La corpo-réalité de l’homme invisible
Résumés
Cet article étudie les stratégies mises en place par les traducteurs français du xve siècle pour inscrire leur figure d’auteur dans la matérialité des manuscrits de leurs textes. À partir de l’examen des traces visibles laissées dans leurs manuscrits originaux par les traducteurs, l’article vise à éclairer la nature, les enjeux et la fonction de ces stratégies de corpo-réalité, tant pour l’auteur que pour le lecteur. L’étude se concentre sur les cas de Laurent de Premierfait et de Jean Miélot.
Texte intégral
- 1 Par manuscrit auctorial, nous entendons « un manuscrit produit sous la direction de l’auteur et da (...)
- 2 Dans le cadre de cet article, nous envisageons la corpo-réalité comme le procédé textuel et/ou mat (...)
- 3 O. Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes à la fin du Moyen Âge. L’exemple de Christine de P (...)
- 4 Pour un plaidoyer en faveur d’un changement de perspective sur ce « corps » du champ littéraire, v (...)
1L’objectif de cet article est d’éclairer les stratégies mises en place par les traducteurs français du xve siècle pour exploiter la matérialité des manuscrits auctoriaux1 de leurs traductions en vue d’y inscrire et d’y afficher leur figure d’auteur et d’ainsi créer un effet de « corpo-réel2 ». Cet article entend ainsi compléter nos propres recherches sur les stratégies des écrivains de la France des xive et xve siècles pour se mettre en escript dans les manuscrits copiés et/ou corrigés de leur main3. En effet, suivant une tendance commune aux études littéraires sur les lettres françaises de l’aube de la première modernité, nous avions concentré notre attention sur les auteurs de textes « originaux », négligeant de ce fait les traducteurs4.
- 5 Sur ces stratégies chez certains traducteurs médiévaux, voir B. Ribémont, « Jean Corbechon, traduc (...)
- 6 Voir O. Delsaux, « Nouvelles perspectives sur la réception de la littérature castillane en françai (...)
2Or, bien que leurs textes et leur figure d’auteur trouvent leur origine dans le discours et la figure d’une autre figure auctoriale (celle de l’auteur-source), nous sommes convaincu que les traducteurs constituent des acteurs à part entière du champ littéraire, dont les stratégies auctoriales furent essentielles dans la construction d’une figure d’auteur moderne. Dans les prologues médiévaux, le traducteur se présente, certes, comme l’humble transmetteur d’un texte dont l’autorité lui échappe, mais souvent aussi comme l’intermédiaire indispensable à la translatio studii5. Qui plus est, à la fin du Moyen Âge, il nous semble que l’on assiste à l’émergence progressive d’une mise en scène du traducteur comme un auteur à part entière, désireux de mettre en avant l’individualité et l’autonomie de son travail, allant jusqu’à mettre en cause le choix des textes que le prince lettré souhaite voir traduire, ce qui n’est guère le cas des traducteurs de la génération de Charles V ou de Charles VI6. Les prologues y sont de moins en moins centrés sur la relation du traducteur avec le dédicataire ou sur l’autorité du texte-source, mais davantage sur le processus d’écriture, le plaisir de la traduction et l’esthétique du texte-cible, souvent d’ailleurs par influence des stratégies auctoriales des humanistes italiens qu’ils traduisent (qu’il s’agisse de Boccace ou de Pétrarque). C’est dans cette perspective que cet article entend modestement contribuer à la mise en valeur de l’auctorialité des premiers traducteurs français.
- 7 Voir Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes à la fin du Moyen Âge, chap. 3.
- 8 Voir, entre autres, P. F. Campa, « L’âge d’or des emblèmes », L’Époque de la Renaissance (1400-160 (...)
- 9 Sur le premier humanisme français et, plus particulièrement, sur leurs manuscrits, voir, entre aut (...)
3Un autre élément nous a encouragé à focaliser notre étude sur les traducteurs. La critique et la « culture commune » se plaisent à associer l’essor de l’emploi des signes d’affichage personnels – qui sont au centre des procédés utilisés par les auteurs français de la fin du Moyen Âge pour construire la corpo-réalité de leur figure d’auteur dans leurs manuscrits7 – avec l’Humanisme et la Renaissance et l’« émergence » de l’« individu8 ». Or, les premiers humanistes de la littérature française sont précisément des traducteurs et ils se sont souvent investis dans la production des manuscrits de leurs textes9. Il est donc pertinent d’examiner leur emploi des outils de la corpo-réalité pour en déterminer le caractère inaugurant ou non.
- 10 Au-delà de la seule intervention sur la mise en page et le programme iconographique de l’œuvre, à (...)
4Pour des raisons de faisabilité et afin de maintenir un niveau d’analyse suffisamment précis, nous avons choisi de nous concentrer sur deux auteurs, deux figures majeures et représentatives de la traduction à la fin du Moyen Âge : Laurent de Premierfait, réputé être le premier humaniste français à avoir traduit, et Jean Miélot, considéré comme le premier traducteur français professionnel. Outre notre connaissance de première main des manuscrits de ces auteurs – élément indispensable pour une telle entreprise –, d’autres facteurs justifient ce choix. Laurent de Premierfait et Jean Miélot sont deux auteurs connus, par ailleurs, pour leur attention à la matérialité du texte et leur intervention très concrète dans la production des manuscrits de leurs textes10. De plus, contrairement à d’autres traducteurs « occasionnels » ou « polygraphes », ils ont concentré la majorité de leur travail d’écriture en français sur les traductions et celles-ci constituent un corpus significatif d’œuvres (au moins une dizaine de traductions). Enfin, tous deux appartiennent à des champs littéraires-clés dans l’histoire de la littérature française à la fin du Moyen Âge, en général, et dans l’histoire des traductions et des figures d’auteur, en particulier : le Paris humaniste à l’époque de Charles VI (pour Laurent de Premierfait) et la cour de Bourgogne de Philippe le Bon (pour Jean Miélot).
5Reste à préciser que l’organisation de l’article suit un principe de présentation chronologique et non typologique (par ex., type de manuscrit, type d’utilisation, destinataire du manuscrit, type et fonction de la marque de corpo-réalité, etc.). Ce choix répond à une double préoccupation. D’une part, pouvoir mettre en évidence des traces d’évolution dans les pratiques auctoriales d’un traducteur donné. D’autre part, pouvoir considérer chaque codex comme un tout, en sachant que les pratiques de corpo-réalité ne font la plupart du temps sens que dans le rapport ponctuel et contingent d’un livre offert par un auteur à un lecteur.
Laurent de Premierfait
- 11 Sur Laurent de Premierfait, voir Un traducteur et un humaniste de l’époque de Charles VI, Laurent (...)
- 12 Sur cette traduction, voir H. Hauvette, De Laurentio de Primofato, Paris, Hachette, 1903, ici p. 1 (...)
- 13 Sur ce manuscrit, voir Sotheby & Co. Bibliotheca Phillippica. Medieval Manuscripts. New Series. Pa (...)
- 14 En attestent l’écriture (lettre courante soignée), la présence de décorations peintes et dorées, l (...)
- 15 Voir Delsaux, « Textual and Material Investigation on the Autography of Laurent de Premierfait’s O (...)
6En 1400, Laurent de Premierfait (ca. 1365-1418)11, poète et humaniste champenois ayant jusque-là écrit exclusivement en langue latine, achève son premier ouvrage en langue française : la traduction du De casibus virorum illustrium de Giovanni Boccaccio12. Un seul manuscrit original en a été conservé (Bruxelles, KBR, IV 92013) ; il s’agit d’un manuscrit destiné à la diffusion14 et non d’un manuscrit de composition (sans pour autant que l’on connaisse son destinataire). Bien que nous ayons pu montrer que ce manuscrit avait été relu et corrigé de la main de l’auteur15, ce manuscrit ne présente, à première vue, aucune trace de corpo-réalité. Au contraire, lors de sa relecture et de sa correction du manuscrit, l’auteur a pris soin de gratter la seule mention de son nom, qui apparaissait dans l’intitulé de clôture – uniquement visible aujourd’hui sous lumière ultra-violet – et qui a été remplacée, par grattage, par une formulation générique :
- 16 « selon le droit latin » transcrit de la main de l’auteur sur le grattage d’une vingtaine de lettr (...)
Cy fine le livre de Jehan Boccace « Des cas des nobles hommes et femmes » translaté en françois [*par moy Laurent de Premierfait] / selon le droit latin\16 (Bruxelles, KBR, IV 920, fol. 236r).
- 17 Voir O. Delsaux, « La ou les traduction(s) française(s) du De casibus virorum illustrium de Giovan (...)
- 18 Comme en témoigne le fait qu’il soit accompagné au folio 39r de la mention correctus.
- 19 Paris, AN, J 612, no 46bis ; Paris, AN, J 916, no 16 et 19.
- 20 Voir A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, Alcan, 1894, p. 567, 601-607 ; A. de Boüard, Manuel d (...)
7Nous pouvons postuler que le traducteur désirait supprimer la seule apparition de son nom dans le manuscrit parce qu’il n’aurait plus assumé cette première version, trop latinisante17 ; la corpo-réalité n’existe ici qu’en creux. L’auteur était bien présent et identifiable dans la matérialité de ce manuscrit, mais uniquement aux yeux de l’auteur, voire de ceux qui lui étaient familiers. En effet, dans la majorité des chapitres qu’il a relus, figure un signe fait de trois vaguelettes ; ce signe indique que l’auteur a relu et vérifié le texte du chapitre et qu’il a validé sa conformité avec le modèle18. Cette marque est propre à Premierfait et il l’utilise dans les documents de chancellerie que l’on a conservés par ailleurs19. En effet, cette marque apparaît dans des souscriptions autographes de copies conformes et authentifiées, où ce signe vise à attester que Premierfait a été présent lors de la confection des copies et qu’il a vérifié leur conformité avec leur modèle, sur le principe du vidimus20. Dans ces souscriptions autographes, l’affirmation de l’autographie et donc la publicité de la mise en écrit du corps de l’auteur dans le support manuscrit lors de sa confection sont beaucoup plus fortes que dans les manuscrits de ses textes littéraires. En outre, les suscriptions sont accompagnées de la signature personnelle et non reproductible de Premierfait, à savoir son « grand seing manuel », que l’on ne trouve dans aucun des manuscrits conservés :
Et ego, Laurentius de Primofacto, clericus Trecensis diocesis, publicus apostolica et imperiali auctoritate notarius, quia superscriptas imperiales litteras originales michi ad exemplandum per perfatum honnorabilem et circumspectum virum Johannem Chanteprime […] et per me de eodem ad predictas originales litteras una cum notario superscripto et testibus pernotatis facta collatione diligenti ipsum cum eisdem litteris concordare […] huic presenti exemplo seu transcripto signum meum proprium unacum signo et subscriptione dicti notarii superius appositi hic me manu mea subscribens apposui rogatus in fidem et testimonium omnium et singulorum (copie authentifiée d’une lettre écrite au nom de l’Empereur Charles IV et nommant Charles VI de France, vicaire impérial du royaume d’Arles, Paris, AN, J 612, no 46bis [souscription et seing manuels autographes]) ;
Nos vero Michael Lalouyer, magister in artibus, et Laurentius de Primofacto, clerici rothomangensis et trecensis diocesis, notarii publici auctoritate apostolica et imperiali quia persnobilem et prudentem virum Johannem Chanteprime domni nostri regis Francie consiliarium et ipsius regis privilegiorum et cartarum thesaurarium, fuimus cum instancia requisisti et rogati ut de eisdem literis regiis in lingua vulgari ispanica superius per dominum Fernandum de Pace […] Ideo eisdem transcriptis suscriptiones nostras ac signa nostra manualia in fidei et veritatis robustius firmamentum descripsimus et apposuimus (copie vidimée de lettres échangées entre Henry III, roi de Castille et Charles VI, Paris, AN, J 916, no 16 [souscription et seing manuels autographes]) ;
Nos vero Laurentius de Primofacto, et Michael Lalouyer, magister in artibus, clerici Trecensis et Rothomangensis diocesum, publici apostolica et imperiali auctoritate […] Idcirco eidem transcriptis suscriptiones nostras ac signa nostra manualia in fidei et veritatis robustius firmamentum descripsimus et apposuimus (ibid., no 19 [souscription et seing manuels autographes]).
- 21 Sur ce texte, voir Laurent de Premierfait, Livre de vieillesse, éd. St. Marzano, Turnhout, Brepols (...)
- 22 Sur ce manuscrit, voir E. Pellegrin, « Notes sur deux manuscrits enluminés contenant le De senectu (...)
