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La corpo-réalité dans les oeuvres du Moyen Âge

La maison de mémoire, le jardin du savoir et la chambre de philosophie

Topographie d’un homme de savoir (Richard de Fournival)
Christopher Lucken
p. 235-255

Résumés

Trois figures tirées du Bestiaire d’Amours et de la Biblionomia de Richard de Fournival sont susceptibles de représenter leur auteur : la maison de Mémoire, le jardin de la bibliothèque et la chambre secrète de Philosophie. Ces trois lieux s’opposent en même temps au tombeau de l’amant qui, ne parvenant pas conquérir la dame et à entrer dans la maison de sa mémoire, ne laisse qu’un cadavre.

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Texte intégral

  • 1 Voir par exemple K. Nordenfalk, « Les cinq sens dans l’art du Moyen Âge », Revue de l’art, 34, 197 (...)
  • 2 Sur les manuscrits du Bestiaire d’Amours mentionnés ici, voir Li Bestiaires d’Amours di Maistre Ri (...)
  • 3 Sur ce manuscrit inconnu de C. Segre, voir S. Segre-Amar, « Su un codice parigino del Tresor », St (...)

1Une tour de briques rouges surmontée de créneaux s’élève à l’intérieur de la lettre T. Deux portes ont été disposées de manière symétrique sur sa façade. Sur celle de gauche a été dessiné un œil ; sur celle de droite, une oreille. Cette image bien connue – souvent reproduite et commentée1 – a été peinte à l’initiale du Bestiaire d’Amours de Richard de Fournival (1201-1260) par un certain Henris, l’enlumineur du ms. Paris, BnF, fr. 412, fet l’an m. cc. iiiixx . et v (fol. 228r)2. Comme le précise la rubrique du ms. Genève, BGE, Fonds Comites latentes 179 (bien que le scribe n’ait pas laissé de place pour l’enluminure elle-même), elle représente la maison de memoire (fol. 154r)3.

2Le ms. BnF, fr. 12469 contient à l’initiale du Bestiaire d’Amours une image légèrement différente (fol. 1r). Toujours au sein de la lettre T, s’élèvent deux tours dont les portes n’ont ni œil ni oreille. Entre elles se tient en revanche une dame. Si aucun titulus n’en précise l’identité, celle-ci est fournie par la rubrique du ms. BnF, fr. 12786 (tracée en haut de la place réservée pour accueillir une initiale historiée qui n’a pas été peinte mais qui était certainement similaire à la précédente) : ceste damoisele est memoire (fol. 31r). Tenant dans chaque main une hampe surmontée d’une oriflamme, ce personnage semble monter la garde devant sa demeure.

  • 4 Le Bestiaire d’Amour rimé. Poème inédit du xiii e  siècle, éd. A. Thordstein, Gleerup, Lund/Copenh (...)

3Ces deux images sont conjuguées dans l’enluminure située à l’initiale du Bestiaire d’Amour rimé conservé dans le ms. BnF fr. 1951 (fol. 1r)4. Au centre se tient une figure féminine, un rameau vert dans la main droite, la main gauche ouverte comme pour souhaiter la bienvenue à ceux qui se présentent à elle. Derrière apparaît une porte en forme d’arche gothique. Grande ouverte, elle donne accès à un ensemble de maisons qui semblent composer une cité ou un vaste palais. Sur ses côtés, au sein de la muraille crénelée qui sert de fortification, se trouvent deux ouvertures qui ressemblent à des fenêtres munies de vitraux ; au milieu de chacune d’elles ont été dessinés, à gauche un œil, à droite une oreille.

  • 5 Voir C. Lucken, « Du ban du coq à l’Ariereban de l’âne (à propos du Bestiaire d’Amour de Richard d (...)
  • 6 Sur cette conception de l’écriture au Moyen Âge, voir J. Balogh, « Voces paginorum. Beiträge zur G (...)

4Ces différentes enluminures illustrent la « maison Memoire » dont parle le prologue du Bestiaire d’Amours (p. 154). Cet édifice peut représenter la « belle tres douche amee » à laquelle s’adresse l’amant qui aurait composé cette œuvre. Ce dernier affirme en effet vouloir « manoir en le vostre memoire » (p. 156). Comme le symbolisent en particulier les figures du coq et de l’âne par lesquels commencent les images animales qu’il convoque à l’appui de son propos5, il a perdu le pouvoir de chanter et ne peut s’exprimer en présence de sa dame. Il ne peut que lui envoyer « en cest escrit et painture et parole », dit-il, « pour che que quant je ne serai presens, que chis escris et par painture et par parole me rende a vostre memoire comme present » (p. 156-158). La mémoire ayant « . ii. portes, veoir et oïr », « chascune de ches. ii. portes » possède « . i. chemin par ou on i puet aller : che sont painture et parole. Painture sert a oeil et parole a oreille » (p. 154). Telles sont les deux voies que l’amant doit emprunter désormais pour rejoindre sa dame. Aussi l’escrit qu’il lui adresse est-il formé de peinture et de parole. Il est composé de peinture à double titre. D’une part, comme tout écrit, il est constitué de lettres et il n’y a pas de lettre si « on ne le peint » (p. 158). D’autre part, il comprend des enluminures, « car il est de nature de bestes, d’oisiaus qui miex sont connissans paintes che dites » (ibid.). Non seulement il est plus facile de connaître les animaux à l’aide d’images, mais aussi ces derniers permettent à l’amant de représenter ce qu’il dit – ou ce qu’il ne dit pas – par le moyen d’images exemplaires. Cet écrit est composé en outre de parole, « pour che que toute escriture est faite pour parole moustrer, et pour che c’on le lise ; et quant on le list, si revient ele a nature de parole » (ibid.). L’écrit de l’amant fonctionne comme une image peinte conservant la trace d’une parole vouée au silence et condamnée à disparaître avec le passé, dans l’attente qu’elle renaisse avec la lecture et se rendre ainsi présente à la mémoire de la dame6.

5Cette maison de memoire rejoint du même coup la figure de la tour qui sert fréquemment à représenter le personnage de la dame. L’amant ayant comparé son ouvrage à un arriereban, c’est-à-dire à une arrière-garde qu’un roi est obligé de convoquer après l’échec de l’armée qu’il a envoyée combattre hors de son royaume (p. 158), les enlumineurs vont symboliser celle qui doit être conquise sous la forme d’une tour ou d’un château. C’est le cas par exemple dans le ms. BnF, fr. 412, où la seconde enluminure montre une tour au pied de laquelle se tient un jeune homme armé d’une lance (l’arriereban) auquel s’adresse un roi (l’amant), assis sous un dais et entouré de ses conseillers (fo 228v). Contrairement au Roman de la Rose de Jean de Meun, cependant, où la tour incarne le corps de la dame et son ouverture son sexe, cette construction architecturale ne représente que sa tête, comme si la dame se trouvait réduite ici à cet organe. De plus, il ne s’agit pas de vaincre ses défenses en abattant ses murs, mais de « manoir » dans cette demeure. La « belle tres douche amee » est devenue en quelque sorte cette damoisele appelée Memoire que certains enlumineurs placent à l’entrée de sa maison.

  • 7 « Obitus viri litterati magistri Richardi de Furnivalle, Cancellarii Ambian. […] » (M. l’Abbé Roze (...)
  • 8 C. Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, Paris, 1581, p. 146.
  • 9 Voir R. D. Cornelius, The Figurative Castle. A Study in the Medieaeval Allegory of the Edifice wit (...)

6Si la maison de memoire peut représenter la dame à laquelle est destiné le Bestiaire d’Amours, elle peut également désigner « toutes gens » qui « desirrent par nature a savoir », comme l’affirme la sentence initiale de la Métaphysique d’Aristote que Richard de Fournival place en tête de son œuvre (sentence à l’initiale de laquelle surgit justement la maison de memoire que nous avons décrite pour commencer). Aussi est-elle tout particulièrement appropriée pour incarner son auteur, maître Richard de Fournival, clerc et chancelier de la cathédrale d’Amiens, vir litteratus comme l’affirme son obit7 et « homme de sçavoir8 ». Située à l’ouverture du Bestiaire d’Amours, cette « maison Memoire » peut apparaître ainsi comme un véritable portrait symbolique du clerc qui en est l’auteur. Celui-ci se voit réduit du même coup, symboliquement, à n’être qu’une tête pourvue d’un œil et d’une oreille. Une telle image remonte au Timée de Platon (70a), qui apparente la tête à une citadelle (arx en latin), dans laquelle le Démiurge installa la partie supérieure de l’âme et qu’il dota de ces deux organes afin que l’homme puisse observer les révolutions des corps célestes et entendre la musique des sphères (47bd)9.

