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2008

Véronique Beaulande, Le Malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge

David Dominé-Cohn
Bibliographical reference

Véronique Beaulande, Le Malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen Âge, avant-propos de Claude Gauvard, Paris, Publications de la Sorbonne (« Histoire ancienne et médiévale », 84), 2006, 383 p.

Full text

1Dans le livre qu’elle consacre à l’excommunication et à la réconciliation, tiré de sa thèse de doctorat, Véronique Beaulande prend comme point de départ cette interrogation simple mais fondamentale : que se passe-t-il lorsque quelqu’unest excommunié au Moyen Âge ? Si la question peut d’abord appeler une réponse évidente – il est chassé de la communauté chrétienne et il ne peut plus communier –, V. B. montre clairement que l’on a affaire à des processus et des constructions sociales et religieuses complexes qui mettent en jeu l’ensemble de la communauté médiévale. En effet, et c’est l’un des fils directeurs de sa recherche, V. B. s’interroge sur la faculté pratique de la communauté à résister à une exclusion pourtant en théorie radicale, et engageant la damnation de ceux qui ne respecteraient l’interdit qu’elle induit. À travers ce questionnement, nous pouvons percevoir à la fois l’épaisseur et la complexité de cette société chrétienne de la fin du Moyen Âge, en France.

2L’étude de V. B. prend pour aire géographique la province de Reims. Elle couvre donc un espace vaste. Enserrée entre les provinces de Rouen, de Sens, de Trèves et de Cologne, la province ecclésiastique de Reims couvre tout le nord du royaume de France. Elle comprend doncles évêchés d’Amiens, de Thérouanne, de Tournai, d’Arras, de Cambrai, de Noyons, de Laon, de Reims, de Châlons, de Soissons et de Senlis. En partant des sources diocésaines et de celles des officialités, l’auteur revendique une approche qui n’est pas seulement juridique, procédurière ou encore institutionnelle : elle la veut totale, permettant de rendre compte de toute la société du temps et de ses mécanismes. Cette prétention se fonde sur la conscience que le phénomène envisagé mobilise la société médiévale dans de très nombreux aspects qui dépassent la simple étude des peines ecclésiastiques. Son étude comprend trois mouvements: la première est consacrée à une étude de la « peine ecclésiale », la seconde porte sur une mise en relation des peines et des délits, et enfin la troisième, et la plus longue, est intitulée « la honte du pouvoir des clés » ; elle porte sur les aspects sociaux de l’excommunication.

3La première partie du livre de V. B. s’attache donc à rendre les fondements et les logiques de la peine ecclésiale qu’est l’excommunication. Elle comprend deux chapitres, le premier intitulé « ‘Comme un païen et un publicain’ : qu’est-ce que l’excommunication ? ». Dans ce chapitre, on s’attache à développer toute la portée de ce châtiment en détaillant tous les types d’excommunication, et en particulier en la distinguant subtilement de la censure. L’excommunication se présentant d’abord comme un rituel, celui-ci est détaillé, et V.B. met en évidence par de nombreux exemples de formulations comment l’excommunication prend toute son ampleur à travers les différentes formulations qu’on en recense. L’excommunication est en effet toujours pensée comme une tentative de remise sur le droit chemin en même temps que comme un exemple à méditer pour toute la communauté, qui doit comprendre l’importance de la faute, marquée par l’interdiction de communiquer avec le condamné. Les excommuniés sont en effet exclus de la communauté paroissiale, et plus encore de toute la vie religieuse. La comparaison faite à l’époque avec les malades contagieux prend son sens dans la mesure où tout contact avec un chrétien, même un parent est interdit. Pour faire respecter cette interdiction, des registres, et tout un système d’information, se développent. V.B. met du reste en évidence que si des fraudes sont avérées, le système d’information entre les paroisses n’en est pas moins très efficace. Le second chapitre met en évidence le rôle de l’excommunication comme moyen de définition d’une norme sociale. Tout en rappelant que cette dernière est le châtiment le plus important dont disposent les juridictions ecclésiastiques, V.B. montre aussi le large registre des fautes sanctionnées. Elle montre surtout le double axe autour duquel l’Église va construire une norme. Le premier est le châtiment des crimes les plus graves comme l’hérésie, ou les violences graves. Le second est relatif à la protection de l’Église comme institution, car l’excommunication devient au cours des siècles et des conciles l’arme principale de sa défense, ainsi que celle de sa maîtrise d’elle-même. Il faut noter là aussi un travail statistique important de V.B.. Elle propose en effet de nombreux tableaux comparatifs qui mettent en perspective les évolutions de l’excommunication en fonction du crime qu’elle châtie, à partir des définitions proposées par les conciles généraux et provinciaux, et ce depuis le XIIIe jusqu’au XVe siècle. Ainsi, elle montre comment l’excommunication devient une arme de discipline interne à l’Église en même temps qu’un instrument de pastorale très fort.

