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2024

Réécritures et adaptations de l’Ovide moralisé (xive-xviie siècle), éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez, 2022

Nicolas Mazel
Référence(s) :

Réécritures et adaptations de l’Ovide moralisé (xive-xviie siècle), éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez, Turnhout, Brepols, 2022, 306 p.
ISBN 978-2-503-59024-0

Texte intégral

1Le troisième volume de la série « Recherches sur les réceptions de l’Antiquité » de l’éditeur Brepols, série créée pour répondre au développement fécond des « reception studies », réunit pas moins de seize contributions autour de la fortune de l’Ovide moralisé du xive au xviie siècle.

  • 1 Traire de latin et espondre. Études sur la réception médiévale d’Ovide, éd. C. Baker, M. Cavagna et (...)

2Le choix d’un tel empan chronologique, du Moyen Âge à l’Âge classique, est l’un des tours de force de l’ouvrage de Catherine Gaullier-Bougassas et de Marylène Possamaï-Pérez. Ce dernier entend combler une lacune « sur la survivance » de l’Ovide moralisé « dans les textes qui l’ont suivi, réécrit, ou implicitement discuté jusqu’à la fin du xviie siècle » (p. 20). L’ouvrage s’inscrit dans la continuité des études sur la réception d’Ovide au Moyen Âge, dont les dernières en date remontent à 20211. L’introduction retrace les modes d’appréhension de l’Ovide moralisé de sa composition au xive siècle jusqu’au xviie siècle. Ces quelques pages sur la « prospérité » de l’Ovide moralisé débouchent sur un classement des communications en fonction du type d’influence que l’ouvrage a exercé : « de simples emprunts à des reprises et des réinterprétations plus vastes, jusqu’aux mises en prose du texte entier et à leurs remaniements au début du xvie siècle, ainsi qu’à son empreinte dans les nouvelles traductions des Métamorphoses » (p. 10). L’introduction se poursuit par la présentation classée des communications selon le plan suivant : « Emprunts ponctuels et plurilinguisme », « Réécritures plus étendues et réinterprétations » et « Mises en prose de l’Ovide moralisé et nouvelles traductions des Métamorphoses ».

  • 2 Voir C. Mainzer, « John Gower’s Use of the ‘Medieval Ovid’ in the Confessio Amantis », Medium Aevum(...)

