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2008

Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, études réunies par Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi

Bernard Ribémont
Referencia(s):

Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, études réunies par Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi, École française de Rome (385), 2007, 767 pages

ISBN 978-2-7283-0777-7

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  • 1  Voir à ce sujet, dans le volume, l’article de Leah Otis-Cour, « Les sources de la justice pénale d (...)
  • 2  Pour l’interférence du droit savant avec une justice plus populaire, je renvoie ici au fort beau t (...)
  • 3  Pour citer C.G, (p. 60), « La mainmise du roi face au droit des villes doit donc être largement nu (...)
  • 4  Le travail de C.G. est complété sur un point particulier par la contribution de Bernadette Auzary- (...)
  • 5  Daniel lord Smail reprend ici un dossier déjà bien connu, mais auquel il apporte une analyse préci (...)

1Cet énorme volume rassemble, outre l’introduction fournie d’Andrea Zorzi et la belle conclusion de Claude Gauvard et Jacques Chiffoleau, 21 articles, organisés en cinq parties : « La documentation et la transformation des cadres institutionnels », « Le personnel de justice », « Pratiques conflictuelles et procédures judiciaires », « Politiques judiciaires et résolution des conflits », « Rituels judiciaires et espaces urbains » ; on l’aura donc compris, ce recueil couvre un champ important de l’histoire sociale et politique du règlement des conflits au Moyen Âge et des institutions judiciaires. C’est par un très bel article que Claude Gauvard inaugure la série, donnant le ton à un volume qui, s’il peut effrayer par sa dimension, n’en est pas moins d’une lecture passionnante, plongeant le lecteur au cœur d’une recherche particulièrement vivante depuis quelques années et se penchant sur des questions auxquelles tout médiéviste, quelle que soit sa spécialité, devrait s’intéresser. Le long article de Claude Gauvard, « Droit et pratiques judiciaires dans les villes du nord du royaume de France à la fin du Moyen Âge. L’enseignement des sources », s’il repose, selon son titre, sur l’examen des sources, offre un très large et fort intéressant panorama des problèmes posés par le droit urbain et, en particulier, se penche sur son interférence avec le droit royal. Notons au passage un caractère légèrement trompeur du titre, car la géographie du droit urbain ici convoquée ne se cantonne pas à l’espace du nord de la France, des villes comme Bordeaux, Toulouse ou Bayonne intervenant dans la démonstration1. Point de départ, celui d’une rhétorique de la paix, souvent adoptée, conditionnée par le discours des villes médiévales sur elles-mêmes : le développement du droit urbain, entre XIIe et XVe siècle est un acquis de civilisation, un gage de paix ; le temps du droit urbain tendrait à effacer celui, passé, de la faide et du règlement privé des conflits. Certes, l’idéal de paix est sans cesse réaffirmé dans les documents d’archives, mais qu’en est-il de la réalité ? Celle-ci est d’une appréciation fort délicate, devant la complexité et l’enchevêtrement des problèmes posés : comment évaluer le degré de vie propre du droit urbain ? Ce dernier est bien souvent le fruit de multiples négociations : comment cerner avec précision ces dernières ? Comment évaluer le rôle précis de l’oralité par rapport aux textes écrits ? Se pose également le problème des sources, surtout dans les villes de province (mais il en va de même pour les registres du Châtelet), où beaucoup de registres sont perdus, faute d’une conscience claire de la part des autorités de la nécessité d’archivage, au moins avant le XVe siècle. S’ajoute à tout cela la complexité des juridictions urbaines et des prérogatives qui se chevauchent et s’entrechoquent (roi, princes, commune, évêché, etc.). C.G. propose donc de partir de l’origine et des documents de fondation, au moins écrite, du droit urbain : chartes de franchises, coutumiers, cartulaires, c’est-à-dire les registres dont la rédaction est commandée par la municipalité. Les chartes de franchises constituent « le premier socle sur lequel se construit le droit urbain ». Le problème est que l’écrit ne fonde pas tout et que la première rédaction peut succéder à une période de respect oral du droit, le droit accompagnant la formation de la ville et ne venant pas, comme on a pu le croire, succéder à une période relativement anarchique de développement originel. Le droit urbain ne commence donc pas avec les chartes de franchises et n’est donc pas le fruit unique des décisions des bourgeois ; il peut en particulier emprunter à des courants savants2. Ces chartes apparaissent comme très malléables, comme le montrent les différentes confirmations et traductions. Joue également, à partir du XIIIe siècle, le droit royal qui impose des transformations dans les chartes, évolution particulièrement sensible à la fin du Moyen Âge, où l’on enregistre une mutation du vocabulaire qui révèle que le droit urbain tend à devenir le « fait gracieux du prince ». En fait, la confirmation fait l’objet d’une demande des bourgeois, sous la forme d’une requête qui implique en général l’accord de la concession royale. Un lien personnel se crée ainsi entre le roi et ses villes et le droit royal tend à s’imposer, même de façon fluctuante et souvent nuancée3. Mais ce lien personnel pose évidemment une difficulté à l’historien qui est ramené à l’étude au cas par cas. C’est ainsi que les ordonnances, dont le contenu contribue à imposer les cas royaux, ne s’appliquent pas uniformément sur les différentes villes. Force est d’enregistrer que règne surtout le pragmatisme en la matière, que C.G. voit à travers les jugements rendus par le Parlement4. La situation engendrée par une charte de franchise est donc complexe : d’une part, la charte est pour la ville un symbole fort et originel et les différentes confirmations sont autant de démonstrations de cette force ; mais, en même temps, le droit urbain apparaît comme assez fluctuant5, sans cesse en rapport de tension avec le droit royal.

