Yan Greub, Olivier Collet, La variation régionale de l’ancien français. Manuel pratique, 2024
Yan Greub, Olivier Collet, La variation régionale de l’ancien français. Manuel pratique, ELiPhi (« Travaux de linguistique romane – Linguistique historique » 2), Strasbourg, 2024, 329 p.
ISBN 978-2372760706
Texte intégral
- 1 Le premier volume, publié en 2017, réunissait 65 textes de Jean-Pierre Chambon consacrés aux Méthod (...)
- 2 On trouvera dans ce volume le précieux « inventaire de régionalismes lexicaux du français médiéval (...)
- 3 Régionalité lexicale du français au Moyen Âge, p. 1.
1Les belles Éditions de Linguistique et de Philologie (ELiPhi) de Strasbourg poursuivent la publication de leurs Travaux de Linguistique Romane (TraLiRo) avec ce deuxième volume de linguistique historique consacré plus spécifiquement à « la variation régionale de l’ancien français »1, constituant ainsi un parfait complément au volume thématique issu du colloque de Zurich publié en 2016 par le même éditeur sous le titre de Régionalité lexicale du français au Moyen Âge2. Le présent ouvrage s’intéresse à ce que Martin Glessgen qualifie de « variation régionale grapho-phonétique ou morphologique » pour la distinguer du « régionalisme lexical »3. L’objectif de Y. Greub et d’O. Collet est d’offrir aux chercheurs en langue et littérature médiévales un outil qui permette d’« identifier et énumérer les formes marquées diatopiquement », d’« aider par conséquent à la lecture de textes […] plus marqués » et enfin d’« aider à la localisation des textes » (p. 1). Notons-le d’emblée, ce triple objectif est atteint et les éditeurs de textes en ancien français trouveront dans ce « manuel pratique » (pour reprendre son juste sous-titre) un outil appelé à rendre de précieux services par la synthèse qu’il propose des données dispersées dans les nombreux ouvrages consacrés aux variations régionales.
- 4 L’introduction revient sur les sources utilisées selon les régions p. 14-15.
2L’introduction, dense et pratique elle aussi, rappelle justement les difficultés rencontrées jusqu’à présent par les chercheurs face à la dispersion de l’information en matière de dialectologie. D’un côté, en effet, l’on trouve des études à visée diasystémiques d’une grande richesse mais limitées à des zones précises (l’ouvrage de C. Gossen pour le picard, celui de L. Remacle pour le wallon…)4 ; de l’autre, des ouvrages généraux de qualité mais qui restent en grande partie schématiques sur les questions régionalistes (c’est le cas notamment de la célèbre Introduction à la dialectologie française de J. Chaurand). Il manquait de ce fait un ouvrage général proposant la synthèse de ces études partielles, manque que ce volume vient précisément combler.
3Les sources utilisées sont nombreuses (plus d’une centaine indiquées p. 19-20). Outre les ouvrages descriptifs cités plus haut, s’ajoutent les études linguistiques d’éditions reconnues pour leur qualité (édition Herbin d’Hervis, édition Andolf de Floovant, etc.). De ce fait, on ne saurait reprocher aux auteurs de ne pas revenir aux manuscrits, et ce d’autant plus que les exemples sans références précises dans les ouvrages utilisés ont été systématiquement écartés. Ces choix sont présentés et justifiés clairement dans l’introduction, tout comme celui de limiter l’analyse des données aux seuls phénomènes attribuables sans discussion à une localisation, choix qui paraît pertinent.
- 5 Pourquoi ne pas regrouper l’évolution des voyelles toniques ou entravées avec celles de ces mêmes v (...)
4La partie centrale de l’ouvrage se présente sous la forme de neuf sections s’attachant d’abord aux phénomènes « grapho-phonétiques » (vocalisme et consonantisme, de loin les sections les plus importantes de l’étude), puis aux traits morphologiques (articles, pronoms, possessifs, démonstratifs, invariables et verbes) et enfin à la syntaxe (partie la plus courte). Chacune de ces sections regroupe des articles (jusqu’à soixante-deux pour les traits vocaliques) consacrés à des phénomènes particuliers (par exemple, pour la partie « vocalisme » : évolution du A tonique libre ; A + consonne ou semi-consonne palatale ; palatale + Á ; palatale + ÁTA, - ÁRIU ; Á + /l/ entravé : etc.). Si l’on peut s’interroger en première lecture sur le classement opéré parmi les phénomènes, les quatre index exhaustifs (index géographique, index des objets traités et des graphies, index des étymons et index lexical des formes mentionnées) apportent aux lecteurs un outil d’une très grande utilité qui rend en fait parfaitement secondaire cette question de l’organisation des articles5.