8Dans la traduction qui suit dans la carrière du traducteur, celle du De senectute de Cicéron (fin 1405)21, aucune intervention du traducteur n’apparaît dans le manuscrit original conservé (Paris, BnF, lat. 778922), qui est d’ailleurs probablement le manuscrit de diffusion offert au dédicataire, Louis de Bourbon. Cependant, deux choix codicologiques paraissent avoir eu pour fonction de rendre visible et présent l’auteur au moment du don et de la lecture du texte, voire d’attester de sa présence lors de la confection du manuscrit.
9D’une part, le copiste a resserré l’écriture de la première page du prologue afin de terminer celle-ci sur le syntagme moi Laurent et d’ainsi mettre en évidence le prénom de l’auteur :
Cy fine le livre de Tulle, « De vieillesse », translaté de latin en françois du commandement de tresexcellant, glorieux et noble prince Loys duc de Bourbon par moi, Laurent [v] de Premierfait, cinquiesme jour de novembre mil quatre cens et cinq. (Paris, BnF, lat. 7789, fol. 104r-v).
- 23 Sur cette question, voir C. Stroo, De celebratie van de macht : presentatieminiaturen en aanverwan (...)
10D’autre part, dans la miniature qui ouvre la traduction (fol. 34r), la représentation du manuscrit offert par le traducteur au duc de Bourbon correspond à l’identique au manuscrit actuellement conservé, notamment sa reliure de velours rouge. Ce choix iconographique a pu viser à accentuer l’effet de corpo-réel de la miniature de dédicace et à renforcer sa dimension performative, d’autant plus importante dans le cas où le traducteur n’aurait, en réalité, pas été présent lors du don effectif du manuscrit au prince23.
- 24 Sur ce manuscrit, voir P. Durrieu, « Découverte de deux importants manuscrits de la librairie des (...)
- 25 Sur ce manuscrit, voir Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 145-147 ; M.-H. Tesnière (...)
11Cinq ans plus tard, dans deux des manuscrits de diffusion originaux conservés (Paris, Arsenal, 5193, sans doute offert au duc de Bourgogne Jean sans Peur24, et Genève, BPU, fr. 190, offert au duc de Berry, dédicataire et commanditaire de la traduction25) de la seconde version de sa traduction du De casibus virorum illustrium de Boccace (1409-1410), Laurent de Premierfait eut pour la première fois recours à une signature (au sens moderne de l’emploi autonome du nom de l’auteur, indépendamment d’une fonction syntaxique dans la phrase). L’interprétation à donner à cette signature a fait débat.
- 26 Voir Hauvette, De Laurentio de Primofato, p. 55-57.
- 27 Cette main utilise des petits signes en forme de trèfle tout à fait caractéristiques et ce, à des (...)
12En 1903, H. Hauvette26 était le premier à l’identifier, dans le seul manuscrit Arsenal 5193, où, en effet, le prénom de l’auteur apparaît deux fois. La première, à la fin du premier prologue du traducteur, où il est isolé par un blanc et où il est suivi d’un signe en forme de trèfle à trois points, fréquemment utilisé par le copiste27 :
Cy fine le premier prologue sur le livre « Des cas des nobles hommes et femmes » translaté de latin en françois [trèfle] [blanc de deux mots] Laurens. (fol. 6b [main T])
13La seconde, après l’intitulé de clôture de la traduction du Livre I du De casibus, séparé de lui par un blanc et mis en évidence par un bout-de-ligne, sans trèfle :
Cy fine le premier des neuf livres de Jehan Boccace « Des cas des nobles hommes et femmes »
14Pour H. Hauvette, la signature aurait été une sorte de « marque de fabrique » visant à authentifier les manuscrits comme des originaux, contrôlés et autorisés par l’auteur.
- 29 Voir Durrieu, « Découverte de deux importants manuscrits », p. 66.
- 30 Sur ce manuscrit, voir Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 163-165 ; P. Durrieu, « (...)
15En 1910, P. Durrieu reprenait cette hypothèse29 et l’étendait au manuscrit de diffusion original de la traduction, par Premierfait, du Decameron, aujourd’hui conservé au Vatican (BAV, pal. lat. 1989, offert au duc de Bourgogne Jean sans Peur30) ; le nom, désormais complet, du traducteur apparaît après l’intitulé de clôture du texte, selon une configuration similaire à celle du manuscrit de l’Arsenal :
Cy fine le livre appellé « Decameron » […] qui nagueres a esté translaté pre
mieremant en latin et secondemant en françois à Paris […] par moy Laurent
de Premierfait, familier dudict Bureau, lesqueles deux translations par iii ans
furent acomplies le xve jour de juing, l’an mil quatre cens et quatorze. [trèfle]
[1UR]
Laurent de Premierfait [trèfle]
(Vatican, BAV, pal. lat. 1989, fol. 327d [main T]).
16P. Durrieu estimait que dans les deux manuscrits, la signature était de la main du copiste du texte et il émettait donc l’hypothèse qu’il pourrait s’agir de la main de l’auteur, qui aurait copié ces deux manuscrits en entier, signature comprise.
17En 1974, C. Bozzolo découvrait deux signatures similaires dans le manuscrit original de Genève de la seconde version du De casibus (voir supra). La signature apparaît à la fin du prologue de l’auteur et à la fin du Livre II, à chaque fois précédée de ce « trèfle » :
Et que il conduye ma plume diligemment escrivant sanz langoreuse peresse au commun proufit de tous et a louange divine [trèfle] [pied-de-mouche] Laurens (1er prologue du traducteur Genève, BPU, fr. 190, I, fol. 5d [main T])
Cy fine le second des neuf livres de Jehan Boccace Des cas des nobles hommes et femmes [trèfle] Et tantost aprés les rubriques du tiers livre [trèfle] Laurent [bout de ligne]
(Livre II, Genève, fol. 82d [main T]).
18Elle relevait également que les deux signatures du manuscrit de l’Arsenal apparaissaient dans des sections du manuscrit transcrites par des mains différentes, que nous avons identifiées par la suite comme les deux mains principales des manuscrits originaux de Laurent de Premierfait (la main S et la main T).
- 31 Voir Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 14.
19Selon C. Bozzolo, le fait que cette signature soit transcrite par des mains différentes remettrait de facto en cause leur caractère autographe31. Ces signatures témoigneraient simplement du fait que le manuscrit de l’Arsenal et le manuscrit de Genève seraient la reproduction mécanique, comme en fac-similé, d’un modèle quant à lui pourvu d’une signature autographe de l’auteur, qui aurait cherché à authentifier le manuscrit-modèle aux yeux des artisans du livre. Des copistes auraient ensuite reproduit cette signature de façon automatique ; il ne s’agirait pas d’une manière pour le traducteur de se rendre présent au lecteur et/ou d’authentifier son manuscrit. Reprenons la question.
- 32 Sur l’identification des mains, voir Delsaux, « Textual and Material Investigation », p. 320-323.
20Il importe de souligner que toutes les signatures, sauf une (celle du Livre I dans l’Arsenal), ont été réalisées par une même main, la main T32. Il s’agit de la main principale des manuscrits auctoriaux de Premierfait, c’est-à-dire celle qui a copié le plus grand nombre de manuscrits originaux conservés et celle qui agit avec le plus d’autorité sur le texte ; l’on pourrait estimer que la signature du Livre I du manuscrit de l’Arsenal, transcrite par la main S, soit alors la seule à correspondre au cas d’erreur ou de reproduction mécanique décrit par C. Bozzolo.
- 33 Voir Laurent de Premiefait, Decameron, éd. G. Di Stefano, Montréal, Ceres, 1998, p. viii-ix.
- 34 Voir B. Guenée, « Authentique et approuvé. Recherches sur les principes de la critique historique (...)
21Dans l’hypothèse où la main T serait la main de l’auteur, les trèfles que cette main utilise à des endroits stratégiques du texte, souvent d’ailleurs à proximité du nom du traducteur, renforceraient la présence du traducteur dans son manuscrit. Cependant, au vu du profil textuel de cette main33, l’on ne peut exclure qu’il s’agisse d’un simple copiste ou plutôt d’un collaborateur du traducteur. Dans ce cas, ces trèfles pourraient afficher une figure, scribale, qui entrerait en concurrence avec celle du traducteur et discriminerait deux types d’inscription dans le manuscrit : au traducteur, l’inscription textuelle et matérielle qu’est la signature ; au transcripteur, l’inscription uniquement matérielle qu’est le trèfle. L’on soulignera que la délégation de la signature à un collaborateur ne démotive pas sa fonction de corpo-réalité ; on peut le supposer vu qu’à l’époque, la réalisation d’une signature pouvait être déléguée à un secrétaire, tout en restant authentique34.
- 35 D’ailleurs, dans les manuscrits originaux précédents (1re version du Des cas des nobles hommes et (...)
- 36 Sur une telle utilisation, plusieurs dizaines d’années plus tard, voir le cas exemplaire d’Antoine (...)
22En toute hypothèse, il est probable que les signatures présentes dans ces trois manuscrits n’identifient pas seulement un artisan, l’acteur d’une production matérielle, mais un auteur, l’auteur d’une production intellectuelle ; la signature renverrait au texte et non au volume et sa fonction de « corpo-réalité » pourrait être nulle. Le confirmerait le fait que dans les exemples cités, à l’exception de celui du Decameron – le plus tardif (ce qui pourrait témoigner d’un changement de pratique) –, la signature n’est pas redondante avec celle du texte puisque les intitulés de clôture ne nomment pas l’auteur ; la signature a donc plus une fonction textuelle que matérielle35. Sa mise en œuvre matérielle au sein du manuscrit relèverait donc autant, sinon plus, d’une façon jusqu’alors inédite de signer un texte français, par l’emploi autonome du nom de l’auteur, comme dans une lettre – ce qui est d’ailleurs le cas pour la signature qui clôt l’épître dédicatoire qu’est le premier prologue du traducteur dans la seconde version du Des cas des manuscrits Genève et Arsenal36 –, que d’un désir d’attirer l’attention du lecteur sur la matérialité du nom de l’auteur et donc sur sa présence possible au moment de la confection et/ou de la validation du volume.
- 37 Voir R. C. Famiglietti, « Laurent de Premierfait : The Career of a Humanist in early fifteenth cen (...)
- 38 Voir A. Petrucci, « Alle origini del libro moderno. Libri da banco, libri da bisaccia, libretti da (...)
- 39 Voir E. Ornato, « Les humanistes et la redécouverte des classiques », Préludes à la Renaissance. A (...)
- 40 Voir Laurent de Premierfait, Le livre de la vraye amistié, éd. O. Delsaux, Paris, Champion, 2016.
23Dans le cas du traducteur Laurent de Premierfait, notaire avec autorité apostolique et impériale et actif à la chancellerie de Charles VI37, les signes de corpo-réalité témoignent probablement du transfert, au sein de manuscrits littéraires, des signes d’authentification et de validation utilisés en chancellerie – sur le modèle, déjà bien documenté, des humanistes italiens38 – ; ces signes visaient à rendre visible la présence d’un serviteur de l’État ou d’un gouvernant au moment de la confection d’un acte et à, ainsi, renforcer son authenticité. Ce transfert n’est sans doute pas gratuit ; il ne relève pas d’une simple déformation professionnelle de la part du notaire Premierfait. Dans le manuscrit littéraire, ces signes pourraient s’expliquer par le statut de Laurent de Premierfait dans le champ littéraire de l’époque ; bien qu’affichant ses traductions comme des commandes de grands princes (Louis de Bourbon, Jean de Berry) ou de riches et puissants serviteurs de l’État parisiens (Jean de Chanteprime, Bureau de Dammartin), rien n’indique qu’il n’ait jamais été au service de l’un d’entre eux de façon fixe et officielle. Ces signes de corpo-réalité ont pu lui servir non seulement à authentifier les volumes qu’il leur offrait – encore eût-il alors fallu que la notion de copie authentique ait eu quelque valeur pour les manuscrits littéraires –, mais également à se rendre présent auprès du premier possesseur du manuscrit alors qu’il ne l’était pas physiquement. L’on pourrait également émettre l’hypothèse que cette signature s’inscrivait dans les pratiques épistolaires et essayait d’instaurer avec le prince-dédicataire une relation personnelle, sur le modèle du commerce d’amitié, alors en plein essor chez les premiers humanistes européens, dans le sillage de leur redécouverte des Lettres familières de Cicéron39 – stratégie que l’on observe, par ailleurs, dans le texte de ses prologues40. Sur ce point, la situation du traducteur suivant diffère, en partie, de celle de Premierfait.
Jean Miélot
- 41 Sur Jean Miélot, voir P. Perdrizet, « Jean Miélot, l’un des traducteurs de Philippe le Bon », Revu (...)
- 42 Voir T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, « L’Epistre Othea en contexte bourguignon. Des efforts (...)
- 43 La critique a prétendu que le manuscrit Bruxelles, KBR, 9083 du Debat de felicité de Charles Soill (...)