2Les coutumiers ne sont pas si originaux qu’on a pu le penser et sont le plus souvent le fruit de constructions savantes ; ils sont aussi la résultante de luttes de pouvoir entre différentes juridictions. Aussi, pour C.G., « les coutumiers peuvent donner des aperçus sur le droit urbain, ils peuvent aussi l’infléchir, mais ils ne le fondent pas ». L’examen des cartulaires ramène l’historien à la complexité et révèle que prime la définition de l’espace juridictionnel.

  • 6  À ce propos, je me permets un petit désaccord avec C.G. qui indique que ce sont souvent les plaint (...)
  • 7  Notons la fort intéressante contribution d’Isabelle Paquay « Des pratiques sociales courantes au s (...)

3Après cet examen des trois sources principales, C.G. s’interroge, dans la suite de son article, sur la pratique du droit urbain, sur certains cas (la prostitution par exemple6) et sur l’application des peines ; si ces dernières, au niveau de l’écrit, se montrent exemplaires et implacables, il existe de très nombreuses échappatoires, surtout pour les plus riches et pour ceux qui appartiennent à un clan, un groupe. Il ressort de l’examen de C.G. que le droit urbain est somme toute peu efficace, à cause en particulier de l’imbroglio des juridictions de nombreuses villes, à cause également de la confusion régnant entre civil et criminel. En jouant sur les diverses prérogatives, le prévenu peut s’en tirer. Il y a également le droit d’asile qui est ici également examiné. Il apparaît en outre que, contrairement à ce qu’une lecture trop ‘naïve’ des sources pourrait laisser entendre, les autorités municipales continuent d’accepter la faide, la vengeance d’honneur, « en plein jour » étant toujours considéré comme un haut fait. En fait, les cas d’application systématique du droit urbain, donnant lieu à des peines sévères, concernent l’honneur de la ville : tel est le cas par exemple lorsqu’un échevin a été injurié7.

4Après la lecture de ce très bel article, on peut mesurer combien certes le droit urbain médiéval est complexe, mais aussi combien son étude est riche et C.G. ouvre de belles pistes de recherche au sujet d’un droit qui oscille entre théorie et pratique, qui refuse la grâce, mais qui est l’occasion de bien des arrangements ; droit aussi pour lequel la symbolique est très forte, allant s’approfondissant à la fin du Moyen Âge avec un engouement pour les registres jurisprudentiels, et qui se coule dans un champ de tensions animé par les pressions du droit royal.

5Pour ‘conclure’ cette brève présentation, je ne peux que conseiller la lecture de ce vaste recueil, qui propose à un certain point un bilan des études sur la justice des villes et, en même temps, constitue un appel très stimulant pour une recherche qui est encore très loin d’avoir cerné un sujet aussi vaste et complexe. Un grand bravo donc aux éditeurs de ce volume qui, rappelons-le, forme les Actes d’un colloque s’étant tenu à Avignon en 2001.

