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Conter des croisades du Moyen Âge à nos jours

L’écriture des croisades dans l’historiographie arabe médiévale

Writing the Crusades in medieval Arabic historiography
Anne-Marie Eddé
p. 27-51

Résumés

Les historiens arabes médiévaux, musulmans ou chrétiens, n’ont pas considéré les croisades comme un phénomène particulier. Cela ne les pas empêchés de s’interroger sur ce qui poussa les Occidentaux à s’installer en Orient, de comprendre les causes religieuses et politiques de leur expansion et d’appeler en conséquence à les combattre, tout en donnant une vision de leurs ennemis qui n’était pas toujours dénuée d’estime.

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Index de mots-clés :

histoire, croisades, historiens arabes

Index by keyword:

history, Crusades, Arabic historians
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Texte intégral

1L’un des premiers témoignages arabes sur la croisade à nous être parvenu est celui du juriste chafiite al-Sulamī (mort en 1106), qui rédigea, en 1105, un traité de jihad dont il donna lecture publique dans une mosquée de la banlieue de Damas. Il voulut, ce faisant, alerter ses contemporains sur les dangers que faisait courir à l’Islam cette nouvelle invasion, et les inciter au combat :

Une partie [des infidèles] assaillit à l’improviste l’île de la Sicile mettant à profit les différends et les rivalités [qui y régnaient] ; de cette manière [les infidèles] s’emparèrent aussi d’une ville après l’autre en Espagne. Lorsque des informations se confirmant l’une l’autre leur parvinrent sur la situation perturbée de ce pays [Syrie] dont les souverains se détestaient et se combattaient, ils résolurent de l’envahir. Et Jérusalem était le comble de leurs vœux […]

  • 1 Extraits éd. et trad. par E. Sivan, « La genèse de la contre-croisade : un traité damascain du débu (...)

Vos doutes s’étant dissipés, vous devez maintenant être sûrs quant à votre obligation personnelle de guerroyer pour la foi […]. On est saisi d’un étonnement profond à la vue de ces souverains qui continuent à mener une vie aisée et tranquille lorsque survient une telle catastrophe, à savoir la conquête du pays par les infidèles, l’expatriation forcée [des uns] et la vie d’humiliation [des autres] sous le joug des infidèles, avec tout ce que cela comporte : carnage, captivité et supplices qui continuent jours et nuits1.

  • 2 Au Moyen Âge, l’expression Bilād al-Shām désigne une entité géographique qui recouvre la Syrie, la (...)

2Quelques poètes se firent aussi l’écho des malheurs subis par le Bilād al-Shām2, tel l’Irakien al-Abīwardī (mort en 1113), qui apostropha ses contemporains en ces termes :

Osez-vous somnoler à l’ombre d’une heureuse sécurité, dans une vie molle comme la fleur du jardin ?

Mais comment l’œil peut-il dormir entre les paupières quand les malheurs sont tels qu’ils réveillent tous les dormeurs ?

  • 3 Poème cité par plusieurs auteurs postérieurs, dont Ibn al-Athīr, Al-Kāmil fī l-ta’rīkh, 13 vol. , B (...)

Alors que vos frères en Syrie sont réduits à prendre leur repos sur le dos des destriers ou dans le ventre des vautours3.

  • 4 Parmi les ouvrages historiques rédigés par des auteurs syriens dans la première moitié du xiie sièc (...)

3En dehors de ces rares témoignages, il fallut toutefois attendre plusieurs décennies pour voir les croisades occuper une place significative dans les œuvres des auteurs arabes. L’Irak et dans une moindre mesure l’Égypte, du fait de leur situation géographique et de leurs divisions politiques, ne se sentirent pas immédiatement concernés par l’arrivée des croisés. C’est donc en Syrie, une région directement exposée aux attaques des Occidentaux, que les plus anciens récits sur les croisades virent le jour, mais la majeure partie en est aujourd’hui perdue. Claude Cahen avait évoqué jadis, pour expliquer ce constat, le morcellement politique de la Syrie, à la fin du xie et au début du xiie siècle, qui aurait non seulement freiné la production d’une historiographie d’envergure, mais entraîné également la perte des quelques œuvres produites4. Un tournant semble s’être opéré vers le milieu du xiie siècle, avec l’essor en Syrie d’une littérature historique régionale qui accompagna le développement de l’idéologie du jihad et de la réaction musulmane contre les Francs. Tandis que dans le sillage de la reprise d’Édesse en 1144 par l’émir turc Zengi (1127-1146) se développait, sous le règne de son fils Nūr al-Dīn (1146-1174), toute une propagande en faveur de la reconquête de Jérusalem, des histoires consacrées à la Syrie virent le jour, comme s’il apparaissait nécessaire de rappeler la centralité de cette région dans le mouvement de reconquête qui s’amorçait.

  • 5 Originaire d’al-Athārib, une localité en Syrie du Nord, Ḥamdān rédigea une Histoire d’Alep et de la (...)

4Une autre caractéristique de l’historiographie arabe des croisades, à cette époque, est l’absence de véritables histoires des croisades. À l’exception de la chronique de Ḥamdān al-Athāribī (mort en 1147 ou 1148), dont seuls quelques extraits nous sont parvenus au travers d’ouvrages plus tardifs5, les auteurs médiévaux, historiens, voyageurs ou géographes, dans leur ensemble, abordent toujours les croisades au fil de leur récit, sans jamais les considérer comme un phénomène particulier dont il conviendrait d’expliquer l’origine, le déroulement et les conséquences. Les combats contre les croisés sont décrits comme un épisode parmi d’autres dans la longue succession de conflits qui opposèrent les musulmans aux chrétiens byzantins dans la région. Le terme croisade, qui n’apparut dans le monde latin qu’à partir du xiiie siècle, était totalement inconnu des auteurs arabes médiévaux, qui se contentaient de désigner tous les croisés, quelle que fût leur origine géographique, par le terme d’Ifranj (« les Francs »). L’expression arabe al-ḥurūb al-ṣalībiyya, traduction du terme croisades, ne fut utilisée par les Arabes qu’à partir du xixe siècle. C’est donc au travers de genres littéraires variés, chroniques, mais aussi biographies, correspondances, récits de voyages et traités divers, qu’il faut essayer de lire l’écriture arabe des croisades.

Un corpus de textes variés

  • 6 Quelques documents arabes ayant trait aux relations entre musulmans et Francs nous sont parvenus po (...)
  • 7 Seule une version abrégée de l’histoire d’al-‘Aẓīmī nous est parvenue. Voir C. Cahen, « La chroniqu (...)
  • 8 Tels qu’Ibn al-Athīr (mort en 1233), Sibṭ Ibn al-Jawzī (mort en 1256), Abū Shāma (mort en 1267) et (...)
  • 9 Auteur, par ailleurs, d’un volumineux dictionnaire biographique des personnalités ayant marqué l’hi (...)
  • 10 Voir S. A. Mourad et J. E. Lindsay, The Intensification and Reorientation of Sunni Jihad. Ideology (...)

5La plupart des sources arabes dont nous disposons sont des textes narratifs, les documents d’archives parvenus jusqu’à nous étant beaucoup plus rares6. On retiendra d’abord les historiens syriens al-‘Aẓīmī (mort en 1161) et surtout Ibn al-Qalānisī (mort en 1160), qui composèrent l’un une chronique centrée sur la Syrie du Nord et l’autre une chronique axée sur la région de Damas7. Ibn al-Qalānisī, dont le portrait de Nūr al-Dīn (1146-1174) menant sans relâche le jihad contre les Francs fut abondamment repris par les historiens postérieurs8, contribua beaucoup à répandre l’image de pieux combattant de ce souverain. Dès le milieu du xiie siècle, des recueils de hadiths incitant au jihad furent également composés par des proches du souverain, tel celui du traditionniste damascain Ibn ‘Asākir (mort en 1176)9, que Nūr al-Dīn nomma à la tête du Dār al-ḥādīth (école des traditions du Prophète) qu’il fonda à Damas10. Sans fournir d’informations particulières sur les croisades et les États latins, les ouvrages de ce genre, destinés à réveiller l’ardeur des combattants, n’en laissent pas moins percevoir les arguments mis en avant pour inciter à la guerre contre les Francs.

  • 11 Il n’est pas parvenu jusqu’à nous, mais on peut s’en faire une idée au travers de son ouvrage intit (...)
  • 12 Voir Ibn Shaddād, al-Nawādir al-sulṭāniyya wa l-maḥāsin al-Yūsufiyya, éd. J. al-Dīn al-Shayyāl, Le (...)
  • 13 Voir Al-Iṣfahānī, Kitāb al-fatḥ al-qussī fī l-fatḥ al-Qudsī, éd. Landberg, Leyde, 1888, trad. H. Ma (...)
  • 14 Voir Al-Fāḍil, al-Durr al-naẓīma min tarassul ‘Abd al-Raḥīm, éd. A. Badawī, Le Caire, s. d.; I. al- (...)

6Sous le règne de Saladin (1174-1193), fondateur de la dynastie des Ayyoubides, l’écriture des croisades prit une nouvelle tournure avec, d’une part, les biographies que lui consacrèrent deux de ses proches et, d’autre part, les traités militaires et de jihad composés à son intention. Bahā’ al-Dīn Ibn Shaddād (mort en 1234), juriste irakien de renom, installé en Syrie à la demande de Saladin, lui dédia non seulement un traité de jihad comparable à celui d’Ibn ‘Asākir11, mais aussi une biographie faisant son éloge et retraçant son parcours. Malgré son intention ouvertement panégyrique, le témoignage personnel qu’il nous livre sur les relations entre Saladin et les Francs ainsi que sur le déroulement de la Troisième Croisade est extrêmement précieux12. Également essentiel pour cette période est le récit de son contemporain d’origine iranienne, ‘Imād al-Dīn al-Iṣfahānī (mort en 1201), secrétaire de chancellerie et auteur d’un grand nombre de lettres et de diplômes émis par Saladin. Ses deux ouvrages historiques majeurs, Le Livre de la conquête de Jérusalem, qu’il commença à rédiger du vivant même de son maître, et L’Éclair syrien, foisonnent de détails sur les relations entre Francs et musulmans au xiie siècle, même si, là aussi, il convient de faire la part entre le discours panégyrique et la réalité13. D’un genre tout à fait différent, car sans intention de décrire la croisade, l’abondante correspondance du plus fidèle collaborateur de Saladin, le cadi al-Fāḍil (mort en 1200), contient de même de nombreuses informations sur les combats de Saladin contre les Francs14.

  • 15 Voir Ousâma ibn Mounḳidh : un émir syrien au premier siècle des croisades (1095-1188), éd. et trad. (...)
  • 16 Voir Ibn Jubayr, Riḥla, éd. W. Wright revue par M. J. De Goeje, Londres – Leyde, 1907, trad. M. Gau (...)

7Bien connu des historiens en Occident, car édité et traduit en français dès la fin du xixe siècle, l’ouvrage autobiographique d’Usāma Ibn Munqidh (mort en 1188) décrit de manière plus anecdotique et pittoresque les relations quotidiennes entre Francs et musulmans15. Au travers du récit de sa longue vie passée, en Syrie et en Égypte, d’abord à se former en grammaire, en littérature et en poésie, puis à chasser et surtout à guerroyer, transparaît le regard franc et direct d’un émir musulman cultivé, qui n’est pas sans refléter une certaine vision populaire des Francs. C’est de cette même époque, en 1184, que date le récit du voyageur andalou Ibn Jubayr (mort en 1217) qui relate divers aspects des rapports entre États latins et musulmans en Palestine et sur le littoral syrien16.

