L’imaginaire corporel du livre à la fin du Moyen Âge
Résumés
À la fin du Moyen Âge se développe un imaginaire non plus seulement végétal mais corporel du livre manuscrit. À partir de la complainte du livre personnifié à son auteur, écrite par Martin Le Franc à la suite de son Champion des Dames, cet article étudie les implications rhétoriques de cette évolution en rapport avec celle des pratiques d’écriture et de l’autographie, notamment en fonction des catégories de l’ethos et de l’actio.
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- 1 R. Chartier, Culture écrite et société. L’ordre des livres, xive -xviii e siècle, Paris, Albin Mi (...)
- 2 Nous renvoyons aux travaux d’Olivier Delsaux et Tania Van Hemelryck sur les pratiques et les repré (...)
1Ainsi que le souligne Roger Chartier, dès le xive siècle s’affirme « le lien entre une unité codicologique et une unité textuelle référée à la singularité de l’auteur1 ». Cette évolution s’inscrit dans le cadre d’une reconnaissance institutionnelle de l’auctoritas de l’écrivain en langue vernaculaire, et se traduit par un contrôle accru, chez les auteurs, de l’édition et de la diffusion de leurs œuvres. Guillaume de Machaut ou Christine de Pizan en sont des figures emblématiques bien connues, qui ont supervisé l’édition manuscrite de leurs œuvres – constitution des recueils, programme iconographique notamment. La pratique de l’autographie2, qu’elle soit entendue stricto sensu (le texte est partiellement ou intégralement écrit manu propria) ou largo sensu (le texte et la confection du manuscrit sont supervisés et validés par l’auteur) implique un rapport de participation corporelle du livre à l’écrivain, et favorise le développement d’un imaginaire corporel du livre qui tend, à la fin du Moyen Âge, à se substituer à un imaginaire jusqu’alors principalement végétal. Cette évolution dans l’ordre des représentations et des pratiques éditoriales est porteuse d’enjeux rhétoriques : la personnification du livre manifeste, sur la scène de l’énonciation du texte, en contexte curial, un intérêt accru pour les catégories rhétoriques de l’ethos et de l’actio. La Complainte du Livre du Champion des Dames, de Martin Le Franc, fournira quelques pistes et jalons pour une histoire du statut rhétorique de l’autographie, qui excède l’ambition de ces quelques pages.
Le livre personnifié : Martin le Franc et le Champion des Dames
- 3 Nous suivons l’édition, la seule à ce jour, établie par Gaston Paris (« Complainte du livre du Cha (...)
2Le « lien » consubstantiel entre le livre médiéval et son auteur, évoqué par Roger Chartier, est représenté d’une façon exemplaire par Martin Le Franc dans la fable allégorique qu’il joint en épilogue à la seconde rédaction de son Champion des Dames, connue sous le titre de la Complainte du livre du Champion des Dames a maistre Martin Le Franc son acteur3. Le Franc met en scène le retour auprès de lui de son livre, dénigré et délaissé à la cour de Bourgogne. Cette petite fiction, enchâssée dans le cadre traditionnel du songe allégorique, donne à voir le livre personnifié faisant irruption dans l’étude de l’écrivain et se présentant à lui dans un état lamentable de délabrement, feuillets froissés, déchirés, entaillés, reliure défaite :
(…) Quand mon dit livre la survint,
Crepy en feulletz plus de vingt,
De grifs et de couteaux navré,
Et en ma presence devint
De tous ses membres dessevré. (str. 4, v. 28-32)
- 4 Complainte du livre du Champion des Dames, str. 25, v. 199-200 : « Ne m’as-tu fait lettres porter (...)
3Le scénario imaginé par Le Franc n’est pas sans rappeler les paraboles évangéliques sans que nous sachions au juste si nous avons affaire à une réécriture de la parabole du fils prodigue (Lc, 15, 11-32) ou de celle des talents (Mt, 25, 14-30). Le livre se démembre et se délie (de tous ses membres dessevré) au moment même où la perte de son unité d’objet (il n’est plus qu’un tas de feuillets) est conjurée par la prosopopée et l’affirmation d’une voix du livre, qui revient accuser son auteur de l’avoir conduit dans un traquenard, tel David envoyant à la mort son émissaire Urie, mari de Bethsabée4. Martin, touché tout autant par l’état de son livre que par ses reproches indus, le reçoit dans ses bras dans un élan paternel où l’affection se mêle à la réprimande :
Plus longuement je n’atendy :
A mon livre se complaignant
Incontinent la main tendy
Comme par ung grant bienvegnant,
Et si lui dis, en l’estraignant,
Entre mes bras : « Ha ! mon filz tendre,
Qui les horyons va craignant
Il ne doibt la guerre entreprendre » (str. 8)
- 5 Complainte du livre du Champion des Dames, str. 56-58.
4Martin « la main tendy » : la fiction focalise le regard sur la main et le rapport de l’écrivain à son livre. Le dédicataire est convoqué seulement à la toute fin du texte sous la double figure de la duchesse de Bourgogne Isabelle du Portugal et du seigneur Jean de Créqui auprès desquels Martin recommande son œuvre et dont il espère le truchement à la cour5.
- 6 Sur cette question, on lira avec grand profit l’article éclairant de Fr. Gingras, « De branche en (...)
- 7 Le Livre du chevalier errant de Thomas de Saluces à la fin du xive siècle fait explicitement le li (...)
- 8 À vrai dire, il n’est pas au Moyen Âge d’arborescence structurante qui ne soit aussi principe géné (...)
- 9 « Polyphème et Prométhée. Deux voies de la “création” au xive siècle », Auctor & Auctoritas, Inven (...)
5La personnification du livre (avec l’indécision référentielle qu’elle comporte, objet-manuscrit ou métonymie du texte) participe clairement d’un imaginaire corporel du livre qui, à la fin du Moyen Âge, tend à se substituer à un imaginaire jusqu’alors essentiellement végétal. En effet, dans l’ordre de la fiction comme dans la théorie rhétorique, la notion et le terme même de branche métaphorisent aux xiie et xiiie siècles, et au-delà encore, un principe structurant de dispositio, que ce soit dans les arts poétiques (chez Geoffroy de Vinsauf, au sujet de l’ordo artificialis) ou dans les sommes narratives du Roman de Renart et des cycles et sommes arthuriens6, Lancelot-Graal, Continuations ou Perlesvaus. La fiction renardienne ou arthurienne s’organise, on le sait, en un réseau de récits secondaires, ou branches, rapportées et reliées à une même souche ou tronc narratif qu’elle subdivise et dont elle procède à la fois. Le geste du compilateur, comme le rappelle Francis Gingras, s’apparente à celui du jardinier qui taille, greffe, ordonne et organise les branches dans un souci d’équilibre et de cohérence. Deviser, dans l’acception du terme médiéval, c’est à la fois raconter et (sub)-diviser. Mais la branche suppose également un principe génératif ouvert qui fait de l’œuvre un organisme vivant, proliférant, métamorphique, offert au libre jeu de sa mouvance. La ramification est bivium, croisée des chemins qui ouvre aux héros arthuriens de nouvelles voies pour l’aventure, et au clerc un nouvel excursus7. L’imaginaire végétal du livre dit ainsi tout à la fois la subdivision structurelle du tout (la somme, le cycle) en ses parties (les branches narratives), et le principe organique d’engendrement de la fiction. La branche narrative dans la fiction médiévale tient tout autant du greffon et de la bouture que du surgeon, du prouvain, de la régulation artificielle que de l’efflorescence naturelle8. La figure de l’écrivain médiéval en langue vernaculaire existe dans cet entre-deux et s’affirme progressivement au xive siècle, comme l’a montré Jacqueline Cerquiglini, en offrant « en abîme, à travers des récits mythologiques qu’elle insère, des modèles de création » et de figure du poète facteur et sculpteur tel Prométhée ou Pygmalion9.
