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Nouveaux regards et nouvelles controverses sur la conservation de la nature

Paul Cary, Hélène Melin et Sophie Némoz

Cadrage du dossier

  • 1 En France, on distingue souvent la préservation (dans la lignée de la protection de la wilderness) (...)

La conservation de la nature1 au sens de la création d’aires protégées pour préserver des espèces et des écosystèmes, a longtemps eu mauvaise presse au sein des sciences sociales. L’invention de ce modèle de gestion souvent qualifié de « forteresse » a fait l’objet de nombreuses descriptions (Neumann, 2004), que ce soit l’invention de sa forme idéal-typique aux États-Unis (le modèle Yellowstone) ou ses variantes plus patrimoniales en Europe. La création en Afrique de grands espaces de conservation par des élites coloniales a symbolisé un modèle de protection dans lequel les populations étaient dépossédées de leurs terres. Plus récemment, des auteurs ont souligné que ces logiques de dépossession des populations s’étaient accompagnées de violences symétriques envers la faune locale, destinée à alimenter les safaris des colonisateurs et les zoos des pays occidentaux (Pouillard, 2019). À l’heure de la COP 16 qui s'est tenue cette année à Cali , l’institutionnalisation des politiques de conservation est aujourd’hui manifeste, comme l’attestent les ambitions internationales sur la biodiversité (les signataires de la Convention sur la diversité biologique lancée à Rio en 1992 ont fixé en 2020 l’objectif de 30 % d’aires protégées au niveau mondial, dont 10 % sous protection forte), qui se font souvent au prix de très fortes variations locales des politiques de conservation (Rodary et Milian, 2009).

La conservation s’est longtemps appuyée sur une discipline scientifique, la biologie de la conservation - avec ses concepts, techniques et méthodes spécifiques – qui, si elle a développé des capacités d’expertise majeures sur les expériences, a longtemps paru coupée des enjeux proprement politiques et économiques (Mathevet, 2010). Comment continuer à prôner la conservation sous la forme d’aires protégées sans prendre en compte les dynamiques macro à l’origine des principales causes de disparition des espèces (changement climatique, fragmentation des habitats, etc.) ? Devant l’avènement de l’Anthropocène, faut-il renoncer à ce modèle ou au contraire l’intensifier (Kopnina, 2016) ? Büscher et Fletcher (2023) ont bien montré combien certains théoriciens de la conservation se sont appuyés sur des modes de gestion de l’économie néo-libérale, qui est elle-même le principal facteur de destruction du vivant par l’extension sans fin de l’économie marchande et des ressources naturelles considérables qui sont mobilisées pour son fonctionnement. De nombreux travaux décrivent combien la protection de la nature a connu une inflexion marchande autour de notions comme les services écosystémiques ou les paiements pour services environnementaux (Rivière, 2021).

Le paradoxe n’a ainsi jamais paru aussi évident qu’aujourd’hui. D’un côté, face au recul massif de la biodiversité et du sauvage, la création d’aires protégées apparaît comme un instrument efficace, si tant est que les dérives passées de l’exclusion des populations soient corrigées. De l’autre, la marchandisation de la conservation rend plus que jamais suspecte cette dernière aux yeux des militants et des chercheurs en sciences sociales. Alors même que des passerelles entre la conservation et la pensée socio-écologique sont appelées de leurs vœux par de nombreux auteurs (Buscher et Fletcher, op. cit. ; Cary et Rodriguez, 2022, Maris, 2018, Levrel, 2023), la représentation dominante de la conservation par les sciences sociales apparaît plus caricaturale que jamais, comme la continuation d’une domination coloniale invariable malgré les changements de paradigme (Blanc, 2020, Dawson et al., 2024) et comme la reproduction d’une solution dualiste où les bénéfices pour les uns provoqueraient les malheurs des autres, dans un jeu à somme nulle. Or, même un critique ardu de la wilderness comme W. Cronon (1996) a bien souligné combien ce concept offrait une ressource majeure pour penser l’autonomie du vivant à l’égard de la domination anthropique.

