1« Discipline scientifique récente, partie intégrante de l’archéologie, l’archéologie préventive intervient lorsqu’une opération d’aménagement peut porter atteinte à des éléments du patrimoine. C’est pourquoi les aménageurs intègrent dans leur calendrier le temps de détection, de fouille, d’étude, voire d’éventuelle sauvegarde des vestiges mis au jour »1.
2C’est en ces termes qu’est définie l’archéologie préventive en France par l’Institut National des Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) qui a pour mission d’étudier des vestiges du passé sur le territoire français préalablement à des destructions partielles ou totales, mais définitives, provoquées par des aménagements en zones rurales et urbaines. Apparue pendant les années 1970 en France, l’archéologie préventive n’a cessé de se développer au rythme des chantiers de construction de grande ampleur sur tout le territoire. C'est lors de ces chantiers que des sites archéologiques ont été découverts et sauvés avant qu'ils ne disparaissent à jamais d’une histoire commune à l’humanité. L’archéologie préventive intervient dans différentes phases de projets et réalisations d’aménagement, rendant les opérations distinctes dans leurs objectifs et leur mise en place. On peut classer les types d’opérations en quatre catégories.
3Premièrement, l’intervention consultative préliminaire qui, dans le cadre d’une expertise, permet aux consultants de délivrer un avis sur les impacts que provoque une opération de constructions (autoroute, pipeline, usine, etc.) sur le patrimoine archéologique. Une liste de sites archéologiques à protéger ou à fouiller est alors proposée. Or, le processus de hiérarchisation du patrimoine favorise la préservation de sites considérés comme riches esthétiquement au détriment de sites certes moins impressionnants mais d’un grand intérêt scientifique. En outre, les consultants (relevant des domaines de la culture, de la préservation du patrimoine ou de l’environnement) n’ont finalement qu’un rôle consultatif puisqu’il il est fréquent que leurs avis ne soient pas suivis.
4Deuxièmement, l’intérêt de l’archéologie préventive s’affirme pleinement dans le cadre d’un projet d’aménagement déjà constitué, à l’occasion duquel les sites potentiels seront irrémédiablement détruits par les travaux de construction. Un premier diagnostic est alors effectué, sous la forme de prospections sur le terrain afin de rechercher des endroits pouvant livrer des sites archéologiques (analyse de photos aériennes, de photos satellitaires, de la carte géologique, etc.). Ces études préliminaires conduisent en principe à la fouille de sauvetage des sites qui a priori ne seront pas sauvegardés (sauf cas exceptionnel), afin de documenter scientifiquement les données relatives aux vestiges d’occupations humaines.
5Il existe un troisième type d’intervention qui se déroule après un pillage, une tentative de pillage, un début de destruction intentionnelle ou non de site (vandalisme, accident, catastrophe naturelle, etc.). Il s’agit dans ce cas de fouilles de sauvetage au caractère très urgent et particulièrement sensible.
6Enfin, des vestiges archéologiques peuvent être mis au jour par hasard au cours de travaux d’aménagements urbains. Des fouilles de sauvetage sont alors entreprises, à condition bien sûr que les archéologues en soient informés par la presse, par les aménageurs eux-mêmes, par les organisations gouvernementales ou par les habitants.
7Dans tous les cas, la loi locale punit la destruction de site. L’État, les aménageurs et les archéologues sont donc responsables de la préservation des sites et/ou de la documentation des vestiges archéologiques en danger. Chaque fois, le facteur temps est primordial. Dès lors, le travail se fait le plus souvent dans une certaine urgence, sous la pression des constructions à venir ou des pillards qui continuent à détruire et voler les vestiges du passé.
8Les opérations archéologiques préventives constituent également pour les compagnies privées un certain avantage consistant à faire valoir leur participation à la préservation patrimoniale ou environnementale. Elles ne peuvent ainsi être tenues responsables de destruction et véhiculent une bonne image de respect de la loi et de l’éthique. Le but de l’archéologie préventive dans ce contexte n’est certainement pas d’empêcher le développement des infrastructures d’un pays mais d’apporter de nouvelles données scientifiques et d’éviter les désastres qu’il peut causer sur le patrimoine. La prévention devient donc une obligation présentant des avantages pour tous les acteurs, qu’ils soient aménageurs, archéologues ou institutionnels. À la lumière des expériences passées et actuelles en France, nous tenterons ici d’évaluer la situation de cette science du patrimoine qui, au Yémen, est d’actualité.