- 10 Ph. Maupeu, Pèlerins de vie humaine. Autobiographie et allégorie narrative, de Guillaume de Deguil (...)
6La seconde rédaction du Livre du Pelerin de Vie humaine, composée en 1355 par le cistercien Guillaume de Deguileville, cristallise dans le prologue les enjeux de ce changement de modèle10. L’écrivain dit avoir été dépossédé jadis (1330-1331) à son insu de son manuscrit de travail, de la première rédaction provisoire de son texte transcrite précipitamment au réveil. Ce premier état du texte (première rédaction éditée à la fin du xixe siècle par l’érudit J.-J. Stürzinger), insatisfaisant pour l’auteur, se serait rapidement diffusé à son insu. Deguileville englobe dans une même métaphore végétale à la fois l’état sauvage d’un premier texte mal dégrossi, semblable à une plante ou une vigne non taillée, et la diffusion anarchique des manuscrits comparables à des rejetons, « des prouvains » dont l’auteur n’a pu enrayer la prolifération :
7La taille renvoie métaphoriquement au travail de correction du texte, mais l’écrivain ne pourra jamais l’effectuer sur tous les « prouvains » (les manuscrits) de la première rédaction. Cette prolifération végétale doit être contenue par le livre personnifié, le Songe apostrophé par l’auteur :
Si que, Songe, tu t’en iras
Par tous les lieus ou esté as.
A tous tes prouvains t’envoie
Pour ce que y scés la voie :
De par moy les va tous taillier
Et mettre a point et adrecier. (v. 69-74)
8L’auteur donne congé à son texte-jardinier, personnifié et nommé, pour se diffuser et « pérégriner » à nouveau dans le monde, comme à un enfant naguère égaré qu’il convient de remettre sur la bonne voie. Deguileville conjure ainsi la croissance dérégulée du manuscrit-végétal en personnifiant son texte.
- 12 Socrate à Phèdre : « Tu avoueras du moins, je pense, qu’un discours doit être constitué comme un ê (...)
- 13 Pour reprendre les catégories de Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), dans Dits e (...)
9Cette concurrence des deux imaginaires, végétal et corporel, intervient à un moment charnière de l’histoire littéraire où commencent à se régler les rapports d’attribution, de possession, en somme d’autorité de l’écrivain en langue vernaculaire à son propre livre. La métaphore platonicienne du corpus orationis a certes été relayée par les traités de rhétorique latins lus au Moyen Âge, Rhétorique à Hérennius ou De oratore de Cicéron12. Mais c’est l’harmonie et l’équilibre du discours en ses parties que considérait Socrate, et à sa suite les rhéteurs et rhétoriciens antiques et médiévaux : affaire là encore de dispositio. L’enjeu de la personnification du texte-livre chez Deguileville ou Martin Le Franc est autre : elle concerne non pas (ou pas essentiellement) la structure interne du discours, son mode de composition, mais l’identité d’individu textuel, un et insécable, procédant de la voulenté (ou « intention ») de l’auteur. La personnification participe, à la fin du Moyen Âge, du mécanisme d’une fonction-auteur qui s’exerce non plus seulement selon un rapport d’attribution mais d’appropriation d’une œuvre par son auteur13. Contre l’excroissance organique d’un texte-végétal, proliférant de lecture en lecture, de manuscrit en manuscrit, s’affirme ainsi l’identité inaltérable d’un texte-corps, pourvu d’un nom et d’une identité individuelle propres. Au terme de cette évolution, dans une perspective cette fois-ci philologique, Clément Marot se posera comme premier éditeur scientifique de Villon en faisant le projet de restaurer dans son intégrité un texte consubstantiel à la personne de son auteur, défiguré et mutilé par les imprimeurs successifs. À l’éditeur-jardinier médiéval succèdera l’éditeur médecin :
- 14 Prologue des éditions de Villon chez Galiot du Pré (1533). Le texte et ses enjeux philologiques so (...)
Et si quelcun d’aventure veult dire que tout ne soit racoustré ainsi qu’il appartient, je luy respond des maintenant, que s’il estoit autant navré en sa personne, comme j’ay trouvé Villon blessé en ses œuvres, il n’y a si expert chirurgien qui le sceust penser sans apparence de cicatrice14.
- 15 Si, à l’instar de Martin Le Franc, l’écrivain médiéval continue de faire fond sur un imaginaire vé (...)
10Certes la personnification concerne le projet philologique de Marot, la condition de permanence identitaire du corps textuel à travers ses incarnations matérielles successives dans le livre imprimé, et ses implications ne sont pas les mêmes dans le régime éditorial de l’imprimé que dans celui du manuscrit. Il n’en reste pas moins que l’imaginaire corporel du texte s’impose progressivement à la fin du Moyen Âge, par le relais d’une conception elle-même corporelle du livre. Ce qui est en jeu n’est autre que la reconfiguration du rapport de l’écrivain à son propre texte, c’est-à-dire l’affirmation de son autorité. L’identité du texte-végétal, vitale et organique, germinative, pouvait accueillir et métaboliser dans son perpétuel devenir, sous formes d’excroissances, d’additions, de continuations, d’interpolations, de réécriture, toutes les opérations de greffe, de taille sans en être altérée ; au contraire, toute modification portée sur le texte-corps est mutilation, blessure, altération de son identité corporelle15.
- 16 Voir M. Jourde et al., « Va, mon livre : quelques jalons pour une histoire de la destination », No (...)
- 17 Horace, Épîtres, éd. et trad. Fr. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1934, p. 132.
- 18 Ibid., voir note 2.
11Le rapport de filiation paternelle entre l’auteur et son livre dans la fable de Le Franc (Ha ! mon filz tendre !, v. 62), fondé sur l’homonymie liber (livre) / liber (enfant), était déjà élaboré dans ces textes célèbres au Moyen Âge que sont l’épître I, 20 d’Horace et la première élégie des Tristes d’Ovide16. Horace et Ovide dramatisaient dans l’apostrophe rhétorique au livre le moment de sa publication. Au moment d’accorder congé à son œuvre et de lui laisser vivre sa vie sociale, l’écrivain horatien éprouve un sentiment ambivalent, entre désir d’œuvrer à sa propre gloire et crainte de voir entacher son renom. Rejeté, le Livre encourt le sort infamant de la vieille prostituée, mais il se voit également œuvrer à la renommée de l’écrivain dont il a vocation à proclamer les mérites (« ajoute ainsi à mes mérites tout ce que tu ôteras à ma naissance », Horace, I, 20, v. 22)17. Le Livre parle au nom de son auteur ; il lui est attaché, comme le souligne Michel Jourde, selon un lien de « consubstantialité » qui se manifeste par un jeu analogique entre corps et matérialité de l’objet (rouleau, codex) : le livre d’Horace s’avance dans le monde « poli par la pierre ponce » (v. 3)18, les Tristes portent dans sa chair de papyrus les larmes de l’écrivain en exil. Martin joue de même à l’envi sur la métaphore corporelle du manuscrit : les feuillets détachés et déchirés sont autant de blessures, les ais de la reliure sont comme des joes (v. 155), et se font aisselles (ais – eles) dans l’envol final (v. 465). Mais pour Horace, il n’était pour le Livre pas de retour possible : « Fuge quo descendere gestis ; non erit emisso reditus tibi » (« Enfuis-toi donc où tu brûles de descendre. Une fois échappé, plus de retour pour toi », v. 5-6). Si par cette adresse rhétorique Ovide et Horace revendiquaient leur autorité sur le texte, ils montraient également combien toute publication est dépossession : « un chacun n’est maître du sien », dira Villon. Le Franc prolonge donc en quelque sorte le topos antique par le retour du Livre auprès de son auteur, et met en scène ce qui restait latent chez Horace : « Qu’ai-je fait malheureux ? quelle idée m’a pris ? », diras-tu, « lorsque tu auras reçu quelque blessure » (« Quid miser egi ? quid volui ? » dices, ubi quid te laeserit, v. 6-7). Se trouve ainsi réaffirmé le geste d’appropriation personnelle du Livre par l’écrivain, et le souci d’en canaliser sinon d’en contrôler totalement la réception dans un contexte bien circonscrit, puisque le Livre est renvoyé sur les terres mêmes dont il a été tout d’abord congédié. La jetée du Livre enfant dans le grand monde (même si c’est bien entendu Auguste et Rome qu’Ovide entend toucher) s’inscrit en effet plus étroitement pour le Champion des dames dans une relation bilatérale entre l’écrivain et le mécène (disons la cour) bourguignon, relation interpersonnelle où le texte se publie sous la forme matérielle du manuscrit et dans l’acte ritualisé du don.