5La mise en page choisie par les auteurs peut surprendre également en première lecture : chaque article se présente en effet sous la forme d’une double page avec la dénomination du phénomène, un tableau à 9 ou 10 entrées, une bibliographie et des commentaires. À l’usage, cette présentation se révèle cependant particulièrement efficace, parce qu’elle donne d’emblée à voir l’ensemble des informations utiles à la compréhension du phénomène. Si les intitulés sont clairs et précis, on appréciera de pouvoir également se repérer grâce au tableau, qui présente en dernière entrée les « formes générales » (comprendre : les formes majoritaires en ancien français), tandis que les huit premières colonnes regroupent des ensembles régionaux pertinents (Angleterre, Ouest, Normandie, Picardie, Wallonie, Lorraine, Champagne, Bourgogne et Franche-Comté) qui reposent sur une division dialectale et non pas historique. À l’occasion, une colonne d’ouverture s’ajoute pour distinguer plusieurs réalisations d’un même phénomène, avec un étalage en plusieurs lignes (par exemple : le point consacré à l’aboutissement de la voyelle latine /e/ accentuée entravée distinguera une première ligne ouverte par une colonne indiquant l’étude du /e/ accentué entravé et une seconde ligne consacrée à l’étude du même /e/ mais devant palatale). Cette présentation permet de rassembler utilement des phénomènes sans multiplier les entrées. À l’intérieur des colonnes, les auteurs ont choisi de ne donner que des formes lexicales attestées, ce qui à l’usage s’avère très pratique. Les formes choisies sont suffisamment nombreuses pour faciliter la recherche, et l’adjonction des étymons ou des traductions pour les formes qui pourraient poser difficulté se révèle également pertinente.
6Sous le tableau, le lecteur trouvera d’abord une riche bibliographie pour chaque phénomène. Celle-ci contient à la fois les sources des formes citées dans le tableau, mais aussi celles utilisées dans le commentaire. Le soin apporté dans le dépouillement impressionne et permettra un travail d’une grande finesse aux utilisateurs de ce manuel, d’autant plus qu’il est guidé par les commentaires qui suivent la bibliographie. Ceux-ci peuvent avoir plusieurs fonctions, ainsi présentées par les auteurs dans l’introduction : « traiter des points de détail ; expliquer l’organisation du tableau ; compléter la présentation de faits qui ne peuvent pas trouver place dans le tableau ; détailler la répartition diatopique ; distinguer la répartition d’un phénomène oral et celui d’une graphie ; faire tout l’exposé, dont le tableau répète les éléments saillants » (p. 9-10). La synthèse proposée pour chaque phénomène est claire et même éclairante, disons-le, grâce à un système de renvoi aux phénomènes adjacents particulièrement efficace.
7Outre les annexes déjà citées, l’ouvrage s’achève sur une très riche bibliographie présentant 150 ans de travaux en linguistique historique. Nul doute que la précieuse synthèse de Yan Greub et Olivier Collet figurera désormais en bonne place dans les futures bibliographies des éditeurs de texte et de tous les spécialistes en langue et littérature médiévales.
Notes
1 Le premier volume, publié en 2017, réunissait 65 textes de Jean-Pierre Chambon consacrés aux Méthodes de recherches en linguistique et en philologie romanes (textes choisis et présentés par É. Buchi, H. Carles, Y. Greub, P. Rézeau et A. Thibault).
2 On trouvera dans ce volume le précieux « inventaire de régionalismes lexicaux du français médiéval », synthèse réalisée à partir des travaux de Gilles Roques.
3 Régionalité lexicale du français au Moyen Âge, p. 1.
4 L’introduction revient sur les sources utilisées selon les régions p. 14-15.
5 Pourquoi ne pas regrouper l’évolution des voyelles toniques ou entravées avec celles de ces mêmes voyelles initiales ou atones ? L’évolution de A tonique libre et l’aboutissement de A initial atone par exemple sont séparées ici par une trentaine d’autres phénomènes. Même question pour l’organisation des phénomènes consonantiques. Mais notre remarque est peut-être elle-même assez secondaire et correspond à des habitudes de lecture de classements strictement alphabétiques (nous pensons ici, par exemple, à l’étude linguistique de La chanson des Saisnes par Annette Brasseur).
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Référence électronique
Gauthier Grüber, « Yan Greub, Olivier Collet, La variation régionale de l’ancien français. Manuel pratique, 2024 », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 09 août 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/18587 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/125rr
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