7Il est une autre « maison Memoire » susceptible d’apparaître comme une figure emblématique de Richard de Fournival. C’est la bibliothèque qu’il a constituée et dont il a rédigé le catalogue, la Biblionomia. Rassemblant la totalité du savoir à laquelle aspire cet homme par excellence qu’est – ou qu’était – le personnage de clerc, cette bibliothèque apparaît comme le double de son propriétaire. Elle est constituée de deux lieux distincts : un jardin ouvert à tous ceux qui aspirent au savoir dans lequel sont recueillies les œuvres des auctores, et une chambre secrète dans laquelle ils pourront s’unir avec Philosophie. Ces deux lieux viennent compléter la « maison Memoire » décrite par le Bestiaire d’Amours et les deux chemins qui lui sont associés. Ces différentes images spatiales nous permettent de tracer, en guise de portrait, la topographie de cet homme de savoir qu’est Richard de Fournival. Nous reviendrons brièvement, pour conclure, sur le personnage de l’amant qui, dans l’incapacité d’entrer dans la mémoire de la dame, semble condamné à n’habiter qu’un tombeau voué à l’ignorance et à l’oubli.

Les chemins de la mémoire

8Si « toutes gens desirrent par nature a savoir », comme l’affirme l’axiome fondateur de la Métaphysique, « nus ne puet tout savoir », constate Richard de Fournival après avoir cité cette sentence d’Aristote. Le désir de savoir qui caractérise la nature humaine risque de ne jamais pouvoir être entièrement satisfait. En effet, bien que « chascune chose puist estre seue » et que rien n’échappe par conséquent à la connaissance, aucun homme ne peut à lui seul accéder à la totalité du savoir. Pour que le désir de savoir ne soit pas entravé par les limites constitutives de chaque être humain, il « couvient que chascuns sache aucune chose, et che que li uns ne set mie, que li autres le sache, si que tout est seu en tele manière qu’il n’est seu de nului a par lui, ains est seu de tous ensamble ». Si chaque homme est susceptible de connaître quelque chose de singulier qui lui appartient en propre et de détenir ainsi un fragment du savoir universel qu’ignorent les autres, la totalité du savoir n’est possible que par l’addition des connaissances individuelles. Seul l’ensemble de l’humanité peut « tout savoir ».

9Une telle perspective se heurte toutefois à une importante difficulté. Comme le remarque Richard, « il est ensi que toutes gens ne vivent mie ensanle, ains sont li un mort avant que li autre naissent ». La mort empêche les hommes d’être « tous ensamble » et de mettre en commun leurs différents savoirs. Dans la mesure où « chil qui ont esté cha en arriere ont seu tele chose que nus ne saroit orendroit s’on ne le savoit par les anchiens », il est nécessaire de trouver un moyen pour que le savoir acquis par ceux qui ont disparu puisse être transmis à ceux qui leur succèdent et permettre ainsi à l’humanité de constituer une communauté qui ne soit pas réduite par les destructions dues au passage du temps. C’est pourquoi « Dieus, qui tant aime home qu’il le veut pourveoir de canques mestiers li est, a donné a home une vertu de forche d’ame qui a a non memoire ». Celle-ci est au service de la translatio studii qui caractérise au Moyen Âge la constitution du savoir. Elle doit permettre au savoir de passer des « anchiens » désormais décédés à ceux qui sont vivants (soit aux « modernes »), et de surmonter ainsi la distance que la mort introduit entre le passé et le présent.

  • 10 Sur l’image du trésor, voir H. Caplan, « Memoria : Treasure-House of Eloquence », Of Eloquence, It (...)

10Reprenant une image qui remonte à l’Antiquité et faisant écho aux théories antiques et médiévales relatives aux facultés de l’âme (les « vertu[s] de forche d’ame » dont il était question ci-dessus), Richard note que la « Memoire, qui est la garde des tresors que sens d’omme conquiert par bonté d’engien, fait che qui est trespassé aussi comme present » (p. 156)10. Le trésor dont il s’agit ici est bien sûr le savoir. L’homme en a fait l’acquisition au moyen de son sens, terme qui désigne à la fois son intelligence et ses sens (ces deux significations étant aussi présentes dans le latin sensus), en particulier ces deux portes de la mémoire que sont la vue et l’ouïe. L’aptitude du sens à produire du savoir dépend de la qualité de son engien, de son ingenium, soit de sa capacité d’invention et d’imagination. Une fois conquis, ce trésor sera conservé au sein de la mémoire. Celle-ci doit faire en sorte que le savoir acquis dans le passé (qu’il s’agisse d’un homme particulier ou de l’humanité tout entière) ne disparaisse pas avec le temps et soit toujours présent.

  • 11 Sur cette conception de l’histoire, voir F. Hartog, « L’œil de Thucydide et l’histoire “véritable” (...)
  • 12 La comparaison entre les lettres et le chemin remonte en tout cas à Isidore de Séville : « Littera (...)
  • 13 Rhétorique à Herennius, IV, 68 ; Quintilien, Institution oratoire, VI, 2, 32 et VIII, 3, 6.
  • 14 Quintilien, Institution oratoire, VI, 2, 32, et, pour la citation qui suit, VIII, 3, 62, trad. V. (...)

11Pour que la mémoire puisse transmettre le savoir du passé et jouer le rôle qui lui est dévolu, elle comprend deux chemins permettant d’accéder jusqu’à elle à travers les deux portes ménagées à cet effet : la peinture et la parole. D’une part, « quant on voit painte une estoire ou de Troies ou d’autre, on voit les fais des preudommes qui cha en arriere furent aussi com s’il fussent present » (p. 156). L’image ou l’estoire – telle la lettrine historiée – fonctionnerait comme une représentation au sens littéral du terme : à l’instar de l’historien qui rapporte fidèlement les événements dont il a été le témoin visuel (selon la conception que s’en fait l’Antiquité et le Moyen Âge) et telle une simple fenêtre ouverte sur le passé, elle donne à voir ce qui s’est produit autrefois pour que celui qui n’était pas présent puisse en prendre connaissance ; comme si, par ce moyen, ce dernier était transporté « en arriere » dans le passé ou que le passé était projeté en avant dans le présent et que toute différence temporelle se voyait ainsi coup abolie11. D’autre part, « quant on ot.i. roumans lire, on entent les fais des preudommes aussi con s’il fussent present » (ibid.). La parole dont il est question ici n’est pas celle qu’on prononce en présence d’un interlocuteur, mais celle qui est produite par la lecture (qu’on en soit le simple auditeur ou qu’on soit un lecteur lisant pour soi-même un livre à haute voix), soit celle que véhicule le chemin formé par les lettres d’écriture12. Fonctionnant de la même manière qu’une représentation picturale, elle fait surgir l’histoire passée au sein même du temps présent. Un tel phénomène s’apparente à une ekphrasis et relève de ce que la tradition rhétorique appelle demonstratio, inlustratio, evidentia, enargeia, repraesentatio ou encore hypotypose13. La force de la parole, selon l’art oratoire, consiste moins à raconter qu’à montrer (ostendere), de sorte que « nos sentiments ne suivront pas moins que si nous assistions aux événements eux-mêmes14 » :

C’est une grande qualité que de présenter les choses dont nous parlons avec une telle clarté qu’elles semblent être sous nos yeux. Le discours, en effet, ne produit pas un effet suffisant et n’exerce pas pleinement l’emprise qu’il doit exercer, si son pouvoir se limite aux oreilles et si le juge croit qu’on lui fait simplement le récit des faits dont il connaît, au lieu de les mettre en relief et de les rendre sensibles au regard de son intelligence [oculis mentis ostendi].

12Comme l’affirme pour finir Richard de Fournival après avoir exposé le fonctionnement de ces deux chemins de la mémoire, « puis c’on fait present de che qui est trespassé par ches.ii. choses, c’est par painture et par parole, dont apert il bien que par ches.ii. choses puet on a mémoire venir » (p. 156). Tels sont les deux principaux supports grâce auxquels les connaissances de ceux qui sont décédés peuvent parvenir jusqu’au présent et permettre à « toutes gens » d’acquérir un savoir auquel ils n’ont pas moyen d’avoir accès autrement et qui risquerait dès lors de disparaître avec le passé.