- 19 Geoffroy de Vinsauf, Poetria Nova, éd. E. Faral, Les arts poétiques du xiie et xiiie siècle. Rech (...)
- 20 Passages cités et commentés par J. Cerquiglini, « L’imaginaire du livre à la fin du Moyen Âge : pr (...)
- 21 « Que désormais les laïcs, qui regardent indifféremment un livre renversé comme s’il était ouvert (...)
12Les enjeux de l’inflexion du topos Fuge Liber ! apparaissent plus nettement encore lorsqu’on le confronte à d’autres traitements médiévaux de la personnification du livre. La proposopeia, répertoriée dans les Arts poétiques du xiiie siècle parmi les procédés d’amplification19, apparaît dans un célèbre passage du Philobiblion de Richard de Bury. Dans le chapitre iv de son traité (ca 1344-1345) l’évêque de Durham y donne la parole aux livres négligés par les clercs, abandonnés, couverts de poussière20. C’est toute la communauté des livres sacrés qui s’y exprime, dans un chapitre où se réaffirme la vocation d’acquisition, conservation et transmission du savoir au sein même de l’ordre clérical, dans une coupure radicale au mariage et à la famille laïques21. Le sort des livres abandonnés par ceux qui devraient être leurs fervents défenseurs se manifeste par un délabrement matériel qui se dit dans les termes d’une souffrance corporelle :
- 22 Philobiblion – L’amour des livres, p. 40-41.
Notre dos et nos côtés sont travaillés par la maladie ; atteints par la paralysie, nous gisons çà et là sans que personne ne nous procure quelques cataplasmes émollients. Cette blancheur native et éblouissante par sa lumière qui caractérisait notre nature, s’est changée en jaune ou en gris, au point que les médecins qui nous rencontrent ne doutent nullement que nous ne soyons atteints de la jaunisse. Plusieurs d’entre nous souffrent de la goutte, comme leurs extrémités recoquillées le laissent assez voir. La pluie, la fumée, la poussière dont nous sommes infectés continuellement, affaiblissent la vivacité du rayon visuel et procurent une ophtalmie à nos yeux déjà chassieux. Les violentes coliques de nos intestins épuisent nos entrailles, que les vers affamés ne cessent de ronger22.
- 23 Complainte du livre du Champion des Dames, v. 145-152 : « Tant a l’en fait qu’il m’a falu / Demour (...)
13Quoique les enjeux du texte de Le Franc diffèrent profondément de ceux de l’évêque de Durham, on note certaines similarités : topos du manuscrit délaissé couvert de poussière23, vigueur expressive de la prosopopée, qui la range aux côtés de la descriptio au service de l’evidentia et de l’enargeia.
- 24 Paris, Complainte du livre du Champion des Dames, p. 422 : l’auteur « a cru devoir enfermer cette (...)
- 25 « Se en a moi a ou mal ou bien, Tout vient de toi et moi rien » (Le Corps à l’âme, Le Pèlerinage d (...)
14À la différence de ses modèles romains et du Philobiblion qui « sent » intentionnellement l’exercice universitaire, Le Franc choisit de situer sa fable dans le cadre topique du songe. Si le choix de ce songe-cadre est conventionnel, il n’est nullement gratuit comme le prétendait son premier éditeur24, mais au contraire parfaitement signifiant et opératoire. Dans une tradition allégorique fermement établie, la formule liminaire « Advis m’estoit » (v. 17) désigne et actualise pour le lecteur un certain régime de fiction où les personnifications se voient évoluer de plain-pied avec le sujet onirique ou son délégué fictionnel (tel l’Amant du Roman de la Rose). Le songe allégorique est alors le lieu privilégié d’une persona dramatisée. Plusieurs instances discursives qui exercent leur juridiction sur le sujet s’affrontent en un bellum intestinum, qu’il prenne la forme du dialogue ou du combat psychomachique, projection fictionnelle d’un conflit interne dont le sujet est la fois le lieu, l’agent et l’enjeu. Le propre de la subjectivité allégorique, déployée dans le dispositif du songe, est la tension entre unité et fragmentation discursive, tension appelée à être résolue dans une décision herméneutique, toujours repoussée à l’horizon du texte dans sa réception (ou sa continuation) par le lecteur. La séparation du Livre et de l’auteur, le jugement et la condamnation du livre, le retour et l’accusation lancée a posteriori par le Livre à l’encontre de l’écrivain, le débat qui s’ensuit sur les responsabilités respectives de l’un et de l’autre dans la sentence rendue, l’accent mis dans ce débat sur l’intention et la volonté des deux protagonistes, toute cette configuration de traits situe la Complainte du Champion des Dames dans la tradition de l’altercatio animae et corporis fondée sur la conception paulinienne agonistique de l’âme et du corps, encore bien vivante chez Deguileville (Pèlerinage de vie humaine, Pèlerinage de l’âme) puis chez Villon (Débat du cœur et du corps). Bien entendu, il ne s’agit pas de faire du Livre un avatar laïque du corps qui reviendrait, dans un mouvement d’inversion paradoxale, accuser la volonté de l’auteur comme l’âme livrée aux tourments du Purgatoire le fait du corps enseveli (voir Pèlerinage de l’âme, v. 4043-435225). L’altercatio entre le Livre et l’Auteur ouvre plutôt un espace discursif où, derrière l’écart apparent entre l’écrit prétendument maladroit ou fautif et la bonne volonté qui a présidé à l’écriture, entre l’acte et l’intention, doit se lire en réalité la réaffirmation d’une intentio auctoris irréprochable, sommée de se défendre contre une intentio lectoris biaisée par le jugement tendancieux de l’envie et des médisants (Malebouche).
- 26 C’est l’hypothèse formulée par l’auteur pour expliquer le retour du livre dans un tel état : « Clo (...)
15À la différence des modèles horatien et ovidien, le livre n’est pas dans la fable de Martin Le Franc seule métonymie du texte : il désigne à l’évidence le texte en tant qu’il s’incarne dans le manuscrit. Le sens de l’apostrophe au Livre est modalisé par le contexte matériel dans lequel elle figure : le personnage du Livre, à la différence du liber d’Ovide et Horace, est personnification du manuscrit que le Prince a, rappelons-le, « touchié de sa main » (v. 130), bien que l’accès à la chambre de retrait lui ait été ensuite barré26. De fait, la forme-livre paraît elle aussi procéder de l’intention d’auteur : elle participe de l’unité discursive de l’œuvre et manifeste, entre autres décisions formelles, la position éthique de l’écrivain.
