Gilles Menegaldo et Anne-Marie Paquet-Deyris. Dracula ! La noirceur et la grâce
Gilles Menegaldo et Anne-Marie Paquet-Deyris. Dracula ! La noirceur et la grâce. Paris ! Éditions Atlande, 2006. 192 pp. 15 €. ISBN 2-912232-96-1.
Texte intégral
1Il s’agit d’un manuel de synthèse fort utile (également destiné aux étudiants de concours) dont le mérite principal consiste à renvoyer du livre au film et réciproquement. La collection « Clefs concours » s’adresse à tous les candidats aux concours et en particulier Agrégation et CAPES et « Clefs concours anglais » publie des titres organisés autour d’un axe commun ! des repères (rappel du contexte historique et littéraire), de grandes thématiques, des synthèses sur les personnages, lieux ou perspectives qui jalonnent le sujet, des outils méthodologiques et bibliographiques et un système de circulation entre les fiches et les références bibliographiques. Celui consacré à Dracula par Menegaldo et Paquet-Deyris suit la présentation « type » de cette collection. La partie « Repères » fournit une biographie de Bram Stoker et de F. F. Coppola, un chapitre intitulé : « Du Folklore à la littérature », « Le contexte irlandais », « Genèse du roman de Stoker » et « Filiation cinématographie ». La deuxième partie (« Structures et thèmes ») passe sans cesse du roman au film, de la structure narrative du roman à celle du film, du traitement de l’espace dans le roman à la géographie réelle et fantasmée dans le film. On trouve de belles pages d’analyse textuelle du roman et du film, pages qui ne se contentent pas de résumer l’enjeu d’une séquence (comme le Prologue du film) :
La violence du déchirement est tout entière contenue dans les cinq minutes et demie que dure cette ouverture au montage haletant : le Comte arrache sa terre chrétienne à l’emprise néfaste d’un ennemi qu’il voue au supplice de l’épée et du pal comme il s’extrait lui-même de la communauté des croyants en fin de séquence par une eucharistie blasphématoire. Usurpant le temps du Fils de Dieu chrétien, il s’arroge le droit à une vie et une mort cycliques, et par là même sans limites, sans qu’il y ait inscription dans une quelconque philosophie de la rédemption. On le voit, les notions ontologiques de temps et d’espace sont transcendées de façon perverse, via un détournement du rituel catholique de la célébration de la transsubstantiation et un renouvellement malsain du même. Les paroles explicatives de Vlad sont minimales. Il s’approprie le pouvoir de transmutation du modèle divin, s’auto-proclamant substance supérieure et s’érigeant en temple dévoyé de la chair et du sang d’un Christ maléfique propagateur de contamination.
2Les pages consacrées au « polymorphisme monstrueux » dans le roman et le film sont également de belle tenue. On nous montre de façon convaincante que le vampire stokerien loge dans les replis des textes des autres alors que celui de Coppola s’affiche ostensiblement par une occupation de facto du cadre cinématographique et les espaces pourtant cloisonnés du récit filmique.
3La troisième partie (« Stratégies d’écriture littéraire et filmique » est consacrée à la question (centrale) des rapports entre gothique et fantastique et offre des exemples (fort utiles) d’analyse de passages du roman (comme la scène d’asservissement de Mina (p. 246-252) comparée à la scène du mariage infernal dans le film. On trouve aussi l’analyse de la scène de clôture du roman (p. 324-327) suivie de l’analyse de la séquence finale du film (« La rédemption du vampire »). En un mot, cet ouvrage ne pourra qu’apporter une aide précieuse à tous les candidats aux concours dans la mesure où ce manuel témoigne d’un souci constant de mettre en parallèle le texte de Stoker et les séquences du film concerné et il sera tout aussi précieux pour les collègues chargés de la préparation si les deux œuvres sont maintenues au second concours et introduites au premier. Il balise synthétiquement le terrain à l’aide de quelques éléments biographiques, bibliographiques et filmographiques, s’enquiert des antécédents culturels et littéraires qui ont précédé le roman et des prolongements cinématographiques de l’œuvre de Stoker.
4Puis on a une comparaison systématique des deux œuvres selon plusieurs angles. Commençant logiquement par des problèmes de structure narrative, le temps et l’espace rassemblent quelques pages sur ces problèmes généraux qui sont abordés consécutivement. Anne-Marie Paquet-Deyris et Gilles Menegaldo prouvent qu’il est utile de consacrer quelques pages à un aspect du roman avant de faire de même pour le film, respectant ainsi la particularité de chaque « texte ». Dans ce chassé-croisé, ils illustrent bien ce va-et-vient définitif qui fonde l’étude de toute adaptation, tout en rendant justice à une œuvre comme à l’autre.
5Les deux auteurs ont lu et digéré bien entendu tout ce qui a pu s’écrire sur Dracula, roman et film, et semblaient les mieux à même d’en synthétiser la substantifique moelle tout en structurant leurs propres analyses autour d’axes indéniablement quintessentiels (temps, espace, féminité, folie et possession, monstration, réseaux métaphoriques et métonymiques notamment celui du sang, etc.). Certaines analyses mettent plus particulièrement en parallèle roman et film : le passage du Col de Borgo, la transfixion de Lucy, la communion mystique de Mina, la scène finale. D’autres font bien sûr état des ajouts coppoliens qui changent résolument le propos du récit : le prologue, l’épilogue, et les trois séquences centrales induites par l’ancrage que procure le prologue : la rencontre dans les rues de Londres, la séquence du cinématographe, et celle de l’absinthe. Durant ces considérations, l’apport coppolien se fait jour, notamment dans cette greffe romantique : « Coppola se sert des conventions de la catégorie du “film de vampire” en la greffant sur une autre, celle du film romantique, grâce à ce travail inédit sur la temporalité. Il cède ainsi à la tendance récente du mélange des genres censée attirer un public le plus large possible et offrant une représentation symbolique de l’hybridité du personnage de Dracula ». (60) Les auteurs soulignent la différence essentielle de cette adaptation qui s’intéresse davantage au destin d’un couple que d’un seul personnage : « ce sont l’apparition et la sortie de scène du couple et non pas celles du Comte lui-même qui signalent le début et la fin effective du récit filmique ». (62)
Pour citer cet article
Référence électronique
Annie Escuret, « Gilles Menegaldo et Anne-Marie Paquet-Deyris. Dracula ! La noirceur et la grâce », Cahiers victoriens et édouardiens [En ligne], 63 Printemps | 2006, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cve/13446 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cve.13446
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