  • 15 L’Image du monde de maître Gossouin. Rédaction en prose, éd. O. H. Prior, Lausanne, Imprimeries ré (...)

13Le processus par lequel le savoir est acquis puis transmis au cours du temps est décrit en particulier par L’Image du monde de Gossouin de Metz15. Selon ce traité à peu près contemporain du Bestiaire d’Amours, les sept arts libéraux, qui incarnent la totalité du savoir, ont été découverts pour commencer par « li sage philosophe » qui « ça en arriere voudrent enquerre la maniere du monde » (p. 67). Ces derniers « savoient bien de verité que Diex leur avoit donné sens pour raison et nature enquerre des choses de la terre et de celes du ciel, tant que il en peüssent plus savoir » (p. 70). Ils voulurent donc « raison savoir de ce qu’il veoient mouvoir les estoiles du firmament et de ce que il reluisoient si cler ; et ce fu ce qui les mist premierement en estuide d’enquerre la science que il ne savoient » (p. 71). Ces « vrai preudoume ancien » (ibid.) décidèrent ensuite de se réunir afin de mettre en commun les connaissances que chacun avait acquises et d’en vérifier la valeur avant de les mettre par écrit pour qu’elles puissent être transmises à leurs successeurs (p. 72) :

[Il] se metoient en tels lieus qu’il s’assambloient ensamble.iii. foiz ou.iiii. la semaine pour euls soulacier et esbatre. Et rendoit chascuns raison de ce que chascuns avoit trové et aprins, et tant qu’il avoient esprouvé que voirs estoit. Et faisoient maistre de celui qui plus en savoit et qui plus estoit de grant sens. Si l’eslisoient par consentement de chascun. Et cil leur recordoit leur raisons, oiant touz les conpaingnons, et recordoit a touz ensamble ce que chascuns avoit dit. Si que chacuns s’i acordoit, et si metoit chascuns en escrit ce que li maistres leur avoit dit.
En tele maniere furent premierement les clergies controuvées et avancies. Tant penserent et tant estudierent qu’il sorent de par Dieu, de cui toute la science naist et vient, grant partie de ce qu’il en est. Mais ce ne fu mie en pou de tans ; ainz i mistrent moult lonc tans, et moult i estudierent et entendirent. Et cil qui furent premerain, tout ce qu’il entendoient et savoient metoient en escrit au miex qu’il leur estoit avis ; pour ce que cil qui après venissent, qui s’en vousissent entremetre, eüssent leur escriz et queissent touz jourz après ausi comme il avoient fait. Tot ce qu’il trouverent et virent mistrent tout en compiloisons. Et tant firent chacun a leur tans que il mistrent plus de.ii.m. anz avant qu’il eüssent aquises les. vii. arz et mises ensamble.

14Grâce au travail des clercs et à l’écriture qui conjoint les deux chemins de la mémoire que sont la peinture et la parole, chacun peut engranger dans la maison de sa mémoire le trésor des connaissances produites depuis l’origine par l’ensemble de l’humanité et satisfaire ainsi le désir de savoir qui caractérise sa nature.

Le jardin du savoir

  • 16 L. Delisle (éd.), « La Biblionomie de Richard de Fournival », Le Cabinet des manuscrits de la Bibl (...)
  • 17 Sur l’ascendant de Richard de Fournival et la Nativitas qui en trace la recherche, cf. J.-P. Boude (...)
  • 18 « Ex cujus filiis vir unus, exercitatus in mathematicis, ex dono Dei nec sine labore, potuit adipi (...)
  • 19 « Fuit ergo sua intentio in ea plantare ortulum in quo sue civitatis alumpni fructus multimodos in (...)

15Richard de Fournival va réunir le savoir transmis par ces chemins de la mémoire que forme l’écriture au sein d’un jardin. C’est à un tel lieu qu’il compare en effet sa bibliothèque dans le catalogue qu’il a réalisé afin d’en décrire l’objectif et le classement16. Ayant constaté grâce à ses connaissances astrologiques que son signe ascendant était identique à celui de la première fondation de la ville d’Amiens où il est né17, Richard affirme avoir éprouvé le désir – avec d’autant plus d’intensité que leurs configurations célestes sont identiques – de voir cette ville s’élever à sa véritable mesure18. C’est donc pour lui permettre d’accroître sa stature, conformément à ce que semble indiquer son horoscope, et retrouver le prestige qu’elle paraît avoir eu dans le passé, qu’il décida d’y planter un jardin (ortulus), ou plus exactement un verger, dans lequel les enfants ou les élèves (alumpni) de cette ville pourraient trouver des fruits de toutes sortes à même de les nourrir, c’est-à-dire des livres19.

16Richard a organisé son jardin en plusieurs parterres (areola) séparés par des planches, soit en plusieurs armoires. Le premier parterre est consacré à la philosophie. Il est composé de plusieurs rayons (tabula). Les premiers sont consacrés aux sept arts libéraux. Viennent ensuite des rayons consacrés à la physique et à la métaphysique aristotéliciennes, à la philosophie cicéronienne et à l’éthique, aux œuvres philosophiques relatives à plusieurs disciplines, aux œuvres poétiques et, enfin, à des livres secrets dont la nature n’est pas précisée mais qui devaient principalement porter sur l’astrologie. Le deuxième parterre est consacré aux sciences lucratives. Il se divise à nouveau en deux ensembles. Le premier est dévolu à la médecine, le second au droit (lui-même divisé en droit canon et en droit civil). Enfin, le troisième et dernier parterre est consacré à la théologie. La bibliothèque de Richard apparaît ainsi formée sur le modèle de l’université médiévale et de ses quatre principales facultés (Arts, Médecine, Droit et Théologie).

  • 20 Sur la fonction de chancelier, cf. E. Fournier, L’Origine du vicaire général et des autres membres (...)
  • 21 D’après le cahier des charges rédigé par l’évêque, l’écolâtre doit, en particulier, rédiger les le (...)
  • 22 Comme le montre P. Stirnemann sur la base des manuscrits de Richard qui nous sont parvenus, c’est (...)

17Destiné aux élèves ou aux étudiants d’Amiens, cette bibliothèque apparaît comme une sorte de maître universel capable de transmettre la totalité du savoir alors à disposition, non par le moyen de la parole comme le fait habituellement un enseignant, mais par l’intermédiaire de livres. Elle joue en quelque sorte le rôle du maître que les « preudoume ancien » se choisissaient pour l’étendue de son savoir et de son intelligence, selon le passage de l’Image du monde cité ci-dessus, afin qu’il répète les propos qu’ils lui confiaient à l’ensemble de leurs compagnons et que tous puissent connaître ainsi ce que chacun avait dit. Elle apparaît en même temps comme le modèle ou la figure emblématique de maître Richard de Fournival. Celui-ci a vraisemblablement étudié à la Faculté des Arts de l’Université de Paris. Il a exercé la médecine et la chirurgie à l’instar de son père, Roger de Fournival, médecin du roi Philippe-Auguste. Il a eu l’occasion d’exercer la justice sur le territoire de Nointel qu’il avait reçu en prébende, agissant au nom du chapitre de la cathédrale d’Amiens qui en détenait les droits seigneuriaux. Et s’il n’a pas étudié la théologie, contrairement à son demi-frère, Arnoul de la Pierre, qui fut évêque d’Amiens de 1236 à 1247, il atteignit dans la hiérarchie ecclésiastique le rang de diacre, fut chanoine de la cathédrale de Rouen et de la cathédrale d’Amiens, et fut enfin chancelier de la cathédrale d’Amiens de 1240 à sa mort (en 1260). À ce titre20, il était chargé de présider à la rédaction, la validation, la conservation et l’expédition de tous les actes officiels émis par l’évêque et le chapitre et d’y apposer les sceaux dont il avait la garde afin de leur conférer l’autorité nécessaire. Il lui appartenait du même coup de gérer le travail des scribes et des notaires dans l’atelier d’écriture attaché à la cathédrale et de veiller à la bonne tenue des archives du diocèse. Il était certainement responsable aussi de l’école cathédrale. Certes, l’évêque Evrard de Fouilloy avait instauré en 1218 la fonction d’écolâtre ou de maître d’école (magister scholarum)21. Mais on peut penser que le chancelier continuait d’en superviser le travail et qu’il était toujours impliqué dans le fonctionnement de l’école cathédrale. C’est d’ailleurs lorsqu’il obtint cette charge que Richard semble avoir véritablement commencé à réunir des manuscrits et à en faire copier pour les étudiants de sa ville22. Sa bibliothèque représente en quelque sorte la fonction qu’il a pu jouer auprès des institutions scolaires d’Amiens. En même temps qu’elle doit favoriser la promotion de cette cité, elle doit permettre à ses enfants qui se sont destinés à devenir clercs de satisfaire leur désir de savoir et les amener ainsi à s’identifier à cette figure de maître réunissant la totalité des connaissances produites et mises en commun depuis deux mille ans par l’ensemble des philosophes.