Forme-livre et ethos de l’auteur
- 27 Sur l’ethos, voir l’introduction à l’ouvrage récent Un territoire à géographie variable. La commun (...)
- 28 Le Livre à l’auteur : « Item, tu as esté à Basle ; Pour tant, comme a Basilien Condempné a la triq (...)
- 29 Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint », p. 336.
- 30 Voir P. Charron, L’iconographie du Champion des Dames de Martin Lefranc, Turnhout, Brepols (« Corp (...)
- 31 Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint », p. 338.
- 32 Charron, « Les réceptions du Champion des Dames », p. 19.
- 33 Charron, « Les réceptions du Champion des Dames », p. 14.
16Martin Le Franc évoque plusieurs raisons possibles de son échec auprès de la cour de Bourgogne, sans toutefois jamais en valider aucune : le défaut d’invention et d’elocutio, une convenentia mal réglée à son public et à sa matière, un ethos27 compromis dans la crise basilienne des années 144028, mais ces hypothèses, formulées dans le jeu de l’altercatio principalement par le Livre à l’encontre de son auteur, ne sont jamais véritablement validées (voir strophes 26-29). La seconde rédaction, comme l’a noté Helen Swift29, ne modifie pas en réalité substantiellement le contenu du texte : c’est principalement le contexte de sa réception qui a changé, tant sur un plan politique (la victoire du pape sur le Concile) que sur un plan personnel, l’Estrif de Fortune et Vertu (1447-1448) ayant entretemps valu à Martin un franc succès à la cour de Bourgogne. Mais si le texte en soi n’est corrigé qu’à la marge, il fait l’objet d’un programme iconographique nouveau, de grande ampleur, contenant soixante-six miniatures contre deux seulement pour le premier manuscrit30, et d’un apparat paratextuel de notes marginales fournies. « Les remaniements effectués dans la deuxième copie, en déduit Helen Swift, cherchaient à améliorer surtout l’aspect visuel du livre et sa maniabilité afin de lui donner de meilleures chances de réussir31 ». Ces additions participent peut-être plus fondamentalement, comme le suggère Pascale Charron, d’une inflexion romanesque de l’œuvre que soulignent notamment l’image et les notes marginales, particulièrement dans la partie I, la plus densément illustrée (19 miniatures)32. Cette mise en valeur par l’image de l’aspect romanesque du texte aurait en quelque sorte pour but de tempérer la charge polémique du traité dans un contexte bourguignon où « la forme littéraire restait le seul médium possible aux partisans de l’antipape » pour affirmer leurs thèses basiléennes et conciliaires33. De fait, Martin joue dans sa Complainte sur un transfert des attributs de son Champion, héros de la fiction, vers le livre lui-même parti affronter les médisants à la cour :
A vous armer et atourner
Devoit on mettre si grans coustz
Quant vous n’avez sceu assener
Ou endurer deux ou trois coups ? (str. 9)
Armé vous ay de fine armes, (…)
Espargnié n’ay corps ne chevance (str. 10)
- 34 Voir Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint », p. 334-335.
17Les grands frais engagés par l’écrivain pour « armer » son livre sont certainement à prendre à la fois au sens figuré du travail et de l’effort qu’il lui a coûtés, et au sens littéral de l’argent dépensé pour la confection du manuscrit : l’écrivain a payé de lui-même, de son corps et de sa chevance. Reliure, bouillons, fermoirs, seraient comme l’armure du livre personnifié. Armure jadis coûteuse déjà, mais plus précieuse encore, colorée et enluminée, lorsque Martin envoie son Champion affronter de nouveau neuf ans après le même public qui l’avait condamné34. Une fois le contexte de sa réception devenu plus favorable, le manuscrit du Champion des Dames revient à la cour de Bourgogne, drapé dans la livrée de son destinataire : image de dédicace, armoiries, miniatures, tout doit attester la dignité d’un livre qui n’est « mendyant ne coquin » (v. 281) :
Trompette n’es tu ne herault ;
Aussy t’a l’en au doit monstré,
Que souffisance de cuer hault
Doibs avoir, comme homme lettré ;
Se tu feusses au duc entré
Vestu d’ung povre mantelet
Ou sans avoir soler feutré,
Ou t’eust furny le platelet (str. 35, v. 273-280)
- 35 Pour la définition de la convenentia in re et in personis : Cicéron, Orator, éd. et trad. A. Lyon, (...)
- 36 Chroniques, t. XV, éd. Kervyn de Lettenhove, Osnabrück, Biblio Verlag, 1967, p. 167.
18Car la forme matérielle du texte est aussi affaire de convenentia in personis35 : elle doit être appropriée à la dignité de l’homme lettré comme du destinataire, en conformité avec les usages somptuaires de la cour. L’attention accordée par son récipiendaire au decorum du manuscrit était déjà patente lors de l’épisode fameux, rapporté dans ses Chroniques, de la réception de Froissart à la cour de Richard ii : le roi y est à l’évidence sensible à la belle apparence d’un livre « couvert de vermeil velours à dix clous, attachiés d’argent dorés et roses d’or ou milieu, à deux grans frumaus dorés et richement ouvrés ou milieu de roses d’or36 ».
19Martin Le Franc n’est pas le premier ni le seul au Moyen Âge à porter l’attention sur l’apparence matérielle de son manuscrit. John Lydgate, dans sa dédicace finale au duc de Gloucester de The Fall of Princes (traduction du Des cas des nobles hommes et femmes de Laurent de Premierfait, ca. 1438), propose une tout autre caractérisation éthique de son livre, à l’opposé de l’ethos flamboyant du manuscrit curial promu par Le Franc ou Froissart. Le manuscrit offert au duc se présente dans un dépouillement extrême, « voide of picture & enlumynyng », qui consonne à la rime avec la posture d’humilité de l’auteur agenouillé (knelyng on my kne) lors de la scène d’offrande :
With lettre & leuys go litil book trembling,
Pray to the Prince to have on the pite,
Voide of picture & enlumynying,
Which hast of Cicero no curious dite,
Nor of his gardyn no floures of beute ; (…)
20Le petit livre tremble (litil book shaking) comme la main (hand shaking) qui le présente au Prince, l’humilité du manuscrit manifeste celle de l’écrivain dans un rapport de participation corporelle. Se lit a contrario, dans cette pauvreté volontaire du livre sans enluminure, une critique de l’ethos du manuscrit curial.
- 38 Olivier Delsaux et Tania Van Hemelryck ne le mentionnent pas parmi les manuscrits autographes (Del (...)
- 39 Voir J. B. Williamson, « The Image of the Book in the Works of Philippe de Mézières », Romance Lan (...)
