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Les festivités joyeuses et leur production littéraire : pratiques parodiques en scène et en textes, en France et en Europe (XVIe-XVIIIe s.)

La fonction de la mise en scène de l’abbaye joyeuse dans le mandement joyeux français (XVIe siècle)

The function of the representation of the joyful abbey in the joyful French pastoral letter (sixteenth century)
Rozanne Versendaal
p. 417-438

Résumés

L’abbaye joyeuse est un élément récurrent des parodies des mandements, c’est-à-dire les mandements joyeux. L’objectif de cet article est de déterminer les liens entre le mandement joyeux et l’abbaye joyeuse. Est-ce que le mandement joyeux est un genre littéraire utilisé par des auteurs appartenant aux abbayes joyeuses, ou est-ce que l’abbaye joyeuse est plutôt un motif utilisé dans les mandements joyeux ?

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Texte intégral

  • 1 N. Z. Davis, « The Reasons of Misrule : Youth Groups and Charivaris in Sixteenth-Century France », (...)
  • 2 Dans cet article, nous adoptons de l’anglais le mot performative, qui signifie : « relating to or o (...)

1Il y a quelques décennies déjà que les études de Natalie Zemon Davis ont introduit les abbayes joyeuses en France au xvie siècle dans le champ de la recherche en littérature médiévale et pré-moderne. À partir de ces travaux, Katja Gvozdeva, Katell Lavéant et Jean-Yves Champeley, entre autres, ont approfondi le sujet en étudiant les abbayes et les compagnies joyeuses dans plusieurs régions de France et des anciens Pays‑Bas1. Leurs études ont montré que les membres des abbayes joyeuses organisaient des fêtes et des parades, jouaient des pièces de théâtre et connaissaient une production littéraire (chansons, monologues, textes joyeux) qui semble avoir été performative2. Ces études ont notamment souligné que toutes ces activités ont eu une force cohésive, c’est-à-dire qu’elles rassemblaient les gens et favorisaient la cohérence entre les différentes couches sociales.

  • 3 H. Pleij, Het Gilde van de blauwe schuit : literatuur, volksfeest en burgermoraal in de late middel (...)
  • 4 De Blauwe Schuit était par exemple le nom d’un groupe joyeux actif à Bergen op Zoom (aux Pays‑Bas m (...)
  • 5 À ce que nous savons, il s’agit de cinq textes en français : 1. Le monologue des nouveaulx sotz de (...)
  • 6 Ces mandements forment la base d’un chapitre de ma thèse sur les mandements joyeux en France et aux (...)

2Dans ses travaux sur la littérature carnavalesque médiévale des anciens Pays‑Bas, Herman Pleij défend également le pouvoir unificateur de tels événements en discutant en détail le mandement parodique De Blauwe Schuit (La Barque Bleue)3. Il s’agit d’un poème rédigé sous forme de mandement, dans lequel une autorité facétieuse salue tous les compagnons « qui ont des manières sauvages » (« van wilde manieren ») et les invite à monter dans la barque bleue, une abbaye joyeuse imaginaire où presque tout était autorisé. Bien que l’expression « Barque Bleue » ait été utilisée par des guildes ou groupes de gens réels dans différentes villes des Pays‑Bas4, le mandement De Blauwe Schuit ne se réfère pas à un groupe ayant véritablement existé. Il s’agit d’une abbaye ou guilde imaginaire et d’un texte standardisé. La barque bleue était un topos carnavalesque extrêmement répandu à la fin du Moyen Âge. Il existe des textes similaires à La Barque Bleue en français, des mandements parodiques portant notamment sur la vie des abbayes joyeuses imaginaires5, dont la signification n’est pas connue6.

  • 7 Pour l’explication de la structure et la rhétorique juridique du mandement, nous nous référons à l’ (...)

3Le présent article ne s’appuie pas sur une analyse des documents d’archives telle que les chercheurs mentionnés ci‑dessus l’ont réalisée. Comme l’a également fait Pleij, nous proposons plutôt d’étudier des sources littéraires, les mandements joyeux en français, mettant en scène des abbayes joyeuses imaginaires. Ces mandements joyeux, notamment composés aux xve et xvie siècles, reprennent le modèle des textes de loi et des ordonnances royales ou épiscopales et se caractérisent par l’idée qu’une autorité joyeuse promulguant l’acte s’adresse à ses sujets pour leur donner un ou plusieurs ordres ludiques7. C’est en raison de la mise en scène de cette autorité joyeuse et ces ordonnances ludiques que nous définissons les textes comme des mandements joyeux. La tradition des mandements joyeux est un domaine qui reste à explorer : actuellement, nous avons connaissance d’exemples français, néerlandais, et, dans une moindre mesure, anglais et allemands. Les milieux dans lesquels ces textes ont été produits varient. Les mandements joyeux français dérivent, entre autres, du milieu juridique (les clercs de la Basoche) ou de la Cour (Jean Molinet). Les mandements joyeux néerlandais sont souvent le fruit des chambres de rhétorique.

  • 8 Christine Bénévent a remarqué que les textes littéraires imprimés portant sur des abbayes joyeuses (...)
  • 9 Afin de comprendre cette problématique et ses implications pour notre approche des mandements joyeu (...)

4L’abbaye joyeuse est un élément récurrent dans les mandements joyeux français, mais, paradoxalement, aucun mandement ne peut être lié à une abbaye joyeuse ayant vraiment existé8. Ici nous nous interrogeons sur la fonction de l’abbaye joyeuse dans le mandement joyeux. Pourquoi cet endroit est-il mis en scène ? L’étude des sources plutôt littéraires que historiques telles que les mandements joyeux pose des problèmes lorsque l’on souhaite les relier à un phénomène historique – c’est-à-dire, ici, l’existence des abbayes joyeuses. Pour cette raison, nous considérons les abbayes inventées pour les besoins du texte comme des « faux réels », des constructions imaginaires se substituant au véritable réel. Les abbayes joyeuses présentes dans nos textes sont ainsi des échos textuels possibles des abbayes joyeuses historiques. Néanmoins, il faut considérer ces échos comme des forces actives dans le sens qu’elles définissent, voir créent, l’image que nous nous faisons des abbayes joyeuses historiques9. Les conclusions que nous pouvons tirer de l’analyse des mandements joyeux contribuent à une meilleure compréhension de la place et de la fonction de l’abbaye joyeuse dans la culture joyeuse de la fin du Moyen Âge en France et aux Pays‑Bas.

La parodie du mandement joyeux

  • 10 J. Molinet, Les Pronostications Joyeuses, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, Droz, 1998.

5Dans sa critique des Pronostications joyeuses de Molinet, éditées par Jelle Koopmans et Paul Verhuyck10, Barbara N. Saugent-Baur écrit que

  • 11 C’est-à-dire le mandement joyeux, le testament joyeux, le sermon joyeux, etc.
  • 12 B. N. Saugent-Baur, « Book review », Fiftheenth-Century Studies, 28, 2002, p. 266.

the attraction of these [sub-genres11] lies in the shell rather than the nut it contains; once the riddle is solved, the message turns out to be not especially interesting12.

  • 13 Néanmoins, il faut souligner que les textes parodiques de cette étude sont en effet des imitations (...)
  • 14 M. Bayless, Parody in the Middle Ages. The Latin Tradition, Ann Arbor, The University of Michigan P (...)
  • 15 Bayless, Parody in the Middle Ages, p. 3.
  • 16 Bayless, Parody in the Middle Ages, p. 5.
  • 17 L’idée du « situatedness » vient du critique littéraire Terry Eagleton. Selon lui, des textes doive (...)

