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Varia

Un nouveau regard sur la composition et l’organisation du manuscrit BnF, fr. 12599

Damien de Carné
p. 447-471

Résumés

On voit dans le manuscrit BnF, fr. 12599 un des premiers exemples de collaboration éditoriale destinée à édifier une compilation arthurienne : le Tristan en prose y est copié avec d’autres récits. Cet article reconstitue autrement la composition du manuscrit. Celui-ci est formé à partir d’un exemplaire tristanien lacunaire, qu’un duo de copistes a scindé et colmaté en y insérant pages tristaniennes et extraits allogènes. Ce dispositif réalise une mise en cycle a posteriori d’une copie du Tristan.

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Texte intégral

  • 1 E. Baumgartner, Le « Tristan en prose ». Essai d’interprétation d’un roman médiéval, Genève, Droz, (...)

1Ayant eu à reprendre les descriptions existantes du manuscrit BnF, fr. 12599 au cours de recherches récentes, nous avons été frappé par les surprises que recelait encore ce document, quoiqu’il soit bien connu et qu’il ait été largement décrit au fil du temps. Certaines particularités passées inaperçues jusqu’alors nous ont amené à comprendre d’une façon nouvelle l’histoire matérielle de ce manuscrit composite. Outre l’intérêt propre du document, c’est l’audace pour le moins inhabituelle de l’activité des copistes, l’ampleur de leur travail d’éditeurs, mainte fois soulignée mais pourtant sous-estimée, qui engageait à publier pour elle-même l’enquête dont on donne ici le détail. À cette enquête, il ne manquait pas grand-chose pour qu’elle fût policière. Pour accomplir leur ambitieux projet éditorial, précoce « ébauche de compilation cyclique1 », les copistes se sont livrés à des opérations qui confinent parfois au maquillage et au bricolage les plus désinvoltes des sources et des documents qu’ils avaient à leur disposition ; et dans cette « affaire » du manuscrit BnF, fr. 12599 interviennent des faux, un complice caché, des preuves déguisées et même un corps démembré.

2Si l’hypothèse proposée ici contribue à renforcer le caractère exceptionnel de ce témoin fascinant, elle met aussi en évidence le poids des contraintes matérielles dans les orientations du travail de sélection et d’écriture mené par les copistes. Les procédés de suture, de réécriture et de recomposition employés pour répondre à ces contraintes constituent, nous semble-t-il, un cas d’école au sein des manuscrits arthuriens.

Un document atypique

  • 2 C’est à ce titre qu’il a été étudié par P. Zanotti, « Frammento d’antica volgarizzamento di Girone (...)
  • 3 Voir F. Bogdanow (éd.), La Folie Lancelot. A hitherto unidentified portion of the Suite du Merlin (...)
  • 4 L’existence de textes « post-Vulgate », c’est-à-dire réécrivant des parties de la Vulgate du Lance (...)
  • 5 E. Löseth, Le Roman en prose de Tristan, le roman de Palamède et la Compilation de Rusticien de Pi (...)
  • 6 Voir Löseth, Analyse, p. 480, n. 1 de la p. 64. La note est cependant imprécise, et l’on se report (...)
  • 7 Les avis divergent sur l’origine de cet extrait. Voir N. Koble, « Un nouveau Ségurant Le Brun en p (...)
  • 8 Des poèmes que l’on retrouve uniquement dans le ms. BnF, fr. 24400 ornent les statues mortuaires d (...)

3De nombreuses raisons expliquent l’attention dont ce manuscrit a été l’objet de la part des chercheurs depuis largement plus d’un siècle. Tout d’abord, s’il apparaît comme un manuscrit presque entier du Tristan en prose, il commence pourtant par de longs extraits empruntés au cycle de Guiron le Courtois2. Il contient également deux longues sections romanesques plus ou moins bien identifiées mais qui sont en marge du matériau tristanien habituel : d’une part, les aventures connues sous le nom de Folie Lancelot3, qui étaient peut-être une part du cycle du Graal « post-Vulgate4 » ; d’autre part, une suite d’épisodes inconnus ailleurs, dont Eilert Löseth a donné un résumé très précis dans son irremplaçable analyse du Tristan en prose5. L’ensemble de ces deux parties occupe près de cent feuillets, sur les cinq cents que contient le manuscrit. Ce dernier intègre également, de façon très ponctuelle, un extrait de L’Histoire ancienne jusqu’à César ainsi que quelques lignes originales ou empruntées à un texte inconnu6. Par ailleurs, un chapitre des aventures résumées par Löseth (désormais Queste 12599, voir ci-dessous n. 5), qui met en scène Ségurant le Brun, est manifestement emprunté à un texte guironien préexistant7. Enfin, des épisodes du Guiron et du Tristan donnés par le manuscrit sont inconnus ailleurs (ainsi du contenu des dix-sept premiers feuillets) ou présentent des particularités notables dans leur rédaction (ainsi de la description des statues érigées en l’honneur de Tristan et Yseut défunts8).

  • 9 R. Trachsler, Clôtures du cycle arthurien, Genève, Droz, 1996, p. 233.
  • 10 Outre les contradictions, le texte du manuscrit recourt plus abondamment que les autres à l’autori (...)
  • 11 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 40 et le renvoi n. 21 à Limentani, Dal Roman de Palamedés, p. (...)
  • 12 Le Roman de Tristan en prose, éd. R. Curtis, t. 3, Cambridge, Brewer, 1985, p. xiv-xv et xli. Pour (...)
  • 13 Voir G. Paradisi et A. Punzi, « La tradizione del Tristan en prose in Italia e una nuova traduzion (...)

4Outre l’originalité de contenu de cet « étrange manuscrit9 », qui le distingue des autres témoins tristaniens, le ms. BnF, fr. 12599 se singularise également par le réarrangement qu’il impose au déroulement du roman en prose. Des épisodes sont déplacés (voir infra la description des fol. 101-106), le Tristan est coupé en deux, au prix de contradictions narratives réelles, par La Folie Lancelot et la Queste 12599. Ces réarrangements et traces diverses de réfection10 n’empêchent pas que les rédactions présentes dans le manuscrit offrent un intérêt propre pour la connaissance aussi bien du Guiron que du Tristan. Pour le Guiron, il transmet un texte remarquablement complet et correct11. Pour le Tristan, il est l’un des trois seuls manuscrits à donner les lettres échangées par Tristan et Lancelot, et contient en outre une version particulière des aventures du Chevalier à la Cotte Mal Taillée (en tout cas, de leur début, car elles s’interrompent au feuillet 100d) qui semble préserver « des traces d’une tradition plus ancienne », selon Renée Curtis, de même que pour les brèves aventures de Lamorat qui la précèdent12. Il est par ailleurs un document fondamental pour les chercheurs qui ont étudié la progression du Tristan et de ses adaptations en Italie13.

  • 14 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 39-40. Le passage rédigé en italien s’étend sur les fol. 17b-38d.
  • 15 Voir F. Zinelli, « I codici francesi di Genova e Pisa : elementi per la definizione di una ‘script (...)

5Enfin, selon la date qui lui est attribuable (seconde moitié ou dernier quart du xiiie siècle, mais nous pourrons préciser cette datation plus loin), le manuscrit est un témoignage linguistique du plus haut intérêt. Une partie des extraits recopiés du Guiron l’a été en italien (plus exactement en pisan), et ce bilinguisme « non trova paralleli in altri codici arturiani medievali14 ». En outre, pour la partie française, le manuscrit constitue un exemplaire précoce d’un roman présentant des usages de ce que l’on nomme « franco-italien ». À la suite d’Alberto Limentani, Fanni Bogdanow ou Fabrizio Cigni, Fabio Zinelli a souligné à son tour certaines de ses particularités linguistiques, en les replaçant dans le cadre plus général de la variété toscane du franco-italien15.

Description matérielle

  • 16 Voir supra n. 6. Outre les contributions déjà mentionnées jusqu’à présent, il faut signaler des de (...)

6On doit à Fabrizio Cigni l’exposé le plus complet et le plus attentif de la composition, de la configuration et du contenu du manuscrit, parmi une bibliographie foisonnante16. Nous empruntons à l’une et à l’autre l’essentiel des informations, en tâchant de les compléter sur certains points. On verra plus loin, cependant, lesquelles de ces informations peuvent être encore précisées, voire corrigées.

  • 17 Le manuscrit est consultable dans une très bonne définition sur la bibliothèque numérique de la Bn (...)
  • 18 § 172, p. 452, dans le texte de V.I. (Tristan 757, t. 5, éd. Chr. Ferlampin-Acher, Paris, Champion (...)