24Dès le début de sa carrière, le traducteur, remanieur de textes et artisan du livre Jean Miélot a disposé d’un statut particulier dans le champ littéraire bourguignon du milieu du xve siècle41. Il est le seul à avoir été payé, sur une base régulière, pour la réalisation de traductions et de livres à destination de Philippe le Bon. Cette situation privilégiée lui a non seulement ouvert la voie à une créativité et à une liberté sans équivalent dans la production des textes et des livres fournis au Grand Duc d’Occident42, mais elle lui aura également permis d’instaurer une relation personnelle privilégiée avec le prince, dont il était effectivement le « serviteur ». Ce type de relation donne aux signes de corpo-réalité que nous avons pu y trouver une autre dimension et une autre fonction que celles que l’on pouvait dégager des manuscrits de Laurent de Premierfait ; cette situation pourrait également expliquer qu’il soit, à notre connaissance, le seul homme de lettres bourguignon à avoir eu recours à des procédés de ce type43.
- 44 Sur ce manuscrit, voir P. Perdrizet, Étude sur le « Speculum humanae salvationis », Paris, Champio (...)
- 45 Définis comme des « Traits de plume entrecroisés, à effet décoratif, qui forment certaines parties (...)
25À l’occasion du premier travail connu qu’il réalise pour Philippe le Bon, une traduction du best-seller médiéval qu’est le Speculum humanae salvationis (1459), Jean Miélot offre au duc un manuscrit de diffusion entièrement autographe : texte, titres, titres-courants et illustrations sont entièrement de sa main (Bruxelles, KBR, 9249-9250), comme l’indique le colophon et comme le confirme une expertise moderne44. Cette prise en main totale de la mise en écrit du texte par le traducteur est mise en évidence de façon spectaculaire aux seuils du manuscrit. Jean Miélot y met en abyme ses compétences calligraphiques et artistiques en structurant l’intitulé d’ouverture autour de trois lettres à pleine-page (M, S et A, d’une part, et C, E et A, d’autre part), décorées et colorées selon le modèle de la lettre cadelée des documents de chancellerie (en gras dans les citations qui suivent)45 ; à nouveau, l’on observe donc cette intersection entre le littéraire et le juridique des pratiques d’affichage de la présence de l’auteur intellectuel. Dans le délié de chacune des trois lettres, Miélot a dessiné et peint des figures humaines ou animales :
Minute [deux hommes avec bonnet rouge ; représentant l’AT et NT ?] (fol. 1r)
S’ensuit le Miroir de la salvation humaine [dragon] (fol. 1v)
Au commandement […] j’ay à mon pouoir translaté de latin rymé en cler françois ce miroir de la Salvation humaine puys hystoirié, cadelé et escript de ma main, l’an 144 [9>8] [homme avec chaperon et devise « Savoir vault mieulx que avoir »] (fol. 2r)
[…]
Cy fine le Miroir de la Salvation humaine [homme avec chapeau turc ?] (fol. 110v) Escript et translaté de latin rymé en françois [gueule de chien tirant la langue] (fol. 111r)
À Lille, à Brouxelle et à Bruges [homme de type oriental] (fol. 111v).
- 46 Sur ce manuscrit, voir Fr. Johan, « Notice », La librairie des ducs de Bourgogne, volume 2, Textes (...)
26Comme l’avait déjà suggéré B. Cardon, l’homme peint dans la cadelure du A au folio 2r pourrait être Miélot : sa main pointe vers le texte et il présente la même figuration que Miélot offrant son livre au duc dans le manuscrit original Bruxelles, KBR, 9278-928046.
- 47 Voir P. Schandel, « De l’ombre à la lumière. Germain Picavet, bourgeois de Lille, clerc de la gouv (...)
- 48 Voir H. Vander Linden, Itinéraires de Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1419-1467) et de Charles, (...)
27Ces cadelures pourraient constituer un rappel insistant fait au lecteur de ses compétences de copiste ; elles témoignent également de son travail hic et nunc de transcription, dont on peut encore observer « en direct » et de façon immédiate le résultat. Ce procédé fréquent dans les manuscrits produits dans le Nord de la France à cette époque47 rend donc présent au lecteur le traducteur dans son travail, non seulement de copie, mais également de traduction vu que ces deux activités sont mises sur le même pied et inscrites dans une continuité dans les intitulés d’ouverture et de clôture du manuscrit (« translaté […] puys hystoirié / cadelé et escript de ma main » fol. 2r et « escript et translaté » fol. 111r). Ces intitulés insistent sur cette performance, en particulier de par la mention précise des villes dans lesquelles a été traduit et transcrit le texte, qui correspondent aux principaux lieux de déplacement du duc cette année-là48, une translation accompagnant l’autre. Enfin, la correction de la date de la confection du volume (fol. 2r) renforce cette impression d’un artéfact sorti tout droit et encore « tout chaud » des mains du traducteur et qui constitue un prolongement physique du travail du traducteur.
- 49 Voir, par exemple, G. Ouy, Le recueil épistolaire autographe de Pierre d’Ailly, Amsterdam, North-H (...)
28Une dernière modalité d’inscription de l’auteur dans la matérialité de son texte apparaît au folio 112r ; celle-ci, comme les cadelures, réapparaîtra dans les prochains manuscrits auctoriaux des traductions de Jean Miélot. En effet, l’explicit est précédé d’un signe en forme de trèfle et suivi d’un petit seing manuel, forme simplifiée du grand seing manuel et réputée encore plus personnelle et non falsifiable49. Le premier réapparaît dans plusieurs titres-courants du texte et dans certains lieux stratégiques dans lesquels Miélot aurait pu être désireux de rappeler sa présence, comme l’intitulé de clôture du prologue de Vincent de Beauvais ajouté après la traduction du Speculum proprement dite (fol. 102v) ; par contre, le second, qui devait être la signature personnelle de Miélot, est le seul exemple observable chez Miélot et a fortiori dans ce manuscrit. L’on pourrait penser que Miélot a distingué deux types de signature : une signature littéraire (le trèfle), distinguée de sa signature officielle, administrative (le petit seing manuel), mais qu’en 1449, fraîchement entré au service du duc à titre tout à fait officiel, il lui avait paru logique d’employer, face au prince, une signature conforme à son statut de serviteur ; l’on avait pu observer cette distinction entre signe de corpo-réalité officielle et littéraire chez Laurent de Premierfait.
29De façon globale, dans ce manuscrit destiné au commanditaire et protecteur ducal, la corpo-réalité semble destinée à créer et affirmer un lien personnel et intime avec le prince. L’on notera d’ailleurs que nulle part Miélot ne se nomme dans le manuscrit ! Pour le traducteur et pour le duc, il était clair que le je qui avait traduit et produit le manuscrit et qui l’affirmait aux seuils de son livre était Miélot. Dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 6275 du même texte (transcription autographe, non affichée), Miélot se nommera, mais, fait peut-être significatif, il s’y désigne à la troisième personne, sortant peut-être de cette logique performative – moderne – de l’énonciation par le je :
- 51 D. Vanwijnsberghe et E. Verroken émettent l’hypothèse que « Miélot ait produit cet exemplaire de s (...)
30L’on ignore la destination initiale du manuscrit parisien ; il est peu probable que le manuscrit ait été destiné à Philippe le Bon, vu l’absence de marque de propriété et son absence dans les inventaires, où apparaissent pourtant la majorité des manuscrits de Miélot offerts au duc. La corporéalité « pure », c’est-à-dire dépourvue du nom même de l’auteur comme dans l’exemplaire bruxellois, est réservée à un lecteur précis et choisi ; c’est d’ailleurs pourquoi il est peu probable que Miélot ait produit ce manuscrit à son propre usage51.
- 52 Sur ce texte, voir Vie et miracles de saint Josse de Jean Miélot, éd. N.-O. Jönsson, Turnhout, Bre (...)
31Moins d’un an plus tard, Jean Miélot offre au duc Philippe le Bon le manuscrit Bruxelles, KBR, 10958 (transcription autographe, non affichée). Il s’agit d’un manuscrit de diffusion de la Vie et des miracles de saint Josse (1449), traduction et mise en prose de sources latines diverses consacrées au saint52. Nulle part dans le manuscrit, en particulier dans les intitulés de clôture des différentes sections du livre, Miélot ne recourt à des affichages spectaculaires de son travail de copie (du type cadelure à pleine-page) et il ne fait pas mention de son travail de transcription ; voir par exemple :
Cy fine la vie du glorieux confez et ami de Dieu saint Josse, second fil de Juthael, roy de Bretaigne la Grant, qui maintenant s’appelle Angleterre, et fu translatee de latin en françois l’an mil ccccxlxi (fol. 64v)
Cy fine l’apparition de la main de Nostre Seigneur beneiçant l’ostie lors que saint Josse celebroit messe le jour saint Barnabé, et fu translattee de latin en cler françois par Jo. Mielot l’an de grace mil quatrecens xlix (fol. 75v)
Cy finent aucuns miracles du glorieux confés et amy de Dieu, monseigneur saint Josse, second fil de Juthael, roy d’Angleterre, et furent translatez de latin en cler françois par Jo. Mielot, l’an mil quatre cens quarante neuf (fol. 141v [fin du manuscrit]).
32L’on notera que Miélot utilise systématiquement la 3e personne et qu’il ne se nomme que deux fois, à la toute fin du manuscrit (fol. 141v) et lorsque précisément il est question de l’apparition de la main de Dieu (fol. 75v).
- 53 Comme le suggère également la précision « En la fourme et stile qui s’ensuit ».
- 54 L’on notera que Miélot choisit souvent les mêmes lettres pour ses cadelures à pleine-page (par exe (...)
33Deux années plus tard, en 1451, Jean Miélot achève la transcription de deux manuscrits de diffusion de sa troisième traduction, celle du Miroir de l’ame pecheresse, traduction du Speculum aureum anime peccatricis (expertise moderne et affichage dans le ms.). Miélot y reprend et approfondit les procédés qu’il avait mis en œuvre dans son premier manuscrit auctorial (KBR 9049) ; il n’est d’ailleurs sans doute pas anodin qu’il s’agisse dans les deux cas de miroirs, dont le principe textuel spéculaire a pu lui inspirer ce désir de se montrer au lecteur copiant à la main le texte que celui-ci, de l’autre côté du miroir, pouvait lire et suivre à la main (voir infra). En effet, dans l’intitulé de clôture Jean Miélot affirme, affiche et accomplit l’autographie du manuscrit, fournissant d’ailleurs, comme pour le Miroir de la salvation, des précisions sur la localisation de son travail et insistant sur l’immédiateté de son geste (« nouvellement escript »). Ce procédé crée également encore un continuum entre son travail de traduction et celui de copie53, assurant donc la présence de sa figure auctoriale de traducteur à travers sa figure de copiste et de fabricateur de livres54 :
- 55 Sur ce manuscrit, voir E. van der Vlist, Schitterende Schatten. Verluchte handschriften in de Koni (...)
[La Haye, KB, 76 E 955]
S’ensieut la translation du (fol. 1r) [motif identifiable dans la cadelure : serpent]
M iroir de l’ame que fit jadis en latin (fol. 1v) [deux visages]
[miniature avec moine écrivant] ung chartreux Et puis a esté (2r)
Nouvellement escript et translaté (fol. 2v) [motifs géométriques]
De latin en françois et achevé (fol. 3r) [motifs géométriques]
Par Jo. Mielot né de Picardie (fol. 3v) [motifs géométriques]
À Brouxelles l’an mil cccc l ung (fol. 4r) [motifs géométriques]
En la fourme et stile qui s’ensuit (fol. 4v) [motifs géométriques]
- 56 Sur ce manuscrit, voir Dogaer et Debae, La librairie de Philippe le Bon, no 58.
[Bruxelles, KBR, 1112356]
Prologue sur ce petit traictié translaté de latin en françois l’an mil iiiic cinquante i (fol. 2r) [motifs géométriques]
[…]
Cy fine ung petit traictié intitulé […] puis a esté translaté de latin en françois et escript par. Jo. Mielot l’an 1451 (fol. 79r).
34Cette insistance sur le geste autographe et sur la présence de l’auteur dans le manuscrit explique sans doute son choix de reprendre le procédé des cadelures à pleine-page, non convoqué dans Saint Josse.
- 57 P. De Winter, « The Grandes Heures of Philip the Bold, duke of Burgundy : the Copyist Jean L’Avena (...)
- 58 Sur ce texte, voir O. Delsaux, « La mise en prose des Vigiles des morts de Pierre de Nesson, texte (...)
