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La corpo-réalité dans les oeuvres du Moyen Âge

L’incarnation de l’auteur dans les manuscrits recueils du Roman de la Rose

Philippe Frieden
p. 215-234

Résumés

Contrairement à Jean de Meun, les acteurs de la réception du Roman de la Rose ont choisi de le rendre présent : par les images mais aussi par des anecdotes « biographiques ». Ces anecdotes évoquent le corps du continuateur, rejoignant ainsi un principe visible dans les manuscrits-recueils qui, progressivement, établissent un ensemble d’œuvres attribuées à Jean de Meun et articulées sur un trajet biographique. Ainsi le corps de l’auteur se retrouve au centre de la biographie et du corpus.

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Texte intégral

  • 1 « Cist [Jean de Meun] avra le romanz si chier / qu’il le voudra tout parfenir, / se tens et leus l (...)

1Pour un lecteur moderne, parler du corps de Jean de Meun, évoquer sa réalité matérielle relève de la gageure. En effet, son « apparition » dans le Roman de la Rose programme dans le même temps un effacement puisque, on le sait, au moment où le dieu d’Amour prononce, pour la première fois, les noms des deux auteurs qui lui sont soumis, l’un est mort et enterré et l’autre, Jean de Meun n’est pas encore né1.

  • 2 « Ci se reposera Guillaumes, / cui li tombleaus soit pleins de baumes, / d’encens, de mirre et d’a (...)
  • 3 C’est d’ailleurs souvent ainsi que l’on représente Guillaume de Lorris, non en auteur, mais en dor (...)

2C’est donc sous le régime d’une absence que Jean de Meun s’inscrit dans ce moment décisif du roman, comme si, anticipant la mort de l’auteur, il ne concevait sa « présence » que dans un jeu de faux semblants souligné par une temporalité que seule la fiction est à même de créer. Certes, il évoque dans le même passage2 le corps embaumé de son prédécesseur, à la manière dont on parlerait d’un corps saint, sur lequel l’action corruptrice du temps, celle de la décomposition, n’a pas eu prise et qui, au contraire, n’a cessé de se maintenir intact, en même temps qu’il semble avoir été inscrit dans le texte même dont il est l’auteur. Son ensevelissement prolonge d’ailleurs un phénomène amorcé dès le seuil du récit, au moment où, débutant sa narration, Guillaume s’endort et plonge ainsi, corps et bien, dans l’œuvre de fiction3.

  • 4 Voir notamment à ce sujet, la mise au point de L. J. Walters, « Appendix : Author Portraits and Te (...)
  • 5 Voir Honoré Bonet, L’apparicion maistre Jehan de Meun et le Somnium super materia scismatis, éd. I (...)

3Il semblerait que la postérité n’ait pas voulu suivre le programme que Jean de Meun avait fixé par le biais du discours d’Amour. Pour des raisons sans doute liées à l’époque, je veux parler de la période de réception du Roman qui s’étale entre les xive et xve siècles, le traitement qu’on a fait subir à l’auteur Jean de Meun est loin de vérifier cette disparition mais correspond davantage à un mouvement inverse où sa présence ne cesse jamais d’être soulignée, que ce soit à travers les illustrations des manuscrits, particulièrement au point de transition4, ou plus tardivement, par son utilisation comme acteur d’un autre songe comme c’est le cas de l’Apparition maistre Jehan de Meun rédigée au xve siècle par Honoré Bovet5. Dans tous ces exemples, on ne cesse de convoquer, de représenter l’auteur de la continuation, par des moyens divers qui confortent tous son autorité.

4Pourtant, parmi ces gestes divers, qui participent tous à une mise en avant de l’auteur, peu ont mis l’accent sur la dimension concrète du corps. Ils ont généralement privilégié une image globale, voire phantasmatique de Jean de Meun au détriment d’une prise en compte matérielle de ce dernier. Ce sont donc d’autres témoignages que je voudrais interroger ici afin de mieux cerner l’exploitation qui a pu être faite de cette matérialité corporelle, laquelle a aussi pu s’inscrire dans un discours visant l’autorité du continuateur. Les exemples que je retiendrai parcourent une ligne allant du plus « abstrait » de ces corps au plus concret. Ce trajet comportera trois temps qui, partant d’un cas purement fictionnel, aboutissent à une réification de l’auteur au travers de son corps et de son œuvre. Dans ce parcours, on verra également se dessiner l’esquisse d’une vie émanant, à proprement parler, des mêmes fondations et qui vient en quelque sorte lier le tout pour lui conférer une meilleure assise.