  • 23 « […] ut, cum ad armarium accessit venator oculus animi studiosi, statim inveniat quid apponat jej (...)

18Chaque manuscrit contenu dans la bibliothèque de Richard est en outre pourvu d’une cote formée d’une lettre de l’alphabet dont la graphie et la couleur varient. Ces cotes sont reportées dans la Biblionomia à la suite de la brève notice dont fait l’objet chaque manuscrit (mais tous ne sont pas décrits). C’est pourquoi Richard compare ce catalogue à une clé (clavis). Ce dernier doit permettre à celui qui entre dans cette bibliothèque de trouver facilement l’ouvrage qu’il veut lire ou consulter après en avoir repéré le titre à la lecture des notices qu’il contient. Grâce à cet instrument de travail qu’on peut apparenter à un véritable « moteur de recherche », « lorsque l’œil chasseur d’une âme avide d’apprendre accédera à l’armoire de la bibliothèque », il pourra « immédiatement trouver de quoi mettre un terme à son jeûne, de sorte que pas le moindre moment de retard ou d’errance ne puisse engendrer une quelconque lassitude susceptible d’affecter celui qui serait dans l’obligation d’attendre23 ». La Biblionomia doit permettre à tous ceux qui entrent dans ce jardin du savoir de satisfaire le désir qui les y a entraînés sans perdre de temps à compulser des manuscrits mal rangés ou échouer à trouver ce qu’ils cherchent en laissant un vide s’installer en eux. Elle joue du même coup le rôle qu’on peut attendre d’un maître, chargé qu’il est d’ouvrir à ses élèves l’accès au savoir et de les diriger vers l’ouvrage qui répondra le mieux à ce qu’ils recherchent.

La chambre secrète de philosophie

  • 24 « Fuit ergo sua intentio in ea plantare ortulum in quo sue civitatis alumpni fructus multimodos in (...)

19Il ne suffit pas d’entrer dans la bibliothèque et d’en lire les ouvrages. Si Richard de Fournival a décidé de planter dans sa ville « un petit jardin dans lequel les élèves de sa cité pourraient trouver des fruits d’espèces variées », c’est pour qu’« après les avoir goûtés », ils puissent « aspirer avec le plus grand désir à être introduits dans la chambre secrète de Philosophie [secretum phylosophie cubiculum]24 ». En même temps qu’elle entend contribuer au prestige d’Amiens, la bibliothèque de Richard s’ouvre sur un lieu plus intime. Mais que désigne cette chambre – ou plus exactement cette couche – dissimulée dans les livres, à laquelle doivent accéder ceux qui, poussés par le désir de savoir produit par la lecture, parviendront à s’unir avec Philosophie ? Et comment comprendre un tel scénario ?

  • 25 Saint Augustin, Les Confessions, X, xxv, 36, éd. M. Skutella, trad. E. Tréhorel, G. Bouissou, Pari (...)
  • 26 Ibid., X, viii, 12, p. 160-163.
  • 27 « Cubiculum vero, quod eo cubamus, ibique dormientes requiescimus » (Raban Maur, De universo, XIV, (...)
  • 28 « Cubiculum spiritaliter significat cordis secretum : unde jubetur vir Evangelicus orare Patrem co (...)
  • 29 Ambroise de Milan, Des sacrements. Des Mystères. Explication du Symbole, éd. et trad. B. Botte, Pa (...)
  • 30 « Ibi ergo simus, ubi Christus medius est, radicatus et fixus in cordibus nostris. Et ideo sicut i (...)

20Si la bibliothèque peut s’apparenter à la maison de la mémoire dans laquelle sont conservées les connaissances des anciens, la chambre qu’elle recèle est le lieu d’une expérience intérieure qui, alors même qu’elle semble pouvoir être obtenue grâce aux livres, demeure étrangère à toute forme d’écriture et ne peut que demeurer secrète. Aussi peut-on la rapprocher de la demeure que saint Augustin attribue en lui-même à Dieu. « Mais où séjournes-tu dans ma mémoire, Seigneur, lui demande-t-il dans le Livre X des Confessions ? Où y séjournes-tu ? Quelle chambre de repos [cubile] y as-tu façonnée ? Quel sanctuaire as-tu bâti pour toi25 ? ». Si cette chambre semble faire partie des « vastes palais de la mémoire » où, selon Augustin, se trouvent « les trésors des innombrables images apportées par la perception de toutes sortes d’objets » et où « est emmagasiné tout ce que construit aussi notre esprit26 », elle en diffère et apparaît plutôt comme une figure du cœur, de l’âme ou de l’esprit dans lesquels Dieu paraît plus à même de résider. « Quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée [in cubiculum tuum], verrouille ta porte [clause ostio] et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret [in abscondito] », dit le Christ à ses disciples en leur opposant les hypocrites qui préfèrent prier en public afin d’être vus par les autres (Mt 6, 6, avec une allusion à 2 R 4, 33). « La chambre [cubiculum], note Raban Maur dans le chapitre de son De universo consacré aux demeures, c’est là où nous nous couchons, là où nous nous reposons en dormant27 ». Mais, poursuit-il après avoir cité le passage de l’Évangile de saint Mathieu mentionné ci-dessus, « spirituellement, la chambre signifie le secret du cœur28 ». « Tu as partout ta chambre [cubiculum], affirmait saint Ambroise à propos de ce même passage. Même si tu te tiens au milieu des païens, ou au milieu des Juifs, tu as partout ton lieu secret [secretum]. Ta chambre, c’est ton esprit [mens]. Serais-tu même dans la foule, pourtant, dans l’homme intérieur, tu conserves ton lieu de secret et de solitude29 ». Et, précise-t-il par ailleurs, « ta chambre, c’est le secret de ton être intérieur, ta chambre, c’est ta conscience », soit là où réside le Christ30. Identifiée au cœur, à l’âme, à l’esprit ou encore à la conscience, la chambre désigne le lieu d’une intimité ou d’une intériorité assimilable à l’identité la plus profonde de l’homme. Ce dernier n’y accède que lorsqu’il se retrouve séparé du reste du monde, seul avec lui-même.

  • 31 D’après le texte Hexaplaric de la Vetus Latina : « Introduxit me rex in cubiculum suum » (Cantici (...)
  • 32 Cette fois, les versions de la Vulgate et du texte Hexaplaric de la Vetus Latina sont identiques : (...)
  • 33 Saint Bernard, Sermons sur le Cantique, XXIII, 3, éd. J. Leclercq et al., trad. P. Verdeyen, R. Fa (...)

21Cette chambre peut être identifiée en même temps à la chambre – cubiculum – dans laquelle l’époux du Cantique des Cantiques a introduit son épouse (I, 4)31 ; ou encore à la chambre – cubiculum toujours – dans laquelle cette dernière veut à son tour faire entrer son époux, soit la chambre où sa mère l’a conçue (III, 4)32. Appliquant les trois lieux que traverse l’épouse en quête de son bien aimé à la lecture de l’Écriture sainte, saint Bernard de Clairvaux les associe aux trois principaux niveaux de sens habituellement retenus par la tradition exégétique : « le jardin [hortus] exprime l’histoire pure et simple ; le cellier, le sens moral ; et la chambre [cubiculum], le mystère de la vision contemplative [arcanum theoricae cantemplationis]33 ». Si chacun de ces trois lieux permet à « l’âme assoiffée de Dieu » de trouver « celui dont elle a soif », le jardin apparaît en première position tandis que la chambre occupe la dernière position. L’un se situe au début d’un parcours, l’autre à son terme.