9L’archéologie préventive en France est un sujet de conflits entre les professionnels du passé et les aménageurs, le plus souvent soutenus par les législateurs. La mise en place de l’Institut National pour les Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) en 2001, après l’expérience de l’AFAN (l’Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales) a donné lieu à une reformulation de la loi, mais paradoxalement, l’INRAP en question ne possède pas le monopole des fouilles archéologiques nationales bien que les diagnostics lui soient systématiquement et obligatoirement alloués. Les collectivités territoriales ont désormais la possibilité d’effectuer des fouilles dans leur région de compétence.
10Ainsi, l’État a dû choisir entre structure publique et système privé. L’action collective des archéologues a permis de mettre en place un système d’institut public, contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des pays européens (Italie, Grande-Bretagne…) où la recherche fondamentale est souvent mise à mal par les pressions du secteur privé. Si les entreprises privées, d’après un système qui serait mis en place par l’État français, ont le choix entre différentes sociétés archéologiques (privées, semi-privées ou publiques), il va sans dire que le choix s’orientera plus facilement vers le gain de temps et d’argent, au détriment d’une recherche faite selon un cahier des charges précis inhérent aux sciences de l’archéologie préventive.
11La responsabilité appartient à la fois aux archéologues de défendre ce patrimoine dans un intérêt scientifique, à l’État qui doit protéger le patrimoine national pour les générations futures, et aux entreprises privées et publiques qui doivent signaler tous travaux et toutes découvertes archéologiques. Dans ce sens, l’État applique le concept « aménageur/destructeur = payeur », emprunté à la politique écologique de développement durable : « pollueur = payeur ».
12Ainsi, le fonctionnement de l’organisation de l’archéologie préventive sur une structure de droit privé, soumise aux règles du marché, d’intérêt particuliers et du profit, ne permet pas de faire appliquer le respect du bien commun que nécessite la protection du patrimoine de l’humanité. De nombreux scandales de destruction de sites patrimoniaux ont eu lieu en France avec l’accord de représentants de l’État ou par simple « vandalisme » volontaire des aménageurs qui préfèrent payer une lourde amende plutôt que de subir un retard sur leur date finale de projet.
13À travers cet exemple français, mais plus largement européen, il est pertinent d’essayer de percevoir quelle direction prend le début de l’archéologie préventive au Yémen.
14La modernisation de l’infrastructure du Yémen, qui naturellement comprend divers projets d’aménagement - ponts et chaussées, barrages, ports, usines de désalinisation, oléoducs, gazoducs et constructions diverses - présente une occasion unique pour la découverte de sites archéologiques. En revanche, ces projets mettent ces sites en danger.
15La loi yéménite n° 21 de 1994 sur les antiquités apporte les dispositions nécessaires à la mise en œuvre des travaux archéologiques mais comporte quelques lacunes, notamment en ce qui concerne la protection et l’étude préventive des sites.
16Est considéré comme vestige archéologique, tout vestige ayant plus de 200 ans, qu’il soit sur ou sous le sol. Un organisme d’état, le GOAM (General Organization for Antiquities and Museums) chargé des antiquités et des vestiges mobiliers et immobiliers, doit en assurer la protection, la sauvegarde, l’inventaire et en diffuser la connaissance auprès du grand public. Ces vestiges archéologiques sont la propriété de l’État (articles 1 à 5). Ils ne sont en aucun cas la propriété du découvreur ou du propriétaire du terrain, les opérations de fouille sont également réglementées ; elles doivent être effectuées par des archéologues professionnels (articles 6 à 9). L’article 12 stipule très clairement qu’au moment de travaux d’aménagement du territoire, l’État doit protéger les bâtiments et les vestiges archéologiques anciens. Il y est aussi mentionné que l’aménageur doit tenir compte de ces vestiges dans le projet de construction. L’article suivant oblige tout promoteur à informer le GOAM sur son projet de construction, le GOAM ayant autorité pour arrêter tout aménagement qui pourrait avoir un effet négatif sur des vestiges archéologiques. Les articles 23 à 28 stipulent que seul le GOAM est habilité à faire des fouilles au Yémen. En accord avec celui-ci, des missions étrangères ou des instituts de recherches yéménites peuvent également être autorisés à travailler. Enfin, le trafic d’antiquités est sévèrement puni (articles 29 à 35 pour le trafic et articles 36 à 42 pour les sanctions applicables), jusqu’à cinq années d’emprisonnement et de fortes amendes.
