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Frontières externes et délimitation interne du Yémen

Essai cartographique et bibliographique
Renaud Detalle

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YEM
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Texte intégral

Figure 1. Médaille commémorative frappée après la maort du roi 'Abd al-'Azîz ibn Sa'ûd, Anées 1950.

Figure 1. Médaille commémorative frappée après la maort du roi 'Abd al-'Azîz ibn Sa'ûd, Anées 1950.

1Une décennie entière se sera écoulée entre la proclamation de la République du Yémen, le 22 mai 1990, et la signature d’un traité frontalier portant sur la dernière demi-dyade1 non délimitée avec le Royaume d’Arabie saoudite. L’article qui suit vise moins à rendre compte dans le détail de cette laborieuse identification des limites du territoire national yéménite qu’à commenter les cartes réalisées par Patrice Bueso (IGN) ainsi que deux médailles saoudiennes2 et à fournir des références bibliographiques sur la délimitation des frontières et sa siginifcation dans l’histoire et le droit.

2Le traité frontalier signé le 12 juin 2000 à Djedda entre le Yémen et l’Arabie Saoudite a mis fin à la longue quête des frontières externes des deux pays – si l’on admet que le Yémen a vocation à rester unifié. La péninsule Arabique est ainsi devenue libre de tout contentieux frontalier territorial sur la terre ferme, pour autant que l’Irak accepte sa dyade terrestre et insulaire avec le Koweit. Restent les différends insulaires et maritimes qui opposent les Emirats arabes unis à l’Iran au sujet des îles Tumb et Abu Musa dans le Golfe méridional, d’une part, et Bahrein et Qatar au sujet de la souveraineté sur des îles et îlots placés entre ces deux pays, d’autre part. Le second contentieux a été porté devant la Cour internationale de justice qui a entamé sa procédure en 2000. En revanche, les relations entre les EAU et Iran et, accessoirement, entre les EAU et les autres membres du Conseil de coopération du Golfe semblent destinées à souffrir encore longtemps de l’affaire des îles.

Figure 2. Médaille commémorative frappé lors du centenaire de la prise de Riyad, 1999.

Figure 2. Médaille commémorative frappé lors du centenaire de la prise de Riyad, 1999.

3Cette carte fait référence à des événements historiques qui, pour la plupart, se sont déroulés entre 1990 et 2000, à l’exception de la ligne des prétentions saoudiennes, dite ligne Hamza, qui fut formalisée pour la première fois en 1935 par Fu’âd Hamza, alors responsable de la diplomatie du jeune Royaume d’Arabie saoudite proclamé en 1932. Cette ligne reconnaît évidemment la frontière entre le Royaume saoudien et le Royaume mutawakkilite du Yémen déterminée par le traité signé en 1934 à Ta‘iff3, et bornée par la suite entre le littoral de la mer Rouge et le jabal al-Thâr, au sud de la ville saoudienne de Najrân. Au-delà, vers l’est, les prétentions saoudiennes revenaient à amputer de vastes portions de leur territoire aussi bien le royaume de l’imam Yahyà (1904-1948) que les protectorats occidentaux et orientaux d’Aden, sous contrôle britannique. Cette ligne Hamza qui dépasse les Yémen et se poursuit vers l’est puis remonte vers le nord en direction du Golfe représente les prétentions territoriales de l’Arabie saoudite à cette date.