3La première partie, « Emprunts ponctuels et plurilinguisme », regroupe cinq contributions. La première, celle de Marek T. Kretschmer, s’intéresse aux ajouts de la version parisienne de l’Ovidius moralizatus de Pierre Bersuire. Les ajouts sont le plus souvent des explicitations ajoutées ou plus rarement des mythes ajoutés. Le relevé effectué par Marek T. Kretschmer au moment de la rédaction de l’article varie de dix à quarante par chapitre. L’étude prend pour exemple le chapitre V et propose notamment un tableau permettant d’apprécier les changements de la version parisienne (notée P) par rapport à la version avignonnaise (notée A) et comportant un renvoi au numéro des vers correspondant aux Métamorphoses (p. 25-26). L’analyse montre que les cinq nouveaux mythes du chapitre V de P proviennent de l’Ovide moralisé, de même que vingt-trois des quarante-neuf nouvelles explications. La seconde étude, celle de Marylène Possamaï, entend montrer à partir du mythe de Télèphe et de celui d’Actéon comment Jean Froissart puise dans l’Ovide moralisé pour y trouver les mythes antiques qu’il traite dans son Joli Buisson de Jonece. Froissart s’approprie les mots de l’Ovide moralisé, considéré comme traduction fidèle des Métamorphoses. A travers l’exemple des deux mythes, Marylène Possamaï montre bien que le « poème anonyme a pu lui fournir aussi bien des motifs poétiques et narratifs, que les mots mêmes de la version romane de la fable » (p. 49). La prise en compte du manuscrit de Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus latinus 1479, considéré comme un « bon modèle de l’exemplaire que l’auteur du xive siècle devait avoir sous les yeux » (p. 44), permet d’observer assurément ce qu’emprunte Froissart à l’Ovide moralisé plutôt qu’aux Métamorphoses. La troisième étude, celle de Robert F. Yeager, s’intéresse à la manière dont John Gower utilise l’Ovide moralisé dans sa Confessio Amantis à la suite des travaux de Conrad Mainzer2. L’analyse montre que Chaucer a joué un rôle d’intermédiaire entre Gower et l’Ovide moralisé, notamment à travers la comparaison entre la Confession Amantis et la Legend of Good Women de Chaucer. Néanmoins, Robert F. Yeager note que certaines données de la Confessio Amantis, tant sur le plan des personnages (celui de Genius par exemple) que sur le plan du style, rapprochent tout de même l’œuvre de l’Ovide moralisé. La quatrième contribution, celle de Clotilde Dauphant, prolonge l’analyse des phénomènes d’intertextualité mise en œuvre dans les études déjà présentées. Clotilde Dauphant étudie ici l’influence de l’Ovide moralisé dans la poésie d’Eustache Deschamps, à côté de celle, plus directe, de Guillaume de Machaut et de Philippe de Vitry. L’étude prend pour support les noms mythologiques présents chez Deschamps, lesquels sont classés dans deux tableaux : « 1. Les noms mythologiques cités sans intertexte précis par Deschamps » (p. 83-84) et « 2. Les autres noms mythologiques cités par Deschamps et leurs sources ovidiennes » (p. 84-85). Deschamps voit dans l’Ovide moralisé une tonalité courtoise qu’il récupère pour ses personnages présentés comme des « amants littéraires du Moyen Âge » (p. 74). Si Deschamps a « lu aussi bien Ovide que l’Ovide moralisé » (p. 70), il faut noter que ce qui rapproche le plus Deschamps de l’Ovide moralisé est la tendance à la moralisation, sans pour autant suivre la même grille de lecture que l’auteur anonyme. La double lecture d’Ovide et de l’Ovide moralisé se révèle ainsi être le reflet d’une « fascination des milieux littéraires de l’époque pour la mythologie antique [qui] nourrit tout particulièrement l’imagination féconde du moraliste Deschamps » (p. 83). La dernière contribution, celle de Ludmilla Evdokimova, porte sur le Dictier poëtical, petit poème attribué d’abord à Jean Molinet puis à Jean Robertet. Ludmilla Evdokimova montre que la présence de noms mythologiques dans l’œuvre doit plus à l’Ovide moralisé que Margaret Szuppan ne le pensait. L’étude prend pour exemples la liste des « dieux invités au mariage de Zéphire et de Flora » (p. 90), et celle des « habitants des enfers » (p. 98). Ludmilla Evdokimova note une dette réelle envers l’Ovide moralisé dans la composition de ces listes. L’influence de l’Ovide moralisé se révèle déterminante pour comprendre l’interprétation allégorique des personnages. C’est à travers elle que Ludmilla Evdokimova propose de rattacher le Dictier poëtical à Jean Molinet plutôt qu’à Jean Robertet, lequel sature ses poèmes d’éléments mythologiques contrairement au second.

