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Conter des croisades du Moyen Âge à nos jours

Entre guerre et paix

Rhétorique et usages de la parole dans l’Histoire de l’Empereur Henri de Constantinople d’Henri de Valenciennes
Between war and peace. Rhetoric and uses of speech in the Histoire de l’Empereur Henri de Constantinople by Henri de Valenciennes
Florence Tanniou
p. 167-187

Résumés

Les nombreux discours qui émaillent l’Histoire de l’Empereur Henri de Constantinople d’Henri de Valenciennes révèlent une stratégie oratoire concertée, jouant tour à tour des modèles de l’exhortation à la guerre sainte et de la rhétorique diplomatique. Dans la conjonction de ces modèles en apparence antagoniques, l’auteur fait de la parole la dynamis de l’Histoire ; il justifie la guerre de son camp, mais dessine aussi les voies de conciliation des forces chrétiennes au sein de l’empire.

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histoire, croisades, chronique, rhétorique

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history, Crusades, chronicle, rhetoric
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Texte intégral

  • 1 Voir Histoire de l’Empereur Henri de Constantinople, éd. J. Longnon, Paris, Geuthner, 1948. La chro (...)
  • 2 Voir J. Longnon, « Sur l’Histoire de l’empereur Henri de Valenciennes », Romania, 69, 1946, p. 198- (...)
  • 3 Dans le prologue, Henri se place du côté de la maîtrise des techniques de l’écriture (« traiter », (...)

1L’Histoire de l’Empereur Henri de Constantinople d’Henri de Valenciennes relate les événements – entre mai 1208 et juillet 1209 – de la conquête ou reconquête à l’ouest de Constantinople à la suite de la quatrième croisade1 : d’abord dans les territoires qui en sont les plus proches, où les troupes impériales se heurtent aux Bulgares, aux Valaques et aux Coumans (« Blacs et Commains »), menés par Boril ; ensuite, plus à l’ouest, dans le royaume de Salonique, où se règlent, entre croisés, des conflits d’allégeance succédant à la mort de Boniface de Montferrat. Cette chronique de faits militaires est l’œuvre d’un historien qui se donne comme témoin « oell a oell » (§ 501) des événements qu’il a suivis. Dès le prologue, un « premerain commenchement » – en apparence adventice2 – porte sur la confession, la repentance et le salut du chrétien, et paraît se distinguer de la « propre matiere », la relation historique à laquelle Henri de Valenciennes retourne toutefois assez vite, refusant de prolonger l’entame digressive. Le prologue tisse en réalité de manière concertée3 deux fils : celui de la vérité factuelle et celui de la vérité axiologique. Ainsi tramée, la vérité historique, loin de se limiter à la dimension du témoignage, dévoile une connaissance sur les actions humaines et leur portée idéologique ; elle s’élève au-dessus des faits pour enseigner en particulier la voie du salut. Ces fils, matériel et spirituel, politique et religieux, s’uniront constamment dans le cours de la chronique pour servir la démonstration de l’auteur. C’est là l’ambition de l’historien que de s’atteler, par son écriture, à lier l’enchaînement des causes humaines et leur explication sur un plan divin, le caractère double et brisé du prologue reflétant la réalité de leurs interférences. Cette conception de l’histoire le conduit à donner des guerres auxquelles il a assisté une vision idéologique marquée : voie du Bien et voie du Mal y sont nettement distinguées, préparant une justification des conflits relatés.

  • 4 Voir Geoffroy de Villehardouin, La Conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, Paris, Garnier-Fla (...)
  • 5 Voir C. Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs dans l’Histoire de l’empereur Hen (...)

2Cette rhétorique à visée légitimatoire éclate surtout dans l’usage des discours : la chronique, bien plus que celles de Geoffroy de Villehardouin ou de Robert de Clari4, est « sans cesse interrompu[e] par des discours », entre autres des « prises de paroles proférées sur un mode oratoire » qui déclinent « devoirs et droits des suzerains5 », mais encore bien d’autres prises de parole aux fonctions variées, qu’il s’agisse de morale, de politique ou de stratégie militaire. Modelée pour constituer un soutien du panégyrique impérial, la parole est vue comme une force dynamique dans le cours de l’Histoire : placée au cœur du récit, adossée à une rhétorique efficace, elle guide la conduite et la résolution des conflits armés. Suivant le cheminement chronologique qui souligne la transition entre suites de la croisade – avec l’appropriation des territoires bulgares aux confins de l’empire de Constantinople – et préservation d’une union politique des croisés au sein de cet empire, la mise en scène de la parole joue de différents modèles rhétoriques, depuis la reprise et le renouvellement du modèle de discours exhortant à la guerre sainte jusqu’à l’esquisse d’une rhétorique diplomatique avec l’exposition des vertus tactiques de l’échange et de la négociation. L’écriture se fraie un chemin entre ces deux modèles d’apparence antagoniste, réunis toutefois dans le but similaire de justifier la guerre et d’exalter l’expression d’une harmonieuse conciliation des forces chrétiennes au sein de l’empire.

La parole prédicative pour justifier une guerre de croisade

  • 6 Les Valaques, tout comme les Bulgares (qui ne sont jamais nommés par Henri de Valenciennes ; voir H (...)

3Dans la première partie d’une œuvre nettement scindée en deux, Henri de Valenciennes relate la lutte contre les Valaques et les Coumans ; il livre un récit idéologique des événements : son tableau, manichéen, oppose aux adversaires bulgares incarnant le Mal les forces impériales du Bien, traitant à l’image d’une guerre sainte les suites politiques de la quatrième croisade. Les peuples se confrontent sur le plan de la croyance, les ennemis étant assimilés – en partie à tort, mais sûrement à dessein – à des païens6 :

Toutes ces gens ke vous veés ichi ne croient Diu ne sa poissance ; et vous qui boin crestien iestes et tout preudome […] (§ 538).

  • 7 Voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs », p. 23-25.
  • 8 Voir La Chanson d’Antioche, éd. S. Duparc-Quioc, Paris, Geuthner, 1977-1978, 2 vol. , t. 1, v. 1599 (...)
  • 9 Voir La Conquete de Constantinople, § 61, 81, 82, 84, 85, 95, 199. Cette amplification n’est pas ab (...)

4D’un côté, les adversaires, « la gens Burile », sont donc « li deable » (§ 543), qualifiés de « chienaille » (§ 516), d’« anemis Jhesu Crist » (§ 538) – autant de termes évoquant les Sarrasins de la chanson de geste7 ; de l’autre, les « boin[s] crestien[s] » se trouvent au « service Nostre Segnor » (§ 523) et se caractérisent par leurs prières – depuis la supplique formulée par l’empereur lui-même (§ 529) jusqu’au collectif « patre nostre saint Julien » (§ 544) – et par la célébration d’une liturgie protectrice « en l’onour dou Saint Esperit, por chou que Dex lor donnast hounour et victore contre leur anemis » (§ 524). Invoqué dans ces exhortations, Dieu se manifeste à leur côté par des « miracles » (§ 544) ou par le « secours que Nostre Sires leur fist iluec » (§ 542). L’auteur dit encore : « molt fist illuec Nostre Sires apiert miracle a nostre gent » (§ 543) et « nos avons Diu par deviers nous en la nostre aide » (§ 520). L’empereur porte des « petites croisetes d’or » (§ 541) qui emblématisent son statut de chef de croisade et le cri de ralliement des Francs sur la terre byzantine est celui de la libération de Jérusalem : ils attaquent « en escriant : Saint Sepulcre ! molt humlement » (§ 539)8. L’image de cette armée est d’autant plus marquante qu’elle se montre en extension – « tout adiés croissoit li os de jor en jour » (§ 505) – et semble ranimer, en un mouvement inversé, la troupe de jour en jour « despeciee » que présentait Villehardouin dans sa chronique9.