  • 17 Voir C. Cahen, « Une chronique chiite au temps des croisades », Comptes rendus des séances de l’Aca (...)

8Les sources musulmanes que nous possédons pour cette période sont en quasi-totalité l’œuvre d’auteurs sunnites, ce qui n’a rien de surprenant, le xiie siècle ayant été une période de renouveau sunnite dans l’ensemble de la Syrie et – à partir de 1171, date de la chute des Fatimides ismaïliens – en Égypte. Ibn Abī Ṭayyi’ (mort en 1230), historien et poète chiite d’Alep, est une exception. Son œuvre historique, aujourd’hui disparue mais conservée partiellement dans les ouvrages d’auteurs postérieurs17, concerne surtout la fin de la dynastie fatimide au Caire et le début des Ayyoubides. En outre, elle apporte aussi un éclairage original sur la présence franque dans la région, au début du xiie siècle, grâce aux sources orales et familiales dont disposait l’auteur.

  • 18 Voir Ibn al-Athīr, Al-Kāmil fī l-ta’rīkh, 13 vol. , Beyrouth, 1965-1967, trad. de la période des cr (...)
  • 19 Voir Ibn al-Jawzī, Al-Muntaẓam fī taʾrīkh al-mulūk wa-l umam, éd. M. et M. ʿAbd al-Qādir ʿAṭā, 19 v (...)
  • 20 Il n’existe qu’une mauvaise édition d’une partie de sa chronique intitulée Mir’āt al-zamān fī ta’rī (...)
  • 21 Voir Ibn al-‘Adīm, Zubdat al-ḥalab min ta’rīkh Ḥalab, éd. S. Dahān, 3 vol., Damas, 1951-1968 (trad. (...)
  • 22 Voir Abū Shāma, Kitāb al-rawḍatayn fī akhbār al-dawlatayn al-Nūriyya wa-l-Ṣalāḥiyya, 2 vol. , Būlāq (...)

9Dans la première moitié du xiiie siècle, les auteurs intéressés par l’histoire de la Syrie se firent plus nombreux. La chronique universelle d’Ibn al-Athīr (mort en 1233), historien originaire de Haute-Mésopotamie ayant entretenu des liens étroits avec la Syrie, est l’une des sources arabes principales sur les croisades jusqu’en 123118. Son récit synthétique a l’avantage de présenter le monde musulman dans son ensemble et d’aborder les croisades comme une partie d’une expansion plus générale des Occidentaux en Méditerranée, c’est-à-dire dans la péninsule Ibérique, en Afrique du Nord, en Sicile et au Proche-Orient. Il ne fut pas le seul de son époque à produire un discours original sur les croisades. Si l’on peut trouver dans l’œuvre historique du célèbre prédicateur irakien Ibn al-Jawzī (mort en 1201)19 quelques échos de ces événements à la cour du calife de Bagdad, c’est surtout son petit-fils Sibṭ Ibn al-Jawzī (mort en 1256) qui, ayant passé la majeure partie de sa vie à Damas dans l’entourage des princes ayyoubides, apporte un témoignage très personnel20. De son côté, Kamāl al-Dīn Ibn al-‘Adīm (mort en 1262), membre d’une famille influente de juristes alépins, rédigea un grand dictionnaire biographique des personnalités ayant marqué l’histoire politique ou intellectuelle de la Syrie du Nord ainsi qu’une histoire d’Alep, connue en Occident dès le début du xixe siècle. Son récit est important non seulement pour les événements du xiiie siècle, dont il fut le témoin direct, mais aussi pour les relations entre la Syrie du Nord, la Haute-Mésopotamie, la Cilicie et la principauté d’Antioche, au xiie siècle, en raison des nombreuses sources écrites et orales qu’il utilisa pour cette période21. Abū Shāma (mort en 1268), également historien et juriste, né à Damas, fut l’auteur d’une Histoire des règnes de Nūr al-Dīn (1146-1174) et de Saladin (1174-1193), et d’une Continuation (Dhayl) qu’il prolongea jusqu’en 1263, deux ouvrages assez bien exploités par les historiens occidentaux des croisades, car partiellement traduits en français dès la fin du xixe siècle22.

  • 23 Voir Ibn Wāṣil, Mufarrij al-kurūb fī akhbār Banī Ayyūb, éd. J. al-D. al-Shayyāl (vol. 1 à 3) et Ḥ.  (...)
  • 24 Voir Ibn Abī l-Damm, Al-Ta’rīkh al-Islāmī al-maʻrūf bi-ism al-Ta’rīkh al-Muẓaffarī, éd. Ḥ. Z. Ghā (...)

10Ibn Wāṣil (mort en 1298), originaire de Hama, en Syrie centrale, et proche des milieux dirigeants ayyoubides puis mamelouks, rédigea une histoire des Ayyoubides dans laquelle il fait une place à la fois à leurs prédécesseurs zenguides (1128-1174) et à leurs successeurs mamelouks de 1250 à 126323. Son témoignage est particulièrement intéressant sur la croisade de Louis IX (1249-1250), car il se trouvait alors au Caire, dans l’entourage de l’émir Ḥusām al-Dīn Ibn Abī ‘Alī, vice-roi d’Égypte à la fin du règne d’al-Ṣāliḥ Ayyūb (1240-1249). S’étant mis ensuite au service des sultans mamelouks, Ibn Wāṣil fut envoyé en 1261 en ambassade à Manfred, fils de l’empereur Frédéric II, à qui il dédia un traité sur la logique. La relative connaissance qu’il acquit, à cette occasion, de l’Italie méridionale, explique le regard particulièrement favorable qu’il porte sur la dynastie des Hohenstaufen. Ibn Abī l-Damm (mort en 1242 ou 1243) et Naẓīf al-Ḥamawī (date de mort inconnue), deux auteurs ayant vécu, eux aussi, à Hama dans la première moitié du xiiie siècle, rédigèrent des chroniques universelles, dont seuls des abrégés nous sont parvenus, mais dans lesquels il est possible de glaner quelques informations intéressantes24.

  • 25 Voir V. et M. C. Lyons et J. S. C. Riley Smith, Ayyubids, Mamlukes and Crusaders. Selections from t (...)
  • 26 Sur cette littérature biographique désignée par le terme Ṭabaqāt (« classes »), voir J. Hafsi, « Re (...)

11Par la suite, la croisade de Louis IX en Tunisie, en 1270, et surtout les combats des sultans mamelouks contre les Francs, qui aboutirent à la chute définitive des États latins en 1291, sont rapportés avec force détails par de très nombreuses sources égyptiennes et syriennes, chroniques et biographies de sultans, plus ou moins contemporaines des événements. On retiendra en particulier les noms de ‘Izz al-Dīn Ibn Shaddād (mort en 1285), Ibn ‘Abd al‑Ẓāhir (mort en 1292) et son neveu Shāfi‘ Ibn ‘Alī (mort en 1330), Abū l-Fidā’ (mort en 1331), Baybars al-Manṣūrī (mort en 1325), al-Yūnīnī (mort en 1326), al-Nuwayrī (mort en 1333), Ibn al-Dawādārī (mort après 1335), al-Jazarī (mort en 1338). Les compilations plus tardives des xive et xve siècles peuvent également être utiles lorsqu’elles citent des extraits de sources antérieures perdues. C’est le cas, par exemple, de celles d’Ibn al-Furāt (mort en 1405) et du grand historien égyptien al-Maqrīzī (mort en 1442), qui nous intéressent notamment pour les extraits qu’elles conservent de l’œuvre perdue de l’historien chiite Ibn Abī Ṭayyi’ (mort en 1230)25. Outre ces chroniques et biographies de sultans, d’importants dictionnaires biographiques regroupant des notices sur des personnages illustres – genre littéraire très en vogue au Proche-Orient dès le ixe siècle – fournissent parfois des informations sur les relations entre Francs et musulmans, mais elles sont trop éparpillées pour être évoquées ici26.

Comprendre les croisades

  • 27 Voir F. Micheau, « Les croisades vues par les historiens arabes d’hier et d’aujourd’hui », Le Conci (...)
  • 28 Voir Hillenbrand, The Crusades, p. 69-72. Une confusion qui, dans le cas d’Abīwardī peut aussi être (...)
  • 29 Al-‘Aẓīmī, Taʾrīkh Ḥalab, éd. Zaʿrūr, p. 358.
  • 30 Voir Ibn al-Athīr, Kāmil, trad. Richards, Part 1, p. 14.

12Tous ces auteurs, qui vécurent entre le début du xiie et la fin du xiiie siècle, en Égypte et en Syrie, ne portèrent pas le même intérêt aux divers aspects des croisades27, mais la plupart s’interrogèrent sur l’origine de l’offensive occidentale. Certains, constatant que les premiers croisés étaient arrivés par le territoire byzantin, avec le soutien en hommes et en argent de l’empereur, voulurent y voir un prolongement des affrontements entre Byzantins et musulmans en Haute-Mésopotamie et en Syrie du Nord. Jusqu’au milieu du xie siècle, en effet, les escarmouches dans cette région entre Fatimides et Byzantins – ces derniers ayant repris Antioche aux musulmans en 969 – n’étaient pas rares. L’avancée des Turcs seldjoukides en Iran puis en Irak, au milieu du xie siècle, la déroute qu’ils infligèrent aux Byzantins à Mantzikert en 1071, leur expansion vers l’Anatolie et leur conquête d’Antioche en 1084 pouvaient laisser penser aux musulmans que l’empereur byzantin, aidé des Francs, cherchait à prendre sa revanche. Regagner les territoires conquis par les Seldjoukides était d’ailleurs l’objectif affiché d’Alexis Comnène (1081-1118) lorsqu’il fit prêter serment, à Constantinople, aux chefs de la Première Croisade. C’est la raison pour laquelle certains poètes, tel le Bagdadien al‑Abīwardī, cité plus haut, emploient le terme de Rūm (« Romains » ou « Byzantins ») pour désigner les Francs28. Les musulmans n’en perçurent pas moins assez tôt les premières dissensions entre croisés et Byzantins, puisqu’al-‘Azīmī relève dans sa narration des événements de l’année 489/1096 que « le roi des Rûm Alexis écrivit aux musulmans pour les informer de l’arrivée des Francs29 ». Ibn al-Athīr fait lui aussi état dans son récit de la Première Croisade de cette animosité entre l’empereur et les Francs, le premier, d’après lui, incitant les seconds à attaquer les Turcs, espérant que ces derniers les élimineraient jusqu’au dernier30.

  • 31 Voir Ibn al-Qalānisī, Dhayl, trad. Le Tourneau, p. 294.