7Le manuscrit17 (275 x 190 mm) contient 511 feuillets de parchemin, répartis en 69 cahiers, mais il manque le cahier VI (entre les fol. 38 et 39), lacune qui correspond au passage abrupt entre le texte du Guiron et celui du Tristan ; en revanche, un dernier cahier, non numéroté, suit le cahier qui porte au fol. 501 le no LXIX (ce cahier LXX commence apparemment au fol. 507). Il faut donc compter 70 cahiers originels, sachant que par ailleurs le manuscrit est incomplet du début (les premiers feuillets sont partiellement détruits ou très abîmés ; il y a fort à parier que les restes du fol. 1 n’aient pas constitué la première page originelle) et de la fin (il s’interrompt lorsque Sagremor, revenu en Logres, rencontre un chevalier qui vient de Camelot18).

  • 19 Voir A. Derolez, The Palaeography of Gothic Manuscript Books, From the Twelfth to the Early Sixtee (...)

8Le texte est écrit sur deux colonnes tout au long du document, avec un nombre de lignes variant de 42 à 50 selon l’endroit du manuscrit. L’écriture présente la plupart des traits typiques de la rotunda, notamment l’arrondissement général qui la distingue de la textualis du Nord et lui a valu ce nom19. Mais les traits de l’écriture varient parfois considérablement d’un scribe à l’autre. Le texte a été copié, comme on le verra plus loin, par au moins deux copistes différents.

  • 20 Au nombre de 77 ; on en trouve la liste dans la description de Lathuillère, Guiron, p. 75, et dans (...)
  • 21 Voir Avril et Gousset, ibid.
  • 22 Ibid.
  • 23 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 63-64. Voir aussi Cigni, « Manoscritti di prose cortesi », p. 434 : (...)

9La décoration semble partout de la même main. Cependant, son achèvement varie en fonction des parties. Les lettres historiées (ainsi que les lettres champies du même niveau hiérarchique, c’est-à-dire qui commencent un chapitre indiqué par une formule d’entrelacement) paraissent avoir été réalisées à travers tout le manuscrit20. Elles s’accompagnent parfois d’arborescences qui soulignent verticalement et éventuellement horizontalement, en haut ou en bas de page, la délimitation des colonnes de texte. Elles remplacent en quelques endroits une ancienne décoration filigranée21. La décoration est de style italien ; « d’inspiration bolonaise22 », elle relève cependant d’un style qui s’est répandu en Italie au milieu du xiiie siècle, selon Fabrizio Cigni, et ne contredit donc pas nécessairement la provenance toscane que l’italien utilisé aux fol. 17-38 engage à identifier23.

  • 24 En quelques endroits (ainsi aux fol. 46d-47b), certaines sont complétées à l’encre marron.

10Contrairement à ces initiales, les lettrines (alternativement rouges et bleues, filigranes dans la marge) ont été laissées en blanc dans la plus grande partie du manuscrit24. Elles ont été réalisées dans les zones suivantes : fol. 11 à 19r (sans filigrane aux feuillets 18v-19r) ; puis 22v (avec une initiale sur deux réalisée sur ce feuillet) à 28r (sans filigrane à partir de 25v) ; puis de 30v (sans filigrane au fol. 35) à 36r ; puis une unique initiale sans filigrane au fol. 38b ; puis aux fol. 269 à 284v ; puis aux fol. 501-511 (fin, lacunaire, du manuscrit ; lettrines sans filigrane au fol. 511v).

11En deux endroits du manuscrit, un ensemble pictural plus complexe occupe une colonne ou une partie de colonne. La première (fol. 107c, une demi-colonne) représente Tristan et Lancelot devisant assis près du Perron Merlin : dans une première case, moins haute que large, sont représentés la fontaine et le Perron dressé à côté de l’eau, et la case inférieure, carrée, montre deux chevaliers devisant assis, appuyés sur leur épée la pointe en bas et séparés par un arbre ; l’ensemble surmonte la majuscule. La seconde illustration (fol. 320d, une colonne entière) annonce la reprise du récit relatif à Tristan, après les diverses aventures de la Queste 12599 : dans quatre compartiments sont figurées successivement la navigation des amants, leur chevauchée en Logres, les joutes de Tristan devant Arthur et l’entrée à la Joyeuse Garde. Il est notable que l’illustration du fol. 107 commence le texte de la deuxième section du recueil, et que le fol. 320 clôt, quant à lui, la troisième section (voir ci-dessous).

12Certaines parties du manuscrit sont restées blanches. Il s’agit des colonnes ou demi-colonnes suivantes : une colonne et demie au fol. 100cd, la double page des fol. 106v-107r, et une colonne et demie au fol. 268cd. Ces blancs ne surviennent pas à des endroits anodins : les deux premiers encadrent un cahier dont le contenu diverge fort de ce qui l’entoure. La double page des fol. 106-107 sépare la première section de la seconde. Enfin, le blanc du fol. 268 sépare le texte de La Folie Lancelot de celui de la Queste 12599.

13Toutes ces données sont connues ; certaines d’entre elles cependant (la répartition des illustrations, les blancs, la réalisation ou non des lettrines…) forment un faisceau d’indices qui appuie la relecture que nous allons à présent exposer.

Mains, sutures et trucages

  • 25 Encore ignorée de Lathuillère (Guiron, p. 75-77), cette configuration est mise en évidence par Bog (...)

14Le fait le plus remarquable relatif à ce manuscrit est sans doute sa division en cinq sections25. Ces cinq unités codicologiques, de dimensions différentes, semblent organiser comme suit le contenu du manuscrit, si l’on synthétise les études successives qui ont démêlé, par étapes, la complication de ce document.

15- Section 1, fol. 1-106

  • 26 Les fol. 63 et 71 portent au recto la mention « Oddo », peut-être précédée d’un m. Plusieurs voix (...)

16Extraits de Guiron le Courtois et du Tristan en prose. 50 lignes par colonne dans cette partie du manuscrit, zone d’écriture d’environ 21 cm x 12 cm. Un premier scribe, le copiste A (Oddo26 ?), est responsable de la copie de la 1re section. Le contenu de cette section se distribue ainsi :

  • a) fol. 1-10d (cahier I) : extrait de Guiron le Courtois en français, épisode d’une version particulière ; Lathuillère, § 249-25027.
  • b) fol. 11a-38d (cahiers II-V) : extrait de Guiron le Courtois en italien ; le changement de langue ayant lieu à l’occasion d’un changement de chapitre (fol. 17b, formule d’entrelacement et lettre historiée) ; Lathuillère, § 106 n. 1 et § 107 n. 3. Une lacune d’un cahier sépare cette partie de la suivante.
  • c) fol. 39a-100 (cahiers VII-XIV) : Tristan en prose, de la séparation de Pinabel et Lancelot aux aventures de Brunor (Löseth, § 59-71). En 100c, une formule interrompt le récit et annonce le duel de Tristan et Lancelot. Mais la fin du feuillet est laissée vide ; le passage annoncé, cependant, se lit un peu plus loin au fol. 107, au début de ce qui est considéré comme la section 2.
  • d) fol. 101-106 : cahier XV, décrit par Fabrizio Cigni comme « florilegio epistolare », « antologia di brani a soggetto lirico-amoroso28 », soit des lettres et discours sur l’amour, en dépit de toute chronologie narrative. Les lettres de Tristan, de Lancelot et de Kahédin sont données, alors qu’elles ne figurent pas ailleurs dans le manuscrit29. C’est ici qu’apparaissent divers brefs extraits étrangers au Tristan, voire à la matière arthurienne.

17- Section 2, fol. 107c-221 (cahiers XVI-XXXI)

  • 30 Cette partie du texte contient, dans la version qu’en donne ce manuscrit, de nombreuses allusions (...)

18Tristan en prose. 42 lignes par colonne dans cette section, zone d’écriture d’environ 17 cm x 11 cm, aucune lettrine réalisée. Un autre copiste (copiste B) a pris en charge la transcription. Le récit s’étend du duel du Perron Merlin (Löseth, § 203) à l’annonce du second emprisonnement de Tristan et sa libération par Perceval (Löseth, § 282a, et la n. 2 p. 191)30.

19- Section 3, fol. 222-320

  • 31 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 62.