35Le manuscrit de diffusion Bruxelles, KBR, 11035-11037, produit un an plus tard, atteste à nouveau de l’anonymat qu’autorise l’intervention autographe de l’auteur-traducteur dans un manuscrit de son texte. Fait notable, ce manuscrit est un livre d’heures de Philippe le Bon, qu’il reçut en héritage de son grand-père Philippe le Hardi et qu’il fit ensuite compléter57. Miélot y transcrit plusieurs prières, en latin et en français, mais surtout sa mise en prose des Vigiles de morts de Pierre de Nessons, qui en constitue l’unique exemplaire connu à ce jour et sans doute le manuscrit princeps58. Miélot ne s’y nomme pas, mais précise, à l’ouverture et à la fermeture du texte, le lieu et la date de traduction du texte :
et puis translatees en prose l’an de grace mil cccc cinquante et ung en la
fourme qui s’ensuit (fol. 99v)
[…] translatees en prose a Brouxelles l’an mil cccc et l ung (fol. 144r).
36Miélot transcrit ici un texte dans un livre « intime » de Philippe le Bon, qui pouvait probablement, sinon reconnaître la main de son serviteur Miélot, à tout le moins être au fait de l’auteur de ce dérimage et de son intervention dans le manuscrit. Dans ce contexte, la prise en main de la copie du texte lui permettait vraisemblablement de se rendre présent auprès de son destinataire.
- 59 Sur cette question, voir A. Schoysman, « Les minutes de Jean Miélot : le cas de la Briefve compila (...)
37Reste à examiner les trois derniers manuscrits auctoriaux de Jean Miélot connus à ce jour : ces trois manuscrits se distinguent du reste des manuscrits originaux et auctoriaux du traducteur par leur facture moins luxueuse (absence de dorure, emploi d’une lettre courante, illustrations à l’encre, variation importante dans la mise en page d’une section à l’autre du volume). Cette facture a conduit la critique à émettre des hypothèses sur la destination et la fonction de ces manuscrits, dans une perspective qui n’est pas anecdotique pour notre propos. En effet, la critique a souvent estimé qu’il s’agissait de manuscrits préparatoires et/ou de manuscrits personnels, qui n’auraient pas été destinés à des lecteurs, a fortiori princiers. Plus récemment, la critique a reconsidéré cette vision pour considérer que ces manuscrits constituaient des manuscrits de diffusion particuliers, éventuellement susceptibles d’un autre type d’appropriation de la part du lecteur59 puisqu’aucun élément textuel ou matériel (par exemple des fautes ou des accidents) n’empêche une lecture linéaire et efficace de ces textes.
- 60 Il est à noter qu’en 1455, Jean Miélot achève, à destination de Philippe le Bon, sa traduction du (...)
- 61 Il contient principalement sa traduction des Historia scolastica de Jean d’Udine (Geneaologie de N (...)
- 62 Sur cette question, voir Schoysman, « Les minutes de Jean Miélot ».
38Commençons par le manuscrit de diffusion autographe Bruxelles, KBR, II 239, produit une dizaine d’années après le manuscrit Bruxelles, KBR, 110135-110137 que nous venons d’examiner60. Dans ce manuscrit, Jean Miélot renoue avec le principe de la performance et du « tour de force » calligraphique du début de sa carrière61. Outre l’exécution des illustrations et des arbres généalogiques, un examen paléographique montre que Miélot a assuré la copie de l’ensemble de ce manuscrit conçu en « mode paysage », en ajustant en permanence le texte de sa traduction pour le conformer aux contraintes d’une telle mise en page, produisant un texte aux variantes textuelles uniques62. Certes, le manuscrit ne présente pas de cadelure à pleine page, mais il commence sur une double mise en escript spectaculaire. Tout d’abord, le livre s’ouvre sur une vignette autographe figurant la présentation du livre par Jean Miélot à Philippe le Bon (fol. 1r). Le manuscrit enchaîne, ensuite, directement sur une autre prouesse calligraphique, une mappemonde entièrement de la main de Miélot (fol. 1v), mappemonde géocentrée et dont les éléments sont disposés en cercles concentriques. L’exécution autographe de celle-ci a pu viser à suggérer le rôle central et conducteur de Miélot dans la confection et la lecture du manuscrit et servir de métonymie de sa prise en main de l’ensemble du livre. La dimension auctoriale de ce geste autographe pourrait d’ailleurs être confirmée par l’insertion d’un paraphe en forme de trèfle à cet endroit.
- 63 Date donnée également dans le manuscrit auctorial Paris, BnF, fr. 17001, voir infra.
- 64 En effet, c’est la date donnée aux premiers folios du manuscrit, dans le prologue du traducteur (f (...)
- 65 Il est probable que Miélot ait acquis les feuillets de son manuscrit au moment de la première étap (...)
- 66 La logique de corpo-réalité de ce manuscrit pourrait presque sembler rejoindre certaines caractéri (...)
39Si, dans ce manuscrit, Miélot ne fait nulle part mention de son travail de copie – peut-être parce qu’il était évident pour un serviteur actif depuis plus de dix ans à la cour ducale et dont la main était devenue reconnaissable –, il actualise les dates données dans les seuils de la traduction. Ces dates constituent une sorte de journal du travail de l’auteur, à la fois traducteur et artisan d’un livre. En effet, la traduction date de 1452 (voir fol. 2r et filigranes des fol. 1-36), mais le manuscrit témoigne d’un état du texte continué et actualisé par Miélot en 146063. Cependant, la confection du manuscrit bruxellois semble avoir été commencée en 1462-146364 et achevée vers 1468-147265. Dans cette situation, il est étonnant que Jean Miélot ait maintenu les dates de 1452, 1460 et 1462-1463. Cependant, ces « incohérences » et ces « maladresses » ont peut-être été voulues. Elles auraient visé à témoigner du travail in progress de traduction et de révision du texte, d’une part, et de confection du livre, d’autre part, sans que Miélot n’ait éprouvé le besoin – propre au philologue moderne – de lisser ces dates. Ces accidents pourraient être destinés à rendre conscient le lecteur de la présence, bien humaine et donc imparfaite, du traducteur-transcripteur dans le livre66.
- 67 La section fol. 55-59 est constituée de folios vierges (filigranes proches de Piccard V. 82 [vers (...)
- 68 Variante de Briquet 6644-6651 (vers 1463).
- 69 La dimension performative de l’addition est d’autant plus nette que Miélot ajoute, en marge supéri (...)
40Cette dimension performative – et presque ludique – apparaît encore dans la dernière section du manuscrit (fol. 60r-69v)67, constituée de diverses généalogies copiées par Miélot, dont celle de Philippe le Bon (qui termine la section et le manuscrit). Celle-ci se termine par l’explicit-colophon « Fait à Lille l’an de grace Mil cccc soixante iii » (fol. 69v [en module d’une taille triple par rapport au reste de la page]), date qui correspond à celle des filigranes des folios de cette section68 ; le traducteur-copiste y met donc en évidence son travail, global, de rédaction et de copie69.
- 70 C’est la suggestion des rédacteurs du Catalogue des manuscrits datés : « n’a probablement d’autre (...)
41Enfin, selon nous, la transcription par Miélot de son arbre généalogique dans le manuscrit n’est pas entièrement conjoncturelle, destinée qu’elle serait à combler un verso vierge à la fin de la première section70. Cet arbre constitue la signature du livre et vise sans doute à entrer en écho avec celui du protecteur de Miélot, celui de Philippe le Bon, à la fin de la troisième section.
- 71 Sur ce manuscrit, voir R. Bossuat, « Jean Miélot, traducteur de Cicéron », Bibliothèque de l’École (...)
- 72 La véracité de ces dates est confirmée par les filigranes et par les mentions explicites du périte (...)
42Le manuscrit Paris, BnF, fr. 17001 (ca. 1468-1470) – entièrement autographe, illustrations comprises – procède également d’une ouverture généalogique et auctoriale de la main de l’auteur. Ce manuscrit a souvent été considéré par la critique comme le paradigme du travail calligraphique de Jean Miélot71. Pour comprendre la fonction des stratégies de corpo-réalité à l’œuvre dans ce manuscrit, il importe, comme pour le précédent manuscrit, de bien en saisir sa composition. Le manuscrit se structure selon trois sections, copiées à des dates différentes72.
43La première section s’ouvre par une réflexion sur la nomination des êtres (fol. 2r) ; ce court développement d’une page sur le nom attribué par Dieu à Adam semble en fait un prétexte à l’introduction du dévoilement du nom du producteur du manuscrit (Miélot), qui se déploie sous la forme d’un labyrinthe au verso (fol. 2v) ; la toute fin du texte du fol. 2r le précise, dans une phrase matériellement mise en évidence par l’emploi d’un module d’écriture réduit et qui se clôt sur un explicit précisant la date et le lieu de la copie :
Semblablement, se aucun vuelt savoir le sournom de celluy qui a pourtrait les lettres, cadeaulx ou caracteres de ce livret, il prendra son chemin vers Orient, puis vers Midy, en tirant vers Occident et, par le North, vers Septentrion, jusques a tant qu’il parvendra au centre ou quel est la maison de Dedalus, qu’on dist laberinthe, et en contournant par les chambrettes de ladicte maison de Dedalus cy aprés descripte, en chascune recueillant par ordre une seule lettre, enfin, à l’ayde de Dieu, il obtendra son optat, comme il appert bien a plain en le practiquant.
[trèfle] Explicit. 1468. [trèfle]
Fait a Lille l’an iiiiclxviii
(Paris, BnF, fr. 17001, fol. 2r)
44Le choix du terme pourtraire pour désigner le travail calligraphique de Miélot n’est pas gratuit : certes, le mot, à la première lecture, dit le travail de « traçage » voire d’« ornementation » accompli, mais il pourrait suggérer le processus même de mise en écrit de la figure de l’auteur au travers de ce travail d’écriture (le sens de « représenter qqch/qqn par le dessin » est attesté, voir DMF).
- 73 Voir Schandel, « A l’euvre congnoist on l’ouvrier. Labyrinthes, jeux d’esprit et rébus chez Jean M (...)
45Si le nom de l’auteur n’apparaît pas au lecteur avant qu’il ait atteint le verso, ses trèfles caractéristiques entourent l’explicit et pourraient tenir lieu de marque personnelle à un lecteur familier, comme le furent, semble-t-il, la majorité des destinataires de ses manuscrits auctoriaux. De toute manière, au verso, le lecteur trouvera le nom de Miélot, présenté sous la forme d’un labyrinthe (fol. 2v). P. Schandel73 a eu raison de rapprocher le labyrinthe du folio 2v de ceux que l’on trouvait sur le sol de la nef de certaines cathédrales du Nord de la France et qui donnent le nom de leur architecte. L’on peut également remarquer que la résolution du labyrinthe oblige le lecteur à suivre avec son doigt les tracés de l’auteur et donc à entrer en contact direct avec les tracés laissés par la main de Miélot, dans une logique presque spéculaire et réflexive de touchant-touché (voir supra).
46Après ce portique qui met en évidence le nom du transcripteur et de l’auteur de la majorité des textes du manuscrit, Miélot a inséré, avant la copie du premier texte proprement dit, un intitulé faisant office de colophon (fol. 3r-5v), en reprenant le format de la séquence de pages à cadelures à pleines-pages qu’il avait mis au point au début de sa carrière. Miélot y recourt à nouveau, mais en introduisant une variante ; son nom n’est plus inscrit tel quel, avec des lettres, mais sous la forme d’un rébus, résolu par P. Schandel :
Copye (fol. 3r) [dans le délié de la lettre : dessin des parents de saint Fursy]
D’une belle (fol. 3v) [dans le délié : dessin de saint Fursy]
Minute (fol. 4r)
Minutee par (fol. 4v) [dans le délié : dessin de Saint Folian et de saint Ultain, frères de saint Fulsy]
Jo. Mielot (fol. 5r [= rébus imagé]).
- 74 Comme l’atteste le fait de lui avoir consacré, dans la collégiale de saint-Pierre de Lille, une ch (...)
- 75 Voir E. Barale, Édition critique de la « Geneaologie, la vie, les miracles et les merites de saint (...)
47Le choix de saint Fursy et de ses parents pour orner les déliés des lettres s’explique, comme l’a montré P. Schandel, par l’histoire personnelle de Miélot, natif de Gaissart les Ponthieu, qui abritait une châsse de saint Fursy : Miélot vouait sans doute un culte particulier à ce saint74 ; il écrira également, à l’époque de la confection du manuscrit Paris, BnF, fr. 17001, une Vie et miracles de saint Fursy75.
48L’emploi de ce « feu d’artifices » calligraphique à l’ouverture du livre vise sans doute à attirer l’attention du lecteur sur ses compétences et sa performance de copiste, mais également à rendre présente sa figure d’auteur. Dans un geste publicitaire d’invite à l’admiration et à la contemplation, la taille des lettres et les dessins insérés dans les déliés attirent nécessairement l’attention du lecteur sur son travail de copie, à la fois celui qui est en train de se faire en même temps qu’il est énoncé et celui qui suit dans le manuscrit, et qui a probablement déjà été accompli au moment où ce seuil est transcrit.