Ce numéro spécial se propose donc d’interroger à nouveaux frais la question de la conservation, en posant comme hypothèse simple que les connaissances historiquement accumulées sur la conservation, notamment par les travaux en sciences sociales, permettent de dépasser les oppositions binaires qui continuent à structurer ses représentations dominantes. Surtout, la transformation massive des pratiques de conservation – par exemple, la reconnaissance de l’importance de la nature ordinaire ou des corridors écologiques dans les politiques d’aménagement (Franchomme et al., 2013 ; Mougenot, 2013) – suppose un effort de description plus fine des formes d’appropriation par les populations, autour par exemple de l’enrôlement des citoyens dans les expériences, qu’elles consistent à comptabiliser les espèces ou à surveiller les espaces.

Nous proposons quatre grandes thématiques à ce numéro, tout en restant ouverts à la possibilité d’accueillir d’autres problématisations.

D’abord, peut-on tirer un bilan de l’enrôlement des populations dans les dispositifs de conservation, au Nord comme au Sud ? Des travaux ou des synthèses de travaux décrivant la façon dont les populations intègrent les dispositifs seront bienvenues. Quel bilan tirer des modèles de la conservation intégrée/communautaire ? Les articles pourront concerner l’implication dans des recherches participatives (notamment avec la diffusion des outils numériques) ou la description des dispositifs institutionnels autour d’espaces protégées, en décrivant leur genèse, les usages permis/restreints et la façon dont les populations se les approprient, les contournent ou les contestent. Que nous révèle la description d’expériences de forums hybrides, prometteurs, mais finalement peu fréquents (Fortier, 2010) ? Enfin, des travaux se penchant sur les attachements que développent les populations riveraines à l’égard de ces espaces viendraient combler un manque de la littérature sur le sujet. L’attachement est-il synonyme d’engagement ? Quelles formes d’attachements apparaissent ou réapparaissent ? À travers quelles continuités, conflictualités et redéfinitions des processus de territorialisation (Némoz, 2022) ? Les attachements peuvent-ils constituer un levier de participation des populations pour décider des modes d’aménagement et de gestion des espaces naturels (Bousquet et al., 2022) ?

Ensuite, quels sont les acteurs opérant au sein des nouvelles dynamiques de conservation/préservation ? Comment rendre compte du rôle des scientifiques, consultants, économistes, au sein notamment des bureaux d’études (Cosson et Mauz, 2017 ; Ronsin, 2022) ? Comment peut-on penser, sur un même territoire, les multiples façons dont la protection de la biodiversité est mise en œuvre ? Quelles en sont les logiques structurantes ? En quoi sont-elles complémentaires ou non ? Face à la requalification des espaces naturels comme « puits de carbone », peut-on parler de nouvelles formes de concurrence au sein même des espaces de conservation ? Le ré-ensauvagement est également souvent porté au nom de motifs éthiques qui ne sont pas anthropocentrés, comment en rendre compte fidèlement dans des recherches en sciences sociales sans les réduire à des dispositions distinctives ou élitistes ?

Troisièmement, de nombreux travaux ont mis en évidence que les aires protégées avaient bien souvent sous-estimé l’agentivité du vivant. Ronsin et Lewis (2022) montrent par exemple comment les populations des phoques ont pu contribuer à déqualifier un espace protégé au Québec. Dans Politique du Flamant rose, Béchet et Mathevet (2020) soulignent bien le caractère toujours incertain de la reconstruction de milieux pour attirer des flamants roses supposés incarner l’identité de la Camargue. À l’inverse, la sur-fréquentation touristique tend à gêner les espèces animales. Cette agentivité ne manque pas de déboucher sur des controverses. Comment rendre compte, en sciences sociales, de cette agentivité ? Quelles leçons en tirer sur les modèles d’aires protégées ? Faut-il intervenir davantage dans la régulation ou au contraire, laisser faire les dynamiques qui échappent à la maîtrise anthropique ?