20Folie Lancelot et Queste 12599. 50 lignes par colonne, zone d’écriture semblable à celle de la section 1. Reprise par le copiste A, avec un doute selon Fabrizio Cigni, qui propose de désigner éventuellement le copiste par A131. Le contenu se partage ainsi :

  • a) fol. 222-268 (cahiers XXXII-XXXVII, mais le texte s’interrompt au fol. 268c) : Folie Lancelot. Apparemment, le changement de section ne brise pas la continuité textuelle avec la section précédente. Cela se fait au milieu d’une phrase : « En ceste partie dist li contes que [fol. 222a] Quant Gaheriez vit que la cose estoit a ce venue que si frere ne baoient fors a la mort de Gariet, etc.32 » (on verra pourtant plus loin, dans l’étude plus détaillée de cette 3e section, que l’apparente continuité avec la section 2 est fabriquée après coup). Aucune lettrine réalisée dans ces feuillets.
  • b) fol. 269-320 (cahiers XXXVIII-XLIV) : Queste spécifique du manuscrit, séparée de la Folie Lancelot par une fin de feuillet vierge (donc plus visiblement que la Folie Lancelot ne l’était de la section précédente). La dernière colonne du cahier (fol. 320d) est remplie par le décorateur. Les lettrines sont réalisées du début de cette sous-section au fol. 284v.

21- Section 4, fol. 321-500

  • 33 Voir Le « Tristan en prose », p. 66.

22(cahiers XLV-LXVIII) : Tristan en prose. Le texte prend la suite du fragment 2 et le copiste B reprend la plume. 42 lignes par colonne, zone d’écriture semblable à celle de la section 2, aucune lettrine réalisée. Le récit s’étend du voyage des amants vers Logres jusqu’à l’arrivée de Tristan chez une demoiselle (Löseth, § 417). Le début de la section commence de la même façon que la section 3, après une formule d’introduction figurant à l’extrême fin de la section précédente, à cheval sur deux feuillets. Pour le contenu de cette section, E. Baumgartner affirme que si le Tristan donné par le manuscrit suivait jusqu’alors V. II., il rejoint à présent V. I33. La section s’interrompt au milieu d’une phrase ; il manque, entre celle-ci et la suivante, une portion considérable du Tristan (Löseth, § 418-537).

23- Section 5, fol. 501-511 (cahiers LXIX-LXX)

  • 34 Mais « lievemente più lunga la colonna nella parte 5, 17,3 cm » au lieu de 17,2 auparavant (Cigni, (...)

24Tristan en prose. Un fragment manuscrit portant les restes de deux colonnes d’écriture dépasse de la reliure entre cette section et la précédente. 42 lignes par colonne, zone d’écriture semblable à celle des sections 2 et 434, reprise de l’écriture par le copiste A, peut-être A2 selon Cigni. Toutes les lettrines ont été réalisées. Fin du Tristan, du séjour chez Brehus à la mort des amants (Löseth, § 538-569). Le texte s’interrompt très peu avant l’annonce de la mort de Tristan à la cour d’Arthur.

  • 35 Le manuscrit a été numérisé en 2009 en haute définition, ce qui permet un important grossissement. (...)

25La section 3 est celle qui nous intéresse particulièrement ici. En effet, malgré certaines hésitations sur l’attribution, l’ensemble de la tradition critique a considéré que toute la section 3 était recopiée de la même main. En réalité, il apparaît qu’il faille distinguer quelques changements de main supplémentaires35. Et le partage différent du manuscrit que cela implique jette une lumière toute nouvelle sur sa composition.

26Au sein de la 3e section, la main qui a recopié les fol. 222-268 est assez dissemblable de celle qui reprend le récit au fol. 269, soit au début de notre texte. Un aperçu sommaire permettra sans doute de s’en convaincre. L’écriture est plus verticale aux fol. 222-269 que celle de la suite. Les hastes montantes (le h, le l, le b…) et descendantes (voir le p) y sont plus élancées, alors qu’elles dépassent parfois à peine de la ligne supérieure des minuscules à partir du fol. 269. Le dessin général est globalement moins rond dans la copie de la Folie Lancelot que dans la suite immédiate : les majuscules, en particulier, sont systématiquement anguleuses alors que le copiste des fol. 269 sq. les arrondit ; mais surtout, le maillage obtenu dans l’enchaînement des jambages par le copiste de la Folie Lancelot renforce considérablement la fermeté horizontale de l’écriture (voir l’extrême régularité de la ligne formée par la partie supérieure des minuscules), là où celui qui lui succède, plus souple, aux jambages plus arrondis et souvent inégaux, produit des lignes plus mouvantes. Toutes ces distinctions se vérifient facilement sur la reproduction en ligne du manuscrit.

  • 36 Comme souvent, ces traits sont plus (le tracé du g) ou moins (le dessin des majuscules) systématiq (...)

27Du point de vue du dessin des lettres individuelles, on peut indiquer, entre autres éléments, que la haste de d est très courte et assez horizontale dans les pages qui précèdent le tournoi de Camelot du fol. 269, alors que la haste du d tracé sur les fol. 269 sq. est allongée le plus souvent et orientée à 45o de la ligne d’écriture. L’un des deux copistes, celui du début de la Queste 12599, dessine son g minuscule avec le jambage de droite tracé en un trait, alors qu’il est tracé « en huit » par son confrère. Le v qui remplace parfois le u à l’initiale adopte une forme variable, mais très différente : à l’arc étiré depuis la gauche qui allonge le v du copiste de la Queste répond un v dont le dessin commence (souvent) par un trait vertical ou tiré depuis la droite. Dans le début de la Queste, le trait du z se prolonge sous la lettre qui le précède, alors qu’il est en général très court dans la Folie Lancelot. Quant aux majuscules, celles dont on retrouve de fréquentes occurrences (B, C, E, G, M, Q, S) ont des dessins très distincts d’un copiste à l’autre. Par exemple, le B présente à partir du fol. 269 un éperon qui dépasse le jambage principal de la lettre en revenant vers la gauche, sur la ligne d’écriture ; dans le tracé du B sur les folios précédents, le premier jambage arrête net le retour de la plume vers la gauche, alors qu’en revanche, la lettre arbore un éperon ornemental à gauche du premier jambage, à la moitié de la hauteur de la lettre, qui est tout à fait absent de l’écriture des fol. 269 sq. (comparer les noms Blioberis ou Boort, présents à la fin de la Folie Lancelot et au début du tournoi de Camelot). Le S (et le s rond) a des proportions inversées : la boucle du haut est en général la plus large pour le copiste de la Folie Lancelot, la plus resserrée à partir du fol. 26936. Aucun de ces traits ne saurait s’expliquer par un changement ou une reprise de plume.

  • 37 Il n’est pas le copiste A1 de F. Cigni : A1 est très proche de A, peut-être identifiable à lui, et (...)

28L’écriture des fol. 269 sq. est celle qui ressemble fort au travail du copiste A, « Oddo », tel qu’il s’observe dans la première section. Il faut attribuer l’autre à un troisième copiste (C)37.

  • 38 Mais, bien qu’il l’emploie beaucoup moins, le copiste de la Folie Lancelot connaît aussi cet usage (...)

29Après avoir reconnu un changement de main au commencement de la Queste 12599, on en perçoit un autre au cahier suivant : lorsque le texte passe au fol. 277 et au cahier XXXIX, on retrouve subitement une partie des caractéristiques de l’écriture des fol. 221-268. Certes, le dessin est différent pour certaines majuscules (le E, quoique variable, est moins élancé et bien plus arrondi), le copiste des fol. 277 sq. a l’habitude de tracer le I majuscule dans une position plus basse que les autres lettres (dans Il, le I part de plus bas que le l et arrive sous la ligne d’écriture38), la carrure de l’écriture peut paraître légèrement plus tassée. Pourtant, les traits communs avec les fol. 221-268 s’accusent au fil des pages, et les derniers feuillets de la Queste sont semblables à ceux de la Folie Lancelot.

  • 39 Son écriture se reconnaît tout au long des deux fragments qui lui sont attribués : très horizontal (...)

30C’est ce copiste C, que l’on ne saurait confondre avec le copiste B39 des sections 2 et 4, qui prend en charge le reste de la Queste 12599, si ce n’est que le dernier feuillet subit un traitement particulier. En effet, alors que le recto est indubitablement écrit de la même main que la Folie Lancelot, l’écriture reprend au verso les traits des fol. 269-277 (voir le g droit, le d, le trait typique du v ; comparer le G majuscule, le S…).

31Mais au milieu du verso, le changement de paragraphe ramène la main semblable à celle de la Folie Lancelot. Or cette demi-colonne expédie sans ménagement l’aventure en cours de Galaad, avant que le manuscrit ne revienne au texte du Tristan dans la 4e section. On ne peut sans imprudence prétendre expliquer en détail cette brusque alternance de copistes, la facture négligée de la fin du récit. Elles laissent du moins penser qu’il a fallu précipiter la fin du chapitre dévolu à Galaad. Dans quel but ? La formule d’entrelacement qui, sous les illustrations, clôt la colonne d, donne une réponse : adapter la fin du texte de la Queste 12599 à la fin du cahier, afin de procéder à la transition avec le Tristan.