4Dans les années 1950, après le décès du fondateur du royaume, ‘Abd al-‘Azîz ibn Sa‘ûd, une médaille commémorative est frappée à son effigie avec, au revers, le contour de la péninsule Arabique4. Le Royaume d’Arabie saoudite en occupe presque toute la surface hormis le Yémen imamite réduit à la portion congrue et manifestement centré sur les régions habitées en majorité par les zaydites dont l’imam est le chef spirituel et politique. Le seul autre Etat de la péninsule à apparaître sur cette médaille est le Koweit. Il faut sans doute y voir une expression de reconnaissance pour l’asile offert par les autorités de ce pays au jeune ‘Abd al-‘Azîz ibn Sa‘ûd quand il n’était que l’héritier déchu de la dynastie des Sa‘ûd avant 1902. On peut noter que cela n’empêcha pas l’ingrat de vouloir conquérir le Koweit quelques années plus tard avant de renoncer face aux menaces britanniques. Cette médaille inédite ne semble pas avoir été prise au sérieux par les voisins de l’Arabie saoudite et elle n’est pas mentionnée par les spécialistes5.

5Paradoxalement, c’est une autre médaille saoudienne, frappée et diffusée récemment qui remet en scène la ligne Hamza dont on pouvait croire qu’elle appartenait à un passé lointain6. En 1999, en effet, à l’occasion du passage de la centième année lunaire (1902-1999) depuis la prise de la citadelle de Riyad par le jeune ‘Abd al-‘Azîz ibn Sa‘ûd, le Royaume d’Arabie saoudite a organisé de grandes célébrations comprenant l’ouverture d’un nouveau musée national, des expositions, la publication d’ouvrages d’histoire et la présentation d’un opéra national sur le premier siècle du royaume. Les personnalités saoudiennes et de rares invités étrangers ont reçu en cadeau cette médaille. Celle-ci porte, cette fois, sur l’une de ses faces le contour non plus de la péninsule mais du seul royaume. Le tracé des frontières indique que l’existence des monarchies voisines du royaume, membres comme lui du Conseil de coopération du Golfe (Koweit, Bahrein, Qatar, EAU et Oman), n’est plus contestée. En revanche, le contour des frontières avec la République du Yémen, s’il reconnaît bien la frontière tracée avec le Yémen à Ta‘iff en 1934, se poursuit ensuite à l’est en reprenant le vieux tracé de la ligne Hamza jusqu’à la frontière yéméno-omanaise telle qu’elle a été définie sans difficulté notable par les deux pays en 1992. Ce tracé se retrouve sur nombre de cartes commerciales publiées dans et hors de la région. Même si l’infléchissement au sud-est est plus ou moins marqué, le saillant saoudien vers le sud au niveau du gouvernorat de Ma’rib reste une constante.

6En 1990, la République yéménite avait invité ses deux voisins continentaux, Oman et l’Arabie saoudite, à engager sans délai des négociations pour établir des frontières définitives. La frontière yéméno-omanaise put être tracée et bornée sans difficulté majeure, malgré quelques accusations lancées par la presse d’opposition yéménite de bradage du territoire national. La frontière indiquée ici est celle qui existait jusqu’en 1992. Elle avait été tracée par les autorités coloniales britanniques qui contrôlaient aussi bien le Protectorat oriental d’Aden que le Sultanat d’Oman.

7En ce qui concerne les longues et délicates négociations entre le Yémen et l’Arabie saoudite, on se permettra de renvoyer à la bibliographie7. L’histoire des négociations finales du printemps 2000 reste à écrire. On peut seulement avancer les hypothèses suivantes pour expliquer un règlement qui prit tout le monde par surprise :

  • - La recherche des anciennes bornes érigées après la signature du traité de Ta‘iff, qui était un élément du mémorandum signé entre les deux pays en 1995, a pris fin en 1999 au bout de près de neuf mois de travail discontinu. Cette tâche a été effectuée par des équipes yéménites et saoudiennes travaillant indépendamment, mais au même moment, sur la même section de frontière, chacune pouvant pénétrer jusqu’à 20 kilomètres sur le territoire de l’autre.

  • - Le président-maréchal de la République yéménite, ‘Alî ‘Abd Allâh Sâlih, et le prince héritier d’Arabie saoudite, ‘Abd Allâh, ont développé une relation confiante depuis l’accession de ce dernier aux plus hautes responsabilités, suite à la maladie de son frère le roi Fahd : ils se sont rencontrés à plusieurs reprises en 1999 et 2000 pour discuter de la frontière entre leurs deux pays.