Enfin, des articles rendant compte des controverses contemporaines autour de la conservation sont attendus. Des cas emblématiques ont bénéficié ces dernières années d’une large couverture médiatique (comme les réserves de vie sauvage de l’aspas dans le Vercors). Que penser de l’émergence de dispositifs de conservation privée, à côté de l’action publique déjà existante ? En quoi la théorie de la propriété comme « faisceau de droits » se révèle-t-elle adéquate à la description des nouvelles expériences de conservation ?

Dans l’esprit de la revue ddt, des travaux venus de différents horizons des sciences sociales seront bienvenus.

Coordination du dossier

  • Paul Cary, pr sociologie, CeRIES, Univ. Lille
  • Hélène Melin, mcf hdr Sociologie, Clersé, Univ. Lille
  • Sophie Némoz, mcf sociologie, LaSA, Univ. Franche-Comté

Procédure de soumission des contributions

Séquence

  • Les articles proposés devront être des documents originaux. Ils peuvent néanmoins avoir fait l’objet de communications lors d’un colloque ou de documents de travail, à condition d’être réadaptés au format de la revue Développement durable et territoires.
  • Les propositions d’articles (résumés de 4 500 signes espaces compris, hors bibliographie) seront soumises à un avis de pertinence pour juger de leur adéquation avec le cadrage du dossier. Ces propositions devront donc être suffisamment précises (titre de l’article, question de recherche, outils théoriques, terrain étudié, principaux résultats). Elles devront inclure les noms et prénoms des auteur·e·s, leur statut et leur rattachement institutionnel, ainsi que le courriel de l’auteur·e correspondant.
  • Les auteur·e·s avisés positivement seront invités à soumettre un article complet (entre 30 000 et 55 000 signes espaces compris, bibliographie et première page incluses).
  • Chaque article, sous couvert d’anonymat, sera soumis à deux relectures anonymes. Cette double relecture pourra donner lieu à des demandes de corrections (mineures ou majeures), à une ré-écriture éventuelle, voire à un refus de l’article.
  • Si des modifications demandées ne sont pas effectuées, et ce sans justification, le comité de coordination du dossier et le Comité de rédaction de la revue se réservent le droit de ne pas publier le texte concerné.

Calendrier prévisionnel

  • Publication de l’appel à article : novembre 2024
  • Date limite de réception des résumés : 24 février 2025
  • Avis du comité de coordination du dossier : 10 avril 2025
  • Date limite de réception des articles : 15 juillet 2025
  • Publication prévue : début 2026

Consignes de rédaction

  • Format des résumés : 4 500 signes espaces compris max., hors bibliographie
  • Format des articles : entre 30 000 et 55 000 signes espaces compris, bibliographie, notes et première page incluses

Consulter les recommandations aux auteurs sur le site de dd&t

Adresse pour l’envoi des résumés et des contributions

Merci d’envoyer aux trois organisateurs : paul.cary@univ-lille.fr, helene.melin@univ-lille.fr, sophie.nemoz@univ-fcomte.fr

Bibliographie

Béchet A., Mathevet R., 2019, Politique du Flamant rose, Marseille, Wildproject.

Blanc G., 2020, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Paris, Flammarion.

Bousquet F., Quinn T., Jankowski F., Mathevet R., Barretau O., Dhénain S., 2022, Attachements et changement dans un monde en transformation, Paris, Quæ éditions, collection « Nature et Société ».

Büscher B., Fletcher R., 2023, Le vivant et la révolution. Réinventer la conservation de la nature par-delà le capitalisme, Arles, Actes Sud.

Cary P (avec Rodriguez J.), 2022, Pour une sociologie enfin écologique, Toulouse, Erès.