4La seconde partie de l’ouvrage de V.B. tente d’étudier l’excommunication en la rapportant aux crimes pour lesquels elle a été prescrite. De cette manière, cette seconde partie répond bien aux questions soulevées par la première, puisqu’il s’agit de voir dans quelle mesure la norme proposée par l’Église est appliquée dans les faits et surtout avec quelle rigidité. On se trouve là au cœur de ce qu’apporte l’ouvrage V.B. à l’état de nos connaissances : cette étude montre bien comment, à travers une définition pourtant générale, plusieurs régimes cohabitent et forment une grille très complexe et très évolutive – le choix d’une bande chronologique large de plus de trois siècles et celui de cette riche province ecclésiastique permettant d’observer avec netteté de tels résultats. Le premier chapitre de cette partie est consacré aux deux grandes catégories de délits punis par l’excommunication. Il s’agit d’une part de la violence sous toutes ses formes au sein de la société et d’autre part des offenses faites au mariage. Comme l’indique le titre du chapitre, l’excommunication sert donc à défendre l’ordre social. La violence comme atteinte à l’ordre de la société est donc le plus souvent sanctionnée par l’excommunication. L’étude des sanctions permet de mettre en évidence toutes les formes de violences qui ont cours dans la société médiévale de cette époque. On trouve donc ainsi au premier chef les atteintes des laïcs contre des clercs, mais aussi celles qui ont lieu entre les laïcs. V.B. met clairement en évidence ici le surcroît nécessaire de violence, par rapport à une atteinte contre un clerc, pour qu’une atteinte faite à un laïc par un autre laïc soit passible de l’excommunication. Cette différence met en évidence le rôle de l’excommunication comme arme de protection de l’Église contre les atteintes de toutes sortes. Dans cet ordre de d’idées, V.B. met en évidence que cette peine sert aussi à défendre l’autorité épiscopale quand des atteintes sont portées à sa juridiction. On peut déplorer une organisation un peu chaotique de l’ensemble de cette partie qui aurait sans doute méritée dans l’édition de la thèse un traitement plus ample pour rendre mieux compte des résultats de la démarche totale que s’était fixée l’auteur. En effet, si V. B. met ici bien en évidence plusieurs régimes de fonctionnements de l’excommunication et en particulier celui de régulateur de l’Église, elle traite cette question fondamentale sur deux chapitres. Cet éclatement nuit à cette étude, et tend à faire perdre ce point de vue global cher à l’auteur. On comprend cependant, la difficulté à présenter dans une telle édition un sujet aussi complexe, tant les questions sont imbriquées les unes dans les autres. Ainsi comme V.B. le montre la défense du mariage est aussi celle du rôle des officialités. Un des derniers points soulevés par V.B. dans ce chapitre concerne l’excommunication comme source de réparation, et en particulier comme réparateur de l’honneur perdu. Elle montre que si le but premier de l’excommunication n’est pas celui-ci (son seul but est la pénitence et la rédemption des pécheurs), elle participe tout de même pour les victimes d’un traitement social de la réparation. La sanction par cette peine du coupable et son exclusion de la communauté permet une compensation reconnue, appréciée et revendiquée.