  • 6 Voir René d’Anjou, Le Livre du Cuer d’amour espris, éd. et trad. Fl. Bouchet, Paris, LGF, 2003, v. (...)

5Dans la version très synthétique qu’il offre du Roman de la Rose, René d’Anjou retrouve le déplacement évoqué en introduction à propos du corps de Jean de Meun. On se souvient que dans le Livre du cœur d’Amour épris, le Cuer arrivé à l’île d’Amour émet le désir d’aller visiter la tombe d’Alain Chartier que Désir, peu avant, a dit se trouver dans l’Hôpital d’Amour. Insistance est d’ailleurs faite à ce moment sur la possibilité qui lui sera offerte « a veoir les corps / De maint leaulx amoureux mors6 ». L’intérêt du narrateur-protagoniste semble donc se fixer sur une certaine réalité du corps des personnages inhumés dans ce lieu privilégié, ce qui n’est pas sans intérêt pour notre propos.

  • 7 Les poètes visités dans ce cimetière sont les suivants : Ovide, Guillaume de Machaut, Boccace, Jea (...)

6De corps pourtant, il n’y en aura pas de visibles puisque chacun des poètes ensevelis dans le cimetière possède, pour le recouvrir, un riche tombeau qui sera dévoilé par la suite dans l’ordre de la visite7. Mais par rapport à la longue énumération des personnages historiques et légendaires qui précède l’arrivée au cimetière, le corps gagne en importance dès lors qu’on franchit les portes du cimetière. En effet, dans cette étape préalable, il n’est question que des blasons laissés par les vaincus en témoignage de leur soumission à Amour. Si la structure formelle anticipe celle des tombeaux, et que le lecteur découvre avec les armes de Jules César une machine descriptive complexe – repérage de l’écu, description des armes, discours du porteur disparu –, il ne « trouve » aucun corps puisque tous, vifs ou morts, n’ont laissé comme indice de leur passage que la trace symbolique de leur blason, témoignage de leur amour. Tout ici n’est qu’absence.

7Il n’en va pas de même lorsque le Cuer et sa compagnie parviennent au cimetière proprement dit. Là les tombes ne sont pas des cénotaphes et certaines des épitaphes insistent sur la présence, en creux, du corps défunt qui s’y trouve. Le mot corps apparaît déjà dans le discours prononcé par Guillaume de Machaut mais désigne alors celui qu’il possédait de son vivant. Boccace en revanche évoque plus précisément la présence de sa dépouille au lieu même où se trouvent les acteurs :

Je, Boucasse, poethe, ay fait poser ycy
Mon corps, affin qu’on sceust que j’ay eu du soucy
Par une dame au cuer qui s’appeloit Flamecte,
Tant qu’en fu embrazé de flame non flammecte. (v. 1579-1582)

8Dans un registre similaire, Jean de Meun, qui succède au poète florentin, exprime, mais par deux fois ici, le corps qu’il a voulu enterré dans ce lieu privilégié. Après s’être nommé selon un protocole suivi par tous ses prédécesseurs, le poète de la rose poursuit :

Pour tant ay ordonné que mon corps on apporte
Poser en ce lieu cy, treslors que je fuz mors.
Si a l’on mis aussi au dessus de mon corps
Cest escript, pour monstrer, et donner a entendre
Que des amoureux fault chascun soy venir rendre
Gesir a l’ospital en ce point que g’y gis :
Tous amoureux n’auront en fin d’autre logis. (v. 1596-1602)