6Notre hypothèse principale contredit cette idée. Nous pensons qu’à la charnière entre le xve et le xvie siècle, le mandement joyeux (un des sous-genres dont parle Saugent-Baur) était l’un des supports anonymes par excellence pour discuter des idées sur toutes sortes de thématiques contemporaines. Le mandement fonctionne ainsi à deux niveaux. À un premier niveau, le mandement est un jeu parodique se moquant de l’acte diplomatique lui-même, de l’auteur de ce type de documents et de l’institution octroyant le document (auquel appartient l’auteur)13. Ce niveau de surface, que Saugent‑Baur appelle la coquille, est aussi désigné sous les expressions « parodie textuelle », « parodie matérielle » et « parodie exemplaire14 ». À un niveau plus profond (la « noix » dont parle Saugent‑Baur), le mandement a pour but de présenter un point de vue sur un sujet d’actualité, ce que Martha Bayless appelle la « parodie sociale15 ». Selon elle, une étude de la parodie médiévale n’existe pas sans prendre en compte cette dimension sociale de la parodie. Dans cette optique, la parodie médiévale fonctionnait comme « the vehicle for a significant proportion of medieval satire […]. [T]he ridicule was often directed at [for example] illicit drinking, gambling, gluttony, ecclesiastical corruption, or the vileness of the peasantry16 ». Dans le même ordre d’idées, Jelle Koopmans ajoute l’idée que la parodie médiévale ne fonctionne qu’en situation (« situatedness »)17. Il affirme que

  • 18 J. Koopmans, « La parodie en situation. Approches du texte festif de la fin du Moyen Âge », CRMH, 1 (...)

[l]e texte médiéval est souvent, de par sa nature performative, lié à des circonstances concrètes plutôt qu’à un « canon littéraire » et ce n’est pas nécessairement une pensée générique qui préside à la création de textes parodiques18.

  • 19 M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 477.

7En prenant en compte le fait que la production littéraire des associations joyeuses avait une force cohésive, nous pensons que les mandements expriment des sentiments et des pensées sur un sujet qui concerne la société dans son ensemble. Afin de présenter un point de vue, voire une critique sociale sous le voile de la parodie, les auteurs des mandements utilisaient un discours inversé et un vocabulaire joyeux. Cela correspond aux positions de Bakhtine, qui défend l’idée selon laquelle la littérature carnavalesque (que Katell Lavéant propose d’appeler plutôt « littérature joyeuse ») recherche toujours une nouvelle façon de refléter le monde et d’interagir avec les lecteurs ou auditeurs19. Sans donner de réponse exhaustive à la question de savoir quels textes étaient sérieux et quels textes étaient joyeux, nous pensons que le mandement joyeux était, à la fin du Moyen Âge, l’un des instruments qui permettait la réflexion critique sur un sujet d’actualité concernant à des degrés divers plusieurs milieux sociaux.

  • 20 Le livre contenant le mandement de cette compagnie est le suivant : Anon., La grande confrarie des (...)
  • 21 Ici, nous n’utilisons que les termes « confrérie joyeuse » et « abbaye joyeuse » pour désigner ce g (...)

8Pour illustrer cela, nous avons choisi pour étude de cas le mandement joyeux de « La Grande Confrairie des saoulx d’ouvrer et enragés de rien faire20 » (dorénavant « la confrérie des souls d’ouvrer » ou le « mandement des souls d’ouvrer »), la confrérie de ceux qui sont las de travailler21. Afin d’interpréter le mandement, de comprendre la relation entre l’abbaye joyeuse et le mandement, et de tester nos hypothèses concernant les différents niveaux de parodie, nous donnerons pour commencer une idée de la structure et du contenu du texte.

La grande confrarie des soulx d’ouvrer et l’image d’une confrérie joyeuse imaginaire

  • 22 Pour toutes les références au texte, nous citerons notre transcription (voir l’annexe), avec les nu (...)
  • 23 J. Merceron, Dictionnaire thématique et géographique des saints imaginaires, facétieux et substitué (...)
  • 24 Nous avons choisi de ne pas traiter de cette partie du livre car elle se positionne dans des recher (...)
  • 25 Bouhaïk-Gironès, Les clercs de la Basoche, p. 111. Ces deux types d’associations peuvent converger, (...)

9La grande confrarie des soulx d’ouvrer et enragez de rien faire (1537) est composée de trois parties. La première partie est un mandement joyeux, intitulé les « Indulgences et pardons de la confrarie de monseigneur mon sieur sainct Lasche22 » (1-2). Le texte met en scène l’abbaye de « chasse prouffit » (16-17), dont les membres sont, paradoxalement, extrêmement pauvres. Leur patron est le saint imaginaire des paresseux23. Ensuite un supplément à ce mandement joyeux a été imprimé, intitulé « Choses merveulleuses et de grandes indulgences de ladicte confrarie de Monseigneur monsieur sainct Lasche » (119-120), qui spécifie les récompenses si le mandement de la première partie a bien été respecté. Les deux premières parties sont donc complémentaires. La troisième partie présente une liste joyeuse de la « monnaie » de la confrérie, dont nous ne parlerons pas en détail dans ce texte24. Les trois parties ensemble donnent l’image d’une confrérie qui parodie la confrérie religieuse réelle, c’est-à-dire que les trois documents du livre se moquent des documents couramment octroyés à une confrérie ou abbaye religieuse. Ainsi, la confrérie des souls d’ouvrer devient en quelque sorte une confrérie joyeuse, dans laquelle le discours du renversement de l’ordre normal joue un rôle important. Néanmoins, la notion de confrérie joyeuse pose aussi problème. Comme on le sait, l’organisation des festivités de Carnaval était l’un des buts principaux d’une confrérie joyeuse25. Or, La grande confrarie des soulx d’ouvrer ne parle pas de ce type d’activités, ce qui complique l’utilisation du terme « confrérie joyeuse » pour la définir. Par souci de clarté, nous définissons cependant la confrérie des souls d’ouvrer comme une confrérie joyeuse imaginaire en considérant notamment le discours et le vocabulaire de ce texte.

  • 26 Jusqu’à maintenant, nous n’avons aucune idée de la signification de ce nom dans le cadre de ce mand (...)
  • 27 Nous signalons que le jeûne est aussi une pratique religieuse, surtout dans les abbayes. Voir par e (...)

10Le mandement joyeux contient plusieurs ordres à respecter. Les ordres de « non rien avoyr » (28), de « faire tousiours grandes debtes » (30) et de vivre en « pouvrete et misere » (104) viennent du prélat « Ponts Maudiné26 » (24), chargé de l’abbaye, et, à un niveau plus spirituel, de Dieu lui-même, qui « plaist aucun bien n’y proffit » (60). Les ordonnances qui découlent de cet idéal soi‑disant religieux se résument à l’idée que les membres de l’abbaye sont obligés de ne rien faire (comme l’indique déjà le titre du livre, « enragés de rien faire »). Cette inactivité a mené les confrères à la pauvreté, parfois même à leur emprisonnement ou à leur excommunication. Néanmoins, le texte indique explicitement que certains membres de l’abbaye se plaignent de leurs confrères : « nous avons entendu par bonne et souffisante complaicte de noz bien amez et alliez les gens de nostre abbaye de chasse prouffit » (15-17). Leurs complaintes, précisées dans la narration, portent sur le fait que certains « justiciers et subjectz » (61) n’obéissent pas aux ordonnances du prélat, c’est-à-dire qu’ils poursuivent le profit, gagnent de l’argent et sont actifs. Ils veulent, par exemple, « ediffier maisons » (73), et ils s’amusent et dépensent de l’argent dans les tavernes du royaume imaginaire (77-79). À cause de cette désobéissance, le prélat Ponts Maudiné ordonne le jeûne pour regagner des indulgences (à partir de la ligne 99 : « nous vous mandons et commandons »). Ce jeûne est organisé comme suit : « tous les dimenches deux miches de faulte » (101), « le lundi faulte de vin » (101-102), « le mardi, mescredi, et jeudi neccessite chaire » (102) et « le vendredi et samedi comme les autres jours » (102-103)). Le but du jeûne est de compenser les péchés des personnes cherchant le profit. Ensuite, l’autorité répète les commandements essentiels de l’abbaye, c’est-à-dire « de n’en rien avoir en tout temps fors seulement toute leur vie pouvrete et misere » (103-104)27.