13Voir dans les croisades un prolongement des guerres byzantines n’était donc pas suffisant. En Syrie, les auteurs arabes comprirent assez vite que la croisade s’inscrivait dans un contexte occidental plus large. Le premier à l’évoquer, nous l’avons dit, fut le Damascain al-Sulamī (mort en 1106), qui, même s’il ne perçut pas les motivations religieuses des croisés, replaça clairement la Première Croisade dans le contexte de l’expansion occidentale en Méditerranée et comprit que son objectif ultime était Jérusalem, vision qu’Ibn al-Athīr reprit et développa un siècle plus tard. L’un comme l’autre montrèrent ainsi que l’ensemble du monde musulman – et pas seulement la Syrie – était concerné par l’offensive chrétienne. C’est l’Islam dans son universalité qui, selon eux, paraissait menacé. Quelques décennies plus tard, cette soif de conquêtes, hors des frontières de la Terre Sainte, est encore soulignée dans certains récits de la Deuxième Croisade : « Ils n’étaient pas d’accord sur la ville musulmane qu’ils iraient assiéger en territoire syrien et finirent par convenir entre eux de s’attaquer à la ville de Damas », écrit Ibn al-Qalānisī31.

  • 32 Ibn al-Athīr, Kāmil, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 209-210 et trad. Richards, Part 2, p. 36 (...)
  • 33 Ce genre littéraire consistant à vanter les mérites d’une ville ou d’une région se développa dès le (...)

14Au cours de la Troisième Croisade, l’objectif des croisés, qui était la reprise de Jérusalem et la récupération de certaines reliques telles que celle de la Vraie Croix perdue lors de la bataille de Ḥaṭṭīn (4 juillet 1187), ne faisait plus de doute pour les auteurs arabes. Ainsi, Ibn al-Athīr raconte, d’après le récit d’un prisonnier franc, comment la mère de ce dernier avait vendu tous ses biens pour envoyer son fils unique « libérer Jérusalem32 ». Cette prise de conscience de l’importance que les Occidentaux accordaient à la ville sainte amena les musulmans à développer, vers le milieu du xiie siècle, une propagande de plus en plus active autour du thème de sa reconquête, en encourageant notamment la rédaction des Faḍā’il al-Quds, des ouvrages qui célébraient ses mérites et sa gloire33. De même, le lien qui existait entre l’aspiration des croisés à accomplir le pèlerinage et leur départ pour la croisade fut alors mieux compris. Il est rapporté, par exemple, que Saladin, au lendemain de la trêve conclue avec Richard Cœur de Lion en 1192, facilita l’accès de Jérusalem aux croisés afin de leur permettre de réaliser leur vœu de pèlerinage, espérant sans doute qu’ils seraient moins enclins, dans l’avenir, à reprendre le chemin de la Terre Sainte.

15Le rôle de la papauté dans l’organisation des croisades fut, lui aussi, progressivement mieux perçu par les musulmans. Ibn al-Athīr relate qu’en 1217, c’est à l’initiative du pape que la Cinquième Croisade se mit en branle :

  • 34 Ibn al-Athīr, Kāmil, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 282 et trad. Richards, Part 3, p. 174.

Cette année-là [614/1217] les renforts des Francs arrivèrent par mer, depuis Rome et les autres pays francs d’Occident et du Nord, mais tous organisés par le seigneur de Rome (le pape) qui occupe chez eux un rang très élevé, au point qu’ils n’osent ni lui désobéir ni s’écarter de ses ordres, dans la bonne et la mauvaise fortune. Il fit donc partir de ses États les armées avec un groupe de chefs francs et il ordonna aux autres rois francs de venir en personne ou d’envoyer une armée. Ils obéirent à cet ordre et se concentrèrent à Acre sur le littoral de Syrie34.

  • 35 Voir Yāqūt, Mu‘jam al-Buldān, 5 vol., Beyrouth, 1955-1957, vol. 3, p. 100 et trad. Dans B. Lewis, C (...)

16L’auteur relève ainsi, très justement, le rôle prépondérant d’Innocent III (1198-1216) dans la préparation de la Cinquième Croisade. Il ne fut pas le seul à donner cette image d’un pape tout-puissant en Occident. Dans la notice sur Rome de son volumineux dictionnaire géographique, Yāqūt (mort en 1229), grand voyageur et bibliophile, dit pareillement que le pape (bābā) joue en Occident le rôle d’un imâm et que quiconque lui désobéit est aussitôt condamné et banni35. Ibn Wāṣil, qui séjourna en Italie du Sud en 1261, écrit de son côté :

  • 36 Gabrieli, Chroniques arabes, p. 305.

On dit que ce pape est pour eux le vicaire et le lieutenant du Messie, qu’il peut fixer le licite et l’illicite, couper et séparer. C’est lui qui impose aux rois la couronne royale et qui établit sur le trône, et dans leur loi, rien ne s’accomplit sinon par lui36.

17La Cinquième Croisade, enfin, fut jugée par certains comme une menace non seulement pour l’Égypte et la Palestine, mais aussi pour l’Islam et ses lieux saints. Sibṭ Ibn al-Jawzī, contemporain des événements, nous rapporte les propos qu’il tint lui-même au prince ayyoubide al-Ashraf qui tardait à envoyer des secours en Égypte à son frère al-Kāmil (1218-1238) :

  • 37 Sibṭ Ibn al-Jawzī, Mir’āt al-zamān, vol. 1, p. 619. Al-Ashraf possédait les territoires ayyoubides (...)

Les musulmans sont en difficulté. Si les Francs s’emparaient de l’Égypte, ils prendraient possession [des territoires] jusqu’au Ḥaḍramawt (au Yémen), parviendraient jusqu’à La Mecque, Médine et la Syrie, alors que toi tu te divertis. Lève-toi tout de suite et mets-toi en marche37 !

  • 38 Voir H. L. Gottschalk, Al-Malik al-Kāmil von Egypten und seine Zeit, Wiesbaden, Harrassowitz, 1958, (...)

18Quelques années plus tard, la croisade pacifique de Frédéric II, qui aboutit en 1229 à la signature par l’empereur et le sultan d’Égypte al-Kāmil du traité de Jaffa par lequel Jérusalem fut rendue aux Francs, à l’exception notable de l’esplanade des mosquées, laissa un souvenir contrasté dans la mémoire des musulmans. Si Sibṭ Ibn al-Jawzī dénonça avec force cet accord, c’est en grande partie parce qu’al-Nāṣir Dā’ūd de Damas, le prince ayyoubide au service duquel il se trouvait, était en conflit avec son oncle al-Kāmil. Sibṭ Ibn al-Jawzī n’en décrit pas moins la personnalité de l’empereur sous un jour favorable, jugeant, comme ses contemporains, qu’il était finalement plus proche des musulmans que des chrétiens d’Occident. Ibn Wāṣil, lui, met directement la croisade de Frédéric II en relation avec le conflit qui opposait alors les deux frères ayyoubides, al-Kāmil du Caire et al-Mu‘aẓẓam (1218-1227) de Damas. Ce dernier ayant fait appel aux mercenaires turcs khwarizmiens pour résister aux visées de son frère sur son territoire, al-Kāmil aurait envoyé à Frédéric II, dès l’année 1226, une ambassade dirigée par l’émir Fakh al-Dīn Ibn al-Shaykh38 pour lui proposer une alliance qu’Ibn Wāṣil rapporte en ces termes :

  • 39 Ibn Wāṣil, Mufarrij, éd. Rabī‘ et ‘Āshūr, vol. 4, p. 206-207.

Al-Kāmil envoya l’émir Fakhr al-Dīn Yūṣuf, fils du chef des soufis Ṣadr al-Dīn, à l’empereur Frédéric, maître d’Apulie (les Pouilles) et de Sicile, pour lui demander de venir à Acre. Il lui promit de lui remettre Jérusalem et d’autres conquêtes d’al-Nāṣir (Saladin). Il voulait ainsi préoccuper son frère al-Malik al-Mu‘aẓẓam afin que celui-ci sente le besoin de s’entendre avec lui et de lui obéir39.

19Pour cet historien, al-Kāmil aurait ainsi lui-même provoqué la croisade de Frédéric II en raison des divisions au sein même de sa famille. Notons que l’image de l’empereur donnée par les sources arabes fut généralement positive non seulement parce qu’il s’entourait de musulmans et s’intéressait à la langue et à la culture arabe, mais aussi parce qu’il était l’adversaire le plus acharné du pape, considéré par les musulmans comme la source de tous leurs maux. Ibn Naẓīf, qui fut un temps fonctionnaire auprès du prince ayyoubide al-Manṣūr de Homs, conserva dans l’Histoire abrégée qu’il dédia à son maître (Ta’rīkh al-Manṣūrī) quelques pièces d’archives originales, parmi lesquelles deux lettres de Frédéric II adressées, après son retour de Terre Sainte, à l’émir Fakhr al-Dīn Ibn al-Shaykh. Dans ces lettres, l’empereur faisait part des conflits qui l’opposaient au pape et des menaces qui pesaient sur son territoire en Italie méridionale. Et l’auteur de conclure après avoir retranscrit le contenu de ces lettres :

  • 40 Ibn Naẓīf al-Ḥamawī, Al-Ta’rīkh al-Manṣūrī, éd. Abū l-‘Īd Dūdū, Damas, 1981, p. 194 et trad. Gabrie (...)

Nous avons enregistré ici ces lettres pour mettre en lumière les possessions de ce roi empereur et sa puissance. En effet, personne dans toute la chrétienté n’a détenu un pouvoir pareil au sien depuis les temps d’Alexandre : tout spécialement en ce qui regarde sa puissance, son attitude opposée au pape, leur calife, et son audace pour marcher contre lui et le repousser40.

  • 41 Ibn Wāṣil, Mufarrij, éd. Tadmurī, p. 133 et trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 326 ; A.-M. Eddé, (...)

20Bien différente fut l’image que les auteurs musulmans retinrent de Louis IX et de sa croisade vers l’Égypte en 1249. « Comment a-t-il pu venir à l’esprit de Votre Majesté, avec toute sa vertu, la sagesse et le bon sens que je découvre en elle, de s’embarquer sur un navire et de venir en ce pays si rempli de musulmans et de troupes, avec la conviction qu’elle pourrait s’en emparer41 ? », s’exclama un émir kurde égyptien en s’adressant au roi de France fait prisonnier à al-Manṣūra en février 1250. Son étonnement traduit bien l’incompréhension des musulmans face à cette nouvelle croisade, à une époque où la puissance des mamelouks s’affirmait en Égypte. N’avaient-ils pas démontré, quelques années plus tôt, leur supériorité militaire en écrasant les Francs, en 1244, à La Forbie près de Gaza, victoire célébrée en grande pompe au Caire lors du retour des troupes et de leurs nombreux prisonniers ? C’est ce même étonnement qu’exprime un fonctionnaire mamelouk du début du xive siècle, Qaraṭāy al-‘Izzī, lorsqu’il décrit dans sa chronique une entrevue entre Frédéric II et Louis IX au cours de laquelle l’empereur dit au roi de France :

  • 42 Qaraṭāy (ou Qirṭāy) al-‘Izzī, Ta’rīkh majmū‘ al-nawādir, éd. ‘U. ‘A. S. Tadmurī, Sayda-Beyrouth, 20 (...)