  • - Le temps écoulé depuis la guerre civile yéménite de 1994 et les incidents armés sur l’île de Duwayma durant l’été 1998 a contribué à créer un climat de négociation moins tendu, bien que les incidents armés aient persisté et même continué après la conclusion du traité.

  • - Les prix élevés du pétrole en 1999 et 2000 ont permis au Yémen de se lancer dans un grand programme d’achat d’armes, et des pourparlers étaient en cours au printemps 2000 pour l’achat par Sanaa de missiles de longue portée qui pourraient menacer Riyad. Ce dernier élément est susceptible d’avoir incité la partie saoudienne à faire des concessions pour éviter une menace sur son flanc sud alors que la menace irakienne au nord reste permanente.

8La venue du prince héritier ‘Abd Allâh à Sanaa lors des célébrations du dixième anniversaire de l’unité en mai 2000 a été l’occasion de finaliser les discussions et a précédé ainsi de peu la signature tant attendue du traité à Djedda par les ministres des Affaires étrangères en présence du président yéménite, du prince héritier et de nombreuses personnalités des deux pays. D’après ce traité, le Yémen se contente d’un accord territorial sans aucune contrepartie économique directe, contrairement au traité de 1934. Il renonce à toute revendication sur les provinces perdues en 1934, mais aussi sur les villes de Wâdi‘a et Sharûra plus à l’est. Pourtant, en décembre 2000, le Haut-comité yéméno-saoudien, qui se réunissait pour la première fois depuis 1990, a conclu ses travaux par un engagement saoudien à relancer la coopération bilatérale et par des promesses de financement. Selon des informations non confirmées, cette rencontre aurait aussi été l’occasion de discuter des subsides versés de longue date par les Saoudiens à des personnalités tribales yéménites. Le gouvernement yéménite se serait inquiété des risques que lui ferait encourir la cessation de ces paiements et serait parvenu à un accord à ce sujet sans que rien filtre de précis. En janvier 2001, les deux parties se sont mises d’accord pour lancer la démarcation, confiée à une entreprise allemande et financée par les Saoudiens.

9Le bref épisode du conflit yéméno-érythréen sur les îles de l’archipel des Hunaysh dans le sud de la mer Rouge entre la fin de l’année 1994 et 1995 a déjà suscité une littérature de qualité dont on trouvera les références dans la bibliographie. On peut noter la contribution du Premier ministre yéménite actuel, ‘Abd al-Karîm al-Iryânî, qui donne sa version des événements et se félicite a posteriori du choix fait par les autorités de son pays d’accepter la médiation française de Jean-François Deniau et Francis Gutmann, qui aboutit aux deux sentences arbitrales d’octobre 1998 et de décembre 1999.

10Cette carte indique le tracé définitif des frontières terrestres et maritimes du Yémen, ses postes-frontières terrestres et la date de fixation de la frontière par traité (Yémen-Oman, Yémen-Arabie saoudite) ou sentence arbitrale (Yémen-Erythrée). Les deux sections non tracées sur la carte sont des frontières maritimes simples qui relèvent de la Convention sur le droit de la mer (Yémen-Djibouti et Yémen-Oman).

