Élisabeth Schmit, « En bon trayn de justice ». Les grands jours du parlement de Paris au lendemain de la guerre de Cent Ans
Élisabeth Schmit, « En bon trayn de justice ». Les grands jours du parlement de Paris au lendemain de la guerre de Cent Ans, Paris, Éditions de la Sorbonne, « Histoire ancienne et médiévale, 186 », 2022, 382 p.
ISBN : 979-1-0351-0819-9
Texte intégral
1Cet ouvrage trouve son origine dans une thèse soutenue le 14 novembre 2019 en Sorbonne sous la direction du Professeur Olivier Mattéoni. Il est notable que cette édition est très proche de l’original doctoral à l’exception du début, ce sur quoi nous revenons plus loin, et du riche volume de pièces justificatives et d’éditions d’actes qui mériteraient peut-être une mise en valeur à part entière. Ceci étant dit, la thèse est déjà accessible en ligne, de même d’ailleurs que ce livre gratuitement sur OpenEdition.org. Quelques illustrations ont été retirées également, mais il reste pas moins de 14 figures et 25 tableaux, comprenant nombres de statistiques, graphiques et cartes, toujours éclairants sur la prosopographie, la géographie, la procédure, les calendriers, etc. L’ouvrage se clôt sur un utile index des noms propres. Sur la forme encore, il est regrettable de relever quelques coquilles évitables (p. 236 « uniment »), mais en trop petit nombre pour être vraiment dérangeantes. On suppose par exemple, dans un passage passionnant par ailleurs sur l’organisation concrète des journées de travail des magistrats, qu’il faut lire quatorze à seize heures pour l’horaire des sessions « d’après-dinées » et non de « quatre à six heures ».
2Le thème, pour en venir au fond, de ces Grands Jours, à savoir ces tribunaux souverains envoyés depuis le Parlement de Paris vers le Poitou, l’Auvergne et le Bordelais au milieu du xve siècle, est important et il n’est guère nécessaire de préciser davantage que l’auteure ne le fait combien il était indispensable de s’en saisir, tant c’est jusque-là un angle mort de l’histoire de la justice d’Ancien Régime, pourtant prolifique, en particulier s’agissant du Parlement de Paris. L’explication avancée à ce désintérêt, outre évidemment la nécessité d’un intense travail de dépouillement, est ironiquement que la justice rendue par ces grands jours est justement en grande partie la même justice « ordinaire » que celle du Parlement de Paris (p. 243). Il importait donc d’étudier le sujet sur le phénomène en lui-même. Toutefois, il s’agit visiblement d’une thèse qui ne s’appuie pas seulement sur de riches dépouillements, mais émerge profondément d’eux. Le volume des archives révélées est impressionnant, autant à Paris les registres du Parlement et de la chancellerie royale, que les archives locales (Gironde, Poitiers, Puy-de-Dôme…), d’autant que s’y ajoutent chroniques ou écrits politiques contemporains. Les principales sources analysées, comme souvent les actes judiciaires, sont donc pléthoriques, variées, parcellaires et Élisabeth Schmit, loin de s’y perdre, a tenu le pari d’à la fois les respecter pour en restituer la teneur de manière quasi exhaustive, tout en parvenant à structurer des conclusions riches et convaincantes.
3Le plan en trois parties est en effet riche et subtil, s’axant tout d’abord sur le contexte politique de l’après-guerre, le souci de réintégration des domaines avec le choix délicat des implantations politiques des institutions. Le lecteur de l’ouvrage, surtout s’il est spécialiste du Moyen Âge central, trouvera, entre l’introduction et ces passages, la principale, voire la seule, critique importante. Une impression émerge en effet d’un manque de profondeur historique dans la présentation du phénomène de ces grands jours. La généalogie de ces grands jours remonte bien avant la guerre de Cent Ans, parfois jusqu’au xiiie siècle et pouvait, si ce n’est être développée car c’est un gros chantier, tout au moins mieux évoquée. Mais en réalité, à la consultation de la version originale de la thèse, l’on comprend que c’est un choix éditorial, car existe là-bas le fruit de ce travail, que l’auteure n’avait évidemment pas pu occulter. Si l’on peut tout à fait comprendre cet allègement, l’introduction aurait quand même gagné à davantage de précisions, ne serait-ce qu’en note ou en bibliographie.