4La deuxième partie, « Réécritures plus étendues et réinterprétations », comprend six contributions. Les trois premières, celles de Prunelle Deleville, Magali Romaggi et Ana Pairet, analysent les multiples rapports qu’entretient Christine de Pizan avec l’Ovide moralisé. L’étude de Prunelle Deleville s’intéresse à la « nature exacte du texte ou des textes de l’Ovide moralisé dont disposait la poétesse » (p. 13). Selon elle, Christine de Pizan aurait disposé de manuscrits de la famille Z dans la mesure où de nombreuses correspondances se remarquent entre certains manuscrits de la famille Z et l’Epistre Othea, la Cité des dames et le Livre du duc des vrais amants. L’élément le plus saillant est notamment le partage « d’une même conception de l’amour » (p. 114) et de certains mythes. La contribution de Magali Romaggi prolonge la première en resserrant l’analyse autour de l’Epistre Othea. Elle porte sur la métamorphose de la fole amour à travers les exemples de Mars et Vénus, Héro et Léandre, et Pasiphaé. Magali Romaggi montre comment Christine de Pizan se détache généralement d’une forme de condamnation présente dans l’Ovide moralisé, signe d’un véritable travail de réinterprétation et d’une volonté de proposer une nouvelle lecture de ces mythes. Enfin, la contribution d’Ana Pairet interroge plus particulièrement la présence du mythe d’Io. L’utilisation conjointe de l’Ovide moralisé et du De mulieribus claris de Boccace vise à « déjouer les pièges antiféministes de ces textes (p. 14) et à instaurer une « pédagogique au féminin » (p. 158). Les deux contributions suivantes s’intéressent à la compilation qu’est la Bouquechardière de Jean de Courcy. Elena Koroleva aborde la question du mythe d’Ariane de l’Ovide moralisé à la Bouquechardière en passant par le Jugement du roi de Navarre de Guillaume de Machaut. La réinterprétation du mythe d’Ariane entraîne par corollaire une révision de l’image de Thésée. Elena Koroleva montre notamment que cela est dû à un intérêt porté aux « données narratives » (p. 171) de l’Ovide moralisé plutôt qu’à l’interprétation allégorique. Chez Machaut, Ariane devient un « personnage emblématique de la souffrance amoureuse » (p. 171), élément minoré chez Jean de Courcy, lequel rappelle que « suivre le penchant de son cœur » (p. 171) sied plus aux hommes qu’aux femmes. Catherine Gaullier-Bougassas envisage l’histoire de Philomène selon le concept développé depuis les années 1970 aux États-Unis : la « culture du viol ». Le cas de Philomène constitue un « support très riche pour une réflexion éthique et religieuse » (p. 175). L’analyse montre notamment comment l’œuvre de Jean de Courcy, bien que dénuée de portée féministe, rejette et dénonce « tout ce qui relève de la ‘culture du viol’ dans l’Ovide moralisé ». L’étude s’étend également à l’histoire de Procné et Térée. Jean de Courcy déjoue les stratégies opérées par l’auteur de l’Ovide moralisé qui permettent à ce dernier d’excuser les crimes. Catherine Gaullier-Bougassas propose de lire dans ce mouvement de réinterprétation de ces mythes « une réponse à l’Ovide moralisé » (p. 194). La dernière contribution de cette partie s’intéresse aux échos renaissants de l’Ovide moralisé dans les Illustrations de Lemaire de Belges à partir des exemples des noces de Thétis et Pélée et du jugement de Pâris. Adeline Desbois-Ientille explique qu’il faut plutôt parler d’emplois ponctuels que de « réécriture » pour évoquer « le rapport que les Illustrations entretiennent avec l’Ovide moralisé » (p. 206) car Lemaire de Belges « conserve avant tout des fragments de trame narrative » (p. 206) en se souciant de la cohérence avec les textes antiques. Son propos l’amène ainsi à discuter la position d’Ann Moss selon laquelle Lemaire de Belges ne se détache pas tout à fait de ce qui le précède plus directement. La conclusion de l’article propose une extension du cas des Illustrations et montre comment à son tour et à l’instar de l’Ovide moralisé, les Illustrations jouent le rôle de source pour le Grand Olympe des histoires poëtiques du prince de poësie Ovide Naso en sa Metamorphose.

  • 3 A. Gaillard, Fables, mythes, contes. L’esthétique de la fable et du fabuleux (1660-1724), Paris, Ch (...)