- 76 La section I se termine par quelques textes courts : la traduction, par Miélot, du chapitre xiv du(...)
- 77 « <C>omment Maistre Jehan Mielot prestre indigne chanonnne de Lille, presente sa translation » (fol. </C>
- 78 Voir, par exemple, une logique similaire dans les manuscrits originaux de Christine de Pizan, dont (...)
49Après cette ouverture spectaculaire, suit, au folio 5v, la traduction par Jean Miélot de l’Epistre à Quintus de Cicéron, dédiée à Charles le Téméraire76, qui s’ouvre sur le prologue du traducteur et un dessin autographe de présentation du livre au prince77 ; le prologue présente un trèfle (fol. 6r) et de petites cadelures de quelques lignes de hauteur, qui reprennent des motifs utilisés dans d’autres manuscrits de Miélot, par exemple la gueule ouverte (fol. 6r, 7r, 8r) et qui tiennent donc, sans doute, lieu de leitmotiv et de rappel visuel de la figure de l’auteur78. Le prologue ne fait aucune mention d’un travail de copie et ne donne aucune précision géographique ou chronologique, l’intitulé d’ouverture géant en tenant probablement lieu. Par contre, la traduction se termine, comme elle s’ouvrait, sur un développement à pleine page des éléments du péritexte relatifs à l’hic et nunc de la copie et à la figure de l’auteur-transcripteur, avec pour nouveauté l’emploi, plutôt qu’une seule lettre à pleine-page et de lettres minuscules, de plusieurs lettres « à pleine page » sur une même page :
Cy fine une tresbelle epitre de Tulle laquelle il escripvy jadis à Quintus son
frere lors qu’il avoit la charge du gouvernement de la province de Asie, et fu
translatee de latin en françois par. Jo. Mielot prebstre natif du diocese d’ Amiens
& c l’an mil cccc soixante huyt & cetera. (fol. 25v)
FAIT À LILLE (fol. 26r)
PAR MOY (fol. 26v)
MIELOT [labyrinthe donnant le nom Mielot] (fol. 27r) [les folios 27v, 28r-v n’ont pas été transcrits].
50L’auteur et son travail de copie y sont clairement présentés pour le lecteur et inscrits sur la page à la manière d’une écriture épigraphique monumentale.
- 79 Voir Delsaux, Manuscrits et pratiques, p. 264-270.
- 80 Cette esthétique caractérise d’autres entreprises de publication que celles qui se nomment minutes(...)
51La formulation « minute minutee » du manuscrit Paris, BnF, fr. 17001 (fol. 4r-4v) ne nous semble pas insignifiante. Elle pourrait constituer un clin d’œil et confirmer l’aspect ludique de ces signes de corpo-réalité : étymologiquement, une minute est un document écrit en lettres menues. Au vu des emplois du mot à l’époque79, les manuscrits que l’on nommait minutes étaient le plus souvent des manuscrits préparatoires ou des manuscrits-modèles de manuscrits de diffusion plus luxueux (en lettres grosses) et soumis à l’approbation du destinataire, soit des manuscrits de diffusion encore inachevés. Or, ici, le manuscrit Paris, BnF, fr. 17001 n’est ni un document préparatoire, ni un texte en lettres menues, mais un manuscrit transcrit en lettres anormalement développées et dans un livre dont le format est celui des livres habituellement offerts aux destinataires des manuscrits originaux de Jean Miélot. Selon nous, les minutes de Miélot – comme le BnF, fr. 17001, ici considéré, ou le KBR 9049, explicitement désignés comme des minutes, auxquels on pourrait ajouter les manuscrits KBR II 239 et Copenhague, KB, Thott. 1090, qui s’en rapprochent codicologiquement (voir supra et infra) – n’auraient pas été des manuscrits préparatoires ou inachevés. Il aurait pu s’agir de manuscrits de diffusion répondant à une esthétique et à un usage différents de ceux des manuscrits de diffusion généralement produits par l’auteur, inscrivant peut-être le livre dans un autre type de rapport au livre, plus individuel80.
- 81 Voir Schoysman, « Les minutes de Jean Miélot » ; Van Hemelryck et Van Hoorebeeck, « L’Epistre Othe (...)
52Pour Miélot, la minute autographe pourrait bien être un manuscrit expérimental. La minute serait un type de manuscrit de diffusion où le transcripteur exécuterait comme à l’impromptu une copie selon un format établi arbitrairement à l’avance, en fonction duquel il adapterait son texte (ajout d’éléments de remplissage ; suppression ; resserrement de l’écriture ; développement de cadelures) et qui serait réservé à des auteurs. Les manuscrits Bruxelles, KBR, II 239 et Paris, BnF, fr. 17001 sont exemplaires de cette démarche d’essai puisque les variations textuelles que l’on observe pour leur copie respective de la Briefve compilacion sont le plus souvent dues aux contraintes codicologiques spécifiques de chacun des deux manuscrits, le premier étant transcrit en mode « paysage », le second en mode « portait81 ». Le tour de force qu’est la minute autographe afficherait clairement l’auteur dans la dimension matérielle de son activité ; d’où l’emploi de ces jeux calligraphiques monumentaux à l’ouverture de ces manuscrits.
53La section II s’ouvre, comme la première, sur la précision performative et auto-admirative de Miélot que le lecteur est face à une « minute minutee » par lui-même, avec les cadelures à pleine-page du M, qui devaient revêtir une valeur particulière pour Miélot vu qu’il s’agissait de l’initiale de son nom (qu’il n’abrège jamais, au contraire de son prénom) :
Minute (fol. 36r) [motifs géométriques]
Minutee (fol. 36v) [motifs géométriques].
54Cette section débute sur une Genealogie de Nostre Seigneur (jusqu’en 1460), dont l’intitulé d’ouverture prend la forme d’une séquence de cadelures, avec, nouvelle variation – qui confirme la dimension ludique de ces inscriptions péritextuelles monumentales –, le placement de deux cadelures par page :
Cy commence La geanealogie (fol. 37r) [gueule pour le C]
De nostreseigneur Jhesucrist Translatee en françois (37v)
Par Jo Mielot Chanoine de Lille (38r) [gueule pour le C]
L’an mil CCCC lx En la fourme qui s’ensuyt (38v).
- 82 Sur cette la fonction iconographique de la distinction feuillet/livre, voir, entre autres, Br. Rou (...)
- 83 Voir G. Hasenohr, « L’essor des bibliothèques privées aux xive et xve siècles », dans Histoire des (...)
55Suit une courte prière en latin (fol. 39r). Si le péritexte (« pour l’acteur »-titre courant-ou pour « pour l’acteur qui a fait ou translaté ceste genealogie de nostreseigneur Jhesucrist »-titre-) reste ambigu, le portrait, autographe, qui l’ouvre semble plus clairement destiné à auto-représenter Jean Miélot, assis devant un bureau et face à un feuillet inachevé – et non face à un livre82. Le portrait autographe pourrait avoir pour fonction de rendre Jean Miélot présent au lecteur, au moment justement où il est invité à prier pour son âme – dans une fonction similaire à celle d’une pierre tombale ou de l’ex-libris d’un livre donné en héritage83.
- 84 Suivent quelques arbres généalogiques (fol. 89r-98v), dont ceux de saint Fursy, Louis IX et Charle (...)
56Ensuite, après la courte vision d’Ézéchiel (fol. 39v-40r), apparaît le texte principal de la section II, la Compilation des histoires de la Bible (fol. 40v-87v), traduction du texte de Jean d’Udine, que Miélot avait déjà transcrite dans le manuscrit autographe Bruxelles, KBR, II 239 (voir supra). L’intitulé du texte et le prologue du traducteur débutent tous deux sur une lettre cadelée (un C à gueule). Comme dans le KBR II 239, le texte s’ouvre sur une mappemonde, de la main de Miélot (fol. 41v), et sur une miniature – autographe – représentant le don du livre au dédicataire (fol. 42v). Contrairement à la copie du KBR II 239, mais de façon parallèle au texte principal de la section précédente, la Compilation se termine par un labyrinthe, inachevé (transcrit sur un folio ajouté sur onglet)84.
- 85 Dont l’attribution à Jean Miélot est douteuse ; voir éd. P. Morabito, Messina, Peloritana, 1968, p (...)
57Quant à la section III, elle contient uniquement l’anonyme Mors de la pomme (fol. 107r-114v)85. Le manuscrit se clôt par un explicit « mis en scène » : un personnage barbu, dessiné par Miélot en bas à droite du dernier folio porte le texte « C’est cy l’istoire du mors de la pomme » (fol. 114v).
- 86 Formellement, le manuscrit BnF, fr. 17001 ne diffère guère du manuscrit KBR 9049 possédé par Phili (...)
- 87 Voir, par exemple, E. Doudet, Poétique de George Chastelain (1415-1475). Un cristal mucié en un co (...)
58Comme pour le manuscrit précédent, la destination initiale du manuscrit nous est inconnue ; son statut de manuscrit personnel a été déduit par la critique de ce « sur-affichage » de l’auteur dans son manuscrit. Pourtant, selon nous, la présence de jeux sur le nom de l’auteur et sa volonté de se mettre en écrit ne sont pas incompatibles avec sa destination à un lecteur tiers, comme on l’a vu avec les manuscrits destinés à Philippe le Bon, notamment le premier manuscrit auctorial connu d’un texte de Jean Miélot qu’est le KBR 9049 ; pour autant, il a dû s’agir d’un lecteur connu de lui, avec lequel il avait développé ou comptait développer une relation privilégiée86 et qui était en mesure d’apprécier ces jeux auctoriaux et calligraphiques. Enfin, l’on notera que la manière dont Miélot se met en scène dans ce manuscrit, de façon souvent monumentale, pourrait s’inscrire dans les préoccupations de certains écrivains de la cour de Bourgogne : le souci de construire, par son œuvre, un lieu de mémoire pour son nom et pour celui du prince, sur le modèle du temple ou du tresor87.
- 88 Sur ce manuscrit, voir N. Abrahams, Description des manuscrits français du Moyen Âge de la bibliot (...)
- 89 L’auteur offrant son livre au prince, fol. 1v et 67r ; l’auteur plume à la main dans son étude, fo (...)
59Reste à évoquer le troisième et dernier manuscrit du trio final des manuscrits auctoriaux de Jean Miélot : le manuscrit Copenhague, KB, Thott 109088, manuscrit-recueil qui est contemporain du BnF, fr. 17001 (1468) et qui présente un texte commun avec lui : la traduction de l’Epistula ad Quintum de Cicéron. Le manuscrit est également, selon notre expertise, entièrement autographe, texte, corrections, titres et miniatures comprises. Par contre, les signes de l’auteur y sont limités. Outre l’exécution autographe des portraits de l’auteur89, l’on trouve une dizaine de trèfles, dont certains placés à des endroits stratégiques d’un point de vue textuel, par exemple la fin de l’intitulé d’ouverture de l’Epistre à Quintus (fol. 44r), ou matériel, par exemple l’explicit-colophon de cette même Epistre (« [trèfle] Explicit anno lxviii [trèfle] », fol. 66r) ou celui du remaniement par Miélot d’une section du Livre des Eschez amoureux moralisés d’Évrart de Conty (« Escript en la ville de Lille l’an de grace mil cccc lxviii [trèfle] », fol. 71v). Dans le cas de ce manuscrit, ces signes, comme ceux utilisés par Premierfait, ne sont probablement pas orientés vers le lecteur, mais uniquement vers l’auteur, seul à même de les reconnaître.
- 90 L’on peut suggérer plusieurs éléments pour tenter d’expliquer les réserves de Laurent de Premierfa (...)
60Cet aperçu des pratiques, contrastées90, de corpo-réalité de ces deux traducteurs français du xve siècle témoigne des évolutions dans les modalités de production et de consommation du texte littéraire, en particulier le lien personnel qui s’instaure désormais entre l’auteur et le lecteur et les pratiques de lecture qui supposent un rapport personnel et visuel du lecteur avec le manuscrit. Malgré tout, il semble que certains signes de corpo-réalité peu spectaculaires n’aient pas été conçus pour être perçus et vus par le lecteur ; ils témoignent peut-être du seul désir de l’auteur-traducteur de laisser une trace de son intervention dans le manuscrit, au moment où précisément il doit s’en séparer.
61Nous pensons également avoir pu montrer que les traducteurs ont autant, sinon plus – en raison justement de leur statut auctorial problématique parce que partagé –, cherché à se construire une figure auctoriale forte et, pour le faire, à user de toutes les ressources à leur disposition, notamment le manuscrit, lieu symbolique fort au sein du champ littéraire et culturel de l’époque. Dans cette perspective, semble logique l’affichage de la figure du traducteur dans les manuscrits originaux de ces textes selon des procédés scripturaires destinés à la rendre visuellement présente au lecteur. Elle semble même nécessaire pour rendre présent un « homme invisible ».
