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2013
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De l’usage de la photo elicitation interview pour appréhender les paysages du quotidien : retour sur une méthode productrice d’une réflexivité habitante

The use of photo elicitation interview to grasp everyday landscapes : a method able to produce an introspective inhabitant
Eva Bigando

Résumés

Cet article propose de témoigner de la convergence qui a été opérée entre un objet géographique singulier – les paysages du quotidien abordés sous l’angle de l’expérience habitante – et une méthode de recherche spécifique issue des visual studies – la photo elicitation interview. Il montre plus précisément en quoi cette technique d’enquête particulière, associant photographie et discours, constitue un outil particulièrement pertinent et efficace pour faire émerger une forme de réflexivité habitante susceptible d’éclairer un questionnement scientifique sur le rapport singulier des habitants à leurs paysages quotidiens. Ce retour sur l’intérêt, les principes et l’usage d’une telle méthode vise notamment à resituer cette démarche par rapport au courant de l’anthropologie visuelle, champ scientifique au sein duquel elle s’est initialement développée.

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Texte intégral

1Cet article propose de témoigner de la convergence qui a été opérée entre un objet géographique singulier – les paysages du quotidien – et une méthode de recherche spécifique issue des visual studies – la photo elicitation interview.

  • 1 Le texte intégral de la convention européenne du paysage est accessible en ligne à l’adresse suivan (...)

2Bien que le paysage soit un sujet de débats majeur en France et en Europe depuis plusieurs décennies, l’intérêt porté aux paysages du quotidien, paysages ordinaires caractérisant l’essentiel de nos territoires de vie, constitue un champ d’investigation relativement récent pour la recherche comme pour l’action publique. En témoigne tout d’abord la loi du 8 janvier 1993 « sur la protection et la mise en valeur des paysages » en France. Cette dite « Loi Paysage » a surtout eu vocation à encourager l’identification de « territoires remarquables par leur intérêt paysager », légitimant à leur égard une politique de protection mais désignant aussi, presque par défaut, d’autres territoires (ceux situés en dehors des périmètres de protection, autant dire le reste du territoire français) qui, jugés sans qualité paysagère apparente, ne justifiaient pas la mise en œuvre d’actions spécifiques (Lelli et Paradis, 2000). Nonobstant le vide législatif qu’elle générait à leur égard, c’est aussi cette loi qui, paradoxalement et surtout a posteriori, semble avoir suscité les prémices d’une réflexion sur le devenir des paysages ordinaires. Ces derniers constituent en effet, en cette fin de XXème siècle, l’objet d’une demande sociale qui, bien que mal cernée, semble difficile à occulter, conjuguée à l’exigence accrue de qualité à laquelle aspirent les populations habitantes concernant les territoires constitutifs de leur cadre de vie. Il faut cependant attendre la promulgation de la Convention européenne du paysage, à Florence en octobre 2000, pour que le rôle de ces paysages quotidiens soit officiellement reconnu. Dès son préambule, ce texte attire l’attention des acteurs et citoyens européens sur la place qu’ils occupent dans notre quête effrénée d’une meilleure qualité de vie. « Le paysage… est partout un élément important de la qualité de vie des populations : dans les milieux urbains et dans les campagnes, dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien... »1.

  • 2 Ce ministère porte actuellement le nom de Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l (...)

3La constitution de ces paysages du quotidien en objet de recherche est alors d’autant plus importante que, malgré la proclamation du rôle qu’ils jouent aujourd’hui dans notre société, les recherches menées sur la question sont longtemps demeurées restreintes et qu’institutionnels et praticiens manquent de moyens pour les appréhender. Bien qu’initiée dans les années 1980 par quelques convaincus (Jackson, 1984 ; Luginbühl, 1989 ; Sansot, 1983, 1986, 1989), c’est en effet au tournant du XXIème siècle que la considération de ces paysages du quotidien est véritablement actée par la communauté scientifique. A l’exception de quelques recherches anglophones qui prennent une orientation plus théorique et qui cherchent à comprendre ce que sont ces paysages du quotidien et leurs modalités de fonctionnement (Meinig, 1997 [1979]), les travaux menés en France prennent une orientation plus aménagiste s’intéressant davantage à la manière de prendre en compte les paysages ordinaires dans les projets de territoire (Michelin, 1998, 2000, 2005 ; Lelli, 2000 ; Dewarrat et alii, 2003 ; Guisepelli, 2001, 2005 ; Guisepelli et Fleury, 2004, 2005 ; Davodeau, 2003, 2005 ; Béringuier et Paradis, 2004 ; Fortin, Devanne et Le Floch, 2008). Cette tendance est accompagnée par le ministère de l’Ecologie et du Développement durable français2 qui lance successivement plusieurs programmes de recherche nationaux autour de ces questions : « Politiques publiques et paysage » et « Paysage et développement durable » (1 et 2).

4Ainsi, les manières d’habiter le paysage au quotidien restent un domaine d’étude peu investi. Dès 1979, Gilles Sautter (1979) constatait pourtant que l’« on ne peut prétendre aménager les lieux, ou simplement rendre compte de ce qu’ils sont, sans prendre en charge cet élément essentiel : le regard des habitants ». Or, lorsque l’intérêt est précisément porté sur ce regard (Michelin, Lelli, Paradis…), il se focalise en général sur celui des acteurs locaux (élus, techniciens, agriculteurs…). Ainsi, on connaît peu celui des simples habitants, ces habitants dits « ordinaires » qui constituent la majorité silencieuse sans pouvoir d’action directe sur les paysages (si ce n’est chez eux), mais amenée à les vivre quotidiennement. Sans doute convient-il d’expliquer ce manque de connaissance par la complexité de le mettre à jour. Yves Luginbühl (2001), dans un rapport produit à l’occasion de l’inauguration du Conseil National du Paysage en mai 2001, évoque les difficultés à cerner la demande sociale en matière de paysage. Il associe ces difficultés non seulement au caractère mouvant et changeant qui caractérise cette demande sociale, mais aussi aux différentes manières de l’appréhender que ce soit au niveau de l’objet (les préférences, les attentes, les représentations) ou au niveau des méthodes qui, relevant généralement du domaine qualitatif, n’aboutissent pas toutes aux mêmes types de résultats. A cela s’ajoutent les décalages qu’il peut y avoir entre les représentations que les individus peuvent avoir du ou des paysages, largement influencées par les discours médiatiques ambiants, et la réalité de leurs pratiques ainsi que la conscience (ou non) qu’ils peuvent en avoir. Sans oublier, enfin, cette tendance encore trop prégnante, de la part de la communauté scientifique, à considérer le simple habitant comme incapable, car dit-on « non initié », de parler de paysage (Cueco, 1995 ; Cuisenier, 1989 ; Michelin, 1998).

  • 3 Ces travaux de recherche ont été initiés dans le cadre d’une thèse de Doctorat s’intéressant à la s (...)
  • 4 L’étude de la sensibilité paysagère habitante passe par une analyse des manières dont l’individu «  (...)

5Dans ce contexte, l’ambition de mes propres travaux de recherche3 est de démontrer l’existence d’une véritable relation tissée entre les habitants et leur paysage quotidien, tout en constituant une invitation à considérer ces habitants comme les mieux placés pour évoquer leur propre sensibilité à leur ordinaire paysager. Tout repose alors sur la méthode à mettre en œuvre pour amener ces habitants à adopter une posture réflexive leur permettant de formaliser les expériences paysagères banales, souvent dépourvues d’intentionnalité, que leur donnent à vivre leurs lieux de vie4.

6L’objet de cet article consiste précisément à montrer en quoi la photo-elicitation interview, technique issue des visual studies, constitue une méthode pertinente et efficace pour faire émerger une parole habitante éclairant ce questionnement scientifique sur la sensibilité des habitants à leur paysage quotidien. Ce retour réflexif, concernant l’intérêt et l’usage de cette méthode, vise à positionner mon propos par rapport à l’héritage parfois lourd de l’anthropologie visuelle, champ scientifique au sein duquel s’est initialement développée cette méthode, en montrant qu’il est possible de tirer de cet héritage des enseignements méthodologiques fondamentaux, tout en se démarquant d’un point de vue épistémologique.

7Pour ce faire, il conviendra tout d’abord de revenir sur les raisons pour lesquelles la manière particulière d’aborder cet objet géographique singulier que sont les paysages du quotidien (par la sensibilité paysagère habitante) a nécessité la mise en œuvre d’un dispositif méthodologique spécifique qui s’inscrit à la croisée de ces différents champs disciplinaires.

8Seront ensuite exposés les principes constitutifs de la photo elicitation interview et ce en quoi cette technique est à même de favoriser l’émergence d’une réflexivité habitante. Ce sera alors l’occasion de souligner que la photographie ne constitue en soi qu’un prétexte en vue de l’obtention d’un discours et que l’intérêt de la démarche réside essentiellement dans le principe « d’élicitation » - et en l’occurrence ici de « double élicitation » - associant une production photographique à l’émergence d’un discours réfléchi sur le paysage.

9On ne saurait enfin achever cet exposé sans une discussion argumentée à partir d’exemples concrets susceptibles d’attester de l’efficience de la méthode. Issus de mes différents travaux de recherche, ces exemples doivent témoigner de la capacité de l’outil à amener l’individu à adopter une posture réflexive et ce que cela implique en termes de révélation et de compréhension de la sensibilité paysagère habitante.

La sensibilité paysagère habitante révélée par la photo elicitation interview : un dispositif méthodologique qui s’inscrit à la croisée de plusieurs champs disciplinaires

10L’objectif de mes travaux de recherche est de démontrer l’existence d’une réelle sensibilité des habitants à la dimension paysagère de leurs lieux de vie, aussi ordinaires soient-il, et d’en analyser les modalités de fonctionnement (Bigando, 2006). C’est donc autour de cette expérience du paysage au quotidien, souvent dépourvue d’intentionnalité mais à laquelle personne ne peut vraiment échapper, que se structure le point de départ de cette aventure scientifique, qui a conduit à explorer le champ des potentialités d’une méthode de recherche particulière, issue des visual studies.

11La nécessité de mettre en œuvre un dispositif méthodologique permettant d’accéder à cette sensibilité paysagère habitante a en effet constitué le point de connexion entre le courant de la géographie sociale au sein duquel s’inscrit cet objet de recherche et celui de l’anthropologie et de la sociologie visuelles nord-américaines au sein duquel la technique de la photo elicitation interview a été développée.

Mettre à jour la sensibilité des habitants à leur paysage quotidien : la nécessaire production d’un habitant réflexif

  • 5 Anthony Giddens privilégie l’emploi des termes « conscience pratique » et « conscience discursive » (...)
  • 6 Je fais ici référence au degré d’intentionnalité qui préside à l’acte auquel est sous-tendue l’expé (...)

12Inscrite dans les temps et les lieux de la vie quotidienne, la sensibilité paysagère habitante se développe essentiellement au gré d’actes et de gestes routiniers conduisant eux-mêmes à un procès de routinisation du vécu paysager induit. Ainsi, l’expérience du paysage au quotidien peut parfois prendre forme en dehors de toute conscience directe de la part de celui qui le vit ou, pour faire référence à Anthony Giddens (1987a), en dehors de toute « conscience discursive ». Ce dernier oppose en effet ce qui relève de la « conscience discursive » à ce qui relève de la « conscience pratique »5. Au cours du déroulement d’une action, la conscience pratique définit l’attitude d’un acteur conscient (c’est-à-dire dont les mécanismes sensoriels sont en fonctionnement) qui se meut et agit dans un espace sans porter attention à ce qui s’y passe et, ajouterais-je, à ce dont il est constitué. La conscience discursive implique quant à elle un sujet non seulement conscient (au sens entendu précédemment) mais aussi attentif à ce qui l’entoure (milieu constitutif et faits) et capable de le verbaliser. Or, l’appréhension du paysage au quotidien peut précisément relever de ces différents niveaux de « conscience » distingués par Giddens. Il existe des expériences paysagères ainsi vécues par un individu attentif à ce qu’il éprouve et ressent. Vécues consciemment voire sciemment6, ces expériences paysagères sont alors facilement identifiables par l’individu qui est à même de les verbaliser, que ce soit immédiatement ou ultérieurement. Ces expériences-là relèvent précisément de la conscience dite discursive. D’autres peuvent en revanche être vécues par un individu non attentif, dans l’instant, à ce qu’il éprouve et ce qu’il ressent (dans le cadre de pratiques routinières par exemple). Ces expériences-là relèvent de la seule conscience pratique. Correspondant en général à des actes non réfléchis, elles sont de fait moins aisément identifiables et l’individu peut ne pas parvenir à les verbaliser ultérieurement.