  • 28 Représentant d’un seigneur exerçant des fonctions judiciaires et administratives.

11Le mandement n’est pas adressé aux sujets de l’abbaye, mais à leurs « generaulx » (10), « conseilliers » (10), « tresoriers et argentiers » (12) et au « baillif28 » (14) de la confrérie. Ce sont donc les représentants des sujets de l’abbaye. Ces représentants doivent normalement contrôler les sujets de la confrérie et voir s’ils observent toujours les ordonnances du prélat, ce qui n’est pas le cas dans ce mandement car certains sujets s’enrichissent malgré l’interdiction. En jeûnant, les confrères de mauvaise vie peuvent gagner l’indulgence et le pardon de Dieu lui-même. Une clé pour l’interprétation de ce mandement est dans son titre, et surtout dans les mots « indulgences et pardons ».

12Pourquoi les membres de la confrérie voudraient-ils gagner cette indulgence ? Cela est spécifié dans le supplément du mandement de La grande confrarie des soulx d’ouvrer, La motivation principale des confrères pour « maintenir obeyr et servir aux commandemens de monseigneur monsieur saint Lasche » (179-180) est dans l’idée qu « selon les merites de ce monde, on est remunere en l’autre » (124-125). Pour les efforts qu’ils font dans ce monde, les confrères seront donc récompensés dans un autre monde. Dans le cas de la confrérie des souls d’ouvrer, cela veut dire qu’ils profiteront d’un paradis qui répond à l’imaginaire médiéval du pays de Cocagne. C’est « une isle […] en ung lieu delectable, ou a tout jamais [les confrères] pourront demourer en joye et felicite » (130-131). Les murs du château qui s’y trouve sont par exemple construits avec des fromages, du beurre et du sucre. Il y a des pierres précieuses en grand nombre, décorant les chambres, les tables et les chaises. Sur les tables sont disposées toutes les viandes possibles et toutes sont déjà « prestes a manger » (157). Il y a de la musique mélodieuse, de nombreux « jardins de plaisansce » (163) avec des fleurs, une vallée avec « plusieurs belles fontaines qui rendent vin blanc » (165-166), des arbres qui produisent « toutes manieres de dragees » (168) et de nombreux autres produits alimentaires. Enfin, sur une montagne poussent de nombreux arbres qui donnent « tous manieres d’habillemens, comme robbes, cappes, manteaulx » (176-177), etc. Le paradis décrit dans ce mandement répond à tous les besoins possibles, de la nourriture aux vêtements.

  • 29 A. van Dixhoorn, Lustige geesten: rederijkers in de Noordelijke Nederlanden (1480-1650), Amsterdam, (...)
  • 30 Pour ces thèmes Katell Lavéant a par exemple retrouvé une grande variété de noms des compagnies joy (...)
  • 31 Nous remarquons que la folie est un thème omniprésent dans le théâtre médiéval français, ce qui ren (...)
  • 32 L’ensemble de ces thèmes dérive d’une analyse globale de notre corpus des mandements joyeux (enviro (...)
  • 33 Voir aussi note 5.

13Le vocabulaire du discours du mandement et du supplément s’inscrit parfaitement dans le vocabulaire joyeux tel qu’il est décrit par Katell Lavéant pour les régions francophones et, dans une moindre mesure, par Arjan van Dixhoorn pour les régions néerlandophones29. Il s’agit d’un vocabulaire dont les thèmes fréquents sont la tension entre la pauvreté et la richesse, la misère30, l’abondance alimentaire, la folie31, l’amitié, l’amour et la sexualité32. Ce sont des thèmes que nous rencontrons souvent dans les mandements joyeux33. La plupart de ces thèmes est aussi présente dans la description des confrères de l’abbaye de Chasse-Prouffit, « comme sont pouvres, souffreteulx, endebtez, malheureux, mal fortunez, miseraulx, quereleux, necessiteux, racheptz, et teigneux, vuides de richesses et indignes de tous biens privez, et de tout en tout despouillez » (17-20). Ce sont les confrères qui pèchent qui sont décrits comme « escervelez, folz, frenetiques, oultrecuidez, cornars » (61-62). La description du paradis où les confrères seront récompensés illustre bien le thème de l’abondance alimentaire. Le vocabulaire joyeux évoque la question de la pauvreté alléguée, de la folie et de la gourmandise des membres de la confrérie.

  • 34 Van Dixhoorn, Lustige geesten, p. 297.

14Il n’est pas question ici de déterminer si ces confrères imaginaires étaient véritablement pauvres, fous, gourmands − ou rien de tout cela − mais le fait que le mandement présente les confrères comme extrêmement pauvres, fous et gourmands est crucial dans notre interprétation du texte. En effet, comme l’a affirmé Arjan van Dixhoorn pour le vocabulaire joyeux dans les textes des chambres de rhétoriques aux Pays‑Bas, il faut comprendre la pauvreté alléguée, tout comme l’abondance alimentaire du pays de Cocagne et la folie comme du langage « littérairement crypté » (« literair versleuteld »). Dans les associations joyeuses des Pays‑Bas, des comportements gourmands, fous et pauvres n’étaient pas encouragés (parfois pas même autorisés), mais ils étaient tout à fait acceptés dans les textes littéraires de ces associations34.

15Pourquoi ces comportements, qui dépassent donc les normes sociales de la vie quotidienne, et aussi les normes qui s’appliquaient pendant des festivités, apparaissent-ils dans de nombreux textes joyeux de l’époque ?

Objectifs du vocabulaire joyeux et interprétation du mandement

16Une réponse possible, au moins en ce qui concerne les mandements joyeux, est que ces thèmes et comportements décrits sont au service du vrai objectif (ou des objectifs) du texte, c’est-à-dire une réflexion d’une question religieuse. Ainsi, le mandement des souls d’ouvrer et son supplément parodient, en surface, des bulles papales ou des ordonnances épiscopales contenant des indulgences pour les confréries religieuses, notamment celles qui participent à de nombreuses œuvres de charité.

  • 35 Voir par exemple : Bulle concédant des indulgences à la Confrérie de Notre-Dame de Miracles et de V (...)

17Toutes les personnes qui appartiennent à une telle confrérie reçoivent souvent une « [i]ndulgence plénière de tous leurs péchés35 ». Le mandement des souls d’ouvrer détourne ce type de bulles ou ordonnances en donnant des indulgences aux confrères qui ne font rien. L’auteur du mandement joyeux « Saoul d’ouvrer », se moque de la personne à qui l’acte officiel est normalement adressé − donc le pape ou l’évêque. Avec une référence au prélat Ponts Maudiné et ses ordonnances, le mandement parodie également la position du dignitaire ecclésiastique qui a la charge d’une abbaye. L’institution à laquelle appartiennent ces figures est l’Église, qui est donc aussi (mais plus indirectement) parodiée.

  • 36 Sur la littérature médiévale et le dogme de la Rédemption, voir notamment : C. W. Marx, The Devil’s (...)
  • 37 William Marx définit cette catégorie de textes comme de la « littérature législative » (Literature (...)
  • 38 A. Musson, Medieval Law in Context. The growth of Legal Consciousness from Magna Carta to The Peasa (...)

