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2016

Depraz S., Cornec U., Grabski-Kieron U. (dir.), 2015, Acceptation sociale et développement des territoires, Lyon, ENS Éditions, 265 p.

Annaig Oiry

Texte intégral

1C’est une vision franco-allemande des problématiques autour de l’acceptation sociale de projets d’aménagement que nous proposent ici les trois directeurs de cet ouvrage, Samuel Depraz (université Lyon 3), Ute Cornec (Hochschule de Neubrandenbourg) et Ulrike Grabski-Kieron (Institut de géographie de l’université de Münster). Fortement ancrée dans l’actualité scientifique, la notion d’« acceptation sociale » possède surtout une forte pertinence au regard d’une contestation sociale accrue, depuis le début des années 2000, autour des grands projets d’aménagement : infrastructures de transport (on ne cite plus le projet extrêmement contesté de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans l’Ouest français) et de production d’énergie (débats sur l’EPR bas-normand, projets contestés autour du gaz de schiste en Amérique du Nord, etc.), projets immobiliers, exploitations agricoles à grande échelle (ferme des mille vaches dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, culture des organismes génétiquement modifiés, etc.), projets extractifs (intense lutte contre le projet minier Conga dans la région de Cajamarca au Pérou pour ne citer que lui). Bon nombre de débats autour de ces infrastructures donnent lieu à des conflits plus ou moins virulents. Pour faire face à ces expressions conflictuelles, la notion d’acceptation sociale est devenue centrale dans les discours des différentes parties prenantes et dans les pratiques de gestion du conflit orchestrées par les porteurs de projets. On mesure alors tout l’intérêt de bâtir une synthèse transnationale sur un tel sujet.

2Issu d’un séminaire doctoral franco-allemand qui s’est tenu à Lyon en 2012, l’ouvrage regroupe les contributions de seize auteurs et fait la part belle aux études géographiques sur l’acceptation sociale. C’est un postulat important de ce dernier que de souligner que l’acceptation sociale est devenue un objet de recherche à part entière pour la géographie : analyser l’acceptation des projets permet de questionner les choix d’aménagement, de décrypter les jeux d’acteurs qui leur sont associés et d’interroger la durabilité des processus de développement territorial.

3En introduction, Samuel Depraz revient sur la définition du terme d’acceptation sociale, à partir de la littérature allemande et en la distinguant de l’« acceptabilité » et de ce qu’il nomme « acceptance », les trois notions étant envisagées comme un triptyque. L’acceptation désigne d’après lui la propriété qu’a une innovation de susciter une réaction positive de la part des personnes concernées lors de son apparition. L’innovation n’est ici pas à entendre seulement comme un objet technique, mais comme toute forme de « nouveauté sociale » affectant les décisions individuelles ou collectives. L’acceptation sociale se distingue de l’acceptabilité en cela que cette dernière désigne « la capacité qu’a une innovation de s’intégrer fonctionnellement dans une structure sociale existante (changement évolutif) ou de modifier suffisamment cette structure sociale pour s’y adapter (changement révolutionnaire). La différence fondamentale, d’une point de vue méthodologique, réside dans une approche subjective pour ce qui est de l’acceptation et d’une approche objective pour ce qui concerne l’acceptabilité » (Endruweit, Trommsdorff, Burzan, 2014, p. 15). Si les limites réelles entre acceptation, acceptabilité et acceptance restent parfois un peu floues (où se situe la frontière entre l’objectif et le subjectif ? Si une innovation « suscite une réaction positive », n’est-ce pas qu’elle s’est intégrée fonctionnellement dans le corps social ?), on peut retenir que prime une conception subjective et individuelle dès lors que l’on parle d’« acceptation ». Pour autant, au long de l’ouvrage, certains auteurs parlent d’acceptation quand d'autres travaillent sur l’acceptabilité, ce qui tend à brouiller un peu plus les frontières entre les trois termes du triptyque.

4L’ouvrage suit un plan résolument thématique : sont examinés successivement les projets de développement urbain, le développement des nouvelles mobilités et des infrastructures de transport associées, les systèmes de gouvernance, et enfin les enjeux de protection du patrimoine naturel et culturel. Si ce choix permet d’embrasser une multitude de projets et de terrains variés, on peut néanmoins regretter qu’il n’incite pas à une problématisation poussée du triptyque acceptation / acceptabilité / acceptance. La première partie se consacre donc aux projets urbains et à leur réception par les habitants : Clément Barbier interroge la production d’un consensus dans deux projets de renouvellement urbain, à Lille et à Hambourg ; Katharina Wischman analyse ce qu’elle nomme des « discours visuels » au cœur d’un quartier hambourgeois, tandis qu’Anne Vogelpohl, travaillant elle-aussi sur Hambourg, s’interroge sur l’impact du recours à un règlement de « conservation sociale » pour produire des transformations urbaines plus acceptables.