13Ainsi, caractériser les modalités d’expression de ce vécu paysager ordinaire (qui peut donc se manifester en dehors de toute production volontaire et réfléchie) supposait d’élaborer une méthode d’enquête auprès des habitants qui soit susceptible de faire émerger des pratiques et représentations paysagères ordinaires dont ils n’ont eux-mêmes pas nécessairement conscience. Ne pouvant se contenter des techniques d’enquête sociologique classiques (questionnaires, entretiens…) et souscrivant notamment à l’idée que la photographie disposerait de cette capacité à révéler ce qui est caché dans nos pratiques et usages ordinaires (Giddens, 1987b), la photo elicitation interview, technique d’enquête issue des visual studies, est alors apparue comme un outil particulièrement intéressant à mobiliser.

Sur les pas de la photo elicitation interview

  • 7 Bien que les principaux usages que les chercheurs font de la photo elicitation interview passent pa (...)

14La photo elicitation interview est une méthode d’enquête particulière, où l’entretien de recherche est mené sur la base d’un support photographique considéré comme susceptible de provoquer ou susciter (du latin elicerer) des réactions verbales et émotionnelles chez la personne interviewée7. Les photographies utilisées lors de l’entretien peuvent soit correspondre à des documents photographiques déjà existants, soit avoir été réalisées pour l’occasion par l’enquêteur lui-même ou directement par l’informant.

  • 8 Cet ouvrage, Visual anthropology : photography as a research method, initialement publié en 1967 (C (...)
  • 9 Cet article est l’occasion, pour l’auteur, de proposer une définition de la photo elicitation inter (...)

15C’est le photographe et anthropologue américain John Collier, un des instigateurs de l’anthropologie visuelle aux Etats-Unis dès les années 1960, qui est reconnu comme le premier à avoir eu recours au terme de photo elicitation dans un article publié en 1957 (Collier, 1957). Il est également le premier à avoir formalisé et systématisé l’utilisation de la photographie comme technique de recherche et à avoir posé les principes de la photo interview dans un ouvrage publié en 19678. Par la suite, c’est principalement dans les champs disciplinaires de l’anthropologie et de la sociologie (visuelles) nord-américaines que l’usage de la photo elicitation interview s’est le plus développé, notamment porté par les travaux du sociologue américain Douglas Harper (1986, 1997, 2002). Un article publié en 2002 dans la revue Visual Studies est d’ailleurs l’occasion pour ce dernier, qui se considère lui-même comme « a frequent photo elicitation researcher », de dresser un tableau de l’usage qui est fait de cette technique d’enquête dans le champ des sciences sociales nord-américaines en ce début de XXIème siècle et de proposer un retour général sur la méthode (Harper, 2002)9.

16Mais si on assiste aujourd’hui à une extension progressive de la technique de la photo elicitation interview – notamment dans les travaux de recherche anglo-saxons – à d’autres champs disciplinaires (psychologie, pédagogie), son usage dans le champ des sciences humaines et sociales françaises demeure, quant à lui, encore limité et reste, dans tous les cas, très récent. Citons, pour faire référence aux rares travaux français publiés en la matière, l’ethnologue Fabienne Duteil-Ogata (2007), qui inscrit explicitement ses pratiques dans le champ de la photo elicitation interview, ou encore le sociologue Christian Papinot (2007) qui avoue s’y être également essayé. Doit-on alors associer ce cruel défaut de publications scientifiques françaises au constat, réitéré au fil des décennies (Terrenoire, 1985 ; Garrigues, 1991 ; Conord, 2007), d’un véritable manque de crédit scientifique accordé en France à l’image en général et à la photographie en particulier et, subséquemment, à « l’absence de tout consensus méthodologique » qui lui est inhérent (Piette, 1992) ? De la même manière que le faisait remarquer Douglas Harper (2002) en ce qui concerne l’anthropologie et la sociologie nord-américaines, il semble en fait que le nombre de chercheurs faisant appel à la photographie lors de la conduite d’entretiens augmente, mais que peu d’entre eux en réfèrent explicitement à la pratique de la photo elicitation interview.

17Il en est ainsi de certains travaux de géographes français s’intéressant à la question des transformations du paysage et aux représentations qu’en ont les acteurs. Bien que ne s’appuyant pas explicitement sur les principes de la photo elicitation interview, ils ont eu l’occasion d’associer l’outil photographique à leur démarche d’enquête. Ainsi, dès le milieu des années 1980, Yves Luginbühl (1989) s’appuie sur la photographie pour une étude qu’il réalise dans la petite région agricole du Boischaut Sud. Il mesure alors l’intérêt de proposer des documents photographiques lors de la conduite d’entretiens afin d’accéder aux représentations paysagères des personnes qu’il interroge. Et s’il ne fait pas directement référence à la technique de la photo elicitation interview lorsqu’il décrit et analyse son expérience, il explique que la photographie constitue un bon moyen de « faire se révéler » les représentations paysagères, insistant sur le fait que « l’utilisation de ce media trouve sa raison dans une problématique qui situe le paysage au centre d’une vision dialectique entre le paysage/ produit social et le paysage/ regard ou représentation sociale au sens large du terme […], entre le paysage visible et le paysage pensé » (Luginbühl, 1989).

18A la fin des années 1990, suivant la piste ouverte par Yves Luginbühl, c’est au tour d’Yves Michelin d’utiliser la photographie dans le cadre d’une démarche engagée de recherche-action en montagne thiernoise. Il propose, à cette occasion, une méthode d’enquête à partir d’appareils photos jetables (Michelin, 1998) qui a ensuite été reprise par d’autres (Lelli, 2000, 2003 ; Paradis, 2004). Dans le cadre de ces démarches, toutes inscrites dans des processus d’élaboration de projets de territoire, la photographie vient suppléer un discours que les individus ne seraient pas capables de formaliser. Yves Michelin (1998) évoque ainsi la difficulté que peuvent avoir certaines personnes à formuler leur « conception du paysage », qu’il explique, comme l’avait déjà fait Georges Lenclud (1995) auparavant, par leur difficulté « à traduire par des mots les émotions qu’ils ressentent en contemplant l’étendue d’espace qui s’offre à leur vue » (Michelin, 1998). Il considère alors l’utilisation de la photographie comme un moyen susceptible d’éviter cet écueil. Reste qu’elle y est avant tout pensée comme un « outil de formalisation d’une réalité paysagère » (Lelli, 2003). En effet, l’objectif des enquêtes photographiques mises en œuvre dans le cadre de ces démarches est avant tout de « révéler l’importance de quelques caractères paysagers et territoriaux » (ibid.), c’est-à-dire de faire émerger des images paysagères fortes susceptibles de constituer l’identité paysagère du territoire, objet d’étude sur lesquels s’appuieront ensuite les projets de territoire. Autrement dit, l’utilisation qui est faite de la photographie a pour vocation de mettre en évidence des représentations paysagères pour révéler un territoire et non pour comprendre la relation des individus à ce paysage. En outre, si ces démarches conçoivent la photographie comme un outil susceptible de « prendre conscience », il s’agit davantage de « prendre conscience de ce que l’autre voit » (ibid.), la photographie ayant surtout vocation à susciter discussions et débats publics sur la réalité territoriale représentée.

19Bien que mettant en œuvre une méthode d’enquête associée à la photographie, la construction méthodologique de ces travaux de recherche, tendus vers l’action (et la fabrication de territoires), n’en appelle pas directement à l’usage de la photo elicitation interview proprement dite. En revanche, celle que je mets en œuvre dans mes propres travaux, tout en s’inspirant des démarches géographiques sus-citées, s’inscrit plus directement dans l’esprit de la photo elicitation interview telle que développée par les visual studies. La suite de mon propos vise à présenter les principes de cette méthode d’enquête particulière afin d’en retrouver l’essence anthropologique et de formaliser ce en quoi elle permet d’amener l’individu enquêté vers une posture réflexive, raison principale pour laquelle j’y ai eu recours.

De l’usage de la photo elicitation interview pour la production d’un habitant réflexif

« L’image photographique contient une puissance de désignation qui lui assure sa qualité heuristique de base : montrer, attirer notre attention sur un objet, une thématique »
Albert Piette (1992)

20Il s’agit à présent d’exposer les principes mêmes de la méthode (l’association de la photographie au recueil d’un discours) et de signifier par quel cheminement elle autorise l’émergence d’une forme de réflexivité habitante.

La qualité médiatrice de la photographie pour servir le principe de la « double élicitation »

21Dans la pratique usuelle de la photo elicitation interview, la photographie n’est pas utilisée pour elle-même, mais comme moyen d’expression associé à un entretien. Telle que je la mets en œuvre, elle constitue un moyen d’expression à deux niveaux : elle est vecteur d’une production verbale lors de l’entretien, mais elle est également vecteur d’une production visuelle puisque, comme je l’expliquerai ultérieurement, les documents photographiques présentés lors de l’entretien ont pour caractère particulier d’avoir été préalablement produits par l’enquêté lui-même. L’argumentation qui suit a pour objectif de caractériser l’intérêt d’une telle utilisation de la photographie, en référant notamment aux principes anthropologiques fondateurs de la méthode.

Les avantages de l’utilisation d’un support photographique

22La présentation de documents photographiques lors de la conduite d’un entretien offre des avantages non négligeables par rapport à un entretien traditionnel fondé sur le seul échange verbal. John Collier (1986 [1967]), ainsi que la plupart de ceux qui ont proposé après lui un retour critique sur la méthode (dont Douglas Harper, 2002), ont tôt fait de le souligner. En tant que support de discussion, la photographie constitue un moyen d’échange et d’expression qui facilite la conduite de l’entretien. En effet, la présence des clichés entre l’enquêteur et l’enquêté favorise tout d’abord la communication. John Collier (1986 [1967]) l’interprète comme la conséquence de l’instauration d’une relation triangulaire (enquêteur/enquêté/photos) qui se substitue au face-à-face binaire inhérent à une situation d’entretien classique (enquêteur/enquêté) et en amoindrit les éventuels effets inhibiteurs pour l’informant. L’attention et les interrogations étant portées sur les documents photographiques, la personne enquêtée se sent moins « cœur de cible », ce qui permet de réduire l’anxiété inhibitrice qu’elle est susceptible d’éprouver en situation d’entretien. Ensuite, discuter autour des photographies présentées donne un point de référence concret à l’interview (Schwartz, 1989) qui rassure l’informant : il sait de quoi l’entretien est fait et est ainsi moins soumis à la peur de l’inconnu. A cela s’ajoute le caractère convivial et l’effet divertissant qu’introduit la médiation par la photographie (Duteil-Ogata, 2007) qui favorisent l’instauration d’une ambiance également propice à libérer l’échange. Enfin, la photographie stimule l’expression verbale de l’informant, par sa capacité à « susciter » son discours souvent plus efficacement qu’une simple question (d’où le principe d’élicitation : « the photograph elicits a flow of information », Collier, 1986 [1967]), et ce tout en structurant, au gré des différents clichés, le déroulement de l’entretien (Banks, 2001).

  • 10 Le sociologue français Christian Papinot (2007) dit en effet avoir fait les frais, lors d’une étude (...)

23Mais tel que je le conçois, l’outil photographique présente des avantages supplémentaires. A la différence des chercheurs qui, comme John Collier ou Douglas Harper, utilisent des photographies qu’ils ont eux-mêmes produites et/ou choisies en vue de l’entretien, je demande aux personnes interrogées de présenter et commenter leurs propres clichés, réalisés pour l’occasion. Cette forme particulière de photo elicitation interview, où les photographies sont directement produites par les personnes interrogées, peut être aussi nommée « autodriving phototography » (Heisley & Levy, 1991 ; Clark, 1999) ou encore « réflexive photography » (Ziller, 1990 ; Harrington, 1999 ; Berman et al., 2001). Une telle manière de procéder présente un intérêt indéniable. Il en résulte tout d’abord une plus grande implication des participants dans le processus d’enquête. En effet, la production de données matérielles (ou « matérialisables »), à savoir les documents photographiques, leur donne l’impression de collaborer plus étroitement à la production de la recherche et les incite même à s’y investir davantage encore, notamment lors de l’entretien. Ensuite, cela assure également au chercheur que le sujet de la discussion est bien compris et qu’il a du sens pour la personne interrogée. Il s’établit alors une sorte de terrain d’entente, garantissant l’assurance d’une compréhension conjointe. Est ainsi évité l’un des écueils majeurs, à savoir l’émergence de cette forme d’incompréhension de la part de l’enquêté relativement à l’objet photographié et par extension à l’objet de la recherche, dont relate notamment Christian Papinot (2007)10. Généralement inhérente à une divergence des regards elle-même liée à des origines (socio-)culturelles différentes, cette incompréhension renvoie à la légitimité et à la motivation de ce qui est photographié et photographiable selon les cultures. Mais si ce dernier écueil est somme toute relativement rare et généralement lié à un contexte d’exotisme affirmé (c’est le cas pour Christian Papinot), faire réaliser les photographies par les personnes interrogées permet dans tous les cas de résoudre le problème de l’influence du regard de l’enquêteur sur celui de l’enquêté (Michelin, 1998).