9On voit que et Boccace et Jean de Meun soulignent bien cette présence de leur corps à l’aide de déictiques (ycy, cy, et le y amplifié par la rime couronnée « g’y gis » au v. 1601) et insistent sur le fait qu’ils ont tous deux voulu que leur corps soit déplacé afin, précisément, d’appartenir à ce cimetière d’élection. Comme je le notais, on constate une sorte de gradation ménagée entre les deux poètes et, ce faisant, une insistance de la part de Jean sur son propre corps. Mais il faut aussi souligner que dans les deux cas, les poètes ajoutent un élément, celui du déplacement qu’ils ont fait subir à leur dépouille. La translation, on s’en doute, n’a pas prise sur l’espace mais sur le changement d’essence qu’elle a négocié : d’un corps mort composé de chair et d’os René d’Anjou a fait des corps de mots qu’il a ensevelis dans son œuvre, ici sous la forme plus spécifique du tombeau, là plus généralement dans la récriture que pratique le Livre du cœur d’Amour d’épris, s’inspirant beaucoup des auteurs et des textes qui l’ont précédé. Mais on le voit, en faisant dire à Jean de Meun qu’il a voulu faire ensevelir son corps dans ce tombeau textuel, le roi de Sicile lui fait subir le sort même qu’il avait réservé au corps de Guillaume de Lorris dans sa continuation. Autre déplacement, nouvelle translation où cette fois le corps de celui qui tenait à disparaître est exhibé dans et par la récriture allégorique du xve siècle. Continuation et récriture s’expriment dans les deux cas sous couvert d’une inhumation de corps empruntés.

  • 8 Voir l’article de Patrizio Tucci auquel j’emprunte ici le titre : « Une poésie sépulcrale au xve s (...)

10La réalité de ce corps est dès lors assez ténue. Fait de mots, d’un nom qui l’identifie, le procédé de translation s’appuie essentiellement sur une rhétorique de l’ekphrasis qui tend à l’offusquer sous les dehors d’un morceau d’apparat. Certes, comme autant d’échos, la voix du poète résonne ; mais là encore, l’écrit l’emporte et l’épitaphe seule peut être perçue. L’oralité, la voix, ne sont plus que des illusions y compris pour les acteurs du récit allégorique. Il n’empêche que cette « poésie sépulcrale8 » donne, par les mots, une importance aux corps qu’elle recouvre. Encore une fois, le cimetière d’Amour n’est pas composé de cénotaphes où les corps, même fictifs, auraient disparu. La suite le vérifie qui décrit les dépouilles des « excommunïez d’amour » (v. 1635). Là les corps sont « pourriz », « demi pourriz ». Les « boyaux et les os » sont visibles dans cette espèce de fosse commune marginalisée hors les murs du cimetière. La réalité macabre, a contrario, fait ressortir l’idéalité des corps des poètes énumérés auparavant. L’élection par Amour de ses fidèles et le rejet de ceux qui l’ont trahi s’exprime précisément dans les corps des uns et des autres, mais paradoxalement, la réalité qui les affecte est inversement proportionnelle aux qualités de leurs possesseurs.

11Enfin, et en relation avec ce qui suivra, le corps est saisi, si je puis dire, non pas dans sa vitalité, dans sa jeunesse, mais au moment de sa mort. Les tombeaux, si présents en cette fin de Moyen Âge, recueillent et préservent ces dépouilles. Tout en les rendant invisibles au regard, ils ne cessent de les exhiber et attirent notre attention sur cette réalité à partir de laquelle, comme les épitaphes qui les surmontent, on pourra reconstruire quelque chose de leur vivante présence. Les tombes et leurs épitaphes sont à lire comme un point médian, un relais entre la disparition présente et la vie passée. Ils suturent ces deux moments opposés et invitent le spectateur à recréer ce qui est désormais invisible.

12La deuxième étape de notre parcours nous amène à un développement qui, plus que le précédent, envisage le corps de l’auteur. Il se situe toutefois encore à mi-chemin entre fiction et réalité, surtout depuis une perspective moderne, puisqu’il a trait au « genre » de la biographie dont on connaît les limites pour la période qui nous concerne. Autre écueil, les développements de cet exemple ne sont pas circonscrits au Moyen Âge et les versions les plus achevées que l’on peut lire se trouvent dans des ouvrages largement postérieurs. Pourtant, la première étape est bien contemporaine des premiers témoins manuscrits qui nous ont transmis le Roman de la Rose, on va le voir.