« Où prétends-tu aller ? – Par Dieu absolument, en Égypte et à Jérusalem », déclara le Français. Et l’empereur de lui répondre, entre autres paroles : « Cela ne te convient pas, ne va pas en Égypte, considère la chose en toi-même avec tes princes, ceux qui te sont attachés et ceux qui ne le sont pas. J’ai marché contre elle en l’année tant et tant, sous le règne d’al-Malik al-Kāmil, j’ai enlevé aux musulmans Jérusalem et tous les villages situés entre cette ville et Acre, et stipulé avec al-Kāmil que ces localités seraient la propriété des Francs et qu’aucun musulman ne resterait à Jérusalem. Si je me suis borné à cela c’est que je m’étais rendu compte de l’impossibilité de combattre les princes, les émirs et toutes les troupes qui se trouvaient dans le pays et de mon impuissance en face d’eux. Tu ne pourras prendre ni Damiette, ni Jérusalem, ni l’Égypte42. »

Appeler au jihad

21Les sources montrent que les musulmans prirent vite conscience que leurs divisions politiques et religieuses avaient grandement facilité la fondation des États latins à la fin du xie siècle. Les auteurs n’ont donc de cesse, dès l’époque d’al-Sulamī, d’appeler au rassemblement politique présenté comme la condition essentielle du succès du jihad. Cette unité commença à s’opérer sous le règne des princes zenguides de Syrie (1128-1174) et se poursuivit à l’époque de Saladin (1174-1193). Celui-ci consacra, en effet, tous ses efforts, durant les dix premières années de son règne, à reconstruire l’union entre l’Égypte, la Syrie et la Haute-Mésopotamie, qui avait volé en éclat à la mort de Nūr al-Dīn. Dans une lettre rédigée par son fidèle cadi al-Fāḍīl et adressée à l’un de ses émirs, Saladin écrivait :

  • 43 E. Sivan, L’Islam et la croisade, p. 104 (d’après Abū Shāma, éd. Būlāq, vol. 2, p. 49) ; A.-M. Eddé (...)

Maintenant que toutes les contrées musulmanes sont placées sous notre juridiction ou celle de nos subordonnés, nous devons, en retour de cette faveur du ciel, diriger notre résolution, utiliser toute notre puissance contre les Francs maudits43.

  • 44 Voir Eddé, Saladin, p. 203.

22Les souverains, à qui revenait ainsi la responsabilité de conduire le jihad, devaient se montrer respectueux de la loi divine et se consacrer entièrement à leur mission de protection de la communauté musulmane. La figure du prince héroïque qui n’hésite pas à risquer sa vie et ses biens pour combattre les « infidèles », pendant que les autres souverains ne songent qu’à se divertir, fut valorisée par la plupart de nos auteurs. Dans les lettres adressées au calife de Bagdad, les secrétaires de Saladin ne se privaient pas de dénigrer ses opposants musulmans, qui délaissaient la Guerre sainte pour ne s’occuper que d’argent et de loisirs, tout en insistant, par contraste, sur sa « conversion » personnelle qui l’avait conduit, dès sa prise de pouvoir en Égypte, à renoncer aux futilités de la vie pour se consacrer aux affaires de l’État44. Le souverain héroïque étant aussi celui qui ne craint pas la mort dans le combat contre les « infidèles », le statut de martyr lui assurant une nouvelle vie dans l’au-delà, Saladin, selon l’un de ses biographes, aurait crié sur son lit de mort :

  • 45 Al-Iṣfahānī, Kitāb al-fatḥ al-qussī fī l-fatḥ al-Qudsī, trad. Massé, p. 177.

Amenez-moi mon cheval afin que je prenne part au combat, que je sois tué pour Allah, et que je lutte jusqu’à ce que je tombe épuisé : je vois une duperie à mourir dans mon lit, alors que vous m’avez connu vaillant et non couard45.

  • 46 Un vers anonyme cité par al-‘Aynī (mort en 1451), trad. RHC, Or., 2, 1876, p. 195.

23Quelques décennies plus tard, en 1230, le prince ayyoubide de Hama, al-Malik al-Muẓaffar II (1229-1244), de retour d’une expédition victorieuse contre les Hospitaliers du Crac des Chevaliers, est, lui aussi, loué en ces termes par le poète : « Ce roi qui, lorsque les autres princes se plongent dans les plaisirs de la chasse, poursuit pour les vaincre les hommes blonds (Banū l-Aṣfar, c’est-à-dire les Francs) et c’est là son gibier46. »

  • 47 Voir Sivan, L’Islam et la croisade, p. 165.
  • 48 Voir D. Aigle, « Les inscriptions de Baybars dans le Bilād al-Šām. Une expression de la légitimité (...)

24Au début de l’époque mamelouke, la propagande en faveur du jihad connut un nouvel essor, car mener le combat contre les « infidèles », qu’ils fussent mongols ou francs, était un excellent moyen de légitimer un pouvoir dont s’étaient emparés d’anciens esclaves affranchis. La valorisation du combat contre les Francs passa également par le dénigrement des pouvoirs précédents. Ibn ‘Abd al-Ẓāhir, en affirmant que les conquêtes du sultan Baybars (1260-1277) « mirent fin à une période de carence et de torpeur de la part des souverains47 », dénonçait les alliances que certains princes ayyoubides avaient précédemment conclues avec les Francs. Deux souverains furent néanmoins épargnés par ces critiques : Saladin, qui avait fait du jihad contre les Francs le cœur de sa politique, et al-Ṣāliḥ Ayyūb, l’ancien maître de ces Mamelouks qui revendiquaient son héritage. Au début des années 1260, ce furent les Mongols qui apparurent désormais comme les plus menaçants pour l’Islam. La propagande du sultan mit alors l’accent sur son jihad prioritairement dirigé contre eux avec de nouveaux arguments. Baybars fut présenté comme l’« Alexandre du temps », un titre qui fut introduit dans sa titulature entre 1266 et 1269, car de même que dans le Coran, Alexandre (Dhū l-Qarnayn) repoussa les peuples sauvages de Gog et Magog (Coran, XVIII, 83-97), de même Baybars sauva l’Islam en empêchant les Mongols de s’établir en Syrie et en Égypte48.

  • 49 Voir Sivan, L’Islam et la croisade, p. 171-174.

25En période d’accalmie, lorsque le danger mongol semblait provisoirement écarté, les Mamelouks se retournaient contre les Francs. L’argument principal de la propagande anti-franque des premiers sultans mamelouks fut alors d’insister sur la nécessité de parachever l’œuvre entamée par Saladin, c’est-à-dire d’obtenir l’extermination totale des Francs, en misant sur leur isolement et leur infériorité militaire49. Le secrétaire et biographe de Baybars, Ibn ‘Abd al-Ẓāhir, rédigea lui-même, dans un style lyrique, la lettre annonçant à Bohémond la prise d’Antioche en 1268, dans laquelle on peut lire :

  • 50 Ibn ‘Abd al-Ẓāhir, Al-Rawḍ al-zāhir fī sīrat al-Malik al-Ẓāhir, éd. ‘A. al-‘A. al-Ḫuwayṭir, Riyad, (...)

Aucune défense ne t’est venue des cavernes creusées au sommet de tes hautes montagnes ni de tes ravins qui traversent la frontière et frappent l’imagination […]. Si tu avais contemplé les croix brisées de tes églises, les feuillets des évangiles éparpillés, les tombeaux des patriarches violés ! Si tu avais découvert ton ennemi musulman piétiner l’emplacement de la messe, égorger sur l’autel moines, prêtres et diacres, porter le coup soudain aux patriarches et réduire en esclavage les princes royaux ! Si tu avais admiré les incendies dévorer tes châteaux, vos morts brûler dans les flammes de ce monde avant de séjourner à jamais en enfer, […] alors tu aurais dit : « Oh ! Que ne suis-je moi-même poussière ! Pourquoi fallut-il donc qu’une lettre m’apportât pareille nouvelle50 ! »

26Les historiens de l’époque mamelouke écrivant pour la plupart soit peu de temps avant la disparition des États latins, soit bien après, il n’est guère étonnant de les voir exprimer ainsi un net sentiment de supériorité avec la conviction que l’Islam sortirait de toute manière vainqueur de cet affrontement. Les sultans – Baybars en particulier – furent alors présentés comme les nouveaux champions d’un jihad mené avec le soutien des élites religieuses. La chute d’Acre, en 1291, sous le règne d’al-Ashraf (1290-1294) fut même célébrée par les poètes comme le triomphe définitif de l’Islam sur la chrétienté :

Dieu soit loué ! Le royaume de la croix a péri, et grâce aux Turcs la religion de l’élu arabe [le Prophète] a triomphé […].

  • 51 Vers cités par al-Jazarī, Ta’rīkh ḥawādith al-zamān, éd. ‘U. ‘A. S. Tadmurī, 3 vol., Beyrouth, 1998 (...)

Après la destruction d’Acre, l’infidélité n’aura d’autre salut, sur terre comme sur mer, que dans la fuite51.

La vision de l’autre

  • 52 Voir M. A. Köhler, Alliances and Treaties between Frankish and Muslim Rulers in the Middle East. Cr (...)
  • 53 Ibn Wāṣil, Mufarrij, éd. Rahim, p. 70, n. 2, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 321.

27Rechercher dans les sources une vision globale et universelle des Francs n’aurait pas grand sens, les musulmans faisant très bien la différence entre des croisés fraîchement débarqués, ignorant tout du terrain et des populations locales, et des Francs nés en Orient (les « Poulains »), beaucoup plus habitués à discuter – parfois même en arabe – avec leurs voisins musulmans52. Il n’en demeure pas moins que la plupart des auteurs arabes s’attachent d’abord à décrire les comportements des Francs sur le champ de bataille. Les sources sont quasiment unanimes à reconnaître la bravoure et le courage de leurs adversaires. Souligner ainsi leur ardeur au combat permettait, bien sûr, de valoriser les victoires remportées par les musulmans, mais reflétait aussi une réelle admiration pour leurs exploits guerriers. Les ordres militaires, en particulier, étaient tout à la fois honnis et respectés, car ils représentaient une force de frappe redoutable, comme en témoigne cette exclamation d’Ibn Wâsil à propos des émirs mamelouks, vainqueurs de Louis IX en 1250 : « Ils furent les Templiers de l’Islam53 ! »

  • 54 Voir A.-M. Eddé, « L’honneur des chevaliers francs dans les sources arabes à l’époque des croisades (...)
  • 55 Voir Ibn al-Furāt, Ta’rīkh, éd. et trad. L. et R. Smith, Ayyubids, Mamlukes and Crusaders, vol. 1, (...)

28De manière générale, les auteurs musulmans appréciaient les Francs qui respectaient les mêmes valeurs que celles qu’ils exigeaient des émirs musulmans : courage, respect de la parole donnée, hospitalité et protection des personnes sans défense. C’est la raison pour laquelle il n’est pas rare de trouver sous leur plume l’éloge de tel ou tel chevalier franc ayant fait preuve de sens de l’honneur54. C’est aussi pour cela que Renaud de Châtillon, seigneur d’Outre-Jourdain, connu pour avoir rompu plusieurs fois son serment, jouit d’une image particulièrement négative auprès des musulmans. À l’opposé, l’empereur Frédéric II est décrit par tous les auteurs arabes – même par ceux, tel Sibṭ Ibn al-Jawzī, qui étaient hostiles au traité de Jaffa – comme un souverain ouvert, cultivé et proche des musulmans. Certaines rumeurs, relayées par Ibn al-Furāt, au xive siècle, faisaient même de lui un musulman converti en secret55.