  • 11 Il ne s’agit pas ici de minimiser le rôle du chercheur (la réussite de l’entreprise dépend de lui e (...)

24Enfin, la photographie, lorsqu’elle est directement produite par la personne interrogée, présente également l’avantage (et c’est cela qui m’importe) de se constituer en véritable outil d’aide à la réflexion. En effet, l’acte de photographier « suscite » la mise en œuvre, de la part du participant, d’une nécessaire réflexion préalable à la réalisation des clichés, qui peut (doit) l’amener, relativement à l’objet de recherche qui nous intéresse ici, à mieux discerner la dimension paysagère de certaines de ses pratiques quotidiennes. En constituant une occasion concrète de se projeter dans son paysage quotidien, le fait d’avoir à réaliser une série de photographies permet à l’individu de mieux « saisir » (au sens de comprendre et interpréter) et parfois même de « faire émerger » (au sens de révéler) un système de pratiques et de représentations paysagères qui, inscrites dans un vécu quotidien plus machinal qu’intellectualisé, avaient pu demeurer jusqu’alors de l’ordre du non-dit ou du non-conscientisé. A cela s’ajoute le fait de devoir présenter et argumenter le corpus photographique produit, qui incite ensuite l’individu à penser la « mise en mots » de son rapport à son paysage quotidien. Au final, cette production photographique est vecteur d’un double niveau de réflexion pour l’habitant participant : une réflexion « pré-photographique » (que vais-je photographier ?) et « post-photographique » (comment vais-je argumenter mon choix ?). En lui permettant ainsi d’adopter une posture réflexive préalablement à la conduite de l’entretien, cette manière particulière de concevoir la photo interview présente alors l’avantage d’amener l’informant à la construction d’un discours réfléchi et cohérent, quasi-indépendamment de l’intervention du chercheur11.

L’enquête photographique : un dispositif méthodologique original en deux temps

  • 12 Sur ce point, je me suis inspirée de la technique mise en œuvre par Yves Michelin dans le cadre de (...)

25Fondée sur ces principes, l’enquête est donc conçue en deux temps. Le premier temps consiste en la production du corpus photographique. Il est réalisé par le participant en l’absence de l’enquêteur, après que ce dernier lui a exposé l’objet de la recherche et les principes de la démarche. Le corpus photographique doit illustrer une série de thèmes qui renvoient à la manière dont l’individu pratique et se représente les paysages qui l’environnent quotidiennement. Définir et décliner ainsi une série de thèmes à illustrer permet de constituer la matrice de l’enquête et présente l’avantage de garantir que certaines dimensions considérées comme essentielles par le chercheur soient abordées. Ce sont ces thèmes qui, de manière logique, constitueront, par la suite, la structure de l’entretien. Proposés sous forme de questions simples12, ces différents thèmes guident l’habitant, érigé provisoirement en photographe de son quotidien, dans la réalisation de ce que l’on pourrait nommer un « portrait photographique » (ce que John Collier (1986 [1967]) nomme aussi « photo essay ») de son ordinaire paysager.

  • 13 Si Yves Michelin avait fait le choix, dans les années 1990, de proposer des appareils photos jetabl (...)

26Il convient de préciser deux points importants concernant cette production photographique. L’absence de dimension esthétique associée à la consigne photographique, combinée à la facilité d’accès et d’usage de la photographie numérique aujourd’hui largement démocratisée au sein de notre société occidentale et contemporaine13, permet de limiter l’éventuelle gêne (voire l’intimidation) que pourrait induire la nécessité de réaliser un corpus photographique pour une personne non professionnelle de la photographie. En outre, la simplicité des questions posées, qui renvoie directement au quotidien de chacun, a pour objectif de rendre l’objet de la recherche accessible à l’enquêté et de débrider son éventuelle retenue en constituant une base de réflexion qui le rassure.

27Une fois les clichés réalisés, un second temps consiste en la réalisation de l’entretien proprement dit, sur la base du corpus photographique ainsi produit. L’objectif de l’entretien est de permettre au participant de signifier les raisons qui l’ont conduit à la réalisation de chacun des clichés et au chercheur de faire émerger, à travers elles, les systèmes de pratiques et de représentations qui fondent la sensibilité de l’habitant à son paysage quotidien.

28C’est en cela que réside le principe de « double élicitation ». La réalisation préalable des photographies constitue un premier niveau d’élicitation en « suscitant » un premier niveau de réponses par la production d’images, comme une narration photographique ou encore un « récit visuel » pour reprendre l’expression d’Achutti (2004). L’entretien offre quant à lui un second niveau d’élicitation en « suscitant » un second niveau de réponses par la production d’une parole, le discours précisément associé à ces images. Or, ce principe de « double élicitation » (qu’autorise la production préalable par la personne enquêtée des photographies qui sont ensuite présentées lors de l’interview) est fondamental à deux titres : vis-à-vis de la relation qui va se tisser entre l’enquêteur et l’enquêté d’une part et vis-à-vis du processus de production de la recherche qui va en découler d’autre part.

La photographie, un média propre à reconfigurer la relation enquêteur / enquêté (Schwartz, 1989)

29Le principe de double élicitation qu’introduit le média par la photographie permet en effet de renverser la situation de l’entretien en faisant de l’enquêté le maître du jeu, du fait d’une part d’un corpus photographique que lui seul maîtrise dans la mesure où il en est l’auteur et d’autre part grâce à la réflexion préalable qu’il a pu mener en l’absence de l’enquêteur en vue de la réalisation et de l’argumentation de ce corpus. Adopter une telle stratégie permet notamment de limiter les éventuelles inférences liées à la présence et au statut du chercheur qui abandonne sa position dominante pour libérer la parole habitante. Il n’y a pas un habitant « profane » face à un chercheur « expert », mais un habitant qui, fort de sa posture réflexive, est devenu « expert » de sa propre existence et un chercheur « profane » face à un objet dont la maîtrise se trouve du côté de l’habitant. Notons que cette rupture vis-à-vis de la hiérarchie inhérente à une situation d’entretien classique ne signifie pas pour autant équivalence des positions. En effet, enquêteur et enquêté gardent chacun leur rôle (Kaufmann, 2007, p. 48) : l’enquêteur est là pour faire parler et écouter, l’enquêté pour se livrer. En outre, adopter une telle stratégie autorise également une entrée plus directe (et plus intime) du chercheur dans le monde de l’habitant, un monde que ce dernier va certes mettre en mots mais qu’il va également « donner » en images…

  • 14 Je reprends ici l’image du « don » et, dans un point ultérieur de l’argumentaire, du « contre-don » (...)

30L’emploi du terme « donner » n’est pas ici choisi au hasard. En effet, l’acceptation d’un tel dispositif d’enquête par le participant n’est pas sans conséquence. Ce dernier s’engage certes à « donner à voir » son monde, mais il s’engage également à « donner » (au sens littéral du mot) les images de « son » monde. L’accord prévoit effectivement que le chercheur dispose ensuite librement des photos en question. Ce (premier) don14 que l’habitant consent au chercheur (et, à travers lui, à la recherche) constitue en lui-même un acte riche de sens dans la relation tissée entre l’enquêteur et l’enquêté. Cette (première) part de soi révélée et « cédée » au chercheur suppose tout d’abord un réel et solide rapport de confiance. Elle incite ensuite l’enquêté à poursuivre le dispositif d’enquête jusqu’à son terme, d’une part parce qu’il considère généralement (et à juste titre) que les photos ne peuvent être comprises sans qu’il les ait expliquées et d’autre part parce qu’il est déjà trop investi pour s’arrêter là. En effet, le passage par la réalisation du corpus photographique peut ne pas avoir été chose aisée pour l’enquêté qui se retrouve seul avec son appareil photo. Cela suppose de sa part un effort personnel en terme de temps mais aussi en terme d’interrogation de soi, qui peut susciter doutes et prises de conscience parfois difficiles (nous y reviendrons en dernière partie). Mais cette étape scelle néanmoins définitivement la relation enquêteur-enquêté par la captation durable du participant au processus d’enquête. En effet, une fois les photos réalisées, celui-ci ne fuira pas ou plus, il voudra les montrer, il souhaitera s’en expliquer. C’est donc porté par une attente forte qu’il se présentera à l’entretien.

31Mais si l’entretien constitue un moment attendu par l’enquêté qui va pouvoir donner un sens à ses images et finalement tisser un « fil qui donne un sens à sa vie » (Kaufmann 2007, p. 58), il constitue aussi, comme nous allons le voir, une étape essentielle (voire un passage obligé) pour le chercheur qui souhaite obtenir un discours réfléchi sur la relation de l’individu à son paysage quotidien.

Au-delà de la photo, l’importance de la production d’un discours réfléchi sur le paysage

32Si la production photographique constitue un temps et un outil essentiels de la démarche d’enquête ici présentée, elle demeure avant tout un prétexte à l’obtention d’un discours préalablement réfléchi sur la relation de l’individu à son paysage quotidien.

33A la différence de la posture engagée de Margaret Mead (2003 [1974]) qui considère la photographie comme une alternative au discours, il ne s’agit nullement en effet de remplacer les mots par l’image, mais, bien au contraire, de dépasser peu à peu l’image pour accéder au discours susceptible d’expliciter ce qui a présidé à sa réalisation.

34Albert Piette (2007) précise ainsi que « la photographie renvoie […] à un acte particulier d’un observateur-photographe, qui exclut de penser l’image en dehors de son rapport à lui ». Il est donc indispensable de ne pas s’en remettre aux seuls clichés, et d’accéder à la signification qu’ils ont aux yeux de leur auteur. Le recueil de sa parole devient alors un acte essentiel.

Rendre la photo intelligible : le discours nécessaire

  • 15 Byers (1966, p. 31) avait noté, comme Barthes (1964), cette capacité de la photographie à produire (...)

35Le discours qui accompagne la production photographique est primordial à deux titres. Tout d’abord, il permet à l’auteur de proposer sa propre interprétation du contenu des clichés qu’il a réalisés, étant entendu que, comme nous le savons tous, deux personnes se tenant face à un même objet peuvent le voir et l’interpréter de manière très différente (Barthes, 1964 ; Byers, 1966)15.

36Cela permet d’éviter un premier écueil méthodologique. Roland Barthes (1980) explique qu’il est vain de vouloir montrer des photographies, dans la mesure où l’interprétation que les regardants en ont est bridée par l’objet représenté qui s’affiche à eux comme une évidence. Demeurant à l’état de simple « spectator » (pour reprendre les catégories qu’il utilise), ils ne peuvent y voir que ce qui est (ou ce qui a été) et non ce que cela pourrait être. Or, la démarche ici mise en œuvre dépasse incontestablement ce point de vue. Tout d’abord, le fait de faire directement réaliser les photographies par l’enquêté lui-même, le positionne, non pas dans un statut de spectator (ce qui aurait été le cas s’il n’avait pas été l’auteur des clichés présentés lors de l’entretien), mais dans un statut d’operator (en tant qu’auteur de ces clichés). L’éventualité d’un tel écueil ne le concerne donc pas. Quant à l’enquêteur (à qui sont présentés les clichés), on ne peut le considérer comme simple spectator des photographies. Ce qui lui importe en effet, c’est précisément d’être à l’écoute du discours qui les accompagne et donc de l’explicitation, faite directement par leur auteur, de ce que sont censées montrer ces images. Peu importe alors de savoir si les photographies le montrent vraiment ou si l’enquêteur est capable de le voir. Dans l’absolu, cela ne l’intéresse pas. Ce qui compte, ce n’est pas la photographie elle-même, mais ce qu’elle représente pour son auteur et ce pour quoi il l’a réalisée.