5Sans nul doute Henri de Valenciennes emprunte-t-il des formules à la littérature de croisade et des accents à la chanson de geste pour dresser ce tableau d’une guerre sainte, mais il s’inspire aussi, plus spécifiquement, de discours de nature ecclésiastique. Dans le cours de la narration, la victoire de l’empereur sur Boril est ainsi décrite :

Tels miracles comme vous avés oï, et tel acrossement a l’empire de Constantinoble et si grant essaucement a l’Eglise de Rome, fist Nostre Sires as crestiens a celui termine (§ 544).

  • 10 voir Histoire de l’Empereur Henri, n. 3, p. 47. L’argument, annexant la gloire de l’empire constant (...)
  • 11 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 202 ; Histoire de l’Empereur Henri, n. 3, p. 27 : Innocent III (...)
  • 12 Gunther de Pairis, dans son Hystoria Constantinopolitana, commente la signification du nom d’Innoce (...)

6Rapportée à la suprématie de l’Église romaine, l’expression de cette victoire rappelle une formule adressée par Innocent III, en novembre 1204, aux clercs de l’armée croisée à Constantinople10. Les discours de prédication, développés au style direct, créditent la conquête de l’approbation papale, le chapelain Philippe affirmant aux Français : « iestes chi assamblé par le commandement l’apostole » (§ 538). La papauté, après s’être montrée réticente à la déviation vers Constantinople, avait en effet reconnu le maintien et la défense de son empire latin comme un devoir de croisade11 et Henri de Valenciennes suit ces inflexions politiques pour forger l’image d’une guerre juste, initiée par la plus haute autorité ecclésiastique. Ainsi n’est-il pas fortuit qu’il déclare « no gent estoient comme li innocent » (§ 543) ; le terme, tout en renvoyant à ceux qui, dépourvus de culpabilité, ne connaissent pas le mal, relie aussi les troupes impériales à l’influence du pape – en jouant sur le nom d’Innocent, comme le fait Gunther de Pairis12 – et accentue la légitimation institutionnelle de la guerre.

7Les discours exhortatifs s’imposent à travers la parole des ecclésiastiques tout aussi bien que dans les propos des laïcs. Le chapelain Philippe « monstr[e] la parole Nostre Segneur » (§ 522), « anonch[e] la parole Nostre Seigneur » (§ 524) et « sermon[e] » (§ 536), mais il n’est pas seul à le faire, puisque l’empereur Henri lui-même « preesch[e] de Nostre Seignor » ; l’auteur y insiste, utilisant là deux occurrences du verbe preescher et deux du verbe amonester (§ 517) et détaillant « la predication del boin empereour Henri » (§ 527). La parole prédicative circule ainsi de la bouche des laïcs, avec l’empereur (§ 516-517) et ses chevaliers (§ 524), à celle des ecclésiastiques (§ 522, 525 et 537), bellatores et oratores s’unissant dans une exhortation qui soutient la reconnaissance de la guerre sainte.

  • 13 De manière symptomatique, la « croix » n’était plus mentionnée à partir de ce même événement. Sur l (...)
  • 14 Il s’agit de rétablir Alexis sur le trône en chassant l’usurpateur, puis de venger les destructions (...)
  • 15 Le terme de croisés disparaît, lui aussi, après la prise de Zara. Le discours ecclésiastique, rappo (...)

8Ces exhortations, rapportées au discours direct, sont entendues par le public, acquérant une valeur illocutoire plus nette que celles des autres chroniques en français et fournissant une justification religieuse à la guerre. Les chroniques de Clari et de Villehardouin n’en étaient certes pas dépourvues ; elles décrivaient l’entreprise militaire comme une croisade, mais la place de la religion tendait à s’estomper au fil du texte : la mention de la prédication de croisade, liminaire dans l’œuvre de Geoffroy, se rattachait au départ prévu en Terre sainte mais, par la suite, la référence ecclésiastique s’amenuisait après la déviation, les Francs cessant par exemple d’être appelés « croisés » juste après la prise de Zara, même s’ils restaient ensuite les « pelerins13 ». Les justifications à la guerre étaient essentiellement d’ordre politique ou juridique, avant comme après la prise de Constantinople14. Chez Robert de Clari, où des phénomènes similaires s’observent, la prédication des évêques et des clercs introduisant la prise de Constantinople était exposée mais dans des discours indirects qui ne faisaient pas véritablement résonner ni entendre les arguments ecclésiastiques15.

  • 16 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 175.
  • 17 Voir A. Demurger, Croisades et croisés au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 2006, p. 65. L’auteur insis (...)
  • 18 Voir aussi § 585 : « Et i avomes autresi bien endurées les paines et les travaus por Nostre Segnor (...)

9Au contraire, Henri de Valenciennes met en scène et en voix la parole exhortative. Symboliquement, la croix occupe une place majeure dans l’actio : le chapelain, « ki tint en se main la crois de nostre redemption, lors commencha a sermonner » (§ 536) et « ot moustree la crois u Nostre Sires rechut, por son povre pueple rachater, mort et passion » (§ 539), anime le corps d’armée au nom de la mort de Christ et lie la réussite de l’entreprise à l’exaltation de la foi – « se nos creons bien en Nostre Segneur, li cans sera nostres » (§ 535)16. Le discours direct reprend d’autres thèmes fréquents de la prédication de croisade : la souffrance du Christ (§ 537)17, l’image des armées croisées combattant pour Dieu au péril de leur vie – « or en soit al couvenir li Sires por cui li nostre se metent en habandon » (§ 532)18 – ou la rédemption accordée par Dieu au croisé trépassé (§ 537). L’auteur use d’une rhétorique modelée sur celle des sermons ou des œuvres religieuses, se détachant des formulations que l’on peut trouver dans les chansons de geste traitant de croisade ou dans les chroniques :

« Segnor, por Diu, soiés preudome en vous meismes, et aiiés fiance en Nostre Segnor, qui por nous soufri paine et tourment, et qui por le pechié d’Adan et d’Evain soufri martyre por l’ocoison del mors que il morsent en la pume, por la quele tout estiemes es paines del tenebrous infier ; et par la propre mort Jhesu Crist en fumes rachaté. Et qui chi morra por lui, il ira ou sain saint Abrahan par devant lui » (§ 537).

  • 19 Voir M. Zink, La Prédication en langue romane avant 1300, Paris, Champion, 1976, p. 266-270 et 288  (...)
  • 20 Voir ms. Paris, BnF, fr. 12471, fol. 76v, v. 168-173 : « Dame, bien de voir sai et bien en sui remo (...)
  • 21 Voir Vie de saint Jean l’Évangéliste, v. 536-540 et Jugement, ms. Paris, BnF, fr. 12471, fol. 75v, (...)
  • 22 Par exemple, plus tardivement, dans un sermon de Jean Gobi. Voir S. Menache et J. Horowitz, « Au co (...)

10La paronomase mors/mort exalte, en une dimension eschatologique, le sacrifice rédempteur des croisés. Ce jeu sur les mots, accompagné d’assonances (qui, chi, lui et sain saint Abrahan), constitue une marque rhétorique de la prédication en langue romane19 ou de la poésie religieuse ; elle fait entendre des échos avec le poème d’Henri de Valenciennes sur le Jugement dernier20. Le thème de la rédemption est traité par l’intermédiaire de la métaphore du fleurissement, que l’on retrouve dans d’autres œuvres religieuses de l’auteur : « chil qui fera mauvais samblant doit bien iestre banis de la glore Nostre Segnour », tandis que « qui por Diu morra en ceste besoigne, s’ame en ira toute florie en paradis par devant lui » (§ 534)21 . Une autre métaphore, biblique, opposant les chrétiens et leurs ennemis – « vous iestes li grain, et veés la de la paille » (§ 538) – est attestée dans des discours de prédication de croisade22.

