1Mobilisé dès les années 1970-1980 (Ollivier et Plumecocq, 2015), le concept de transition et en particulier de transition écologique est venu supplanter ces dernières années celui de durabilité, en net recul (Theys, 2020). Au cours des années 1990, la notion de « sustainability transitions » est en effet apparue à différents endroits de la communauté scientifique et s’impose depuis la fin des années 2000 comme nouveau référentiel pour rendre compte des changements sociétaux à grande échelle et des enjeux de durabilité (Loorbach et al., 2017 ; Beucher et Mare, 2020). Selon Loorbach et al. (2017), le concept de sustainability transitions serait davantage porteur d’une transformation profonde et structurelle des systèmes, notamment énergétiques, de transports et agroalimentaires. Il fait l’objet depuis 2010 d’une attention croissante dans le champ des politiques publiques internationales (ocde, pnue…), comme dans celui des sciences sociales (Markard et al., 2012). En France, c’est le concept de « transition écologique » qui s’est imposé, sans toutefois constituer un référentiel unique, puisqu’il peut être décliné à partir de diverses thématiques et fait l’objet d’interprétations contrastées (Cottin-Marx et al., 2013 ; Larrère et al., 2016), allant d’une transition prônant l’abandon du système socioéconomique dominant au profit de modèles alternatifs (mouvements comme les Colibris ou les villes en transition) à une transition visant le maintien, sinon le renforcement, du modèle socioéconomique néolibéral, symbolisée par l’idée de croissance verte (Oudot et de l’Estoile, 2020).
2Si le champ des sustainablity transitions studies a initialement porté sur l’analyse de la transformation des systèmes sociotechniques (Geels, 2010), l’approche et les thématiques ont été largement diversifiées et enrichies ces dernières années (Loorbach et al., 2017 ; Köhler et al., 2019 ; Koop, 2021). Quatre champs de recherche ont notamment été identifiés (Markard et al., 2012 ; Köhler et al., 2019) : l’approche de la perspective multiniveau des systèmes socio-techniques (« multi-level perspective »), la transition institutionnelle (« transition management »), le rôle des niches stratégiques (« strategic niche management ») et l’approche des systèmes d’innovation technologique (« technological innovation system »). Cet article s’inscrit dans la perspective de la transition institutionnelle et propose d’aborder le cas de la gouvernance de la transition écologique. Dans la continuité de Villalba et Melin (2022), nous considérons que les institutions peuvent contribuer aux innovations locales de transition par des aménagements techniques (mise à disposition de locaux, de matériels…), juridiques (contractualisation) ou financiers (subventions), que nous proposons de mettre en lumière. Nous étudions ainsi la manière dont cette ambition de transition écologique, commune aux institutions et aux citoyens, a pu servir de point d’appui à l’invention de nouveaux modes d’articulation entre action publique et initiative citoyenne. Il s’agit de se demander en quoi cette transition est un catalyseur de nouveaux modes de faire ensemble et en quoi ces modes de faire ensemble (collectivités-citoyens) révèlent des chemins possibles de transition.
3Notre analyse de la transition institutionnelle s’appuie sur le cas de Volonne, commune rurale des Alpes-de-Haute-Provence, engagée depuis 2014 dans une dynamique de transition multiforme sur la base d’une ambition écologique. Initiée à partir d’un changement de municipalité, celle-ci vise à la fois à lutter contre la déprise socio-économique du territoire, à engager le territoire dans un développement et un aménagement durables et à intégrer les citoyens dans l’action publique à partir d’un projet fondateur, celui de la requalification du centre-bourg (figure 1).
Figure 1. Le centre-bourg de Volonne, périmètre du projet de requalification
Source : Cosserat, Larrouture et Despagne, 2017
4Inscrit dans la démarche EcoQuartier, ce projet a généré une dynamique participative et a été accompagné par un développement d’initiatives portées par les citoyens. Celles-ci s’inscrivent dans une perspective de transition écologique selon quatre orientations qui parfois se recoupent : la recomposition des relations à la « nature », la consommation durable et le réemploi, l’appropriation et l’usage des lieux, les liens sociaux.
5L’article vise ainsi à étudier les modalités possibles de transition quand la collectivité territoriale est motrice et intègre progressivement des actions citoyennes. Nous observons dans quelle mesure celle-ci peut susciter, par ses récits et modes d’action, des initiatives de transition et les faire perdurer dans le temps. Nous analysons la manière dont les acteurs institutionnels contribuent à la territorialisation de la transition par l’expérimentation de projets d’aménagement (ici l’inscription du projet dans la démarche EcoQuartier) et des mécanismes de coconstruction de la transition avec les citoyens et, en particulier, les porteurs d’initiatives de transition. Parallèlement, nous examinons comment la collectivité territoriale, qui « orchestre » la transition, se confronte à un certain nombre de limites qui interrogent quant au renouvellement de ses registres d’action. Nous proposons en ce sens une analyse conjointe des incitations et des opportunités qui peuvent accélérer l’innovation et le changement, ainsi que des facteurs limitants et risques de blocages qui peuvent la freiner (Theys, 2017).
6L’étude de cas, conduite entre 2020 et 2022 dans le cadre du programme de recherche POPSU Territoires, a reposé sur la conduite d’entretiens semi-directifs auprès d’une quinzaine de porteurs d’initiatives citoyennes, élus et techniciens de la municipalité de Volonne ainsi que la réalisation de trois ateliers participatifs avec l’ensemble des acteurs impliqués visant à identifier les conditions d’accompagnement, de coconstruction et de pérennisation des initiatives citoyennes au sein de l’action publique.
7L’article revient en quatre temps sur ce travail de recherche. Le premier permet de poser le cadre conceptuel de l’analyse centrée sur l’action publique locale et son rôle dans la transition écologique. La deuxième partie vise à préciser le cadre opérationnel de la recherche en spécifiant à la fois le terrain d’étude retenu et la méthodologie employée. Les principaux résultats de cette recherche sont explicités dans une troisième partie suivie d’une discussion développée en quatrième partie.