17La notion d’archéologie préventive n’est toutefois pas encore clairement définie. Le cadre légal actuellement en vigueur permet certes d’agir de manière préventive dans le cadre d’un projet de construction. Selon la loi, l’étude de sites détruits ou en cours de destruction peut aussi être réalisée lors de fouilles de sauvetage, mais il n’existe encore aucune structure nationale ou régionale favorable à une institutionnalisation de l’archéologie préventive.
18De nombreux travaux archéologiques de sauvetage et de préservation de patrimoine en danger ont été réalisés au cours de ces dernières années. Nous présentons ci-après les opérations les plus récentes qui, pour la plupart, ont fait l’objet d’une publication.
19Au Yémen, la préhistoire constitue une période au potentiel scientifique important, encore mal connue (Crassard & Khalidî 2005) et l’époque classique sudarabique est le berceau d'une civilisation pluriséculaire. Ainsi les vestiges du passé profitent d’un statut privilégié dans la conscience collective. L’identité yéménite dans son ensemble s’est forgée en partie sur une image de rassemblement : l’époque sudarabique et la légendaire reine de Saba. Les vestiges de l’époque islamique renforcent par ailleurs l’identité religieuse dans la perception générale qu’ont les Yéménites de leurs racines. Les interventions de sauvetage effectuées jusqu’à présent illustrent la prise de conscience des pouvoirs publics et des scientifiques de la nécessité de sauver des monuments et des données en voie de disparition. De nombreuses fouilles et prospections ont été entreprises dans ce cadre depuis une vingtaine d’années.
20Un premier exemple d’intervention consultative pour une évaluation préliminaire, encore rare au Yémen, est celui du projet de l’autoroute côtière inter-arabique, qui longerait toutes les côtes du Yémen : la mer Rouge, le golfe d’Aden et l’océan Indien. Il est prévu que cette autoroute aille du nord de la Tihâma yéménite (ville de Mîdî) jusqu’au Sultanat d’Oman. Le long de la plaine côtière de la Tihâma, le projet comprendrait la construction des routes d’accès joignant l’autoroute côtière au réseau interne. L’autoroute serait divisée en tronçons, chacun constituerait « une parcelle faisant l’objet de contrats » avec une entreprise différente qui se chargerait de faire les plans et de désigner les spécifications du dit tronçon. Les plans seraient alors remis aux entrepreneurs responsables de la construction des chaussées.
21La portion de l’autoroute reliant Hodeïda à Khawkha, ainsi que les routes d’accès reliant cette dernière à l’intérieur du pays, ont nécessité une intervention d’urgence en 2003 : les plans étaient terminés et la construction était sur le point de commencer, avant même d’avoir été soumis à une évaluation environnementale et archéologique, comme l’exigent les lois yéménites.2 L’alignement de cette route met en péril des sites préhistoriques dont les plus importants sont al-Midamman (Keall 2000, 2004 ; Khalidî 2006), al-Shumah (Cattani et al. 2002 ; Tosi 1985, 1986) et wâdî Rima’ (Khalidî 2005, 2006), ainsi que des sites et monuments islamiques, comme Fâza, Kitf al-Ahmar et Ghulayfiqa (Ciuk & Keall 1996 ; Keall 1999 ; Stone 1985). Cette région comprend également de riches écosystèmes dont certains sont en voie de disparition.
