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Publications de 2004

Noël Barbe et Serge Latouche (dir.), 2004, Economies choisies ?, Paris, Editions de la maison des sciences de l’homme, Collection Ethnologie de la France, Cahier 20, Août.

Hélène Duriez

Texte intégral

1Cet ouvrage qui regroupe quatorze contributeur/trices se penche sur un objet sociologique a priori difficile à saisir : celui de l’économie informelle. A travers l’analyse anthropologique des systèmes d’échanges locaux, des communautés Emmaüs, des réseaux de travailleurs et travailleuses immigrés, des « brocantes » ou « marchés aux puces », ou encore des collectifs d’arts de la rue, les auteur-e-s interrogent les différentes formes de sociabilité qui s’y développent, les formes de régulation qui traversent ces espaces sociaux ‘entre-deux’. Les auteur-e-s explorent les contraintes et opportunités, les lieux, temps et itinéraires sociaux propres à ces territoires transactionnels définis autant par leur épaisseur sociale qu’économique et régis par des normes et valeurs propres (l’ « esprit » de l’organisation à respecter).

2On relève un certain nombre de caractéristiques communes aux réseaux sociaux étudiés. Se situant partiellement en dehors des normes légales et morales des sociétés nationales, ces espaces produisent des modes de régulation informels (systèmes de cooptation des nouveaux entrants, institution d’étalons de valeur, codes de politesse, etc.). En fonction des espaces considérés, l’objectif de régulation visant la maximisation des échanges au détriment des liens sociaux forme un enjeu de lutte. Ainsi les « contrats de parole » omniprésents et indispensables à l’entrée des « petits migrants » dans l’économie souterraine, impliquent la souscription à une éthique intermédiaire qui permet d’instituer des régulations fortes dans des territoires de circulation qui contournent les contraintes des Etats traversés. De même, la relation de face à face où la parole vaut contrat dans le marché aux puces de Marseille, se substitue au contrat écrit. Enfin dans certains Systèmes d’échanges locaux (SEL ci-après), les adhérents les plus sollicités seront intronisés comme « juges en réputation ». Cette primauté de l’oralité produit des codes de conduite dans le cadre des transactions et relations internes qui se jouent dans ces espaces. Cette codification orale y semble aussi prégnante et plus adaptée que les lois écrites et nationales. Elle laisse en contre partie le champ libre au développement ou à la perpétuation de rapports de domination préexistants (pressions familiales, matrimoniales) ou produits par le processus même de circulation (exploitation des personnes sans-papiers) ou de l’échange (résurgence de rapports marchands et/ou de classes). La précarité de cette codification (informelle et évolutive) peut être également envisagée dans sa positivité lorsqu’elle relève d’un attachement au temps présent à l’opposé des logiques de carrières et d’ascension sociale, marquant un goût pour l’aventure, l’improvisation, telle la ‘performance’ mise en scène par le marchand des puces de Marseille à chaque nouvelle affaire. Enfin cette codification alternative et transgressive peut être autant le résultat de contraintes économiques suivant une logique de survie que d’une démarche plus ou moins réflexive de remise en cause du système normé dans son ensemble, par l’importation de nouveaux cadres normatifs.

3Ces espaces sociaux sont des espaces ‘entre-deux’. Les acteurs qui les composent ne sont pas hermétiques à la société qui les entoure, mais ils n’y disposent pas du même statut. Les jeunes migrants turcs venus en France par le biais du regroupement familial, s’ils ont un statut relativement précaire et une position marginale dans la société nationale, ont une position importante dans la communauté turque. Ils y jouent un rôle d’intermédiaires culturels (du fait de leur scolarisation). Comme les domestiques philippines, leur origine leur garantit une insertion économique favorisant une certaine autonomie (financière mais également familiale) malgré leur situation juridique (sans-papiers ou avec un titre de séjour précaire). En même temps, ces deux groupes sociaux subissent une forte pression sociale « communautaire » (répondre à la « dette de la gratitude » à l’égard des parents, garantir les conditions économiques de la venue d’un conjoint). Les filles franco-turques sont ainsi prises dans un entre-deux : désir d’autonomie vis-à-vis des réseaux communautaires sans moyen de le satisfaire, emprise de l’imbrication des logiques matrimoniale, migratoire et économique. De la même façon, les communautés Emmaüs offrent à leurs membres une protection sur le registre de la société primaire qui permet d’assurer sécurité matérielle et psychologique minimale, mais ce processus de réhabilitation s’accompagne d’une forme de captivité dans le nouveau cadre (interdiction de percevoir des revenus comme le RMI).

