- 1 Projet Plantaclim : « Maximiser les services des (re)plantations forestières dans le contexte du c (...)
Cet appel fait suite à un séminaire organisé par l’équipe du projet Plantaclim1, intitulé « Quelles adaptations de la filière forêt-bois française face aux changement globaux ? », et qui s’est tenu à Tours et par visio-conférence en octobre 2022. Face au succès de cette manifestation (plus de 100 inscrits) et aux attentes alors formulées, il est apparu opportun de poursuivre la réflexion et d’offrir la possibilité de concrétiser les avancées, en lançant cet appel à contributions.
La confrontation de la filière forêt-bois aux changements globaux est un sujet éminemment d’actualité : les projets, comme Plantaclim, se développent ; la revue Les Cahiers de géographie du Québec y a par exemple consacré un numéro, coordonnée par V. Banos et M. Flamand-Hubert – la France est ainsi loin d’être le seul pays concerné.
Parmi les changements globaux, on pense d’abord au changement climatique. Ses effets sur les forêts et leur gestion sont déjà perceptibles. En l’occurrence, ils se manifestent par des dépérissements, attribués notamment à la sécheresse et qui inquiètent particulièrement la filière, d’autant que les espèces emblématiques locales sont loin d’être épargnées : en région Centre-Val de Loire par exemple, des chênes sont affectés. Pour la société, les conséquences les plus marquantes du changement climatique sont sans doute les feux de forêt, qui ont fait l’actualité en France au cours l’été 2022. On peut aussi mentionner les tempêtes, aux effets tout aussi dévastateurs pour les forêts. De tels évènements extrêmes sont amenés à se multiplier, tout comme les pullulations d’insectes ravageurs. Le changement climatique est ainsi synonyme de « menaces » pour les forêts – du moins telles qu’on les connaît aujourd’hui –, de crises pour l’ensemble de la filière – tempêtes, incendies engendrent par exemple l’arrivée subite de grandes quantités de bois sur le marché. Dans quelle mesure le changement climatique et/ou ses différentes manifestations sont-ils pris en compte par les propriétaires, gestionnaires et autres acteurs de la filière forêt-bois ? Si prise de conscience il y a, s’accompagne-t-elle d’une volonté de changer la gestion et les pratiques actuels et dans quelle mesure cela se justifie-t-il ? Suite aux incendies de l’été 2022 en France, la question est notamment posée : faut-il replanter des pins maritimes dans les Landes et maintenir ces « forêts » productrices, monospécifiques, symboles de la sylviculture intensive ? Et que faire face aux dépérissements ? Faut-il se résigner à voir disparaître les chênaies en région Centre-Val de Loire ? Faut-il laisser faire la nature, comme le défendent certaines associations de protection de la nature – il est vrai que la nature, elle, s’adaptera toujours et c’est en fait l’être humain qui est d’abord « menacé ». Ne faut-il pas, au contraire, agir et trouver de nouvelles espèces susceptibles de peupler les forêts ? Quelles solutions sont adoptées, en France ou ailleurs dans le monde ? La filière est-elle entrée dans une nouvelle phase ? A-t-elle engagé une transition, au sens où Alexis Gonin (2021) l’entend, à savoir « un changement systémique qui entraîne de profondes recompositions spatiales » ? En effet, le raisonnement ne peut se limiter à la gestion des forêts ; il importe de considérer la filière dans son ensemble, du pépiniériste au transformateur, car tous sont et seront impactés par le changement climatique et les évolutions qui s’opére(ro)nt. Partant de là, c’est l’ensemble du territoire qui est amené à connaître de profondes mutations, par la transformation de leur composante forestière, d’autant plus au regard de l’une des options envisagées.
Cette option est la plantation (Robert, 2020 ; Blondet, 2021). Elle est particulièrement encouragée dans l’objectif de séquestrer davantage de carbone et ainsi atténuer le changement climatique : les initiatives se multiplient, tous azimuts. La plantation est aussi envisagée comme moyen d’adaptation ; on parle alors de migration assistée (Sansilvestri, 2015) : il s’agit d’introduire de nouvelles espèces, dites exotiques, provenant de régions dont le climat présage celui que devrait connaître la région où a lieu l’introduction ; ce qui n’est pas sans risque, notamment parce que certaines espèces peuvent se révéler envahissantes et, dans tous les cas, leur plantation aura une incidence sur la biodiversité associée. Notons que la plantation n’est pas une pratique nouvelle en France ; au XIXe siècle, elle est déjà adoptée sur de vastes étendues, les Landes, la Sologne, dont le domaine de Chambord où elle permet d’introduire le pin maritime (Robert et Servain, 2019) – mais c’est alors un échec, en raison du gel. On le voit : la mise en perspective historique s’avère heuristique – et nous l’encourageons donc dans ce dossier. C’est à cette époque aussi qu’émerge une « opposition contre les reboisements en résineux » (Moriniaux, 1999) ; elle se confirme aujourd’hui.