22Une équipe du GOAM, des ministères de la Culture, du Tourisme et de l’Environnement et de l’Agence de Protection Environnementale (EPA) est intervenue auprès des entreprises en question et a négocié un projet d’évaluation de l’impact archéologique et environnementale avec les ingénieurs. Cette évaluation archéologique, financée par le CEC3, était dirigée par L. Khalidî en coopération avec Ahmad al-Mus‘abî, représentant du GOAM à Zabîd. L’expertise a été effectuée à partir de sites déjà connus ; une documentation a été également constituée sur les sites inédits situés tout au long de la route principale et des routes d’accès. Une liste de sites prioritaires a été établie. Grâce à celle-ci, les pouvoirs publics ont accepté de modifier le tracé de l’autoroute menaçant des sites archéologiques importants. La protection de certains sites a été mise en priorité, sur la base du degré d’impact des travaux sur ces sites, sur leur état de préservation, et dans une moindre mesure, sur leur étendue et leur date d’occupation. Un rapport a été présenté, proposant des alternatives à l’alignement de l’autoroute qui éviteraient la destruction des sites et des monuments les plus importants.
23L’effort conjoint déployé par tous les ministères yéménites et les experts qui ont pris part à ce projet a suscité une prise de conscience de l’importance et de la nécessité d’appliquer les lois yéménites en vigueur. Le projet de construction de la portion de l’autoroute Hodeïda-Mîdî, où les ingénieurs du RRG4 ont pris l’initiative de financer ces évaluations en témoigne. L’une d’entre d’elle, dirigée par L. Khalidî et Ahmad al-Mus‘abî (GOAM) en 2004, a permis de constituer la documentation des sites et des monuments archéologiques sur le tracé de l’autoroute, ainsi qu’à 500 m de part et d’autre de celle-ci. Trente-huit sites ont été répertoriés, dont dix-sept situés exactement sur le tracé. La plupart d’entre eux dateraient de la préhistoire récente.
24À la lumière de ces deux projets, il nous paraît important que la phase de rédaction d’un avis consultatif soit suivie de travaux dans le cadre élargi de l’archéologie préventive. Ainsi, une fois le projet défini, puis soumis à une consultation d’experts du patrimoine et de l’environnement, le suivi comprendra la constitution d’une documentation exhaustive et la mise en place de fouilles. Pour ce faire, les entreprises auront l’obligation légale de s’assurer que les sites importants risquant d’être affectés par leurs projets seront sauvegardés et/ou fouillés. Par ailleurs, elles devront garantir le financement de cette étude préliminaire.
25Le projet de construction d’un gazoduc et d’une usine de la compagnie gazière Yemen LNG est un bon exemple d’une opération archéologique préventive dans le cadre d’un projet d’aménagement déjà constitué5.
26Fin 2005, une prospection préventive a été réalisée le long du tracé d’un futur gazoduc reliant les gisements de Safir, jusqu’au projet d’usine à Balihâf, sur la côte de la mer d’Arabie. Ce projet a été initié par le CEFAS (Centre Français d’Archéologie et de Sciences Sociales de Sanaa) et le DAI (Deutsches Archäologisches Institut, Sanaa). Les informations collectées sur le terrain ont permis de compléter l’étude préliminaire de photos aériennes et satellitaires. Une équipe dirigée par R. Crassard et H. Hitgen accompagnés de représentants du GOAM a suivi le tracé du gazoduc pendant trois semaines. Près de deux cents structures archéologiques ont été identifiées et documentées. Plusieurs tombes de l'âge du bronze ont été relevées, photographiées et étudiées. Un site de l'époque sudarabique (Ier millénaire av. J.-C.), Darbas, a été repéré aux abords de l’extrémité nord-est du wâdî Jirdân. Deux campagnes de fouilles ont ainsi été conduites en 2006 afin de documenter au maximum les tombes de l’âge du bronze et le système d’irrigation de Darbas, directement menacés par les travaux de construction à venir. Toutes ces opérations ont été financées par Yemen LNG, sous la responsabilité scientifique du CEFAS et du DAI, en coopération avec le GOAM.