21Cette relation de consubstantialité entre corps du livre et corps de l’écrivain atteint chez Philippe de Mézières une intensité véritablement pathétique. Mézières, dans un manuscrit qui n’a à proprement parler rien de luxueux ni de délabré (Arsenal 225138), représente d’une manière particulièrement vive le rapport d’empathie qui le lie à son propre livre. Le registre dans lequel écrit Mézières est, il est vrai, très différent de celui de Martin Le Franc, puisqu’il s’agit de plaider une fois encore pour la fondation de l’Ordre de la chevalerie de la Passion de Jésus-Christ, voué à promouvoir la croisade et la libération du Saint-Sépulcre39. L’acteur, le « povre » et « vieil escripvain », raconte qu’il se retrouve transporté « en esperit » dans un palais de cristal, resplendissant, où trônent « iiii. nobles roynes, iiii. lumieres divines qui estoient descendues du père des lumieres & estoient filles reputees de dieu » (fol. 7v). Apparaît alors
(…) un ancien homme en simple habit tout courbe de vieillesse Lequel portoit en l’une de ses mains une potence pour lui apuyer et en l’autre main un livre en grant partie rongies de ras & d’espines dessirez Cestui viel homme de petite apparence et de povre existence avoit este messagier especial de la royne providence divine par l’espace de. xl.ans & plus en orient en occident en midi & en septentrion Et savoit faire sa relacion de sa dicte messagerie a sa maistresse la royne providence divine ainsi acompaingnie comme dit est dessus voire pour prendre congie de son dit office & soy excuser C’est assavoir pour la douleur qu’il avoit de ce qu’il n’avoit pas acompli tout ce qu’il vouloit & ce que chargie lui estoit pour sa vieillesce aussi & que le derrain quartier de sa vie a sa fin aprouchoit Cestui vaillant messagier par son droit nom estoit appellez ardent desir (fol. 9r)
22Ardent Désir est le nom allégorique que s’attribue Mézières dans le Songe du Vieil pelerin rédigé sept ans auparavant (1389). Le livre rongiés de ras & d’espines dessirez porte non seulement la parole missionnaire de son auteur depuis quarante ans, mais aussi les marques et stigmates de son expérience, ainsi qu’en témoigne Ardent Désir :
Mes excellentes dames Combien que la jonesse de vostre indigne messagier ardant desir a grant travail et perils sans nombre et du corps & et de l’ame une foiz triste l’autre foiz en joye une foiz conforte et cent fois desconforte l’une foiz honnoure et pluseurs foiz degabe aucunefoiz desrobe et aucunefoiz en mer naufrage souffrant et de mille tribulacions en corps & en esperit flagelle comme il appert assez mes dames par mon livre que je porte qui est tout descirez voire par l’espace de quarante ans et plus esquelzs quant a l’effect de la chevalerie pou a este fait et non pas sans melencolie (fol. 17v-18r ; nous soulignons)
- 40 Le livre est corps de l’expérience : « Liber scientiae scriptus est in codice, liber experientiae (...)
23Le livre se fait corps et mémoire de l’expérience, pour renverser la proposition célèbre d’Alain de Lille40. Mais il personnifie moins un manuscrit particulier, comme c’est le cas chez Martin Le Franc, qu’il ne métaphorise l’œuvre de toute une vie (quarante ans et plus) inlassablement consacrée à la promotion de la libération du Saint-Sépulcre, et dont les textes successifs forment une seule et même substance.
- 41 Selon Alain Marchandisse, le manuscrit de la British Library, de bonne facture, orné de trois mini (...)
- 42 L’iconographie chez Mézières n’est pas au diapason du débordement pathétique qui caractérise son é (...)
- 43 Georges Chastellain, Les expositions sur Verité mal prise. Le Dit de Verité, éd. J.-Cl. Delclos, P (...)
- 44 Je me permets de renvoyer à ma contribution à l’ouvrage dirigé par Christian Heck, « Escherpe d’Ou (...)
24Il y a chez Martin Le Franc comme chez Philippe de Mézières un écart entre le pathos qui affecte le livre personnifié et l’ethos porté par la forme-livre. La fable du retour du livre laisse percevoir chez Martin un jeu subtil de composition entre deux ethè. Le manuscrit luxueux, somptueusement illustré qui revient par l’entremise de Jean de Créqui au duc de Bourgogne n’a pas grand-chose à voir avec l’état lamentable de portefeuille démembré dans lequel il s’était auparavant présenté auprès de son auteur. Il porte mémoire auprès de ses lecteurs, à travers la fable de son délabrement, du geste de recomposition textuelle et matérielle opéré par l’auteur – entendons sous sa supervision. Martin conjugue l’ethos pathétique du livre souffrant, blessé dans sa lecture, dont le pathos violent se serait retourné contre lui, et l’ethos flamboyant, de cuer hault, du manuscrit somptueusement écrit et orné qui sied à l’écrivain de cour. Quant aux textes pathétiques et effusifs de Mézières, ils ne gouvernent pas pour autant un pathos du manuscrit – il n’est qu’à voir les manuscrits autographes du Songe du Vieil Pelerin (Arsenal 2682-3) ou de l’Epistre au roy Richart (Londres, BL, Royal 20 B VI)41. Le corps du manuscrit, s’il relève bien d’une rhétorique de l’actio, participe d’une canalisation éthique du pathos par l’usage convenable, conforme au decorum, qu’il y est fait de la graphie, de l’iconographie et de la mise en page42. Bien entendu, la polarité ethos/ pathos, est susceptible de variations d’équilibre selon les auteurs. Mais la petite fable de Martin Le Franc a valeur exemplaire pour caractériser la poétique du manuscrit au xve siècle en contexte curial : à la violence pathétique de la lecture, qui retourne contre le texte et l’auteur la violence polémique de ses propres effets (voir également le témoignage de Georges Chastellain dans Les expositions sur Verité mal prise43), le livre-manuscrit répond en manifestant un ethos du pathétique surmonté, tempéré par la convenentia de la forme-livre. Le decorum de la forme-livre ne neutralise pas le propos du texte, il le modalise : cela vaut tout autant pour le discours pathétique d’un Alain Chartier (que l’on pense au Quadriloge Invectif ou au Livre de l’Espérance) que pour le discours parénétique et édifiant (que l’on pense au portrait du narrateur en ermite dans le Séjour d’Honneur d’Octovien de Saint-Gelais), tels qu’ils apparaissent dans les manuscrits somptueusement enluminés du xve siècle44.
- 45 Voir N. Mann, Pétrarque, Arles/Paris, Actes Sud (« Babel »), 1989, p. 34-37.
- 46 Pétrarque, Sur sa propre ignorance et celle de beaucoup d’autres, trad. E. Wolf, Paris, Payot et R (...)
25Ce parcours trop rapide du statut éthique du manuscrit curial à la fin du Moyen Âge, qui mériterait plus ample recherche, serait à distinguer du statut qu’acquiert l’écrit autographe (stricto sensu) dans les pratiques et représentations humanistes. Cet imaginaire corporel du livre converge chez Pétrarque avec une pratique scripturaire effective, autographe, menée sur un registre épistolaire propre à l’humaniste, notamment depuis sa découverte de la correspondance de Cicéron en 134545. Le prologue du traité Sur sa propre ignorance et celle de beaucoup d’autres (De sua ipsius et multorum ignorantia)46, qui se présente comme une épître au grammairien Donato Albanzani, est à cet égard un texte important. Pétrarque adresse à son ami « un petit livre sur un sujet immense » et le recommande à ses soins en vertu précisément de son caractère autographe :
Ainsi ai-je orné une petite chose d’un beau voile, en appelant livre ce que j’aurais pu appeler lettre (quod epistulam possem dicere, librum dixi). Et tu ne lui attribueras pas moins de prix parce qu’il est farci de multiples corrections et ajouts (lituris et additionibus) qui partout remplissent les marges. Car, même si cela lui enlevait quelque beauté pour l’œil, pour le cœur cependant cela doit te sembler augmenter d’autant son attrait que tu comprends parfaitement par là combien je te suis attaché : je t’écris ainsi pour que tu considères ces ajouts et ces corrections comme autant de signes de mon attachement et de mon affection (signa familiaritatis ac dilectionis). En outre, tu ne saurais douter qu’est de moi un livre qui t’arrive écrit de ma main, que tu connais depuis longtemps (manu mea tibi olim notissima) et comme volontairement défiguré par tant de cicatrices (cicatribus). Il te rappellera que Suétone écrit à peu près ceci à propos de l’empereur Néron : « Il m’est tombé entre les mains des tablettes et des cahiers avec certains vers de lui, très connus, écrits de sa propre main, de sorte qu’il apparaissait qu’ils n’avaient pas été recopiés ou recueillis sous la dictée de quelqu’un, mais bien écrits par celui qui les concevait et les composait, tant il y avait de ratures, d’ajouts et de surcharges ». (p. 38-39)
- 47 Mann, Pétrarque, p. 36. Voir également l’introduction d’Ugo Dotti aux Lettres familières de Pétrar (...)