37On en vient alors à la seconde raison qui rend le recueil du discours indissociable de la production photographique. Il permet à l’informant photographe de donner accès à des informations qui s’étendent bien au-delà du strict contenu des clichés, permettant de passer de leur contenu manifeste à leur contenu latent (Collier 1986 [1967]). Le discours est donc essentiel, non seulement pour comprendre le sens que l’auteur donne à ce que les clichés montrent (ce qui a été démontré précédemment), mais aussi pour accéder à ce qu’ils ne montrent pas, voire à ce qu’ils cachent ! Ainsi, seul le discours peut permettre d’accéder à une histoire de vie qui serait associée au lieu ou à l’objet photographié, ainsi qu’aux expériences physiques et émotionnelles qu’il suscite. Dans cet ordre d’idée, seul le discours peut, relativement à l’objet de recherche qui m’anime, permettre d’accéder par exemple à la dimension polysensorielle de l’appréhension paysagère.

38Cette question de l’accès à la dimension polysensorielle de l’appréhension paysagère m’amène à éclaircir deux point importants. Elle nécessite notamment de se positionner par rapport au primat de la vue que présuppose une telle posture méthodologique (à savoir l’utilisation de l’image pour accéder à un vécu paysager quotidien) et de lever ainsi une seconde objection méthodologique. Comme je le soulignais dans un point précédent, certaines expériences paysagères associées aux lieux et aux temps de la vie quotidienne nécessitent d’être remémorées pour être racontées. Ma démarche postule tout d’abord que l’image est précisément à même de jouer ce rôle de rappel à la mémoire. Certes, une odeur – comme la madeleine de Proust – pourrait peut-être jouer ce rôle. Mais comment la capturer facilement ? De même, un bruit, un son, un silence pourraient avoir ce pouvoir d’évocation. D’ailleurs on assiste, depuis ces deux dernières décennies, à une multiplication des études sur la puissance de l’évocation sonore (Schafer, 1979 ; Augoyard, 1995 ; Rapin, 1994). Mais son enregistrement demeure moins commode que l’enregistrement du visible et, dans tous les cas, moins coutumier pour le commun des mortels. Le choix de l’image en général et de la photographie en particulier s’est donc imposé par commodité mais aussi, cela va sans dire, par habitude socio-culturelle. Dans notre monde contemporain où la vue demeure souveraine, la photographie « constitue un mode de représentation spécifique ancré dans les pratiques et les rapports sociaux » (Conord, 2007). Et si l’on peut imaginer qu’un procédé d’interview par élicitation puisse s’appuyer sur des enregistrements autres que visuels (sonores ou olfactifs par exemple), il reste qu’aujourd’hui la démocratisation de la photographie invite à considérer l’enregistrement visuel par son biais comme le plus aisé à mettre en œuvre. Peut-être aussi que le paysage s’y prête trop bien… culturellement.

  • 16 Des chercheurs appartenant à différentes disciplines se sont également intéressés à ces questions. (...)

39Mais bien que m’appuyant sur un outil mettant en œuvre la suprématie de la vue comme vecteur d’élicitation d’un vécu paysager parfois trop machinal et trop quotidien pour être conscientisé, je n’en demeure pas moins convaincue que l’appréhension paysagère en appelle à tous les sens humains. En effet, si Simon Schama (1999) rend « justice à l’œil humain, car c’est son regard qui fait toute la différence entre la matière brute et le paysage », il convient de ne pas trop lier le sort du paysage à la seule représentation visuelle (Sansot, 1983). Vécue in situ et qui plus est au quotidien, l’expérience d’un paysage est indissociable de l’ambiance au sein de laquelle elle prend « corps ». Or, cette ambiance est constituée d’odeurs, de bruits, de textures et influencée par les météores, les saisons, l’heure du jour… Si les différentes impressions sensorielles (auditives, olfactives, tactiles) qui en résultent ne permettent pas de structurer directement et à elles seules une expérience paysagère, elles contribuent à compléter ce qui s’offre au regard, à singulariser par leur caractère davantage subjectif l’expérience paysagère (Bigando, 2006)16. C’est là une autre raison pour laquelle il est important de faire réaliser les photographies directement par les personnes interrogées. Cela leur permet d’éprouver la dimension polysensorielle de leur appréhension paysagère, puisque bruits, odeurs et impressions tactiles sont présents lors de la réalisation des clichés. Il leur reste alors à en proposer une restitution verbale lors de l’entretien (qu’elle soit spontanée ou incitée par l’enquêteur).

« J’aime ce paysage de bord de rivière. Il est calme et appelle à l’apaisement : le bruit de l’eau qui coule, la douceur de l’air… »

  • 17 Les propos présentés en italique et entre guillemets, que ce soit ici ou dans la suite du texte, so (...)

« Ce que je préfère c’est quand j’ouvre les volets de ma chambre le matin. Quand j’ai le temps, je reste là un petit moment, les yeux perdus dans la forêt et mes oreilles à l’écoute du chant des oiseaux… »17.

40Si la photographie nous donne accès à ce qui est offert au regard, le discours qui l’accompagne nous permet donc d’accéder, dans ce cas précis, à ce que donnent à « sentir » et « ressentir » les autres sens.

Recueillir le discours : le temps de l’entretien

41L’entretien constitue donc un moment essentiel du dispositif d’enquête. Il est centré sur la discussion des photographies produites. Dès le début de l’entretien, il est précisé au participant qu’il doit :

  • localiser le lieu de prise de vue des différents clichés sur une carte du territoire,

  • décrire chaque cliché pour expliquer à l’enquêteur ce qu’il doit y voir (il ne s’agit pas ici d’une analyse de la structure formelle de la photographie, l’enquêté doit simplement

  • préciser les éléments photographiés qui sont importants à ses yeux ; le chercheur portera alors une attention particulière à l’éventuel décalage qu’il peut y avoir entre ce qui « est » sur la photo et ce que l’enquêté en retient),

  • signifier ses intentions lorsqu’il a pris les photos et les significations qu’il attribue à chacune d’elles (la photo est alors prétexte pour accéder aux pratiques et expériences auxquelles elle renvoie),

  • témoigner de l’éventuelle difficulté qu’il a pu éprouver pour la réalisation de certains clichés, préciser s’il y a des photos qui n’ont pas pu être prises et en expliquer les raisons.

  • 18 L’entretien s’effectue en général chez l’enquêté. L’enquêteur s’y rend avec son ordinateur portable (...)

42N’ayant pas connaissance des clichés produits par le participant préalablement à l’entretien, le chercheur se laisse tout d’abord guider par ce dernier à la découverte du corpus photographique. C’est un des premiers jeux qui s’instaure entre l’enquêteur et l’enquêté. Dans un premier temps, l’enquêteur laisse la main à l’enquêté sur ce qui est présenté, afin de laisser l’habitant l’introduire dans « son » monde. D’ailleurs, l’enquêté a généralement préparé son corpus photographique en vue de l’entretien et, la plupart du temps, sait déjà dans quel ordre il va soumettre ses clichés. L’ordre qu’il va proposer est en lui-même chargé de sens, sens qui intéresse en premier lieu le chercheur. L’entretien est alors structuré au gré des clichés présentés, lesquels sont le plus souvent, et ce de manière assez spontanée de la part de l’enquêté, donnés à voir en fonction des différents thèmes qu’ils sont censés illustrer. C’est là une première dimension de l’efficacité de la méthode puisque ces différents thèmes constituent précisément l’armature structurant le guide d’entretien prévue par le chercheur. La structuration de l’entretien autour de ces grands thèmes, tout en laissant une grande liberté à l’informateur (il choisit l’ordre dans lequel il souhaite les aborder – ordre qui est là aussi chargé de sens pour le chercheur – mais il peut également en introduire de nouveaux), présente en effet l’avantage de rendre possible la comparaison des données (photographiques et discursives) recueillies auprès des divers participants. Dans certains cas cependant, les photos peuvent être présentées par l’enquêté sans ordre précis, au fur et à mesure qu’elles se présentent à l’écran18, correspondant en général à l’ordre chronologique selon lequel elles ont été prises. Dans ce cas ou en cas de présentation trop décousue, l’enquêteur est amené à intervenir de manière à ré-introduire la structure par thèmes, à l’exclusion bien sûr du cas où l’informateur a des raisons précises et justifiées de ne pas suivre les thèmes indiqués (raisons qui intéressent directement le chercheur).

43L’entretien ainsi réalisé à partir du support photographique fonctionne comme une discussion pour la « construction active de signification(s) » (Schwartz, 1989, p. 143). Rappelons que son objectif est de permettre à l’enquêté non seulement d’expliquer à l’enquêteur ce que ce dernier doit y voir, mais aussi d’étendre son explicitation au-delà de ce que les clichés montrent pour donner à entendre ce à quoi ils renvoient. Adopter une telle démarche d’attribution systématique de sens parallèlement au processus de visualisation (ibid.), doit permettre au chercheur d’accéder non seulement à l’interprétation de l’image qu’en fait son auteur mais aussi au récit des expériences et pratiques qu’elle inspirent et qui les ont inspirées. Ce qui va être considéré comme significatif par l’enquêté peut alors prendre par surprise le chercheur, conduisant à des révélations parfois inattendues (ibid.).

  • 19 Je reprends ici les propos de Laurent Matthey (2005) soulignant, à juste titre, qu’il s’agit plus e (...)
  • 20 Je renvoie ici le lecteur à l’article de Laurent Matthey (2005), publié dans la même revue, qui pro (...)
  • 21 C’est le temps du « contre-don » (Matthey, 2005) de l’enquêteur à l’enquêté. Le chercheur se met à (...)
  • 22 Pour ce faire, le jeu du chercheur est de se faire passer pour « un étranger, un anonyme » à qui l’ (...)

44Ainsi, si beaucoup de choses se jouent lors de la réalisation du corpus photographique par l’individu participant, beaucoup de choses se jouent également lors de l’entretien. La conduite de ce dernier, étape capitale pour le recueil de la parole habitante qui va constituer la matière principale à analyser pour le chercheur, suppose un véritable « art de faire »19. Cela suppose tout d’abord la reconnaissance à l’informateur d’un droit à l’intersubjectivité, c’est-à-dire le « droit à une subjectivité autonome » (Matthey, 2005)20. Pour le chercheur, cela implique de « renoncer à son statut d’expert, pour se mettre à disposition de celui qui parle » (ibid.). Tout en contrôlant le bon déroulement de l’entretien tant du point de vue de la forme que du fond (afin de pouvoir disposer de données utiles et comparables), l’enquêteur doit donc favoriser la prise de parole de l’enquêté et lui laisser la plus grande liberté d’expression possible. Il doit en outre inviter l’informateur à se livrer (afin de pénétrer l’intimité de « son » monde et accéder à d’éventuelles révélations inattendues) et veiller à ce qu’il ne se retranche surtout pas derrière ses photos, considérant qu’elles constituent une barrière de protection entre lui et l’enquêteur et/ou qu’elles se suffisent à elles-mêmes. Pour ce faire, l’entretien doit donc fonctionner comme un véritable lieu d’écoute attentive de la part du chercheur21 et d’invitation, pour l’informateur, à parler de soi de manière sécurisée22. Mais si provoquer l’engagement de l’enquêté dans une prise de parole libre et instructive suppose un véritable « art de faire » de la part de celui qui enquête, il convient également de rappeler le rôle du support photographique sur ce point. Ce dernier contribue en effet à placer l’habitant dans une relation au chercheur réservant une forme d’intimité propre à faire émerger des images fortes et des discours riches (Schwartz, 1989). Les photographies (étant entendu qu’elles ont été produites et sont présentées par l’enquêté lui-même) participent ainsi à briser la glace et contribuent à favoriser l’instauration d’une ambiance propice à une communication sans tabou entre l’enquêteur et l’enquêté. Ses clichés révélant déjà une partie de l’intimité de l’informateur, il lui importe alors de donner au chercheur les clés de leur juste interprétation : « Mes photos, sans moi pour les expliquer, vous ne les comprendriez pas ». Il a alors « envie de parler » (Kaufmann, 2007, p. 61), et est amené à proposer un discours très précis sur son expérience intime des lieux. Une telle situation présente non seulement l’avantage d’éviter les « premières réponses sèches » et « les débuts d’entretiens qui ne sont pas toujours faciles » (ibid.), mais permet également de voir la durée de l’entretien singulièrement majorée. Force est de constater en effet que le temps que les participants prévoient de consacrer, de manière spontanée, à cet entretien est toujours plus long que celui généralement prévu et constaté pour un entretien classique. Ils savent qu’ils auront beaucoup de choses à dire. Est-ce parce qu’ils ont conscience d’y avoir préalablement beaucoup réfléchi ? Est-ce la conséquence d’un intérêt soudain et puissant pour l’objet de la recherche ? Est-ce le résultat d’une volonté, peut-être non conscientisée, de ne pas laisser repartir le chercheur sans avoir pris le temps de lui en dire le plus possible ?