18À un second niveau, implicite, le mandement des souls d’ouvrer révèle des inconsistances dans les doctrines chrétiennes telles qu’elles ont été défendues par l’Église catholique à la fin du Moyen Âge. Nous pensons ici en particulier aux idées concernant le rôle du travail et de la pauvreté dans la Rédemption de l’homme36. Le texte s’inscrit ainsi dans un ensemble de textes législatifs, mais imaginatifs (ou fictionnels), discutant la Rédemption et les notions du travail et de la pauvreté37. Comme l’a montré Anthony Musson, la fin du Moyen Âge fut caractérisée par une forte croissance d’une conscience législative et par une « intrusion du droit » dans différents domaines de la société médiévale38. En adoptant des modèles et méthodes législatifs, plusieurs auteurs ont essayé de résoudre des questions politiques, ce que Musson propose d’appeler la « politicisation du droit ». Dans le même ordre d’idées, William Marx a prouvé que les mêmes modèles législatifs ont également influencé le domaine de la théologie. Il propose de décrire l’intrusion du droit dans le domaine théologique comme une « théologicisation du droit ». Il nous semble que le mandement des souls d’ouvrer et son supplément s’inscrivent dans cette tradition, dans laquelle le modèle et la rhétorique juridique du mandement médiéval sont utilisés pour créer une situation imaginaire afin de discuter une question théologique. Au sein de cette situation imaginaire, c’est-à-dire dans le contexte de la confrérie des souls d’ouvrer, différentes idées sur la Rédemption de l’homme sont explorées.

  • 39 La matérialité du livre contenant de ce mandement confirme qu’il s’agit d’un texte issu de la litté (...)
  • 40 K. Robertson et M. Uebel, The Middle Ages at Work: Practicing Labor in Late Medieval England, New Y (...)
  • 41 K. Crassons, « ’The workman is worth his mede’: poverty, labor and charity in the sermon of William (...)

19Ce mandement présente en effet l’idéal poussé à l’extrême de vivre la pauvreté dans une société supposée chrétienne. Le mandement exagère cet idéal de pauvreté. Le monde imaginaire dans lequel l’abbaye de Chasse-Prouffit est située est une image du chaos. À l’époque de la publication de la première édition identifiée du livre (1537), l’injonction à rester pauvre, avancée par Jésus dans la Bible, avait déjà été au cœur de plusieurs réformes monastiques (nous pensons par exemple à la dévotion moderne) et à l’origine des ordres mendiants tout au long du Moyen Âge. Le pauvre représentait l’image du Christ sur Terre. Néanmoins, cet idéal de pauvreté était, pour une grande partie de la population (des fermiers aux commerçants39), incompatible avec la nécessité de travailler pour survivre. Le mandement indique qu’il faut dénoncer toute activité rapportant de l’argent afin de réaliser l’idéal de ne rien avoir. Mais cela est aussi en contradiction avec la valeur attribuée au travail par l’Église. L’Église répandait en effet l’idée que le travail était une peine infligée à l’homme en vertu d’une punition divine pour expier la chute. Elle soulignait également les effets positifs du travail, c’est-à-dire que le travail était bon pour le corps et protégeait contre le péché40. Ce dilemme entre le travail et la pauvreté était au centre de plusieurs débats théologiques au xve siècle et s’intensifiait, à la suite de la Réforme, au xvie siècle41. C’est dans le contexte de ces débats que le mandement joyeux des souls d’ouvrer s’inscrit. Ainsi, le mandement pose la question concrète de savoir comment l’homme peut répondre aux attentes de l’Église si ces attentes sont contradictoires, ainsi que la question comment l’homme peut finalement être sauvé. L’abbaye joyeuse des confrères de Chasse‑Prouffit fournit le cadre de cette question et présente une vision poussée à l’extrême afin d’aborder la problématique. Nous voulons aller encore plus loin en affirmant que la juxtaposition des deux doctrines paradoxales, voire contradictoires, suggère que la Rédemption peut être négociée et reconfigurée selon les convictions du croyant. Les prescriptions et les proscriptions de l’Église n’imposent pas une foi spécifique, mais elles fournissent des directives, dans lequel différents types de foi peuvent être formulés, exprimés, confrontés, adaptés, défendus ou abandonnés.

  • 42 Voir entre autres : Pleij, Dromen van Cocagne ; M. Montanari, La Faim et l’Abondance. Histoire de l (...)
  • 43 Delumeau, La mort des pays de Cocagne, p. 11-14.

20Le rôle du pays de Cocagne dans le supplément du mandement est, dans cette optique, polyvalent. Comme l’ont déjà montré des recherches antérieures, le pays de Cocagne ne se comprend que par son contraste avec la réalité42. Cette construction imaginaire d’une vie parfaite est souvent considérée comme une évasion hors d’une civilisation caractérisée d’ordinaire par la pénurie, voire la faim, par des conditions de travail dures et enfin par une morale sexuelle contraignante43. Compte tenu des réalités de l’époque, le pays de Cocagne constitue donc un monde à l’envers. Nous souscrivons à l’idée que la fantaisie du pays de Cocagne est une forme d’échappatoire à la vie ordinaire, à laquelle on peut ajouter une autre préoccupation : celle de la vie après la mort. Les inconsistances dans les doctrines chrétiennes présentes dans le mandement soulignent une inquiétude bien réelle de l’homme médiéval par rapport à son destin. D’une part, on croyait que la pauvreté facilitait la rédemption et assurait le salut. De l’autre, le travail était également une activité rédemptrice, sauvant l’homme de la perdition en lui offrant le salut. L’idée que la Rédemption de l’homme puisse être négociée et reconfigurée est à cet égard un message rassurant car elle implique qu’il existe plusieurs possibilités d’accéder au Royaume des cieux. Dans cette perspective, le mandement des souls d’ouvrer n’est pas seulement un texte critiquant l’inconsistance dans les doctrines religieuses, mais aussi un texte d’espoir, au sens où il ne condamne pas ces inconsistances.

21Étant donné la précision avec laquelle l’auteur du mandement des souls d’ouvrer a imité le mandement officiel, il nous semble tout à fait probable que cet auteur connaissait bien la culture juridique du xvie siècle. Avec ce texte, l’auteur s’inscrit dans une discussion théologique avec un instrument qu’il connaît très bien. Le grand avantage du mandement sur d’autres modèles juridiques est qu’il incite toujours très explicitement à l’action, ici à l’action de réfléchir sur le travail, la pauvreté et la Rédemption. Le texte combine cet ordre sérieux avec le plaisir (le mandement joyeux reste un texte amusant qui plaît au lecteur) et unit ainsi l’utile à l’agréable (« utile dulci »).

Conclusion : l’abbaye joyeuse en tant que locus iucundus

22Pour conclure nous voulons émettre l’hypothèse que les abbayes joyeuses dans les mandements joyeux fonctionnent notamment comme un topos de la littérature joyeuse, très similaire au topos du pays de Cocagne et du monde renversé. La différence avec le monde renversé en général est le fait que l’abbaye joyeuse est un topos plus concret et tangible. La différence avec le motif du pays de Cocagne est le lien que le topos entretient avec la réalité : les abbayes joyeuses occupent leur place dans la société médiévale, tandis que le pays de Cocagne n’est qu’une construction imaginaire. Néanmoins, les trois topoï mentionnés ont des traits communs : des lieux évoquant une ambiance de liberté et de joyeuseté, sans contraintes sociales et religieuses. La fonction du topos de l’abbaye joyeuse dans le cas du mandement des souls d’ouvrer est de faciliter la réflexion critique sur la Rédemption de l’homme. L’abbaye joyeuse doit être considérée comme un élément indispensable pour la création d’un espace où l’on pouvait s’exprimer sur ce type de sujets, mais ces réflexions ne sont pas, habituellement, le but premier des activités des abbayes joyeuses – au moins pas dans leurs résidus imprimés, lorsqu’ils ne sont pas liés à un contexte festif spécifique.

23Afin de préciser la nature exacte du topos de l’abbaye joyeuse dans la littérature joyeuse, signalons que l’analyse de la confrérie des souls d’ouvrer a montré qu’il s’agit avant tout d’un lieu convivial et de réjouissance, où l’on essaie de limiter l’importance du travail et de l’argent en faveur d’interactions sociales – dont l’amitié, la solidarité et la sociabilité parmi les membres de l’abbaye semblent être les plus notables.