13Contrairement aux troubadours, Jean de Meun n’a jamais connu les honneurs d’une biographie qui nous aurait renseignés sur les détails importants de son existence : aucune vida ne vient jamais ouvrir un exemplaire du roman dont il fut le continuateur. En revanche, quelques vers copiés parfois à la fin de sa partie laissent entendre comme un écho du genre. On peut en lire une version à l’issue du manuscrit BnF fr. 1572 :

  • 9 Deux autres manuscrits l’ont préservé : BnF fr. 19154 et Laurentienne 153. Langlois en donne une t (...)

Par la grant haÿne diverse
Qui dedens Faulx Semblant converse
Cloppinel fut aux champs couvert
Por ce que voir ot descovert9.

14En l’état, ces quelques vers ne semblent pas s’inscrire dans la problématique qui est la nôtre, notamment parce que le corps du poète n’est pas mentionné. Pierre-Yves Badel a cependant retrouvé un témoin qui a transmis une version augmentée du quatrain de Faux Semblant et qui ajoute après les quatre premiers vers :

  • 10 Le manuscrit en question appartient aujourd’hui à une collection privée à Los Angeles. Il a cepend (...)

De Faulx Semblant, li malx traïtres,
Qui maint jour vit dedens chapitres ;
Mais puis par l’Université
En dedens Paris rapporté
Et enterré honnestement
Maugré Faulx Semblant le puant10.

15L’allusion se précise ici et donne un peu plus sens aux « champs couverts » de la citation précédent. On peut comprendre ainsi que Jean de Meun a été « couvert », c’est-à-dire enseveli, dans les « champs » puis enterré à nouveau mais cette fois à la suite de l’intervention de l’Université et ce contre l’avis de Faux Semblant. On l’entend dans cette paraphrase, deux éléments demeurent énigmatiques : le premier est d’ordre logique, il intervient dans la compréhension de la séquence événementielle qui décrit deux enterrements successifs de Jean de Meun. Une étape semble manquer, celle d’une exhumation qui serait intervenue entretemps et expliquerait que le continuateur ait été enseveli une seconde fois.

16Le second élément concerne l’identité de Faux Semblant. La personnification masque ici un acteur que ni le quatrain ni sa version augmentée ne nous révèlent. Cette énigme est cependant aisément résolue si l’on se réfère à la continuation du Roman de la Rose et au personnage qui apparaît vers le milieu du récit, à la demande d’Amour. On comprend, notamment par l’éclairage de l’Apologie, que la personnification représente les religieux et plus précisément les ordres mendiants contre lesquels le texte de Jean vitupère.

  • 11 Cf. Le Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jean de Meun, 4 tomes, éd. E. Langlois, Paris, (...)
  • 12 De Nicolas Lenglet Dufresnoy à Dominique Martin Méon en passant par Jean-Baptiste Lantin de Damere (...)

17C’est sans doute fort de ces informations que, à tort ou à raison, Ernest Langlois, dans l’introduction à son édition de la Rose, a relié le quatrain de Faux Semblant à une anecdote ultérieurement élaborée concernant Jean de Meun11. On sort dès ce moment de la période médiévale pour entrer dans les siècles qui l’ont suivie, car la première version quelque peu complète se trouve chez Jean Bouchet dans ses Annales d’Aquitaine. Elle est ensuite reprise par Claude Fauchet dans le Recueil de l’origine de la langue et poésie française, rymes et romans paru en 1581 à Paris. On la rencontre encore dans la plupart des biographies qui figurent dans les éditions du Roman de la Rose12. Elle varie peu d’un exemple à l’autre sinon dans certains détails. Je la citerai ici intégralement dans la version de Claude Fauchet :

  • 13 Claude Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Plus les no (...)