45Quelle que soit la raison qui meut l’enquêté à ainsi donner de son temps, c’est bien la capacité du dispositif d’enquête à éveiller l’intérêt du participant, à lui permettre d’adopter une posture réflexive et à engager son investissement qui, combinée à l’art de faire du chercheur, détermine la richesse de la matière recueillie. Et c’est à partir de cette matière particulièrement riche que l’analyse est ensuite menée. Si l’interprétation des clichés proprement dite est laissée à la discrétion de l’informateur, il revient au chercheur d’analyser les discours issus de cette interprétation.

Le temps de l’analyse : quand le chercheur « tisse l’intrigue »23

  • 23 C’est encore une fois à Laurent Matthey que j’emprunte cette image particulièrement évocatrice. Il (...)
  • 24 Le terme d’« analyse de contenu » n’est pas utilisé ici à dessein. En effet, comme le souligne Jean (...)

46Il est désormais entendu, arrivé à ce point de l’argumentation, que les photographies produites par les participants ne doivent pas être considérées comme un aboutissement (et être objet d’analyse pour elles-mêmes), mais comme un point de départ (Bignante, 2010, p. 14) pour explorer la manière dont les habitants pratiquent et se représentent leur paysage quotidien. Le parti pris adopté, comme cela l’a été largement spécifié, est en effet de considérer que ce ne sont pas les images elles-mêmes qui informent mais l’interprétation que les participants en font (Shwartz, 1989). Considérant les clichés comme non intrinsèquement significatifs (ibid.), le propre de ce dispositif méthodologique n’est donc pas tant d’étudier les photographies pour elles-mêmes que d’analyser la manière dont les participants en répondent en leur attribuant des significations et des valeurs personnelles et sociales (Ruby, 1995). Aussi est-ce essentiellement en terme d’analyse des discours recueillis que le travail analytique est mené24, selon une approche qualitative propre à des modes de faire sociologiques et anthropologiques. Le matériau discursif est alors soumis à un véritable « malaxage », pour reprendre l’expression de Jean-Claude Kaufmann (2007, p. 89) dont l’objectif est, pour le chercheur, d’en extraire la quintessence afin de mettre à jour et décoder les processus et mécanismes de fonctionnement de son objet de recherche. Relativement à mon questionnement scientifique, ce à quoi je m’attache plus particulièrement, ce sont les raisons qui ont conduit l’informateur à sélectionner tel élément paysager (lieu ou objet) plutôt qu’un autre, les significations qu’il lui attribue, les expériences auxquelles il renvoie, et la relation entre ce choix et le thème investi.

47Tout en considérant les discours comme la principale source d’informations pour mener le travail d’analyse, les images produites par les participants peuvent néanmoins intéresser, dans une certaine mesure, le chercheur. Sans conduire une analyse de type sémiologique systématique et approfondie, les photographies peuvent en effet faire l’objet d’une attention plus spécifique. Ainsi, la fréquence à laquelle un même objet/sujet apparaît dans les différentes images (d’un même informateur et/ou de l’ensemble des participants), la présence ou l’absence de certains éléments paysagers au sein du corpus d’images (ceux que le chercheur avait pensé voir photographiés ou au contraire ceux qu’il n’avait pas imaginés), mais aussi la manière dont ces éléments sont photographiés et notamment l’existence éventuelle de différences entre les photos des différents participants se rapportant à un même sujet/objet, peuvent constituer une information importante pour la compréhension de l’objet de la recherche.

48Citons pour exemple, le cas d’un enquêté dont le corpus photographique comptait au total 22 clichés et dont 16 se rapportaient au seul paysage forestier. Ici, la présence de la forêt sur la grande majorité des photos présentées (ou d’indices ayant pour objectif de représenter la forêt) constitue en soi une information importante pour l’analyse du rapport de cet habitant à son paysage quotidien. C’est néanmoins le sens qu’il va attribuer à ces images qui nous donne les clés de compréhension de sa relation à ce paysage forestier qu’il côtoie quotidiennement. Sylviculteur à la retraite et résidant au cœur de la pinède médocaine (terminaison septentrionale de la grande forêt des landes de Gascogne), il explique : « Je suis très attaché à ces paysages qui font mon identité. […] La forêt, c’est ma vie. Le feu, mon ennemi » (le feu étant entendu ici en tant qu’élément de destruction du paysage en question). En l’occurrence, cet habitant avait vu son paysage quotidien altéré par plusieurs incendies, puis décimé par la tempête de 1999.

49Il est donc indispensable de toujours combiner cette analyse des photographies à une analyse des discours qui y sont associés, afin que le chercheur ne soit pas amené à proposer une interprétation des clichés en décalage avec les intentions réelles de leur auteur. Ainsi, tout en photographiant la même forme paysagère (et proposant des clichés quasi-identiques), certains participants peuvent ne pas y voir la même chose et leur attribuer une signification très différente, elle-même liée à une expérience différente des lieux.

  • 25 Il s’agit de mon terrain de thèse principal : deux communes médocaines situées à la périphérie de l (...)

50Il en va ainsi de clichés de lotissements, réalisés par plusieurs habitants de communes en situation de périphérie urbaine25. Dans ce cas, disposer de l’interprétation de l’auteur du cliché s’est avéré particulièrement utile. En effet, si pour certains, il s’agissait, à travers l’image produite, de mettre en scène une dynamique d’urbanisation galopante transformant de manière (trop) rapide et (trop) radicale leur paysage quotidien (photo 1), pour d’autres en revanche il s’agissait, à travers le même type de cliché, de témoigner d’une « véritable mise en ordre de la campagne » (photo 2), ou encore de présenter le caractère agréable de leur quartier d’habitation (photo 3), ou enfin d’évoquer (par défaut, dans la mesure où la photo ne pouvait pas le montrer) l’endroit où se trouvaient jadis les prairies où l’enquêté aimait se rendre, enfant, avec ses camarades de jeu (photo 4).

Photos 1, 2, 3, 4 : Photos d’habitants (Médoc)

Photos 1, 2, 3, 4 : Photos d’habitants (Médoc)
  • 26 Il s’agit ici d’un terrain d’étude lié à la réalisation d’un post-doctorat, en 2010, dans le cadre (...)

51Le discours associé à l’image est d’autant plus indispensable lorsque un même cliché, produit par un même participant, l’amène à produire deux discours complètement différents (voire contradictoires) associés à deux expériences très différentes du même paysage. Il en va ainsi de deux clichés proposés par deux habitants de la presqu’île du Cap Ferret (cf. photos 5 et 6)26. Dans ces deux cas, l’informateur utilise la même image pour signifier à la fois l’exceptionnelle qualité paysagère de son cadre de vie (en faisant référence à la beauté du site) et ce qui lui apparaît comme vecteur de remise en cause de la qualité de ce cadre de vie (en faisant référence à la question de la pollution du bassin d’Arcachon, symbolisée de manière implicite par le « trop » grand nombre de bateaux sur le plan d’eau).

Photos 5 et 6 : Photos d’habitants (Cap Ferret)

Photos 5 et 6 : Photos d’habitants (Cap Ferret)

52Ce dernier exemple est intéressant à deux titres. Tout d’abord, il permet de mettre en évidence la manière dont un même paysage peut être à la fois source de joie quotidienne de par la qualité de l’expérience qu’il donne à vivre à celui qui le côtoie quotidiennement, tout en portant en lui-même les germes d’un mal-être habitant de par l’image négative qu’il peut malgré tout véhiculer. Il témoigne ensuite de la manière dont une même image peut tout à la fois signifier une chose et son contraire, et de l’importance d’en référer systématiquement au discours qui l’accompagne.

53Les principaux cadres du travail analytique étant décrits, il convient enfin d’achever cette discussion argumentée autour de l’usage de la photo elicitation interview par des exemples concrets susceptibles de témoigner de ce qu’elle a pu apporter de plus par rapport à une situation d’entretien classique, dans le cadre de mon questionnement scientifique, en amenant l’individu, grâce à l’adoption d’une posture réflexive initiée préalablement à l’entretien, à prendre conscience et formaliser son vécu paysager quotidien.

La PEI pour aider l’habitant à prendre conscience et/ou formaliser son vécu paysager quotidien : extraits d’enquête choisis

54Il ne s’agit pas ici de proposer un exposé des principaux résultats de mes recherches mais davantage d’illustrer, à partir d’exemples choisis parmi les différents corpus d’enquêtes que j’ai pu réaliser, la manière dont cette technique d’enquête particulière a pu conduire des participants à prendre conscience de leur rapport à leur paysage quotidien d’une part et même en inviter certains à formaliser le décalage qu’il peut y avoir entre les représentations qu’ils en ont et la réalité visible du paysage en question d’autre part.

Quand l’enquête photographique aide l’individu à prendre conscience de son rapport à son paysage quotidien

55Ainsi que j’ai pu le formuler dans les pages précédentes, l’hypothèse principale de mes travaux de recherche est de considérer qu’il existe une réelle sensibilité des habitants à la dimension paysagère de leurs lieux de vie (aussi ordinaires soient-il), mais que celle-ci est susceptible d’exister sans être identifiée de manière précise et consciente par l’habitant.

56Je suppose en effet que, œuvres du quotidien, l’individu n’a pas nécessairement conscience de tout ou partie des expériences paysagères que lui donnent à vivre ses lieux de vie ordinaires. Il y a conscientisation à partir du moment où l’expérience paysagère se distingue du regard posé sur elle. Autrement dit, le regard doit être suffisamment détaché de l’expérience pour que celle-ci soit reconnue et éventuellement comprise au moyen de la réflexion, et enfin verbalisée. Ainsi ai-je pu distinguer, au gré de mes différentes campagnes d’enquêtes, ce qui relève de pratiques paysagères non réfléchies (sans regard détaché de l’individu sur l’expérience vécue) et ce qui relève d’actes paysagers conscientisés (avec un regard de l’individu sur sa propre expérience). Un même individu est bien évidemment susceptible d’avoir à la fois un regard posé sur sa propre sensibilité paysagère tout en n’ayant pas nécessairement formalisé l’ensemble des expériences paysagères que ses lieux de vie ordinaires lui donnent à vivre. De même, un individu peut avoir conscience d’un rapport particulier à son quotidien paysager sans en avoir réellement compris le sens ou sans en avoir saisi toute la portée.

57Le fait d’avoir à réaliser un portrait photographique de leur paysage quotidien a ainsi conduit certains habitants, qui s’étaient prêtés au jeu de l’enquête, à donner du sens à certaines de leurs pratiques et à prendre conscience de la relation particulière tissée avec leurs lieux de vie. Au-delà du seul vécu paysager subséquemment révélé, a alors pu émerger, pour certains d’entre eux, une véritable prise de conscience de leurs manières d’habiter, de leur être au monde.

M. M. ou la prise de conscience post-photographique d’un repli autour du « chez soi »

« J’ai fait ça comme ça, au coup de cœur et à l’instinct. […] Et ce qui m’a frappé c’est que les photos que j’ai prises, je les ai faites à pied… à pied ou à vélo d’ailleurs. Je n’ai pas pris ma voiture. En fait, si vous voulez, je suis resté dans des endroits qui sont dans MON secteur, tout près de chez moi ! […] Et je me suis rendu compte que j’ai photographié tout autour de ma maison. […] Ce qui compte en fin de compte, c’est mon chez moi… un peu comme un animal ! MON PAYSAGE A MOI, quoi… »

Mme B. ou la prise de conscience pré-photographique de l’importance que jouent certains lieux constitutifs de son cadre de vie

« C’est vraiment quand j’ai commencé à réfléchir aux photos que j’allais prendre, que j’ai compris ce qui comptait pour moi, les endroits plus importants que les autres, ceux que j’affectionne plus particulièrement. Par exemple, le village de l’Herbe c’est très joli, mais j’affectionne moins… Ici par exemple [l’enquêtée montre une photo du village du Canon sur la presqu’île du Cap Ferret où elle habite], c’est un endroit où, en plus, je me sens bien. Pour prendre les photos, j’ai donc fait une balade dans ces différents coins, les coins que j’affectionne le plus, ceux qui ont le plus de sens pour moi, pour montrer le bassin comme je le vois, comme je le ressens. […] Je suis allée dans les endroits que j’apprécie, que j’aime vraiment… au premier abord, c’est ça. Et puis après chaque image a son histoire, correspond à un vécu… […] Et avant de partir faire les photos, j’ai préparé le circuit dans ma tête. Je suis d’abord allée à Claouey, et puis je suis partie en voiture jusqu’à la pointe du Ferret. Et, sur le chemin du retour, du Ferret jusqu’à chez moi, j’ai fait des haltes dans ces endroits que j’affectionne et qui comptent vraiment pour moi… »

58On pourrait même aller jusqu’à considérer que, une fois le processus de réflexion enclenché, on peut finalement se passer des clichés proprement dits, le seul fait pour le participant d’avoir à réfléchir au préalable à ce qu’il photographierait se suffisant à lui-même.