24Ainsi, cette ambiance amicale et joyeuse permet à l’auteur du texte d’intégrer des points de réflexion, notamment sur la Rédemption, comme vu ci‑dessus. Dans les mandements joyeux, l’abbaye joyeuse est donc en quelque sorte un lieu commun (sans son acception plutôt péjorative actuelle), auquel nous avons souhaité appliquer un terme plus précis : celui de locus iucundus (lieu joyeux). Le locus iucundus de l’abbaye joyeuse est donc un topos se référant à un lieu imaginaire de réjouissance et de joyeuseté. Ce lieu, loin d’être parfait, est doté de trois éléments intangibles : l’interaction humaine (favorisant l’amitié et les échanges d’idées), la réjouissance (souvent sous forme de festivités ou d’activités ludiques) et la sociabilité (dans laquelle nous comptons également la solidarité). C’est ce lieu que recherchent autant les compagnies joyeuses qui organisent leurs festivités régulièrement dans de nombreuses régions françaises et francophones, que les lecteurs des livres joyeux qui en découlent.

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Annexe

Transcription du texte

Anon., La grande confrarie des soulx d’ouvrer et enragez de rien faire, Lyon,
François Juste, 1537. München, Universitätsbibliothek, W P gall
408 (5).

1

Indulgences et pardons de la confrarie de monseigneur mon sieur
sainct Lasche.



5

De par Saoul d’ouvrer. Par la grace de trop dormir, roy de negligence,
duc d’oysiveté, palatin d’enfance, visconte de meschanceté, marquis
de trop muser, connestable de nulle entreprinse, Admiral de faintise,
cappitaine de laisse moy en paix, garde et gouverneur de tous ceux
et celles qui aiment besongne faicte et du tout achevee. Et seigneur de rien aire, escuyer et courrier de la court ordinaire de monseigneur
monsieur sainct Lasche.

10

A noz amez feaulx les generaulx et conseilliers sur le faict de nulle
science.
A noz tresoriers et argentiers sus le faict de nulle finance, qui sont noz
aydes, et a noz maistres de plusieurs affaires,
A nostre baillif Salut.

15




20

Sans dilacion et nul confort nous avons entendu par bonne et souffisante
complaincte de noz bien amez et alliez les gens de nostre abbaye de chasse
prouffit. Si comme sont pouvres, souffreteulx, endebtez, malheureux,
mal fortunez, miseraulx, quereleux, necessiteux, racheptz, et teigneux,
vuides de richesses et indignes de tous biens privez, et de tout en tout
despouillez






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30

que sur peine de cinq marcs d’estouppes d’estre bouilliz en bren et
brulez en la riviere,
vous ayez a tenir les ordonnances qui s’ensuyvent de par nostre
tresreverend
père en dieu et indiscricte personne PONTS maudine nostre
prelat esleu par les conseilliers de nostre abbaye de chasse prouffit,
que combien tant pour eulx que pour leurs predecesseurs dont ilz ont
cause, ayent esté sont et seront encores et demoureront se dieu plaist
en bonne saysine et vraye possession de non rien avoyr, et de tousiours moins acquerir pour nous ny pour autres en aulcune manière et de
faire tousiours grandes debtes, et pour iceulx debtes estre tousiours
emprisonnez, gaigez, excommuniez plus souvent que ung chascun jour.

Et si par aucun cas d’accident ou de fortune il leur advienne aucun peu
de rente ou quelque bonne et vallable possession (que la dieu ne playse)
ilz en doibvent ordonner et disposer en ceste manière qui s’ensuyt.

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40




45




50




55




60

C’est assavoir qu’ilz layssent leurs maisons cheoir a terre et mectre en
ruine, affin qu’il ne pleuve dessus, aussi par eulx chauffer du bois de la
couverture dicelle maison s’ilz sont gens qui puissent endurer le feu.
Item qu’ilz laissent leurs terres et heritages sans les labourer ne rien y
semer, pour la doubte des oyseaulx, lesquelz mangent les semences et
les fruictz quand ilz sont meurs, et apres laissent venir leurs prez en
ruynes, espines, et buissons, affin que les Regnars, Lievres, Lappins,
cerfz, biches, porcs sangliers, et autres bestes saulvaiges puissent habiter
ausdictz prez et faire leurs retraictz, et les oyseaulx y faire pareillement
leurs nidz si mestier est. En oultre laissent leurs vignes venir en herbes
et desers pour obvier et resister aux grandes peines, labeurs missions
et despens qu’il convient faire et mettre ung chascun an pour les
labourer et fessorer.
Item plus laissent leurs boys coupper, rompre, tailler, et destruire, pour causes des bestres sauvaiges et des larrons, qui en cause de neccessité
y pourroient faire leurs retraictz, affin de eulx se musser et cacher.
Item qu’ilz laissent rompre et crever leurs estangs pour cause qui les
pyssons et autres bestes comme escrenisses, raves, chaboulx, qui sont
dedans, qu’ilz puissent estres hors de prison et sesbatre parmy les
champs, et changer un peu daer.
Item leurs moulins laissent cheoir et tomber en ruyne pour cause de
la farine qui gaste les robes des bonnes gens qui y viennent mouldre.
Et pource, et a cause que nous gardons et maintenons en nostre dicte
abbaye de chasse prouffit, fine franchise, follastrerie Chasteau tout y
fault, que iamais ne mourra sans heretiers, et de leurs autres biens,
rentes, et revenuz que ia navienne se dieu plaist aucun bien n’y proffit.





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70

Aucuns noz autres justiciers et subjectz si comme sont escervelez, folz,
frenetiques, oultrecuidez, cornars, musars, teigneux, plains de vernime,
et autres bavars sans raison, ne bort, ne maison, renverseurs de tasses,
vuideurs de couppes, blanchisseurs de veurre, taincturiers de nappes,
rotisseurs de trippes, escumeurs de potz, vireurs de rost, tireurs de chair
du pot, trois heures avant qu’elle soit cuycte. Regardeurs et gardeurs de
gaiges en plusieurs lieux par deffault de plus souffisant quand ilz ont
a besoingner avec leurs heraulx, si comme sont lanterniers, buffatiers,
crieurs de vin a vendre, ruffians, orliers, bourdeurs, yvrays, gourmans,
truans, porteurs d’ymages, basteleurs, trompeurs, barateurs, et coquilleurs.





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Lesquelz se sont parforcez et ung chascun jour se parforcent d’entrer
en nostre grand et terribre royaulme de verte bise et frappe vent. Et
veullent ediffier maisons et hebergement qui sont desolez. Et de long
temps destruyz. Nous les souhaictons, desirons, et voulons garder en
tel estat bien longuement. Et qui pis est ilz ne laissent d’aler par les
bonnes villes de nostre royaulme et autres lieux, a cause du grand
argent qu’on leur doibt, et qu’ilz doyvent. Pareillement affin de trouver
tavernes et cabaretz pour passer leur temps et augmenter leurs honneurs
en soubtenant ladicte abbaye et coustume de monsieur Sainct
Lasche car ilz ne veulent prendre adventaige sur personne quelconque,
si d’aventure il ne le peuvent trouver, car ilz ne se rompent pas les
jambes a les chercher. Et en retournant desdictes tavernes et cabaretz
ont accoustumé de se battre et donner les ungs aux autres grans tatins
et horions, gros et menus, lesquelz horions par faulte despaze se donnent
avec grosses pierres et gros tronsons de boys, et qui pis est payent deniers
brulez, liards effacez, karolus, soulz, et testons qui ne se mettent en
pain, en vin, en chair, ny poysson. Et en partant desdictes tavernes
en cotant a leurs hostes et hostesses, leur baillent a garder par faulte
d’argent robes, manteaulx, cappes, sayons, chausses, et pourpoincts
et autres habilemens si d’avanture ilz ont grandes estaches de ciens,
grosses pierres blanches et noyres, saphiz, jaunes, dyamans noyrs, et
perles rouges, et plusieurs autres pierres precieuses, lesquelles donnent
en gaige et a garder soubz les deux yeulx de la teste jusques a temps
qu’ilz ayent loisir de les payer, au grand prejudice et dommaige de
lesdictz complaignans en les perturbans a tort et a droit, et sans cause
et raison deue. Et de nouveau en venant contre les privileges de nostre
abbaye de Chasse prouffit, requerans sur ce provision de justice.
Parquoy nous ces choses considerees et avoyr ouy par lesdictz
complaignans. Nous vous mandons et commandons que Royallement
et de faict vous les maintenez et gardez en vraye saisine et possession
d’avoir tous les dimenches deux miches de faulte, le lundi faulte de
vin, le mardi, mescredi, et jeudi neccessité chaire. Le vendredi et
samedi comme les autres jours, et de n’en rien avoir en tout temps fors
seulement toute leur vie pouvreté et misere. Et en cas d’opposition
non suffisante, attendu que lesdictz complaignans ne sont tenuz si ne
leur plaist de proceder ailleurs fors en nostre dicte abbaye de Chasse
pourffit, vous leur donnerez et assignerez jour on competant par devant
l’ung de noz juges, ou pardevant son liutenant pour les reculler de
bien en mal, et proceder de mal en pis et de pis en pis, et encore oultre
pis, sans occasion ne ryme ne raison. Car ainsi le voulons, et ausdictz
complaignans l’avons octroyé et octroions per ces presentes.