  • 23 Voir également § 502, 507, 524, 527, 538. La confession est l’une des thématiques principales de la (...)

11Les procédés de répétition se donnent particulièrement à lire dans les passages d’exhortation évoquant la confession23 :

[…] et l’aide de Diu premierement, la quele vos serra prestee, pruec que vous soiés confiés a vo pooir. Car confiessons o vraie compunction de cuer si est eslavemens de toz visses. Et por chou commandons nous a toz que cascuns soit confiés selon son pooir » (§ 523).

  • 24 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 157.
  • 25 Il s’agit d’images très courantes, par exemple, dans les sermons de Maurice de Sully ; voir C. A. R (...)
  • 26 Voir La Conquête de Constantinople, § 427, 429, 430.

12Aux termes confession et confiés s’ajoute celui de compunction, plus technique, désignant la douleur entraînant la contrition, employé dans les sermons et les œuvres pieuses24 ; ils sont glosés par l’image de l’« eslavement des vices » qui s’y lit aussi fréquemment25. Cette confession s’accompagne de la communion – « por chou que cascuns estoit confiés selon son pooir et cumeniiés, cascuns estoit couvoitans et desirans de conquerre ses anemis » (§ 527) – gratifiant de ce sacrement les chrétiens engagés contre les Bulgares et créant un lien direct entre la confession, suivie de la communion, et l’action contre les ennemis. Le sacrement devient ainsi moteur de l’action, ce que met en valeur l’usage des termes mêmes de la liturgie latine : ils « rechurent corpus Domini, cascuns endroit de soi, au plus devotement qu’il pot » (§ 524). Si Geoffroy de Villehardouin considérait, lui aussi, que la guerre contre les Coumans constituait aux yeux des Francs une guerre sainte, avec la distribution des indulgences et le double rappel d’une armée partant au combat « confessé[e] et communié[e]26 », ses remarques s’avéraient nettement moins abondantes que chez Henri de Valenciennes.

13Confession et communion ne sauraient être complètes sans mention de l’absolution délivrée par l’institution ecclésiastique, qui garantit la pureté des combattants de Dieu. La croisade est présentée comme une forme de pénitence en elle-même qui rend l’absolution effective :

Vous iestes tout confiessé et mondé de toz pechiés et de toutes ordures de vilenie. […] Je vous commanc a toz, en non de penitance, que vous poigniés encontre les anemis Jhesu Crist ; et je vous assoil, de Diu, de toz les pechiés que vous onques feistes jusques au point d’ore (§ 538).

  • 27 Sur ces effets, voir Zink, La Prédication en langue romane, p. 266-269.
  • 28 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 156, 181.
  • 29 Les premières chansons de geste sont plutôt rétives à l’intégration d’un discours de croisade dont (...)
  • 30 Voir Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, t. 1, par exemple, p. 62 sqq.
  • 31 Innocent III prêche de nouveau la croisade en 1213 ; voir Flori, Prêcher la croisade, p. 239.

14Le discours direct semble lui-même transmettre au lecteur, par une voie performative, les effets de cette communion. Reprenant la parole imagée des sermons – « mondé », « ordures de vilenie » –, jouant sur les répétitions (tout, toz, toutes, toz, toz), les sonorités (é associant confiessé, mondé, pechié) et les rythmes (2 segments de 6 syllabes « je vous commanc a toz, / en non de penitance » ; 3 segments de 5 syllabes « de toz les pechiés / que vous onques feistes / jusques au point d’ore27 »), le discours dévoile ici une conception traditionnelle de la croisade comme pénitence pour les péchés confessés28. De manière nette, Henri de Valenciennes accorde une prééminence à la rhétorique prédicative. En proposant ce point de vue plus clérical, promouvant une parole exhortant à la croisade au sein des discours ecclésiastiques, mais insistant aussi sur son infiltration dans la sphère laïque, il se distingue et des chansons de geste29 et des chroniqueurs en français de la quatrième croisade. Beaucoup plus proche à cet égard d’un texte comme celui de Gunther de Pairis30, l’auteur, prenant la suite de la narration de Geoffroy, ranime l’image de la croisade alors même que les combats décrits s’éloignaient d’une stricte définition de la guerre sainte ; mais à une période où elle est repensée, et peut-être prêchée plus activement31, l’auteur fait entendre une rhétorique qui justifie fermement le caractère sacré de la guerre.

  • 32 Voir la chronique de Clari (§ LXIV, CVI, CXVI) et celle de Villehardouin (§ 333, 393-394, 399, 425)
  • 33 Sur les questions de représentation de l’altérité, voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne (...)

15Face à ce déploiement de la rhétorique exhortative, la communication engagée avec les adversaires se passe, quant à elle, de tout modèle, car elle est réduite à néant. Henri de Valenciennes n’accorde pas plus la parole aux ennemis qu’il n’évoque un quelconque échange entre les camps, contrairement aux autres chroniques32 ; le silence ainsi instauré nie partiellement à l’autre son identité33. « Blacs et Commains » ne paraissent pas même doués d’un langage articulé, puisque seule est mentionnée leur aptitude au cri – « huant et glatissant » (§ 518, 528) – et au bruit (§ 526, 536), cette sauvagerie tonitruante se trouvant renforcée par l’image vétérotestamentaire de la tempête (§ 518 et 528) s’abattant sur le pays avec fracas : « une noise si grant k’avis estoit que toute la plaigne en tremblast » (§ 518). À l’annonce de leur invasion, le combat est livré contre eux directement (§ 528) sans que soit entreprise la moindre négociation. La mention du silence affirme une irréductible différence qui ne peut qu’aboutir à la guerre et qui contribue aussi à la légitimer :

Et quant li empereres oï chou, si se teut et ne dist plus a cele fois ; ains chevaucha viers la gent Burille, dont il ot molt desiré la bataille (§ 531).

16Pleinement autorisé comme guerre sainte par la parole exhortative, le conflit se justifie aussi dans cette absence de communication et, de guerre de défense, se commue en conflit d’attaque (§ 535).

La parole diplomatique pour établir la paix ou justifier la guerre ?

  • 34 La seconde partie de l’œuvre offre les discours directs les plus fournis et développés ; voir Jacqu (...)
  • 35 Cela n’est certes pas incompatible avec l’idée que la chronique s’adresserait aux « cours seigneuri (...)
  • 36 Voir J.-M. Moeglin et S. Péquignot, Diplomatie et « relations internationales » au Moyen Âge (ixe-x (...)

17C’est un autre conflit qui est présenté dans la seconde partie de l’œuvre : celui du camp impérial contre les Lombards, portant sur des questions d’allégeance et de succession au titre de roi de Salonique possédé avant sa mort par Boniface de Montferrat. La guerre qui menace, signe d’une désunion du camp chrétien, doit être évitée et les échanges diplomatiques se multiplient, mettant au premier plan des discours entre les camps opposés pour promouvoir la paix. À l’inverse de la guerre menée sans sommation contre les Bulgares, le conflit contre le comte de Biandrate, à la tête des Lombards, est longuement différé par de multiples négociations34. Les Lombards, en effet, ne sont pas considérés, contrairement aux « Blacs » et aux « Commains », comme des ennemis en soi, mais comme des rivaux politiques susceptibles d’être ramenés à la raison malgré leurs trahisons. L’affirmation d’un savoir-faire technique en matière de parole se donne à lire dès le prologue ; la mention d’une réputation acquise par l’auteur auprès de « tos discrés et autorisiés » (§501) dessine l’horizon d’un public docte ou spécialisé, à même d’apprécier ce nouveau modèle rhétorique, cet art in vivo de la diplomatie qui succède à celui de la prédication35. La diplomatie n’est nullement une discipline constituée à l’époque d’Henri de Valenciennes36, mais les prémisses d’un intérêt technique et rhétorique pour ce domaine se font sentir.