59L’exemple de Mme C. qui, en réfléchissant à ce qu’elle photographierait, a pris conscience de ce que représentait son paysage quotidien pour elle et du rapport particulier qu’elle entretenait avec son lieu de vie en général, est à ce titre évocateur.

Mme C. ou la prise de conscience pré-photographique de son rapport à son paysage quotidien : quand l’expérience atteint son paroxysme

60Effrayée par ce qu’elle avait été amenée à « formaliser » à l’occasion de la réflexion préalable à la réalisation du corpus photographique (à savoir la fragilité de ses expériences paysagères quotidiennes), Mme C. a préféré renoncer à sa participation à l’enquête avant même d’avoir réalisé les clichés. A la demande du chercheur, un entretien a tout de même eu lieu (sans images) afin qu’elle puisse expliquer les raisons qui l’avaient conduite à cet abandon. Cet entretien a duré plus de deux heures, deux longues heures au cours desquelles elle a pu exprimer son rapport à son paysage quotidien et son désarroi face à une double prise de conscience. En effet, la réflexion préalable à la réalisation du corpus photographique l’avait conduite à saisir la puissance de l’attachement qui la lie à son lieu de vie (attachement qu’elle limite à son espace résidentiel, à savoir sa propriété) et les expériences quotidiennes dont ce dernier est porteur, tout en mesurant simultanément la facilité avec laquelle elle pourrait perdre tout cela, c’est-à-dire ne plus avoir accès à ces expériences constitutives de son être-là et de ce qui fait aujourd’hui son identité.

- « En fait les photos, j’y ai trop réfléchi et, du coup, j’ai pas répondu. Je me suis dit : je ne peux pas répondre, c’est vraiment trop tourné autour de moi… moi… moi…
- Parce que vous auriez photographié quoi ?
- En fait, si j’avais fait les photos, j’aurais pris une photo de chez moi. Je me mets en haut de la pente [à l’intérieur de sa propriété] et je fais une photo de tout le jardin. C’est ce que j’aime voir au quotidien. C’est donc très perso…
- Oui, mais si c’est ça qui vous importe...
- Mais ça aurait apporté quoi que je prenne la photo de mon jardin… de mon environnement immédiat… parce que pour répondre à vos questions, c’est ça que j’aurais pris, c’est ça qui me parle le plus… […] En fait, je me suis rendue compte que je ne prenais pas mon vélo pour aller me balader dans le village. Parce qu’en fait, quand je veux me détendre, je sors devant ma maison, et c’est tout. Ce paysage-là me suffit… J’ai l’impression que c’est vraiment mon petit périmètre qui est important pour moi. […] Ici, je suis très attachée à la maison et tout… Ce que je me disais justement (parce que vous voyez j’y ai réfléchi à votre truc), c’est que depuis que je suis ici, j’y ai créé ma famille, je veux dire que j’ai eu des enfants, et eux, vous voyez, ils sont d’ici. C’est pour ça que je suis très attachée à cet environnement [montre d’un geste du bras sa maison, son jardin et ce qu’il y a autour]. Mais moi, vous voyez, je ne suis pas d’ici. Je suis la belle-fille, ici. C’est mon mari qui est natif d’ici. Moi, je suis ici depuis 17 ans… Donc ici, tout ce que j’ai créé, c’est lié à ma vie de couple. Mais bon, ça reste chez mon mari malgré tout. Ça reste « chez lui »… surtout que, oui, c’est « chez lui », ici !
- Il le dit ?
- Non il ne le dit pas… pas du tout… On travaille ensemble en plus, et il ne le dit pas du tout.
- Mais vous le vivez comme ça…
- Ah, mais je suis « chez lui »… Cette maison est à lui, pas à moi. Je suis ici « chez lui ». C’est différent des gens qui arrivent et qui font construire. Je travaille « avec » lui et je suis « chez lui »… ça veut dire que tout ce que je vis ici est lié à ce que mon couple marche. S’il ne marche plus, c’est une complète remise en cause. Tout ça, je le per… [long silence, le mot et la phrase restent inachevés] C’est peut-être aussi pour ça que j’ai pris un peu de recul. Mais bon, je peux pas dire, je profite largement de tout. Et puis c’était pas comme ça quand je suis arrivée [elle montre d’un geste et d’un mouvement de tête son jardin à l’enquêteur]. On construit les choses à deux. Mais bon, je sais très bien qu’ici ce n’est pas chez moi. C’est à mon mari et à mes enfants, mais ce n’est pas chez moi. Je m’y sens chez moi, mais sur le papier, ça ne l’est pas… […] Mais là, votre truc… je me suis rendue compte à quel point ma vie était inscrite dans ces murs… En fait, mes marques, c’est ici. […] Et vous voyez, si je devais perdre ça… [long silence]… Voilà, donc je préférais pas répondre… je me suis dit que ça n’avait aucun intérêt pour personne… Ceci dit, je me doutais bien que derrière, c’était intéressant pour vous, mais… je préférais laisser… comment dire… vous comprenez… c’est pas facile… »

61Ainsi que le lecteur aura pu le constater, cet extrait d’enquête est extrêmement riche. Mais il ne s’agit pas d’en proposer ici une analyse détaillée. Ce qu’il convient d’en retenir relativement au propos qui nous intéresse, c’est la manière dont on assiste, à mesure que la discussion avance, à une verbalisation progressive des véritables raisons qui ont conduit cette habitante à la démission et, à cette occasion, à une révélation progressive, à l’enquêteur, de ce qui constitue précisément son rapport à son paysage quotidien… une véritable montée en puissance argumentative qui laisse l’interlocuteur accéder petit à petit à un vécu émotionnel particulièrement intime et aboutit à une forme d’aveu implicite de la prise de conscience (douloureuse ?) à laquelle cette informatrice était parvenue.

62Le fait qu’elle n’ait pas souhaité conduire le processus d’enquête à son terme doit vraisemblablement être compris comme une tentative (désespérée) de sa part, certes d’avoir peut-être voulu garder pour soi, mais aussi et plus sûrement encore de laisser en suspens et ne pas formaliser plus avant ce qui était difficile à admettre, et d’effacer et oublier le plus rapidement possible cette confrontation douloureuse qu’avait occasionnée la réflexion autour de la réalisation du corpus photographique.

63De manière plus appliquée, cet exemple témoigne d’une part de la prise de conscience à laquelle peut amener le retour sur soi nécessaire à la réalisation du corpus photographique, censé argumenter le rapport de l’informateur à son paysage quotidien. Il montre d’autre part à quel point les photos ne comptent pas pour elles-mêmes (dans ce cas précis, elles n’ont d’ailleurs pas été réalisées), mais pour la réflexion préalable que leur réalisation met en œuvre. Cette dernière a suffi, dans le cas présenté ici, à révéler le rapport singulier de cette habitante à son paysage quotidien.

64Il convient cependant de ne pas s’en tenir à ce cas particulier et d’insister sur l’importance de mener malgré tout la démarche à son terme, en réalisant les clichés de manière effective. En effet, l’acte de photographier (au-delà de la seule réflexion sur ce que l’on va photographier) peut également constituer l’occasion d’une prise de conscience, et notamment d’une formalisation du décalage qu’il peut y avoir entre les représentations que l’enquêté a de son paysage quotidien et la réalité visible du paysage en question.

Quand l’enquête photographique aide l’individu à formaliser un décalage entre représentations et réalité visible de son paysage quotidien

65Il s’agit ici d’évoquer le cas particulier de participants qui n’ont pas « réussi » à photographier leur paysage quotidien comme ils le souhaitaient, n’ayant pas (re-)trouvé, dans la matérialité paysagère de leurs lieux de vie, le paysage tel qu’ils se le représentaient. Certains d’entre eux ont alors pris conscience du décalage qu’il pouvait y avoir entre l’image qu’ils en avaient et l’apparence visible du paysage en question. Un simple entretien ne leur aurait vraisemblablement pas permis de mesurer ce décalage. Faute de confrontation directe avec la matérialité paysagère, ils se seraient sans doute contentés d’évoquer le paysage tel que représenté sans se rendre compte que ce dernier ne correspondait pas (ou plus) à l’image qu’ils en avaient, et ce sans que le chercheur puisse nécessairement faire émerger ce hiatus. C’est l’acte de photographier proprement dit qui, dans la mesure où il nécessitait de proposer une matérialisation du paysage en question, a conduit ces habitants à prendre conscience de son caractère virtuel, soit parce qu’il n’existait pas, soit parce qu’il n’existait plus.

66Ceci a notamment été le cas de personnes qui souhaitaient photographier le paysage forestier constitutif de leur quotidien, dans deux communes médocaines où le massif forestier avait subi les affres de la tempête de 1999. Plusieurs cas de figure ont été rencontrés.

De la simple révélation du décalage…

67Lors des entretiens menés dans ces deux communes, plusieurs participants ont admis la gêne occasionnée par la production de clichés qu’ils souhaitaient réaliser pour illustrer le paysage forestier caractéristique de leurs lieux de vie. Leur propos témoignait alors de leur difficulté à photographier ce qu’ils considéraient être une « belle et grande forêt de pins ». Certains d’entre eux ont toutefois cherché à « contourner » cette difficulté. Ils ont alors produit des images qui se contentaient, précisaient-ils, d’« évoquer » le paysage forestier, mais qui ne pouvaient en aucun cas tenir lieu de « représentation » exacte, poursuivaient-ils, dans la mesure où ces clichés ne montraient pas ce qu’ils étaient censés montrer. Cette manière de contourner la difficulté a abouti à des clichés variés et pouvant différer d’une personne à l’autre.

68Une participante débute ainsi l’entretien par une justification du retard qu’elle a pris pour la réalisation du corpus photographique (photo 7) :

Photo 7 : Photo et parole d’habitant (Médoc – Mme D.)

Photo 7 : Photo et parole d’habitant (Médoc – Mme D.)

69Si cette habitante s’est finalement résignée à photographier une forêt de petits pins pour représenter son paysage forestier quotidien, une autre a préféré quant à elle photographier une forêt de pins adultes, mais qu’elle est allée chercher dans une autre commune (en l’occurrence à Lacanau, davantage épargnée par la tempête). Le commentaire qu’elle propose de son cliché est, à ce titre, particulièrement évocateur (photo 8).

Photo 8 : Photo et parole d’habitant (Médoc – Mme S.)

Photo 8 : Photo et parole d’habitant (Médoc – Mme S.)

70D’autres participants ont préféré, en revanche, renoncer tout simplement à la réalisation de leur cliché. Ainsi, un habitant, tout en évoquant la forêt comme un élément constitutif de son paysage quotidien, a expliqué ne pas souhaiter présenter de clichés pour l’illustrer, n’ayant pas réussi à photographier ce qu’il considère être une « belle forêt ».

« J’ai essayé de prendre en photo une forêt jolie et bien entretenue, mais j’en ai pas trouvé de belle… j’ai préféré pas faire de photo… »

71Si, dans ces trois cas, le fait d’avoir à réaliser des photos (et en l’occurrence ici le fait de ne pas être parvenu au résultat escompté) a suffi à révéler le décalage qu’il pouvait y avoir entre la manière dont ces participants se représentent la forêt en tant qu’idéal paysager et la réalité qu’elle leur offre à photographier, aucun n’a cependant mené à son terme, et de manière spontanée, le processus de formalisation de ce décalage.

