monde à +6°C dans lequel l’espèce humaine n’aurait vraisemblablement plus sa place. À chaque chapitre, les tempêtes s’intensifient, les inondations s’aggravent, les effondrements d’écosystèmes se multiplient et les effondrements des sociétés humaines deviennent plus probables. Comme dans la majorité des prospectives de ce genre, le réchauffement semble « gérable » jusqu’à deux degrés environ, il devient dramatique jusqu’à quatre degrés, et il devient apocalyptique au-delà.
3Bien entendu, l’exercice a ses limites, car cette division est fortement approximative : par exemple, un réchauffement de deux degrés serait bien plus destructeur pour les écosystèmes s’il avait lieu en 50 ans plutôt qu’en 500 ans. Mais Mark Lynas parvient à donner du poids à ses arguments en puisant des comparaisons dans l’histoire du climat terrestre : la planète était plus chaude de 3 degrés il y a 3 millions d’années, donc « l’expérience » peut nous aider à nous faire une idée de ce que serait le climat dans ces conditions. La planète était plus chaude de 4 degrés il y a 40 millions d’années, et il n’y avait alors aucune banquise permanente aux pôles. Elle était plus chaude de 5 degrés il y a 55 millions d’années, et il ne neigeait alors quasiment jamais. Elle était plus chaude de 6 degrés à l’époque des dinosaures, et des palmiers poussaient alors en Sibérie. L’histoire du climat nous permet donc d’imaginer le climat du futur, à condition toutefois de se souvenir que le changement climatique en cours est certainement le plus rapide qui ait jamais existé sur Terre, et que les écosystèmes n’auront donc pas le temps de s’adapter, ni les espèces de migrer. D’autant plus qu’il existe encore de fortes incertitudes sur les effets d’emballement du climat, ou rétroactions positives : au-delà de quel seuil de réchauffement les feux de forêt deviendront-ils incontrôlables, les océans deviendront-ils des sources de carbone, la toundra sibérienne deviendra-t-elle une source de méthane ? Autant de phénomènes qui pourraient accélérer et aggraver le réchauffement climatique au point que l’humanité n’ait plus aucune prise sur son déroulement.
4Au terme de ce voyage au bout de l’enfer (pour poursuivre l’analogie avec Dante), le livre se termine par un chapitre classiquement intitulé « choosing our future » : la fournaise d’un monde réchauffé de six degrés n’est pas inéluctable, elle n’est encore qu’une image furtive de ce qui pourrait être, comme une vision d’horreur entr’aperçue à la lueur d’un éclair. Il faut donc agir pour éviter que ce qui pourrait être devienne réalité, et c’est là que l’on retrouve la logique du catastrophisme éclairé : la peur inspirée par cette vision d’un monde apocalyptique est conçue par l’auteur comme un outil d’aide à la décision. Cette horrible description doit être un outil d’adaptation (préparons-nous à des sécheresses plus longues et à des inondations plus violentes), mais aussi d’anticipation : agissons pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, pour rester en deçà des seuils d’emballement du climat, pour éviter que la prémonition cauchemardesque ne devienne réalité… Mark Lynas termine en fixant les taux de carbone dans l’atmosphère à ne pas dépasser en fonction de l’objectif que nous choisirions de nous fixer : +1°C, +2°C, etc.
5Reste à savoir si une démarche fondée sur le catastrophisme éclairé est un moyen efficace d’inciter à anticiper et à agir. Dans le domaine politique, Yves Cochet affirme avoir essayé cette stratégie en rédigeant Pétrole apocalypse en 2005 : son livre connut un relatif succès, mais sa candidature à la présidentielle échoua (de peu), notamment parce que de nombreux militants craignaient que son discours alarmiste fasse fuir les électeurs. Ainsi, le champ politique tend à refuser le catastrophisme éclairé par anticipation d’une réaction de rejet de la part des électeurs, sans que cette réaction ait été confirmée par l’expérience. Quelles sont alors les chances, pour un livre comme Six degrees, de nous aider à « choisir notre futur », selon ses propres termes ? En s’efforçant de détailler les dangers liés au réchauffement climatique, il nous aide à nous faire une idée plus précise des conséquences concrètes du phénomène, et il rend ainsi la catastrophe plus « imaginable », plus « représentable » Ce genre d’exercice, malgré ses inévitables imprécisions, est certainement nécessaire pour que nous puissions enfin « croire ce que nous savons » à propos du réchauffement climatique ; mais il ne sera jamais qu’un premier pas, devant être suivi de propositions politiques à la hauteur des horreurs entr’aperçues.
6Mark Lynas est l’auteur de deux autres ouvrages traduits en Français : Marée montante. Enquête sur le réchauffement de la planète (Au diable vauvert, 2004) et Le Compteur de carbone (Éditions First, 2007).
Pour citer cet article
Référence électronique
Luc Semal, « Mark Lynas, 2007, Six Degrees. Our future on a hotter planet, Fourth Estate (Harper Collins). », Développement durable et territoires [En ligne], Lectures (2002-2010), mis en ligne le 06 mai 2008, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/developpementdurable/6073 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/developpementdurable.6073
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