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2008

Louis Faivre d’Arcier, Histoire et géographie d’un mythe. La circulation des manuscrits du De excidio Troiae de Darès le Phrygien (VIIIe-XVsiècles)

Sébastien Douchet
Référence(s) :

Louis Faivre d’Arcier, Histoire et géographie d’un mythe. La circulation des manuscrits du De excidio Troiae de Darès le Phrygien (VIIIe-XVe siècles), Paris, École nationale des Chartes (« Mémoires et documents de l’École des Chartes », 82), 2006, 540 p.

Texte intégral

1Cette étude, dont le sujet aurait pu laisser craindre l’aridité d’un exposé descriptif et factuel, propose en réalité une enquête tout à fait passionnante sur la tradition et la réception d’un texte auquel le Moyen Âge a puisé une grande partie de ses connaissances sur la matière de Troie. Loin de se contenter du travail – essentiel – de recension, description et classement des manuscrits qui constituent la tradition du De excidio Troiae de Darès, Louis Faivre d’Arcier étudie la diffusion de ce texte dans l’Europe médiévale et la lecture qui en a été faite.

2L’introduction (p. 3-26) évalue la singularité de ce texte apocryphe du Ve siècle, notamment par rapport à l’Ephemeris belli Troiani de Dictys le Crétois dont il se distingue par sa tendance evhémériste. LFA situe ensuite le texte dans l’histoire littéraire de l’Antiquité tardive (plus que la question d’un Urtext se posent aujourd’hui celles du genre auquel appartient ce texte tardif, du jeu de récriture des modèles anciens et des attentes de son lectorat). Il rappelle aussi sa fortune et son influence au Moyen Âge, toutes deux fort complexes (de l’adaptation de Frégédaire aux reprises bulgares du XIVe siècle, en passant par la transposition en distiques élégiaques par Albert de Stade au XIIIe siècle). Enfin LFA présente sa méthode (datation et localisation des manuscrits témoins, détermination de leurs familles) et ses objectifs (mieux comprendre la réception de Darès au Moyen Âge).

3L’étude se décompose ensuite logiquement en deux parties (« Généalogie des manuscrits », p. 137-332, et « Contribution à l’histoire de la réception du De excidio Troiae », p. 333-427) précédées d’une présentation des sources et d’une bibliographie (p. 27-136). Cette présentation comporte des notices codicologiques (cote, datation, éléments du texte de Darès contenus dans le manuscrit, autres textes contenus, description matérielle, éléments bibliographiques). Ces notices décrivent les manuscrits médiévaux conservés (188 notices de manuscrits complets, compilations, fragments, abrégés, extraits, copies d’imprimés et collations modernes), perdus de vue et perdus. LFA cite également parmi ses sources les traductions médiévales du De excidio Troiae, les ouvrages inspirés directement de Darès, les chroniques exploitant Darès (abrégés, citations, mentions). La bibliographie collationne quant à elle les éditions et traductions récentes et fait la part belle à la réception de l’Antiquité au Moyen Âge. Le lecteur trouvera pour finir des éléments sur la tradition des textes, les bibliothèques et les manuscrits médiévaux.