4Ces espaces ‘entre-deux’ produisent un relatif brouillage identitaire, social, professionnel, national, marqué par un plus ou moins grand effacement de l’Etat Nation, du capitalisme et de leurs charges symboliques. Ainsi les « petits migrants » dans les réseaux mondiaux de l’économie souterraine passent-ils d’une référence identitaire originelle à une nouvelle référence métisse et cosmopolite. La clientèle commerciale et les ressources matrimoniales de ces acteurs traduisent une fidélité aux lieux d’origine, où ils acquièrent un statut de notables. Leur métier fait d’eux des intermédiaires du commerce mondial, nomadisés au gré des points de passage des marchandises. Le face-à-face entre Etat(s) et individu est minoré et les dispositifs politiques et citoyens locaux sont tenus à distance, sauf comme ressource ou opportunité pour aller vers d’autres frontières. Ce brouillage est également prévalent chez les voyageurs de D (Il s’agit du titre d’un des chapitres de l’ouvrage). Ils partagent des pratiques avec les sédentaires, les autres voyageurs, les bourgeois et les classes populaires, mais se trouvent en même temps rejetés par eux : ils ne se calquent avec aucune des ces identités sociales avec lesquelles ils sont pourtant en transaction. Au fil du parcours migratoire comme de l’évolution des pratiques informelles, se profilent des carrières multiples, où ce statut d’entre deux joue un rôle plus ou moins favorable aux acteurs. Ainsi, les domestiques philippines développent de nouvelles aspirations au fil de leurs expériences parisiennes et profitent d’un nouveau Soi préservant des formes singulières et adéquates d’autonomie et de liberté : « glaner à Paris ce que l’on va semer dans l’archipel par ces projets et vice versa. ». A l’inverse, les jeunes migrants turcs sont parfois trop acculturés pour rester dans la communauté et pas assez qualifiés pour accéder à une position satisfaisante dans le marché du travail ordinaire.

5Territoires de transaction, ces espaces sociaux se situent souvent au croisement de deux mondes : public et privé (ou domestique et civique). Les échanges dans les SEL ont souvent lieu à domicile alors qu’ils se constituent dans et par la communauté des adhérents. Les artistes de la rue mélangent vies professionnelle et personnelle par les liens de parentés artistiques et affectifs noués dans le travail. Ce croisement du public et du privé se traduit par des relations d’interdépendance forte entre acteurs (dette, pouvoir, subordination) mais laissant sa chance à chaque nouvel entrant sous réserve du respect de l’« esprit » qui garantit la cohésion du groupe. Ainsi la compétence professionnelle du marchand aux puces de Marseille se mesure à l’aune de sa capacité à « faire réseaux », c’est-à-dire à jongler entre des interactions diversifiées (obtenir une place, nouer des relations avec les autres marchands, trouver fournisseurs et clients). Dans les SEL, les nouveaux adhérents passent par une sorte de rite d’intégration implicite consistant à mesurer les motifs de leur adhésion plus ou moins utilitaristes ou relationnels. Ces rites d’entrée seront plus ou moins conviviaux et formels en fonction du degré d’ouverture du groupe, de la politisation de l’échange (logique de « civilité ordinaire » ou volonté de rupture avec les rapports marchands), et d’une représentation conflictuelle ou complémentaire des rapports de classes, de genres et de générations qui traversent le groupe. Ainsi, dans le SEL de Montpellier, les objets industriels sont prohibés autant pour les risques de revente dans les puces locales que pour les marqueurs sociaux qu’ils assignent, « comme si l’objet contaminait sociologiquement son propriétaire » .

6L’importance symbolique de l’objet dans la relation d’échange se retrouve sous une autre forme dans les activités des voyageurs de D, dont la valeur de l’objet récupéré dépend de sa mise en circulation et des personnes qui se l’approprient. Les objets sont ainsi singularisés par les regards des différents acteurs du circuit et leur capacité à attirer le désir des autres. Il est d’ailleurs frappant de constater que dans nombre de ces communautés relationnelles, l’échange se constitue autour de l’objet. Récupéré, recyclé, mis en scène, échangé, vendu, il constitue le prétexte de la relation sociale, comme si le groupe avait besoin d’un totem pour fonder son existence.

7L’ouvrage a déjà fait l’objet  d’une recension à l’adresse suivante :http://www.terra-economica.info/​a1132.html

8La page de présentation de l’ouvrage aux éditions de la MSH est la suivante : http://www.editions1.msh-paris.fr/​section_4/​corps_4-1-2.asp?collection=738

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hélène Duriez, « Noël Barbe et Serge Latouche (dir.), 2004, Economies choisies ?, Paris, Editions de la maison des sciences de l’homme, Collection Ethnologie de la France, Cahier 20, Août. »Développement durable et territoires [En ligne], Lectures (2002-2010), mis en ligne le 17 décembre 2005, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/developpementdurable/1680 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/developpementdurable.1680

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Auteur

Hélène Duriez

Doctorante en science politique, Ceraps-Lille 2, heleneduriez@hotmail.com

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-4.0

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