5Cette dernière contribue opère une heureuse transition vers la dernière section de l’ouvrage : « Mises en prose de l’Ovide moralisé et nouvelles traductions des Métamorphoses ». La contribution de Stefania Cerrito étudie l’exemple de la nymphe Aréthuse afin de montrer l’évolution de l’Ovide moralisé jusqu’à la Bible des poëtes. La description de la métamorphose emprunte en grande partie à la matière de l’Ovide moralisé tout en la réorganisant. De ce fait, et selon Stefania Cerrito, « sa fable représente ainsi une variante heureuse du paradigme narratif du viol ». Par ailleurs, l’étude s’intéresse au sort fait à l’interprétation de la fable. La Bible des poëtes réintroduit la glose typologique dans la continuité de Colard Mansion, en préférant l’Ovidius moralizatus à l’Ovide moralisé. La glose évhémériste est conservée quant à elle dans les versions en prose de l’Ovide moralisé (p. 231). La contribution de Céline Bohnert porte sur la figure d’Adonis dans l’Ovide moralisé, la Methamorphose (1484) et le Grand Olympe des histoires poëtiques (1532). Selon Céline Bohnert, les deux mises en prose « plient la paraphrase médiévale au service de nouvelles fins » (p. 237). La réception renaissante du personnage montre un « intérêt nouveau porté à la figure du jeune amant trop tôt fauché et signale un goût décroissant pour sa génitrice » (p. 250). La contribution d’Inès Hansen prend pour sujet les Trois premiers livres de la Metamorphose d’Ovide réalisés par Clément Marot puis Barthélémy Aneau après la mort du premier. Pour Inès Hansen, les Trois premiers livres est une « œuvre à deux faces » (p. 263) car, bien qu’ils « offrent un retour au texte antique des Métamorphoses » (p. 263), leurs « commentaires cependant continuent la tradition de l’exégèse du texte » et « perpétuent l’idée que le texte doit être expliqué et le lecteur a besoin d’aide pour comprendre les fables » (p. 263). Pour Inès Hansen, le retour de la glose marginale est le fruit du travail d’Aneau. Par ailleurs, celui-ci dresse des listes de noms et d’œuvres qui « reflèt[ent] les intérêts littéraires de la période humaniste » (p. 256). La contribution d’Ugo Païs analyse l’évolution de la fable de Philomène et Térée dans les Amours de Christofle de Beaujeu (1589). Ugo Païs envisage tout d’abord la question des emprunts et innovation de Beaujeu par rapport à la tradition médiévale, en remontant jusqu’à Chrétien de Troyes. Le traitement du mythe dans les Amours est encore tributaire de la tradition médiévale, en témoignent certaines reprises lexicales. De même, la fable de Philomène et Térée lui permet d’insérer d’autres mythes, preuve de l’érudition mythologique du poète. Ugo Païs invite à lire Philomène comme « le double du poète lyrique qui tâche de toucher son lectorat en se montrant dans les affres de la passion » (p. 281). La dernière contribution de la section, celle de Maurizio Busca, envisage la place de l’allégorie dans les préfaces des traductions des Métamorphoses de la fin du xve siècle à la fin du xviie siècle. Il s’agit d’étudier les « pactes de lecture allégorique », expression qu’il reprend à A. Gaillard3. L’étude montre un progressif abandon de la lecture quadripartite au profit d’une lecture tripartite dès le xvie siècle qui « privilégie progressivement la seule interprétation morale » (p. 283). De même, l’interprétation morale est elle-même progressivement abandonnée au seuil du xviiie siècle comme le montre l’exemple de Thomas Corneille en 1697 (p. 295 sqq.).

6L’ouvrage de Catherine Gaullier-Bougassas et de Marylène Possamaï-Pérez comble donc une lacune importante sur la survivance de l’Ovide moralisé jusqu’au xviie siècle. L’approche choisie est résolument tournée vers une lecture active de l’Ovide moralisé, au sens où l’entendait H. R. Jauss.

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Notes

1 Traire de latin et espondre. Études sur la réception médiévale d’Ovide, éd. C. Baker, M. Cavagna et E. Guadagnini, Paris, Classiques Garnier, 2021 et Ovide en France du Moyen Âge à nos jours. Études pour célébrer le bimillénaire de sa mort, éd. S. Cerrito et M. Possamaï, Paris, Classiques Garnier, 2021.

2 Voir C. Mainzer, « John Gower’s Use of the ‘Medieval Ovid’ in the Confessio Amantis », Medium Aevum, 41, 1972, p. 215-229.

3 A. Gaillard, Fables, mythes, contes. L’esthétique de la fable et du fabuleux (1660-1724), Paris, Champion, 1996, p. 35-79.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Mazel, « Réécritures et adaptations de l’Ovide moralisé (xive-xviie siècle), éd. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez, 2022 »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], Recensions par année de publication, mis en ligne le 26 janvier 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/18523 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crmh.18523

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