32Si cette hypothèse est exacte, elle aboutit à une conclusion notable : cela signifie que la Queste 12599 a été recopiée alors que les cahiers suivants du manuscrit préexistaient à cette opération, point qui permet de comprendre d’une nouvelle façon la composition du recueil.

  • 40 « [268c] Quant ele a dite ceste parole, elle s’en ist fors del paveillon sanz prendre congié a cel (...)
  • 41 Il semble envisageable que la colonne d, restée entièrement vierge, ait été prévue pour recevoir u (...)

33La configuration de ce fol. 320 (changement de copiste au verso, puis de nouveau en milieu de colonne, miniatures qui occupent la colonne d, formule ajoutée en bas) constitue un expédient assez grossier pour assurer la cohésion de surface des sections 3 et 4. L’affirmation n’est pas gratuite : on a recouru au même stratagème en d’autres endroits du manuscrit. C’est le cas en effet à la fin de la Folie Lancelot. Au fol. 268c, alors que l’on raconte la fin d’une aventure d’Érec, le ms. BnF, fr. 12599 quitte subitement le modèle dont rend compte de son côté le ms. BnF, fr. 112, pour introduire, de façon tout à fait adventice et assez peu recherchée, l’annonce du tournoi qui ouvre le texte de la Queste 12599 (Érec ne prend aucune part à ce tournoi de Camelot et n’apparaît même pas dans la Queste 12599). Le comble est qu’au moment précis où le texte abandonne son modèle, une brève lacune, quelques mots oubliés sans doute, signale le procédé40. On peut ajouter que l’inachèvement de la colonne témoigne peut-être du même problème de calibrage qu’au fol. 320 : de même que, dans ce dernier cas, on a dû raccourcir sans beaucoup de précaution, de même, dans le cas du fol. 268, on n’a pas pu délayer suffisamment41.

34La présence de tels dispositifs engage à examiner de plus près les charnières du manuscrit, où sont articulées des unités textuelles ou codicologiques distinctes. Le cahier XV, par exemple, celui qui constitue une sorte d’anthologie amoureuse et clôt la première section du manuscrit en scindant le matériau arthurien, n’est pas transcrit par la même main que les fol. 1-100, contrairement à ce que l’on a écrit jusque-là. Nous retrouvons en effet l’écriture du copiste C, celui de la Folie Lancelot et de la plus grande partie du texte de la Queste.

  • 42 Outre le dessin des majuscules, on note, entre autres traits, le g en huit, qui redevient g droit (...)
  • 43 Élargissement de ses v initiaux déjà longs, aération des lignes, allongement de certaines barres h (...)
  • 44 Le recto du feuillet est assez érodé et jauni, comme s’il s’était trouvé longtemps exposé à l’air (...)
  • 45 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 47.

35De même, il convient de se pencher de près sur la reprise du Tristan après ce cahier XV. On note que l’écriture du copiste B, si typique, ne se reconnaît pas d’emblée au fol. 107. En réalité, trois écritures se succèdent au cours de ce qui apparaît comme un travail de fauxmonnayeur : l’une analogue à celle du copiste C aux fol. 107-10842, puis une écriture analogue à celle du copiste A pour le seul fol. 10943 – seul un examen très attentif permet sa réattribution, car le copiste s’est manifestement efforcé de faire ressembler son écriture à celle des feuillets qui suivent, et ce notamment au verso du fol. 109, soit la même double page que le fol. 110. Après quoi seulement s’installe l’écriture qui transcrit le reste de la section 2 et la totalité de la section 4. Or le fol. 110 commence un nouveau cahier (XVII)44, alors que le cahier XVI est totalement atypique, composé de trois feuillets (fol. 107-109)45. L’explication qui vient naturellement est que le cahier XVI constitue un raccord élaboré par les copistes A et C pour joindre le texte des feuillets précédents à celui du Tristan tel qu’il commence au fol. 110. Comme dans les cas précédents, ce raccord laisse des traces : si ses auteurs ont bien adopté une mise en page à 42 lignes d’écriture (contrairement aux 50 lignes des feuillets qui précèdent), en revanche la réglure est toujours bien visible sur tous les feuillets de la section 2, sauf précisément les 107-109, où l’on ne peut plus percevoir son tracé, indice d’une confection différente et probablement pas simultanée.

Découpage et collage

36Quelles conclusions retirer de ces observations ? La première est qu’il faut revoir légèrement la délimitation des unités codicologiques qui sous-tendent les descriptions du manuscrit élaborées jusqu’à présent : il y a quelques ajustements à opérer, quelques divisions à retracer et quelques raccords à signaler.

37La seconde, c’est que l’on peut proposer un scénario de la conception du manuscrit un peu différent de ceux qui ont été avancés par les précédentes descriptions. Il est manifeste que les copistes A et C ont travaillé en collaboration étroite, ce que prouvent l’alternance de leur rôle au sein de la Queste 12599 et surtout les changements de main rapprochés qui s’opèrent aux fol. 99-109 (surtout 107-109) et 320 du manuscrit. En revanche, il n’y a aucune trace d’interaction entre eux et le copiste B.

38Transcrites par deux copistes différents, les sections 1 et 3 sont également composites du point de vue textuel (Guiron, Tristan, anthologie fragmentaire d’une part ; Folie Lancelot et Queste de l’autre) et originales dans leur contenu (épisode particulier de Guiron au début, bilinguisme rarissime, épisodes particuliers ou rares du Tristan, fragments arthuriens inconnus, Folie Lancelot à un seul autre témoin, Queste particulière). Ajoutons que les incohérences du manuscrit, en ce qui concerne l’ordre des épisodes ou leurs contradictions (récit relatif à Perceval, double Pentecôte du Graal, désordres chronologiques…), impliquent toujours des passages recopiés par les copistes AC contre des passages recopiés par le copiste B.

  • 46 Le « Tristan en prose », p. 66.
  • 47 Dans l’édition de V.I., t. 3, éd. J.-P. Ponceau, Paris, Champion, 2000, p. 9, et dans l’édition de (...)
  • 48 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 53 (« ecco vanificato l’avvertimento che avvamo trovati giusto alla (...)

39À côté, les sections 2 et 4, pour leur part, sont de la même main (à partir du fol. 110) et donnent tout du long le Tristan. Elles constituent un document plus banal, et il semble évident qu’elles ne relèvent pas du même projet éditorial. Il faut d’ailleurs corriger le propos tenu par E. Baumgartner sur la version du Tristan donnée par cet ensemble : il n’a pas même la particularité de passer de V. II. à V. I. d’une section à l’autre, en ce sens qu’il ne donne pas « du début jusqu’au f. 500 le texte des manuscrits de V. I46. » : le récit de l’arrivée des amants en Logres est tout à fait conforme au texte abrégé de V. II., et c’est ainsi que l’ont classé les éditeurs de cette partie du texte47. De même, Fabrizio Cigni mentionne à tort l’apparente contradiction entre le refus de raconter le voyage des amants vers Logres à la fin de la section 2 et le contenu du début de la section 4 : ce dernier est bel et bien la version drastiquement abrégée que l’on trouve dans les manuscrits de V. II. et qui justifie l’avertissement du narrateur48. Il y a donc une parfaite continuité non seulement de contenu, mais aussi de version entre la fin de la section 2 et le début de la section 4.

  • 49 Baumgartner, Le « Tristan en prose », p. 66 : « Le fragment 4 est donc, en dépit de l’indication q (...)
  • 50 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 59, parle d’« inserimento » des sections 2 et 4, mais cela semble ê (...)

40On peut aller plus loin. La section 2 (à partir du fol. 110) est en tous points semblable à la section 4 (copiste, mise en page, etc.) ; diverses raisons exposées ci-dessus permettent de croire qu’à la transcription de la section 3 et de la section 1 (et, partant, de la section 5 également) préexistaient les sections 2 et 4. Il faut considérer une proposition que ne font que suggérer, semble-t-il, Emmanuèle Baumgartner49 et Fabrizio Cigni50 : les sections 2 et 4 étaient à l’origine un unique document, distinct du ms. BnF, fr. 12599, un manuscrit incomplet du Tristan qui a été tranché en deux afin de servir de matériau de base à la compilation mise en œuvre par les copistes A et C.

  • 51 Ibid., la n. 78.