- 48 Roger Chartier écrit à propos de Pétrarque : « Produit d’une écriture autographe (et non pas copié (...)
26Biffures, additions, notes marginales sont autant de cicatrices volontaires infligées au corps du livre, consubstantiel à la main de l’auteur. Elles correspondent en effet au travail incessant de relecture et de correction auquel Pétrarque soumettait ses textes latins et italiens47. Mais l’autographie n’a pas seulement à voir avec le souci philologique de l’établissement du texte juste. Elle est investie par Pétrarque d’une fonction rhétorique de manifestation de l’ethos, l’écrit devant suppléer à la parole absente de l’auteur et la faire entendre48 :
Cependant tu liras ce livre de la même manière que tu as l’habitude de m’écouter quand, devant le feu, les soirs d’hiver, je bavarde en me laissant entraîner de ci de là par mon élan. (p. 37)
27Le paradigme épistolaire convoqué par Pétrarque à propos de ce « livre que j’aurais pu appeler lettre » définit l’ambition rhétorique du texte-livre, qui se donne à lire comme présence persistante de l’écrivain à travers son écrit.
- 49 Il va sans dire qu’il faudrait mettre ce témoignage de Pétrarque à l’épreuve du manuscrit autograp (...)
- 50 La scénographie, dans le sens que définit Dominique Maingueneau, est la situation de l’énonciation (...)
28Certes Pétrarque s’inscrit dans une économie éditoriale qui ne relève pas de la commande institutionnelle ou du patronage curial49. La relation scripturaire qu’il entretient avec son dédicataire est régulée par l’amicitia cicéronienne : elle n’est plus déterminée par le modèle dissymétrique de type vassalique, l’hommage qui assujettit l’écrivain à son dédicataire (comme le montrent les scènes d’offrande du manuscrit au seuil du livre) dans un milieu de cour parfois hostile (comme l’a montré la complainte du Livre de Le Franc). Le rapport de contiguïté et de participation du corps de l’auteur au corps du livre et du corps du livre au corps du lecteur paraît ici de fait particulièrement prégnant. L’autographie pratiquée et « imaginée » par Pétrarque déplace sur la scénographie50 de la communication privée ce qui relève de l’actio et du geste même de l’écriture, l’empreinte laissée par le corps de l’écrivain sur la peau du parchemin. Elle en appelle aussi à la présence du lecteur dans la sphère d’une amitié partagée, artistement et rhétoriquement construite.
- 51 Voir à ce sujet les travaux de G. Ouy, « Autographes calligraphiés et scriptoria d’humanistes en F (...)
- 52 Voir P. Zumthor, Le masque et la lumière. La poétique des grands rhétoriqueurs, Paris, Seuil (« Po (...)
29Si cette conception rhétorique de l’autographie est investie d’enjeux particuliers au cercle humaniste italien ou parisien autour de 1400 (Jean de Montreuil, Laurent de Premierfait, Nicolas de Clamanges51), elle manifeste indéniablement à la fin du Moyen Âge le rapport nouveau de participation qui noue le livre à son auteur. L’autographie, et plus largement la conception corporelle du texte-livre, accusent a contrario le jeu et la tension, patents dans les textes de Martin Le Franc et Philippe de Mézières, entre un ethos subjectif empreint d’affectivité et l’ethos institutionnel « objectif » qu’il se doit d’endosser, au sein de ce parfois cruel « jeu de la cour », écrivait Paul Zumthor52, qui impose à la forme-livre sa livrée.
Notes
1 R. Chartier, Culture écrite et société. L’ordre des livres, xive -xviii e siècle, Paris, Albin Michel, 1996, chapitre 2 « Figures de l’auteur », p. 70.
2 Nous renvoyons aux travaux d’Olivier Delsaux et Tania Van Hemelryck sur les pratiques et les représentations de l’autographie en lien avec le statut reconnu à l’écrivain à la fin du Moyen Âge (voir notamment O. Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes chez les écrivains de la fin du Moyen Âge. L’exemple de Christine de Pizan, Genève, Droz, 2013 ; O. Delsaux et T. Van Hemelryck, Les manuscrits autographes français au Moyen Âge. Guide de recherches, Turnhout, Brepols (« Texte, Codex & Contexte », XV), 2014). La clarification terminologique et la « typologie des manuscrits médiévaux contemporains de l’auteur » proposée par O. Delsaux dans son ouvrage (Manuscrits et pratiques autographes, p. 53-63) distingue les différentes étapes de l’élaboration, de la production et de la diffusion du manuscrit. Elle concerne avant tout l’approche génétique du texte et du manuscrit. Notre approche n’est pas génétique, mais rhétorique : elle s’intéresse au statut de l’autographie stricto sensu (la main, l’empreinte de l’auteur dans le manuscrit, qu’elle soit différentielle, localisée et discontinue – limitée par exemple aux rubriques ou corrections marginales – ou homogène et continue dans tout le manuscrit), et à ses effets rhétoriques dans ce que Delsaux nomme le « manuscrit de publication » (disons aussi manuscrit « publié »), c’est-à-dire le manuscrit contrôlé par l’auteur et validé par lui, qu’il soit « manuscrit de dédicace », « manuscrit d’envoi » ou « manuscrit de présentation » (p. 61).
3 Nous suivons l’édition, la seule à ce jour, établie par Gaston Paris (« Complainte du livre du Champion des Dames a maistre Martin Le Franc son acteur », Romania, 16, 1887, p. 383-437) à partir du manuscrit BnF fr 12476 (fol. 148r-150r), manuscrit de dédicace, le seul à avoir conservé le texte.
4 Complainte du livre du Champion des Dames, str. 25, v. 199-200 : « Ne m’as-tu fait lettres porter Comme David fist a Urye ? » (voir 2 Sa 11, 14-15 : « David écrivit une lettre à Joab et l’envoya par l’entremise d’Urie. Il avait écrit dans cette lettre : “Mettez Urie en première ligne, au plus fort de la bataille. Puis, vous reculerez derrière lui. Il sera atteint et mourra” »).
5 Complainte du livre du Champion des Dames, str. 56-58.
6 Sur cette question, on lira avec grand profit l’article éclairant de Fr. Gingras, « De branche en branche : aux racines des coupes romanesques », L’arbre au Moyen Âge, éd. V. Fasseur, D. James-Raoul et J.-R. Valette, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, 2010, p. 183-195. Sur la Poetria Nova de Geoffroy de Vinsauf, voir en particulier p. 183-186.