4La deuxième partie ensuite, dont la qualité montre bien la bonne compréhension des enjeux sur le temps long, traite du rapport entre le centre parisien de la justice, le Parlement, et les périphéries, en somme ce que nos institutions appellent aujourd’hui un phénomène de centralisation (le terme date déjà de la Révolution) et même de déconcentration de l’administration de la justice. Certes, il y a un soin à la fois politique (au profit de l’État) et juridique (au profit du justiciable) de se rapprocher de l’administré géographiquement, mais les agents viennent directement de la capitale. Dans les ordonnances royales et les débats d’alors, la célérité et l’accessibilité de la justice sont une préoccupation sincère, mais en réalité sans doute inhérente à l’existence même d’une institution judiciaire en tant que telle, car on retrouve ce souci dès le Moyen Âge central, et bien évidemment plus que jamais de nos jours… Un intéressant mémoire parisien mis en lumière (p. 101) fait émerger la crainte que la division des cours affaiblisse la souveraineté royale, mais c’est bien la solution inverse qui est adoptée, à savoir qu’il faut rapprocher la justice du justiciable pour affermir sa légitimité. L’analyse de Jacques Krynen est bien assimilée qui inspire même en partie le titre du chapitre 4, un « Parlement représenté » et non pas une justice déléguée. Encore faut-il noter, si l’on raisonne en termes anachroniques de centralisation, que les mentalités d’Ancien Régime s’accommodent fort bien des divergences entre Bordeaux et Poitiers par exemple, de la dissymétrie des situations, laissant une grande place à la contingence, en somme à l’absence de systématisation. Tel est souvent ce qui rend bien difficile l’étude de la justice d’Ancien Régime, ajouté aux phénomènes de sédimentation des institutions et leur désuétude ou leur succès qui dépend profondément de l’activité. Cette souplesse institutionnelle est aussi un handicap majeur puisqu’elle est la cause d’une concurrence immense entre les cours et in fine une immense source de complexité procédurale. Le paradoxe est aussi vieux que la justice royale elle-même : elle se développe en promettant accessibilité et efficacité, mais en ne faisant jamais table rase, en tolérant la persistance des justices seigneuriales ou autres dans un premier temps et en accumulant les siennes ensuite, elle installe un système touffu et in fine toujours plus inégalitaire. L’auteure a été capable de mesurer qu’en moyenne chaque procès donne lieu à entre deux et trois renvois devant différentes juridictions, avec jusqu’à cinq dans un pourcentage de cas non négligeable. Certes le procès reste le plus souvent dans la sphère royale, alors qu’au Moyen Âge central, les renvois pouvaient plus majoritairement se faire à des juridictions seigneuriales, mais il est en somme difficile de mesurer la portée concrète de ces exceptions d’incompétence qui devaient tout bonnement gâcher la vie des litigants. Une bonne partie de l’activité judiciaire est donc en somme incidente, avec le Parlement de Paris au sommet qui joue en surplomb souverain le rôle d’une « plateforme de redistribution » (p. 277).
5C’est justement l’activité concrète en général qui fait l’objet de la troisième partie et qui tire le meilleur de l’analyse précise des actes dans toutes les dimensions matérielles et même quotidiennes, y compris parfois la lutte contre l’absentéisme des juges. Sur l’organisation des sessions, le rôle des différents acteurs d’un procès et bien sûr l’application des prescriptions législatives, les propos et analyses sont clairs et vivants. Le dernier chapitre s’essaie à décrire les grandes lignes du contenu de la jurisprudence avec le mérite de ne pas uniquement se focaliser sur la justice criminelle. Dans une grande continuité là encore au fil des siècles, l’activité se consacre pour une part non-négligeable à corriger les abus des agents et juges royaux eux-mêmes.
6Ce bel ouvrage est désormais indispensable pour mieux comprendre l’ordonnance de Montils-les-Tours, la réintégration des territoires à l’issue de la guerre de Cent Ans, mais aussi évidemment toute l’histoire de la justice, non pas seulement de la fin du Moyen Âge, mais encore jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, tant les analyses dépassent l’intérêt porté aux seules grands jours de ces quelques villes du Centre ouest de la France. C’est à la toute fin de l’ouvrage que se trouve l’explication du titre, évoquant une mise en train, notamment pour éviter de traîner, le terme est alors synonyme d’ordre mais avec une dimension dynamique. Qu’on nous pardonne le mauvais jeu de mot, mais il nous reste à espérer pour conclure, sans avoir guère de doutes, que la carrière et les écrits d’Élisabeth Schmit restent sur de si bons rails…
Pour citer cet article
Référence électronique
Pierre-Anne Forcadet, « Élisabeth Schmit, « En bon trayn de justice ». Les grands jours du parlement de Paris au lendemain de la guerre de Cent Ans », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 12 décembre 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/18658 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12wq9
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