115

L’an de grace especiale aux lanbernieres troys jours apres jamais en
nostre ville de Meschance, aupres nostre cite de Malaise. Sellez de noz
petitz seaulx par deffault de nostre grand seau (qui est chez l’offevre
engaigé pour la fasson). Et signees par les maistres des souffreteux a la
relation des endormiz. Tesmoings Jehan gueneau, Thibaux l’enflé. Et
Guillaume maul souppé, a ce requis sans appeler. Et signees par nous
autres notaires cy soubx nommez. Desvignes. Des blez.


120

Choses merveulleuses et de grandes indulgences de ladicte confrarie
de Monseigneur monsieur sainct Lasche.

Bachus, Cupido, Ceres, Pallas et Venus regens et regentes des privileges
et ordinaires de la confrarie de nostre tresreverend père en dieu
monseigneur monsieur sainct Lasche salut.


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175


Veu et considere que selon les merites de ce monde on est remuneré en
l’autre. Nous ayans esgard et respect a noz amez et feaulx serviteurs
et servantes de nostres abbaye de monsieur sainct Lasche,
faisons assavoir a ung chascun et chacune que pour la remuneration du
bien et de l’honneur qui se sont parforcez en ce monde a l’honneur de
nostre dict prelat eux trepassez de ce monde en l’autre, avons trouvé
une isle assise en ung lieu delectable, ou a tout jamais pourront demourer
en joye et felicité, sans avoir pensement quelconque, comme ung
chacun pourra puis apres ouyr et entendre. Car au milieu de ladicte
isle y a ung chasteau tellement construict et edifié, que c’est ung cas
incredible, sinon a ceulx qui l’ont veu et bien regardé. Car les murailles
dudict chasteau sont toutes faictes avec gras fromages de Milan totues
en poinctes de diamans, et ont telle proprieté que tant plus on en ostes,
et tant plus en revient. Les creneaulx et fenestrages sont descalletes,
avec une manière de mortier sainct avec beurre fraiz, fromaige, et
force succre. Les pontz levis sont panez avec force casse museaulx, les
chaisnes a lever lesditz ponts levis sont faictes d’andouylles et de gras
boudins farciz et roustiz tous pres a manger et grignotter. A l’un des
costez dudict chasteau a main escarre sont situez palais, chambres, et
salles, tous pavez de pierres pretieuses, comme jacintes, rubis, esmeraudes,
escarboucles, perles turquoyses, e tgros dyamans qui est une
chose fort magnificque. Et sont lesdictes chambres toutes voultees
de petitz pastez, lesdictz sont de plume de Fenix, et les chalitz de fin
yvoire, ouvrez et taillez a plaisir, les courtines de fin drap d’or faictes
en broderie triumphante. Les cuissinetz de velours cramoysi, tellement
que quand on a dormy dix ans il ne monte pas dix heures. Les tables,
treteaulx, et scabelles sont faictes de bois, d’aloys, de sandix et de
chipres, qui rendent une odeur si suave et si magnificque que a bien
considerer c’est une chose deificque. Les nappes et serviettes sont faictes
en taffetas blanc, les platz escudelles et toutes aultres vaisselles sont
faictes des carboucles taillees et devisees en toutes sortes et manieres
qu’on scauroyt demander. Tellement que quand voullez asseoir a table
vous n’avez sinon a demander telles viandes que voulez, que les avez
incontinant toute stailles et prestes a manger. Et si ne voulez prendre la
peine a les tailler, vous n’avez sinon baisler que les morceaulx saultent
incontinant en vostre bouche. Et au sortir desdictes tables, vous avez
toutes manieres d’instrumens, comme orgues, tabourins, rebecz, auboys,
trompettes, luctz, psarterions, clairons et manicordions. Lesquelz sont
de si melodieux accord que ung an ne deure pas ung jour. Or quand
au costé droict vous avez les jardins de plaisansce, ou y a toutes manieres
de fleurs qu’on scauroyt demander. Ung peu plus avant vous trouverez
une vallee en laquelle y a plusieurs belles fontaines qui rendent vin
blanc, in claret, vin cuit, vin grec, yppocras, malvesie, et fin muscat.
Ung peu plus avant y a ung petit verdier auquel tombe quand on veult
de gresle qui n’est sinon toutes manieres de dragees comme camellat
graugeat, girofflat, madrians, anis, coriandres, dragee, musquee que
toutes autres couleurs. Et est ledit verdier tout ferme et environné
d’arbres qui portent faisans, gellines, perdriz, connins, beccaffes,
chappons, et espaules de mouston toutes rosties et prestes a manger.
Et en mon tant ung peu plus hault vous trouvez une montaigne si
haulte que quand vous estes au dessus vous povez toucher au ciel, si
y voulez toucher. Et porte ladicte montaigne une sorte d’arbres qui
portent toutes manieres d’habillemens, comme robbes, cappes, manteaulx,
gonnelles, manchons, chapperons, et quand les voulez avoir
vous n’avez sinon a parer les espaules que incontnent saultes dessus.


180

Pourquoy ung chascun se pourra parforcer de maintenir obeyr et servir
aux commandemens de monseigneur monsieur saint Lasche, pour
parvenir a la felicité des choses susdictes.




185



Item et pour la grande multitude de nosdictes terres et seigneuries il y
a plusieurs gens qui bien souvant sont necessiteux et ont affaire d’or et
d’argent et ne scavent que vallent plusieurs pieces d’o et d’argent. Et a
cause qu’ilz n’en ont point et n’en manient gueres et si en vouldroient
beaucoup avoir mais aucuneffois il fait si grand froyd qu’ilz ne scauroient
tirer ung escu de leur bourse. A celle fin nous y voulons pourvoir et
remedier et mettre pris raisonnable selon la valleur de l’or et monoye
de nostredicte abbaye.

190

Donne en nostredict couvant de maugouverne. L’an du monde six mille
six cens et six et le trentesixsiesme du moys passé, signe par le grand
conseil et par nostredict chancellier.
Raguin paintre des rouges museaux.

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Notes

1 N. Z. Davis, « The Reasons of Misrule : Youth Groups and Charivaris in Sixteenth-Century France », Past & Present, 50, 1971, p. 41-75 ; K. Lavéant, Un théâtre des frontières : la culture dramatique dans les provinces du nord aux xve et xvie siècles, Orléans, Paradigme, 2011 ; K. Gvozdeva, « Celebrating Men in Rabelais », Romance Studies, 23, 2, 2005, p. 77-90 ; J.‑Y. Champeley, « Organisations et groupes de jeunesse dans les communautés d’entre Rhône et Alpes (xvie -xviiexviiie siècles) », thèse de doctorat, Université Lumière – Lyon 2, 2010.