7 Le Livre du chevalier errant de Thomas de Saluces à la fin du xive siècle fait explicitement le lien entre principe structurel d’organisation du livre en branches et ramification des voies de l’aventure : voir en particulier la miniature du manuscrit BnF fr 12559, fol. 2v, et la tripartition des chemins qui fait écho aux trois branches du récit (consacrées à l’Amour, la fortune et la Connaissance) distinguées dans le prologue. Voir Fl. Bouchet, L’iconographie du Chevalier errant de Thomas de Saluces, Turnhout, Brepols (« Corpus du RILMA », 3), 2014, p. 27 et fig. 4, p. 115.
8 À vrai dire, il n’est pas au Moyen Âge d’arborescence structurante qui ne soit aussi principe génératif – que l’on pense aux Arbres des Vices et des Vertus, où la classification morale s’inscrit dans un principe dynamique de génération – superbia radix vitiorum. Voir C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Aubier (« Collection historique »), 2003, chapitre « Le septénaire des vices », p. 275-337.
9 « Polyphème et Prométhée. Deux voies de la “création” au xive siècle », Auctor & Auctoritas, Invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque international de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), éd. M. Zimmerman, Paris, École des Chartes, 2001, p. 401-410.
10 Ph. Maupeu, Pèlerins de vie humaine. Autobiographie et allégorie narrative, de Guillaume de Deguileville à Octovien de Saint-Gelais, Paris, Champion, 2009, p. 55-62.
11 Guillaume de Deguileville, Le Livre du pèlerin de vie humaine, éd. R. G. Edwards et Ph. Maupeu, Paris, Le Livre de Poche (« Lettres Gothiques »), 2015.
12 Socrate à Phèdre : « Tu avoueras du moins, je pense, qu’un discours doit être constitué comme un être vivant, avec un corps qui lui soit propre, une tête et des pieds, un milieu et des extrémités, toutes parties bien proportionnées entre elles et avec l’ensemble » (Phèdre, 264c, trad. E. Chambry, Paris, GF-Flammarion, 1992, p. 171). Les médiévaux ne connaissaient pas le Phèdre, mais la métaphore du corpus orationis, qui détermine le principe même de la dispositio, est explicitement utilisée dans la Rhétorique à Hérennius (IV, 58), l’Orator (126), le De Oratore (2, 325 ; 3, 46) ou bien entendu chez Horace dans l’Épitre aux Pisons (v. 1-9).
13 Pour reprendre les catégories de Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), dans Dits et Écrits, Paris, Gallimard (NRF, « Bibliothèque des sciences humaines »), 1994, t. I, p. 817-849. Rappelons que les lieux d’exercice de la fonction-auteur d’après Foucault sont : le nom d’auteur, le rapport d’appropriation et le rapport d’attribution (p. 817). Ajoutons que le nom d’auteur, au Moyen Âge, joue d’abord comme certification d’autorisation, donc selon un rapport d’« attribution ».
14 Prologue des éditions de Villon chez Galiot du Pré (1533). Le texte et ses enjeux philologiques sont commentés par J. Cerquiglini, « Clément Marot et la critique littéraire et textuelle : du bien renommé au mal imprimé Villon », Clément Marot, « prince des poëtes françois », 1496-1996. Actes du colloque international de Cahors en Quercy, 21-25 mai 1996, éd. G. Defaux et M. Simonin, Paris, Champion, 1997, p. 157-164 ; et P. Chiron, « L’édition des Œuvres de Villon annotée par Clément Marot, ou comment l’autorité vient au texte », Littératures Classiques, 64, 2008, p. 33-51. Sur cette perspective de restauration du texte, appliquée par les humanistes aux auteurs classiques, « abîmés dans une tradition manuscrite millénaire », voir F. Rico, Le Rêve de l’humanisme, de Pétrarque à Érasme, Les Belles Lettres, 2002, p. 40-42.
15 Si, à l’instar de Martin Le Franc, l’écrivain médiéval continue de faire fond sur un imaginaire végétal du livre, c’est désormais dans la perspective d’une postérité rêvée, le livre-plante portant fruits et germant du corps même de l’auteur défunt, dans une configuration qui n’est pas sans rappeler l’arbre de Jessé : « Or tire oultre : une fois les vers / De ceste paine t’osteront, / Car, moy mis en terre, les vers / Et les feulles te flouriront » (Complainte du livre du Champion des Dames, str. 43, v. 337-340 ; voir aussi str. 44, v. 345-348).
16 Voir M. Jourde et al., « Va, mon livre : quelques jalons pour une histoire de la destination », Nouvelle revue du Seizième Siècle, 21(1), 2003, p. 121-151.
17 Horace, Épîtres, éd. et trad. Fr. Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1934, p. 132.
18 Ibid., voir note 2.
19 Geoffroy de Vinsauf, Poetria Nova, éd. E. Faral, Les arts poétiques du xiie et xiiie siècle. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1982, p. 211, v. 461-526 (le premier exemple de prosopopée, le plus développé, est celui de la Croix.)
20 Passages cités et commentés par J. Cerquiglini, « L’imaginaire du livre à la fin du Moyen Âge : pratiques de lecture, théorie de l’écriture », French Issue, vol. 108, no 4, septembre 1993, p. 680-695.
21 « Que désormais les laïcs, qui regardent indifféremment un livre renversé comme s’il était ouvert devant eux dans son sens naturel, soient complètement indignes de tout commerce avec les livres », Richard de Bury, Philobiblion – L’amour des livres, trad. B. Vincent, Paris, Parangon, 2001, chapitre xvii, p. 112. Le livre est parfois supplanté chez le prêtre marié ou concubin par « cet animal bipède qu’on appelle la femme, avec laquelle le clerc ne doit point vivre, et que nos disciples ont appris de nous à fuir plus que l’aspic et le basilic » (ch. iv, p. 38).
22 Philobiblion – L’amour des livres, p. 40-41.
23 Complainte du livre du Champion des Dames, v. 145-152 : « Tant a l’en fait qu’il m’a falu / Demourer seulet en la mue, / De mousse & de pouldre velu / Comme ung viez aiz qu’on ne remue ; Ainsy se j’ay la colle esmue / Raison y a jusques ad ce, Car fol est qui ne se remue / Quant il n’est bien en une place ».
24 Paris, Complainte du livre du Champion des Dames, p. 422 : l’auteur « a cru devoir enfermer cette fiction dans le cadre, alors inévitable, du songe ».
25 « Se en a moi a ou mal ou bien, Tout vient de toi et moi rien » (Le Corps à l’âme, Le Pèlerinage de l’âme, éd. J.-J. Stürzinger, Londres, Roxburghe Club, 1895, v. 4209-4210). Voir sur ce thème l’étude fondamentale de T. Batiouchkof, « Le débat de l’âme et du corps », Romania, 20, 1891, p. 1-55 et 513-578, et F. Pomel, Les voies de l’au-delà et l’allégorie au Moyen Âge, Paris, Champion, 2001, p. 378-381.
26 C’est l’hypothèse formulée par l’auteur pour expliquer le retour du livre dans un tel état : « Cloez. Le prince a fait edit Qu’en sa chambre n’entre estrangier » (Complainte du livre du Champion des Dames, v. 109-110).
27 Sur l’ethos, voir l’introduction à l’ouvrage récent Un territoire à géographie variable. La communication littéraire au temps de Charles VI, éd. J.-Cl. Mühlethaler et D. Burghgraeve, Paris, Classiques Garnier, 2017. J.-Cl. Mühlethaler, D. Burghgraeve et C.-M. Schertz, en adaptant les travaux de Jérôme Meizoz sur les « Postures littéraires », proposent une définition de la posture « saisie dans ses rapports avec les notions d’ethos et de figure » : la posture relève de « l’ethos montré », « rôle figuratif, endossé par l’auteur inscrit, souvent construit à l’aide de figures de projection » (p. 23). L’ethos ne se réduit pas à la posture et aux figures assumées par l’auteur : le lecteur le construit par inférence, résultat de sa « démarche interprétative ». Chez Le Franc, la seconde rédaction du Champion des Dames et la Complainte qui la suit définissent a posteriori l’ethos troublé de la première, offrant à la sagacité du lecteur le « composé » éthique complexe d’un écrivain faisant retour sur lui-même.
