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2008

Nicole Hochner, Louis XII. Les dérèglements de l’image royale

David Dominé-Cohn
Référence(s) :

Nicole Hochner, Louis XII. Les dérèglements de l’image royale, Paris, Champ Vallon (« Époques »), 2006, 324 p.

Texte intégral

1Le livre de Nicole Hochner était attendu. Il vient combler un relatif manque dans l’historiographie ; les études sur le règne de Louis XII sont peu nombreuses, et celles qui considèrent l’important foisonnement d’images pendant son règne et la création des représentations royales le sont encore moins. Le livre de N.H. ne vient pas seulement combler ce vide dans les études politiques sur le Moyen Âge français : il le fait avec talent. En effet, il s’agit d’abord une synthèse sur les idées politiques du temps concernant les constructions de la royauté à cette époque, dont il montre les subtilités et la complexité. Cette synthèse se double d’une analyse riche des images produites, tout en montrant les multiples régimes de fonctionnement qui sont les leurs.

2L’idée forte de N.H. est de rendre au règne de Louis XII, et en particulier à cette période de production d’une image royale, ou plutôt de plusieurs images royales, son identité propre, son caractère particulier, avec ses logiques, et parfois ses absences de logique, dont l’auteur note qu’elles sont trop souvent effacées et amoindries, car interprétées comme une étape dans l’avènement « nécessaire » de l’État moderne.

3En sept chapitres, N.H. montre comment plusieurs types d’images – au sens large, car ce peut être aussi des images littéraires –, vont produire une représentation royale combinant les vertus des différents régimes de légitimation et de promotion de l’autorité royale correspondant aux différents types d’images. C’est en partie à partir de ce mélange, de ces combinaisons, qu’émerge une modernisation de l’image royale qui consacre le règne de Louis XII comme un temps fort de la construction en perpétuel mouvement de la royauté française.

4L’étude de N.H. est donc divisée en sept chapitres. Le premier, intitulé « Prolégomènes à une nouvelle exemplarité », présente la genèse de l’image royale par la constitution d’une représentation très complexe du duc d’Orléans, où se combinent de nombreuses sources et de multiples imaginaires. Trois chapitres suivent, qui reprennent trois thématiques majeures de la figure royale à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, à la fortune desquels Louis XII a beaucoup contribué. Il s’agit d’abord de la figure du « roi chevalier », ensuite de celle du nouveau « César et orbis reparator », enfin de celle du « Fidei defensor ». À ces thèmes s’ajoutent deux grandes représentations, renouvelées à ce moment, du mode de gouvernement du roi : « Le prince de vertus et père du peuple » et ce que N.H. appelle « Une philosophie du partage », en référence au topos du roi bien conseillé. Enfin, un dernier chapitre est consacré à l’étude de la Reine et de ses représentations comme l’un des éléments des dérèglements de l’image royale.

5Le chapitre premier est consacré à l’accumulation des diverses représentations pendant le temps, long, où Louis de Valois, duc d’Orléans, est encore un prince du sang ; il traite ensuite de leur devenir à son avènement. L’auteur montre bien, en particulier avec le cas du porc-épic, symbole constant de Louis, comment cet animal est constitué en un élément fort de l’image ducale. Tant par son usage dans les images que par sa constitution en ordre de chevalerie ou que par sa rareté dans les bestiaires en cours à l’époque, ce choix permet à Louis d’Orléans de signifier son rang, sa place à part, et en fin de compte sa relative autonomie. La recherche de cette place à part est un souci constant dans la vie du prince du sang face à Charles VIII. Le sacre de 1498, et l’entrée royale qui suit, sont l’occasion d’une démultiplication dont la méthode consiste à augmenter, transformer, décaler ce qui existe déjà. Il en est dans les représentations du sacre comme du porc-épic : ce dernier est préféré au hérisson bien connu des bestiaires héraldiques ; le décalage constitue la singularité et accroît l’effet spectaculaire. De même, les images nombreuses produites à l’occasion du sacre montrent un roi en train d’être couronné et non un roi en train d’être sacré. Ces décalages avec l’image attendue, tout en restant intelligibles, permettent à la royauté de proposer d’emblée une image renouvelée. L’autre trait particulièrement fort de l’imagerie royale sous Louis XII est l’importance numérique des images. Les livrets édités à l’occasion du sacre permettent eux aussi de démultiplier l’image royale et de la diffuser. L’entrée royale de Louis XII à Paris est ensuite l’occasion à la fois d’une présentation de sa lignée, celle des Valois Orléans, et celle de la mise en scène des vertus qu’il revendique pour lui-même – la sagesse et la bonté en particulier – et des grandes thématiques qui vont dominer sa politique. On y trouve en particulier la vocation chrétienne à la croisade. L’entrée royale à Paris de retour au sacre est donc le moment d’une triple action en termes de représentation et d’image. On y opère une liquidation de la période « prince du sang » par une réappropriation claire des fastes royaux. Cependant, ces fastes reprennent eux-mêmes les symboles et les éléments spécifiques de la lignée de Louis XII. Enfin, on observe le déploiement de nouvelles représentations, qui sont en fait autant de représentations renouvelées, comme la croisade.