  • 56 Voir Hillenbrand, The Crusades, p. 259-262, 276-282 et 347-365.

29Les relations entre Francs et musulmans pendant les deux siècles que durèrent les croisades furent loin d’être exclusivement militaires. Non seulement des musulmans continuèrent de vivre dans les territoires latins, mais de longues périodes de trêve permirent aussi aux uns et aux autres de négocier, de commercer et de coexister pacifiquement. Usāma Ibn Munqidh nous a laissé de ces contacts des descriptions imagées qu’il faut pouvoir lire avec un certain recul, les anecdotes qu’il rapporte sur les mœurs franques étant davantage destinées à divertir son lecteur, dans la tradition du genre littéraire appelé adab, qu’à être un fidèle reflet de la réalité. Même si l’étonnement des musulmans face aux comportements des Francs fut dans certains cas réel, Usāma, en racontant de plaisantes anecdotes, forçait à dessein le trait pour donner à ses contemporains l’occasion de se moquer de ces nouveaux occupants56.

Le point de vue des auteurs arabes chrétiens

  • 57 Voir Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, RHC, Historiens Occidentaux, 3, 1866, p. 323.

30S’il est aisé de situer le camp dans lequel se rangèrent les auteurs musulmans, il est plus difficile de discerner le sentiment profond des auteurs arabes chrétiens. De quelle manière les melkites, les syriaques ou les coptes de Syrie, de Mésopotamie et d’Égypte, ont-ils perçu les croisades, eux qui avaient été au centre de l’appel du pape Urbain II, en 1095, lorsqu’il avait appelé les chevaliers occidentaux à aller porter secours à leurs « frères » des pays d’Orient persécutés par un peuple turc « venu de Perse57 » ?

  • 58 Même si certains souverains musulmans – le sultan seldjoukide Malikshāh (1072-1092) en particulier  (...)
  • 59 Voir Michel le Syrien, Chronique syriaque, éd. et trad. J.-B. Chabot, Paris, 4 vol. , 1899-1914. Le (...)
  • 60 Voir The Chronography of Gregory Abū l-Farağ the son of Aaron, éd. et trad. E. A. W. Budge, Londres (...)
  • 61 Sa somme théologique, Le Candélabre du sanctuaire, contient aussi quelques informations sur les dif (...)

31Notre objectif n’est pas de présenter ici l’ensemble de l’historiographie chrétienne orientale, mais de nous intéresser uniquement aux ouvrages rédigés en langue arabe par des chrétiens vivant au Proche‑Orient, sous domination musulmane. Nous ne parlerons donc ni des auteurs arméniens qui rédigèrent des chroniques dans leur propre langue, hors du territoire de l’Islam, et se montrèrent souvent favorables aux croisés58, ni des auteurs syriaques tels que le patriarche jacobite Michel le Syrien (mort en 1199), qui composa en syriaque, dans le monastère de Barsauma, siège du patriarcat jacobite au xiie siècle, une importante histoire universelle allant jusqu’en 119559. Au siècle suivant, un autre prélat jacobite syriaque, Bar Hebraeus (mort en 1286), qui partagea sa vie entre la Haute-Mésopotamie, la Syrie du Nord et la cour mongole, occupe dans cette historiographie une place intermédiaire, car il rédigea ses ouvrages à la fois en syriaque et en arabe. Sa chronique universelle, rédigée en syriaque, accorde une place importante aux croisades et aux États latins, avec des informations puisées chez Michel le Syrien et dans quelques chroniques arabes et persanes, dont certaines sont aujourd’hui perdues60. Sa chronique arabe ne comporte, en revanche, pour les croisades et les États latins, qu’un intérêt limité, car il ne fit que recopier parfois mot à mot des sources arabes61. Quant aux melkites de Syrie et d’Égypte, qui s’étaient pourtant illustrés aux xe et xie siècles dans la littérature historique, ils ne semblent pas avoir produit d’ouvrage historique majeur aux xiie et xiiie siècles. Du moins, aucun n’est parvenu jusqu’à nous.

  • 62 Auxquelles on peut ajouter le Livre des Histoires (Kitāb al-Tawārīkh) du diacre copte Ibn al-Rāhib (...)
  • 63 Voir History of the Patriarchs of the Egyptian Church, éd. et trad. A. S. Atiya, A. Khater, Y. ʿAbd (...)

32Trois autres Histoires chrétiennes, rédigées en arabe, méritent, en revanche, notre attention62. Elles furent l’œuvre de coptes vivant en Égypte ou en Syrie, sous domination musulmane, et ne reflètent donc que partiellement la perception de cette communauté en raison de la nécessaire prudence que devaient observer leurs auteurs. Il est possible néanmoins, au travers du choix des événements relatés, des sources ou des expressions retenues, d’en dégager quelques grands traits. Comme leurs contemporains musulmans, les historiens coptes ne traitent jamais des croisades comme d’un phénomène particulier. Ils en parlent au fil de leur récit et désignent toujours les Francs sous le terme générique de Franj. Non seulement aucune solidarité avec les croisés n’est exprimée – étant donné leur liberté limitée d’expression – mais, plus surprenant, une certaine solidarité syro-égyptienne face aux envahisseurs étrangers semble se manifester, malgré les représailles dont ils furent parfois victimes après des attaques franques. La plus importante de ces sources est l’Histoire des patriarches d’Alexandrie. Cet ouvrage est composé d’une suite de biographies des prélats coptes ayant occupé le siège patriarcal d’Alexandrie, des origines au xiiie siècle, au travers desquelles divers événements ayant trait à l’histoire religieuse, politique et sociale de l’Égypte sont rapportés. Commencée à la fin du xie siècle par un diacre alexandrin appelé Mawhūb Ibn Manṣūr Ibn Mufarrij et poursuivie par divers continuateurs jusqu’au xiiie siècle63, elle donne surtout le point de vue des Égyptiens chrétiens sur les attaques dirigées contre l’Égypte, que ce soit sous le règne du roi de Jérusalem Amaury (1163-1174), dans les années 1164-1169, au cours de la Cinquième Croisade, ou encore lors de la croisade de Louis IX en 1249-1250. Mais on y trouve aussi un passage intéressant sur la prise de Jérusalem par les croisés en 1099, dans lequel l’auteur se plaint de l’attitude des Latins à l’égard des coptes :

  • 64 Hist. Patr., vol. 2, part 3, éd. p. 249, trad. p. 398-399 ; Micheau, « Croisades et croisés », p. 1 (...)

Les Francs s’emparèrent ensuite de Jérusalem la Noble, et de ses environs, au mois de ramaḍān de l’année lunaire 492/1098-9. Désormais, il ne fut plus possible, à nous communauté des chrétiens jacobites coptes, d’aller en pèlerinage à Jérusalem, ni même de nous en approcher. En effet, ils nous détestent, en raison de ce qu’ils croient à notre sujet, nous considérant comme des impies64.

33Tout aussi intéressante est la biographie de Saladin insérée dans l’Histoire des patriarches, qui donne une image positive de celui qui reprit Jérusalem aux Francs en 1187 et dont il est dit que, s’étant comporté de manière magnanime envers ses ennemis, il bénéficia de l’appui de Dieu :

  • 65 Hist. Patr., vol. 3, part 2, éd. p. 82, trad. p. 139 ; Micheau, « Croisades et croisés », p. 180.

Ṣalāḥ al-Dīn s’est conduit conformément à ces deux lois religieuses [la Torah et l’Évangile], sans en avoir eu connaissance et sans les avoir lues, mais par simple inspiration de Dieu. Et c’est pour cela qu’il est mort dans son lit et que sa fin fut louable pour lui-même et pour la postérité65.

  • 66 Voir Eddé, Saladin, p. 541-582 et 707-715.

34C’est une façon comme une autre pour l’auteur de se réapproprier la figure d’un souverain dont on fit un héros en Orient et qui donna naissance à une véritable légende en Occident66.

  • 67 Elle s’arrête en 658/1260. Voir C. Cahen, « La chronique des Ayyoubides d’al-Makīn b. al-‘Amīd », B (...)
  • 68 Voir Ibn Wāṣil, Kitāb al-ta’rīkh al-ṣāliḥī, éd. ʻU. ʻA. S. Tadmurī, Sayda (Liban), 2010 ; C. Cahe (...)
  • 69 Ibn al-‘Amīd, éd. Cahen, p. 133, 159, trad. Eddé-Micheau, p. 31, 86.

35L’histoire universelle d’al-Makīn Ibn al-‘Amīd (mort en 1273), fonctionnaire copte au Bureau (dīwān) de l’armée au Caire puis à Damas, n’a pas l’ampleur de l’Histoire des patriarches, mais apporte malgré tout quelques informations originales sur les croisades67. Pour les événements qui se déroulèrent de la fin du xie à la fin du xiie siècle, Ibn al-‘Amīd se contente de reprendre plus ou moins fidèlement des passages de la chronique d’Ibn Wāṣil68. Le fait même qu’il l’ait recopiée, sans y apporter de modifications significatives, signifie qu’il partageait probablement la perception des croisades de son contemporain musulman, celle d’une guerre de conquête dans laquelle les enjeux militaires et politiques primaient sur les aspects proprement religieux. Son écriture des croisades est beaucoup plus originale pour le xiiie siècle. Sur un ton qui reste généralement neutre, l’auteur développe son récit en y introduisant parfois, sans que rien ne l’y oblige, des formules très proches de celles des musulmans. Ainsi, la victoire des Ayyoubides sur les croisés en 1219 est qualifiée de « don de Dieu » et l’émir Fakhr al-Dīn Ibn al-Shaykh, lors de sa mort en 1250, est appelé « ghāzī (combattant de l’islam) et combattant du jihad dans la voie de Dieu69 ».

  • 70 Voir E. Blochet, Moufazzal ibn Abi l-Fazaïl, Histoire des sultans mamlouks. Texte arabe publié et t (...)

36L’Histoire d’al-Makīn Ibn al-‘Amīd fut prolongée jusqu’en 1341 (avec quelques ajouts jusqu’en 1348), par un autre historien copte – sans doute son neveu – appelé al-Mufaḍḍal Ibn Abī l-Faḍā’il. Toutefois, cette chronique, qui repose en grande partie sur les ouvrages de ses contemporains musulmans, dont il reprend mot à mot les expressions (formules islamiques, versets du Coran, évocation des « martyrs » musulmans morts au combat), n’apporte rien de nouveau sur les relations entre Francs et musulmans de 1260 à la chute d’Acre en 129170.

Conclusion

37Toutes ces sources littéraires rédigées par des hommes issus pour la plupart d’une élite religieuse ou administrative proche du pouvoir, auteurs qui furent aussi souvent des acteurs politiques, nous livrent une vision des croisades qui ne reflète sans doute pas la façon dont le peuple des villes comme des campagnes vivait cette situation au quotidien. Elles nous informent néanmoins sur un grand nombre d’événements politiques et militaires, sur les batailles et les conflits, mais aussi sur les négociations et les périodes de coexistence pacifique entre Latins et musulmans durant les deux siècles que durèrent les croisades. Elles témoignent d’une prise de conscience progressive par les musulmans des motivations et des intentions des Occidentaux. Une connaissance de l’Autre qui leur permit d’affiner les arguments de leur propagande plus qu’elle ne favorisa de véritables échanges culturels et encore moins une quelconque mixité sociale.