8Si les sustainability transitions studies mettent en avant la variété des possibles et des postures vis-à-vis des enjeux écologiques (Villalba et Melin, 2022), on observe que la transition écologique s’est imposée cette dernière décennie au niveau national et constitue un nouveau référentiel d’action publique (Clarimont, 2015).
- 1 Désormais ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
9Dans les politiques publiques françaises, l’imposition de ce nouveau référentiel s’est notamment traduite par la création du Conseil national de la transition écologique (2012), la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte promulguée en 2015, la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable (2015-2020) ou encore le changement de dénomination en 2017 du ministère de l’Écologie et du Développement durable en ministère de la Transition écologique et solidaire1. Dans cette perspective, la transition écologique constitue une « stratégie d’action publique, opérationnalisant ou remplaçant celle de développement durable […] en ajustant le modèle capitaliste » (Girard, 2022). La notion de transition écologique fait ainsi l’objet d’une appropriation institutionnelle allant dans le sens d’une logique de croissance verte plutôt que d’une approche alternative (Oudot et de l’Estoile, 2020).
10La transition écologique portée par l’action publique s’élabore sur la base d’une double transformation (Villalba et Melin, 2022) : celle des référentiels guidant l’intervention (développement durable, croissance verte, sobriété, etc.) et celle des conditions de sa mise en œuvre. Concernant les conditions de mise en œuvre, le rôle des acteurs est essentiel. Deux approches s’opposent quant aux acteurs pertinents pour porter la transition (Villalba et Melin, 2022), l’une défendant le rôle premier des collectivités territoriales, l’autre prônant une transition « par le bas », à partir d’initiatives citoyennes localisées et socialement innovantes (Hakimi Pradels et al., 2022). Nous étudions la manière dont celles-ci peuvent être articulées dans le cadre d’expérimentations portées par une municipalité et destinées à élargir les possibilités d’action concrètes. Nous proposons dans cette perspective d’étudier conjointement l’évolution du contexte dans lequel agissent les acteurs (transformation générale du cadre de l’action et mise en récit du projet de transition) et d’observer la mise en place d’une procédure de changement portée par la collectivité territoriale dans son rapport aux habitants et aux initiatives citoyennes.
11Certes, la transition est en partie « silencieuse » (Grossetête, cité par Girard, 2022) et ne constitue que rarement un projet politique revendiqué par la municipalité, la connotation « technique » ou « militante » de la transition écologique pouvant être appréhendée comme un frein à la discussion et à l’action collective (Girard, 2022). Néanmoins, la transition écologique, comme la ville durable, constitue une « véritable “catégorie de la pratique” » et « rend compte de cette dimension pastorale de la puissance publique (Pautard, 2015), qui détermine ainsi la réponse à apporter aux crises environnementale, urbaine, sociale, économique, etc. » (Boissonade et Valegeas, 2018 : 5). Elle s’impose comme « mythologie » de l’action publique, aux côtés de celle de la « came » (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation et Excellence) étudiée par Bouba Olga et Grossetti (2018). Dans les territoires ruraux, on observe ainsi des formes de réhabilitation et de recyclage des mémoires des « sociétés paysannes » (Jousseaume, 2021 : 213), envisagées dans le récit contemporain comme des ressources possibles d’innovation participant conjointement à la transition écologique (« mutation de notre relation à la nature »), à la transition économique (économie du partage, économie circulaire) et à la mutation de notre relation aux autres (« revalorisation des relations sociales de proximité, par opposition à la mobilité et l’anonymat »).
12Étudier la mise en œuvre de la transition écologique par les collectivités territoriales invite ainsi à observer l’enjeu et les modalités de mise en récit du projet. Comme le rappellent Villalba et Melin (2022), « pour que la transformation se fasse, il est nécessaire de construire un discours de valorisation des effets supposés/présentés des expérimentations, afin de créer un effet d’agrégations d’actions, se renforçant mutuellement, et pouvant ainsi entraîner la société vers cette nouvelle destinée ». Ainsi, la mise en œuvre de la transition écologique, appréhendée comme un changement dans les systèmes de croyance et les modes de faire, conduit la collectivité territoriale qui la porte à mettre en récit son projet pour le partager et le rendre acceptable, voire souhaitable par les citoyens et par les partenaires. Dans cette perspective, la transition écologique ne doit pas être considérée comme un défi technocratique, mais comme un processus délibératif d’apprentissage social visant à changer les croyances par la participation des acteurs à des projets expérimentaux stimulant la réflexivité.
13Parallèlement à cette transition écologique d’impulsion institutionnelle, des expériences alternatives émergent, prenant la forme d’innovations sociales, d’engagements personnels, d’activisme en réseau et de pratiques transformatives (Villalba et Melin, 2022). Face aux différentes crises qui traversent la société à toutes les échelles, aux inégalités qu’elles engendrent et à l’inquiétude qu’elles génèrent, les initiatives citoyennes reflètent à la fois la défiance des citoyens envers les institutions et les revendications grandissantes de citoyenneté plus active (Foret, 2014) dans un contexte de mondialisation néolibérale (Chanez et Lebrun-Paré, 2015).
14D’abord réticentes face à ces initiatives « par le bas », les collectivités territoriales tendent de plus en plus à les reconnaître comme « porteuses de solutions d’avenir, d’énergie et d’inventivité dans un contexte de crises multiples face auxquelles les institutions se trouvent désarmées » (Lancement et Levêque, 2019). Alors que ce partenariat initiatives citoyennes/pouvoirs publics reste à inventer (Laigle et Racineux, 2017), l’impératif de transition écologique apparaît comme un possible catalyseur de l’invention de nouveaux modes de faire ensemble, y compris dans l’urbanisme du quotidien. Les rapports entre initiatives et institutions, s’ils sont polymorphes et évolutifs au cours du temps, peuvent schématiquement viser à « faire avec le système », « faire évoluer le système », « changer le système » ou « supprimer le système », selon la typologie proposée par Dominique Bourg (Lancement et Levêque, 2019). Ces mouvements citoyens relèvent d’une « gestion adaptative créative » exprimant simultanément des formes de résistance et d’autonomisation (Barry, 2012 ; Schlosberg et Coles, 2019). Ils visent « une relation éthico-matérielle résiliente et transformative » remettant en question les pratiques non durables de domination de la nature non humaine afin de reconstruire les interactions quotidiennes avec le reste du monde naturel (Schlosberg et Coles, 2019).