41Fabrizio Cigni souligne le caractère générique des formules d’entrelacement identiques employées à la fin des sections 2 et 3, signe de la collaboration de copistes qui savaient « ben poco del contenuto del testo affidato a un’altro51 ». Mais l’identité de ces deux formules s’explique ici autrement : le manuscrit du Tristan a été scindé à un endroit opportun, à un endroit où l’on pouvait procéder facilement à une suture, en prenant soin de procéder à une suture équivalente à la fin de l’insertion. La continuité des sections 2 et 4 n’est pas que d’ordre narratif, elle est exacte au mot près ; mettons bout à bout les fol. 221v et 321r, et il semble clair que la formule du premier introduisait originellement au second. Nous retrouvons la forme originale du manuscrit fragmentaire utilisé par les compilateurs, et nous joignons deux fragments, mais aussi deux morceaux de phrase complémentaires, écrits de la même main :

Tant fist puis par fin estovoir qu’il issi de cele prison et prist le roi March son oncle et l’emprisona, et puis s’en vint ou reaume de Logres molt envoisement, entre lui et madame Yselt. Et qui cest conte voldra veoir apertement, si prende le livre de monseignor T. que l’en apele le grant hestoire […] Et tout fust il ensint sanz doute que je vous pramis ça arriere en mon livre a conter vos en quel maniere Perchevaux de Gales vint a cort, si ne le vos ai je pas conté, ainz le vos ai laissié a conter, por ce que messire Robert de Borron le devise en son livre, mes je vos tornerai a autre chose qui apartient a cestui livre meimes, que je ne vos porroie mie laissier par raison sanz ma matere corrompre. / En ceste partie dist li contes que (section 2, fin)
[Quant Gaheriez vit… (section 3, début) […] Mes atant leisse ore li contes a parler de Galaaz, et retorne a parler de monseingnor Tristans por conter partie de ses aventure. (sic) / En ceste partie dist li contes que (section 3, fin)] quant T fu venuz de Cornaille ou reame de Logrez, si com il en menoit avec lui madame Yselt et il ot trové Lanceloth dou Lac, et en cela venue… (section 4, début)

42En recopiant la même formule en bas du verso du fol. 320, les copistes A et C (c’est ce dernier qui écrit la formule, en l’occurrence) imitaient le fol. 221 et maquillaient leur insertion.

  • 52 Voici le texte de l’éd. Bogdanow : « “– Nous vouldrions tuit mieulx estre detrenché qu’il n’en mor (...)

43On trouvera un indice supplémentaire dans le début du fol. 222, reproduit ci-dessus : contrairement à la version que donne le ms. BnF, fr. 12599, les mots Quant Gaheriez, etc., n’étaient pas introduits, dans le texte qui a probablement servi de modèle, par une formule d’entrelacement52. En laissant la majuscule à Quant, le copiste C a trahi (une nouvelle fois) l’artifice de la continuité qu’il prétendait maintenir. On voit que le début de la section 4, en revanche, ne porte pas de majuscule.

  • 53 Pour mémoire : interruption des aventures du Chevalier à la Cotte Mal Taillée (fol. 100) pour reve (...)

44L’hypothèse selon laquelle les copistes A et C auraient retravaillé ensemble un manuscrit du Tristan déjà existant et auraient donc dû, pour assurer des jonctions d’une certaine fluidité, se soumettre à d’importantes contraintes matérielles liées à l’espace disponible dans les cahiers qu’ils rajoutaient, explique à notre avis au mieux la contrainte de finir la Queste au fol. 320v, la bizarrerie du texte du fol. 268v ainsi que les désordres remarquables des fol. 100-10953.

45Si l’on accepte l’ensemble des éléments présentés jusqu’ici, voici une synthèse de la situation.

  • 54 Les indications présentées en ce sens par Fabrizio Cigni (« Guiron, Tristan », à la fin de l’artic (...)
  • 55 Peut-être mal placé (erreur de reliure, comme le suggère l’analyse de Löseth, p. 61, n. 1 ?) mais (...)

46Un manuscrit incomplet du Tristan, sans décoration et sans lettrines, consistant en les actuels fol. 110-221, puis 321-500, plus au moins quelques feuillets perdus, tombe dans les mains d’une équipe comprenant au moins les copistes A (Oddo ?) et C (et les éventuels A1 et A254), peut-être dirigée par Oddo. On décide de le recycler et non seulement de le compléter, mais de l’étoffer : on recopie une partie du début du Tristan (celle qui demeure à partir du cahier VII), précédé d’une sorte d’introduction guironienne ; on tâche de ménager un raccord entre ce début et le texte à rejoindre en recopiant le début du chapitre manquant (fol. 107-109), en adoptant soudain la même mise en page (42 lignes par colonne) et en adaptant jusqu’à l’écriture, après une bifurcation brutale (fin des aventures de Brunor, fol. 100d) et un étrange cahier « lyrique » (fol. 101-106)55. Au point où est évoqué le rôle de Perceval dans la libération de Tristan, et où les copistes savaient peut-être que manquaient des épisodes qui parlaient de Perceval et de ses frères, on a inséré le texte de la Folie Lancelot, qui ressemble tant à une partie du Tristan. On a fait suivre cette partie, pour des raisons plus difficiles à déterminer, par la quête du Graal spécifique des fol. 269-320. Et la section 5, quant à elle, est clairement un ajout destiné à achever le Tristan incomplet dans le document de départ (42 lignes, comme les sections 2 et 4, et non 50, comme les deux autres sections où intervient le même copiste).

47Par rapport à la description habituellement admise, depuis Fanni Bogdanow jusqu’à Claudio Lagomarsini, on enregistre donc les modifications suivantes : a) le copiste principal du Tristan n’a pas travaillé avec les autres ; b) son texte préexistait à la copie des trois autres sections ; c) au moins deux mains ont collaboré pour réaliser ces dernières ; d) il faut revoir le découpage entre unités codicologiques entre la section 1 et la section 2, et considérer les fol. 107-109 comme faisant partie de la première ; e) la Queste 12599 constitue à certains égards une unité codicologique, séparée qu’elle est de ce qui suit et précède par des changements de main, la constitution des cahiers, l’initiation d’une série de lettrines, la présence à ses extrémités d’une illustration et d’un blanc (peut-être destiné à recevoir, lui aussi, une illustration).

48La composition du manuscrit paraîtrait à présent plus exacte si elle était présentée comme suit :

Section 1, fol. 1-100 : Guiron, Tristan, copiste A.
Section 1bis, fol. 101-106 : anthologie amoureuse, copiste C.
Section 1ter, fol. 107-109 : Tristan, début de l’épisode du Perron Merlin, raccordé en amont à la fin de la section 1 et en aval au début de la section 2 ; copistes C et A. Préparé pour ressembler
matériellement à la section 2.

Section 2, fol. 110-221 : Tristan, copiste B.

Section 3, fol. 222-268 : Folie Lancelot, copiste C. Section 3bis,
fol. 269-320 : Queste 12599, copistes A puis C, puis A et C au verso
du dernier feuillet.

Section 4, fol. 321-500 : Tristan, copiste B, suite immédiate de la section 2 : les deux sections étaient un même manuscrit du Tristan avant le travail des copistes A et C.

Section 5, fol. 500-501 : Tristan, copiste A, fragment ajouté pour
clore le Tristan incomplet et ainsi le manuscrit.

49On trouvera en annexe un tableau récapitulatif plus exhaustif.

Lieu et date de composition du manuscrit

  • 56 Lagomarsini, Les Aventures des Bruns, p. 76 ; sur ce phénomène, voir F. Cigni, « Copisti prigionie (...)

50Nous conclurons par quelques remarques nouvelles sur les indices de datation du manuscrit. Le texte du ms. BnF, fr. 12599 présente un passage du Guiron traduit en pisan. Est-il l’œuvre d’un de ces « copistes prisonniers » originaires de Pise et retenus à Gênes après la bataille de la Meloria en 128456 ? Il est difficile de s’avancer sur ce point. Mais les parties les plus originales du document donnent des indices précieux sur son élaboration. En effet, le texte de la Queste 12599 fait allusion parfois très précisément aux Prophéties de Merlin.

  • 57 Pour faciliter la consultation, nous donnons aussi les références de l’édition en cours de publica (...)
  • 58 Les Prophesies de Merlin, éd. A. Berthelot, Cologny/Genève, Fondation Martin Bodmer, 1992.
  • 59 Ce rapprochement a été effectué également par Arioli, Ségurant, p. 9.
  • 60 « Endementriers […] avint que uns chevaliers vint devant le Haut Prince et dist : “Sire, uns cheva (...)