5La seconde partie se penche sur les nouvelles mobilités et les usages des transports urbains par les habitants, en postulant qu’une approche par l’acceptation sociale, donc par une attention aux motivations individuelles, permet de sortir des cadres imposés par une géographie des transports jusqu’ici trop techniciste et modélisatrice. Julia Jarass s'attache à déterminer les préférences résidentielles et leur influence sur les comportements en matière de transports dans la région de Cologne en Allemagne. Thomas Bühler, quant à lui, se penche sur les nœuds de contradiction existants, dans la région lyonnaise, entre l’injonction de la collectivité à réduire l’utilisation de la voiture et la persistance d’habitudes (un terme qui sera particulièrement conceptualisé dans son article) faisant la part belle à l’usage quotidien de l’automobile en ville. C’est ici le consensus autour de la nécessité de diminuer l’usage de la voiture qui est discuté.

6La troisième partie examine les systèmes de gouvernance et les initiatives sociales comme moteurs des processus de développement régional. Deux contributions étayent cette partie : celle de Georg Fiedler interroge deux systèmes de gouvernance régionale en Espagne à partir d’une grille de lecture en termes de pouvoir ; celle de Lena Neubert analyse la gouvernance territoriale comme une base analytique pour intégrer les enjeux liés au changement climatique dans le processus de développement rural régional.

7On s’éloigne du cadre géographique franco-allemand dans la quatrième et dernière partie traitant de la protection des patrimoines naturel et culturel. Frank Sebastian Johner examine le rôle des nouveaux médias dans la préservation de l’architecture des séchoirs à tabac dans le sud du Palatinat ; Jean-Baptiste Bing interroge le rôle des populations locales dans la gestion d'aires protégées à partir de différentes études de cas en Indonésie et à Madagascar ; enfin, Maria Isabel Valderrama González souligne les limites inhérentes à un système de gouvernance territoriale en Colombie, en insistant elle-aussi sur les enjeux de la participation d'un peuple indigène à la gestion de leur territoire.

8Divers sont donc les terrains, les objets d’études et les conceptions de l’acceptation sociale selon les contributions. Approches allemandes, approches françaises de l’acceptation : la richesse qui se dégage du croisement d’approches et de références théoriques différentes est évidente. La compilation des terrains d’études et des références théoriques allemandes et françaises est enrichissante, même s’il reste toutefois dommage que les études anglo-saxonnes et canadiennes sur l’acceptabilité sociale ne soient jamais évoquées, alors qu’elles balisent cet objet d’étude depuis plusieurs décennies (Batellier, 2015 ; Fortin et Fournis, 2014 et 2013 ; Saucier et al., 2009 ; Brunson, 1996). Pour s’y retrouver au milieu de cette diversité des terrains et des approches, on notera la pertinence, en introduction, d’un tableau récapitulatif présentant les lieux d’étude, méthodes, auteurs de référence et processus interprétatifs, tableau qui permet de naviguer facilement à l’intérieur de l’ouvrage. L’acquis le plus essentiel de l’ouvrage reste à nos yeux les apports méthodologiques. Un cahier central présente plusieurs outils utiles pour cerner et tenter de mesurer l’acceptation sociale : les enquêtes de perception et d’évaluation paysagère (Yves-François Le Lay et Marylise Cottet), l’analyse de données textuelles (Émeline Comby), l’échelle d’acceptance (Samuel Depraz). La dimension visuelle de l’acceptation sociale, ainsi que la façon dont elle s’exprime et dont elle peut être saisie méthodologiquement parlant, est maintes fois soulignée. La « visualité » de l’acceptation sociale est érigée en catégorie d’analyse et doit être pensée au sens foucaldien du terme, comme une des formes de manifestation du pouvoir.

9L’ouvrage reste traversé par une contradiction, qui est en même temps une tension constitutive des recherches sur l’acceptabilité et l’acceptation : on sent dans bien des contributions la volonté des auteurs de parvenir à une meilleure acceptation sociale des projets (ce qui interroge également le rôle du chercheur en lui-même, sans que cela soit explicitement évoqué : doit-il être celui qui travaille à l’acceptation des projets, se plaçant du même coup plutôt du côté des porteurs de projets ?), alors que certains auteurs développent au contraire une approche bien plus critique de l’acceptabilité. On notera, au sein de ces approches critiques, le recours théorique fréquent à Michel Foucault et à ses analyses en termes de pouvoir, de dispositif et de gouvernement, pour mieux analyser les ressorts de l’acceptation sociale : il permet de poser un cadre théorique et conceptuel pour mieux envisager l’acceptation sociale comme un outil au service des groupes techno-industriels destiné à parvenir à faire accepter les projets d’aménagement. Plus largement donc, et même si certaines contributions l’envisagent ainsi, l’ouvrage ne souligne pas assez combien l’acceptation sociale reste une stratégie pour les porteurs de projets, et non pas forcément un but à atteindre en soi.