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Notas

1  Voir à ce sujet, dans le volume, l’article de Leah Otis-Cour, « Les sources de la justice pénale dans les villes du Midi de la France au Moyen Âge : paroles et silences », qui propose un examen croisé de différentes sources pour tenter d’élucider des phénomènes mal cernés comme, par exemple, l’application de la torture. Intéressant travail qui propose surtout un panorama de cas et montre, une fois encore, la difficulté d’appréhension de la justice médiévale. On arrive en effet à un constat proche de celui qu’implique un regard minutieux du registre du Châtelet : l’historien accède à des cas exemplaires et spectaculaires, mais qui ne rendent pas compte de la réalité quotidienne et ordinaire de la justice.

2  Pour l’interférence du droit savant avec une justice plus populaire, je renvoie ici au fort beau travail de Jean-Marie Carbasse, « Justice ‘populaire’, justice savante : les consulats de la France méridionale (XIIe-XIVe siècle) ». Il apparaît que la justice rendue dans les cours consulaires du Midi n’a rien de très populaire car, dès la fin du XIIe siècle, elles se sont ouvertes aux progrès du droit, droit savant auquel les élites locales se sont très rapidement acculturées.

3  Pour citer C.G, (p. 60), « La mainmise du roi face au droit des villes doit donc être largement nuancée : elle peut donner lieu à des décisions spectaculaires, mais il s’agit le plus souvent de décisions prises pour l’exemple, qui sont faites en sorte que le souverain puisse « de grace especial », revenir au statut antérieur. (…) Ce qui importe aux yeux du pouvoir central, c’est ce retour en arrière, qui désormais permet d’octroyer le droit urbain sous la forme d’un privilège royal ». Dans l’article de Jean-Marie Carbasse, « Justice ‘populaire’, justice savante : les consulats de la France méridionale (XIIe-XIVe siècle) », est évoqué le rôle du droit savant comme moyen de contrôle du droit royal.

4  Le travail de C.G. est complété sur un point particulier par la contribution de Bernadette Auzary-Schmaltz et Jean Hilaire, « Les villes et la justice d’après les archives du Parlement aux XIIIe et XIVe siècles », qui s’intéressent aux premières décisions du Parlement de Paris (les Olim) pour définir la compétence juridique des villes. Il apparaît que le Parlement ordonne une enquête pour chaque demande et, sans prendre réellement parti, se cantonne dans un juridisme strict, dont les communes tendent à profiter face aux prérogatives seigneuriales et ecclésiastiques.

5  Daniel lord Smail reprend ici un dossier déjà bien connu, mais auquel il apporte une analyse précise sur le cas marseillais : il s’agit du rôle du témoignage dans les causes civiles. Il est bien montré et souligné combien la preuve reste secondaire par rapport aux témoins ; la justice est ainsi conditionnée par des sentiments particuliers et surtout par des intérêts personnels et communautaires. On lira également avec le plus vif intérêt l’article de Nicole Gonthier « Les priorités politiques dans la pratique de la justice municipale : l’exemple de Dijon et de Lyon à la fin du Moyen Âge ».

6  À ce propos, je me permets un petit désaccord avec C.G. qui indique que ce sont souvent les plaintes des voisins qui sont plus actives que l’exercice du droit urbain, somme toute très clément. Il y a de nombreux cas, comme le montrent les études de J. Rossiaud et de L.L. Otis, où, au contraire, les bourgeois de la rue sont très contents de la présence de maisons joyeuses qui aident au commerce et il arrive que ces habitants réclament contre une décision opprimant les prostituées.

7  Notons la fort intéressante contribution d’Isabelle Paquay « Des pratiques sociales courantes au sein des cours de justice médiévales : l’hérédité des fonctions et l’endogamie. La Haute Cour de Namur aux XIVe et XVe siècles » qui montre bien comment la ville est en tension avec le prince et comment se constitue un groupe familial de privilégiés exerçant pouvoir et justice, en dépit de la volonté du prince.

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Bernard Ribémont, «Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, études réunies par Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi»Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En línea], Recensions par année de publication, Publicado el 27 octubre 2008, consultado el 15 diciembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/7583; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.7583

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Bernard Ribémont

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