2 Dans cet article, nous adoptons de l’anglais le mot performative, qui signifie : « relating to or of the nature of dramatic or artistic performance ». « Performatif » doit donc être ici compris dans le sens de : « ayant un aspect théâtral ».

3 H. Pleij, Het Gilde van de blauwe schuit : literatuur, volksfeest en burgermoraal in de late middeleeuwen, Amsterdam, Meulenhoff, 1983.

4 De Blauwe Schuit était par exemple le nom d’un groupe joyeux actif à Bergen op Zoom (aux Pays‑Bas méridionaux) à la fin du Moyen Âge.

5 À ce que nous savons, il s’agit de cinq textes en français : 1. Le monologue des nouveaulx sotz de la joyeuse bende (±1520) : mandement sous forme de poème qui décrit le banquet organisé pour tous les sots de la région. Une grande partie du poème consiste en une liste des types de sots. Une autre partie présente la nourriture abondante du banquet et les divertissements, comme la musique, les jeux, etc. Ce mandement n’a jamais fait l’objet d’une étude détaillée. Pour l’instant, nous pensons que ce texte a eu une fonction commémorative. Il contient un vaste répertoire d’objets, personnages, thèmes, motifs et vocabulaires joyeux. Le fait que ce texte était notamment destiné à la lecture (individuelle) semble confirmer l’idée selon laquelle ce texte répondait aux sentiments de nostalgie et de commémoration des festivités joyeuses d’autrefois. 2. Les ordonnances et reformations nouvellement faictes et imprimees sur la pierre de mauconseil (1521) : ce texte s’inscrit probablement dans le milieu basochien de Paris. Comme l’a montré Natalie Z. Davis, au cours du xvie siècle, les abbayes joyeuses s’organisaient de plus en plus souvent au niveau de groupements professionnels (et non plus à l’échelle d’un village). Le cas le plus célèbre est celui de la Basoche, corporation des clercs de justice. Voir : M. Bouhaïk-Gironès et K. Lavéant, « Le Mandement de froidure de Jean Molinet : la culture joyeuse, un pont entre la cour de Bourgogne et les milieux urbains », Jean Molinet et son temps. Actes des rencontres internationales de Dunkerque, Lille et Gand (8-10 novembre 2007), éd. E. Doudet, J. Devaux et É. Lecuppre-Desjardin, Turnhout, Brepols, 2013, p. 70. 3. La Coppie du grant mandement general de l’abbe des mal prouffitans (1528) : ce mandement est en réalité une hybridation entre une pronostication joyeuse et un mandement joyeux. Pour une analyse détaillée de la partie « pronostication » de ce mandement, voir : F. Manuel, L’âne astrologue. Les Pronostications Joyeuses en Europe (1476-1623), thèse de doctorat, Université de Toulouse le Mirail, p. 195-201. 4. La Grande Confrairie des saoulx d’ouvrer et enragés de rien faire (1537) : ce texte est l’objet du présent article. 5. Privilège des Enfants sans souci (1650) : texte contenant la constitution de l’Ordre du Tonneau. Le mandement décrit les membres de l’ordre, qui sont obligés de boire et qui ne peuvent pas se satisfaire d’autres produits alimentaires car cela peut les empêcher de boire. La mention des Enfants sans souci dans ce mandement est inspirée de la confrérie des Enfants-sans-Souci de Paris, une troupe d’acteurs semi-professionnels (sur ce groupe, voir M. Bouhaïk-Gironès, Les clercs de la Basoche). Il n’y a toutefois aucune relation réelle entre cette confrérie et l’Ordre du Tonneau du mandement, qui est imaginaire et dont la création date de deux siècles plus tard.

6 Ces mandements forment la base d’un chapitre de ma thèse sur les mandements joyeux en France et aux Pays‑Bas (prévue pour 2020). Cette thèse fait partie du projet VIDI « Uncovering Joyful Culture : Parodic Literature and Practices in and around the Low Countries », dirigé par Katell Lavéant à l’Université d’Utrecht aux Pays‑Bas et bénéficiant d’une subvention de l’Organisation Néerlandaise pour la Recherche (NWO). Le chapitre de thèse en question discute les rapports étroits entre les abbayes joyeuses et le mandement joyeux.

7 Pour l’explication de la structure et la rhétorique juridique du mandement, nous nous référons à l’article de Paul Verhuyck sur le Mandement de Bacchus : Paul Verhuyck, « Les mandements joyeux et le Mandement de Bacchus, Anvers, 1580 », Aspects du théâtre populaire en Europe au xvie siècle, éd. M. Lazard, Paris, Sedes, 1989.

8 Christine Bénévent a remarqué que les textes littéraires imprimés portant sur des abbayes joyeuses sont issus des milieux urbains. Il s’agit d’une production assez tardive dans l’évolution des abbayes joyeuses en France : « Le point sur lequel semblent se rejoindre les spécialistes, c’est d’une part l’origine à la fois juvénile et villageoise de ces sociétés, qui ont perduré dans les campagnes sans grand changement jusqu’au xviiie siècle, et d’autre part le changement de statut qui s’est opéré lorsqu’elles ont été transposées en ville et “récupérées” ou “apprivoisées” par des bourgeois, des corporations d’adultes et de métiers. Parmi les changements les plus remarquables, on note l’enrichissement du contenu dramatique et littéraire de Maugouvert et de tout le vocabulaire de la Folie, donnant lieu à des compositions plus élaborées, telles que la sottie et le coq à l’asne, et dont on garde désormais un témoignage, imprimé ». Ce sont notamment le « contenu […] littéraire de Maugouvert et […] tout le vocabulaire de la Folie » qui sont caractéristiques des mandements joyeux racontant le sort des abbayes joyeuses. Voir : C. Bénévent, « Folie et société(s) au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance », Babel, 25, 2012, p. 121-148.

9 Afin de comprendre cette problématique et ses implications pour notre approche des mandements joyeux, nous nous appuyons sur un essai du philosophe Clément Rosset, Le Réel et son double (1976). Dans cet essai, Rosset explique les relations entre le réel et ses échos possibles (textuels, visuels). Le réel est créé à travers des échos et l’homme ne peut ni percevoir, ni définir le réel. Rosset fut fortement influencé par la philosophie de Nietzsche, notamment lorsqu’il écrit que la dichotomie entre le réel et les faux-réels constitue une vision pessimiste, voire absurde et cruelle du monde. Nous ne nous inscrivons pas dans cette vision nietzschéenne. Nous proposons de dépouiller la dichotomie entre le réel et le faux-réel de sa connotation absurde afin de concrétiser et de rendre plus tangible la relation entre l’objet de notre étude, l’abbaye joyeuse imaginaire, et l’abbaye joyeuse historique. Voir : C. Rosset, Le Réel et son double : essai sur l’illusion, Paris, Gallimard, 1976.

10 J. Molinet, Les Pronostications Joyeuses, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, Droz, 1998.

11 C’est-à-dire le mandement joyeux, le testament joyeux, le sermon joyeux, etc.

12 B. N. Saugent-Baur, « Book review », Fiftheenth-Century Studies, 28, 2002, p. 266.

13 Néanmoins, il faut souligner que les textes parodiques de cette étude sont en effet des imitations humoristiques d’un modèle, mais que les parodies ne ridiculisent pas nécessairement la solennité de ce modèle. Comme l’a affirmé John Yunck: « [t]he text is the parodist’s weapon, not his target ». Voir : J. A. Yunck, « The Two Faces of Parody », Iowa English Yearbook, 8, 1963, p. 36-37.

14 M. Bayless, Parody in the Middle Ages. The Latin Tradition, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1996, p. 3; G. Highet, The anatomy of satire, Princeton, Princeton University Press, 1962; Yunck, « The Two Faces of Parody », p. 36-37.