- 2 Dans ce second cas, « le concept d’essaimage est alors utilisé par les acteurs portant des initiati (...)
15Dany Lapostolle et Alex Roy (2022) proposent une analyse des modalités de transition par le bas, portées par les initiatives locales et leur « essaimage », envisagé comme un « processus d’articulation d’échelles spatiales, relationnelles, temporelles et institutionnelles » qui « donne une portée politique aux initiatives de transition ». L’essaimage est plus largement envisagé comme un « activisme environnemental du faire » pouvant être mobilisé comme outil de gouvernement « par le haut » (déploiement, réplication d’initiatives éprouvées) ou comme un « levier d’agencéité environnementale locale » porté par une communauté2.
16Nous proposons dans cet article d’étudier les modalités d’essaimage de la transition à Volonne, conduites par le haut, en observant dans quelle mesure cette commune rurale constitue un lieu d’innovation sociale et organisationnelle. Dans cette perspective, cette recherche s’inscrit plus particulièrement dans l’approche institutionnelle de la transition (Rotmans et al., 2001 ; Loorbach, 2010 ; Köhler et al., 2019), en observant la manière dont les décideurs politiques peuvent orienter les transitions (Loorbach, 2010) et participer à la « dissémination experte » (Lapostolle et Roy, 2022) des initiatives citoyennes de transition.
17Cet article porte sur l’observation du cas de Volonne, commune rurale de 1 650 habitants qui a initié en 2014 un projet de requalification du centre-bourg qu’elle a souhaité inscrire dans une démarche relevant de la transition écologique, bien que le concept n’ait pas été mobilisé en l’état par les élus, le terme ayant alors à peine entamé sa percolation dans les politiques publiques.
- 3 La perte de dynamisme de la commune s’est manifestée par la fermeture de nombreux commerces de pro (...)
- 4 Elle vise à maintenir l’offre de santé en milieu rural, à l’échelle du carrefour de la Moyenne Dur (...)
- 5 Le projet réalisé sur cette commune de 2 400 hectares a été conduit en trois phases : émergence et (...)
- 6 Le projet visait à répondre à cinq enjeux structurants pour la commune : conforter le centre-bourg (...)
18Le projet de requalification du centre-bourg a été envisagé comme une solution pour répondre aux prémices de déprise rurale à laquelle sont confrontés certains territoires ruraux (Pistre, 2013 ; Clanché, 2014), dont la commune de Volonne à partir du milieu des années 20003. Sa mise en œuvre a été impulsée par le renouvellement de l’équipe municipale en 2014 et la perspective d’accueillir la maison de santé intercommunale sur le territoire4. Ce projet, situé sur une emprise de 4 hectares et conduit entre 2012 et 20235 (figure 2), illustre l’engagement de la municipalité sur le chemin de la transition écologique. Parmi les cinq enjeux auxquels il est appelé à répondre6, le troisième concerne ainsi l’« ambition paysagère et environnementale » et le quatrième la « participation active des habitants ».
Figure 2. Plan masse de l’EcoQuartier de Volonne
Source : Cosserat, Mars et Despagne, 2018
- 7 Neuf bâtiments ont été raccordés à une chaudière gaz couplée à une chaudière bois en lien avec un p (...)
19Si la dimension sociale du projet est présente (création de 22 logements sociaux, recours à des chantiers participatifs et des chantiers d’insertion, forte dimension participative du projet), le volet écologique est au cœur de la démarche et se traduit notamment par la place accordée à la nature et par la prise en compte des enjeux de transition énergétique. Concernant la transition énergétique, citons par exemple l’installation d’un réseau de chaleur7, d’une toiture solaire photovoltaïque sur le toit de la cantine (figure 3) et d’une borne de recharge électrique. La maison de santé a obtenu la certification Bâtiment durable méditerranéen (bdm) niveau or pour sa conception, et la gestion des déchets a été optimisée notamment par leur revalorisation en phase chantier. Un travail sur l'éclairage public (durée et intensité) a également été réalisé et une démarche de formation/sensibilisation a été proposée aux citoyens (journée de la nuit, journée de la transition, suivis de consommation, livret écocitoyen…). Concernant la place accordée à la nature, celle-ci s’est matérialisée notamment par la désimperméabilisation des sols, le maintien des végétaux et des exutoires existants (afin de gérer alternativement le pluvial), la végétalisation des espaces avec des essences locales (4 100 m2 de canopée créée), ou encore l’aménagement d’une aire de jeux pour enfants non clôturée de manière naturelle (souches, rondins, rochers, petit mobilier en bois...) – figures 3 et 4.
Figure 3. Une centrale photovoltaïque citoyenne sur le toit de la cantine
Source : Hatt, 2024
Figure 4. L’aire de jeux naturelle aux abords de la crèche
Source : Hatt, 2024
20La dimension procédurale de ce projet de transition s’est traduite par l’inscription dans la démarche EcoQuartier et la labellisation du projet (Étape 4 depuis 2022) ainsi que sa certification Quartier durable méditerranéen niveau Or, révélant la reconnaissance de la qualité du projet par les instances régionales et nationales. On observe également un effet levier de ce projet d’EcoQuartier : extension d’actions engagées dans l’EcoQuartier à d’autres bâtiments (extension du réseau de chaleur, éclairage performant sur toute la commune, réhabilitation de bâtiments), réalisation d’un schéma communal de gestion des eaux pluviales, développement de nouveaux projets de désimperméabilisation (stationnement, cours d’école).