4Le premier chapitre de l’ouvrage décrit les « Caractères externes des manuscrits », soit d’une part les textes associés à celui de Darès et textes accessoires tels que liste des combattants, généalogies des Troyens, etc. et d’autre part la mise en page et les titres et rubriques dans manuscrits. Le chapitre II examine le texte et ses altérations en vue de procéder à des regroupements de manuscrits, les principaux critères retenus étant les omissions communes et les variantes dans les toponymes et anthroponymes. Le chapitre III propose des classements par famille (du groupe le plus ancien au plus récent, au nombre de 10) : 1) groupe λ diffusé dans toute l’Europe occidentale du IXe au XVe siècle ; 2) groupe γ diffusé en Italie, Allemagne, France et Suède du IXe au XIIe siècle ; 3) mais la majorité des manuscrits constitue ce que LFA nomme « la vulgate franco-anglaise », diffusée du XIe au XVe siècle, si bien que LFA compare cette vulgate aux familles γ et λ puis y distingue 12 sous-groupes d’origine française ou anglaise, et deux sous-groupes d’origine allemande ou italienne ; 4) un 4e groupe de la région d’Auxerre, du XIIe siècle, se distingue par sa présentation et ses textes associés qui constituent une véritable édition du De excidio Troiae, et il a donné lieu à une descendance italienne qui a partiellement effacé ses caractéristiques éditoriales ; 5) une seconde rédaction du De excidio Troiae, du IXe siècle, a donné lieu à un autre groupe qui élimine des incohérences du texte de Darès ; 6) LFA distingue également un groupe diffusé en Allemagne et Italie, dérivé de γ dont il modifie parfois sensiblement le contenu (omissions et additions) ; 7) un groupe mixte (Nord de la France et Angleterre) s’appuie à la fois sur la vulgate et la seconde rédaction ; 8) un groupe anglais et gallois comportant de nombreuses réécritures ; 9) un manuscrit du XVe siècle très contaminé, « véritable patchwork […] significatif de l’intensité de la circulation des textes à l’époque humanistique » ; 10) et pour finir les versions abrégées. Le chapitre IV fait état de la tradition indirecte (courtes citations : Ordéric Vital, Albert de Stade, Benzo d’Alessandria, Landolfo Colonna et Johannes de Podio, Guillaume Saignet, Jacques de Guise, Gesta Hungarorum, Pétrarque, Guido delle Colonne), abrégés des chroniques universelles (Nicolas Trevet, Riccobaldo de Ferrare, Ranulph Higden), traductions (de l’Histoire ancienne jusqu’à César, de Jean Flixecourt, Jofroi de Waterford), imitations (Albert de Stade). Ces diverses approches fournissent matière à un dernier chapitre où LFA retrace sous forme d’un stemma synthétique la généalogie de la tradition manuscrite du De excidio Troiae.

5La deuxième partie de l’ouvrage envisage la réception du De excidio Troiae tant du point de vue de son public que de l’usage qui en a été fait au Moyen Âge. Le chapitre VI considère ainsi la diffusion du texte en diachronie. Avant 1100, il existe trois courants : « le plus ancien est irlandais, le second accompagne la renaissance carolingienne, le troisième est lié à la redécouverte de Troie au XIe siècle » (p. 340). Puis du XIIsiècle au XIVe siècle le nombre de manuscrits augmente, notamment en Angleterre et en France, malgré un déclin dans cette dernière au XIVe siècle. Le public est majoritairement constitué de clercs bénédictins, et secondairement cisterciens et dominicains. Enfin, après 1350, c’est l’Allemagne et l’Italie qui redécouvrent Darès dont on trouve des exemplaires dans les bibliothèques cléricales, mais aussi laïques et particulières. Le chapitre VII, joliment intitulé « De l’intérêt de lire Darès », montre que le De excidio Troiae a pu servir de source aux historiens (chroniques universelles, histoires de l’Antiquité, histoires nationales et généalogiques). Il a aussi servi de manuel scolaire jusqu’au XIIsiècle, mais davantage pour les faits rapportés que pour servir d’exemple stylistique ou moral. Il faut attendre le XVsiècle pour que Darès réapparaisse dans des livres d’enseignants. Le chapitre final est consacré à une étude de cas : la réception de Darès en Angleterre et au pays de Galles du XIIe au XVe siècle.

6L’ouvrage est accompagné de pièces justificatives (p. 429-495 : collations des manuscrits, principales lacunes, passages utilisés des traductions de Jofroi de Waterford et de Jean de Flixecourt). Le lecteur trouvera en annexe un tableau récapitulatif de la tradition, une concordance des signes, des stemmata. Enfin LFA a élaboré deux utiles index : l’un des manuscrit cités, l’autre des auteurs et des œuvres.

7Ce riche travail, outre les connaissances nouvelles qu’il apporte sur un texte important pour la compréhension de la vie intellectuelle du Moyen Âge, se distingue particulièrement par son choix de ne jamais séparer l’étude archivistique de la compréhension des faits culturels et littéraires qu’elle implique. On sait à quel point comprendre la réception d’une œuvre et l’horizon d’attente du public médiéval est complexe. Cette étude y parvient de façon magistrale et ouvre, espérons-le, la voie à d’autres travaux du même genre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Douchet, « Louis Faivre d’Arcier, Histoire et géographie d’un mythe. La circulation des manuscrits du De excidio Troiae de Darès le Phrygien (VIIIe-XVsiècles) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 15 septembre 2008, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/2724 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.2724

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Auteur

Sébastien Douchet

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