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Notes

1 Extraits éd. et trad. par E. Sivan, « La genèse de la contre-croisade : un traité damascain du début du xiie siècle », Journal asiatique, 254, 1966, p. 197-224, rééd. dans Les Relations des pays d’Islam avec le monde latin du milieu du xe au milieu du xiiie siècle, éd. F. Micheau, Éditions Jacques Marseille, Paris, 2000, p. 26-51, ici p. 42, 44-45. La vision des croisades par les musulmans a fait l’objet, ces vingt dernières années, d’un nombre important de travaux. Voir en particulier C. Hillenbrand, The Crusades. Islamic Perspectives, Edimbourg, Edimbourg University Press, 1999; P. Cobb, The Race for paradise, an Islamic history of the crusades, Oxford – New York, Oxford University Press, 2014; N. Christie, Muslims and Crusaders: christianity’s wars in the Middle East, 1095-1382, from the Islamic sources, Londres – New York, Routledge, 2014; A. Mallett, Popular Muslim Reactions to the Franks in the Levant, Farnham, Ashgate, 2014.

2 Au Moyen Âge, l’expression Bilād al-Shām désigne une entité géographique qui recouvre la Syrie, la Palestine, le Liban, la Jordanie et Israël actuels. C’est dans ce sens-là que le terme de Syrie sera ici employé.

3 Poème cité par plusieurs auteurs postérieurs, dont Ibn al-Athīr, Al-Kāmil fī l-ta’rīkh, 13 vol. , Beyrouth, 1965-1967, vol. 10, ici p. 285, trad. partielle F. Gabrieli, Chroniques arabes des croisades, Paris, Sindbad, 1977, p. 34-35. Sur ces premières réactions à la croisade, voir E. Sivan, L’Islam et la croisade, Paris, Maisonneuve, 1968, p. 28-34 ; Hillenbrand, The Crusades, p. 69-74.

4 Parmi les ouvrages historiques rédigés par des auteurs syriens dans la première moitié du xiie siècle, mais aujourd’hui perdus, on peut citer la chronique d’Ibn Zurayq Yaḥyā al-Tanūkhī (né en 1051), qui évoquait l’installation des Francs en Syrie-Palestine (d’après Ibn ‘Asākir, Ta’rīkh madīnat Dimashq, éd. ‘Umar al-‘Umrawī, 80 vol. , Beyrouth, 1995-2000, vol. 64, p. 346) ; un ouvrage sur les princes d’Alep de ‘Alī Ibn Abī Jarāda (mort vers 548/1153-1154) et un dictionnaire biographique des notables d’Alep de Muhammad Ibn Abī Jarāda (mort vers 566/1170-1171), ainsi qu’un ouvrage sur les gouverneurs d’Alep de Hibat Allāh b. Sa‘ad Allāh Ibn al-Jibrānī (mort après 561/1165-1166). Sur ces sources que nous ne connaissons que par des citations d’auteurs postérieurs, voir C. Cahen, La Syrie du Nord à l’époque des croisades et la principauté franque d’Antioche, Paris, Geuthner, 1940, p. 40-44 et « L’historiographie arabe des origines au viie s. H », Arabica, 33, 1986, p. 133-198, ici, p. 174-175 ; A.-M. Eddé, « Sources arabes des xiie et xiiie siècles d’après le dictionnaire biographique d’Ibn al-‘Adīm (Buġyat al-ṭalab fī ta’rīḫ Ḥalab) », Itinéraires d’Orient et d’Occident. Hommages à Claude Cahen, Res Orientales, 6, 1994, p. 293-308, ici, p. 294-295 (aux sources citées ajouter Ibn al-Jibrānī, d’après Ibn al-‘Adīm, Bughyat al-ṭalab fī ta’rīkh Ḥalab, éd. S. Zakkār, 11 vol., Damas, 1988, vol. 2, p. 741).

5 Originaire d’al-Athārib, une localité en Syrie du Nord, Ḥamdān rédigea une Histoire d’Alep et de la conquête franque, qui commençait en 490/1096-1097 et se terminait après 520/1126. Cet homme de lettres, aux connaissances diverses, fut tantôt au service des Francs, tantôt au service des musulmans en Syrie du Nord. Voir Cahen, Syrie du Nord, p. 41-42 ; Eddé, « Sources arabes », p. 294.

6 Quelques documents arabes ayant trait aux relations entre musulmans et Francs nous sont parvenus pour les xiie et xiiie siècles, rédigés en arabe ou traduits dans une autre langue, dans leur forme originale ou recopiés dans des encyclopédies ou des chroniques. Il s’agit essentiellement de documents de chancellerie (traités de paix ou de commerce, correspondance officielle). De même, des sources numismatiques, épigraphiques et archéologiques peuvent être mobilisées pour l’étude de ces relations, mais, tout comme les sources documentaires, elles ne relèvent pas à proprement parler de l’écriture des croisades et ne seront donc pas abordées ici.

7 Seule une version abrégée de l’histoire d’al-‘Aẓīmī nous est parvenue. Voir C. Cahen, « La chronique abrégée d’al-ʿAẓīmī », Journal Asiatique, 230, 1938, p. 353-448 ; Taʾrīkh Ḥalab, éd. I. Zaʿrūr, Damas, 1984, trad. partielle F. Monot, « La chronique abrégée d’al-ʿAẓîmî, années 518-538/1124-1144 », Revue des études islamiques, 59, 1991, p. 101-164. Ibn al-Qalānisī, Dhayl ta’rīkh Dimashq, éd. Amedroz, Leyde, 1908, trad. Partielle R. Le Tourneau, Damas de 1075 à 1154, Damas, 1952 et H. A. R. Gibb, The Damascus Chronicle of the Crusades, Londres, 1932. Vers la même époque, Ibn al-Azraq al-Fāriqī, (mort après 1177) rédigea une histoire de Mayyāfāriqīn et d’Āmid (actuel Diyarbakır), deux localités de la partie septentrionale de Haute-Mésopotamie qui furent concernées par la fondation du comté d’Édesse. Cet ouvrage ne contient toutefois que très peu d’allusions à la présence franque dans la région. Voir C. Hillenbrand, A Muslim Principality in Crusader Times. The Early Artuqid State, Istanbul, Leiden, 1990 (éd. et trad. partielles de la chronique d’Ibn al-Azraq).

8 Tels qu’Ibn al-Athīr (mort en 1233), Sibṭ Ibn al-Jawzī (mort en 1256), Abū Shāma (mort en 1267) et al-Dhahabī (mort en 1348). Voir N. Christie, « Ibn al-Qalānisī », Medieval Muslim Historians and the Franks in the Levant, éd. A. Mallett, Leyde, Brill, 2014, p. 7-28, ici p. 16.

9 Auteur, par ailleurs, d’un volumineux dictionnaire biographique des personnalités ayant marqué l’histoire de la ville de Damas. Voir Ibn ‘Asākir, Ta’rīkh madīnat Dimashq, éd. ‘U. al-‘Umrawī, 80 vol., Beyrouth, 1995-2000.

10 Voir S. A. Mourad et J. E. Lindsay, The Intensification and Reorientation of Sunni Jihad. Ideology in the Crusader Period. Ibn ‘Asākir of Damascus (1105-1176) and His Age, with an Edition and Translation of Ibn ‘Asākir’s The Forty Hadiths for Inciting Jihad, Leyde, Brill, 2013.

11 Il n’est pas parvenu jusqu’à nous, mais on peut s’en faire une idée au travers de son ouvrage intitulé Dalā’il al-aḥkām min aḥādīth al-Rasūl ‘alayhi al-salām, éd. M. Shaykhānī et Z. al-D. al-Ayyūbī, 4 vol., Damas-Beyrouth, 1992, vol. 4, p. 137-220.

12 Voir Ibn Shaddād, al-Nawādir al-sulṭāniyya wa l-maḥāsin al-Yūsufiyya, éd. J. al-Dīn al-Shayyāl, Le Caire, 1964; trad. D. S. Richards, The Rare and Excellent History of Saladin, Crusade Texts in Translation, Aldershot, Ashgate, 2001.

13 Voir Al-Iṣfahānī, Kitāb al-fatḥ al-qussī fī l-fatḥ al-Qudsī, éd. Landberg, Leyde, 1888, trad. H. Massé, Conquête de la Syrie et de la Palestine par Saladin, Paris, 1972 et al-Barq al-Shāmī (partiellement conservé), t. V (années 578-580), éd. F. Ḥusayn, ‘Ammān, 1987 ; L. Richter-Bernburg, Der Syrische Blitz : Saladins Sekretär zwischen Selbstdarstellung und Geschichtsschreibung, Stuttgart, Steiner, 1998 et « ‘Imād al-Dīn al-Iṣfahānī », Medieval Muslim Historians, éd. Mallett, p. 29-51.

14 Voir Al-Fāḍil, al-Durr al-naẓīma min tarassul ‘Abd al-Raḥīm, éd. A. Badawī, Le Caire, s. d.; I. al-Ḥafṣī, Correspondance officielle et privée d’al-Qāḍī al-Fāḍil, thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne, 4 vol., 1979. Cette correspondance a été bien exploitée par M. C. Lyons et D. E. P. Jackson, Saladin. The politics of Holy War, Cambridge, Cambridge University Press, 1982. Vers la même époque fut rédigée une chronique intitulée Al-Bustān al-jāmi‘ li-jamī‘ tawārīkh al-zamān, centrée sur la Syrie et l’Égypte, mais son auteur, sans doute syrien, reste indéterminé. Très abrégée jusque vers 518/1124, elle se développe au fur et à mesure que l’époque se rapproche de celle l’auteur. Voir éd. partielle C. Cahen, « Une chronique syrienne du vie/xiie siècle : le Bustān al-Jāmi’» , Bulletin d’Études Orientales, 7-8, 1937-1938, p. 113-158.

15 Voir Ousâma ibn Mounḳidh : un émir syrien au premier siècle des croisades (1095-1188), éd. et trad. H. Derenbourg, Paris, 2 vol. , 1886-1889, et la traduction plus moderne d’André Miquel, Des enseignements de la vie. Souvenirs d’un gentilhomme syrien du temps des Croisades, Paris, Imprimerie Nationale, 1983 ; voir aussi A. Miquel, Ousâma, un prince syrien face aux croisés, Paris, Fayard, 1986.

16 Voir Ibn Jubayr, Riḥla, éd. W. Wright revue par M. J. De Goeje, Londres – Leyde, 1907, trad. M. Gaudefroy-Demombynes, Voyages, 4 vol. , Paris, 1949-1965, p. 348-364 et trad. P. Charles-Dominique, Voyageurs arabes, Paris, Gallimard, 1995, p. 321-332.