5Le chapitre IV, second chapitre de cette partie, est consacré à ce que l’auteur définit comme la défense de l’ordre chrétien. Trois thèmes sont regroupés autour de ce titre. Il y a d’abord les grandes catégories de délits, ceux que l’on trouve évoqués principalement lors des conciles généraux, à savoir l’hérésie et la sorcellerie, les mauvaises pratiques religieuses, et l’usure. V.B. rappelle cependant l’extrême faiblesse numérique de ces condamnations dans les sources. Il faut voir là à la fois un exemple de l’absence de grandes pratiques déviantes dans des régions bien contrôlées par l’Église, mais aussi la vérification de l’hypothèse de l’auteur sur le rôle avant tout dissuasif de l’excommunication. Après avoir montré brièvement la place finalement mineure de cette sanction dans les sanctions infligées de fait aux membres du clergé, V.B. présente l’excommunication dans son usage comme menace, via la procédure de la monition, et donc son rôle avant tout dans la pastorale. La monition est une procédure où l’accusé se voit signifier son délit et est assigné à comparaître ; c’est seulement son absence répétée aux convocations qui entraîne une excommunication. On voit ensuite que la menace s’exerce avant tout pour le contrôle des mœurs, en particulier à l’encontre des maîtres de fêtes de paroisses.

6La troisième partie de l’ouvrage regroupe sous le titre « La honte du pouvoir des clés » trois chapitres divers et complémentaires qui permettent de donner encore plus de corps au phénomène de l’excommunication. Le chapitre V est consacré à la question très importante du nombre des excommuniés. V.B. insiste d’abord sur la difficulté à obtenir une information claire et sûre. Cette difficulté tient au flou qui entoure l’excommunication dans les textes conciliaires. Elle tient ensuite à la multiplicité des sources qui renseignent chacune une question mais pas l’ensemble de ces dernières. On trouve d’abord les registres des comptes qui retiennent les excommunications à partir de leurs absolutions. On trouve ensuite les journaliers d’audiences ; et enfin sources plus ponctuelles les comptes rendus des visites pastorales. Cet assemblage invite donc à relativiser encore les résultats obtenus. Les chiffres sont très faibles comme le montre le cas très intéressant présenté de manière détaillée par V.B. du diocèse d’Arras au XIVe siècle. En 1328, on ne compte que 552 condamnations pour un diocèse d’environ 180 000 habitants et 391 paroisses, soit comme le calcule l’auteur moins de deux excommuniés par an et par paroisses et 0,3 % du diocèse. Pour la fin du Moyen Âge, aux XVe et XVIe siècles, on observe d’abord une croissance globale des effectifs d’excommuniés et des absolutions en même temps qu’un certain nombre de pics qui restent difficiles à expliquer de façon complète. L’auteur opte pour l’absence, aux vues des statistiques, d’une politique de l’excommunication dans le diocèse de Châlons, même si des inflexions semblent parfois pouvoir être attribuées à des changements de tête sur le siège épiscopal. L’étude de ces sources permet de mettre en évidence qu’excommunication et peines judiciaires ne semblent pas liées directement.

7Le second chapitre de cette partie évoque un cas très intéressant d’usage de l’excommunication : la sanction pour dette. Cette sanction, liée à la condamnation de toutes les affaires d’argent est l’une des causes principales de l’usage accru de l’excommunication à la fin du Moyen Âge. Il est intéressant de remarquer ici que c’est le créancier qui peut obtenir la sanction de son débiteur, ce qui est inattendu quand on songe que le prêt d’argent est mal vu dans la société chrétienne, au titre du manquement à un serment, àsavoir le contrat, fait et scellé devant une autorité ecclésiastique. Cependant, V.B. observe des cas de condamnations intervenant sans qu’il y ait de traces de contrat devant une juridiction épiscopale, et, semble-t-il, sans même de contrat écrit, ce qui témoigne alors du caractère informel de cette procédure. L’excommunication est ici précédée d’une monition envoyée à l’échéance du contrat ou de la simple promesse. V.B. met en évidence que dans le diocèse d’Arras, au milieu du XVe siècle, l’excommunication pour dettes représente plus de 400 cas par an et croît pour atteindre près de 578 cas en 1462. Cet accroissement témoigne des difficultés économiques de la région lors d’une période difficile pour le nord du royaume de France. L’excommunication permet donc bien de témoigner de changements sociaux globaux. Comme en témoignent les statistiques des différentes juridictions au début du XVIe siècle, les excommunications pour dettes font croître considérablement le nombre des condamnations. Ensuite, comme le fait remarquer l’auteur, l’absolution, qui est le corollaire de l’excommunication, est assortie du paiement d’une mande, cette dernière fournissant alors un revenu aux évêchés. Comme le souligne V.B. ces condamnations parfois nombreuses pour une seule personne participent d’une dévaluation de l’excommunication. En outre, l’extrême simplification des procédures, de plus en plus expéditives et qui n’ont plus rien à voir avec la pompe des siècles précédents achèvent de dévaloriser cette sanction. De ce constat, on tire la question finale qui forme le dernier chapitre de l’ouvrage : quel impact social peut avoir l’excommunication à cette époque ?