51Brehus sans Pitié est lié à Morgue et à Sibile (fol. 270d, éd. § 12)57 ; c’est un souvenir des Prophéties (voir le texte donné par Anne Berthelot, p. 277)58. Il a été désarçonné par Alixandre l’Orphelin (fol. 270b, éd. § 8 ; voir éd. Berthelot, p. 282)59. Les chevaliers du tournoi de Camelot fuient devant Lancelot, ce qui, comme la poursuite du combat par Palamède (fol. 273c, éd. § 28), rappelle ou prolonge un moment du tournoi de Sorelois développé par les Prophéties (voir éd. Berthelot, p. 186). Palamède mentionne une blessure que lui a infligée autrefois Karados (fol. 274d, éd. § 35 ; voir éd. Berthelot, p. 264). Saphar apparaît et contrecarre l’action de Brehus (fol. 276b, éd. § 41), évoquant la succession des deux personnages dans un passage des Prophéties (voir éd. Berthelot, p. 282-283). Des plaisanteries de Dinadan adressées à Ségurant le Brun (fol. 281b, éd. § 65) et à un moine avec qui il dîne (fol. 283a, éd. § 74), moqués pour leur appétit et assimilés à des loups, démarquent celles qu’il adresse à Galehaut lors du tournoi de Sorelois (voir éd. Berthelot, p. 198). Quand Dinadan renvoie sèchement Lancelot à ses déboires avec Claudas (fol. 283b, éd. § 76), il agit comme dans les Prophéties (voir éd. Berthelot, p. 198-199 et 202). En 270b sq. (§ 8 sq.), l’apparition d’un « Châtelain de Doivre », qui vit dans les environs de Vincestre, rappelle un personnage du tournoi de Sorelois (voir éd. Berthelot, p. 172)60. En outre, le copiste du ms. BnF, fr. 12599 recopie une forme Doivre (pour Dovre) qui semble le gêner (var. Coivre), et cette graphie le relie à la partie du ms. BnF, fr. 350 qui l’utilise également (voir au fol. 405a de ce dernier manuscrit).

52Il apparaît donc que le texte, postérieur aux Prophéties de Merlin, a été conçu dans un milieu peu éloigné de celui qui a vu circuler les Prophéties peu après leur écriture, et notamment un document de la même tradition que le ms. BnF, fr. 350.

53Pour ce qui concerne la date, les Prophéties de Merlin, situées avec certitude dans les années 1270, donnent donc un terminus a quo indiscutable sur la composition de la Queste 12599 et, partant, sur le travail réalisé par les copistes A et C. Le ms. BnF, fr. 12599 est unanimement daté du dernier quart du xiiie siècle, au plus tard un petit nombre d’années après 1300. Le rapport entre la Queste 12599 et les Prophéties de Merlin confirme cette date : en gardant à l’esprit que le manuscrit du Tristan qui constitue les sections 2 et 4, était antérieur à l’assemblage définitif, du moins le travail de copie et de réorganisation de l’équipe d’« Oddo » a-t-il nécessairement pris place dans le dernier quart du xiiie siècle, alors que les Prophéties de Merlin ont déjà commencé à circuler.

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Notes

1 E. Baumgartner, Le « Tristan en prose ». Essai d’interprétation d’un roman médiéval, Genève, Droz, 1975, p. 67.

2 C’est à ce titre qu’il a été étudié par P. Zanotti, « Frammento d’antica volgarizzamento di Girone il cortese », Il Poligrafo Veronese, Vérone, Antonelli, t. 2, avril, mai et décembre 1834 ; Fr. Palermo (éd.), Il Febusso et Breusso, Florence, 1847, p. xcvii-clxxxiii ; A. Limentani, Dal Roman de Palamedés al cantari di Febus-el-Forte : Testi francesi e italiani del Due e Trecento, Bologne, Commissione per i testi di lingua, 1962, p. cv-cvii, et R. Lathuillière, Guiron le Courtois. Étude de la tradition manuscrite et analyse critique, Genève, Droz, 1966, surtout p. 74-77 (description du manuscrit ; voir aussi § 242, p. 466-467 pour l’épisode de Ségurant le Brun comparable à celui du ms. BnF, fr. 12599 ; voir ci-dessous n. 7).

3 Voir F. Bogdanow (éd.), La Folie Lancelot. A hitherto unidentified portion of the Suite du Merlin contained in MSS B. N. fr. 112 and 12599, Tübingen, Niemeyer, 1965. Le ms. BnF, fr. 12599 est un des deux seuls, avec le ms. BnF, fr. 112, à conserver ce texte, dont par ailleurs une partie de la version du ms. BnF, fr. 757 du Tristan en prose (dite V.I.) est très proche : voir le récit des enfances de Perceval dans l’édition de ce dernier manuscrit, Le Roman de Tristan en prose (version du manuscrit fr. 757 de la Bibliothèque nationale de Paris), dir. Ph. Ménard, Paris, Champion, t. 2, éd. N. Laborderie et Th. Delcourt, 1999.

4 L’existence de textes « post-Vulgate », c’est-à-dire réécrivant des parties de la Vulgate du Lancelot-Graal, et donc de « génération » postérieure, ne fait pas de doute (La Suite du Roman de Merlin, éd. G. Roussineau, 2e édition, Genève, Droz, 2006 ; La Version Post-Vulgate de la Queste del Saint-Graal et de la Mort Artu, éd. F. Bogdanow, Paris, SATF, 5 vol., 1991-2000, voir notamment l’Avant-propos au t. 1, p. 1-26 sur les derniers témoins retrouvés). En revanche, que ces textes aient été le fruit d’un projet d’écriture global et aient constitué ou tenté de constituer un « cycle post-Vulgate » (voir La Version Post-Vulgate, éd. Bogdanow, l’Introduction, p. 29-59 pour un dernier état de la conception de ce « roman du Graal » selon l’éditrice) n’est pas unanimement admis. On ne présente donc pas comme certaine l’appartenance de la Folie Lancelot au « cycle post-Vulgate ».

5 E. Löseth, Le Roman en prose de Tristan, le roman de Palamède et la Compilation de Rusticien de Pise. Analyse critique d’après les manuscrits de Paris, Paris, École Pratique des Hautes Études, 1890, réimpr. Genève, Slatkine, 1974, aux § 291a (fin)-299a, p. 216-231. Une édition de ce texte a été préparée par nos soins ; sa publication est prévue aux éditions Honoré Champion, sous le titre de Queste 12599.

6 Voir Löseth, Analyse, p. 480, n. 1 de la p. 64. La note est cependant imprécise, et l’on se reportera de préférence à F. Cigni, « Guiron, Tristan e altri testi arturiani. Nuove osservazioni sulla composizione materiale del ms. Parigi, BnF, fr. 12599 », Studi Mediolatini e Volgari, 45, 1999, p. 31-69, voir aux p. 45-47.

7 Les avis divergent sur l’origine de cet extrait. Voir N. Koble, « Un nouveau Ségurant Le Brun en prose ? Le Manuscrit de Paris, Arsenal, MS 5229, un roman arthurien monté de toutes pièces », Le Romanesque aux xive et xve siècles, éd. D. Bohler, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, p. 69-94 ; E. Arioli, Ségurant ou le Chevalier au Dragon. Roman arthurien inédit ( xiiie-xve siècle), Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres (Histoire littéraire de la France no 45), 2016 (d’après une thèse de l’École nationale des Chartes soutenue en 2013), p. 30-31 ; Cl. Lagomarsini, « Le cas du compilateur compilé : une œuvre inconnue de Rusticien de Pise et la réception de Guiron le Courtois », Journal of the International Arthurian Society, 3, 2015, p. 55-71. Quoi qu’il en soit, le personnage de Ségurant, du lignage des Bruns, appartient prioritairement, si l’on peut dire, à l’intertexte guironien.

8 Des poèmes que l’on retrouve uniquement dans le ms. BnF, fr. 24400 ornent les statues mortuaires de Tristan et Yseut (fol. 511). Voir Löseth § 550, la n. 8.

9 R. Trachsler, Clôtures du cycle arthurien, Genève, Droz, 1996, p. 233.

10 Outre les contradictions, le texte du manuscrit recourt plus abondamment que les autres à l’autorité de Luce del Gast et à celle de Robert de Boron. On en trouvera un panorama dispersé dans l’analyse de Löseth et, à la suite de ce dernier, dans Baumgartner, Le « Tristan en prose », p. 91, n. 14 (les mentions ne sont pas exhaustives ; des renvois du ms. BnF, fr. 750 se retrouvent aussi dans le BnF, fr. 12599). Du reste, les p. 63-67 sont consacrées à la description critique du contenu du manuscrit.

11 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 40 et le renvoi n. 21 à Limentani, Dal Roman de Palamedés, p. ciii-civ.