21Parallèlement, et suite à l’élaboration du projet d’EcoQuartier, une dizaine d’initiatives citoyennes de transition écologique ont émergé dans la commune au fil du temps : Gratuiterie, poulailler collectif, boîtes aux livres, repair café, création d’un sentier thématique (parcours de l’eau), nettoyage citoyen d’un chemin communal, jardins partagés, végétalisation spontanée des espaces publics, fête du tricot (à partir du réemploi de laine et du travail de couturières locales), projet de Fabriquerie (mettant à disposition des matériaux récupérés ou donnés en travaillant avec les ressourceries et entreprises locales et des machines professionnelles dans différents domaines). C’est pour s’interroger sur l’émergence de ces initiatives citoyennes de transition et sur les modalités de leur pérennisation qu’une recherche a été engagée dans le cadre du programme popsu Territoires, impliquant enseignantes-chercheuses et étudiants de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional d’Aix-Marseille Université.
- 8 Le travail, initié avec les étudiants du master Urbanisme et Aménagement de l’Institut d’urbanisme (...)
- 9 Nous analyserons ce faible taux de réponses dans la suite de l’article.
22La méthodologie mobilisée par l’équipe de recherche8 articule quatre démarches. Un premier temps a été consacré au recensement et à la caractérisation des initiatives citoyennes développées dans la commune à partir d’une quinzaine d’entretiens semi-directifs avec les élus et les porteurs d’initiatives de transition écologique. Un second temps a consisté à organiser trois ateliers participatifs conduits entre juin et août 2021. Réunissant une dizaine de participants, issus de la municipalité et porteurs d’initiatives citoyennes, ces ateliers, animés par l’équipe de recherche, se sont appuyés sur une méthode d’animation utilisant des post-it afin de permettre la coconstruction d’un livret de la participation citoyenne souhaité par la collectivité territoriale. Dans cette perspective les chercheurs ont adopté une posture de « disempowerment », devenant « des acteurs comme les autres » afin de placer les participants en position de partager un diagnostic de la situation et de saisir les leviers disponibles sur leur territoire (Lapostolle et Roy, 2022). Chaque atelier visait un objectif spécifique : l’identification des freins et besoins rencontrés dans la dynamique citoyenne, le partage et la mise en débat de démarches conduites dans d’autres collectivités territoriales et le travail de coproduction du livret. Un troisième volet de la recherche a consisté à réaliser une enquête par questionnaire pour mesurer la participation citoyenne à Volonne, au-delà de celle des porteurs d’initiatives citoyennes. Plus de 1 000 questionnaires ont été transmis durant le mois de juillet 2021 (via le site internet de la commune, le journal local appelé Vourouno et deux sessions de passations sur le terrain) afin d’analyser les modalités de participation des habitants et leur rapport aux initiatives citoyennes existantes. Seulement 43 réponses ont été obtenues9. Enfin la dernière démarche de cette recherche consistait à réaliser un « livret de la participation citoyenne » attendu par la municipalité afin de faire connaître, encourager et favoriser le développement des initiatives citoyennes. Ce livret a ainsi été coconstruit afin de constituer un catalogue de l’existant, un mode d’emploi pour accompagner de nouveaux porteurs potentiels dans ce type de démarche et un marqueur du lien entre initiatives citoyennes et action publique.
23La recherche développée s’inscrit ainsi dans une perspective de recherche-action participant au processus d’essaimage expert étudié. Dans une approche institutionnelle de la transition, cette démarche s’apparente à une forme d’expérimentation de la gouvernance participant au changement de régime de l’intérieur, via l’apprentissage social, la remise en question de valeurs dominantes ou le soutien de nouvelles solutions (Köhler et al., 2019).
24Afin de susciter l’adhésion des partenaires potentiels au projet de requalification du centre-bourg, la municipalité a travaillé sa mise en récit, en s’appuyant sur la dimension environnementale et l’implication citoyenne. Tout autant qu’elle a servi l’amélioration d’un projet urbain envisagé comme une démarche, un processus (Rode, 2017), l’inscription du projet dans les démarches EcoQuartier et Quartier durable méditerranéen a largement contribué à cette mise en récit, préalable à la constitution d’une démarche multipartenariale, condition sine qua none de son aboutissement en milieu rural.
- 10 Sur l’ensemble de ces demandes, 32 dossiers ont été retenus, soit un peu plus de 2 M€ de subventio (...)
- 11 La convention de projet urbain partenarial a pour objet la prise en charge financière des équipemen (...)
- 12 Le groupement de commandes consiste en un lancement d’une consultation unique pour répondre aux bes (...)
25Ce récit, porté par la puissance publique, a contribué à susciter l’adhésion des partenaires potentiels et l’accompagnement dans sa mise en œuvre opérationnelle, réglementaire et financière. Plus de 25 parties prenantes (opérateurs, acteurs institutionnels, professionnels impliqués et financeurs) ont ainsi adhéré à la démarche autour de cet objectif socio-écologique. Les acteurs institutionnels (préfets, services déconcentrés du ministère et services décentralisés) ont été sollicités à divers titres pour le soutenir et s’inscrire dans le parti pris souhaité par la municipalité. De multiples financeurs ont été recherchés (État, Région, Département, Europe, caf) avec plus de 40 dossiers de demandes de subvention déposés, impliquant l’explicitation du projet et sa mise en récit10. Le bailleur Habitations de Haute-Provence (h2p) a adhéré à l’ambition écologique du projet et à l’objectif de construction de logements sociaux labellisés Bâtiment durable méditerranéen (bdm) argent (contrairement à d’autres bailleurs sociaux consultés). Au-delà de la qualité énergétique des bâtiments, h2p a ainsi accepté de scinder en deux bâtiments la résidence « Jardins de Fémuy » afin de l’ouvrir sur les aménagements paysagers publics et surtout de permettre la conservation de deux cèdres centenaires (entretien avec la maire, 2020 – figure 5). Cette volonté du bailleur social de soutenir ce projet d’une commune rurale ne disposant pas d’une grande capacité d’ingénierie a également conduit à l’établissement d’un Projet urbain partenarial11 et d’un groupement de commandes entre le bailleur et la municipalité12. Le partenariat entre la collectivité territoriale et le bailleur s’est ainsi construit sur cette volonté, et ce récit, de concevoir un projet innovant en matière écologique.