Il se trouve en la Chronique d’Aquitaine, un traict de risee que le bon maistre Jehan de Meung fit aux freres prescheurs ou Jacobins de Paris, mesmes en son testament. Par lequel ayant ordonné estre enterré en leur Eglise, il leur laissa un coffre avec tout ce qui estoit dedans : commandant ne l’ouvrir qu’il ne fust mis en terre. Maistre Jehan trespassé, et son service mortuaire fait, suivant ce qu’il avoit ordonné, les freres viennent en grande haste pour enlever ce coffre, lequel se trouvant plein de pieces d’ardoise, sus lesquelles possible il tiroit des figures d’Arithmetique ou de Geometrie, les moines indignez, et pensans qu’il se fust moqué d’eux vif et mort, deterrerent son corps. Mais la Cour de Parlement advertie de telle inhumanité, le fit remettre en sepulture honorable, dans le cloistre du covent13.

18Même en prenant en compte, comme point de départ supposé, la version amplifiée du quatrain de Faux Semblant, le lien demeure assez ténu entre les deux versions. En revanche, pour le propos qui nous occupe, la présence et la dimension du corps sont beaucoup plus probantes et nous intéressent ainsi davantage. Le terme n’apparaît certes qu’une seule fois mais il est l’objet de manipulations qui toutes se concentrent sur sa réalité : enterré, déterré puis enterré à nouveau, il va et vient, est visible puis ne l’est plus. Au-delà de la profanation dont il est l’objet, on voit qu’il concentre l’attention et subit directement les divers traitements. Par ailleurs, la moquerie de Jean lui-même expose son corps qu’il met en balance avec le coffre mystérieux.

19Le parallèle, ou l’équivalence, joue d’ailleurs à deux niveaux : de façon obvie, corps et savoir sont enfermés dans un contenant, l’un pour toujours, l’autre jusqu’au moment où la curiosité ou une certaine cupiditas poussera les détenteurs à en vérifier le contenu. De ce point de vue, on remarque que la clôture de l’un – le corps – correspond à l’ouverture de l’autre – le coffre. Ce parallélisme structurel établit bien l’affinité qui unit le corps de l’auteur et le contenu du coffre. Mais qu’en est-il de ce second niveau, moins structurel ? Il me semble établir ou jeter les bases d’une idée qui fera long feu, celle qui crée un lien entre l’homme, l’auteur, et l’œuvre.

20Dans la mise en scène que Jean de Meun lui-même avait tramée à l’endroit de Guillaume de Lorris, quelque chose du même ordre pouvait se lire : là, au cœur du roman – puisque la révélation des noms d’auteur s’effectue dans et par la fiction qui les accueille – se trouve « enterré » le premier auteur. La formule peut, ainsi décrite, tout aussi bien dire que l’œuvre recèle quelque chose de Guillaume de Lorris mais aussi qu’elle le dépasse dans sa continuation. Toutefois, et même si son nom était également divulgué à ce moment, son non-avènement ne laisserait pas de contredire ce qui vient d’être esquissé.

21C’est peut-être que l’enjeu du passage a moins à voir avec un quelconque lien qui unirait l’homme et l’œuvre qu’il n’établit un nouveau régime d’autorité, non plus basé sur l’anonymat – posture adoptée par Guillaume qui dans sa partie ne se nomme jamais – mais sur l’affirmation du nom d’auteur, ce qui expliquerait qu’à ce moment Jean soit obligé de se nommer et de nommer son prédécesseur. C’est d’ailleurs cette double nomination qui doit être soulignée, laquelle, dans le même geste, exhume un nom et embaume un corps. Guillaume au final est doublement trahi : identifié et enterré.

22L’anecdote relayée par Jean Bouchet, en revanche, en jouant d’un côté d’une sorte d’essentialisation du savoir, figuré par le biais des figures d’arithmétique et de géométrie copiées sur les plaques d’ardoise, et de l’autre du corps de leur auteur, fait mieux entendre cette proximité qui les unit. Non seulement ce savoir perdurera bien après la décomposition de son auteur, mais comme lui, comme son corps, il est appelé à subir – sans violence cette fois – autant d’exhumations qu’il y aura de « lecteurs », de personnes venues en prendre connaissance. L’avarice des Jacobins pourrait bien annoncer, de façon positive, une autre cupidité, une cupiditas sciendi ou désir de connaissance qui devra, pour s’effectuer, s’affranchir du coffre, du contenu qui cloisonne le savoir à proprement parler.