12 Le Roman de Tristan en prose, éd. R. Curtis, t. 3, Cambridge, Brewer, 1985, p. xiv-xv et xli. Pour l’ensemble des spécificités du manuscrit dans la tradition manuscrite (en général partagées avec le ms. BnF, fr. 750), voir les p. xxx et xxxix-xliii, ainsi que dans le t. 2 de l’édition, Leiden, Brill, 1976, les p. 46-49 (pas de description des manuscrits dans cette édition).

13 Voir G. Paradisi et A. Punzi, « La tradizione del Tristan en prose in Italia e una nuova traduzione toscana », Actes du XXe Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, dir. G. Hilty, Tübingen, Francke, 1993, t. 5, p. 321-338 ; M.-J. Heijkant, La tradizione del ‘Tristan’ in prosa in Italia e proposte di studio sul « Tristano Riccardiano », Nijmegen, Katholieke Universiteit, 1989 ; D. Del Corno-Branca, Tristano e Lancillotto in Italia. Studi di Letteratura Arturiana, Ravenna, Longo, 1998.

14 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 39-40. Le passage rédigé en italien s’étend sur les fol. 17b-38d.

15 Voir F. Zinelli, « I codici francesi di Genova e Pisa : elementi per la definizione di una ‘scripta’ », Medioevo Romanzo, 39, 2015, p. 82-127. Dans l’éd. Bogdanow, l’étude de la langue du ms. BnF, fr. 12599 occupe les p. xxxviii-xlviii. Sur les difficultés d’appréhension et de définition du « phénomène franco-italien », voir M. Barbato, « Il franco-italiano : storia e teoria », Medioevo Romanzo, 39, 2015, p. 22-51.

16 Voir supra n. 6. Outre les contributions déjà mentionnées jusqu’à présent, il faut signaler des descriptions ou commentaires relatifs à ce manuscrit dans : Fr. Avril et M.-Th. Gousset, Manuscrits enluminés de la Bibliothèque Nationale de France, I, Manuscrits d’origine italienne, t. 2, xiiie siècle, Paris, Bibliothèque Nationale, 1984, p. 19-20 ; M. Longobardi, « Frammenti di codici in antiquo francese dalla Biblioteca Comunale di Imola », Mélanges Roncaglia, Modène, Mucchi, 1989, t. 2, p. 727-759, la p. 750 ; F. Cigni, « Manoscritti di prose cortesi compilati in Italia (sec. xiii-xiv) : stato della questione e prospettive di ricerca », La Filologia romanza e i codici, éd. S. Guida et F. Latella, Messine, Sicania, 1993, t. 2, p. 419-441, aux p. 431-434 et 438-439, et « Mappa redazionale del Guiron le Courtois in Italia », Modi e forme della fruizione della « materia arturiana » nell’Italia del sec. XIII-XV, Milan, Instituto lombardo di scienze e lettere, 2006, p. 85-117 (les p. 93 et 97 sq.) ; Il Tristano panciatichiano, éd. Gl. Allaire, Cambridge, Brewer, 2002, p. 20 ; N. Morato, Il ciclo di « Guiron le courtois ». Strutture e testi nella tradizione manoscritta, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2010, p. 12. La description du manuscrit fait l’objet d’une très efficace synthèse (malgré des inexactitudes sur son contenu) dans Cl. Lagomarsini, Les Aventures des Bruns. Compilazione guironiana del secolo XIII attribuibile a Rustichello da Pisa, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2014, p. 53-55 et 76-77 ; l’éditeur se heurte pourtant au problème de la délimitation et de la description de la Queste des fol. 269-320.

17 Le manuscrit est consultable dans une très bonne définition sur la bibliothèque numérique de la BnF, Gallica. Il y porte le titre malavisé (repris probablement de Paulin Paris) de « Dernière partie du roman de Tristan, attribuée à LUCE DU GAST et ÉLIE DE BORON », alors que le roman y est bien plus largement représenté. Ce titre devient, lorsque le fichier est récupéré, « Compilation arthurienne comprenant une traduction partielle en italien de Guiron le courtois [Français 12599] », titre que la disparition de la mention du Tristan rend au moins aussi mauvais.

18 § 172, p. 452, dans le texte de V.I. (Tristan 757, t. 5, éd. Chr. Ferlampin-Acher, Paris, Champion, 2007, où le récit finit au § 174), correspondant aux § 86 et 139 du texte de V.II. (t. 9, éd. L. Harf-Lancner, Genève, Droz, 1997, où le récit se termine au § 143). Il est raisonnable de penser que le manuscrit s’achevait peu après, comme le Tristan.

19 Voir A. Derolez, The Palaeography of Gothic Manuscript Books, From the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 102 sq.

20 Au nombre de 77 ; on en trouve la liste dans la description de Lathuillère, Guiron, p. 75, et dans Avril et Gousset, Manuscrits enluminés, p. 20.

21 Voir Avril et Gousset, ibid.

22 Ibid.

23 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 63-64. Voir aussi Cigni, « Manoscritti di prose cortesi », p. 434 : « Alla luce di quanto detto, sono molti gli elementi che autorizzano ad attribuire alla Toscana occidentale la scrittura di almeno tre parti di questo codice. » La décoration a été mise en rapport avec celle du ms. Escorial L.II.B par F. Zinelli, « Tradizione ‘mediterranea’ e tradizione italiana del Livre dou tresor », A scuola con Ser Brunetto, éd. I. Maffia Scariati, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2008, p. 35-92, voir la reproduction p. 89, et les p. 48-49. Le rapprochement des représentations du maistre, figuré dans ces deux manuscrits « a mezzo busto », « in atto di indicare il testo con l’indice della mano destra mentre stringono un libro nella sinistra », paraît évident.

24 En quelques endroits (ainsi aux fol. 46d-47b), certaines sont complétées à l’encre marron.

25 Encore ignorée de Lathuillère (Guiron, p. 75-77), cette configuration est mise en évidence par Bogdanow (La Folie Lancelot, p. l-li). Ces « sections » sont d’habitude appelées « fragments » dans la bibliographie.

26 Les fol. 63 et 71 portent au recto la mention « Oddo », peut-être précédée d’un m. Plusieurs voix s’accordent pour y deviner le nom du copiste qui était en charge de cette partie, à la notable exception d’Avril et Gousset. Le m en tout cas pourrait être l’abréviation de maistre ou magister (Cigni, « Guiron, Tristan », p. 60).

27 Le fol. 1 du manuscrit est très mutilé. La pièce qui en constitue le recto est presque complètement illisible ; en revanche, les deux pièces du verso se laissent déchiffrer. Voici, avec quelques approximations possibles, le texte lisible du fragment de la col. b, dont les lignes sont entières : « li conpaingnons as armes […] li IIII ( ?) chevalier, si s’en esi fors tot primiers Lyanor et Danainz li Ros et messire Lac et Li Bons Chevaliers Sens Peor et […] VI.M. homes a chevalz, si se fierent ens en la grant presse, si comencent li quatre conpaingons a faire d’armes trop durement, si donoient esenple de bien faire a tos lé chevaliers de lor partie. Ensint est arestés la » [fin du fragment]. Il s’agit donc d’un moment antérieur du tournoi raconté dans les feuillets suivants (Lyanor n’apparaît guère que dans ce tournoi dans l’ensemble des textes du Guiron, d’après l’Index de Lathuillère, Guiron, p. 567).

28 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 42-43.

29 La correspondance des deux héros, qui est reproduite aux fol. 101-103, ne figure pas dans le cours des aventures de Brunor dans la version qu’en donne le manuscrit. Quant aux déboires amoureux de Kahédin, ils font partie de la longue part du récit écartée par la narration à partir du fol. 100, entre les aventures de Brunor et l’épisode du Perron Merlin.

30 Cette partie du texte contient, dans la version qu’en donne ce manuscrit, de nombreuses allusions à Robert de Boron.

31 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 62.

32 On note la présence de la majuscule à Quant, point sur lequel il faudra revenir. Gaheriez désigne ici celui que l’on connaît d’habitude (et plus loin sur le même feuillet) sous le nom de Guerrehet.

33 Voir Le « Tristan en prose », p. 66.

34 Mais « lievemente più lunga la colonna nella parte 5, 17,3 cm » au lieu de 17,2 auparavant (Cigni, « Guiron, Tristan », p. 62, n. 79).

35 Le manuscrit a été numérisé en 2009 en haute définition, ce qui permet un important grossissement. Les écritures étant petites, il n’est pas étonnant que les différences de mains que nous allons exposer aient échappé aux critiques jusqu’ici.