Figure 5. La résidence « Jardins de Fémuy » scindée en deux pour conserver deux cèdres centenaires
Source : Bonnin-Oliveira, 2021
- 13 Propos tenus lors d’un séminaire organisé par le réseau régional des programmes de l’anct, avril 2 (...)
26Au-delà des partenaires économiques et techniques, la construction de ce récit autour de la transition vise également à favoriser l’implication des habitants et leur adhésion au projet, la maire rappelant qu’« il faut expliquer le sens de ce que l’on fait, s’il n’y a pas de sens on ne peut pas croire au projet et il faut rappeler pour chaque action le sens que l’on veut mettre derrière13 ».
- 14 Les articles de presse locale révèlent les craintes et tensions suscitées par le projet malgré ce t (...)
27Pour cela, la démarche de projet mobilise des dispositifs de différentes natures, de concertation et de coconstruction (Bonnin-Oliveira et Hatt, 2023). Ce récit a ainsi été partagé aux habitants lors de nombreuses réunions publiques (plus de 50), d’ateliers participatifs et de visites d’opération en phase chantier, organisés par les élus. Il l’a été également par le biais du bulletin municipal (qui en a relaté régulièrement les avancées), par le relais médiatique dans la presse locale, et il l’est encore par les visites du projet réalisées lors du pot d’accueil des nouveaux habitants (maire, séminaire anct, 2024). L’implication des habitants s’est matérialisée aussi par des démarches de coconstruction ou de cogestion de certains lieux, comme l’aménagement du parvis de l’école et de la crèche avec la participation active des élèves de l’école, la création d’un jardin partagé dans le périmètre de l’EcoQuartier, ou encore, l’installation d’une centrale photovoltaïque sur le toit de la cantine (mis à disposition par la municipalité) via la mobilisation d’un collectif citoyen. Bien qu’elle ait rencontré des difficultés inhérentes à tout projet participatif14, la municipalité a ainsi privilégié une position d’écoute et la mise en place d’espaces de dialogue donnant des gages aux habitants quant à la volonté portée par la municipalité d’encourager l’implication des citoyens.
- 15 Propos tenus lors du 3e atelier, le 31 août 2021.
28À côté des lieux ouverts à la participation et la coconstruction dans le cadre même de l’élaboration du projet d’EcoQuartier, une dizaine d’autres initiatives citoyennes, entendues comme des « propositions par des habitants pour les habitants, de projets et de temps partagés qui attirent et donnent envie à d’autres habitants de participer » (chargée de mission environnement à la mairie de Volonne, 2021), ont émergé au fil du temps (Bonnin-Oliveira et Hatt, 2023). Si ces initiatives citoyennes de transition ne sont pas réellement originales dans leur nature, elles sont toutefois nombreuses, dans un village de 1 650 habitants, témoignant d’une forme « d’essaimage ordinaire » (Lapostolle et Roy, 2022) de cette dynamique de transition. Plusieurs d’entre elles, comme la Gratuiterie, ont germé en marge des réunions publiques organisées depuis 2015 ou au cours de la journée de la transition organisée annuellement depuis 2016, sous l’impulsion de la municipalité. Une habitante, initiatrice de l’installation de boîtes à livres dans la commune, considère ainsi que « la mairie invite les citoyens à la coopération et à la prise d’initiatives » (entretien, 2021). Ainsi pour la maire15 « aujourd’hui ça fonctionne mieux, il y a une certaine habitude des habitants à être consultés depuis 2014, à participer. Il faut aussi que les agents mettent en œuvre cette écoute. Il y a un apprentissage collectif à faire, ce n’est pas simple », « c’est bien l’idée de Volonne participatif, c’est de susciter ça. On n’est pas par magie un village où ça participe plus qu’ailleurs […] Il faut encourager les gens, les accompagner dans cette démarche ».
29Ce dernier élément appelle un point de vigilance sur l’équilibre à trouver entre collectivité territoriale et initiatives citoyennes pour ne pas tomber dans l’instrumentalisation, ou la récupération qui a pu être observée en matière d’habitat participatif (Devaux, 2015) ou de jardins (Bally, 2018) et que Lapostolle et Roy (2022) analysent en termes de « risque de standardisation » lié à une « dissémination experte ». La question est alors de savoir si les trajectoires de transition définies par le haut peuvent intégrer les expériences ordinaires et l’expertise issue d’une transition qui s’élabore chemin faisant par le bas. Si le risque de « domestication institutionnelle de ces initiatives » (Lapostolle et Roy, 2022) est possible, il n’est pas ressorti dans les échanges avec les porteurs d’initiatives qui considèrent plutôt la municipalité comme un relais leur ayant permis de faire aboutir leur projet. Nous proposons ici d’éclairer les modalités de partenariats développés entre collectivité territoriale et porteurs d’initiatives citoyennes de transition.
- 16 À noter toutefois que le cadre dans lequel s’est déroulée l’enquête (programme popsu Territoires co (...)
30La dizaine d’initiatives analysées s’inscrit dans un rapport de complémentarité avec la municipalité16 en s’appuyant sur les institutions et en faisant le lien entre elles et les citoyens, ainsi que l’analyse D. Bourg. Pour la municipalité, associer les habitants à la définition et à la conduite du projet communal et laisser la place à des actions citoyennes est reconnu comme « nécessaire » : « Ça ne peut pas être porté que par les élus, convertir les citoyens en citoyens actifs est une nécessité » (maire, 2022, séminaire final). Cette complémentarité se traduit de diverses manières, en fonction de la place de chacun. Trois postures de la collectivité territoriale vis-à-vis des initiatives citoyennes de transition ont pu être identifiées : en impulsion, en accompagnement, en rattrapage.