6L’image de Louis XII en roi preux et chevalier est particulièrement intéressante, montre N.H., puisque c’est l’occasion d’une construction très particulière. En effet, alors que la question de la présence du roi en personne sur le champ de bataille n’est plus un objet de discussion, Louis XII est spécialement réputé pour être un combattant que l’on voit l’épée à la main sur les champs, avec ses soldats. Cette réputation se traduit dans des textes de récits de batailles, mais aussi et surtout dans les images, montrant un roi en armure et à cheval, l’épée à la main. Dans le même temps, la représentation de la guerre elle-même change. En effet, les textes littéraires comme l’iconographie la représentent pleine de violence, lieu de blessure, de souffrance et de mort. On pourrait croire ces visions tragiques à l’opposé de celles, développées en même temps, des preux chevaliers comme Bayard ou Louis XII. Or, en réalité, le chevalier est ici preux et noble non pas parce qu’il fait la guerre, mais parce que cette guerre est juste. C’est la justesse de la cause qui fonde la noblesse de la démarche. La guerre de Gênes et les récits qui vont la raconter mettent en scène un roi sage et calme qui ne dégaine pas son arme en vain et qui vient restaurer l’ordre. L’image guerrière de Louis XII est l’occasion de nombreuses comparaisons avec l’Antiquité, avec Mars, dieu de la guerre, et avec César. Elles alimentent un imaginaire de restauration et de transformation du pouvoir monarchique.

7La thématique de César, et plus généralement la référence à l’Antiquité constante chez Louis XII invite à s’interroger sur la prétention impériale de Louis XII. N.H. propose une analyse intéressante dans la mesure où elle permet de rendre compte de toutes les tensions qui habitent l’idéologie française sur cette question, tout en tenant compte des acquis historiques sur la question. Elle propose en effet de distinguer d’abord la rivalité entre les rois de France et l’empereur Maximilien et les prétentions impériales françaises. En effet, celles-ci ne portent pas tant sur le Saint-Empire et sa couronne élective que sur l’empire de Constantinople dont les rois de France sont les héritiers et sur Jérusalem. Cette analyse permet de replacer les tensions eschatologiques qui habitent l’idéologie royale française au cœur de nombreuses démarches politiques de l’époque. L’avènement de l’empire à Jérusalem est en effet le point de départ d’un temps de triomphe de la Chrétienté. Ainsi, le lien entre idéologie impériale et croisade permet d’être de manière claire. Ensuite, la mise en exergue des talents, de la force et de la beauté du Roi, rhétorique nouvelle par rapport aux discours tenus au Moyen Âge, participe d’une redécouverte, avec l’Italie, du droit romain et de ses maximes ainsi que la philosophie d’Aristote, donnant alors les bases de ce que l’on a pu appeler le premier absolutisme français. Enfin, il faut aussi voir dans le goût de l’antique et les références à César, une influence du goût italien, qui s’empare de la France à partir du retour d’Italie de Charles VIII.

8L’ensemble de ces thématiques ne font en rien reculer la vision religieuse de la royauté française. Les exemples d’une surchristianisation de celle-ci abondent même. L’exemple le plus intéressant qu’étudie N.H. est le frontispice de la traduction de L’Anabase de Xénophon par Seyssel. On voit le traducteur à genoux et de dos remettant au roi assis en surplomb le livre. Au-dessus du roi et derrière lui se tient Dieu le père, trônant. Outre la comparaison entre les deux trônants, on doit aussi s’intéresser au contenu de l’œuvre traduite. L’Anabase est le récit de la lutte des Grecs contre les Perses. La construction qui va transformer les Perses en infidèles va permettre d’unifier les différentes représentations. On observe là encore la spécificité de l’imagerie royale française sous Louis XII : l’accumulation des thématiques et la manière dont elles se répondent entre elles produisent des effets d’écho, de rappel et d’amplification qui renforcent le message royal tout en augmentant le nombre de média possibles pour la royauté.