15 Bayless, Parody in the Middle Ages, p. 3.

16 Bayless, Parody in the Middle Ages, p. 5.

17 L’idée du « situatedness » vient du critique littéraire Terry Eagleton. Selon lui, des textes doivent toujours être considérés comme des « forms of activity inseparable from the wider social relations between writers and readers, orators and audiences, and as largely unintelligible outside the social purposes and conditions in which they were embedded ». Voir: T. Eagleton, Literary Theory: An Introduction, Minneapolis, Minn, 1983, p. 206. En français, cette idée a été aussi développée par Sartre dans J.‑P. Sartre, Situations, Paris, Gallimard, 1947.

18 J. Koopmans, « La parodie en situation. Approches du texte festif de la fin du Moyen Âge », CRMH, 15, 2008, p. 88.

19 M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 477.

20 Le livre contenant le mandement de cette compagnie est le suivant : Anon., La grande confrarie des soulx d’ouvrer et enragez de rien faire, Lyon, François Juste, 1537, USTC 24039. Le livre connaît une longue tradition éditoriale et de nombreuses réimpressions, s’étendant jusqu’au xixe siècle. Katell Lavéant a parlé de la tradition éditoriale de ce livre en 2017, à la conférence annuelle de la Renaissance Society of America à Chicaco : K. Lavéant, The Long Printing Tradition of Mock Regulations in French (Sixteenth through Eighteenth Centuries), colloque international, Chicago, Renaissance Society of America, 2017.

21 Ici, nous n’utilisons que les termes « confrérie joyeuse » et « abbaye joyeuse » pour désigner ce groupe imaginaire des souls d’ouvrer. Ce choix se fonde notamment sur le fait qu’il s’agit, dans le cas des souls d’ouvrer, d’une organisation fictive adoptant la hiérarchie et la structure d’une abbaye ou d’une confrérie religieuse réelle telles que nous les connaissons de la fin du Moyen Âge. Les termes « compagnie » ou « société » sont moins appropriés ici, puisqu’ils sont plus larges et ne renvoient pas nécessairement à la structure sociale d’une abbaye religieuse. Pour toutes les traductions du moyen français, nous avons utilisé le Dictionnaire du Moyen Français, consultable sur le site de l’ATILF.

22 Pour toutes les références au texte, nous citerons notre transcription (voir l’annexe), avec les numéros des lignes de cette transcription.

23 J. Merceron, Dictionnaire thématique et géographique des saints imaginaires, facétieux et substitués : en France et en Belgique francophone du Moyen Âge à nos jours : traditions & dévotions populaires, littérature, argot : suivi d’un répertoire raisonné des dévotions et patronages par calembour, Paris, Seuil, 2002, p. 327-329.

24 Nous avons choisi de ne pas traiter de cette partie du livre car elle se positionne dans des recherches plus larges portant sur les objets appartenant à la culture festive ainsi que les recherches sur la « satire d’argent » ou « money satire ». Voir les travaux de J. A. Yunck, « Medieval French Money Satire », Modern Language Quarterly, 21, 1960, p. 73-82 ; J. A. Yunck, The Lineage of Lady Meed. The Development of Mediaeval Venality Satire, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1963.

25 Bouhaïk-Gironès, Les clercs de la Basoche, p. 111. Ces deux types d’associations peuvent converger, ce que l’on observe par exemple avec la Coquille de Lyon. Cette confrérie organisait des parades et des festivités carnavalesques, mais était aussi un groupe rassemblant les représentants d’un même métier, les imprimeurs.

26 Jusqu’à maintenant, nous n’avons aucune idée de la signification de ce nom dans le cadre de ce mandement et de la confrérie, ni dans le contexte plus large de la littérature joyeuse et du monde de théâtre.

27 Nous signalons que le jeûne est aussi une pratique religieuse, surtout dans les abbayes. Voir par exemple : C. H. Lawrence, Medieval monasticism: forms of religious life in Western Europe in the Middle Ages, Londres, Routledge, 2015, p. 135-158.

28 Représentant d’un seigneur exerçant des fonctions judiciaires et administratives.

29 A. van Dixhoorn, Lustige geesten: rederijkers in de Noordelijke Nederlanden (1480-1650), Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 297. Dans le chapitre « Vrolijke welsprekendheid », Van Dixhoorn explore de nouvelles directions de recherche, surtout dans le domaine de la culture joyeuse néerlandaise.

30 Pour ces thèmes Katell Lavéant a par exemple retrouvé une grande variété de noms des compagnies joyeuses. Voir : Lavéant, Un théâtre des frontières, p. 49.

31 Nous remarquons que la folie est un thème omniprésent dans le théâtre médiéval français, ce qui renforce notre idée selon laquelle l’une des caractéristiques des mandements joyeux est leur nature performative.

32 L’ensemble de ces thèmes dérive d’une analyse globale de notre corpus des mandements joyeux (environ 50 textes).

33 Voir aussi note 5.

34 Van Dixhoorn, Lustige geesten, p. 297.

35 Voir par exemple : Bulle concédant des indulgences à la Confrérie de Notre-Dame de Miracles et de Vertus, octroyé par le pape Clément X au xviie siècle de 1670.

36 Sur la littérature médiévale et le dogme de la Rédemption, voir notamment : C. W. Marx, The Devil’s Rights and the Redemption in the Literature of Medieval England, Cambridge, D. S. Brewer, 1995.

37 William Marx définit cette catégorie de textes comme de la « littérature législative » (Literature of Law). Voir: W. Marx, « The Conflictus inter Deum et Diabolum and the Emergence of the Literature of Law in Thirteenth-Century England », Thirteenth Century England XIII, éd. J. Burton, F. Lachaud, P. Schofield, K. Stöber, B. Weiler, Suffolk, Boydell & Brewer, 2011, p. 57-66. Voir aussi: H. Pleij, Dromen van Cocagne. Middeleeuwse fantasieën over het volmaakte leven, Amsterdam, Prometheus, 1997, p. 405.

38 A. Musson, Medieval Law in Context. The growth of Legal Consciousness from Magna Carta to The Peasants’ Revolt, Manchester, Manchester Medieval Studies, 2001.

39 La matérialité du livre contenant de ce mandement confirme qu’il s’agit d’un texte issu de la littérature populaire de l’époque, ce qui signifie que le livre est publié pour un très grand public, voire illimité. Comme l’a suggéré Jeroen Salman, nous ne pouvons exclure aucune classe sociale lorsqu’il s’agit de la vente et de la lecture de ce type de livres. Pour une définition plus élaborée, voir : Jeroen Salman, Populair drukwerk in de Gouden Eeuw : De almanak als lectuur en handelswaar, Zutphen, Uitgeversmaatschappij Walburg Pers, 2011, p. 22-24.

40 K. Robertson et M. Uebel, The Middle Ages at Work: Practicing Labor in Late Medieval England, New York, Palgrave MacMillan, 2004, p. 67-90.

41 K. Crassons, « ’The workman is worth his mede’: poverty, labor and charity in the sermon of William Taylor », The Middle Ages at Work, K. Robertson et M. Uebel, New York, Palgrave MacMillan, 2004.

42 Voir entre autres : Pleij, Dromen van Cocagne ; M. Montanari, La Faim et l’Abondance. Histoire de l’alimentation en Europe, Paris, Seuil, 1995 ; J. Delumeau, La mort des pays de Cocagne : comportements collectifs de la Renaissance à l’âge classique. Paris : Publications de la Sorbonne, 1976.

43 Delumeau, La mort des pays de Cocagne, p. 11-14.

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Pour citer cet article

Référence papier

Rozanne Versendaal, « La fonction de la mise en scène de l’abbaye joyeuse dans le mandement joyeux français (XVIe siècle) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 37 | 2019, 417-438.

Référence électronique

Rozanne Versendaal, « La fonction de la mise en scène de l’abbaye joyeuse dans le mandement joyeux français (XVIe siècle) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 37 | 2019, mis en ligne le 01 août 2022, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/17577 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.17577

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Auteur

Rozanne Versendaal

Université d’Utrecht – NWO

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Droits d’auteur

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