11Le Yémen est divisé en gouvernorats, eux-mêmes subdivisés en districts. Des représentants du pouvoir central sont nommés à la tête de chacune de ces unités administratives. Avec la mise en place de la décentralisation, ces responsables deviennent présidents ex officio des nouveaux conseils locaux élus à chaque niveau. Ce choix institutionnel a suscité une vive opposition et amené certains à conclure que la décentralisation serait mort-née parce que les conseils locaux restent soumis à un contrôle étroit du pouvoir central. Pourtant, la loi sur les pouvoirs locaux prévoit une dévolution de responsabilités exceptionnellement large aux nouveaux conseils qui fait craindre à beaucoup que l’administration publique ne subisse un traumatisme majeur. Prés de 50 % des fonctionnaires civils sont concentrés dans les trois principales villes du pays (Sanaa, Ta‘izz, Aden). Le promulgation de la loi sur le pouvoir local en janvier 2000 avait été précédée d’une réorganisation territoriale, avec la publication du décret républicain promulguant la loi n° 23 pour l’année 1998. Ce décret poursuivait l’œuvre entamée l’année précédente en redivisant les grands districts hérités de la RPDY (République populaire et démocratique du Yémen) en deux, trois ou quatre nouveaux districts, dont les centres restent peu ou mal équipés en bureaux capables d’accueillir les directions locales des différents ministères ou même, parfois, le directeur de district, représentant du pouvoir central, qui en est réduit à demander l’hospitalité à un poste de police.

12En 1998, deux nouveaux gouvernorats ont été créés, qui répondaient à un double objectif : rapprocher les centres des gouvernorats de leurs habitants et effacer symboliquement la trace de l’ancienne division entre la RAY (République arabe du Yémen) et la RPDY en redessinant les limites des gouvernorats frontaliers. Le premier tire son nom de son centre, la ville de ‘Amrân, située à environ 50 km au nord de Sanaa. La ville de Dâli‘, ancienne ville frontière de la RPDY, devient le centre d’un second gouvenorat regroupant des districts appartenant précédemment aux deux pays. Le gouvernorat de Ta‘izz, le plus peuplé du pays, perd plusieurs districts au profit du nouveau gouvernorat de Dâli‘ et du gouvernorat de Lahj. Le pays compte désormais vingt gouvernorats.

13Le gouvernement souhaitait créer un gouvernorat dans l’intérieur du Hadramawt. Cela se justifiait facilement étant donné les longues distances, plusieurs centaines de kilomètres, qui séparent les dunes du Rub‘ al-Khâlî, dans les confins nord du Hadramawt, et de la capitale, Mukalla, située sur la côte. Le projet a cependant suscité une vive opposition de la population locale. Cette dernière l’a interprété comme une tentative d’affaiblir un grand gouvernorat dont la forte identité se nourrit justement de la combinaison entre l’ouverture extérieure et l’émigration, d’une part, et la vigueur des traditions culturelles et religieuses de l’intérieur du wâdî Hadramawt, d’autre part. Incapable ou peu désireux d’affronter la population soudée de cette région, souvent suspectée d’entretenir des velléités séparatistes, le gouvernement a préféré contourner la résistance en maintenant l’unité territoriale du gouvernorat tout en nommant à Say’ûn, la principale ville du wâdî, un vice-gouverneur. Son titre complet est « vice-gouverneur pour les affaires du wâdî et du désert », c’est-à-dire la moitié nord du gouvernorat. Cette division déguisée, qui ménage les susceptibilités locales, est confirmée par la décision de faire élire non pas un mais deux conseils de gouvernorat lors des élections locales du 20 février 2001.

14Le gouvernorat de Hajja, qui occupe l’angle nord-ouest du pays, bénéficie également d’un arrangement institutionnel ad hoc. Occupant la partie nord de la plaine côtière de la Tihâma et les hauteurs de la chaîne occidentale, ce gouvernorat compte aussi un vice-gouverneur résident à Harad, ville frontalière de la côte, qui est en charge des affaires de la plaine côtière alors que le gouverneur réside à Hajja. La désignation de ce responsable de la partie côtière du gouvernorat révèle indirectement le contraste entre les populations du littoral et celles des montagnes, dont Marc Lavergne a décrit les conséquences, et que l’on retrouve aussi en Erythrée8. Toutefois, le gouvernorat de Hajja n’a droit qu’à un seul conseil local.