Les forestiers semblent prendre la mesure de la « menace », du moins sont-ils « de plus en plus conscients des effets du changement climatique » (Blondet, 2021). Mais qu’en est-il des autres acteurs au sein de la société ? Celle-ci n’est-elle pas davantage préoccupée par d’autres « menaces » qui pèsent sur cette forêt considérée comme « salvatrice » (Decocq, Kalaoa et Vlassopoulos, 2016) ? La forêt est désormais multifonctionnelle et elle est, en conséquence, au centre d’enjeux multiples : environnementaux, économiques et, de plus en plus, sociétaux, qu’il importe de prendre en compte. La forêt n’est ainsi pas seulement productrice de bois ; d’autres représentations lui sont associées. Dans ce contexte, la filière forêt-bois doit faire face à des critiques émanant d’une partie de la société : on dénonce la malforestation (Richou, 2020), l’exploitation par coupe dite rase, l’industrialisation de la forêt. Les plantations, surtout celles de résineux, monospécifiques et à croissance rapide, sont particulièrement visées (Robert, 2021). Ainsi la filière n’est-elle pas seulement confrontée au changement climatique et à ses conséquences. Dans quelle mesure est-elle sensible à ces critiques ? Renvoient-elles à une réalité ? Quels changements impliquent-elles et pour qui ? L’ONF semble avoir pris la mesure du phénomène. Elle tente de modifier ses modalités de gestion et d’exploitation, privilégiant désormais par exemple les futaies irrégulières. Elle communique aussi, pour expliquer la différence entre coupes rases et coupes définitives survenant après des coupes d’éclaircie. Pour les acteurs de la filière, une partie de la société oublie que le bois dont elle a besoin implique l’exploitation de forêts, refusant même parfois de voir abattre le moindre arbre. Mais, pour ceux qui critiquent la gestion sylvicole actuelle et ses évolutions, la forêt est d’abord synonyme de nature et de biodiversité. Les inquiétudes sur l’avenir des forêts ne sont pas nouvelles (Decocq, Kalaoa et Vlassopoulos, 2016), pas plus que les critiques, nous l’avons vu ; mais, aujourd’hui, elles se généralisent, renvoyant plus généralement à des préoccupations environnementales. Elles sont telles que l’on parle d’une « écologisation » de la société (Richou, 2020), dont les raisons sont probablement à chercher dans une prise de conscience grandissante du changement climatique, dans une volonté aussi plus forte de se rapprocher de la nature au sein d’une population désormais majoritairement citadine.
Ces questionnements autour de la filière forêt-bois, confrontée aux changements environnementaux et aux nouvelles exigences sociétales, ont été abordés dans le cadre de plusieurs thèses récentes, de différentes disciplines (de Rouffignac, 2019 ; Evrard-Marais, 2021 ; Fouqueray, 2019 ; Lenglet, 2020 ; Richou, 2020 ; Rivière, 2021 ; Sansilvestri, 2015), montrant qu’un front de recherche s’est ouvert. L’objectif est ici de confronter les différents points de vue, pour aboutir à un regard interdisciplinaire porté sur la filière et les adaptations qu’elle met en place (ou pas).
Le dossier propose 3 axes pour interroger ces adaptations :
Tous les acteurs de la filière – propriétaires et gestionnaires mais aussi industriels, exploitants, etc. – sont-ils conscients du changement climatique et comment l’intègrent-ils ? Est-ce le changement dans sa globalité ou seulement ses manifestations ponctuelles (incendies, tempêtes) qui sont considérés ? Dans quelle mesure ces acteurs intègrent-ils ces évolutions ? Prennent-ils des décisions en conséquence ; en d’autres termes, est-ce que la prise de conscience aboutit à des changements de pratiques ? Si oui, de quelle ampleur ? Est-ce au point d’engendrer une remise en cause du modèle prévalant jusque-là : y a-t-il robustesse du modèle, comme le note R. Sansilvestri (2015), ou transformation réelle, en vue d’une plus grande résilience ? Doit-on s’attendre à une transformation en profondeur des paysages forestiers et, au-delà, se dessine-t-il une transformation des territoires, en considérant les effets en chaîne des adaptations déployées ?
