Shaping Ottoman Rule in Yemen, 1872-1919
Notes de la rédaction
Cette thèse a été soutenue sous la direction du Professeur Bernard Haykel. Elle peut être commandée sur le site http://0-www-proquest-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/products_umi/dissertations/diexpress.shtml
Texte intégral
1En s’intéressant de près au fonctionnement du gouvernement ottoman lors de la seconde occupation du Yémen, entre 1872 et 1919, la thèse de Thomas Kühn vise non seulement à combler des lacunes concernant notre connaissance de cette période historique charnière, mais également à apporter un éclairage essentiel à la compréhension de l’histoire contemporaine yéménite, à travers une analyse approfondie de la nature spécifique du colonialisme ottoman et de ses impacts. Par cette étude, l’auteur ambitionne d’éclairer l’histoire du Yémen, l’histoire de l’Empire ottoman tardif et l’histoire du colonialisme aux xixe et xxe siècles.
2La première partie expose le contexte dans lequel s’inscrit la reconquête du sud-ouest de la péninsule Arabique en rappelant les nombreuses transformations auxquels sont soumis la société et l’Empire ottoman à partir des années 1830. La Sublime Porte est en effet sous le coup d’une double menace. L’une exogène, puisque l’empire devient l’une des cibles principales des impérialismes européens. L’autre endogène, puisque le sultan-calife doit faire face à la levée de mouvements nationalismes au sein des territoires de l’empire. C’est d’ailleurs pour mettre un terme à ces menaces que le sultan proclame en 1839 une série de réformes économiques, politiques et sociales, appelée Tanzîmât. La conquête du Yémen qui doit notamment permettre le financement de ces coûteuses réformes sera, rappelle l’auteur, facilitée par l’absence d’État fédérateur et d’entente entre les différentes tribus yéménites. Après vingt-trois années d’occupation relative de la Tihâma et d’une partie du ‘Asîr, les armées ottomanes occupent Sanaa et les hautes terres en 1872.
3La seconde partie tend à démontrer que le volet principal des Tanzîmât a pour but de transformer les populations conquises en de loyaux sujets du sultan-calife. Aux pratiques politiques, juridiques et sociales censées développer le sentiment d’appartenance à l’empire, s’ajoute l’instauration d’institutions homogénéisantes et fondatrices d’un État moderne. Par la mise en œuvre de ces réformes, l’empire cherche aussi à lutter contre les menaces extérieures (européennes) et intérieures (mouvements sécessionnistes) ; la construction de cet État moderne autour de principes fédérateurs devant y apporter un frein. Toutefois, explique l’auteur, la mise en pratique de cette idéologie rencontrera des difficultés. Rapidement, les fonctionnaires ottomans postés au Yémen jugent une application à la lettre des Tanzîmât trop propre à déclencher une vive opposition des populations locales pour ne pas mettre en péril toute action du gouvernement ottoman. D’après leur analyse, en effet, leur application doit être précédée d’une mission civilisatrice. Dans leur esprit, celle-ci aura le mérite de légitimer l’occupation ottomane tout en sortant les populations de leur arriération, car cette arriération, que les fonctionnaires ottomans imputent à des données culturelles et historiques locales, n’est pas, contrairement à ce que posent les idéologies coloniales européennes, dotée d’un caractère éternel. Au contraire, la mise en œuvre des Tanzîmât doit permettre aux Yéménites de se civiliser. Dans un premier temps, «la différence » s’avère essentiellement rhétorique dans la mesure où, jusqu’en 1875, l’idéologie ottomane ne donnera pas lieu à la création d’institutions ou de pratiques spécifiques.
4Dans la troisième partie, consacrée aux années 1875-1889, l’auteur fait état des oppositions croissantes qui interdisent la mise en œuvre des réformes des Tanzîmât tout en imposant aux fonctionnaires ottomans une certaine flexibilité. Celle-ci les amène à adapter leurs pratiques gouvernementales par la prise en compte des formes d’autorité locales. Cette stratégie que Thomas Kühn nomme politic ou rule of difference a pour but immédiat de faire accepter l’occupation ottomane et, à moyen terme, d’établir les bases d’accueil des Tanzîmât au Yémen.
5Dans une quatrième partie, consacrée à l’étude des années 1891-1907, l’auteur met en avant la complexité d’application de la politic of difference dans un contexte de rébellion active. Pour Thomas Kühn, ce ne sont pas tant les interactions entre populations locales et fonctionnaires ottomans qui modèlent la gestion ottomane du Yémen mais plutôt les conflits internes à l’élite bureaucratique ottomane. Cette période marque en effet l’apparition d’un débat d’opposition entre les fonctionnaires partisans de l’intégration des leaders yéménites aux rouages de l’administration locale et ceux qui critiquent les tentatives d’application de cette politic of difference. À ce titre, certains des rapports ottomans de l’époque analysent les révoltes par le prisme de l’affiliation sectaire, jugé par certains comme le facteur essentiel du refus du gouvernement ottoman. Ceci amènera d’ailleurs l’administration ottomane à modifier son mode de gouvernement au Yémen, notamment après les révoltes de 1904-1907.
6Dans un dernier chapitre, Th. Kühn montre comment, après 1907, la politic of difference est reconfigurée pour atteindre sa forme la plus élaborée à l’occasion de la signature du traité de Da‘‘ân en 1911 entre les Ottomans et l’imam Yahy à. En conformité avec les analyses ottomanes sur le sectarisme yéménite, le traité établit logiquement un ordre et une organisation sectaire en divisant la vilayeti entre régions shaféites (sous contrôle ottoman) et zaydites (sous le contrôle de l’imâm).
7Mais dans le même temps, ce traité semble prouver l’échec de la constitution d’une province unie et fidèle au sultan-calife, comme il avait été prévu au départ.
8La conclusion principale que tire Th. Kühn dans cette étude est que la mise en place de la politic of difference apparaît comme étant le facteur déclencheur majeur des résistances dans le ‘Asîr, la Tihâma et les hautes terres dès la fin du xixe siècle. Pour lui, c’est ce mouvement d’opposition qui préside à l’émergence d’un État yéménite indépendant en 1919 après le départ des Ottomans.
9En somme, le lecteur ne pourra que se réjouir de ce travail, fondé pour l’essentiel sur la lecture et l’analyse des sources ottomanes, qui éclaire utilement cette période encore mal connue qu’est la seconde occupation ottomane du Yémen.
Pour citer cet article
Référence électronique
Patrice Chevalier, « Shaping Ottoman Rule in Yemen, 1872-1919 », Chroniques Yéménites [En ligne], 13 | 2006, mis en ligne le 08 octobre 2007, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cy/1399 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cy.1399
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