9L’auteur montre, à la suite de Jacques Krynen, que la sacralisation du roi, et le renforcement du lien entre Dieu et son lieutenant sur Terre, loin d’éloigner la notion de contrat de la définition de l’autorité royale, constitue avec Louis XII un nouveau pont entre les vertus traditionnelles accordées au roi de France et celles sur lesquelles insistent les représentations royales du temps. Le temps du règne de Louis XII est marqué par la postérité des États Généraux de 1484 et par le discours de réforme dont à l’époque le duc d’Orléans fut l’un des défenseurs. La question du bon gouvernement est au cœur des préoccupations de Louis XII. Ce souci se traduit par l’emblématique royale avec en particulier l’image des abeilles et de la ruche que l’auteur analyse longuement. Plus largement on observe une fusion des thèmes du bon gouvernement et des vertus qui lui sont nécessaires avec les vertus chrétiennes. Cette fusion est alors l’occasion de la mise en valeur de moyens termes comme le fait d’être magnanime, qui permet d’aborder la question déjà lancinante de la réforme de la justice. La question de la justice est en effet très importante dans les débats qui occupent la période. Avec elle, c’est la question des lois du royaume et du contrat qui unit le roi au peuple qui est posée. Encore une fois c’est l’accumulation des thèmes et des représentations qui permet de produire une représentation nouvelle, ici l’idée d’une réforme du gouvernement et qui suscite le surnom de père du peuple pour Louis XII.

10L’autre trait particulier de la représentation du bon gouvernement de Louis XII est le fait qu’il est toujours représenté entouré et conseillé. L’auteur montre clairement comment cette représentation participe à la fois de cette réforme du gouvernement du royaume et en même temps d’une propagande contre les ennemis extérieurs au royaume qui sont ainsi accusés de contrevenir à ces règles justes. C’est en particulier le cas des attaques portées contre Venise et ses dirigeants. Par ailleurs, comme le fait remarquer N.H. cette représentation du conseil n’est pas contradictoire avec la prise de décision solitaire. En effet, outre les récits produits qui soulignent bien qu’en définitive c’est Louis XII qui tranche tout, les conseillers du roi restent sur les images des anonymes quasiment indiscernables ; seul le cardinal d’Amboise et Pierre de Rohan, maréchal de Gié sortent de l’obscurité.

11Un dernier élément de l’entourage royal fait son apparition, remarquée, sous le règne de Louis XII : c’est la reine de France elle-même. La reine de France est d’abord un personnage singulier ; héritière de la Bretagne, elle va susciter une imagerie considérable. L’auteur se limite à juste titre à ce rôle d’alter ego que va assumer assez vite la reine dans l’imaginaire politique de l’époque. On trouve ainsi l’idée qu’une offense faite à la reine est un crime de lèse-majesté. Cette représentation en égale de l’épouse de Louis XII se traduit par l’insistance sur la force de leur union et de leurs sentiments l’un pour l’autre. Cette représentation est produite et diffusée en particulier par la cour littéraire qui se réunit dans l’entourage de la reine. Une des images les plus frappantes, sur laquelle N.H. insiste, est celle qui représente la reine de France comme avocate du peuple et soutien de leurs doléances.

12En conclusion, il faut encore souligner l’intérêt que l’on doit témoigner au livre de N.H. Il tient en fin de compte à deux raisons. C’est d’abord un livre qui manquait et qui comble très bien le vide qui existait dans l’historiographie française sur la question. Ensuite, cet ouvrage propose une méthode d’analyse des images politiques qui manquait elle aussi. Avec cette méthode on peut enfin sortir des schémas trop simplistes, qui cherchaient des révolutions absolutistes à des moments précis. Elle replace l’idée de processus et de média au cœur des études sur le pouvoir et ses permanentes évolutions. N.H. rend ainsi un grand service aux historiens politistes de la période.

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Pour citer cet article

Référence électronique

David Dominé-Cohn, « Nicole Hochner, Louis XII. Les dérèglements de l’image royale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 15 septembre 2008, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/2732 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.2732

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