17 Voir C. Cahen, « Une chronique chiite au temps des croisades », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, 1935, p. 258-269 ; A.-M. Eddé, « Francs et musulmans de Syrie au début du xiie siècle d’après l’historien Ibn Abī Tayyi’« , Dei gesta per Francos. Études sur les croisades dédiées à Jean Richard, éd. M. Balard, B. Z. Kedar et J. Riley-Smith, Aldershot, Routledge, 2001, p. 159-169 et « Ibn Abī Tayyi’«  Encyclopédie de l’Islam, éd. K. Fleet, G. Krämer et al., 3e éd., 2017.

18 Voir Ibn al-Athīr, Al-Kāmil fī l-ta’rīkh, 13 vol. , Beyrouth, 1965-1967, trad. de la période des croisades par D. S. Richards, The Chronicle of Ibn al-Athīr for the Crusading Period from al-Kāmil fī’l-ta’rīkh, 3 vol. , Aldershot, Ashgate, 2006-2008. Sur cet historien, voir F. Micheau, « Ibn al-Athīr », Medieval Muslim Historians, éd. Mallett, p. 52-83. Ibn al-Athīr fut aussi l’auteur d’une histoire des atabegs de Mossoul (Al-Ta’rīkh al-bāhir fī l-dawla al-atābakiyya, éd. A. A. Ṭulaymāt, Le Caire, 1963, trad. partielle dans Recueil des Historiens des Croisades, Historiens orientaux (RHC, Or.), 2/2, 1876, p. 5-375) qui contient beaucoup moins d’informations sur les Latins que sa chronique universelle. Ibn al-Athīr ne cite pas ses sources, mais, pour les premières croisades, on retrouve dans son récit des passages inspirés d’Ibn al-Qalānisī et de ‘Imād al-Dīn al-Isfahānī.

19 Voir Ibn al-Jawzī, Al-Muntaẓam fī taʾrīkh al-mulūk wa-l umam, éd. M. et M. ʿAbd al-Qādir ʿAṭā, 19 vol. , Beyrouth, 1992.

20 Il n’existe qu’une mauvaise édition d’une partie de sa chronique intitulée Mir’āt al-zamān fī ta’rīkh al-a‘yān (2 vol. , Hyderabad, 1951-1952), et seuls quelques extraits concernant l’histoire des croisades ont été traduits dans RHC, Or., 3, 1884, p. 517-570 (années 490-532/1097-1137-1138), dans Gabrieli, Chroniques arabes, p. 88-89 et 299-302, et dans P. Jackson, The Seventh Crusade, 1244-1254. Sources and Documents, Farnham, Ashgate, 2009, p. 154-162 et 223-225. Pour les premières croisades, le récit de Sibṭ repose en grande partie sur Ibn al-Qalānisī et Ibn al-Athīr. Voir A. Mallett, « Sibṭ Ibn al-Jawzī », Medieval Muslim Historians, éd. Mallett, p. 84-108.

21 Voir Ibn al-‘Adīm, Zubdat al-ḥalab min ta’rīkh Ḥalab, éd. S. Dahān, 3 vol., Damas, 1951-1968 (trad. partielle et pas toujours fiable d’E. Blochet, Revue de l’Orient latin, 3-6, 1895-1898) et Bughyat al-ṭalab fī ta’rīkh Ḥalab, éd. S. Zakkār, 11 vol. , Damas, 1988 (quelques extraits trad. dans RHC, Or., 3, 1884, p. 695-732). Voir A.-M. Eddé, « Kamāl al-Dīn ‘Umar Ibn al-‘Adīm », Medieval Muslim Historians, éd. Mallett, p. 109-135.

22 Voir Abū Shāma, Kitāb al-rawḍatayn fī akhbār al-dawlatayn al-Nūriyya wa-l-Ṣalāḥiyya, 2 vol. , Būlāq, 1871-1875 ; éd. M. H. M. Aḥmad, 2 vol. , Le Caire, 1998 ; Al-Dhayl ʿalā l-rawḍatayn, éd. M. al-Kawtharī, Le Caire, 1947 ; trad. partielle de ces deux ouvrages dans RHC, Or., 4-5, 1898-1906.

23 Voir Ibn Wāṣil, Mufarrij al-kurūb fī akhbār Banī Ayyūb, éd. J. al-D. al-Shayyāl (vol. 1 à 3) et Ḥ. Rabī‘, S. ‘Āshūr (vol. 4 et 5), Le Caire, 1953-1977 (jusqu’en 645/1247-1248) ; les années 646-661 ont été éditées par ‘U. ‘A. S. Tadmurī, Beyrouth, 2004 et par M. Rahim, Wiesbaden, 2010 ; seuls des extraits ont été traduits par Gabrieli, Chroniques arabes, p. 291-299, 302-307 et 312-328, et surtout par Jackson, The Seventh Crusade, p. 47, 128-154 et 213-223. Ibn Wāṣil fut aussi l’auteur d’une chronique plus modeste, intitulée Al-Ta’rīkh al-Ṣāliḥī (éd. ‘U. ‘A. S. Tadmurī, 2 vol., Sayda-Beyrouth, 2010), qui s’étend jusqu’en 636/1239 et est dédiée au sultan ayyoubide d’Égypte al-Ṣāliḥ Ayyūb, mais est achevée après la mort de ce dernier. Beaucoup plus résumée que la première, elle contient quelques informations originales notamment sur la prise de Jérusalem par les croisés en 1099. Sur l’œuvre historique d’Abū Shāma et d’Ibn Wāṣil, voir K. Hirschler, Medieval Arabic Historiography : Authors as Actors, Londres, Routledge, 2006.

24 Voir Ibn Abī l-Damm, Al-Ta’rīkh al-Islāmī al-maʻrūf bi-ism al-Ta’rīkh al-Muẓaffarī, éd. Ḥ. Z. Ghānim Zayyān, Le Caire, 1985 et Kitāb al-shamārīkh fī l-tawārīkh, éd. et trad. partielles D. S. Richards, Bulletin d’Études Orientales, 45, 1993, p. 183-200 (années 617-626/1220-1229) ; Ibn Naẓīf, al-Ta’rīkh al-Manṣūrī, éd. Abū l-‘Īd Dūdū, Damas, 1981, notamment p. 151 et 160 pour les relations entre Frédéric II et la secte des Assassins.

25 Voir V. et M. C. Lyons et J. S. C. Riley Smith, Ayyubids, Mamlukes and Crusaders. Selections from the Tārīkh al-Duwal wa’l-Mulūk of Ibn al-Furāt, 2 vol. Cambridge, Heffer and Sons, 1971 [extraits éd. et trad. des vol. 5, 6 et 7 (années 641-676/1243-1277)] ; Al-Maqrīzī, Kitāb al-sulūk li ma‘rifat duwal al-mulūk, éd. M. Ziyāda et S. A. ‘Ashūr, 4 vol. , Le Caire, 1939-1973, trad. des années 567-648/1171-1250 par R. J. C. Broadhurst, A History of the Ayyūbid Sultans of Egypt, Boston, Library of Classical Arabic Literature, 1980 et trad. partielle des années 648-708/1250-1309 par E. M. Quatremère, Histoire des sultans mamlouks, 2 vol. , Paris, 1837-1842. Sur les sources de la première période mamelouke, voir D. Little, History and Historiography of the Mamluks, Londres, Variorum Reprints, 1986 et « Historiography of the Ayyūbid and Mamlūk epochs », The Cambridge History of Egypt, vol. I, Islamic Egypt, 640-1517, éd. C. F. Petry, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 412-444; K. Hirschler, « Studying Mamluk Historiography. From Source Criticism to the Cultural Turn », Ubi sumus? Quo vademus? Mamluk Studies. State of the Art, éd. S. Conermann, Bonn, 2013, p. 159-186.

26 Sur cette littérature biographique désignée par le terme Ṭabaqāt (« classes »), voir J. Hafsi, « Recherches sur le genre ‘Ṭabaqât’ de la littérature arabe », Arabica, 23, 1976, p. 227-265 et 24, 1977, p. 1-41 et 150-186 ; W. al-Qâdî, « Biographical Dictionaries : Inner Structure and Cultural Significance », The Book in Islamic World. The Written World and Communication in the Middle East, éd. G. N. Atiyeh, Albany, State University of New York Press, 1995, p. 93-122; Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., éd. T. Bianquis et al., Leyde, 1998, « Ṭabaḳāt » (Cl. Gilliot).

27 Voir F. Micheau, « Les croisades vues par les historiens arabes d’hier et d’aujourd’hui », Le Concile de Clermont de 1095 et l’appel à la Croisade, Rome, École française de Rome, 1997, p. 345-360 ; Hillenbrand, The Crusades, p. 257-439 ; A.-M. Eddé, « La vision des Francs dans les sources musulmanes à l’époque des croisades (1099-1250) », Islam et monde latin (milieu xe-milieu xiiie). Espaces et enjeux, Paris, ADHE, 2000, p. 61-80.

28 Voir Hillenbrand, The Crusades, p. 69-72. Une confusion qui, dans le cas d’Abīwardī peut aussi être due au fait qu’il vivait en Irak, loin du théâtre des opérations.

29 Al-‘Aẓīmī, Taʾrīkh Ḥalab, éd. Zaʿrūr, p. 358.

30 Voir Ibn al-Athīr, Kāmil, trad. Richards, Part 1, p. 14.

31 Voir Ibn al-Qalānisī, Dhayl, trad. Le Tourneau, p. 294.

32 Ibn al-Athīr, Kāmil, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 209-210 et trad. Richards, Part 2, p. 364.

33 Ce genre littéraire consistant à vanter les mérites d’une ville ou d’une région se développa dès le ixe siècle en Islam. L’un des plus anciens ouvrages écrits à la gloire de Jérusalem date du début du xie siècle, c’est-à-dire bien avant les croisades ; voir Hillenbrand, The Crusades, p. 162-163.

34 Ibn al-Athīr, Kāmil, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 282 et trad. Richards, Part 3, p. 174.

35 Voir Yāqūt, Mu‘jam al-Buldān, 5 vol., Beyrouth, 1955-1957, vol. 3, p. 100 et trad. Dans B. Lewis, Comment l’Islam a découvert l’Europe, Paris, La Découverte, 1984, p. 179.

36 Gabrieli, Chroniques arabes, p. 305.

37 Sibṭ Ibn al-Jawzī, Mir’āt al-zamān, vol. 1, p. 619. Al-Ashraf possédait les territoires ayyoubides de Haute-Mésopotamie, mais se trouvait alors en Syrie, où Sibṭ Ibn al-Jawzī le rencontra.

38 Voir H. L. Gottschalk, Al-Malik al-Kāmil von Egypten und seine Zeit, Wiesbaden, Harrassowitz, 1958, p. 141-142 ; R. S. Humphreys, From Saladin to the Mongols. The Ayyubids of Damascus, 1193-1260, New York, State University of New York Press, 1977, p. 184.

39 Ibn Wāṣil, Mufarrij, éd. Rabī‘ et ‘Āshūr, vol. 4, p. 206-207.

40 Ibn Naẓīf al-Ḥamawī, Al-Ta’rīkh al-Manṣūrī, éd. Abū l-‘Īd Dūdū, Damas, 1981, p. 194 et trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 310.

41 Ibn Wāṣil, Mufarrij, éd. Tadmurī, p. 133 et trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 326 ; A.-M. Eddé, « Saint Louis et la Septième Croisade vus par les auteurs arabes », Cahiers de recherches médiévales, 1, 1996, p. 65-92 ; Jackson, The Seventh Crusade, p. 153.