31D’abord, la collectivité territoriale continue parfois d’être à l’origine d’une initiative, dans la continuité des modes de faire expérimentés dans le cadre de l’EcoQuartier. Des projets comme celui du street art (convention de la mairie avec l’opérateur du réseau électrique pour mettre à disposition d’artistes locaux les blocs transformateurs) ou de l’inventaire citoyen des arbres remarquables (lancé par la municipalité en 2021 pour mobiliser l’ensemble des citoyens dans l’identification du patrimoine naturel) sont des exemples de cette impulsion publique donnée à la participation citoyenne.
32Ensuite, la collectivité territoriale peut être appelée en accompagnement/soutien d’une initiative, dont l’impulsion est citoyenne : les habitants se rapprochent de la municipalité pour s’assurer de la faisabilité (spatiale, logistique, financière…) et de la mise en œuvre de leur projet dans lequel ils restent pleinement investis. La plupart des exemples étudiés ressortent de ce cas de figure (tableau 1). Pour ne développer qu’un exemple, celui de la Gratuiterie donne à voir comment la municipalité, contactée par le collectif souhaitant développer un lieu dédié au don, a trouvé un local à mettre à disposition et a fourni les matériaux nécessaires à son aménagement, laissant ensuite le soin aux membres du collectif d’aménager, gérer et entretenir le lieu. Dans ces deux premiers cas (collectivité à l’impulsion ou en relais), le parallèle est fort avec le dispositif « fifty-fifty » développé par la commune de Loos-en-Gohelle pour responsabiliser et encourager la prise d’initiative citoyenne selon le triptyque « une idée, un appui de la commune et une convention » que l’on retrouve à Volonne. Il s’agit donc de « créer le terreau pour mieux les accompagner, mieux les fertiliser » (maire, 2022, séminaire final).
33Enfin, troisième cas de figure, la collectivité territoriale arrive parfois en rattrapage (intervention a posteriori) de certaines initiatives qui ne respectent pas le cadre réglementaire (sécurité, propriété privée, accessibilité des espaces publics…). Dans le cas du parcours de l’eau, des citoyens mobilisés pour baliser et aménager des parcours de balade le long des cours d’eau du village ont court-circuité l’action de l’association La Vieille Pierre Volonnaise (relais du projet auprès de la municipalité sur les questions de faisabilité et de financement) pour le mettre en œuvre plus rapidement face aux lenteurs administratives. Ils ont alors installé sans autorisation des passerelles non sécurisées sur des propriétés privées, nécessitant l'intervention de la municipalité pour les retirer, d’autant plus que les crues les avaient fragilisées. De la même manière, la végétalisation spontanée initiée par quelques habitants débordant le cadre de l’habitation privée et s’inscrivant sur l’espace public a conduit à l’instauration d’un permis de végétaliser qui peut encadrer cette pratique tout en l’encourageant (par la création d’un concours Volonne en fleurs) et la facilitant (par la mise en place d’un partenariat avec un pépiniériste), en revenant de la sorte au principe du « fifty-fifty ».
Tableau 1. Les formes de soutien de la municipalité aux initiatives citoyennes volonnaises
Initiative |
Soutien de la municipalité |
Implication des citoyens |
Gratuiterie |
Convention de mise à disposition d’un local |
Aménagement du local |
Achat des matériaux |
Gestion et entretien du lieu |
Repair café |
Prêt de la salle municipale |
Réparation d’objets |
Poulailler collectif |
Convention d’occupation du terrain |
Entretien et gestion du poulailler |
Fourniture de bacs à déchets |
Nettoyage de chemins |
Mise à disposition de poubelles et matériel |
Ramassage des déchets |
Fabriquerie |
Aide à la recherche de subventions et d’un local |
Structuration du modèle économique et social (ess) |
Source : Bonnin-Oliveira, 2022
34L’invention progressive de ces modalités de dialogue ne fait pas moins de ces initiatives citoyennes des « accélératrices d’action publique » (Lancement et Lévêque, 2019). Pour autant, notamment face à l’augmentation des initiatives qui révèlent des difficultés de coordination croissantes, ces dernières apparaissent aussi comme des « perturbatrices institutionnelles » (ibid.) conduisant la municipalité à s’interroger sur sa capacité à les accompagner.
- 17 Les sciences politiques et la sociologie ont ainsi montré que le recours à des démarches participa (...)
35Si la transition écologique constitue un vecteur de nouveaux modes de faire entre institution publique et citoyens, elle n’est pas exempte de limites, tenant à la fois aux modalités d’implication des citoyens (cercle restreint d’habitants moteurs, exclusion des autres…)17, mais également aux difficultés d’évolution des registres d’action de la collectivité territoriale et de son fonctionnement administratif.
36Cette gouvernance partagée bouscule les cadres traditionnels du fonctionnement politique et technique des acteurs publics et « contraint à une transformation des habitudes de pensée et des modes d’intervention de l’ensemble des acteurs politiques et administratifs locaux » (Blondiaux, 2001), ce qui n’est pas évident pour des régimes en place qui montrent une certaine dépendance au sentier et un verrouillage au changement (Geels, 2010). Les ateliers conduits dans le cadre de la recherche ont constitué une arène de discussion ayant permis aux porteurs d’initiatives citoyennes d’exprimer leurs difficultés vis-à-vis du fonctionnement de la municipalité. Au sujet des freins au maintien et au développement des initiatives, ils évoquent ainsi « le temps de réaction des services techniques », « le manque d’un élu référent », « le problème [de] management car on renvoie toujours à une autre personne quand on appelle la mairie » (atelier participatif n° 1).