  • 14 Overt/covert est l’une des rimes que l’on retrouve de lieu en lieu dans le récit allégorique pour (...)
  • 15 La très grande majorité des manuscrits qui ont transmis le Roman de la Rose ne possède pas de nom (...)

23Là encore, on n’est pas loin de la métaphore clé du Roman de la Rose qui joue du couvert et du découvert pour dire l’herméneutique à l’œuvre et à venir, véhiculée par le texte allégorique qui toujours présuppose une opération équivalent à une ouverture du sens14. Finalement, au fil du temps et des développements qu’il a subis, le quatrain sur Faux Semblant en est peut-être venu à constituer une anecdote parmi d’autres sur la vie de Jean de Meun. Pour une part, ce point final et apocryphe ajouté à certains manuscrits a joué comme un point de départ, un point d’ancrage au développement de nombreux récits relatant des fragments, plus ou moins bien ajustés par la suite par les auteurs de biographies. Mais auparavant, ces quelques vers ont bien fonctionné comme une sorte de coda à un texte qui très généralement s’achève sans signature15.

24Toutefois, ces vers ne sont pas le seul artifice imaginé par les copistes et les lecteurs du Roman de la Rose afin de « donner vie » à l’auteur de la continuation, si tant est que telle ait été leur intention. La tradition des manuscrits-recueils du roman nous dévoile une autre stratégie élaborée au fil du temps et dont les premiers signes sont visibles dès la seconde moitié du xive siècle.

  • 16 Pour le premier cas, on peut mentionner les manuscrits Paris, BnF fr. 12594 et Amiens BM 437, et p (...)

25Les premières décennies de transmission du roman (fin xiiie – début xive siècle) présentent au lecteur des ensembles assez hétéroclites parmi lesquels il est difficile de percevoir des choix construits, des démarches cohérentes. Un peu à l’image du texte lui-même qui connaît dans la même période des altérations sensibles de son contenu. On peut remarquer, çà et là quelques textes récurrents : le Roman de Miserere du Reclus de Molliens, un groupe de textes de Richard de Fournival16. Mais leur récurrence est généralement trop faible pour former une loi ou un point de repère.

  • 17 Le titre de ce texte est très variable en fonction des manuscrits qui nous l’ont transmis. Sur cet (...)
  • 18 L’éditrice synthétise dans son Introduction (p. 8-19) les différentes opinions, anciennes et moder (...)

26Les choses changent à partir de la seconde moitié du xive où un texte devient de plus en plus présent dans l’environnement de la Rose. Il s’agit du Testament maistre Jehan de Meun17. Ce texte, dont l’attribution n’est pas assurée, a été considéré pendant les deux siècles de transmission médiévale comme l’œuvre de Jean de Meun18. Dès son apparition dans les recueils contenant le Roman de la Rose, le Testament se trouve très généralement voire exclusivement placé juste après le roman allégorique. De ce fait, les deux œuvres, très tôt, constituent une sorte de diptyque, de couple qui s’impose dans un ensemble comme un noyau ou du moins son ébauche.

  • 19 Seul le Codicille a été édité aujourd’hui selon des principes philologiques modernes par la même é (...)
  • 20 On peut lire dans les derniers vers du texte une signature qui donne un certain Jean Chapuis comme (...)
  • 21 Dans le manuscrit Arras BM 897 qui contient plus d’une dizaine de textes, le Roman de la Rose et l (...)

27La tendance se confirme peu après avec la présence toujours dans ces recueils de deux autres textes : le Codicille et le Trésor, connu aussi sous le titre de Sept articles de la foi19. À nouveau, ces œuvres sont d’amblée attribuées à Jean de Meun, même si la seconde semble bien ne pas être de la main du continuateur20. Ces deux textes viennent s’agréger aux précédents pour former un véritable ensemble aisément repérable même dans les recueils d’une certaine ampleur21. Aisément, car très vite, dès la fin du xive siècle, et surtout pour le siècle suivant, ces trois textes sont les seuls à être copiés avec le Roman de la Rose.