Cosson A., Mauz I., 2017, « Légitimer les politiques de biodiversité, droit science et participation dans les aires protégées françaises », in Compagnon D., Rodary E. (dir.), Les politiques de biodiversité, Paris, Les presses de Sciences Po, p. 67-89.

Cronon W. 1996, « The Trouble with Wilderness: Or, Getting Back to the Wrong Nature », Environmental History, vol. 1, n° 1, p. 7-28.

Dawson N., Coolsaet B., Bhardwaj A., Brown D., Lliso B., Loos J., Mannocci L., Martin A., Oliva M., Unai P., Pasang S., Worsdell T., 2024, « Reviewing the science on 50 years of conservation: Knowledge production biases and lessons for practice », ambio: A Journal of Environment and Society, vol. 53, p. 1395-1413.

Fortier A., 2010, « Quand la concertation produit de l’évitement. La mise en œuvre de Natura 2000 en région Nord-Pas de Calais », Développement durable et territoires, Varia (2004-2010), https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/developpementdurable.4602.

Franchomme M., Bonnin M., Hinnewinkel C., 2013, « La biodiversité "aménage-t-elle" les territoires ? Vers une écologisation des territoires », Développement durable et territoires, vol. 4, n° 1, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/developpementdurable.9749.

Kopnina H., 2016, « Half the earth for people (or more)? Addressing ethical questions in conservation », Biological Conservation, vol. 203, p. 176-185.

Levrel H., 2023, « Droits de propriété et ressources naturelles : en quête de panacée », Revue Française de Socio-Économie, n° 30, p. 129-141.

Maris V., 2018, La part sauvage du monde, Paris, Seuil.

Mathevet R., 2010, « Peut-on faire de la biologie de la conservation sans les sciences de l’homme et de la société ? État des Lieux », Nature Sciences Sociétés, vol. 18, n° 4, p. 441-445.

Mougenot C., 2013, Prendre soin de la nature ordinaire, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme

Némoz S., 2022, « La revitalisation urbaine aux prises des valeurs environnementales ? Continuités, conflictualités et redéfinitions de l’action publique. » in Bourdin A., Casteigts M. et Idt J. (dir.), L’action publique urbaine face aux mutations sociétales, Paris, Éditions de l’Aube.

Neumann R. P., 2004, « Nature State Territory: Toward a critical theorization of conservative enclosures » in Peet R. et Watts M. (dir.), Liberation Ecologies: Environment, Development, Social Movements, New York, Routledge, p. 179-199.

Pouillard V., 2019. Histoire des zoos par les animaux. Contrôle, conservation, impérialisme, Ceyzérieu, Champ Vallon.

Rivière C., 2021, Le gouvernement de la biodiversité européenne : expertise, contractualisation et infrastructure de financement. Natura 2000 en France (1988-2016), Thèse de doctorat, Paris, ehess.

Rodary E., Millian J., 2009, « Diffusion et diversification des aires protégées : rupture ou continuité ? » in Aubertin C. et Rodary E. (dir.), Aires protégées, espaces durables ?, ird Eds, p. 33-5.

Ronsin G., 2022, Sociologie des conseils scientifiques. Un millefeuille scientifique pour protéger la nature, Peter Lang.

Ronsin G., Lewis N., 2022, « Le déclassement d’une réserve intégrale : régimes d’appropriation et changements écologiques », Revue Française de Socio-Économie, n° 29, p. 43-69.

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Notes

1 En France, on distingue souvent la préservation (dans la lignée de la protection de la wilderness) et la conservation (qui renvoie à une exploitation soutenable des espaces naturels), soit une opposition entre deux figures des débats structurant la naissance de ce champ aux États-Unis, John Muir et Ginford Pinchot. Nous faisons ici le choix d’opter pour le terme générique de conservation afin de mieux nous inscrire dans les débats internationaux sur les espaces protégés.

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