8Le dernier chapitre porte sur une question fondamentale. Après avoir étudié la définition, les cas, le nombre de condamnations pour excommunication, il s’agit de savoir dans quelle mesure l’exclusion totale de la société chrétienne est appliquée, voir applicable et dans tous les cas dans quelle mesure elle est respectée. V.B. montre qu’à Châlons, le non-respect de l’exclusion des sacrements est somme toute faible, laissant entrevoir un respect de l’interdiction. Par ailleurs, tous les cas de transgression montrent le souci de participer avant tout à la messe dominicale et par là de participer à la communauté. Les multiples fraudes des paroissiens témoignent que, par-delà les aspects judiciaires, le souci de participer aux actes fondateurs de la communauté, y compris dans la mort et l’enterrement en terre consacrée, est très fort. Cette participation, malgré la censure, à la communauté religieuse témoigne de la volonté de ne pas s’éloigner de la société, et cela est encore plus visible lorsque l’interdit ou la censure concerne un ecclésiastique. En effet, ces derniers continuent souvent de célébrer la messe. Ces cas montrent l’importance de la participation à la communauté, et de fait, ceux qui ne recherchent pas le pardon de l’Église deviennent suspects quant à leur foi. La mesure de l’excommunication est donc celle l’importance aux yeux de chacun d’être intégré quitte à faire semblant d’avoir été absout. C’est en même temps le témoignage du contrôle ecclésiastique de plus en plus strict des mœurs et du respect des normes sociales par les fidèles.

9L’ouvrage de V.B. permet donc de mettre en lumière le fonctionnement de l’Église dans une province du nord du royaume de France à travers les procédures d’exclusion de la communauté chrétienne. On observe ainsi une évolution nette de la pratique de l’excommunication, qui tend à se dévaluer par un usage intensif, en même temps que par une multiplication des délits qui l’impliquent. Cela témoigne autant de la volonté de l’Église de contrôler et de normer des pans entiers de la société du temps, que de la difficulté parallèle à produire des normes qui soient respectées. L’étude de l’excommunication permet aussi de monter la force de l’institution paroissiale comme base fondamentale de la vie communautaire. Au final, V.B. accomplit sa promesse de faire une histoire totale. Elle parvient à saisir toute l’épaisseur et la complexité de la société du Nord de la France, et ce sur un temps long, tout en en montrant clairement les évolutions. C’est donc un ouvrage riche qui invite à revisiter de nombreux aspects des sociétés médiévales tout en fournissant les instruments et les méthodes nécessaires.

10Cependant, une série de reproches minimes peut encore être faite. On notera d’abord qu’ils tiennent le plus souvent aux difficultés inévitables que rencontre ce genre éditorial difficile et exigeant qu’est l’édition de thèses. En effet, les analyses de V.B. semblent parfois manquer de place, et l’on regrette que les analyses théoriques aperçues en première partie ne soient pas toujours aussi amples qu’elles pourraient l’être. De même, on regrette qu’il n’y ait pas plus de place attribuée aux exemples et à leur analyse pour fournir encore plus d’élévation à la réflexion de V.B. D’autre part, la mise en page rend parfois peu lisible la démarche de l’auteur. Il est nécessaire que les thèses trouvent des éditeurs ambitieux et soucieux de rendre complètement une démarche longue et complexe.

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David Dominé-Cohn, “Véronique Beaulande, Le Malheur d’être exclu ? Excommunication, réconciliation et société à la fin du Moyen ÂgeCahiers de recherches médiévales et humanistes [Online], Reviews, Online since 02 September 2008, connection on 01 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/2706; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.2706

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