36 Comme souvent, ces traits sont plus (le tracé du g) ou moins (le dessin des majuscules) systématiques ; un même copiste utilise des dessins de lettres différents parfois dans la même colonne (le copiste de la Folie Lancelot connaît aussi des v horizontaux et des d obliques).

37 Il n’est pas le copiste A1 de F. Cigni : A1 est très proche de A, peut-être identifiable à lui, et est considéré par F. Cigni comme le copiste de l’ensemble de la section 3.

38 Mais, bien qu’il l’emploie beaucoup moins, le copiste de la Folie Lancelot connaît aussi cet usage, par exemple au fol. 250d, première ligne.

39 Son écriture se reconnaît tout au long des deux fragments qui lui sont attribués : très horizontale, caractérisée par des espacements entre jambages, l’irrégularité de la justification à droite, la courbure systématique du jambage du d, la démesure de ses v initiaux ou en deuxième lettre de paragraphe, ainsi que les longs traits horizontaux dans les lettres de bout de ligne ; voir de bons spécimens au fol. 219a.

40 « [268c] Quant ele a dite ceste parole, elle s’en ist fors del paveillon sanz prendre congié a cels qui leienz estoient, ne unques ne volt remanoir por parole que l’en li die. Et quant ele les a si esloingniéz qu’il [lacune, et fin de l’accord avec BnF, fr. 112] si est il remés com tuz esbaïz. Misire Blioberis e Sagremor le Desreé et Boorz le reconfort et disoit que la Damoisele Laide estoit venue por lui gabber. Missire Blioberis voloit metre Erec en autre parlement et disoit que grant tornoiament devoit estre a Chamalot devant trois jors la Pentecoste, et disoit se il voloit venir au tornoiement, que il voloit chevauchier a la maitin. Erec li respont : “Par aventure poroit il avenir que je veroit, que ge ai a complir une mee besogne.” Tuit cel jornee tenoient parlement de Erec et de la Damoiselle Laide. Mes atant lesse ore li contes a parler de Erec et des chevaliers des paveillons et retorne a parler del roi Artus, si com il est venus a Chamalot. » Si ce court paragraphe a été spécialement écrit pour fluidifier la composition du manuscrit, alors il a très probablement pour auteur le copiste lui-même.

41 Il semble envisageable que la colonne d, restée entièrement vierge, ait été prévue pour recevoir une décoration analogue à celle du fol. 320 – ainsi peut-être que pour les autres colonnes restées blanches ?

42 Outre le dessin des majuscules, on note, entre autres traits, le g en huit, qui redevient g droit à partir du fol. 109.

43 Élargissement de ses v initiaux déjà longs, aération des lignes, allongement de certaines barres horizontales en fin de ligne (amort, col. c), abréviation de Tristan par.t. Mais les différences intimes de tracé distinguent sans peine les deux écritures une fois qu’elles ont été repérées : globalement, l’écrasement général du module et la rectitude des jambages à partir du fol. 110 ; dans le détail, la forme du h, du d, du g, du q, de la boucle du p, de la note tironienne… Le copiste C, aux fol. 107-108, avait peut-être, lui aussi, forcé un peu son style, en arrondissant et allongeant un peu ses v initiaux.

44 Le recto du feuillet est assez érodé et jauni, comme s’il s’était trouvé longtemps exposé à l’air et à la lumière.

45 Voir Cigni, « Guiron, Tristan », p. 47.

46 Le « Tristan en prose », p. 66.

47 Dans l’édition de V.I., t. 3, éd. J.-P. Ponceau, Paris, Champion, 2000, p. 9, et dans l’édition de V.II., t. 5, éd. D. Lalande et Th. Delcourt, Genève, Droz, 1992, p. 18 : le manuscrit appartient « plutôt à une “deuxième version” avec Queste courte, par opposition à la “deuxième version” normale avec Queste longue » ; voir p. 16-17 pour la distinction entre les mss BnF, fr. 12599 et BnF, fr. 757, et p. 19 pour le rattachement à ABCD (manuscrits dits de V.II.).

48 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 53 (« ecco vanificato l’avvertimento che avvamo trovati giusto alla fine della parte 2, f. 221 »). Cette précaution du narrateur, qui fait apparaître ici le nom de Robert de Boron, existe sous de multiples formes dans la tradition de V.II., voir les variantes de la version V.II. du Tristan, t. 4, éd. J.-Cl. Faucon, p. 384 et surtout Löseth § 282, p. 186-191 pour une vue d’ensemble.

49 Baumgartner, Le « Tristan en prose », p. 66 : « Le fragment 4 est donc, en dépit de l’indication qui clôt le fragment 3, la suite directe du fragment 2 qui est, rappelons-le, de la même écriture. […] Il suffit donc d’éliminer le fragment 3 et de rapprocher 2 et 4 pour retrouver un fragment d’un seul tenant, et relativement étendu, du Tristan en prose. » Mais elle considère que la formule finale du fol. 320 est de la main du « copiste du fragment 4 » (ibid.) : pour elle, les copistes A et B ont donc travaillé ensemble à recopier l’entièreté du manuscrit.

50 Cigni, « Guiron, Tristan », p. 59, parle d’« inserimento » des sections 2 et 4, mais cela semble être au sens narratif et non au sens matériel. Il évoque la « mancata corrispondenza tra fascicolazione e sezioni testuali » à propos des formules d’entrelacement de la fin des sections 2 et 3 mais, si je comprends bien son propos, paraît en faire une preuve du travail conjoint des copistes A et B (p. 62).

51 Ibid., la n. 78.

52 Voici le texte de l’éd. Bogdanow : « “– Nous vouldrions tuit mieulx estre detrenché qu’il n’en morust, car il nous a touz honnis, car autrement n’avrions nous ja mais joye”. Quant Guerrehees vit que la chose estoit a ce venue, etc. » (La Folie Lancelot, p. 6, l. 247-249 ; l’éditrice a mal placé le début du fol. 222). On voit là encore un signe que la formule du fol. 221 devait adresser au texte du fol. 321 et se prolonger par lui.

53 Pour mémoire : interruption des aventures du Chevalier à la Cotte Mal Taillée (fol. 100) pour revenir rapidement au Perron Merlin, qui est le texte à rejoindre ; double page laissée vierge aux fol. 106-107, car un trop grand espace était laissé disponible pour combler le début manquant du chapitre du Perron Merlin, ce qui a fait commencer au verso du fol. 107 ; jeux d’écriture, à tout le moins de mise en page, sur les fol. 107-109.

54 Les indications présentées en ce sens par Fabrizio Cigni (« Guiron, Tristan », à la fin de l’article) sont intéressantes. Cela dit, au sein même des premières dizaines de feuillets, certains dessins de lettres changent, certains traits varient quelque peu. La question ne sera pas tranchée ici. Pour ce qui nous concerne, il faut comprendre la mention du copiste A (et celle du copiste C, d’ailleurs), comme la désignation du « type d’écriture A » (et du « type C »), sans que l’on ose se déterminer avec une certitude totale sur le nombre de mains individuelles qui ont effectivement participé à la copie.

55 Peut-être mal placé (erreur de reliure, comme le suggère l’analyse de Löseth, p. 61, n. 1 ?) mais peut-être inséré là pour des raisons dramatiques – l’attente du combat formidable du Perron Merlin – et/ou pour résonner avec la discussion amoureuse des deux champions d’amour – « Me sire Tristan, que vos semble d’amors ? », dit Lancelot à l’issue du combat, fol. 109d.

56 Lagomarsini, Les Aventures des Bruns, p. 76 ; sur ce phénomène, voir F. Cigni, « Copisti prigionieri (Genova, fine sec. XIII) », Mélanges Valeria Bertolucci Pizzorusso, Pise, Pacini, 2006, t. 1, p. 425-439.

57 Pour faciliter la consultation, nous donnons aussi les références de l’édition en cours de publication.

58 Les Prophesies de Merlin, éd. A. Berthelot, Cologny/Genève, Fondation Martin Bodmer, 1992.

59 Ce rapprochement a été effectué également par Arioli, Ségurant, p. 9.

60 « Endementriers […] avint que uns chevaliers vint devant le Haut Prince et dist : “Sire, uns chevaliers sui de Wincestre ? Li quens de Douvre m’envoie a la court le roi Artu, et li mande certainement que li Saisnes en vienent a oust a Wincestre. […]” ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Damien de Carné, « Un nouveau regard sur la composition et l’organisation du manuscrit BnF, fr. 12599 »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 447-471.

Référence électronique

Damien de Carné, « Un nouveau regard sur la composition et l’organisation du manuscrit BnF, fr. 12599 »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16287 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16287

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Auteur

Damien de Carné

Université de Lorraine

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Droits d’auteur

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