- 91 Deux cas mériteraient d’être approfondis. D’une part, celui du manuscrit de la traduction français (...)
62Cet article entend d’ailleurs encourager à l’exploration des pratiques d’autres traducteurs, en particulier ceux de la toute fin du xve siècle et du début du xvie siècle, pour déterminer notamment si l’émergence du livre imprimé moderne et la valorisation croissante du statut de traducteur ont eu un impact sur les stratégies de corpo-réalité. Une telle étude suppose le retour aux exemplaires conservés des textes des traducteurs91.
Notes
1 Par manuscrit auctorial, nous entendons « un manuscrit produit sous la direction de l’auteur et dans lequel apparaissent aujourd’hui des traces visibles de son intervention (qu’il s’agisse, par exemple, d’un travail de copie ou de correction) ». Sur cette typologie, voir O. Delsaux et T. Van Hemelryck, Les manuscrits autographes en français au Moyen Âge. Guide de recherches, Turnhout, Brepols, 2014.
2 Dans le cadre de cet article, nous envisageons la corpo-réalité comme le procédé textuel et/ou matériel par lequel un individu, absent, tâche d’afficher sa présence physique aux yeux d’un autre individu.
3 O. Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes à la fin du Moyen Âge. L’exemple de Christine de Pizan, Genève, Droz, 2013. Sur cette question, voir également S. Lefèvre, « Signatures et autographes : l’exemplaire Antoine de La Sale », Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale, éd. M. Zimmermann, Paris, ENC, 2001, p. 429-456 ; S. Lefèvre, Antoine de La Sale. La fabrique de l’œuvre et de l’écrivain. Suivi de l’édition critique du « Traité des anciens et des nouveaux tournois », Genève, Droz, 2006.
4 Pour un plaidoyer en faveur d’un changement de perspective sur ce « corps » du champ littéraire, voir Quand les auteurs étaient des nains. Stratégies auctoriales des premiers traducteurs français, éd. O. Delsaux et T. Van Hemelryck, Turnhout, Brepols, à paraître.
5 Sur ces stratégies chez certains traducteurs médiévaux, voir B. Ribémont, « Jean Corbechon, traducteur encyclopédiste au xive siècle », Cahiers de recherches médiévales, 6, 1999, p. 75-98 ; A. Schoysman, « Les prologues de Jean Miélot », L’analisi linguistica et letteraria, 8, 2000, p. 315-328 ; C. Croizy-Naquet, « Constantes et variantes de l’exorde chez Jean de Vignay », Seuils de l’œuvre dans le texte médiéval, éd. E. Baumgartner et L. Harf-Lancner, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2002, t. 2, p. 37-58 ; A. Schoysman, « Le statut des auteurs “compilés” par Jean Miélot », L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, Turnhout, Brepols, 2006, p. 303-314 ; N. Labère, Défricher le jeune plant. Étude du genre de la nouvelle au Moyen Âge, Paris, Champion, 2006, p. 142-187.
6 Voir O. Delsaux, « Nouvelles perspectives sur la réception de la littérature castillane en français à la fin du Moyen Âge : la traduction française de la Crónica abreviada de Diego de Valera et des Crónicas de los reyes de Castilla de Pero López de Ayala », Zeitschrift für romanische Philologie, à paraître.
7 Voir Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes à la fin du Moyen Âge, chap. 3.
8 Voir, entre autres, P. F. Campa, « L’âge d’or des emblèmes », L’Époque de la Renaissance (1400-1600), t. 4, Crises et essors nouveaux (1560-1610), éd. T. Klaniczay, Amsterdam, 2000, p. 199-210 ; Y. Giraud, L’Emblème à la Renaissance, Paris, SEDES, 1980 ; Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, éd. M.-T. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1981.
9 Sur le premier humanisme français et, plus particulièrement, sur leurs manuscrits, voir, entre autres, G. Ouy, « Autographes calligraphiés et scriptoria d’humanistes en France vers 1400 », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques (Année 1963). Actes du 88e Congrès national des Sociétés savantes tenu à Clermont-Ferrand, 1966, p. 891-898 ; G. Ouy, « L’Humanisme et les mutations politiques et sociales en France aux xive et xve siècles », L’Humanisme français au début de la Renaissance ( xive Colloque international de Tours), Paris, Vrin, 1973, p. 27-44 ; J.-P. Boudet, « Un prélat et son équipe de travail à la fin du Moyen Âge : remarques sur l’œuvre scientifique de Pierre d’Ailly », Humanisme et culture géographique à l’époque du Concile de Constance. Autour de Guillaume Fillastre, éd. D. Marcotte, Turnhout, Brepols, 2002, p. 127-150 ; N. Pons, « Leonardo Bruni, Jean Lebègue et la cour. Échec d’une tentative d’humanisme à l’italienne ? », Humanisme et culture géographique, p. 95-125 ; O. Delsaux, « Textual and Material Investigation on the Autography of Laurent de Premierfait’s Original Manuscripts », Viator. Medieval and Renaissance studies, 45, 2014, p. 299-338.
10 Au-delà de la seule intervention sur la mise en page et le programme iconographique de l’œuvre, à l’instar d’un Nicole Oresme par exemple (voir Cl. R. Sherman, Verbal and Visual Representation in Fourtheen-Century France, Berkeley, UP, 1995).
11 Sur Laurent de Premierfait, voir Un traducteur et un humaniste de l’époque de Charles VI, Laurent de Premierfait, éd. C. Bozzolo, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.
12 Sur cette traduction, voir H. Hauvette, De Laurentio de Primofato, Paris, Hachette, 1903, ici p. 11-45 ; C. Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises d’œuvres de Boccace ( xve siècle), Padoue, Liviana, 1973 ; St. Marzano, « La traduction du De casibus virorum illustrium de Boccace par Laurent de Premierfait : entre le latin et le français », La traduction vers le moyen français, éd. Cl. Galderisi, Turnhout, Brepols, 2007, p. 283-295 ; St. Marzano (éd.), Édition critique du « Des cas des nobles hommes et femmes », thèse de doctorat, Toronto, UP, 2008 [numérisation disponible sur le site des Archives et bibliothèques du Canada].
13 Sur ce manuscrit, voir Sotheby & Co. Bibliotheca Phillippica. Medieval Manuscripts. New Series. Part VI, Catalogue of Manuscripts on Papyrus, Vellum and Paper of the 7th to the 18th Century. Day of Sale. Tuesday 30th November 1971, Londres, Sotheby’s, 1971, no 506 ; Cinq années d’acquisitions 1969-1973. Exposition organisée à la Bibliothèque royale Albert I er du 18 janvier au 1 er mars 1975, Bruxelles, KBR, 1975, no 18 ; Delsaux, « Textual and Material Investigation », p. 320-323.
14 En attestent l’écriture (lettre courante soignée), la présence de décorations peintes et dorées, la rubrication des titres, le rehaussage des lettres à l’encre rouge.
15 Voir Delsaux, « Textual and Material Investigation on the Autography of Laurent de Premierfait’s Original Manuscripts ».
16 « selon le droit latin » transcrit de la main de l’auteur sur le grattage d’une vingtaine de lettres, dont les tracés, bien qu’illisibles, semblent correspondre à la leçon des manuscrits Baltimore, WAG, 314 et Manchester, JRL, Fr 164, soit « par moy Laurent de Premierfait ».
17 Voir O. Delsaux, « La ou les traduction(s) française(s) du De casibus virorum illustrium de Giovanni Boccaccio au xve siècle ? Mise au point sur l’histoire d’“un” texte et prolégomènes à l’édition du texte », Revue d’Histoire des textes, 12, 2017, p. 321-351.
18 Comme en témoigne le fait qu’il soit accompagné au folio 39r de la mention correctus.
19 Paris, AN, J 612, no 46bis ; Paris, AN, J 916, no 16 et 19.
20 Voir A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, Alcan, 1894, p. 567, 601-607 ; A. de Boüard, Manuel de diplomatique française et pontificale. I. Diplomatique générale, Paris, Picard, 1929, p. 176-177, 330-331 ; O. Morel, La grande chancellerie royale et l’expédition des lettres royaux de l’avènement de Philippe de Valois à la fin du xive siècle (1328-1400), Paris, Picard, 1900, p. 45.
21 Sur ce texte, voir Laurent de Premierfait, Livre de vieillesse, éd. St. Marzano, Turnhout, Brepols, 2009 ; St. Marzano, « Laurent de Premierfait : entre le latin et le français », L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, Turnhout, Brepols, 2006, p. 229-238 ; O. Delsaux, « La philologie au risque des traditions mixtes. Le cas du Livre de vieillesse de Laurent de Premierfait », Revue belge de philologie et d’histoire, 91, 2013, p. 935-1009.
22 Sur ce manuscrit, voir E. Pellegrin, « Notes sur deux manuscrits enluminés contenant le De senectute de Cicéron avec la traduction française de Laurent de Premierfait », Scriptorium, 12, 1958, p. 276-283 ; A. D. Hedeman, « Making the Past Present in Laurent de Premierfait’s Translation of De senectute », Excavating the medieval image : manuscripts, artists, audiences. Essays in honor of Sandra Hindman, éd. D. Areford and N. A. Rowe, Londres, Ashgate, 2004, p. 59-73 ; A. D. Hedeman, Translating the Past Present Laurent de Premierfait and Boccaccio’s De Casibus, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 208, p. 24-35.
23 Sur cette question, voir C. Stroo, De celebratie van de macht : presentatieminiaturen en aanverwante voorstellingen in handschriften van Filips de Goede (1419-1467) en Karel de Stoute (1467-1477), Bruxelles, Académie royale, 2002 ; P. Schandel, Scènes de présentation et images de dédicace à la Cour des Ducs de Bourgogne, mémoire de Master inédit, U. de Strasbourg, 1989-1990.
24 Sur ce manuscrit, voir P. Durrieu, « Découverte de deux importants manuscrits de la librairie des ducs de Bourgogne », Bibliothèque de l’École des chartes, 71, 1910, p. 64-69 ; H. Martin, Le Boccace de Jean sans Peur. Des cas des nobles hommes et femmes. Reproduction des cent cinquante miniatures du manuscrit 5193 de la Bibliothèque de l’Arsenal, Bruxelles, Van Oest, 1911 ; Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 51-53.
25 Sur ce manuscrit, voir Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 145-147 ; M.-H. Tesnière, « Notice », Boccaccio visualizzato : narrare per parole e per immagini fra Medioevo e Rinascimento. Part III, éd. V. Branca, Turin, Einaudi, 1999, no 21 ; A. D. Hedeman, « Notice », Imagining the Past in France. History in Manuscript Painting. 1250-1500, éd. E. Morrison et A. D. Hedeman, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2010, no 35.
26 Voir Hauvette, De Laurentio de Primofato, p. 55-57.
27 Cette main utilise des petits signes en forme de trèfle tout à fait caractéristiques et ce, à des endroits stratégiques du texte (fin de chapitre, fin de titre, fin d’un explicit) ; par exemple, Genève, BPU, fr. 190, vol. I, fol. 128v et vol. II, fol. 69r ; Paris, Arsenal, 5193, fol. 6r, 24v ; Vatican, BAV, pal. lat. 1989, fol. 25r, 291v.
28 L’hésitation Laurens/Laurent pour la graphie du nom de l’auteur apparaît ailleurs dans les manuscrits originaux de Laurent de Premierfait ; la graphie Laurens a pu être ressentie comme plus latinisante (bien qu’elle ait pu être ressentie comme un cas sujet) et, en tout cas, elle se calque sur la graphie Laurentius qu’il utilise dans les manuscrits de ses textes latins.
29 Voir Durrieu, « Découverte de deux importants manuscrits », p. 66.
30 Sur ce manuscrit, voir Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 163-165 ; P. Durrieu, « Le plus ancien manuscrit de la traduction française du Decameron », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1909, p. 347-349 ; M. Meiss, « The First Fully Illustrated Decameron », Essays presented to Rudolf Wittkower on his Sixty-fifth Birthday, éd. D. Fraser, Londres, Phaidon, 1967, p. 56-61 ; M.-H. Tesnière, « Notice », Boccacio visualizzato, no 83.
31 Voir Bozzolo, Manuscrits des traductions françaises, p. 14.
32 Sur l’identification des mains, voir Delsaux, « Textual and Material Investigation », p. 320-323.
33 Voir Laurent de Premiefait, Decameron, éd. G. Di Stefano, Montréal, Ceres, 1998, p. viii-ix.
34 Voir B. Guenée, « Authentique et approuvé. Recherches sur les principes de la critique historique au Moyen Âge », La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Moyen Âge, Paris, CNRS, 1981, p. 215-230 ; Cl. Jeay, « La naissance de la signature dans les cours royales et princières de France (xive-xve siècle) », « Auctor » et « Auctoritas ». Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, éd. M. Zimmermann, Paris, ENC, 2001, p. 458-476, en part. p. 461 ; B. Fraenkel, « La signature : du signe à l’acte », Sociétés et Représentations, 25, 2008, p. 13-23.