  • 37 Voir Frappier, « Les discours dans la chronique de Villehardouin », p. 63. Ce modèle nouveau de rhé (...)
  • 38 Voir, par exemple, J.-Cl. Vallecalle, Messages et ambassades dans l’épopée française médiévale, Par (...)
  • 39 Voir Histoire de l’Empereur Henri, p. 9 : « Conon de Béthune, Pierre de Douai […] apparaissent dans (...)

18L’auteur dessine de véritables figures d’ambassadeurs, se déployant en coïncidence avec l’évolution de la fonction, comme en témoignait déjà l’œuvre de Villehardouin. Dans cette chronique, les spécialisations de Geoffroy de Villehardouin et de Conon de Béthune en tant qu’ambassadeurs, respectivement la conciliation et la menace37, mettaient déjà en évidence un usage très maîtrisé du discours, qui s’éloignait des traits topiques des ambassades romanesques ou épiques38, bien que d’autres aspects en fussent proches. Les choix d’Henri de Valenciennes valorisent plus encore la figure du diplomate pourvue d’un véritable ethos. Renversant l’image donnée par son prédécesseur, Henri fait de Conon de Béthune un émissaire conciliant et un négociateur hors pair et c’est sûrement moins là une refonte psychologique du personnage39 que la manifestation d’un intérêt neuf pour l’art de la diplomatie. Les qualités du messager ne sont plus seulement l’objet de quelques épithètes récurrentes – Conon est certes « sage chevalier et loial » (§ 574) –, mais d’une véritable exposition : ce ne sont pas des traits personnels qui sont décrits, mais un ethos, qui repose en particulier sur une mise à distance des passions individuelles. Conon apparaît, dans sa fonction de messager, comme un acteur :

Quant Cuenes de Biethune oï ceste response, si fu molt dolans ; et ne respondi mie son pensé, selonc le grant orguel ke il oï. (§ 579)

  • 40 Voir, par exemple, « Cuens de Blandras, cuens de Blandras » (§ 577), « Sire cuens, sire cuens » (§  (...)
  • 41 Systématiquement dévoyée (§ 607, 609, 610), la parole des ennemis finit par se retourner contre eux (...)

19Et lorsqu’il est dit qu’il « ne se pot tenir que il au conte ne desist […] » (§ 585), cet élan spontané se présente comme l’exception qui confirme la règle. L’empereur lui-même adopte une posture identique (§ 641). Les passions individuelles, peut-être mentionnées pour exacerber le contraste (§ 591, 593), sont ainsi mises à l’écart d’une parole qui vise au contraire la « mesure » (§ 692) et la « raison » (§ 646). Les discours, « biaus mos polis » (§ 692), n’excluent pas pour autant la fermeté, voire une forme de menace, qui s’incarne par exemple dans des usages rhétoriques codifiés comme la double apostrophe40 ou des questions oratoires pour formuler indirectement les reproches (§ 577) ; admonestations et avertissements deviennent ainsi bien plus stratégiques qu’impulsifs – quand, au contraire, les adversaires usent d’une parole incontrôlée41.

  • 42 Sur ces personnages historiques et leurs fonctions administratives ou juridiques, voir J. Dufournet (...)

20L’esquisse d’une pragmatique diplomatique se lit dans le protocole entourant la négociation. La vision d’un empereur patientant dans son camp tandis que ses envoyés – Conon de Béthune, Pierre de Douai ou Anseau de Cayeux – sont dépêchés pour assurer le travail de négociation promeut l’image d’un corps qui, s’il n’est pas exclusivement dévolu à la diplomatie, est en voie de spécialisation42. Ces seigneurs sont par exemple pourvus de lettres de créance participant à un processus d’accréditation dont les étapes sont décrites avec soin :

Dont descendirent et saluerent Michalis de par l’empereour, et li baillent les lettres, si comme il avoit commandé ; et disoient les lettres que li doi messaje fussent creü de tout chou k’il diroient de par l’empereour. Michalis fist lire les lettres. Et quant elles furent leües, si dist as messages que il desissent lor volenté. (§ 691)

  • 43 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 361 sqq.
  • 44 Voir S. Péquignot, « Figures et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la pr (...)
  • 45 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 205-207.
  • 46 Ibid.

21L’auteur accorde une importance constante au double mouvement impliqué par le travail de l’ambassadeur : la conformité à la parole du mandant et la possibilité d’une émancipation qui confère au messager un statut plus autonome43. La parole d’autorité dont les ambassadeurs sont les dépositaires est systématiquement rappelée dans la narration comme dans les discours (§ 574 : « lor mostrés […] de par nous » ; § 575 : « la parole moustree de par l’empereour, ensi comme il li fu commandé » ; § 576 : « et je de par lui le vous di », etc.) et pourtant les messagers peuvent aussi agir en partie de leur propre chef ; ainsi Conon de Béthune, Pierre de Douai et Nicolas de Mailly analysent-ils la situation – « et bien voient que […] » (§ 579) –, avant de se lancer dans une proposition de conciliation : « et por chou leur consentent il a dire toz leur boins » (§ 579). La décision s’autonomise plus encore lorsque Conon de Béthune et Anseau de Cayeux prennent l’initiative personnelle – elle sera infructueuse– de faire cesser la guerre : « Or avoient Cuenes de Biethune et Ansiaus de Kaeu devisé entre eus que boin seroit que il pevussent faire par coi cele guerre fust apaisie » (§ 667). Aux § 576-577, la structuration duelle du discours de Conon au comte de Biandrate et à ses hommes s’explique par ce double mouvement : les marqueurs de la parole de l’empereur dans la première partie (« li empereres nos sires vos salue et vous fait a savoir, et je de par lui le vous di », « il n’a, che dist », « est il biel à monsegneur ») cèdent la place à un discours recentré sur le locuteur, avec le surgissement de la première personne (« or te dirai ke tu feras ») et la profération d’ordres (« fai avant aporter la chartre […] »). Occupant ainsi un rôle politique de premier plan, l’ambassadeur gagne une part d’autonomie dans la gestion des conflits44. L’intérêt pour le protocole diplomatique se prolonge dans la figuration des rencontres entre parties adverses. Sont aussi bien détaillés tant les salutations – « li connestables vint a l’empereour, et mist pié a terre si tost comme il le vit ; et quant il vint devant lui, il s’agenoulle » (§ 669) – faisant l’objet de rites très codifiés45, que les préalables à la discussion, comme celui de se pardonner les torts antérieurs : « dont le baisa li empereres et li pardonna toute male amour » (§ 596) ; « et li empereres l’en lieve et le baise, et li pardonne son mautalent et canques il avoit meffait enviers lui » (§ 669)46.