37Du point de vue politique, c’est d’abord le temps de la prise de décision qui se trouve questionné par cette implication plus directe du citoyen dans la formulation des projets et la définition de l’action. Les délais de validation politique paraissent souvent trop longs face au temps court du citoyen, au risque de générer « la frustration et la déception des habitants qui auraient pu un temps vouloir s’y investir » (Blondiaux, 2001). À Volonne, ces délais prennent notamment leur source dans une organisation politique à parfaire pour clarifier le parcours de la coconstruction et du dialogue citoyen dont les entrées sont pour l’heure multiples : élu à la vie associative, élue au cadre de vie, élue au village participatif ou encore maire. Or, « quand trop de personnes gèrent le dossier, cela finit par se perdre » (élue au cadre de vie, 2021, atelier participatif n° 1). Cela affecte la réactivité politique d’élus pourtant convaincus du bien-fondé de l’implication des citoyens.
38Du point de vue technique et opérationnel, les réticences au changement restent plus tenaces du côté de services techniques qui s’inscrivent dans une forme de dépendance au sentier et peinent à comprendre l’intégration dans leurs missions de l’entretien des aménagements issus des actions citoyennes (ramassage des déchets du poulailler et des jardins par exemple). Ainsi, selon la chargée de mission environnement (atelier participatif n° 1, 2021) « ils ne comprennent pas pourquoi c’est la mairie qui doit faire ça », d’autant que cette évolution s’inscrit dans un contexte où » les transformations des pratiques sont déjà lourdes, avec le zéro phyto par exemple, il faut former les agents, accentuer la sensibilisation » (maire, 2022, séminaire final). Comme d’autres l’ont montré dans le cadre de la gestion des eaux pluviales (Cossais, 2019) ou de l’aménagement et de la gestion des parcs publics (Chambelland, 2019), gouverner la transition écologique de manière élargie nécessite de repenser les canaux de la validation politique comme les modes de faire des agents afin de lever certains verrous.
39Outre ces évolutions nécessaires au sein de la municipalité, ce sont les modes de faire ensemble entre la collectivité territoriale et les porteurs de projets qui restent encore à stabiliser pour asseoir cette gouvernance partagée. En effet, si l’aboutissement des premières initiatives citoyennes pouvait s’appuyer sur des modus operandi expérimentaux, cette gestion au coup par coup, sans cahier des charges clair, ne tient plus face à la multiplication des projets que la municipalité appelle pourtant de ses vœux.
40La coconstruction entre municipalité et citoyens porteurs d’initiatives pâtit plus précisément de trois difficultés que les ateliers participatifs ont permis d’identifier. D’abord, le manque de réactivité face aux demandes des porteurs d’initiatives et la lenteur du déploiement des projets entre leur conception et leur réalisation pèsent sur la dynamique et la motivation collectives. Le projet de boîte à livres porté par le collectif de la Gratuiterie a par exemple été abandonné suite à une trop longue attente de réponse de la part de la municipalité. Ensuite, le défaut d’accompagnement et de suivi sur le long terme, notamment lorsque des difficultés opérationnelles se présentent : « Le projet est mis en place puis on le laisse, on ne gère pas les problèmes, on donne l’impression qu’il n’y a plus de soutien, qu’on est abandonnés » (chargée de mission environnement, 2021, atelier participatif n° 1). Enfin, l’insuffisance de la reconnaissance de cette implication citoyenne de la part de la municipalité que traduit par exemple l’absence fréquente d’élus à certains événements organisés, alors que « la présence des élus aux manifestations permet d’être crédible auprès des bénévoles » (élu à la vie associative, 2021, atelier participatif n° 1).
41Le défi pour la collectivité territoriale consiste alors à dépasser ces limites institutionnelles et méthodologiques afin de pérenniser l’implication citoyenne dans la transition écologique. Il s’agit en ce sens pour elle de travailler aux modalités de gestion et d’accompagnement de la transition écologique. La maire a ainsi conclu le 3e atelier en considérant que « ce travail s’est conduit dans un climat de confiance plutôt que de défiance, avec de l’échange et de la communication […] On voit qu’il y a encore des choses à améliorer pour ceux qui vivent le village, et on travaille aujourd’hui sur cela. Ce n’est pas toujours facile d’entendre ce qui ne fonctionne pas, on va réfléchir et on va s’améliorer. »
42Nous proposons de revenir en discussion sur trois points relatifs aux modalités de portage et de diffusion de la transition écologique par la commune de Volonne : le rôle de l’ingénierie interne, les processus de diffusion territoriale et les processus de diffusion réticulaire.
- 18 Si ce fonds a été créé pour accélérer la transition écologique dans les territoires, il repose d’u (...)
- 19 Au même titre que d’autres enjeux pourtant eux aussi inscrits à l’agenda politique, tels que la rev (...)
43Premièrement, sur le plan institutionnel de l’organisation politique et technique, outre une réflexion en cours sur l’organigramme afin de clarifier les portefeuilles des élus pour mieux identifier les référents aux yeux des porteurs d’initiatives, c’est la création d’un poste de chargée de mission « village nature, environnement » qui a permis à la commune d’inscrire durablement les questions écologiques à l’agenda tout en les articulant avec leur dimension citoyenne. Cette technicienne constitue une véritable rotule dans le système volonnais du faire ensemble, à la croisée entre élus, services techniques et porteurs de projets. Très bien identifiée par ces derniers, elle est celle vers laquelle ils se tournent pour suivre l’avancement d’une idée soumise au politique, accompagner sa mise en œuvre opérationnelle ou signaler les difficultés rencontrées. Elle se fait ainsi le relais auprès des élus impliqués sur ces questions tout en assurant en retour l’information et la communication municipales à destination des porteurs de projets. Pour autant, dans le contexte d’une petite commune rurale disposant de peu de moyens, l’investissement pour ce type de poste est lourd et repose le plus souvent sur des financements précaires, dépendant de subventions non pérennes. Si le poste a pour l’heure pu être préservé, passant de support en support, jusqu’au format le plus récent de volontaire territorial en administration, justement conçu pour renforcer les compétences des collectivités territoriales rurales en ingénierie de projet, la pérennité des missions n’en reste pas moins suspendue à cette agilité administrative. Cette précarité et cette débrouillardise administratives révèlent en creux, et à l’image d’autres dispositifs tels que le fonds vert, l’insuffisante considération institutionnelle et budgétaire de la crise écologique18. La transition écologique est-elle condamnée au bricolage19 ou peut-elle devenir un cadre d’action des politiques publiques ? Le lancement en 2022 d’un plan de formation à la transition écologique des agents de l’État pourrait contribuer à faire évoluer les choses dans les années à venir.