27Les actes de pillage et de destruction intentionnelle existent malheureusement aussi au Yémen, comme dans la plupart des pays du monde. La région du Jawf connaît de graves problèmes de pillage systématique sur des sites archéologiques d’une grande valeur scientifique, mais aussi esthétique, attirant marchands d’art et trafiquants. Une fouille de sauvetage, en partie financée par l'autorité yéménite, a eu lieu sur l’emplacement d'un temple du site d'al-Sawdâ’.
28C’est à la suite d’une demande formulée par le GOAM qu’une prospection dans la région du Jawf a été organisée au mois de mars 2004. L’objectif était d’effectuer un état des lieux des sites archéologiques et de déterminer leur niveau de destruction et de pillage. Le constat fut catastrophique. Tous les sites du Jawf, à l’exception de Barâqish, font l’objet de fouilles clandestines depuis plusieurs années, alimentant un prospère trafic d’antiquités. Lors de la courte visite effectuée par M. Arbach et R. Audouin sur le site d’al-Sawdâ’ en printemps 2004, des piliers, ayant appartenu à un temple intra-muros et portant des décors sculptés inédits ont été aperçus, partiellement enfouis. L’état de dégradation avancé des sites prospectés fut immédiatement rapporté au GOAM. La présidence de la République du Yémen, par l’intermédiaire de ‘Abdal-Karîm al-Iryânî, conseiller politique du président, fut informée de l’urgence d’une fouille de sauvetage. En parallèle, une aide financière du Fonds Social de Développement (SFD) fut sollicitée et accordée. Au mois de juillet suivant, le temple fut partiellement dégagé avec l’aide des habitants. Il comporte douze piliers, dont six sont décorés de bas-reliefs. Il apparut que ce temple avait été pillé au moins une fois, l’un des piliers décorés ayant été manifestement enlevé. Par précaution et pour éviter le pillage, le dégagement fut immédiatement remblayé. D’autres prospections furent ensuite effectuées, au cours desquelles les habitants livrèrent des centaines de pièces archéologiques, provenant principalement des sites d’al-Sawdâ’, de Kamna et d’al-Baydâ’. Toutes ces pièces sont actuellement au musée national de Sanaa, grâce au soutien financier de l’Unesco et du Fonds Social de Développement (Arbach & Schiettecatte, 2006). L'Unesco, avec l’appui du gouvernement yéménite et de son ambassadeur, Hamîd al-‘Awâdî, vient d'accorder une somme importante pour la protection des objets en péril et du site d’al-Sawdâ’. Le gouvernement yéménite contribuera financièrement à cette opération, à même niveau que l’Unesco.
29Certains travaux de restauration sont assez proches dans leur démarche de l’archéologie de sauvetage. À titre d'exemple, les restaurations de la Madrasa al-‘Âmiriyya de Radâ‘6, qui a duré près de 23 ans, et de la mosquée d’al-‘Abbas d’Asnaf7 (Barret 2001) soulignent la nécessité d’une intervention sur les monuments islamiques importants menacés par l’abandon et une destruction irrémédiable.
30Par ailleurs, une autre opération fut initiée dans le but de préserver un site préhistorique, à la suite de la découverte effectuée par une compagnie privée d’études géophysiques. La CGG (Compagnie Générale de Géophysique) a fait part au CEFAS de la découverte d’un abri orné de peintures rupestres dans le wâdî bin ‘Alî. À leur demande, une expertise a été menée sur le site par R. Crassard. L’abri, situé dans un environnement grandiose, comporte un panneau de 25 mètres de longueur creusé par l’érosion dans une cavité rocheuse calcaire. Le panneau comporte non seulement des mains peintes en rouge (dites négatives), obtenues avec la technique du pochoir mais aussi de mains peintes selon la technique dite positive qui laisse apparaître en couleur la main complète et non son seul contour. On y retrouve aussi des pieds d’enfants peints en négatif. Un animal, vraisemblablement un bovidé, dont les traits rappellent les gravures découvertes à Sa‘da et dans le wâdî Dhahr (Garcia & Rachad 1997) est également peint dans la grotte. Enfin, plusieurs rangées de symboles à la forme de pointes de flèches ou d’oiseaux stylisés de couleur blanche figurent sur la paroi. De grands triangles blancs, pointe en bas, sont interprétés comme des représentations de l’organe génital féminin et renvoient à la fécondité. Outre ses qualités esthétiques, cette grotte possède également un intérêt scientifique certain. Si l’on sait que le Hadramaout possède des sites préhistoriques de surface ou stratifiés, aucun vestige archéologique significatif n’a été signalé aux environs de la grotte. En revanche, la présence sur le plateau de pointes de flèches en surface laisse supposer l’existence de campements humains sur le site, peut-être dès l’Holocène ancien. La découverte de cet abri apporte un nouvel éclairage sur la période préhistorique, pour laquelle les informations sont encore rares au Yémen. Une équipe, composée de spécialistes français et yéménites, se rendra sur le site prochainement pour une mission d’un mois. Pour ce faire, le projet a été proposé aux entreprises CGG (inventeur du site) et Canadian Nexen (détenteur de la licence d’exploitation pétrolière de la zone concernée) afin d’obtenir leur soutien financier.