22Alors que saint Bernard associe le jardin au sens historique d’un texte, Richard l’identifie à sa bibliothèque. Dans un cas comme dans l’autre, ce lieu incarne la composante littérale d’une écriture qui demeure attachée aux lettres dont elle est composée. Qu’en est-il toutefois de la chambre à laquelle doit aboutir le chemin des lettres qu’emprunte le lecteur ?

  • 34 Ibid., XXIII, 9-10, p. 218-221.

23Après le jardin et le cellier, Saint Bernard va commenter cette « chambre de la connaissance » (cubiculum cognitionis)34 :

Venons-en maintenant à la chambre. De quoi s’agit-il ? Ai-je donc la présomption de le savoir ? Je me garde de m’attribuer l’expérience d’une chose si grande, ni ne me targue d’une prérogative réservée exclusivement à la bienheureuse épouse. Selon le célèbre dicton des Grecs, j’ai soin de me connaître moi-même, “pour connaître”, avec le prophète, “ce qui me manque” [Psalm. XXXVIII, 5] […]. J’ai dit, et vous vous en souvenez, qu’il faut chercher la signification de la chambre du Roi dans le mystère de la vision contemplative. Mais je me rappelle avoir dit, à propos des parfums, qu’il y en a beaucoup et de diverses sortes chez l’Époux. Ils ne sont pas tous à la portée de tout le monde, mais ils sont accordés à chacun selon la diversité de ses mérites. De même, je pense que le Roi n’a pas seulement une chambre, mais plusieurs. En effet, il n’y a pas une seule reine, il y en a plusieurs ; “les concubines sont nombreuses et les jeunes filles sans nombre” [Ct VI, 7]. Chacune trouve son propre lieu secret pour rencontrer l’Époux, et elle dit : “Mon secret est à moi, mon secret est à moi” [Is. 24, 16]. Il n’est pas donné à toutes de jouir en un même lieu de la présence aimée et secrète de l’Epoux, mais chacune en est “gratifiée comme le Père en a disposé” [Mt 20, 23]. […] J’essayerai de vous montrer plus clairement cela en son lieu, pour autant que le Seigneur daignera m’inspirer. Mais pour l’instant, il suffira de savoir ceci : aucune des jeunes filles, des concubines et même des reines, n’est admise à ce secret de la chambre, que l’Époux réserve uniquement pour “sa colombe, sa toute belle, sa parfaite, son unique” [Ct VI, 8]. Dès lors, moi non plus je ne suis pas fâché de ne pas y avoir accès. D’autant qu’à ma connaissance l’épouse elle-même ne pénètre pas ici-bas le secret comme elle le voudrait.

24Si le jardin représente le sens littéral, la chambre désigne le sens allégorique : lire consiste en quelque sorte à passer de l’un à l’autre. Saint Bernard ne saurait pour autant révéler la nature et le contenu de la chambre que l’Époux a réservée à l’âme de tous ceux qui le recherchent en se consacrant à la lecture de l’Écriture sainte. Chaque âme sera reçue dans une chambre singulière, différente de celle qui attend les autres. Impossible par conséquent de dire à quoi elle ressemble. On ne peut connaître que sa propre chambre. De plus, seule l’élue entrera dans la chambre que Dieu a préparée dans l’au-delà. Cette unique et ultime chambre, dans laquelle l’épouse espère rejoindre à la fin des Temps son Époux, apparaît comme la part inconnue d’un langage qui ne saurait dévoiler tous les secrets qu’il recèle.

  • 35 Saint Augustin, Ennarationes in Psalmos, XXXV, 5, PL 36, col. 343-344.
  • 36 M.-Th. d’Alverny, « La Sagesse et ses sept filles. Recherches sur les allégories de la philosophie (...)
  • 37 Hugues de Saint-Victor, L’Art de lire. Didascalicon, III, 3, trad. M. Lemoine, Paris, Cerf, 1991, (...)

25Pas plus que la chambre où l’épouse du Cantique des cantiques est invitée à retrouver son Époux, la chambre sur laquelle doit déboucher le jardin de Richard n’est un lieu vide et solitaire. Alors même qu’on s’y retrouve seul avec soi-même, elle est habitée. Il en est ainsi de la chambre (cubiculum) du cœur, selon saint Augustin : tandis que les lieux publics ou privés sont fréquentés par toutes sortes de personnes qui empêchent d’y trouver le moindre refuge, cette chambre permet non seulement aux fidèles de se reposer, mais aussi de « s’unir » avec la « Sagesse de Dieu35 ». De même, l’édifice orné de sept colonnes correspondant aux sept arts libéraux permettant à l’homme de parvenir jusqu’à lui est habité, selon Alcuin, par la Sagesse36. C’est là que se trouvent en effet ces « secrets de la sagesse » (secreta sophiae) auxquels l’âme peut accéder grâce à ces chemins ou ces « sortes de voies » que sont le trivium et le quadrivium, selon cette fois le Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor37.

26Si le terme de cubiculum employé par Richard de Fournival peut faire écho à la tradition scripturaire ou patristique, la chambre que recèle sa bibliothèque n’est pas pour autant le lieu de résidence de l’épouse et de son compagnon divin du Cantique des cantiques ou une demeure habitée par la Sagesse et la vérité insondable du Dieu chrétien. Cette chambre est en effet celle de Philosophie.

  • 38 Ibid., II, 1, p. 92 (voir Isidore de Séville, Libri etymologiarum, II, 24, 9 ; Cassiodore, Institu (...)
  • 39 Ibid., I, 2 (3), p. 70.

27« “La philosophie est l’art des arts, la discipline des disciplines”, c’est-à-dire ce à quoi tendent tous les arts et toutes les disciplines », affirme Hugues de Saint-Victor citant Isidore de Séville qui reprend lui-même Cassiodore38. Mais la sagesse dont elle porte le nom ne cesse en même temps d’échapper à celui qui veut s’en emparer et demeure fondamentalement inatteignable. Si, comme le note à nouveau Hugues de Saint-Victor, « le premier de tous, Pythagore a appelé l’étude de la sagesse “philosophie” et a choisi d’être appelé philosophe », alors qu’auparavant « on parlait de sophoi, c’est-à-dire de “sages” », il a eu « raison de nommer les chercheurs de vérité non pas “sages”, mais “amis de la sagesse”. Le vrai, en effet, est caché ; l’esprit a beau brûler d’amour pour lui, il a beau s’élancer à sa recherche, il peut difficilement saisir la vérité telle qu’elle est39 ». Dans la mesure où la sophia occupe une position à la fois ultime et inaccessible, le désir qu’éprouve celui qui tente de la détenir ne saurait être satisfait et trouver le repos.

  • 40 Boèce, La Consolation de Philosophie, I, prose iv, éd. C. Moreschini, trad. E. Vanpeteghem, Paris, (...)

28Mais quelle est alors la demeure de Philosophie ? Dans la Consolation de Philosophie, Boèce se plaint à cette dernière qui est descendue le voir dans sa prison de ne plus être dans sa « bibliothèque » qu’elle lui avait choisie « comme [s] on séjour le plus sûr [certissimam sedem] » et où il avait si souvent discouru avec elle « sur la science des choses humaines et divines40 ». Mais, contrairement à ce que Boèce avait pu croire, ce n’est pas en ce lieu qu’habite Philosophie. Si elle lui a rendu visite dans sa bibliothèque, elle peut également le faire dans sa cellule. Ce ne sont donc pas « les murs ornés d’ivoire et de verre de ta bibliothèque » qu’elle regrette, dit-elle à Boèce, mais « le séjour de ton esprit [tuae mentis sedem] où j’ai mis non des livres, mais ce qui fait le prix des livres : les pensées [sententias] de mes livres d’autrefois » (I, prose v). Car Philosophie ne réside pas en un lieu concret spécialement aménagé pour elle, mais au sommet de la citadelle (arcem) fortifiée où se retire avec ses troupes, afin de se mettre à l’abri des ennemis que suscitent les aléas de l’existence, celle qu’elle désigne comme son chef (dux) et qu’on peut identifier à la partie directrice ou hégémonique de l’âme (hègemonikon), c’est-à-dire la Raison (I, prose iii). Comme cela sera le cas avec le jardin de Richard, la bibliothèque de Boèce vaut avant tout grâce au savoir que Philosophie y a déposé pour inciter celui qui en prend connaissance à la rejoindre au sommet de sa citadelle et retrouver du même coup le véritable siège de l’esprit. La philosophie ne saurait donc se réduire aux connaissances rationnelles contenues dans les ouvrages écrits sous son autorité : plutôt que d’inviter son disciple à trouver asile dans les livres en croyant qu’il peut échapper ainsi aux aléas du monde, elle l’enjoint à se diriger vers un lieu qui se situe à la fois au-delà et l’intérieur de lui-même.