15Dans la plaine de la Tihâma, il est également question de créer à l’avenir un troisième nouveau gouvernorat centré sur la ville de Zabîd, ancienne capitale de la dynastie rasûlide, inscrite sur la liste du patrimoine mondial en danger de l’UNESCO. La création du gouvernorat de Zabîd permettrait de retirer au gouvernorat de Ta‘izz, au relief surtout montagneux, ses districts côtiers et, en particulier, le port d’al-Makhâ’ qui est spécialisé dans les importations de bétail sur pied en provenance de la Corne de l’Afrique et qui pâtit de la préférence accordée aux ports d’al-Hudayda et d’Aden par les autorités nationales. A Zabîd, un terrain a déjà été choisi pour construire le futur siège du gouvernorat alors que, comme presque toutes les belles demeures aux décors de brique chaulée, l’ancienne citadelle, qui pourrait être convertie en nouveau siège du pouvoir local, se dégrade chaque année un peu plus dans l’indifférence des autorités yéménites en charge du patrimoine.

16Dernière modification introduite par le décret de 1998, la grande île de Socotra (près de 50 000 habitants) et les proches îlots sont rattachés au gouvernorat du Hadramawt au lieu de celui d’Aden dont ils dépendaient depuis 1967. Ces solutions administratives ne tiennent compte ni l’une ni l’autre de l’histoire puisque Socotra relevait dans le passé du sultan d’al-Mahra, dont l’ancien territoire constitue le gouvernorat le plus oriental du pays, le long de la frontière avec Oman. Comme Aden, l’île de Socotra est depuis peu devenue zone franche, ce qui est une façon de reconnaître que ses habitants ont autant, sinon plus, de relations commerciales et familiales avec les EAU qu’avec le Yémen.

17Au début de l’année 2001, le découpage interne est presque achevé même si la promulgation d’un décret créant de nouveaux districts urbains à Sanaa et Aden ainsi que dans quelques gouvernorats ruraux tarde encore9. Certaines tribus du gouvernorat d’al-Baydâ’, qui refusent de devenir minoritaires dans ces nouveaux districts, ont manifesté violemment leur refus et fait appel au président de la république pour qu’il révise le projet du gouvernement. Si ce projet est accepté, le Yémen devrait compter environ 322 districts. On aura une idée des difficultés que devra surmonter le processus de décentralisation entamé après l’élection des conseils locaux le 20 février 2001 si l’on sait qu’un grand nombre des centres de district ne sont pas accessibles par route asphaltée, ne sont pas joignables par téléphone, ne disposent pas d’une agence bancaire pour le dépôt des fonds des budgets locaux et n’ont parfois pas d’autre lieu de réunion que le domicile du principal cheikh de tribu, où ses invités consomment chaque après-midi le qât. Dans ces conditions, il faudra de nombreuses années avant que chaque district accueille l’un des bâtiments aux plans standardisés que les fonctionnaires du ministère de l’Administration locale rêvent de construire partout sans se demander, il est vrai, si leur démarche uniformisatrice est le meilleur moyen de montrer que le pouvoir central se préoccupe désormais de respecter la diversité des styles architecturaux régionaux.