22La parole est accordée au camp adverse comme au camp impérial, mais un déséquilibre flagrant se fait jour : les Francs polissent leur discours pour ouvrir à la négociation, tandis que les Lombards n’interviennent que pour la refuser. La mise en scène de cet antagonisme est patente, ainsi dans la formulation binaire et parallèle : « li empereres li manda que il viegne parler a lui, et il li remanda que il n’i venroit pas » (§ 571). La constance de l’offre de paix et la réitération du message d’apaisement, relancée avec divers interlocuteurs (§ 568, 571, 579, 588, 648, 667), attirent l’attention et Henri de Valenciennes joue sur les chiffres pour faire valoir l’ouverture diplomatique :

Dont offrirent doubles drois de l’empereour, et lor deviserent.iij. manieres de pais. (§ 580)
Nous vos partirons.iij. pais, si verrons laquele vous prenderés. (§ 581)

  • 47 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 695 sqq.

23La représentation d’un libre choix de l’interlocuteur se traduit également par l’usage des alternatives (§ 690). L’évocation de procédures d’arbitrage, en adéquation avec les pratiques historiques contemporaines47, apparaît formulée avec précision à deux reprises (§ 581, 604) :

Or eslisiés.ij. sages homes et preudomes, et de boine renommee entre vous ; et nous, d’autre part, en eslirons aussi.ij. Et cil quatre enquiercent toutes les verités ; et quant il l’auront enquis, si en doinsent a cascun son droit, et cascune partie se tiegne a chou que il en diront. (§ 581)

  • 48 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 716-717.

24Les arbitrages – probablement davantage destinés à différer la guerre qu’à obtenir la paix48– entraînent le conflit vers la résolution juridique, par le moyen de l’enquête (« enquiercent », « enquis ») et l’entremise éventuelle des instances juridiques :

Et se vous tout chou ne volés faire, si nous en metons sor le dit de le court de Rome, ou sor celle de France, ou sor la court de l’empereour de Rome, u sour la chartre meismes. Et ensi ert faite li atirance entre nous, et demourrons boin amit. (§ 581)

25Quand bien même la coercition point ici dans l’évocation d’un droit multiforme mais supposé unanime, Henri de Valenciennes place surtout l’accent sur la liberté offerte par le camp impérial à ses adversaires et sur la magnanimité dont il fait preuve.

26Cette parole diplomatique devient un gage d’efficacité ; Henri de Valenciennes insiste sur ses effets, décrivant la réaction de l’auditoire, test reflet de la relation diplomatique :

Et Cuenes de Biethune et Pieres de Douay se prendent a parler et a dire uns biaus mos polis, et a metre avant la parole de lor segnor par si grant mesure, et a deffendre sa partie en respondant, car mestiers lor iert, si tempreement, que chil ki contre eus estoient en estoient ausi comme tout abaubi. (§ 692)

27Cette parole étonnante a pour vertu d’« amoliier » (§ 667, 693) le « cuer » des ennemis, les rendant « sozriant » (§ 693) et les incitant à s’accorder aux vues politiques du mandant :

Lor moustroient tantes bieles paroles et tantes bieles raisons traities de droit, que tout chil de la partie Michalis, et Michalis meismes, estoient tout desirant de venir a nostre amor. (§ 692)

  • 49 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 150 sqq. Une telle notio (...)
  • 50 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 249-269. L’épouse a alor (...)

28Ce qui est visé en effet, l’« amour » ou l’« amitié », correspond à l’amicitia romaine, notion politique centrale dans la diplomatie naissante au Moyen Âge et sur laquelle Henri de Valenciennes s’attarde abondamment (§ 545, 555, 574, 581, 596, 636, 671)49. Les mariages proposés pour conclure des alliances sont aussi à percevoir à la lumière de ce concept50. L’efficacité de la parole menant à cette amicitia est également exhibée par les choix mêmes du récit : le plus souvent, lorsque l’échange se solde par un échec diplomatique complet, il est mentionné sous la forme de discours indirect (§ 668) ou de discours narrativisé (§ 561, 562, 568, 580-581). Lorsque la parole aboutit au contraire à une discussion argumentée, si ce n’est à un accord, elle est rapportée de manière directe (§ 576-577, 581-582, 595). Son rôle de dynamis dans l’Histoire est ainsi souligné ; la parole vive bien maîtrisée apparaît comme un succès pour le camp impérial et le texte se fait manuel de cette parole efficace.

  • 51 Sont retenues les discordances entre les intentions et les paroles, les paroles mensongères (§ 613, (...)
  • 52 Voir également § 672, 595 et 596 sqq.

29Cet usage permet de reporter sur le camp des ennemis, qui dévoient la parole et refusent la négociation, toute la responsabilité de la guerre. Récusant la conciliation, ce que l’auteur souligne par un usage massif de la négation (§ 571, 572, 573, 589, 635, 648, 650, 670, 671, 673), ils sont les porte-parole de toutes les déficiences de la communication : propos fourbes, mensongers, parjures51, discours « agu » et « trenchant » (§ 169). Les tentatives d’obtenir la paix sont toujours à porter au crédit d’Henri de Constantinople et même lorsque c’est le camp adverse qui se trouve à l’origine d’une proposition d’alliance (§ 646), tout est présenté de façon que l’empereur s’en ressaisisse pour en paraître l’instigateur (§ 648). L’ultime refus – « Lombart ne voelent enviers lui faire pais ne acorde » (§ 650) – est dès lors suivi de la déclaration de guerre (§ 651)52. Les discours, qui promeuvent en apparence la paix, ont bien davantage pour fonction de montrer que l’échec de l’entente, loin d’être imputable à l’empereur, est le fait des ennemis. Paradoxalement si la diplomatie a une fonction d’exaltation de la paix, elle est ici mise en scène pour justifier le déclenchement d’une guerre dans le camp chrétien.

Interférences rhétoriques, entre guerre et paix

30Bien que les deux modèles rhétoriques, prédicatif et diplomatique, se répartissent avec netteté dans les deux parties du texte pour justifier les deux guerres menées, des interférences complètent néanmoins ce tableau antagonique. La seconde partie de l’œuvre, où la parole se pense pour grande part selon le modèle de la rhétorique diplomatique, est en effet discrètement informée par des références au modèle prédicatif dominant dans la première partie. Cette résurgence du discours prédicatif dans la seconde moitié de l’œuvre renforce la légitimation de la guerre entre chrétiens d’obédience romaine. Ainsi, les partisans de l’empereur y font, plus subrepticement, figures de croisés : « nostre gens ont tant fait, par la divine soufrance de Nostre Segnour, que bien ont retenu le moitié de lor anemis » (§ 632). On peut entendre dans cette « soufrance » aussi bien la volonté divine qu’un écho à la Passion. Dans les propos rapportés de Conon de Béthune, l’expédition contre les Lombards est aussi considérée comme une « pénitence » qui vaudra le paradis à ses participants. Ils s’en trouvent absous (§ 594) et la formulation choisie fait écho à la guerre de croisades représentée dans la première partie :

En ceste chevaucie estoit Cuenes de Biethune, qui molt maudissoit durement cels qui la l’avoient mené, et disoit ke chil qui si grande penitance souffroit por Nostre Segnour, a che que tout estoient ausi comme trenchié de froidure et de dolour, bien aroit desiervi son paradis. (§ 643)

  • 53 Pour l’aide divine, voir, par exemple, § 563, 653 et, pour les oraisons, § 673, 681, 693.
  • 54 Voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs », p. 24.

31Les références à l’aide divine, ainsi qu’aux oraisons dans les églises pratiquées par le camp de l’empereur (§ 673)53, confortent l’assimilation des impériaux à des croisés et lors d’un affrontement armé contre les Lombards, Henri de Valenciennes dit d’eux que « cascuns i fu ou liu d’Olivier et de Rollant » (§ 633)54. Lombards et Grecs, quant à eux, dans leur tentative de résister à l’empereur, préfèrent s’allier au premier ennemi, Boril, glissant ainsi vers l’image des païens :

Et chil dou castiel avoient envoiés messages au bailliu Burille, qui molt estoit outrageus ; si manoit a Menelic. Et disent au bailliu qu’il venist a la Serre, et se il i amenoit force de gens, li castiaus li seroit rendus et delivrés ; « car li castelains voet mius que vous l’aiiés que li empereres ». (§ 619)

  • 55 Voir également le § 688, où le comte de Biandrate promet de lutter contre les Blas et les Commains, (...)