29L’image de la chambre et la présence en ce lieu d’un personnage féminin inscrivent de plus la lecture dans un scénario de type nuptial. Un tel scénario peut être rapproché du Cantique des cantiques ou de la chambre du cœur dans laquelle, d’après saint Augustin, les fidèles doivent s’unir avec la Sagesse de Dieu. Mais on peut surtout l’apparenter ici aux Noces de Mercure et Philologie de Martianus Capella.

  • 41 Voir G. Nuchelmans, « Philologia et son mariage avec Mercure jusqu’à la fin du xiie siècle », Lato (...)
  • 42 Voir par exemple le commentaire que Dunchad propose du trio formé de Pallas, Philologie et Mercure (...)
  • 43 « Verum secretum cubiculi repente Phronesis mater irrupit […]. Dehinc apponit vertici diadema virg (...)

30Cette œuvre raconte l’union de Mercure et de Philologia, fille de Phronèsis (la Prudence), qui est elle-même la sœur d’Aléthéia (la Vérité), et décrit les sept arts libéraux que Mercure offre à son épouse. C’est en épousant Philologie que le dieu du langage peut espérer atteindre le logos qu’elle porte dans son nom. Et c’est grâce à l’ensemble des connaissances représentées par les arts libéraux que son époux lui offre que Philologie pourra accomplir cet amour du logos qui la caractérise41. Mercure avait pourtant souhaité dans un premier temps épouser Sophia (la Sagesse elle-même). Mais il y avait renoncé de peur d’offenser sa propre sœur, Pallas, la déesse de la Sagesse, qui avait été nourrie au même sein que Sophia (I, 6). Si l’éloquence mercurienne doit épouser Philologie plutôt que cette dernière, Pallas-Athéna peut aussi apparaître comme l’épouse secrète à laquelle elle aspire42. C’est d’ailleurs au Palladium que Philologie est comparée au moment où sa mère l’a revêtue de sa couronne virginale après avoir pénétré dans l’intimité secrète de sa chambre nuptiale, soit dans le « secretum cubiculi » (II, 114)43.

31Pallas-Philosophie : tel serait également l’enjeu secret de la bibliothèque que Richard de Fournival a créée afin que sa ville natale parvienne à s’élever conformément au destin qu’elle partage avec son auteur. C’est au cœur de cette bibliothèque que réside son palladium. Richard s’apparente du même coup à Mercure offrant à Philologie les sept arts libéraux qu’il avait réunis à son intention. À cette dernière correspondent les élèves d’Amiens à qui Richard transmet les fruits de son jardin afin de répondre à leur désir de savoir et les pousser à pénétrer dans la chambre secrète de Philosophie. C’est au sein de cet espace nuptial que doit s’accomplir le mariage auquel aspirent tous ceux qui, véritables philologues ou philosophes, sont entrés dans sa bibliothèque et qui parcourent les rayons couverts de livres dans lesquels a été disposée la totalité du savoir, comme autant de chemins menant jusqu’à celle qui réside en son cœur.

Le tombeau de l’amour

32Une maison, un jardin, une chambre. Ces trois lieux présentent trois images de Richard de Fournival. La maison de mémoire illustre la réponse du clerc au désir de savoir qui le caractérise. Le jardin incarne le maître rassemblant dans ses livres le savoir transmis depuis l’aube de l’humanité afin de le transmettre à ses étudiants. La chambre secrète figure son propre espace intérieur, afin que puisse s’effectuer la rencontre entre le descendant de Mercure et Philosophie. Ces trois lieux sont bien sûr étroitement liés. Ils tracent du même coup un parcours qui part du désir de savoir pour aboutir, après être passé par les chemins de l’écriture qui traversent la bibliothèque, à l’union tant attendue avec celle qui serait le véritable objet du désir de « toutes gens », la sophia ou le logos de Philosophie.

  • 44 Voir aussi C. Lucken, « Entre amour et savoir. Conflits de mémoire chez Richard de Fournival », La (...)

33Si ce scénario s’applique parfaitement à Richard de Fournival, il a aussi une valeur exemplaire. Le portrait, ou l’autoportrait, que nous avons tracé ici est également celui de tous les « hommes de savoir » qui se conforment à ce modèle. Mais ce n’est pas celui de l’amant44.

34Bien que le prologue du Bestiaire d’Amours entretienne d’évidentes similitudes avec la Biblionomia, cet ouvrage ne se retrouve pas dans la bibliothèque de son auteur. Certes, de même que l’enseignement ne se faisait encore qu’en latin, cette dernière ne comprend que des écrits d’auctores composés ou traduits en latin. Écrit en français, le Bestiaire d’Amours ne peut donc en faire partie. Mais ce n’est pas la seule raison. La maison de mémoire dans laquelle cette œuvre doit se retrouver n’est pas celle des clercs ou des philosophes, mais celle de la dame à laquelle s’adresse l’amant. Si cette dernière n’est pas sans s’apparenter à une bibliothèque au sein de laquelle l’amant espère pouvoir être représenté en son absence par un écrit, elle diffère de la bibliothèque que décrit la Biblionomia. Elle ne semble en tout cas contenir aucune chambre où l’amant pourra s’unir avec l’objet de son désir. C’est un tout autre lieu de savoir qui se représente ainsi – ou plutôt un lieu de non-savoir, dans la mesure où il y a peu de chance que la « belle tres douche amee » accepte de recevoir le livre qui lui a été envoyé.

35Alors que la maison de mémoire sur laquelle s’ouvre le Bestiaire d’Amours peut être considérée comme un portrait symbolique de Richard de Fournival réduit à n’être, comme tout « homme de savoir », qu’une tête pourvue des deux organes qui lui permettent de lire, l’amant apparaît sous les traits d’un cadavre privé de tête. Comparé à un corbeau, Amour lui a mangé les yeux et en a retiré « le cervele » (p. 176). L’amant n’est plus qu’un « home mort » (ibid.) qui a perdu le « sens, qui entendement donne » (p. 178). Il s’est aussi endormi au chant séducteur de la sirène et a été tué par elle (p. 182-184). Ayant ainsi été « pris a l’oïr et au veoir », il se retrouve privé de « sens » et de « mémoire », « car oïrs et veoirs sont les deus portes de memoire, si comme il a esté devant dit, et si sont ore doi des plus nobles sens de l’home » (p. 200). Comme l’illustre la figure de la licorne, tuée par Amour pour s’être endormie à son tour au giron d’une « puchele » (p. 204), l’amant a également été capturé par le « flairier », le troisième des cinq sens dont l’homme est pourvu (p. 200). Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ressemble à Argus, auquel Mercure trancha « le teste » après l’avoir séduit par ses paroles et son chant (p. 212). La dernière figure animale de ce Bestiaire est d’ailleurs le vautour, qui représente les « faus amans » qui suivent l’« ost » (l’armée) des « dames » et « damoiseles » afin de se nourrir des cadavres de ceux qui sont morts sur le champ de bataille de l’amour (p. 272-274). Il est fort probable que l’amant qui a dépêché son arriereban finisse à son tour par être dévoré par cet oiseau de proie. La dame étant dépourvue de toute maison de memoire, l’amant semble condamné à l’oubli.

36Si l’amant n’est plus qu’un cadavre abandonné sur les chemins qui mènent à la dame, Richard de Fournival semble avoir choisi d’incarner lui-même cette maison de mémoire qui figure en tête du Bestiaire d’Amours. À l’amant se substitue du même coup le personnage du clerc. Plutôt que tenter en vain de conquérir la « belle tres douche amee » et de « manoir » dans sa mémoire, c’est dans la « chambre secrète de Philosophie » qu’il désire entrer. Peut-être n’y a-t-il pas de meilleure représentation du clerc que cette image d’une chambre intérieure dont le contenu exact nous échappe, mais qui lui permet de retrouver au plus profond de lui-même cette sophia, ce logos ou ce savoir qui fait l’objet de son désir.