42 Qaraṭāy (ou Qirṭāy) al-‘Izzī, Ta’rīkh majmū‘ al-nawādir, éd. ‘U. ‘A. S. Tadmurī, Sayda-Beyrouth, 2005, p. 119-120, trad. de cet extrait dans C. Cahen, Orient et Occident au temps des Croisades, Paris, Aubier, 1983, p. 241-242 (ici légèrement modifiée d’après l’édition).

43 E. Sivan, L’Islam et la croisade, p. 104 (d’après Abū Shāma, éd. Būlāq, vol. 2, p. 49) ; A.-M. Eddé, Saladin, Paris, Flammarion, 2008, p. 204.

44 Voir Eddé, Saladin, p. 203.

45 Al-Iṣfahānī, Kitāb al-fatḥ al-qussī fī l-fatḥ al-Qudsī, trad. Massé, p. 177.

46 Un vers anonyme cité par al-‘Aynī (mort en 1451), trad. RHC, Or., 2, 1876, p. 195.

47 Voir Sivan, L’Islam et la croisade, p. 165.

48 Voir D. Aigle, « Les inscriptions de Baybars dans le Bilād al-Šām. Une expression de la légitimité du pouvoir », Studia Islamica, 97, 2003, p. 57-85 ; A.-M. Eddé, « Baybars et son double : de l’ambiguïté du souverain idéal », Le Bilād al-Šām face aux mondes extérieurs. La perception de l’Autre et la représentation du Souverain, éd. D. Aigle, Beyrouth, Ifpo, 2012, p. 73-86.

49 Voir Sivan, L’Islam et la croisade, p. 171-174.

50 Ibn ‘Abd al-Ẓāhir, Al-Rawḍ al-zāhir fī sīrat al-Malik al-Ẓāhir, éd. ‘A. al-‘A. al-Ḫuwayṭir, Riyad, 1976, p. 309-313, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 340-341.

51 Vers cités par al-Jazarī, Ta’rīkh ḥawādith al-zamān, éd. ‘U. ‘A. S. Tadmurī, 3 vol., Beyrouth, 1998, vol. 1, p. 61-62 ; voir aussi Sivan, L’Islam et la croisade, p. 183 et Hillenbrand, The Crusades, p. 237-240.

52 Voir M. A. Köhler, Alliances and Treaties between Frankish and Muslim Rulers in the Middle East. Cross-Cultural Diplomacy in the Period of the Crusades, trad. de l’allemand par P. Holt, Leyde, Brill, 2013.

53 Ibn Wāṣil, Mufarrij, éd. Rahim, p. 70, n. 2, trad. Gabrieli, Chroniques arabes, p. 321.

54 Voir A.-M. Eddé, « L’honneur des chevaliers francs dans les sources arabes à l’époque des croisades », L’Islam au carrefour des civilisations médiévales, éd. M. Sot et D. Barthélemy, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2012, p. 135-151.

55 Voir Ibn al-Furāt, Ta’rīkh, éd. et trad. L. et R. Smith, Ayyubids, Mamlukes and Crusaders, vol. 1, p. 48 et vol. 2, p. 39.

56 Voir Hillenbrand, The Crusades, p. 259-262, 276-282 et 347-365.

57 Voir Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, RHC, Historiens Occidentaux, 3, 1866, p. 323.

58 Même si certains souverains musulmans – le sultan seldjoukide Malikshāh (1072-1092) en particulier – furent loués par des auteurs arméniens tels que Matthieu d’Édesse (RHC, Documents arméniens, 2 vol. , 1869-1896) : voir C. Cahen, Syrie du Nord, p. 97-100 ; G. Dédéyan, Les Arméniens entre Grecs, Musulmans et Croisés : étude sur les pouvoirs arméniens dans le Proche-Orient méditerranéen, 1068-1150, 2 vol. , Lisbonne, Bibliothèque arménologique de la Fondation Calouste Gulbenkian, 2003.

59 Voir Michel le Syrien, Chronique syriaque, éd. et trad. J.-B. Chabot, Paris, 4 vol. , 1899-1914. Le monastère de Barsauma était situé dans la région de Malaṭyā, à l’est de la Turquie actuelle, dominée, à la fin du xiie siècle, par les Seldjoukides de Rūm. Une autre chronique syriaque, anonyme, fut rédigée dans la première moitié du xiiie siècle (jusqu’en 1234). Axée principalement sur les événements de Haute‑Mésopotamie et d’Anatolie, elle apporte certaines informations absentes des autres sources, notamment sur les deux prises d’Édesse, en 1144 par Zengi, puis en 1146 par Nūr al-Dīn, ou la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, car l’auteur séjournait alors dans la ville sainte : Anonymi auctoris Chronicon ad annum Christi 1234 pertinens, Part. 1, éd. J.-B. Chabot, Paris, 1920 (CSCO, Scriptores Syri, Series tertia, t. 14) et trad. A. Abouna, Louvain, 1974 (CSCO, Scriptores Syri, vol. 154), ici p. 89-95, 104-111 et 149-150.

60 Voir The Chronography of Gregory Abū l-Farağ the son of Aaron, éd. et trad. E. A. W. Budge, Londres, 2 vol. , 1932 ; trad. P. Talon, La Chronographie de Bar Hebraeus l’histoire du monde d’Adam à Kubilai Khan 1, Fernelmont, EME Éditions, 2013. Son récit ne laisse apparaître aucune opinion personnelle ou solidarité confessionnelle avec les Francs peut-être parce qu’il écrivait, en 1276, à une époque où les Francs étaient en passe d’être chassés de la région et ne constituaient plus une force susceptible de venir en aide aux chrétiens. Voir F. Micheau, « Les croisades dans la Chronique universelle de Bar Hebraeus », Chemins d’outre-mer. Études d’histoire sur la Méditerranée médiévale offertes à Michel Balard, éd. D. Coulon et al., Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 554-572 ; D. Aigle, « L’œuvre historiographique de Barhebraeus : son apport à l’histoire de la période », Parole de l’Orient, 33, 2008, p. 25-61.

61 Sa somme théologique, Le Candélabre du sanctuaire, contient aussi quelques informations sur les différences théologiques entre Latins, Chalcédoniens et Jacobites. Voir H. Teule, « The Crusaders in Barhebraeus Syriac and Arabic Seculars Chronicles », East and West in the Crusaders States, éd. K. Ciggaar, A. Davids et H. Teule, Louvain, Peeters, 1996, p. 39-49 et « Ebn al-‘Ebrī Abū l-Faraj », Encyclopædia Iranica, 8/1, 1997, p. 13-15.

62 Auxquelles on peut ajouter le Livre des Histoires (Kitāb al-Tawārīkh) du diacre copte Ibn al-Rāhib et un compendium anonyme intitulé Chronicon Orientale, sources qui n’apportent pas grand-chose de plus sur les croisades ; voir F. Micheau, « Croisades et croisés vus par les historiens arabes chrétiens d’Égypte », Itinéraires d’Orient et d’Occident. Hommages à Claude Cahen, p. 169-185, ici p. 173-175. Sur les historiens coptes en général, voir A. Sidarus, « Medieval Coptic Historians in Arabic (xiiie-xive s.) », Chapter and verse of non-Muslim contributions to Islamic civilisation, éd. C. Hillenbrand et al., Edimbourg, sous presse.

63 Voir History of the Patriarchs of the Egyptian Church, éd. et trad. A. S. Atiya, A. Khater, Y. ʿAbd al-Masīḥ et O. H. E.-K. H. S. Burmester, Le Caire, 4 vol. , 1943-1974; J. den Heijer, Mawhūb Ibn Manṣūr Ibn Mufarriğ et l’historiographie copto-arabe. Étude sur la composition de l’Histoire des Patriarches d’Alexandrie (CSCO, 513, Subsidia, 83), Louvain, Peeters, 1989; J. den Heijer, « Coptic Historiography in the Fāṭimid, Ayyūbid and Early Mamlūk Periods », Medieval Encounters, 2/1, 1996, p. 67-98; Micheau, « Croisades et croisés », p. 169-185 ; M. N. Swanson, « Mawhūb ibn Manṣūr ibn Mufarrij al-Iskandarānī », Christian-Muslim Relations. A Bibliographical History, éd. D. Thomas et A. Mallett, Leyde, Brill, 2011, vol. 3, p. 217-222.

64 Hist. Patr., vol. 2, part 3, éd. p. 249, trad. p. 398-399 ; Micheau, « Croisades et croisés », p. 179.

65 Hist. Patr., vol. 3, part 2, éd. p. 82, trad. p. 139 ; Micheau, « Croisades et croisés », p. 180.

66 Voir Eddé, Saladin, p. 541-582 et 707-715.

67 Elle s’arrête en 658/1260. Voir C. Cahen, « La chronique des Ayyoubides d’al-Makīn b. al-‘Amīd », Bulletin d’Études Orientales, 15, 1958, p. 109-184 (édition de la partie qui concerne le xiiie siècle), trad. A.-M. Eddé et F. Micheau, Chronique des Ayyoubides (602-658/1205-1206 – 1259-1260), Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1994 ; A.-M. Eddé, « Al-Makīn Ibn al-‘Amīd », Franks and Crusades in Medieval Eastern Christian Historiography, éd. A. Mallett, Leyde, Brill, sous presse.

68 Voir Ibn Wāṣil, Kitāb al-ta’rīkh al-ṣāliḥī, éd. ʻU. ʻA. S. Tadmurī, Sayda (Liban), 2010 ; C. Cahen, « Al-Makīn ibn al-‘Amīd et l’historiographie musulmane. Un cas d’interpénétration confessionnelle », Orientalia hispanica, sive Studia F.M. Pareja octogenario dicata, éd. J. M. Barral, Leyde, Brill, 1974, p. 158-167.

69 Ibn al-‘Amīd, éd. Cahen, p. 133, 159, trad. Eddé-Micheau, p. 31, 86.

70 Voir E. Blochet, Moufazzal ibn Abi l-Fazaïl, Histoire des sultans mamlouks. Texte arabe publié et traduit en français, Patrologia Orientalis, 12, fasc. 3 ; 14, fasc. 3 ; 20, fasc. 1 (Paris, 1919-1929) pour les années 1260-1317, et pour la suite par S. Kortantamer, Ägypten und Syrien zwishen 1317 und 1341 in der Chronik des Mufaḍḍal b. Abī l-Faḍā’il (Islamkundliche Untersuchungen 23), Freiburg um Breisgau, 1973. Ses sources pour la fin des croisades sont essentiellement Baybars al-Manṣūrī (mort en 1325), al-Nuwayrī (mort en 1333), Ibn al-Dawādārī (mort après 1335), al-Jazarī (mort en 1338) et al-Yūsufī (mort en 1358).

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Marie Eddé, « L’écriture des croisades dans l’historiographie arabe médiévale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 37 | 2019, 27-51.

Référence électronique

Anne-Marie Eddé, « L’écriture des croisades dans l’historiographie arabe médiévale »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 37 | 2019, mis en ligne le 01 août 2022, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/17159 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.17159

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Auteur

Anne-Marie Eddé

Université Paris I – Panthéon-Sorbonne

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Droits d’auteur

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