32La remarque de l’empereur au comte de Biandrate, chef des opposants lombards, « et poi m’aime plus que Blac u Commain » (§ 601), contribue encore à cet effet55. La disposition en miroir des deux grands épisodes – chacun commence par la présence de l’empereur à Constantinople (§ 504 et 552-560) – amène le lecteur à tracer un parallèle entre la guerre de croisade contre les païens et la guerre intestine d’hommage, soulignant une parenté entre les ennemis ; ainsi l’identification des Lombards avec les païens est-elle progressivement mise en place.

  • 56 Voir S. Runciman, A History of the Crusades, Cambridge, Cambridge University Press, 1955, t. III, p (...)

33Mais l’emploi de la rhétorique prédicative sur ce mode mineur s’avère symptomatique d’une double fonction, à l’image des ambiguïtés idéologiques qui se cristallisent autour de la quatrième croisade et qui ont amené les Latins à chercher tantôt l’affrontement, tantôt la conciliation avec les autres branches de la chrétienté56. Ces accents parénétiques cherchent en effet aussi à plaider contre la désunion des chrétiens et pour la paix. Henri de Valenciennes rappelle dans un discours direct les efforts communs de tout le camp chrétien dans la croisade passée :

Et i avommes autresi bien endurées les paines et les travaus por Nostre Segnor comme vous avés […] et si avons esté en toz les plus granz besoins de la conqueste tout adiés. (§ 585)

  • 57 Voir Dufournet, « Henri de Valenciennes et la quatrième croisade », p. 34.

34L’argument est utilisé dans les discours du clan impérial pour exiger la suzeraineté de la terre et pour promouvoir la paix : si la terre conquise est perdue au profit des Grecs (§ 586), la chrétienté s’en trouvera en péril (« toute la tierre en serra destruite, et si pierderons canques nos avons conquis », § 587) ; dans une guerre fratricide, les chrétiens, « en haine mortel li uns viers l’autre », perdront leur salut (§ 586). Les notions de salut, de péché, de crainte de Dieu (§ 587) et de reniement (§ 588) interviennent également. L’un des discours de Conon de Béthune est saturé de références à la religion (« Por Dieu », « se Dex me saut », « li pechiés en seroit vostres », § 582) pour faire valoir l’union nécessaire des chrétiens romains. Ce discours qui, face au refus du camp opposé, servira aussi à justifier de manière circonstancielle la guerre, prône l’idéal d’une entente parfaite au sein du camp des chrétiens. De même, l’irruption du discours diplomatique dans la fin de la première partie consacrée aux Bulgares propose, à l’encontre du discours prédicatif dominant, un modèle pacifié d’alliance avec les chrétiens schismatiques, dans le mariage entre Esclas et la fille de l’empereur. Les développements qui y sont consacrés, que les critiques ont qualifiés de courtois57, évoquent comme de façon métonymique les difficultés et le bénéfice de cette union. L’alliance finale entre la fille de Théodore Lascaris et le frère de l’empereur suggère aussi un rapprochement des Francs et des Byzantins qui soumet ceux-ci à l’autorité des Latins (§ 694). Prédication et diplomatie tissent dans ces discours d’appoint plus diffus une vision du rassemblement de la chrétienté.

  • 58 Henri de Valenciennes choisit, avec ces deux mentions de la ville, une composition en miroir qui sé (...)

35De la sorte, l’entremêlement des fils historique et religieux, de la rhétorique diplomatique et de la rhétorique prédicative, établi dès le prologue, sert simultanément la double justification d’une guerre contre les ennemis bulgares ou contre les opposants chrétiens et l’expression d’une paix idéalisée de la chrétienté. Au début et au milieu de la chronique, la capitale de l’empire chrétien d’Orient, emblème du pouvoir impérial, apparaît comme le centre pacifié à partir duquel rayonne et s’étend la chrétienté58 ; Henri de Constantinople, empereur en guerre permanente, figure aussi le promoteur de la paix et le garant de cet empire chrétien augmenté et unifié, à l’image, en somme, de sa toute première apparition, pacifique et arthurienne, un jour de Pentecôte (§ 504).

Conclusion

  • 59 Voir Paris, « Henri de Valenciennes », p. 67 et Histoire de l’Empereur Henri, p. 9 : « il alourdit (...)
  • 60 Voir Corbellari, « L’art narratif d’Henri de Valenciennes », p. 196.

36« Les longs discours […] retardent trop souvent la marche de ces vieux poèmes59 », déplorait N. de Wailly ; il semblerait tout au contraire qu’ils contribuent à la signification même de cette marche. Les caractéristiques d’un style historique, greffé sur la connaissance et l’usage des topiques propres à la chanson de geste et au roman, se complètent d’un ambitieux travail sur la rhétorique oratoire : placés sur le même plan que l’action militaire, les discours, susceptibles d’envenimer ou de résoudre un conflit, constituent la force dynamique de l’histoire. Les discours de la première partie déploient une rhétorique de prédication qui met en exergue la dimension religieuse de la lutte contre les « Blacs » et les « Commains », assimilés d’un seul tenant à des païens, la faisant coïncider au plus près avec une entreprise de croisade et assurant ainsi l’orientation idéologique et apologétique de l’œuvre. Dans la seconde partie, en revanche, se développe une rhétorique de nature judiciaire dont les critères s’inventent en lien avec la diplomatie naissante. Transformée en manuel de diplomatie, en traité de négociation, l’œuvre n’a pas uniquement pour but de persuader un public d’aller « prêter main forte à l’empereur de Constantinople60 », mais aussi d’exposer de manière pragmatique les modes de règlements d’un conflit et de montrer l’étendue des pouvoirs de la parole. Paradoxalement, le discours diplomatique assure la légitimation d’une autre guerre : la multiplication des discours de négociation permet de faire porter sur les adversaires lombards la responsabilité de cette division de la chrétienté. Mis au service contextuel de la justification de guerres contemporaines, les discours n’en restent pas moins dans leurs deux modèles – prédicatif et diplomatique – sensibles à l’union possible entre les chrétiens d’orient et d’occident et à l’exaltation de cette chrétienté unifiée et pacifiée. L’usage réversible des modèles rhétoriques en faveur de la paix ou de la guerre témoigne ainsi, sans nul doute, des ambiguïtés et des aspirations contradictoires de la croisade byzantine, entre idéologie conquérante et rêve d’union pacifique.

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Notes

1 Voir Histoire de l’Empereur Henri de Constantinople, éd. J. Longnon, Paris, Geuthner, 1948. La chronique se lit dans le prolongement de celle de Villehardouin, qui s’arrête en septembre 1207 ; elle a été composée sans doute assez tôt après les événements narrés, entre 1208 et 1216 ; voir G. Paris, « Henri de Valenciennes », Romania, 19, 1890, p. 63-72 et Histoire de l’Empereur Henri, p. 11-14.

2 Voir J. Longnon, « Sur l’Histoire de l’empereur Henri de Valenciennes », Romania, 69, 1946, p. 198-218, ici p. 199. A. Corbellari souligne une certaine « gaucherie et lourdeur du prologue », qui « hésite à deux fois et semble craindre de susciter l’ennui » ; voir « L’art narratif d’Henri de Valenciennes : de la Chronique de l’Empereur Henri au Lai d’Aristote », Romans d’antiquité et littérature du Nord, Mélanges offerts à Aimé Petit, éd. S. Baudelle-Michels, M.-M. Castellani, Ph. Logié et E. Poulain-Gautret, Paris, Champion, 2007, p. 187-197, ici p. 190.