18L’effort consenti en matière de délimitation de l’espace s’est accompagné ces dernières années d’un effort de connaissance du pays, de sa population et de son économie par le biais de grandes enquêtes statistiques : recensement de la population en 1994, enquête sur l’industrie en 1996, recensement éducatif et enquête sur le budget des ménages en 1998, enquête sur la pauvreté en 1999, recensement agricole en 2001 et surtout entreprise de cartographie thématique des gouvernorats et districts au cours de laquelle les infatigables enquêteurs de l’Office Statistique se sont rendus dans les moindre hameaux munis de GPS afin de mettre à jour leurs cartes du pays. Aussi intense soit-il, l’effort de comptage et de dénombrement s’effectue sans respecter une démarche logique, car il est soumis à des contraintes externes. En effet, son financement, souvent difficile à mobiliser, dépend presque entièrement des principaux bailleurs de fonds du Yémen (PNUD, Banque mondiale, Commission européenne, coopérations néerlandaise et allemande). Il n’en reste pas moins que le parallélisme observable entre la définition ou la révision des limites externes et internes du Yémen, d’une part, et la collecte de tant de données statistiques, d’autre part, nous rappelle que l’accumulation de savoirs bureaucratiques par ces « sciences de l’Etat » constitue une étape indispensable dans l’édification des Etats modernes ainsi qu’on a pu le constater en Europe comme en Chine10. Bien plus que les nouveaux bâtiments publics qui s’élèvent à travers le pays, ce phénomène signale l’emprise croissante de l’Etat sur la population d’un territoire désormais défini, même si, pour citer Max Weber, son « monopole de la violence légitime » de même que sa capacité à rendre la justice et à lever l’impôt est régulièrement battue en brèche.

19A titre anecdotique, il faut signaler que la première présentation officielle de la carte des nouveaux gouvernorats et de la frontière définitive entre le Yémen et l’Arabie saoudite est présentée à la télévision en janvier 2001, en arrière-plan d’émissions civiques. Elle se trouve aussi au dos d’une brochure largement diffusée au début de l’année 2001 qui présente le texte de la loi sur le pouvoir local et les décrets d’application en vue du référendum sur la révision constitutionnelle et des élections locales. La carte consacre ainsi l’avènement d’une nouvelle période de l’histoire du Yémen : au moment où son territoire est désormais « fini », ses dirigeants se sentent suffisamment forts pour entreprendre une décentralisation à hauts risques, alors que l’Etat peine encore à faire respecter son autorité. Comme ailleurs dans le monde, la cartographie définitive du territoire national, son « corps spatial » (geo-body), et sa déclinaison dans les manuels scolaires, l’iconographie politico-partisane (caricatures, affiches, fresques) ou les cartes produites hors du Yémen nourriront et serviront de support à l’imaginaire national du Yémen uni11. Un domaine de recherche nouveau s’ouvre pour quiconque s’intéresse à l’identité nationale yéménite.

20Cette carte présente le réseau routier principal, les ports et aéroports civils du Yémen. Le volume des importations indiqué pour les ports et pour Sanaa (fret aérien) confirme paradoxalement la faiblesse du commerce transfrontalier actuel avec l’Arabie saoudite, dont le volume est trop bas pour pouvoir apparaître. On trouvera une analyse des échanges yéméno-saoudiens, y compris de leur composante illégale (drogues, armes…), dans l’ouvrage collectif consacré au contentieux frontalier entre les deux pays12. En ce qui concerne Oman, le commerce légal est encore plus insignifiant, ce qui peut s’expliquer par le fait que la route du côté yéménite n’est pas encore complètement asphaltée. En revanche, la contrebande de produits manufacturés (véhicules, pièces détachées, matériel électronique, intrants agricoles, médicaments…) en provenance de Dubaï y est intense, à tel point que les commerçants de cette ville concluent des contrats de vente portant sur des biens qui sont introduits en contrebande au Yémen depuis Oman et « livrables à Ma’rib » à destination de tout le pays, après avoir traversé les gouvernorats d’al-Mahra et du Hadramawt.

21Le port d’Aden, qui a retrouvé son statut de port franc comme à l’époque de la colonisation britannique, est censé devenir un concurrent sérieux de Dubaï et du nouveau port de Salala en Oman dans le domaine du transbordement de conteneurs, d’abord, puis grâce à la création d’une zone industrielle en bord de mer. Malgré l’assistance du port de Singapour et les aides techniques et financières de la Banque mondiale et de la Commission européenne, ces objectifs seront difficiles à atteindre, tant les responsables et l’environnement (propriété des terrains, protections juridiques, régime fiscal, qualification de la main d’œuvre locale) ne répondent pas aux exigences de la plupart des investisseurs et des compagnies de navigation. L’attentat contre le destroyer américain Cole en octobre 2000 n’a fait qu’aggraver la handicap d’Aden vis-à-vis de ses concurrents. Djibouti s’y est ajoutée depuis peu, d’autant plus efficacement que ce port bénéficie des nouvelles méthodes de gestion introduites par ses partenaires de Dubaï. La capitale économique et commerciale du Yémen risque donc de devoir attendre encore longtemps avant de redevenir le port au trafic intense et la ville bouillonnante d’activités et d’innovations qu’elle fut dans la période 1930-1960.