10En outre, la légitimité des projets étudiés n’est jamais discutée. Samuel Depraz, à la fin de l’introduction générale, souligne que la logique tangentielle des études sur l’acceptation sociale doit être de « tendre vers une meilleure acceptation sociale tout en sachant que l’objectif reste un horizon théorique quasi-inatteignable. Il s’agit cependant d’un moteur d’ordre moral, avec une finalité pratique : faire fonctionner les territoires par la compréhension et l’accompagnement des conflits » (p. 32). La conclusion, intitulée « le temps de l’acceptance » et conçue comme un plaidoyer pour le troisième terme du triptyque, souligne également combien l’idéal serait de pouvoir parvenir au stade de l’acceptance, c’est-à-dire au « degré supérieur de l’acceptabilité sociale (…), qui implique une adhésion aux valeurs portées par l’objet nouveau » (Depraz, 2005, p. 2). Les projets étudiés dans cet ouvrage sont relativement consensuels (projets de renouvellement urbain, espaces protégés, projets à connotation « développement durable », etc.), mais qu’adviendrait-il du postulat évoqué si on parlait de projets plus sensibles comme les centrales nucléaires ou les organismes génétiquement modifiés ? Ces cas-limites ne sont que très peu évoqués par la littérature scientifique, notamment par les études géographiques. Pourtant, certaines contributions remettent en cause la notion de consensus et développent une approche résolument critique de l’« acceptation », considérant qu’il s’agit d’une notion construite par les porteurs de projets et parfois basée sur une manipulation des représentations. De même, la conclusion de l’ouvrage insiste sur le dialogue entre parties prenantes, sur le « temps nécessaire à l’interconnaissance et à l’établissement de la confiance » (p. 246). Si l’idéal de la confiance reste un horizon à atteindre, on citera en contrepoint l’historien des sciences Dominique Pestre qui souligne les dangers qu’il peut y avoir à sous-estimer les rapports de pouvoir dans les arènes de la concertation : « l’intention de construire un monde plus "égal", collaboratif et participatif, est certes essentielle, mais ne pas prendre à bras-le-corps ce qui le "tient" par-delà le dialogue et la coproduction (des savoirs) risque de déboucher sur des propositions de faible poids pragmatique » (Pestre, 2013, p. 144).

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Bibliographie

Batellier, P., 2015, Acceptabilité sociale. Cartographie d’une notion et de ses usages, Cahiers de recherche, UCQAM, Les publications du Centr’ERE.

Brunson, M.W., 1996, "Defining social acceptability in ecosystem management: a workshop proceedings ", in Brunson M., Kruger L., Tyler C., Schroeder S. (dir.), General Technical Report PNW-369, Portland, QR: U.S., Forest Service, 7-16.

Depraz S., 2005, "Le concept d’'Akzeptanz' et son utilité en géographie sociale. Exemple de l’acceptation locale des parcs nationaux allemands", L’Espace géographique, Vol.34, No.1, 1-16.

Endruweit G., Trommsdorff G., Burzan N. (dir.), 2014, Wörterbuch der Soziologie, 3ème édition, Constance / Munich, UVK.

Fortin, M.-J., Fournis Y., 2013, "L’acceptabilité sociale de l’énergie éolienne : une définition", Document de travail 131017, Grideq-Uqar, [en ligne] URL : http://www.uqar.ca/files/grideq/fournis-fortin-131017.pdf, 20 p.

Fortin, M.-J., Fournis Y., 2014, "Vers une définition ascendante de l’acceptabilité sociale : les dynamiques territoriales face aux projets énergétiques au Québec", Natures Sciences Sociétés, Vol.22, No.3, 231-239

Pestre D., 2013, À contre-science : politiques et savoirs des sociétés contemporaines, Paris, Éditions du Seuil.

Saucier, C, Côté G., Fortin M.-J., Jean B., Lafontaine D., Feurtey E., Guillemette M., Méthot J.-F., Wilson J., 2009, Développement territorial et filière éolienne : des installations éoliennes socialement acceptables, Rapport de recherche non publié, Université du Québec, Rimouski, 10 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Annaig Oiry, « Depraz S., Cornec U., Grabski-Kieron U. (dir.), 2015, Acceptation sociale et développement des territoires, Lyon, ENS Éditions, 265 p. », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Revue de livres, mis en ligne le 27 juin 2016, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cybergeo/27688 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cybergeo.27688

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Auteur

Annaig Oiry

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 8591 Laboratoire de Géographie Physique
annaig.oiry@gmail.com

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