72En effet, tous ont évoqué l’embarras occasionné par l’impossibilité de réaliser un cliché de forêt de pins adultes, telle qu’elle demeurait dans leurs représentations. Mais malgré la reconnaissance d’une telle situation, aucun d’entre eux n’a réellement formalisé – ou ne l’a mentionné en tant que tel – le processus intellectuel qui les avait conduits à produire et véhiculer la représentation d’un idéal paysager qui n’existe pas ou plus et qui demeure en inadéquation avec la réalité matérielle et visible de leur paysage quotidien. Etait-ce pour s’éviter l’éventuel traumatisme lié au renoncement conscientisé et acté d’une expérience paysagère désormais révolue ? Dans tous les cas, la situation permettait au chercheur d’en prendre acte.

… à sa formalisation

73Pourtant l’enquête photographique a également été l’occasion pour d’autres participants d’effectuer ce cheminement. La réalisation du corpus photographique a alors été à l’origine de la reconnaissance de l’élaboration d’un processus intellectuel qui les avait conduits à ne pas voir ce qu’ils ne voulaient pas voir, mais que l’enquête photographique les avait contraints à finalement accepter. C’est ainsi que l’acte de photographier a permis à certains locuteurs de prendre conscience que la manière dont ils se représentaient leur paysage quotidien ne correspondait pas ou plus à ce qu’il était aujourd’hui. Eux aussi souhaitaient initialement caractériser leur paysage quotidien à travers l’image d’une « grande forêt bien fournie avec de grands et beaux pins ». Mais, en cherchant à immortaliser cette représentation de leur forêt au moyen de leur appareil photographique, ils se sont rendus compte que cette image qu’ils en avaient ne concordait pas ou plus avec la réalité. C’est donc de leur incapacité à dénicher les traces matérielles de cet idéal paysager représenté et, par conséquent, de leur incapacité à le photographier, qu’a émergé la révélation et la formalisation d’une inadéquation entre le paysage tel qu’ils se le représentaient et sa réalité matérielle et visible.

74Voici le cas d’un participant qui a témoigné, de manière directe et introductive (dès le début de l’entretien), de cette inadéquation qu’il a pu découvrir grâce à la réalisation du corpus photographique (photo 9).

Photo 9 : Photo et parole d’habitant (Médoc – M. D.)

Photo 9 : Photo et parole d’habitant (Médoc – M. D.)

75Pour ce participant à l’enquête, la réflexion préalable à la réalisation du corpus photographique, la sélection d’éléments du paysage quotidien à photographier, puis la nécessité de se rendre sur place pour procéder à l’acte proprement dit, lui ont donc permis de prendre conscience et de formaliser le processus d’intellectualisation dont son paysage quotidien faisait l’objet et dont résultaient des représentations qui coïncidaient davantage à un idéal paysager qu’à la réalité visible des matérialités censées le constituer.

76Je souhaiterais enfin, pour conclure sur ce point, présenter un dernier exemple, extrait d’un travail de recherche réalisé sur un autre terrain d’étude (le bassin d’Arcachon). Cet exemple témoigne lui aussi du processus de formalisation, de la part du participant, d’un décalage entre les représentations qu’il a de son paysage et sa réalité matérielle. Il s’agit du cas d’une habitante de la presqu’île du Cap Ferret. La réalisation des photographies a été l’occasion pour elle de prendre conscience de l’inadéquation (voire de la contradiction) entre le paysage tel qu’elle se le représentait (représentation encore très empreinte de ses souvenirs d’enfance) et sa nouvelle réalité matérielle, réalité matérielle qu’elle avoue ne pas avoir voulu voir (photo 10).

Photo 10 : Photo et parole d’habitant (Cap Ferret – Mme B.B.)

Photo 10 : Photo et parole d’habitant (Cap Ferret – Mme B.B.)

77La production du corpus photographique, en obligeant les participants à se rendre dans certains lieux de leur quotidien dans le but précis de les photographier, peut ainsi les contraindre à « voir » ce que certains avaient fait en sorte de ne pas voir jusque-là. Si cela constitue une source d’informations particulièrement riches pour le chercheur qui cherche à comprendre les modalités de fonctionnement du rapport de l’habitant à son paysage quotidien, cela pose malgré tout la question des effets induits (positifs ou négatifs) de la méthode d’enquête (comme toute situation d’enquête par ailleurs). Or, le premier effet induit réside précisément dans le fait que l’enquêté sort de l’enquête informé sur lui-même.

Quand l’enquêté sort de l’enquête informé sur lui-même

78D’une manière générale, les personnes qui ont eu à produire ce portrait photographique de leur paysage quotidien sont ravies de l’avoir fait, indépendamment de l’appréciation qu’elles peuvent avoir de la qualité de leurs photos proprement dite. C’est en effet l’occasion pour chacun d’entrer dans sa « biographie, voyage guidé par l’enquêteur autour d’un thème, et [de prendre] goût au voyage » (Kaufmann, 2007, p. 61). Ainsi, les participants considèrent le plus souvent cette étape comme un moment important qui leur a donné l’occasion de réfléchir à leur rapport à leur paysage quotidien, un moment qui leur a permis « de se poser et d’y penser quand on n’a jamais le temps de le faire ». Et, même si c’est de manière contrainte (pour participer à l’enquête) qu’ils ont conduit cette réflexion et si la démarche a constitué une épreuve pour certains d’entre eux, ils témoignent tous lors de l’entretien, certes plus ou moins explicitement, de la satisfaction éprouvée à parcourir ces lieux qu’ils pratiquent quotidiennement de manière plus machinale, en prenant cette fois le temps de s’y arrêter, de les regarder, de les éprouver et de mieux comprendre ce qui les lie à eux…

« Ça met du piquant, et en même temps on se rend compte que c’est hyper important. »

« Ça m’a donné l’occasion d’aller faire cette photo que je voulais faire depuis déjà longtemps mais que je n’avais jamais pris le temps d’aller faire. »

« Je me suis rendue compte de ce qu’ils représentent vraiment pour moi »

« C’est des questions qu’on n’a pas le temps de se poser, mais pour lesquelles, au fond de nous, on a toutes les réponses… »

« C’est pas toujours facile de se retrouver face à nous-même, c’était pas facile de me retrouver face à moi-même, ma vie… des fois on aimerait mieux ne pas savoir. Mais bon c’est aussi comme ça qu’on avance, je crois… »

79Il est vrai qu’en s’engageant dans une telle démarche, l’individu « entre dans un travail sur lui-même » (Kaufmann, 2007, p. 59), qui fait que l’informateur sort du processus d’enquête informé sur lui-même (Bigando & Tesson, 2011). Si cela renvoie à l’éternelle question des effets induits (positifs ou négatifs) de l’enquête sur l’enquêté lui-même, cela constitue aussi une forme de retour vers le sujet participant, qui trouve là une occasion de donner du sens à ses pratiques, à ses affects, à sa sensibilité, une occasion de saisir, de révéler et d’exprimer son identité en tant qu’habitant (ibid.). C’est l’opportunité pour lui de (re-)construire le fil de ses expériences pour comprendre certes son rapport à son paysage quotidien (ce qui intéresse directement ici le chercheur), mais aussi, au-delà de cette quête, son rapport au monde, son rapport à « son » monde.

  • 27 Je fais ici référence à la notion d’identité narrative de Paul Ricoeur (1985, 1988 : 295-304), qu’i (...)

80Le dispositif d’enquête fonctionne en effet, pour reprendre une image utilisée par Jean-Claude Kaufmann, comme « une chambre d’écho de la situation ordinaire de fabrication de l’identité. Il faut penser à soi et parler de soi, plus profondément, plus précisément, plus explicitement qu’on ne le fait habituellement […] à un niveau de difficulté et de précision qui dépasse de loin ce qu’[on] fait ordinairement » (Kaufmann, 2007, p. 59). C’est un « travail d’explicitation gratifiant et douloureux à la fois » (Bourdieu, 1993, p. 915) qui permet à l’informateur, de mettre en lumière ce « soi, narrativement interprété » (Ricoeur, 1988, p. 304)27. Et puisqu’il est question ici de la notion d’« identité narrative » propre à Paul Ricœur (1985, 1988), poursuivons le trait. L’enquête photographique offre précisément au participant l’occasion d’une double « narrativité ». La réalisation du corpus photographique, qui consiste à sélectionner certains paysages qui jalonnent « ses » lieux de vie, constitue, tout autant que l’entretien proprement dit, l’occasion d’une « narrativité » qui aide l’individu à interpréter et exprimer ce qui fait son identité et en l’occurrence ici son « identité paysagère habitante ». Il en résulte un réel « bonheur d’expression » (Bourdieu, 1993), un bonheur d’avoir à dire (Kaufmann, 2007), de pouvoir montrer (Bigando, 2006, 2008b)…

81En engageant, par le biais d’une production photographique, l’individu dans une démarche réflexive par rapport à lui-même et à l’objet de la recherche (ici, les paysages du quotidien), on parvient ainsi à favoriser un contexte d’expression optimale lors de l’entretien, permettant d’obtenir des informations particulièrement riches qui apportent non seulement à l’enquêteur mais aussi à l’enquêté.

Conclusion : De la recherche à l’action : la production d’une réflexivité habitante pour une participation citoyenne

82C’est ainsi que la technique de la photo elicitation interview s’est avérée particulièrement efficace pour aider chercheur (et participant) à mieux comprendre la relation de l’habitant à son ordinaire paysager :

  • en l’invitant d’une part à s’exprimer sur le paysage dans lequel il vit au quotidien et ce, dans la banalité de sa relation à lui,

  • en lui permettant d’autre part d’expliciter cette relation au paysage qu’il entretient quotidiennement, grâce à l’adoption d’une posture réflexive dont résulte une mise en récit, visuelle puis discursive, à la fois cohérente et construite.

83Par sa capacité à amener l’individu à adopter une telle posture réflexive et la richesse des informations auxquelles elle donne alors accès, cette méthode d’enquête a permis d’éclairer le questionnement scientifique posé dans le cadre de mes travaux de recherche, en faisant émerger la sensibilité paysagère habitante qui en constitue l’objet et en permettant d’en définir les contours.

84Mais cette méthode d’enquête a également témoigné de l’intérêt de s’appuyer sur la subjectivité de l’individu, lorsque cette dernière passe par la réflexivité (Pink, 2001). Fabienne Duteil-Ogata (2007) écrivait à propos de la photo interview : ce qui fait sa faiblesse, c’est aussi ce qui fait sa force. Si la subjectivité peut être considérée par certains comme sa faiblesse, sa force réside précisément dans la posture réflexive que celui qui se prête à son jeu est amené à adopter. Or si ceci s’est montré singulièrement efficace dans le champ de la recherche pour appréhender les paysages du quotidien, cela peut également constituer un ressort particulièrement intéressant pour le champ de l’action.

  • 28 La convention européenne du paysage, votée à Florence en octobre 2000, enjoint ainsi les acteurs pu (...)

85En effet, la technique de la photo elicitation interview, en suscitant la réflexivité de l’individu, le conduit à devenir expert de sa propre expérience, tout en éveillant son intérêt et en stimulant sa participation au processus de production de la recherche. Une potentialité qui peut aussi s’avérer très efficace dans une perspective d’intégration citoyenne dans les dispositifs d’action publique, notamment au regard du contexte socio-politique actuel caractérisé par une montée en puissance des préoccupations politiques et sociales autour de la question des paysages du quotidien et l’injonction de participation citoyenne faite aux acteurs publics28.

86Il s’agirait alors de considérer que la méthode d’enquête présentée ici, fondée sur les principes de la photo elicitation interview, serait à même de favoriser un processus de participation citoyenne, en mobilisant les habitants dans les démarches de concertation liés à l’aménagement de leur territoire de vie. Leur implication serait légitimée par l’expertise habitante qu’ils sont susceptibles de produire à propos de leur vécu paysager quotidien, grâce à la mise en œuvre de cette méthode d’enquête particulière. Soulignons cependant que l’intégration d’une telle démarche dans un processus de participation suppose bien évidemment la présence d’un animateur capable d’utiliser cette méthode sans projeter ses propres opinions sur celles des participants, ce qui nécessite à la fois un savoir-faire et un état d’esprit particulier.

  • 29 Dans cette logique, deux expériences de recherche-action ont été menées en partenariat avec une col (...)