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Notes

1 Voir par exemple K. Nordenfalk, « Les cinq sens dans l’art du Moyen Âge », Revue de l’art, 34, 1976, p. 17-28, ici p. 22-23.

2 Sur les manuscrits du Bestiaire d’Amours mentionnés ici, voir Li Bestiaires d’Amours di Maistre Richart de Fornival e li Response du Bestiaire, éd. C. Segre, Ricciardi, Milan/Naples, 1957, p. xxxiii-lxv. Je citerai toutefois cette œuvre d’après l’édition de G. Bianciotto : Richard de Fournival, Le Bestiaire d’Amour et la Response du Bestiaire, Paris, Champion Classique, 2009, à laquelle je renvoie pour une présentation générale de Richard et pour la bibliographie du Bestiaire.

3 Sur ce manuscrit inconnu de C. Segre, voir S. Segre-Amar, « Su un codice parigino del Tresor », Studi Francesi, 71, 1980, p. 256-261.

4 Le Bestiaire d’Amour rimé. Poème inédit du xiii e  siècle, éd. A. Thordstein, Gleerup, Lund/Copenhage, 1941 (où cette miniature est reproduite en frontispice et décrite aux p. ix-x).

5 Voir C. Lucken, « Du ban du coq à l’Ariereban de l’âne (à propos du Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival) », Reinardus, 5, 1992, p. 109-124.

6 Sur cette conception de l’écriture au Moyen Âge, voir J. Balogh, « Voces paginorum. Beiträge zur Geschichte des lauten Lesens und Schreibens », Philologus, 82, 1926-1927, p. 84-109 et 202-240.

7 « Obitus viri litterati magistri Richardi de Furnivalle, Cancellarii Ambian. […] » (M. l’Abbé Roze, « Nécrologe de l’Église d’Amiens suivi des distributions aux fêtes », Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, 3e série, 8, 1885, p. 291-503, ici p. 321, no I). Pour la biographie de Richard de Fournival (et la bibliographie à ce sujet), voir C. Lucken, « Parcours et portrait d’un homme de savoir », à paraître dans Richard de Fournival et les sciences au xiii e  siècle, éd. J. Ducos et C. Lucken, Florence, Sismel-Del Galluzzo, 2018.

8 C. Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, Paris, 1581, p. 146.

9 Voir R. D. Cornelius, The Figurative Castle. A Study in the Medieaeval Allegory of the Edifice with Especial Reference to Religious Writings, Bryn Mawr, Pennsylvania, 1930 ; I. Gallinaro, I castelli dell’anima. Architettura della ragione e del cuore nella letterature italiana, Olschki, Florence, 1999 ; C. Whitehead, Castles of the Mind. A Study of Medieval Architectural Allegory, University of Wales Press, Cardiff, 2003 ; A. Wheatley, The Idea of the Castle in Medieval England, York Medieval Press / Boyder & Brewer, University of York, 2004, p. 78-111 (« The Spiritual Castle ») ; et C. Lucken, « Citadelle de la raison et palais de la mémoire : les lieux de l’âme selon Platon et saint Augustin », à paraître dans Le château allégorique. Sens, contre-sens et questionnement d’une image mentale dans la construction du paysage d’autorité, éd. Cristina Noacco et Christophe Imbert.

10 Sur l’image du trésor, voir H. Caplan, « Memoria : Treasure-House of Eloquence », Of Eloquence, Ithaca, Cornell University Press, 1970, p. 196-245 (surtout les p. 214-215) ; et le sous-chapitre « Thesaurus Sapientiae » de M. Carruthers, The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, CUP, 1990, p. 33-45. Sur les différentes facultés de l’âme, et en particulier la mémoire, voir H. A. Wolfson, « The Internal Senses in Latin, Arabic, and Hebrew Philosophic Texts », Harvard Theological Review, 28, 1935, p. 69-133 ; E. R. Harvey, The Inward Wits. Psychological Theory in the Middle Ages and the Renaissance, Londres, Warburg Institute Surveys, 1975 ; et Carruthers, The Book of Memory, chap. 2, « Descriptions of the Neuropsychology of Memory, p. 46-79.

11 Sur cette conception de l’histoire, voir F. Hartog, « L’œil de Thucydide et l’histoire “véritable” », Poétique, 49, 1982, p. 22-30 ; A. Cizek, « L’historia comme témoignage oculaire. Quelques implications et conséquences de la définition de l’historiographie chez Isidore de Séville », Histoire et littérature au Moyen Âge, éd. D. Buschinger, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1991, p. 69-84. Sur le terme d’estoire pour désigner la représentation picturale, voir J. Cerquiglini, « Histoire, image. Accord et discord des sens à la fin du Moyen Âge », Littérature, 74, 1989, p. 110-126, en particulier p. 111.

12 La comparaison entre les lettres et le chemin remonte en tout cas à Isidore de Séville : « Litterae autem dictae quasi legiterae, quod iter legentibus praestent, vel quod in legendo iterentur » (Libri etymologiarum, I, 3. 3, éd. W. M. Lindsay, trad. J. Oroz Reta, M. A. Marcos Casquero, San Isidoro de Sevilla, Etymologías, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1982, t. I, p. 278).

13 Rhétorique à Herennius, IV, 68 ; Quintilien, Institution oratoire, VI, 2, 32 et VIII, 3, 6.

14 Quintilien, Institution oratoire, VI, 2, 32, et, pour la citation qui suit, VIII, 3, 62, trad. V. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, t. IV, 1977, p. 32, et t. V, 1978, p. 77-78.

15 L’Image du monde de maître Gossouin. Rédaction en prose, éd. O. H. Prior, Lausanne, Imprimeries réunies, 1913.

16 L. Delisle (éd.), « La Biblionomie de Richard de Fournival », Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1868-1881 (3 vol.), t. II, 1874, p. 518-535 (édition d’où je tirerai toutes les citations de ce texte). Voir aussi les études de C. Lucken (auxquelles je renvoie pour toute précision et pour la bibliographie antérieure), « La Biblionomia de Richard de Fournival : un programme d’enseignement par le livre. Le cas du trivium », Les Débuts de l’enseignement universitaire à Paris (1200-1245 environ), éd. O. Weijers et J. Verger, Brepols, Turnhout, 2013, p. 89-125 ; « La Biblionomia et la bibliothèque de Richard de Fournival : un idéal du savoir et sa traduction manuscrite », Les Livres des maîtres. Histoire et rayonnement du collège de Sorbonne et de ses bibliothèques du xiii e  siècle à la Renaissance, éd. C. Angotti, G. Fournier et D. Nebbiai, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 63-96.

17 Sur l’ascendant de Richard de Fournival et la Nativitas qui en trace la recherche, cf. J.-P. Boudet et C. Lucken, « In search of an astrological identity chart. Richard de Fournival’s Nativitas », à paraître dans Richard de Fournival et les sciences.

18 « Ex cujus filiis vir unus, exercitatus in mathematicis, ex dono Dei nec sine labore, potuit adipisci quod signum ascendens sue nativitatis simile fuerat ascendenti fundacionis primarie civitatis ejusdem. Quare tanto viscerosius statum ejus desiderabat pro suo modulo sublimari, quanto similior in figura » (éd. L. Delisle, p. 520).

19 « Fuit ergo sua intentio in ea plantare ortulum in quo sue civitatis alumpni fructus multimodos invenirent » (ibid., p. 520-521).

20 Sur la fonction de chancelier, cf. E. Fournier, L’Origine du vicaire général et des autres membres de la curie diocésaine, Paris, 1940, p. 35-57 ; G. Le Bras, Institutions ecclésiastiques de la Chrétienté médiévale, Histoire de l’Eglise, dir. A. Fliche, V. Martin, vol. XII, t. I, Paris, Bloud et Gay, 1959, p. 381, 397-398 ; O. Weijers, Terminologie des universités au xiiie  siècle, Rome, Ed. dell’Ateneo, 1987, p. 194-199 ; O. Guyotjeannin, « Écrire en chancellerie », Auctor et Auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, éd. M. Zimmermann, Paris, École des Chartes, 2001, p. 17-35 ; M. Teeuwen, « Cancellarius, archidiaconus », The Vocabulary of Intellectual Life in the Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2003, p. 45-47.