22Le réseau routier représenté sur la carte devrait changer dans les années à venir avec la décision prise, suite au traité de Djedda en juin 2000, de lancer la construction d’une ceinture routière stratégique qui permettra à terme de faire le tour du Yémen sur des routes asphaltées. La route Safar-Hadramawt, qui relie directement Sanaa au Hadramawt via Ma’rib, en constitue le seul tronçon existant ; celui-ci devrait être relié par une route au poste frontière de Wâdi‘a13. Une route à construire à la bordure sud du désert du Rub‘ al-Khâlî devrait longer le reste de la nouvelle frontière vers Oman puis redescendre vers la mer. La construction du tronçon non asphalté de la route côtière dans le gouvernorat d’al-Mahra (Sayhût-Nashtûn) sera attribuée d’ici peu à un entrepreneur avec des financements du Fonds arabe de développement économique et social. Cette route comportera un long tunnel pour passer sous le massif du Ra’s Fartak. Entre Harad et le nord du gouvernorat de Sa‘da, le long de la frontière délimitée en 1934, la piste existante sera également asphaltée. La décision de construire cette ceinture stratégique en donnant la priorité aux confins nord du pays entraîne un retard inévitable dans la construction d’une autre route périphérique, la route côtière reliant Shuqra, dans le gouvernorat d’Abyan, à Rudum dans le gouvernorat de Shabwa.

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Bibliographie

La bibliographie vise à l’exhaustivité pour le Yémen. Il manque inévitablement des publications saoudiennes et les sources érythréennes et omanaises pour lesquelles l’accès est limité au Yémen.

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Notes

1 Section de frontière entre deux pays, terrestre et maritime.
2 La cartographie de cet essai a été réalisée par Patrice Bueso avec l’assistance de Raphaëlle Bueso et Renaud Detalle. Les données utilisées pour la confection de ces cartes proviennent du Survey Authority et de la Central Statistical Organization.
3 Ta‘iff est un village du Yémen qui se trouve dans l’actuel gouvernorat d’al-Hudayda, à ne pas confondre avec la ville homonyme en Arabie saoudite
4 Figure 1.
5 R. Schofield (éd.), 1994 ; J. C. Wilkinson, 1991.
6 Figure 2.
7 R. Detalle, 2000 ; ministère de l’Information de la République du Yémen, 2000.
8 M. Lavergne, 1997.
9 L’article était déjà achevé quand a été promulgué le décret no3 (2001) créant 56 nouveaux districts. Le total est désormais de 326 districts pour l’ensemble du pays (Note de l’éditeur).
10 Voir P. Bourdieu, 2000.
11 Voir B. Anderson 1991 et T. Winichakul, 1994.
12 R. Detalle (éd.), 2000.
13 Voir carte 2.
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Table des illustrations

Titre Figure 1. Médaille commémorative frappée après la maort du roi 'Abd al-'Azîz ibn Sa'ûd, Anées 1950.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cy/docannexe/image/13/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 24k
Titre Figure 2. Médaille commémorative frappé lors du centenaire de la prise de Riyad, 1999.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cy/docannexe/image/13/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 20k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Renaud Detalle, « Frontières externes et délimitation interne du Yémen »Chroniques Yéménites [En ligne], 8 | 2000, mis en ligne le 06 septembre 2007, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cy/13 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cy.13

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