35 D’ailleurs, dans les manuscrits originaux précédents (1re version du Des cas des nobles hommes et Livre de vieillesse), la signature n’apparaît pas puisque l’intitulé contient le contient le nom de l’auteur (« par moy Laurent de Premierfait » et « par moi Laurent de Premierfait », voir supra).
36 Sur une telle utilisation, plusieurs dizaines d’années plus tard, voir le cas exemplaire d’Antoine de La Sale, admirablement étudié par S. Lefèvre (La fabrique de l’œuvre et « Signatures et autographes. L’exemplaire Antoine de La Sale », « Auctor » et « Auctoritas », p. 429-445).
37 Voir R. C. Famiglietti, « Laurent de Premierfait : The Career of a Humanist in early fifteenth century Paris », Journal of Medieval History, 9, 1983, p. 25-42.
38 Voir A. Petrucci, « Alle origini del libro moderno. Libri da banco, libri da bisaccia, libretti da mano », Italia medioevale e umanistica, 12, 1969, p. 295-313 ; A. Petrucci, « Minuta, autografo, libro d’autore », Atti del convegno internazionale « Il libro e il testo ». Urbino, 20-23 settembre 1982, Urbino, Università degli studi, 1984, p. 397-414 ; V. Colli, Giuristi medievali e produzione libraria. Manoscritti, autografi, edizioni, Stockstadt, Keip, 2005 ; R.-H. Bautier, « Chancellerie et culture au Moyen Âge », Cancelleria e cultura nel Medioevo, Vatican, BAV, 1990, p. 1-75 ; N. Pons, « Les chancelleries parisiennes sous les règnes de Charles VI et Charles VII », Cancelleria e cultura nel Medioevo, p. 137-138.
39 Voir E. Ornato, « Les humanistes et la redécouverte des classiques », Préludes à la Renaissance. Aspects de la vie intellectuelle en France au xve siècle, Paris, CNRS, 1992, p. 1-45 ; E. Ornato, « La redécouverte des classiques, révélateur de ruptures et de continuités dans le mouvement humaniste en France au xve siècle », L’aube de la Renaissance, éd. D. Cecchetti, Genève, Droz, 1991, p. 83-101.
40 Voir Laurent de Premierfait, Le livre de la vraye amistié, éd. O. Delsaux, Paris, Champion, 2016.
41 Sur Jean Miélot, voir P. Perdrizet, « Jean Miélot, l’un des traducteurs de Philippe le Bon », Revue d’Histoire littéraire de la France, 14, 1907, p. 472-482 ; Le moyen français, 67, 2010, no spécial, Jean Miélot, en particulier O. Delsaux, « Bibliographie de et sur Jean Miélot », p. 157-202 ; Miniatures flamandes. 1404-1482, éd. B. Bousmanne et Th. Delcourt, Paris, BnF, 2011, passim.
42 Voir T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, « L’Epistre Othea en contexte bourguignon. Des efforts de Christine de Pizan aux prouesses de Jean Miélot », Le moyen français, 67, 2010, p. 111-128.
43 La critique a prétendu que le manuscrit Bruxelles, KBR, 9083 du Debat de felicité de Charles Soillot (ca. 1460) présentait la signature de l’auteur, après l’intitulé de clôture (La librairie de Philippe le Bon. Exposition organisée à l’occasion du 500e anniversaire de la mort du Duc, Bruxelles, KBR, 1967, p. 14). Or, il s’agit de la signature autographe d’un de ses possesseurs, Charles de Croÿ, comte de Chimay (fol. 88r).
44 Sur ce manuscrit, voir P. Perdrizet, Étude sur le « Speculum humanae salvationis », Paris, Champion, 1908 ; B. Cardon, Manuscripts of the Speculum Humanae Salvationis in the Southen Netherlands (ca. 1410-ca. 1470). A Contribution to the Study of the 15th century book illumination and of the function and meaning of historical symbolism, Louvain, Peeters, 1996 ; B. Cardon, « Jean Miélot als ontwerper van verluchte handschriften : De Miroir de la salvation humaine uit 1449 in de Koninklijke Bibliotheek te Brussel », De Gulden Passer, 64, 1986, p. 15-46 ; O. Delsaux, « La traduction française du Speculum humanae salvationis de Jean Miélot : l’échec d’un traducteur à l’essai », Le moyen français, 67, 2010, p. 37-62.
45 Définis comme des « Traits de plume entrecroisés, à effet décoratif, qui forment certaines parties de la lettre ou qui en prolongent la haste » dans la version électronique du Dictionnaire codicologique de D. Muzerelle (http://codicologia.irht.cnrs.fr/accueil/vocabulaire). Sur ces cadelures, Gh. Brunel, Images du pouvoir royal. Les chartes décorées des archives nationales, xiiie -xve siècle, Paris, CHAN, 2005 ; G. Labory, « Les manuscrits de la Grande Chronique de Normandie du xive et du xve siècle », Revue d’histoire des textes, 28, 1999, p. 183-233, ici p. 227.
46 Sur ce manuscrit, voir Fr. Johan, « Notice », La librairie des ducs de Bourgogne, volume 2, Textes didactiques, éd. B. Bousmanne, C. Van Hoorebeeck et T. Van Hemelryck, Turnhout, Brepols, 2003, p. 78-82 ; D. Vanwijnsberghe et E. Verroken, « Notice », Miniatures flamandes, éd. B. Bousmanne et Th. Delcourt, Paris, BnF, 2011, no 33.
47 Voir P. Schandel, « De l’ombre à la lumière. Germain Picavet, bourgeois de Lille, clerc de la gouvernance, scribe occasionnel de Philippe le Bon (1454) », Revue du Nord, 80, 1998, p. 65-89.
48 Voir H. Vander Linden, Itinéraires de Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1419-1467) et de Charles, comte de Charolais (1433-1467), Bruxelles, Académie royale, 1940, p. 258-260.
49 Voir, par exemple, G. Ouy, Le recueil épistolaire autographe de Pierre d’Ailly, Amsterdam, North-Holland publishing company, 1966 ; H. Millet et E. Poulle, Le vote de la soustraction d’obédience en 1398, vol. 1, Introduction. Édition et fac-similés des bulletins du vote, Paris, CNRS, 1988 ; G. Ouy, « Jean Lebègue (1368-1457), auteur, copiste et bibliophile », Patrons, Authors and Workshops. Books and Book Production in Paris around 1400, éd. G. Croenen et P. Ainsworth, Louvain, Peeters, 2006, p. 143-171.
50 Le syntagme sans y riens mettre du sien est une précision courante dans le métadiscours des traducteurs, qui affichent, dans une perspective archéologique et philologique, vouloir suivre au plus près le texte-source. On ne peut la lire comme un commentaire sur le processus d’inscription du traducteur dans la matérialité du manuscrit.
51 D. Vanwijnsberghe et E. Verroken émettent l’hypothèse que « Miélot ait produit cet exemplaire de sa propre initiative et qu’il l’ait gardé par devers lui, attendant les occasions de le faire illustrer ou d’en tirer quelque profit. » (« Notice », Miniatures flamandes, p. 236).
52 Sur ce texte, voir Vie et miracles de saint Josse de Jean Miélot, éd. N.-O. Jönsson, Turnhout, Brepols, 2004. Sur ce manuscrit, voir G. Dogaer et M. Debae, « Notice », La librairie de Philippe le Bon, Bruxelles, KBR, 1967, no 73 ; Cl. Lemaire et M. Henry, « Notice », Isabelle de Portugal. Duchesse de Bourgogne, 1397-1471, Bruxelles, KBR, 1991, no 9.
53 Comme le suggère également la précision « En la fourme et stile qui s’ensuit ».
54 L’on notera que Miélot choisit souvent les mêmes lettres pour ses cadelures à pleine-page (par exemple, le S ou le P), créant un effet de répétition et donc de reconnaissance de sa figure auctoriale.
55 Sur ce manuscrit, voir E. van der Vlist, Schitterende Schatten. Verluchte handschriften in de Koninklijke Bibliotheek, Amersfoort, Bekking & Blitz, 2011, p. 92 ; E. Brayer et A. S. Korteweg, Catalogue of French-language medieval manuscripts in the Koninklijke Bibliotheek (Royal Library) and Meermanno-Westreenianum Museum The Hague, La Haye, KB, 2003, p. 9.
56 Sur ce manuscrit, voir Dogaer et Debae, La librairie de Philippe le Bon, no 58.
57 P. De Winter, « The Grandes Heures of Philip the Bold, duke of Burgundy : the Copyist Jean L’Avenant and his Patrons at the French Court », Speculum, 57, 1982, p. 786-842, en part. p. 791 ; Cl. Lemaire, « Notice du ms. », La Librairie des ducs de Bourgogne, vol. 1, Textes liturgiques, ascétiques, théologiques, philosophiques et moraux, éd. B. Bousmanne, T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, Turnhout, Brepols, 2000, p. 264-272 ; A. van Buren, « Dreux Jehan and the Grandes Heures of Philip the Bold », Als ich can. Liber Amicorum in Memory of Professor Dr. Maurits Smeyers, éd. B. Cardon, J. Van der Stock et D. Vanwijnsberghe, Louvain, Peeters, 2002, p. 1377-1414 ; H. Wijsman, « Jean Miélot et son réseau. L’insertion à la cour de Bourgogne du traducteur-copiste », Le moyen français, 67, 2010, p. 129-156.
58 Sur ce texte, voir O. Delsaux, « La mise en prose des Vigiles des morts de Pierre de Nesson, texte inconnu attribuable à Jean Miélot », Le Moyen Âge, 109, 2013, p. 143-181.
59 Sur cette question, voir A. Schoysman, « Les minutes de Jean Miélot : le cas de la Briefve compilation de toutes les histoires de la Bible dans les mss Paris, BnF, fr. 17001 et Bruxelles, KBR, II 239 », Le moyen français, 67, 2010, p. 70-100 ; O. Delsaux, « La traduction française du Speculum humanae salvationis de Jean Miélot : l’échec d’un traducteur à l’essai », Le moyen français, 67, 2010, p. 37-62 ; O. Delsaux, Manuscrits et pratiques autographes, chap. 2.
60 Il est à noter qu’en 1455, Jean Miélot achève, à destination de Philippe le Bon, sa traduction du Directorium ad passagium faciendum ; des deux manuscrits possédés par le duc de Bourgogne, seul l’un serait autographe, le Bruxelles, KBR, 9095. Cependant, Miélot n’y mentionne pas son travail de copie ; les intitulés du manuscrit sont identiques à ceux du manuscrit orignal, non copié de sa main, Bruxelles, KBR, 9087, notamment « a esté translaté en cler françois par. Jo. Mielot, chanoine de Lille en Flandres » (fol. 1r).
61 Il contient principalement sa traduction des Historia scolastica de Jean d’Udine (Geneaologie de Nostre Seigneur) et sa traduction de la Compilatio Nova super tota Biblia du même auteur (Briefve compilation des histoires de toute la Bible tant du viel Testament comme du nouvel et des Histores scolastiques).
62 Sur cette question, voir Schoysman, « Les minutes de Jean Miélot ».
63 Date donnée également dans le manuscrit auctorial Paris, BnF, fr. 17001, voir infra.
64 En effet, c’est la date donnée aux premiers folios du manuscrit, dans le prologue du traducteur (fol. 1r), la date butoir des généalogies transcrites par Miélot aux folios 39v-54r (dont le titre d’ouverture précise pourtant qu’elles ne s’étendent que jusqu’en 1452 !) et la date de facture de la généalogie de Messire Jehan Mielot lui-même, transcrite de sa main au verso de la généalogie : « faict l’an iiiiclxiii » (fol. 54v). Cette tranche chronologique semble confirmée par la date des filigranes majoritaires de cette section (fol. 1-54), datables de 1451-1456 (Piccard XI 2179, 2181, 2184).
65 Il est probable que Miélot ait acquis les feuillets de son manuscrit au moment de la première étape d’achèvement de la traduction, mais qu’il n’ait commencé à les copier que vers 1462-1463, pour le parachever sans doute jusque vers 1468-1469. En effet, les folios des cahiers 37-50 et 51-54 de la fin de cette section présentent plusieurs filigranes datables de vers 1468 (fol. 37-54 [variante de Briquet 2988]), donc postérieurs à la date affichée de 1462-1463. En outre, folio 54r, comme l’ont noté les auteurs du Catalogue des manuscrits datés (t. 4, 1461-1468, Bruxelles-Gand, Story-Scientia, 1982, p. 93), se trouve transcrite, de la main de Jean Miélot, la relation d’évènements postérieurs à 1462, jusqu’en 1469. Enfin, le nombre irrégulier de folios des cahiers 37-50 et 51-54 par rapport aux autres cahiers du manuscrit témoigne indéniablement d’un travail in progress de confection, au départ d’une quantité de papier insuffisante.