31L’exemple de la fouille de Shu‘ûb est la parfaite illustration d’une fouille de sauvetage récente d’un site découvert par hasard. La ville de Sanaa connaît une extension sans précédent, matérialisée par de nombreux chantiers de constructions souvent anarchiques et qui se multiplient ces dernières années. Dans le quartier de Shu‘ûb8, lors du commencement des travaux de construction d'une maison, les habitants découvrent des ossements humains et des structures sépulcrales. Il s’agit d’une nécropole remontant aux Ier-IIIe siècles apr. J.-C. Une équipe d’archéologues est envoyée par le GOAM afin de relever les structures et objets trouvés dans les tombes, les photographier et faire une étude préliminaire de la nécropole. Une équipe allemande est également invitée à réaliser une fouille de sauvetage des tombes, avant que les propriétaires du terrain ne reprennent leurs travaux de construction. Tous les vestiges matériels retrouvés sont actuellement déposés au musée de Sanaa, les résultats des fouilles ayant été publiés (Vogt & Gerlach 2002).
32Finalement, les travaux récents de la mission française sur la mine d’al-Jabalî peuvent être considérés comme une opération de sauvetage, engagée à la suite d’une première intervention financée par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) dès 1981. Il s’agit d’étudier les exploitations antiques avant que l’exploitation moderne ne soit engagée par la société ZincOx, entraînant la destruction des vestiges miniers passés (Benoit et al., 2004), l’activité de cette mine étant attestée jusqu’au Xe siècle de l’ère chrétienne.
33Les travaux d’aménagement sont au centre d’un débat éthique qui met en jeu la priorité de préservation et d’étude des sites archéologiques par rapport aux besoins d’une population, et la nécessité de trouver un équilibre entre le développement économique et social d’une région ou d’un pays et la découverte et le respect de son patrimoine. La solution, dans la plupart des cas, se trouve dans la mise en pratique d’une archéologie préventive. Une telle stratégie, si elle est initiée avec l’appui des lois nationales et internationales9 et avec la bonne volonté des entreprises étatiques et privées concernées, peut se montrer efficace scientifiquement et particulièrement bénéfique à la société toute entière.
34Bien que l'archéologie préventive ne soit pas encore entrée réellement dans la politique culturelle du Yémen, ni réellement dans les mentalités, comme un réflexe logique de préservation du patrimoine en danger, les quelques opérations menées ces dernières années montrent que cette nouvelle forme d’archéologie devient aussi importante que l'archéologie classique. Les autorités yéménites ont pris conscience de l’urgence et de la menace imposées par les travaux d’aménagement du territoire. Il n’est pas impossible d’imaginer la création d’une organisation nationale pour les recherches archéologiques préventives et un aménagement de la loi qui favoriserait davantage la réalisation d’opérations de ce type dans un contexte où le développement des infrastructures du pays augmente sans cesse sous la pression de la démographie et des dynamiques de la modernité.
35Le patrimoine yéménite archéologique, qu'il soit des périodes préhistoriques, sudarabiques ou islamiques, est plus que jamais d'actualité. Pour affronter le XXIe siècle, le Yémen a des atouts exceptionnels : sa culture et son patrimoine archéologique qui constituent le ciment de son identité.