28 Le Livre à l’auteur : « Item, tu as esté à Basle ; Pour tant, comme a Basilien Condempné a la triquebale (sic), On m’a rompu bas et lyen » (Complainte du livre du Champion des Dames, v. 229-232). Voir H. Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint. Une petite énigme à la cour de Philippe le Bon », L’Écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Emelryck et C. Van Hoorebeeck, Turnhout, Brepols, 2006, p. 329-342 (ici p. 333), et P. Charron, Le Maître du Champion des dames, Paris, CTHS-INHA (« L’art et l’essai »), 2004, chapitre iv. La thèse de l’Immaculée Conception défendue par Martin dans le Champion, contre la position des ducs de Bourgogne, constitue selon P. Charron une « fervente apologie du parti basiléen (et) la raison majeure du rejet du poème par la cour » (p. 60). Voir aussi de la même critique, « Les réceptions du Champion des Dames de Martin Le Franc à la cour de Bourgogne », Bulletin du bibliophile, 1, 2000, p. 9-31 (ici p. 13-14).
29 Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint », p. 336.
30 Voir P. Charron, L’iconographie du Champion des Dames de Martin Lefranc, Turnhout, Brepols (« Corpus du RILMA, 4 »), 2016.
31 Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint », p. 338.
32 Charron, « Les réceptions du Champion des Dames », p. 19.
33 Charron, « Les réceptions du Champion des Dames », p. 14.
34 Voir Swift, « Martin Le Franc et son livre qui se plaint », p. 334-335.
35 Pour la définition de la convenentia in re et in personis : Cicéron, Orator, éd. et trad. A. Lyon, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p. 26.
36 Chroniques, t. XV, éd. Kervyn de Lettenhove, Osnabrück, Biblio Verlag, 1967, p. 167.
37 Cité par E. Inglis, « A Book in the Hand : Some Late Medieval Accounts of Manuscripts Presentations », Journal of the Early Book Society, ed. Martha W. Driver, vol. 5, 2002, p. 61. Inglis ne dit pas si la forme-livre coïncide effectivement avec la représentation qu’en donne l’auteur.
38 Olivier Delsaux et Tania Van Hemelryck ne le mentionnent pas parmi les manuscrits autographes (Delsaux et Van Hemelryck, Les manuscrits autographes.). Nous citons le texte d’après ce manuscrit.
39 Voir J. B. Williamson, « The Image of the Book in the Works of Philippe de Mézières », Romance Languages Annual, 4, 1992, p. 175-183.
40 Le livre est corps de l’expérience : « Liber scientiae scriptus est in codice, liber experientiae scriptus est in corpore, liber conscientiae scriptus est in corde », Sermo in die cinerum, cité par M.-D. Chenu, L’éveil de la conscience dans la civilisation médiévale, Paris, Vrin, 1969, p. 43.
41 Selon Alain Marchandisse, le manuscrit de la British Library, de bonne facture, orné de trois miniatures, est bien le manuscrit de dédicace remis à Richard II (« Philippe de Mézières et son Epistre au roy Richart », Le Prince et son miroir. Littérature et politique sous les premiers Valois, Le Moyen Âge, 116, 2010(3-4), p. 605-623, ici p. 615).
42 L’iconographie chez Mézières n’est pas au diapason du débordement pathétique qui caractérise son écriture : elle s’inscrit dans une mesure, un modus qui n’a rien à voir avec l’effusion chromatique par exemple des dessins dévotionnels des bénédictines étudiés par Jeffrey H. Hamburger (Peindre au couvent, Paris, Gérard Montfort, 2000). Voir aussi G. Didi-Huberman, « Un sang d’image », L’image ouverte. Motifs de l’incarnation dans les arts visuels, Paris, Gallimard (« Le temps des images »), 2007, p. 155-193.
43 Georges Chastellain, Les expositions sur Verité mal prise. Le Dit de Verité, éd. J.-Cl. Delclos, Paris, Champion, 2005.
44 Je me permets de renvoyer à ma contribution à l’ouvrage dirigé par Christian Heck, « Escherpe d’Oultrecuidance et Bourdon de Folle acoutumance : l’iconographie du pèlerin dévoyé dans le Séjour d’Honneur d’Octovien de Saint-Gelais (vers 1494) », Thèmes religieux et thèmes profanes dans l’image médiévale : transferts, emprunts, oppositions, Turnhout, Brepols (« Études du RILMA », 4), 2013, p. 229-240.
45 Voir N. Mann, Pétrarque, Arles/Paris, Actes Sud (« Babel »), 1989, p. 34-37.
46 Pétrarque, Sur sa propre ignorance et celle de beaucoup d’autres, trad. E. Wolf, Paris, Payot et Rivages (« Poche / Petite bibliothèque »), 2012. Nous nous reportons au texte latin des Éditions Jérôme Million, Mon ignorance et celle de tant d’autres, trad. C. Carraud, Grenoble, Éditions Jérôme Million (« Atopia »), 2000, p. 46-48.
47 Mann, Pétrarque, p. 36. Voir également l’introduction d’Ugo Dotti aux Lettres familières de Pétrarque, livres I-III, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. xiv-xv.
48 Roger Chartier écrit à propos de Pétrarque : « Produit d’une écriture autographe (et non pas copié par un scribe), destiné à une circulation limitée, soustrait aux reproductions fautives des copistes professionnels, le “livre d’auteur” doit manifester sans qu’elles soient trahies ou détériorées les intentions qui ont présidé à la composition de l’œuvre » (Culture écrite et société, chapitre 2, « Figures de l’auteur », p. 69).
49 Il va sans dire qu’il faudrait mettre ce témoignage de Pétrarque à l’épreuve du manuscrit autographe Vaticanus 3359.
50 La scénographie, dans le sens que définit Dominique Maingueneau, est la situation de l’énonciation de l’œuvre telle qu’elle est postulée par l’œuvre elle-même, et non la réalité empirique de son énonciation. Voir Le contexte littéraire. Énonciation, écrivain, société, Paris, Dunod, 1993, chapitre 6.
51 Voir à ce sujet les travaux de G. Ouy, « Autographes calligraphiés et scriptoria d’humanistes en France vers 1400 », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques. Année 1963. Actes du 88e Congrès national des Sociétés savantes tenu à Clermont-Ferrand, 1966, p. 891-898 ; « Nicolas de Clamanges (ca. 1360-1437), philologue et calligraphe : imitation de l’Italie et réaction anti-italienne dans l’écriture d’un humaniste français au début du xve siècle », Renaissance und Humanistenhandschriften. Herausgeben von Johanne Autenrieth unter Mitarbeit von Ulrich Eigler, Munich, Oldenbourg, 1988, p. 31-50.
52 Voir P. Zumthor, Le masque et la lumière. La poétique des grands rhétoriqueurs, Paris, Seuil (« Poétique »), 1978, chapitre iii.
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Référence papier
Philippe Maupeu, « L’imaginaire corporel du livre à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 311-330.
Référence électronique
Philippe Maupeu, « L’imaginaire corporel du livre à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16212 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16212
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