Si action il y a, n’est-elle due qu’à une prise de conscience du changement climatique et/ou de ses manifestations ? L’adaptation au changement climatique n’est pas le seul moteur de changement pour la filière forêt-bois. Celle-ci a aussi – et même d’abord – un rôle à jouer en matière d’atténuation du changement climatique : si les plantations sont encouragées, c’est d’abord pour séquestrer plus de carbone. Par ailleurs, la filière met aussi en avant son rôle dans les stratégies d’évitement : la consommation du bois est encouragée, ressource renouvelable, biosourcée. En découle le développement de la bioéconomie (de Rouffignac, 2019 ; Evrard-Marais, 2021) qui génère aussi des modifications de pratiques et des recompositions territoriales qu’il s’agira de questionner. Le changement climatique n’est pas le seul changement à l’œuvre qui engendre une remise en cause des pratiques traditionnelles de la foresterie ; la filière est aussi confrontée, nous l’avons vu, à l’écologisation de la société. Dans quelle mesure les critiques sont-elles prises en compte par la filière et génèrent-elles des changements de pratiques, au-delà de l’ONF ? De qui émanent les critiques et quelle(s) vision(s) de la forêt défendent ces acteurs ? Ce 2e axe vise ainsi à donner aussi la parole à ces derniers, ceux qui critiquent la gestion actuelle et/ou qu’ils craignent pour l’avenir. Les propositions faites dans cet axe pourront interroger distinctement ces moteurs de changement, en analysant particulièrement les conséquences sur les territoires – dans quelle mesure peut—on parler de transition, à l’origine d’une véritable recomposition territoriale ? Elles pourront aussi questionner la possibilité de concilier les différentes stratégies. On pense là, par exemple, à la difficulté de promouvoir à la fois la bioéconomie, qui suppose l’exploitation, et l’atténuation du changement climatique, via la séquestration du carbone par les arbres (Roux et al., 2020).
Les initiatives, à l’origine de changements, sont-elles conduites de manière individuelle ou collective ? Y a-t-il consensus ou des désaccords au sein de la filière, sur les voies à suivre, comme le note M. Blondet (2021) entre échelons local et national, concernant l’adaptation au changement climatique ? Et la filière est-elle seule actrice du changement dans le domaine forestier ? Cet axe vise à questionner particulièrement les « stratégies alternatives » (Lenglet, 2020), les initiatives émanant d’acteurs privés, non forestiers. On pense là aux personnes qui se lancent dans l’achat de forêts, en vue d’enrayer ce qu’elles considèrent comme une industrialisation des forêts. On pense aussi aux acteurs des territoires, telles que les collectivités territoriales : s’impliquent-ils aux côtés de la filière, par exemple dans le cadre de chartres forestières de territoire ?
Nom et prénom des coordinateurs.trices du dossier et affiliations respectives.
- Amélie Robert, Université de Picardie Jules Verne, UMR EDYSAN (CNRS, UPJV) ; chercheur associé de l’UMR CITERES (CNRS, Université de Tours)
- Thibault Boughedada, Université de Lille, UMR CERAPS (CNRS, Université de Lille, Sciences Po Lille)
- Les articles proposés devront être des documents originaux. Ils peuvent néanmoins avoir fait l’objet de communications lors d’un colloque ou de documents de travail, à condition d’être réadaptés au format de la revue Développement durable et territoires.
- Les propositions d’articles (résumés de 4 500 signes espaces compris, hors bibliographie) seront soumises à un avis de pertinence pour juger de leur adéquation avec le cadrage du dossier. Ces propositions devront donc être suffisamment précises (titre de l’article, question de recherche, outils théoriques, terrain étudié, principaux résultats). Elles devront inclure les noms et prénoms des auteur·e·s, leur statut et leur rattachement institutionnel, ainsi que le courriel de l’auteur·e correspondant.
- Les auteur·e·s avisés positivement seront invités à soumettre un article complet (entre 30 000 et 55 000 signes espaces compris, bibliographie et première page incluses).
- Chaque article, sous couvert d’anonymat, sera soumis à deux relectures anonymes. Cette double relecture pourra donner lieu à des demandes de corrections (mineures ou majeures), à une ré-écriture éventuelle, voire à un refus de l’article.
- Si des modifications demandées ne sont pas effectuées, et ce sans justification, le comité de coordination du dossier et le Comité de rédaction de la revue se réservent le droit de ne pas publier le texte concerné.
- Publication de l’appel à article : mai 2023
- Date limite de réception des résumés étendus : 01 septembre 2023
- Avis du comité de coordination du dossier : fin septembre 2023
- Date limite de réception des articles : février 2024
- Publication prévue : Automne 2024
- Format des résumés : 4 500 signes espaces compris max., hors bibliographie.
- Format des articles : entre 30 000 et 55 000 signes espaces compris, bibliographie, notes et première page incluses ; voir les recommandations aux auteurs sur le site de la revue DD&T : http://developpementdurable.revues.org/1269
transition.foret.ddt@gmail.com