87Ainsi, si la technique de la photo elicitation interview, a été l’occasion d’une interconnexion disciplinaire au niveau scientifique (combinaison d’une méthode issue de l’anthropologie visuelle et d’un objet géographique « les paysages du quotidien »), elle rend également possible une convergence entre la sphère de la recherche et celle de l’action, par sa capacité à nous permettre de mieux appréhender – chercheurs, habitants et acteurs locaux – les paysages du quotidien29. En outre, en concourant à faire émerger un nouveau champ d’expertise (en l’occurrence ici une expertise habitante) susceptible de générer l’intégration de chaque citoyen dans les processus d’action sur les territoires, cette méthode d’enquête serait enfin vecteur d’une production de savoirs partagés.

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Notes

1 Le texte intégral de la convention européenne du paysage est accessible en ligne à l’adresse suivante : http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/176.htm

2 Ce ministère porte actuellement le nom de Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie. Depuis 2007, il s’était successivement intitulé : Ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables (MEDAD), puis Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire (MEEDDAT), ou encore Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer (MEEDDM) et Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement

3 Ces travaux de recherche ont été initiés dans le cadre d’une thèse de Doctorat s’intéressant à la sensibilité au paysage ordinaire des habitants de la grande périphérie bordelaise (Bigando, 2006) et poursuivis ensuite dans le cadre de plusieurs travaux de recherche post-doctoraux.

4 L’étude de la sensibilité paysagère habitante passe par une analyse des manières dont l’individu « éprouve » (sent et ressent) la dimension paysagère de ses lieux de vie, ce qui suppose de prendre en compte ses représentations comme ses pratiques.

5 Anthony Giddens privilégie l’emploi des termes « conscience pratique » et « conscience discursive » à l’emploi des termes que sont l’« inconscient » et le « conscient » proposé par Freud. Aussi l’utilisation du terme « conscient » que fait Anthony Giddens diffère de la manière dont l’emploie Freud.

6 Je fais ici référence au degré d’intentionnalité qui préside à l’acte auquel est sous-tendue l’expérience paysagère (Bigando, 2006). En effet, il existe des moments et des lieux du quotidien associés à une démarche intentionnelle de quête d’expériences paysagères (aller se promener au bord de l’étang voisin, choisir un itinéraire de déplacement plutôt qu’un autre parce que le paysage est plus plaisant, jardiner pour fleurir son jardin, s’installer sur un fauteuil face à sa baie vitrée pour prendre le temps de contempler la forêt derrière sa maison…). D’autres expériences paysagères en revanche relèvent d’actes à l’origine moins voire non intentionnelle (se surprendre à apprécier la qualité paysagère d’un lieu à un moment donné sans l’avoir prévu, par exemple au cours d’un déplacement régulier).

7 Bien que les principaux usages que les chercheurs font de la photo elicitation interview passent par l’utilisation de photographies (comme son nom l’indique), certains ont pu imaginer, selon le même principe, le recours à d’autres types de supports visuels (Harper, 2002). Il peut s’agir de supports visuels fixes, comme des peintures (Cowan, 1999), des dessins et des graffitis, ou bien animés comme des films et des vidéos (Bissel, 2000 ; Banks, 2001).

8 Cet ouvrage, Visual anthropology : photography as a research method, initialement publié en 1967 (Collier, 1967), a été réédité en 1986 dans une version plus complète (Collier and Collier, 1986 [1967]). Un chapitre entier, intitulé « Interviewing with photographs », est consacré à la seule pratique de la photo interview.

9 Cet article est l’occasion, pour l’auteur, de proposer une définition de la photo elicitation interview, un rapide examen de l’histoire de son développement et un état des lieux des recherches où cette méthode occupe une place centrale. On y trouve ainsi notamment référencés les travaux de Gold, Schwartz, Chiozzi, Tucker and Dempsey, Curry and Strauss, Suchar and Rotenberg, Buchanan, Clark-Ibanez etc.

10 Le sociologue français Christian Papinot (2007) dit en effet avoir fait les frais, lors d’une étude menée à Madagascar, de ce qu’il évoque rétrospectivement comme un « malentendu productif ». Les documents photographiques qu’ils présentaient à ces informants et qu’il avait lui-même réalisés « n’étaient pas perçus en tant que tels mais plutôt comme des images hors sujet ».

11 Il ne s’agit pas ici de minimiser le rôle du chercheur (la réussite de l’entreprise dépend de lui et de son savoir-faire). Mais il s’agit plutôt de témoigner de l’importance que peut avoir le fait que la réflexion de l’enquêté soit initiée et en grande partie menée en amont de l’entretien, c’est-à-dire en l’absence du chercheur.

12 Sur ce point, je me suis inspirée de la technique mise en œuvre par Yves Michelin dans le cadre de l’enquête photographique qu’il a menée auprès d’une série d’acteurs de la montagne thiernoise (Michelin, 1998).

13 Si Yves Michelin avait fait le choix, dans les années 1990, de proposer des appareils photos jetables à ses enquêtés, la montée en puissance et la démocratisation de la photographie numérique qui caractérise ce début de XXIème m’a conduit à privilégier l’appareil photo numérique pour la réalisation de mes enquêtes.

14 Je reprends ici l’image du « don » et, dans un point ultérieur de l’argumentaire, du « contre-don » que Laurent Matthey (2005) utilise pour témoigner du rapport et de l’échange entre enquêteur et enquêté lors de la conduite d’un entretien de type compréhensif.

15 Byers (1966, p. 31) avait noté, comme Barthes (1964), cette capacité de la photographie à produire de multiples significations en fonction de celui qui la regarde : « The photograph is not a « message » in the usual sense. It is, instead, the raw material for an infinite number of messages which each viewer can construct for himself ».

16 Des chercheurs appartenant à différentes disciplines se sont également intéressés à ces questions. Ainsi, Alain Corbin (2001), historien, propose une série de réflexions sur le rôle des différents sens dans l’appréhension paysagère. Citons encore le sociologue Jean-François Augoyard (1995) et l’acousticien Jean-Marie Rapin (1994) qui, notamment à partir des travaux de Murray Schafer (1979) à l’origine du néologisme « soundscape », se sont plus particulièrement intéressés à la caractérisation d’un paysage sonore. Jean-Robert Pitte (1983), géographe, a évoqué quant à lui la relation du paysage au sens gustatif. Ces références ne sont bien évidemment pas exhaustives.

17 Les propos présentés en italique et entre guillemets, que ce soit ici ou dans la suite du texte, sont des extraits de discours d’habitants issus des différentes campagnes d’enquête que j’ai pu mener.

18 L’entretien s’effectue en général chez l’enquêté. L’enquêteur s’y rend avec son ordinateur portable, ce qui lui permet non seulement de récupérer les clichés mais aussi de visualiser ensemble les photos directement sur l’écran de l’ordinateur.

19 Je reprends ici les propos de Laurent Matthey (2005) soulignant, à juste titre, qu’il s’agit plus encore d’un « art de faire » qu’un simple « savoir-faire ». J’ajouterai qu’à mon sens cet « art de faire » suppose à la fois « savoir-faire », « savoir-être » et « savoir-obtenir » de la part du chercheur.

20 Je renvoie ici le lecteur à l’article de Laurent Matthey (2005), publié dans la même revue, qui propose une analyse approfondie de cette question de l’intersubjectivité au regard de la situation d’entretien.

21 C’est le temps du « contre-don » (Matthey, 2005) de l’enquêteur à l’enquêté. Le chercheur se met à l’écoute de l’autre, lui offre sa présence, son attention et au final un capital de reconnaissance.

22 Pour ce faire, le jeu du chercheur est de se faire passer pour « un étranger, un anonyme » à qui l’enquêté peut tout dire dans la mesure où il ne le reverra plus et qu’il ne joue aucun rôle dans son réseau de relations, tout en devenant, le temps de l’entretien, aussi proche qu’un familier à qui on puisse tout dire puisqu’il est devenu un intime (Kaufmann, 2007, p. 53).

23 C’est encore une fois à Laurent Matthey que j’emprunte cette image particulièrement évocatrice. Il considère en effet que si le chercheur s’applique à objectiver le plus possible son analyse et minorer au maximum l’introduction de ses propres schèmes et ses inférences, l’analyse du matériau recueilli demeure malgré tout un travail qui n’est pas neutre. Il implique nécessairement le chercheur et la manière dont il va tisser l’intrigue à partir d’une grille d’intelligibilité qui lui est propre (Matthey, 2005, p. 7).

24 Le terme d’« analyse de contenu » n’est pas utilisé ici à dessein. En effet, comme le souligne Jean-Claude Kaufmann, ce terme « a pris un sens très précis, lié davantage à l’utilisation de techniques qu’à la construction de l’objet, qui est […] l’essentiel et le plus délicat à opérer. Le résultat dépend non pas tant du contenu, simple matière première, que de la capacité analytique du chercheur. Le traitement ne consiste pas à simplement extraire ce qui est dans les bandes et à le mettre en ordre. Il prend la forme d’une véritable investigation, approfondie, offensive et imaginative : il faut faire parler les faits, trouver des indices, s’interroger à propos de la moindre phrase » (Kaufmann, 2007, p. 73).

25 Il s’agit de mon terrain de thèse principal : deux communes médocaines situées à la périphérie de l’agglomération bordelaise (Bigando, 2006).

26 Il s’agit ici d’un terrain d’étude lié à la réalisation d’un post-doctorat, en 2010, dans le cadre du programme de recherche « OSQUAR », financé par la Région Aquitaine et portant sur le bassin d’Arcachon.

27 Je fais ici référence à la notion d’identité narrative de Paul Ricoeur (1985, 1988 : 295-304), qu’il définit comme une « sorte d’identité à laquelle un être humain accède grâce à la médiation de la fonction narrative » (Ricoeur, 1988, p. 295). Pour lui en effet, la connaissance de soi n’est qu’interprétation de soi, dont l’interprétation narrative (ou « narrativité ») est une forme. « Le soi ne se connaît pas immédiatement, mais seulement indirectement par le détour de signes culturels de toutes sortes qui s’articulent sur les médiations symboliques qui toujours déjà articulent l’action et, parmi elles, les récits de la vie quotidienne. La médiation narrative souligne ce caractère remarquable de la connaissance de soi d’être une interprétation de soi » (1988, p. 304).

28 La convention européenne du paysage, votée à Florence en octobre 2000, enjoint ainsi les acteurs publics à mieux prendre en considération les attentes des populations habitantes en matière de qualité paysagère de leur cadre de vie dans leurs stratégies d’actions, tout en insistant sur la nécessité d’impliquer davantage les citoyens dans les processus décisionnels. Cette dernière préoccupation se double, en France, de l’injonction de participation citoyenne, affirmée par la loi du 27 février 2002 et relative à la démocratie de proximité. Celle-ci impose notamment, aux porteurs de projets d’aménagement susceptibles d’avoir un impact sur le cadre de vie, d’associer les habitants à leur mise en œuvre.

29 Dans cette logique, deux expériences de recherche-action ont été menées en partenariat avec une collectivité territoriale (la communauté d’agglomération de Pau). La première expérience a été conduite en 2008 sur la commune d’Artigueloutan (Bigando, 2008b). A vocation strictement exploratoire, elle n’a pas été directement associée à un projet d’aménagement particulier. Elle a néanmoins confirmé la richesse de la méthode, sa capacité à mobiliser les habitants, et a suscité l’intérêt des acteurs engagés qui ont décidé de renouveler l’expérience. La seconde expérience a été, pour sa part, directement inscrite dans un processus opérationnel, celui de la valorisation des berges du Gave de Pau, dans le cadre d’un projet de Parc Naturel Urbain que la communauté d’agglomération Pau Pyrénées voulait participatif (Bigando et alii, 2010). Ces deux expériences font actuellement l’objet de la rédaction d’un article spécifique.

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Table des illustrations

Titre Photos 1, 2, 3, 4 : Photos d’habitants (Médoc)
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Titre Photos 5 et 6 : Photos d’habitants (Cap Ferret)
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Titre Photo 7 : Photo et parole d’habitant (Médoc – Mme D.)
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Titre Photo 8 : Photo et parole d’habitant (Médoc – Mme S.)
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Titre Photo 9 : Photo et parole d’habitant (Médoc – M. D.)
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Titre Photo 10 : Photo et parole d’habitant (Cap Ferret – Mme B.B.)
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Pour citer cet article

Référence électronique

Eva Bigando, « De l’usage de la photo elicitation interview pour appréhender les paysages du quotidien : retour sur une méthode productrice d’une réflexivité habitante », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Politique, Culture, Représentations, document 645, mis en ligne le 17 mai 2013, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cybergeo/25919 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cybergeo.25919

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Auteur

Eva Bigando

UMR 5603 SET
Maître de Conférences, Université de Pau et des Pays de l’Adour, France
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