3 Dans le prologue, Henri se place du côté de la maîtrise des techniques de l’écriture (« traiter », « bien dire »), et cette apparente maladresse correspond, selon toute vraisemblance, à un choix concerté, celui d’un prologue à double tête, « sans coverture » et par « coverture », où le fait est directement exposé, ou amené par l’intermédiaire de sentences et de réflexions morales, selon les termes de la rhétorique judiciaire, largement utilisée au Moyen Âge en dehors de son champ d’application premier ; voir, par exemple, Brunet Latin, Li Livres dou Trésor, éd. F. Carmody, Genève, Slatkine reprints, 1998, III, 35, p. 344.

4 Voir Geoffroy de Villehardouin, La Conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, Paris, Garnier-Flammarion, 2004, et Robert de Clari, La Conquête de Constantinople, éd. J. Dufournet, Paris, Champion, 2004. Voir également J. Frappier, « Les discours dans la chronique de Villehardouin », Histoire, mythes et symboles : études de littérature française, Genève, Droz, 1976, p. 55-71 et « Le style de Villehardouin dans les discours de sa chronique », même ouvrage, p. 73-83.

5 Voir C. Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs dans l’Histoire de l’empereur Henri de Constantinople », Écrire l’histoire, 8, 2011, p. 17-26, ici p. 23.

6 Les Valaques, tout comme les Bulgares (qui ne sont jamais nommés par Henri de Valenciennes ; voir Histoire de l’Empereur Henri, n. 3, p. 28-29), sont des chrétiens (n. 1, p. 44), ils utilisent comme auxiliaires des Coumans, qui, eux, sont païens (n. 2, p. 28). Mais ces chrétiens sont au fil du temps en dissension croissante avec la papauté, qui appuie la lutte contre eux ; voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs », p. 24.

7 Voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs », p. 23-25.

8 Voir La Chanson d’Antioche, éd. S. Duparc-Quioc, Paris, Geuthner, 1977-1978, 2 vol. , t. 1, v. 1599, 1659, 1673, 6374, etc.

9 Voir La Conquete de Constantinople, § 61, 81, 82, 84, 85, 95, 199. Cette amplification n’est pas absente des chansons de geste liées a la croisade ; voir, par exemple, La Chanson d’Antioche : « La gens Nostre Segnor va tos jors acroisant / Et Turc orgellous forment amenuisant » (v. 9159-9160).

10 voir Histoire de l’Empereur Henri, n. 3, p. 47. L’argument, annexant la gloire de l’empire constantinopolitain à la puissance de l’Église romaine, circule ainsi de l’autorité papale au discours impérial.

11 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 202 ; Histoire de l’Empereur Henri, n. 3, p. 27 : Innocent III désigne en 1207 les partisans de l’empereur comme des « crucesignati ».

12 Gunther de Pairis, dans son Hystoria Constantinopolitana, commente la signification du nom d’Innocent, en rapport avec les événements relatés ; voir Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, éd. P. Riant, Genève, Fick, 1878, rééd. Paris, CTHS, 2004, 2 vol. , t. 1, p. 75.

13 De manière symptomatique, la « croix » n’était plus mentionnée à partir de ce même événement. Sur le discours direct prononcé par le clergé ; voir la Conquête de Constantinople, § 224-225. Villehardouin y mêle des arguments politiques et les arguments religieux suivants : « Por coi nous vous disons, fet le clergié, que la bataille est droite et juste. Et se vous avez droite entencion de conquerre la terre et metre a l’obedience de Rome, vous auroiz le pardon tel conme l’apostele le vous a otroié, tuit cil qui confés y morront. »

14 Il s’agit de rétablir Alexis sur le trône en chassant l’usurpateur, puis de venger les destructions de Johannitza, Geoffroy de Villehardouin insistant particulièrement sur sa violence (La Conquête de Constantinople, § 394, 398, 401, 414, 419, 420, 424, etc.).

15 Le terme de croisés disparaît, lui aussi, après la prise de Zara. Le discours ecclésiastique, rapporté indirectement, justifie l’attaque de Constantinople par un mélange d’arguments politiques et religieux, les Byzantins étant « inobedient[s] » à l’Église de Rome ; voir Robert de Clari, § lxii et lxxiv ainsi que § xxxix.

16 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 175.

17 Voir A. Demurger, Croisades et croisés au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 2006, p. 65. L’auteur insiste sur les changements thématiques de la prédication de croisade à partir du pontificat d’Innocent III : la souffrance du Christ fait partie de ces nouvelles orientations.

18 Voir aussi § 585 : « Et i avomes autresi bien endurées les paines et les travaus por Nostre Segnor comme vous avés ».

19 Voir M. Zink, La Prédication en langue romane avant 1300, Paris, Champion, 1976, p. 266-270 et 288 ; voir aussi, par exemple, pour les assonances et les jeux sur les mots, « fiance/ esperance/doutance » (§ 516) et « reconfort/desconfors/desconfirons » (§ 520).

20 Voir ms. Paris, BnF, fr. 12471, fol. 76v, v. 168-173 : « Dame, bien de voir sai et bien en sui remors / Que par vous fu dampnee et perie la mors […] / El dolerous infer par son dolerous mors / Li mors Adan nous ot saint paradis tolu / Et l’amors vostre fils nous en a absolu ». On peut aussi penser à l’œuvre hagiographique de l’auteur, dont les premiers vers sont proches d’une rhétorique de prédication de croisade : Vie de saint Jean l’Évangéliste, éd. E. Westberg, Uppsala, 1943, v. 1-168. Voir F. Zufferey, « Henri de Valenciennes, auteur du Lai d’Aristote et de la Vie de saint Jean l’Évangéliste », Revue de linguistique romane, 68, 2008, p. 335-357.

21 Voir Vie de saint Jean l’Évangéliste, v. 536-540 et Jugement, ms. Paris, BnF, fr. 12471, fol. 75v, v. 92-107. L’image, topique, se trouve aussi, par exemple, dans la Chanson d’Antioche, v. 7915. Sur ces images, voir G. Jacquin, Le Style historique dans les récits français et latins de la quatrième croisade, Paris/Genève, Champion/Slatkine, 1986, p. 411.

22 Par exemple, plus tardivement, dans un sermon de Jean Gobi. Voir S. Menache et J. Horowitz, « Au commencement était le verbe, Propagatio Fidei et propagande au Moyen Âge », Revue belge de philologie et d’histoire, 70/2, 1992, p. 330-356, ici p. 337-338.

23 Voir également § 502, 507, 524, 527, 538. La confession est l’une des thématiques principales de la prédication, évoquée dès le prologue. C’est également le cas chez Gunther de Pairis ; voir Flori, Prêcher la croisade, p. 198. Elle est centrale à cette époque dans les préoccupations de l’Église : l’aboutissement des réflexions mènera au canon 21 du Concile de Latran (1215). Sur les liens entre confession et croisade, voir en particulier J.-Ch. Payen, Le Motif du repentir dans la littérature française médiévale, des origines à 1230, Genève, Droz, 1967, p. 44-47.

24 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 157.