- 20 Comme en témoigne la faible mobilisation dans le cadre de l’enquête par questionnaire, même si cel (...)
44Un deuxième point a trait aux processus de diffusion de cette transition écologique institutionnelle. Il s’agit tout d’abord d’un « processus de diffusion territoriale » (Richez-Battesti, 2015) par lequel la mise en œuvre de la transition écologique et du soutien aux initiatives citoyennes sort du cadre de l’expérimentation pour être progressivement institutionnalisée à l’échelle locale. Si c’est d’abord à l’échelle de la commune que se poursuit la mobilisation pour assurer cette diffusion20, la question de l’enjeu de la participation a aussi été portée à l’échelle intercommunale et la communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération a développé une plateforme intercommunale de participation pour laquelle le recrutement d’un chargé de mission est en cours. Ce projet participe de la légitimation de l’expérimentation des démarches participatives et de leur inscription dans un processus de normalisation et d’institutionnalisation. Il permet également de faire changer l’échelle du soutien des initiatives citoyenne et pourrait en ce sens constituer un moyen de désengorgement pour la commune de Volonne car « on veut susciter un village qui participe et les gens viennent mais ils nous sollicitent beaucoup […] on a une vingtaine de demandes de projets en cours, ce qui pose un souci d’arbitrage » (maire, atelier participatif n° 3).
- 21 Quartier durable méditerranéen niveau Or, Label EcoQuartier – étape 4, Prix du public « EcoQuartie (...)
- 22 À titre d’exemple, participation de la maire de Volonne à la table ronde introductive du colloque d (...)
- 23 Les enseignements de l’expérience volonnaise ont par exemple été au programme du lancement de la s (...)
45Une troisième perspective d’essaimage expert relève d’un processus de « diffusion réticulaire » (Richez-Battesti, 2015) de cette transition écologique à l’échelle méso permise par la circulation de l’exemple volonnais dans le cadre des partenariats dans lesquels s’est inscrite la municipalité avec le portage de ce projet. Si la capacité à mettre en récit le projet a contribué à l’obtention de différents labels et distinctions21 qui font la fierté de la municipalité et témoignent du rôle « d’opératrice de valorisation » de la puissance publique, dans une optique de « gouvernement par les honneurs » (Ihl, 2007, cité par Boissonade et Valegeas, 2018), cette approche institutionnelle a également permis d’inscrire la commune dans des réseaux de partage, tant en matière d’aménagement durable du territoire (« Club EcoQuartier » notamment), que de coconstruction avec les citoyens, via l’association Empreintes citoyennes. La maire accueille ainsi de nombreux visiteurs venus découvrir le projet qu’elle a porté (plus de 400 visiteurs ont été accueillis depuis 2019) et est également régulièrement invitée à des séminaires locaux et nationaux pour faire état du savoir-faire collectif ayant permis ces réalisations et pour diffuser sa vision de la mise en œuvre partagée de la transition écologique par les communes rurales22. Le programme de recherche popsu Territoires a également contribué à cette diffusion réticulaire : perçu par la municipalité comme un espace de réflexion pour faire avancer et « côtoyer des personnes qui se posent les mêmes questions pour aller plus loin » (maire, 2021), il a en retour participé à nourrir les réflexions en matière de politiques publiques de transition et de participation23. C’est d’ailleurs l’un des objectifs assignés au programme popsu Territoires : mobiliser des études de cas dans la perspective de développer matière à inspiration à l’échelle nationale.
46Face à une ambition de transition écologique portée conjointement par la municipalité et les citoyens, la recherche conduite à Volonne et restituée ici a permis de montrer comment cet engagement partagé en faveur de la transition sert de point d’appui à l’invention de nouveaux modes d’articulation entre action publique et initiative citoyenne.
47Le processus de transition écologique y apparaît bien comme construit à l’interface entre territoires institutionnels et mobilisation citoyenne, issu de la convergence entre une volonté politique d’agir contre le déclin du village et une aspiration grandissante à une citoyenneté plus active suscitant des innovations sociales. Le développement des initiatives citoyennes accompagne ainsi l’inscription de la collectivité territoriale dans une démarche de transition multiforme : tournées vers plus de durabilité, elles emboîtent le pas d’une action publique elle aussi soucieuse d’un aménagement plus durable dans une visée transformatrice de la société, permettant aux citoyens de faire et d’agir collectivement, en revendiquant un rôle dans la transition des territoires, voire en l’accélérant. Ce portage conjoint de la dynamique de transition n’en questionne pas moins les modalités de sa définition et de sa mise en œuvre : si le contexte rural facilite dans un premier temps des modes de faire ensemble construits ad hoc, il peut constituer ensuite un frein à la pérennité de la dynamique engagée confrontée à la faiblesse des moyens, au manque d’ingénierie de projets, à l’ancrage de routines professionnelles, à l’absence de relais habitants… En ce sens, l’outillage progressif dont se dote la commune pour stabiliser les rapports de complémentarité et les modes de coconstruction expérimentés constitue une étape nécessaire sur le chemin de la gouvernance partagée de cette transition écologique. Les processus de diffusion territoriale et réticulaire dans lesquels la municipalité a inscrit son projet permettent également de contribuer à une forme d’essaimage expert de la transition écologique.