21 D’après le cahier des charges rédigé par l’évêque, l’écolâtre doit, en particulier, rédiger les lettres du chapitre et fixer le programme scolaire d’une année sur l’autre : « Magister etiam scholarum signabit lectiones in matutinis et in missa legendas, et ascultabit si fuerit requisitus. Litteras capituli faciet, regimen scolarum conferet de anno in annum, tabulam lectorum scribet » (Cartulaire du chapitre de la cathédrale d’Amiens, t. I, éd. Abbé Rose, G. Roux, A. Soyez, Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, 14, 1905, p. 198, no 152). On ne connaît pas grand-chose de l’école cathédrale d’Amiens au temps de Richard de Fournival : voir néanmoins F.-I. Darsy, Les Écoles et les collèges du diocèse d’Amiens, Amiens, 1881, principalement p. 19-20 ; S. Lenel, Histoire du collège d’Amiens, 1219-1795, Amiens, 1903 ; H. Bouvier, Histoire religieuse de la ville d’Amiens, Amiens 1921, p. 142-143, 232-233, 283-284 et 345-348 ; E. Lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. V, Les écoles de la fin du viiie  siècle à la fin du xiie, Lille, 1940, p. 316-317.

22 Comme le montre P. Stirnemann sur la base des manuscrits de Richard qui nous sont parvenus, c’est à partir du début des années 1240 que ce dernier semble avoir fait copier des manuscrits : « Private Libraries Privately Made », Medieval Manuscripts, their Makers and Users. A Special Issue of Viator in Honor of Richard and Mary Rouse, Turnhout, Brepols, 2011, p. 185-198.

23 « […] ut, cum ad armarium accessit venator oculus animi studiosi, statim inveniat quid apponat jejuno, ne mora modici temporis vel evagatio tedium inferat quod quantulumcumque possit afficere prestolantem » (p. 524).

24 « Fuit ergo sua intentio in ea plantare ortulum in quo sue civitatis alumpni fructus multimodos invenirent, quibus degustatis, summo desiderio hanelarent in secretum phylosophie cubiculum introduci » (p. 512).

25 Saint Augustin, Les Confessions, X, xxv, 36, éd. M. Skutella, trad. E. Tréhorel, G. Bouissou, Paris, DDB, 1962, t. II, p. 204-205.

26 Ibid., X, viii, 12, p. 160-163.

27 « Cubiculum vero, quod eo cubamus, ibique dormientes requiescimus » (Raban Maur, De universo, XIV, xx (De habitaculis), PL 111, col. 390 – ma traduction).

28 « Cubiculum spiritaliter significat cordis secretum : unde jubetur vir Evangelicus orare Patrem coelestem. Unde ei dicitur : “Tu autem cum oraveris, intra in cubiculum, et clauso ostio ora Patrem tuum” » (ibid. – ma traduction). Sur cette « chambre du cœur » (cubiculum cordis), cf. J.-L. Chrétien, L’Espace intérieur, Paris, Minuit, 2014, p. 29-106 (ouvrage auquel je dois cette référence et les deux suivantes).

29 Ambroise de Milan, Des sacrements. Des Mystères. Explication du Symbole, éd. et trad. B. Botte, Paris, Cerf, 1961, p. 44.

30 « Ibi ergo simus, ubi Christus medius est, radicatus et fixus in cordibus nostris. Et ideo sicut ipse praecepit : “Cum oras, intra in cubiculum tuum”, et effunde super te animam tuam. Cubiculum tuum interiorum secretum est, cubiculum tuum conscientia tua est » (saint Ambroise, De institutione virginis, I, 7, PL 16, col. 307 – ma traduction).

31 D’après le texte Hexaplaric de la Vetus Latina : « Introduxit me rex in cubiculum suum » (Cantici Canticorum Vetus Latina translatio a S. Hieronymo ad Graecum textum Hexaplarem emendata, éd. A. Vaccari, Roma, Storia e Letteratura, 1959) ; alors que la Vulgate dit « in cellaria sua ».

32 Cette fois, les versions de la Vulgate et du texte Hexaplaric de la Vetus Latina sont identiques : « Donec introducam illum in domum matris meae, / Et in cubiculum genitricis meae ».

33 Saint Bernard, Sermons sur le Cantique, XXIII, 3, éd. J. Leclercq et al., trad. P. Verdeyen, R. Fassetta, Paris, Cerf, 1998, t. II, p. 206-207.

34 Ibid., XXIII, 9-10, p. 218-221.

35 Saint Augustin, Ennarationes in Psalmos, XXXV, 5, PL 36, col. 343-344.

36 M.-Th. d’Alverny, « La Sagesse et ses sept filles. Recherches sur les allégories de la philosophie et des arts libéraux du ixe au xiie siècle », Mélanges Félix Grat, Paris, 1946, p. 245-278. Sur l’équivalence entre sophia et philosophia, voir p. 246 et suiv. ; sur le lien que l’on peut établir entre la demeure de la Sagesse et la bibliothèque, voir p. 254.

37 Hugues de Saint-Victor, L’Art de lire. Didascalicon, III, 3, trad. M. Lemoine, Paris, Cerf, 1991, p. 133 (pour le texte latin, voir Hugonis de Sancto Victore Didascalicon, éd. C. H. Buttimer, Washington, The Catholic University Press, 1939).

38 Ibid., II, 1, p. 92 (voir Isidore de Séville, Libri etymologiarum, II, 24, 9 ; Cassiodore, Institutiones, II, 2).

39 Ibid., I, 2 (3), p. 70.

40 Boèce, La Consolation de Philosophie, I, prose iv, éd. C. Moreschini, trad. E. Vanpeteghem, Paris, LGF / Lettres gothiques, 2008, p. 58-59.

41 Voir G. Nuchelmans, « Philologia et son mariage avec Mercure jusqu’à la fin du xiie siècle », Latomus, 16, 1957, p. 84-107 ; et, en particulier pour l’interprétation des deux époux, l’introduction de L. Lenaz à sa traduction italienne du De Nuptiis Philologiae et Mercurii. Liber secundus, Padoue, 1975, principalement p. 101-120.

42 Voir par exemple le commentaire que Dunchad propose du trio formé de Pallas, Philologie et Mercure : « Pallas in significatione summae sapientiae quae incorruptibilis et incomprehensibilis est ponitur. Phylologia vero inferior intellegentia per quam intellegimus res visibiles et invisibiles significatur. Quae tunc Mercurio copulatur quando sermone comprehenditur. Igitur Mercurio copulata Pallas non est quia inferior sapientia cum sermone comprehenditur ; a summa sapientia, quae incomprehensibilis est, removetur » (cité d’après Nuchelmans, « Philologia et son mariage avec Mercure », p. 94).

43 « Verum secretum cubiculi repente Phronesis mater irrupit […]. Dehinc apponit vertici diadema virginale, quod maxime medialis gemmae lumine praenitebat, ex qua galeata quaedam obtectaque vultum virgo instar secreti Troiani penitus incisa resplenduit » (Martianus Marziano Capella, Le Nozze di Filogia e Mercuro, éd. J. Willis, trad. I. Ramelli, Milano, Bompiani, 2001, p. 64). Voir également l’invocation à Pallas au début du livre VI, 567-575. Sur l’importance de cette déesse dans les Noces de Mercure et Philologie, cf. J. Préaux, « Pallas, tertia lunae », Le Monde grec. Hommages à Claire Préaux, éd. J. Bingen, G. Cambier, G. Nachtergael, Bruxelles, p. 343-352 ; « Jean Scot et Martin de Laon en face du De Nuptiis de Martianus Capella », Jean Scot Erigène et l’histoire de la philosophie, Paris, CNRS, 1977, p. 161-170, en particulier p. 164, 166 et 169.

44 Voir aussi C. Lucken, « Entre amour et savoir. Conflits de mémoire chez Richard de Fournival », La mémoire du temps au Moyen Âge, éd. A. Paravicini Bagliani, Florence, Sismel-Ed. del Galluzo, 2005, p. 141-162.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christopher Lucken, « La maison de mémoire, le jardin du savoir et la chambre de philosophie »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 235-255.

Référence électronique

Christopher Lucken, « La maison de mémoire, le jardin du savoir et la chambre de philosophie »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16197 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16197

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Auteur

Christopher Lucken

Université Paris 8 Université de Genève

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