25 Il s’agit d’images très courantes, par exemple, dans les sermons de Maurice de Sully ; voir C. A. Robson, Maurice of Sully and the Medieval Vernacular Homily, Oxford, Basil Blackwell, 1952, p. 79 (« esmonder et eslaver […] ordure de son cors »). D’autres images empruntées par Henri de Valenciennes à la vie féodale et militaire (« castelain », « hiaume », § 538) ou à la nature (« bruhier » et « faucon », § 520) correspondent aussi aux pratiques du sermon en langue vulgaire.

26 Voir La Conquête de Constantinople, § 427, 429, 430.

27 Sur ces effets, voir Zink, La Prédication en langue romane, p. 266-269.

28 Voir Flori, Prêcher la croisade, p. 156, 181.

29 Les premières chansons de geste sont plutôt rétives à l’intégration d’un discours de croisade dont l’Église serait la garante ; voir M. Bonansea, Le Discours de la guerre dans la chanson de geste et le roman arthurien en prose, Paris, Champion, 2016, p. 439-443.

30 Voir Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, t. 1, par exemple, p. 62 sqq.

31 Innocent III prêche de nouveau la croisade en 1213 ; voir Flori, Prêcher la croisade, p. 239.

32 Voir la chronique de Clari (§ LXIV, CVI, CXVI) et celle de Villehardouin (§ 333, 393-394, 399, 425).

33 Sur les questions de représentation de l’altérité, voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs », p. 23-25.

34 La seconde partie de l’œuvre offre les discours directs les plus fournis et développés ; voir Jacquin, Le Style historique, p. 482.

35 Cela n’est certes pas incompatible avec l’idée que la chronique s’adresserait aux « cours seigneuriales, aux barons, aux dames et aux chevaliers du Hainaut et de Flandres […] à des amateurs de romans », selon J. Dufournet, « Robert de Clari, Villehardouin et Henri de Valenciennes, juges de l’empereur Henri de Constantinople. De l’Histoire à la légende », Mélanges Jeanne Lods, Paris, École normale supérieure de jeunes filles, 1978, t. 1, p. 183-202, ici p. 195. En revanche, on peut difficilement soutenir l’idée que le texte « tourne en une simple chronique historique » faite pour « tenir au courant les [chevaliers et les dames de Flandres] des gestes de leurs compatriotes de l’empire de Constantinople » dans cette deuxième partie, qui recèle toute une réflexion sur la diplomatie (Histoire de l’Empereur Henri, p. 12-13).

36 Voir J.-M. Moeglin et S. Péquignot, Diplomatie et « relations internationales » au Moyen Âge (ixe-xve siècle), Paris, PUF, 2017, p. 7-12.

37 Voir Frappier, « Les discours dans la chronique de Villehardouin », p. 63. Ce modèle nouveau de rhétorique emploie un lexique technique, qui n’est pas encore propre à la diplomatie, mais qui s’adosse en partie à celui de la rhétorique judiciaire : on pourra évoquer l’usage des termes atirance (§ 560, 581) et atirement (§ 577), par exemple, typiques du vocabulaire des chartes du Nord, mais encore respons en court (§ 571), droit jugement (§ 604), avoué (§ 610), acorde (§ 650), qui interviennent dans les négociations.

38 Voir, par exemple, J.-Cl. Vallecalle, Messages et ambassades dans l’épopée française médiévale, Paris, Champion, 2006 ; J. Merceron, Le Message et sa fiction. La communication par messager dans la littérature française des xiie et xiiie siècles, Berkeley, University of California Press, 1998.

39 Voir Histoire de l’Empereur Henri, p. 9 : « Conon de Béthune, Pierre de Douai […] apparaissent dans son récit avec leur caractère propre ».

40 Voir, par exemple, « Cuens de Blandras, cuens de Blandras » (§ 577), « Sire cuens, sire cuens » (§ 586), « Raoul, Raoul » (§ 636).

41 Systématiquement dévoyée (§ 607, 609, 610), la parole des ennemis finit par se retourner contre eux (§ 607, 626, 637-639).

42 Sur ces personnages historiques et leurs fonctions administratives ou juridiques, voir J. Dufournet, « Henri de Valenciennes et la quatrième croisade », Image et mémoire du Hainaut médiéval, éd. J.-Ch. Herbin, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 2004, p. 33-50, ici p. 36-38. La « technicité accrue des échanges » rend nécessaire l’emploi « de notaires, de légistes, ou du moins d’hommes frottés en droit » (Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 404), ce qui accroît aussi la participation à la diplomatie de « nobles à l’envergure sociale moindre » à partir du xiie siècle et surtout du xiiie siècle (p. 399).

43 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 361 sqq.

44 Voir S. Péquignot, « Figures et normes de comportement des ambassadeurs dans les documents de la pratique. Un essai d’approche comparative (ca 1250-ca 1440) », De l’ambassadeur, les écrits relatifs à l’ambassadeur et à l’art de négocier du Moyen Âge au début du xixe siècle, éd. S. Andretta, S. Péquignot et J.-Cl. Waquet, Rome, Publications de l’École Française de Rome, 2015, p. 102-107.

45 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 205-207.

46 Ibid.

47 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 695 sqq.

48 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 716-717.

49 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 150 sqq. Une telle notion est absente de la chronique de Villehardouin.

50 Voir Moeglin et Péquignot, Diplomatie et « relations internationales », p. 249-269. L’épouse a alors un rôle à jouer dans les relations internationales, ce que souligne Henri dans un discours qui relève sans doute plus du traité de diplomatie que d’un trait psychologique lié à l’amour paternel : « vous gardés toutes voies que vous ja por l’amour, ne por lor acointance, qu’ils aient a vous ne vous a eus, ne retraiiés vostre cuer de nostre gent amer, dont vous iestes estraite » (§ 559) ; il est également dit à propos du mariage entre la fille de Théodore Lascaris et le frère de l’empereur : « se nous ces.ij. poiemes ensamble ajoindre par mariage, dont primes seroit nostre pais legiere a faire » (§ 693).

51 Sont retenues les discordances entre les intentions et les paroles, les paroles mensongères (§ 613, 622, 626, 637-639, 646, 687, 688).

52 Voir également § 672, 595 et 596 sqq.

53 Pour l’aide divine, voir, par exemple, § 563, 653 et, pour les oraisons, § 673, 681, 693.

54 Voir Croizy-Naquet, « Représentation historienne de l’ailleurs », p. 24.

55 Voir également le § 688, où le comte de Biandrate promet de lutter contre les Blas et les Commains, mais « la felonnie de son cuer pensoit tout el ».

56 Voir S. Runciman, A History of the Crusades, Cambridge, Cambridge University Press, 1955, t. III, p. 129-130 et Contemporary Sources for the Fourth Crusade, p. 7-176.

57 Voir Dufournet, « Henri de Valenciennes et la quatrième croisade », p. 34.

58 Henri de Valenciennes choisit, avec ces deux mentions de la ville, une composition en miroir qui sépare nettement les deux épisodes – l’un de politique extérieure, l’autre de politique intérieure – formant deux parties autonomes, alors que dans la chronique de Villehardouin les relations avec les Grecs ou les Bulgares et les relations entre chrétiens s’entremêlaient constamment.

59 Voir Paris, « Henri de Valenciennes », p. 67 et Histoire de l’Empereur Henri, p. 9 : « il alourdit son récit de sermons, de discours et de discussions qui coupent l’action ».

60 Voir Corbellari, « L’art narratif d’Henri de Valenciennes », p. 196.

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Pour citer cet article

Référence papier

Florence Tanniou, « Entre guerre et paix »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 37 | 2019, 167-187.

Référence électronique

Florence Tanniou, « Entre guerre et paix »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 37 | 2019, mis en ligne le 01 août 2022, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/17279 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.17279

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Auteur

Florence Tanniou

Université Paris-Nanterre CSLF (EA 1586)

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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