66 La logique de corpo-réalité de ce manuscrit pourrait presque sembler rejoindre certaines caractéristiques de publications contemporaines types « blog » ou « tweet », notamment la logique de datation et de géo-localisation des contenus. Voir par exemple A. Compagnon, Petits spleens numériques, Paris, Équateurs parallèles, 2015.
67 La section fol. 55-59 est constituée de folios vierges (filigranes proches de Piccard V. 82 [vers 1470]) et a sans doute été ajoutée après l’achèvement de la 1re section (vers 1469-1470).
68 Variante de Briquet 6644-6651 (vers 1463).
69 La dimension performative de l’addition est d’autant plus nette que Miélot ajoute, en marge supérieure, postérieurement à la copie du reste de la page (y compris l’explicit-colophon), la précision « Cestui Phelippe regne vivant en l’an mil cccc lxiii », qui, quant à elle, vu l’écriture, date sans doute de la copie des parties datables de 1468, donc postérieurement à la mort du duc (15 juin 1467), justement mentionnée dans les derniers évènements de la généalogie du folio 54r.
70 C’est la suggestion des rédacteurs du Catalogue des manuscrits datés : « n’a probablement d’autre fonction que de garnir le verso du dernier f. du ms. » (ibid., p. 94).
71 Sur ce manuscrit, voir R. Bossuat, « Jean Miélot, traducteur de Cicéron », Bibliothèque de l’École des chartes, 99, 1938, p. 82-124 ; G. Mombello, « Per la fortuna del Boccacio in Francia. Jean Miélot traduttore di due capitoli della Genealogia », Studi sul Boccacio, 1, 1963, p. 415-444 ; G. Mombello, « Quattro poesie latine di Jean Miélot », Miscellanea di studi e ricerche sul Quattrocento francese, éd. Fr. Simone, Turin, Giappichelli, 1967, p. 213-240 ; P. Schandel, « A l’euvre congnoist on l’ouvrier. Labyrinthes, jeux d’esprit et rébus chez Jean Miélot », Quand la peinture était dans les livres. Mélanges en l’honneur de François Avril, éd. M. Hofmann et C. Zöhl, Paris-Turnhout, BnF-Brepols, 2007, p. 295-302 ; S. Lefèvre, « Jean Miélot, traducteur de la première Lettre de Cicéron à son frère Quintus », La traduction vers le moyen français, éd. Cl. Galderisi, Turnhout, Brepols, 2007, p. 125-147 ; M. Colombo Timelli, « Jean Miélot, Les vii Sacremens de l’Eglise », Studi francesi, 55, 2011, p. 61-79 ; P. Schandel, « Notice », Miniatures flamandes, no 96.
72 La véracité de ces dates est confirmée par les filigranes et par les mentions explicites du péritexte.
73 Voir Schandel, « A l’euvre congnoist on l’ouvrier. Labyrinthes, jeux d’esprit et rébus chez Jean Miélot ».
74 Comme l’atteste le fait de lui avoir consacré, dans la collégiale de saint-Pierre de Lille, une chapellenie en 1470 sur l’autel saint Adrien ; voir G. Durand, « La châsse de saint Fursy à Gueschart », Bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques, 1890, p. 42-45.
75 Voir E. Barale, Édition critique de la « Geneaologie, la vie, les miracles et les merites de saint Foursy de Jean Miélot (ms. Wien, ÖNB, Series Nova 2731) », thèse de doctorat, U. de Turin et U. de Louvain, 2014.
76 La section I se termine par quelques textes courts : la traduction, par Miélot, du chapitre xiv du De genealogia deorum de Giovanni Boccaccio (fol. 29r-31v) ; quelques généalogies (fol. 32r-33v) ; quatre poèmes latins, peut-être de Jean Miélot (fol. 33v-34r) ; une table chronologique allant jusqu’en 1470 (fol. 34v) ; le folio 35 est vierge. Les signes personnels de Miélot y sont limités (un P cadelé caractéristique de Miélot et un trèfle à la fin de l’intitulé d’ouverture au folio 29r).
77 « <C>omment Maistre Jehan Mielot prestre indigne chanonnne de Lille, presente sa translation » (fol. 5v).
78 Voir, par exemple, une logique similaire dans les manuscrits originaux de Christine de Pizan, dont Jean Miélot a d’ailleurs copié et remanié l’Epistre Othea : D. McGrady, « What is a Patron ? Benefactors and Authorship in Ms. Harley 4431, Christine de Pizan’s Collected Works », Christine de Pizan and the Categories of Difference, éd. M. Desmond, Minnesota, 1998, p. 195-214.
79 Voir Delsaux, Manuscrits et pratiques, p. 264-270.
80 Cette esthétique caractérise d’autres entreprises de publication que celles qui se nomment minutes ; voir le cas des manuscrits auctoriaux d’Antoine de La Sale ou de Jean de Wavrin : A. Naber, « Jean de Wavrin, un bibliophile du quinzième siècle », Revue du Nord. Histoire & Archéologie. Nord de la France. Belgique. Pays-Bas, 69, 1987, p. 281-293 ; Fr. Johan, Le Maître de Wavrin. Étude codicologique et stylistique, mémoire de master, Bruxelles, ULB, 1998-1999 ; P. Schandel, « Le Maître de Wavrin », Miniatures flamandes, p. 358-360. Ou encore celui de certaines mises en prose bourguignonnes anonymes : T. Van Hemelryck, « Le livre mis en prose à la cour de Bourgogne. Réflexions pour une approche codicologique d’un phénomène littéraire », Mettre en prose aux xive -xvie siècles, éd. M. Colombo Timelli, B. Ferrari et A. Schoysman, Turnhout, Brepols, 2010, p. 245-254.
81 Voir Schoysman, « Les minutes de Jean Miélot » ; Van Hemelryck et Van Hoorebeeck, « L’Epistre Othea en contexte bourguignon ».
82 Sur cette la fonction iconographique de la distinction feuillet/livre, voir, entre autres, Br. Roux, « L’encyclopédiste à l’œuvre : images de la compilation », Le recueil au Moyen Âge. Le Moyen Âge central, éd. O. Collet et Y. Foehr-Janssens, Turnhout, Brepols, 2010, p. 157-183 ; É. Palazzo et al., Portraits d’écrivains. La représentation de l’auteur dans les manuscrits et les imprimés du Moyen Âge et de la première Renaissance, 23 juillet – octobre 2002, Poitiers, Médiathèque François-Mitterand, 2002 ; E. Salter et D. Pearsall, « Pictorial Illustration of Late Medieval Poetic Texts. The Role of the Frontispice or Prefatory Picture », Medieval Iconography and Narrative, Odense, UP, 1980, p. 100-123 ; C. Segre Montel, « Autore, copista e miniatore : immagini a confronto », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di lettere e filosofia 4e série, 2, 2003, p. 39-52.
83 Voir G. Hasenohr, « L’essor des bibliothèques privées aux xive et xve siècles », dans Histoire des Bibliothèques françaises, t. 1 [Les bibliothèques médiévales, du vie siècle à 1530], dir. A. Vernet, Paris, Promodis, 1989, p. 215-263, ici p. 243.
84 Suivent quelques arbres généalogiques (fol. 89r-98v), dont ceux de saint Fursy, Louis IX et Charles le Téméraire ; l’intitulé qui les clôt donne la date et le lieu de leur rédaction (« Fait à Lille en Flandres, l’an mil iiiic lxiii », fol. 97v [même explicit final folio 69v du KBR II 239 à la fin d’une note généalogique sur Philippe le Bon]). La section II se termine par la copie des Sept sacrements rédigés par Miélot (fol. 99v-106r).
85 Dont l’attribution à Jean Miélot est douteuse ; voir éd. P. Morabito, Messina, Peloritana, 1968, p. 447-467.
86 Formellement, le manuscrit BnF, fr. 17001 ne diffère guère du manuscrit KBR 9049 possédé par Philippe le Bon. C’est pourquoi, suivant l’hypothèse de S. Lefèvre et d’H. Wijsman, il est plausible que ce manuscrit ait été offert au protecteur de Miélot à l’époque, soit Louis de Luxembourg. Voir Lefèvre, « Jean Miélot, traducteur », p. 129 ; Wijsman, « Le connétable et le chanoine », p. 129.
87 Voir, par exemple, E. Doudet, Poétique de George Chastelain (1415-1475). Un cristal mucié en un coffre, Paris, Champion, 2005.
88 Sur ce manuscrit, voir N. Abrahams, Description des manuscrits français du Moyen Âge de la bibliothèque royale de Copenhague, Copenhague, Thiele, 1844, p. 31-33 ; Bossuat, « Jean Miélot, traducteur de Cicéron » ; Évrart de Conty, Le livre des éschez amoureux moralisés, éd. Fr. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréal, Ceres, 1993, p. xxiii.
89 L’auteur offrant son livre au prince, fol. 1v et 67r ; l’auteur plume à la main dans son étude, fol. 13v.
90 L’on peut suggérer plusieurs éléments pour tenter d’expliquer les réserves de Laurent de Premierfait à utiliser des procédés de corpo-réalité aussi spectaculaires que ceux de Miélot : les livres princiers de son époque étaient très standardisés et laissaient peu de place à des audaces de mise en page (Paris 1400. Les arts sous Charles VI, Paris, Fayard, 2004) ; le profil davantage humaniste de Laurent de Premierfait l’a peut-être conduit à une certaine sobriété et à se concentrer sur la seule signature ; l’intervention plus lâche dans la production des manuscrits réduisait les possibilités d’adaptation dans la mise en page ; la fonction du livre et en particulier du manuscrit de dédicace d’un texte n’était pas la même qu’à la cour de Bourgogne, où la vie du texte passe aussi et avant tout par la présentation du livre et par la célébration de la capacité du prince à avoir pu rendre possible une performance – au sens français et anglais du terme – matérielle (voir, par exemple, T. Van Hemelryck, « Tourner autour du manuscrit. Le livre espace du pouvoir à la cour des ducs de Bourgogne », Les lettres romanes, 61, 2007, p. 3-13). Enfin, la personnalité de Miélot n’est pas à négliger et les pratiques de Laurent de Premierfait se rapprochent davantage de la norme que celles de Miélot, y compris si on compare Laurent de Premierfait à d’autres traducteurs bourguignons, tels Jean Wauquelin ou Vasque de Lucène.
91 Deux cas mériteraient d’être approfondis. D’une part, celui du manuscrit de la traduction française du De Temporibus de Matteo Palmieri par Giovanni Cossa offert à Jeanne de Laval, actuellement en collection particulière (ex-Phillipps 216), et qui présente les armes du traducteur au dernier folio (M.-E. Gautier et Fr. Avril, Splendeur de l’enluminure. Le Roi René et les livres, Angers-Paris, Ville d’Angers, 2009, p. 370 ; P. Durrieu, « Les manuscrits à peinture de la bibliothèque de sir Thomas Phillips à Cheltenham », Bibliothèque de l’École des chartes, 50, 1889, p. 400). D’autre part, les manuscrits du traducteur Simon Bourgouin, dont plusieurs manuscrits présentent sa devise et/ou son monogramme, notamment le manuscrit de dédicace La Haye, KB, 134 C 19 de sa traduction de trois biographies des Vies parallèles de Plutarque – qui présente sa devise (« À tousjours mais » et le monogramme « SB » à l’encre rouge et bleue, juste après l’intitulé d’ouverture de la vie de Cicéron (fol. 254r) – et les manuscrits de dédicace de sa traduction des Triomphes de Pétrarque, qui présentent sa devise à plusieurs endroits (« Plus que assez » ou « Donec optata veniat ») ; vu que son nom apparaît déjà dans l’intitulé, la signature et la devise visent donc bien autre chose que l’identification de l’auteur du texte, mais ont très certainement une fonction de corpo-réalité. Sur le cas de Simon Bourgouin, voir Simon Bourgouin, Triomphes, éd. G. Parussa et E. Suomela-Härmä, Genève, Droz, 2012, p. 11 et 61-66 ; J. P. Carley et M. D. Orth, « Plus que assez. Simon Bourgouyn and his French Translation from Plutarch, Petrarch and Lucian », Viator, 34 2003, p. 328-363 ; M. D. Orth, « The Triumphs of Petrarch illuminated by Godefroy le Batave », Gazette des Beaux-Arts, 104, 1984, p. 197-206.
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Référence papier
Olivier Delsaux, « La corpo-réalité de l’homme invisible », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 279-309.
Référence électronique
Olivier Delsaux, « La corpo-réalité de l’homme invisible », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16207 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16207
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