  • 22 On doit cependant noter une exception, celle de l’édition due à Antoine Vérard et qui reproduit le (...)
  • 23 Quelques vers du Roman de la Rose (Lecoy, v. 16035-16118) ont pu faire penser que Jean de Meun ava (...)

28On a donc affaire à une sélection qui s’opère sur une période relativement restreinte – une cinquantaine d’années – et qui au terme du processus présente une sorte d’état définitif dès lors que les copistes choisissent de réunir le Roman avec d’autres œuvres. Bien plus, si l’imprimerie de la fin du xve et du début du xvie siècle abandonnera la formule22, c’est bien le même ensemble que l’on retrouvera dans les premières rééditions du texte au début du xviiie siècle. Lenglet Dufresnoy puis Méon rééditent tous deux le roman en l’accompagnant du Testament, du Codicille et du Trésor, ainsi que de quelques textes provenant quant à eux d’une autre tradition, plus tardive et qui ne retiendra pas ici notre attention23.

  • 24 Cet aspect de l’évolution manuscrite du Roman de la Rose a très peu été étudié. On pourra cependan (...)

29Plusieurs remarques peuvent être faites au sujet de cette construction manuscrite. La première vient compléter celle que l’on faisait à propos des recueils du début du xive siècle : on constate que la formation de ces recueils, surtout leur fixation au xve siècle, correspond à la stabilisation du texte qui peut être observée à la même période. Il semble ainsi qu’après une transmission beaucoup plus variable et où le texte et ses regroupements répondent à diverses présentations et états correspondant à diverses lectures, le xve siècle opère un virage et monumentalise ce roman auquel le succès des décennies précédentes a conféré un surcroît d’autorité. Il n’est dès lors plus loisible aux copistes d’attenter à l’intégrité du récit et, ce faisant, à l’exception d’une modernisation de la langue, le texte et son contexte sont fixés et deviennent intouchables24.

30Mais les remarques les plus intéressantes concernent la série ainsi constituée et le lien qu’elle entretient avec le sujet de cette étude. La première d’entre elles vise l’ordre de reproduction des textes. Dans la très grande partie des cas, le Roman de la Rose et le Testament ouvrent la série. En ce sens, le phénomène, déjà observé au xive siècle, se confirme au siècle suivant. Il faut donc considérer que dans cet ensemble, ces deux textes forment à proprement parler le point de départ et les soubassements d’une construction qui par la suite s’est vue embellie en même temps que le projet initial était conforté par des ajouts ultérieurs.

31On peut dès lors s’interroger sur le mode de fonctionnement du duo : pourquoi et comment ces deux textes se répondent-ils au point de fonctionner toujours ensemble et dans cet ordre ? Une réponse ou ce qui a vraisemblablement servi de réponse se trouve au début du Testament. On peut lire dans le second quatrain :

  • 25 Cf. Gallarati, Le Testament, p. 121. Le nombre des quatrains est variable d’un manuscrit à l’autre (...)

J’ai fait en ma jeunesce maint dit par vanité
Ou maintes gens se sont plusieurs fois delité ;
Or m’en doint Diex un faire par vraie charité
Pour amender les autres qui poi m’ont proufité25.

  • 26 La première strophe du Canzoniere expose une idée similaire, celle d’un regard rétrospectif sur un (...)

32Cet aveu, qui ressemblerait dans un contexte un peu différent à celui qui ouvre le Canzoniere de Pétrarque, semble avoir été pris au pied de la lettre26. On a ainsi entendu le v. 4 comme la confession d’un auteur qui, après un temps d’égarement, a su revenir sur le droit chemin et amender par d’autres textes ceux qu’il avait écrits auparavant. Malgré une formulation qui semble dire explicitement le contraire, Pierre Col, dans la lettre qu’il adresse conjointement à Christine de Pizan et au chancelier de Paris, se fait l’écho d’une telle interprétation :

  • 27 Voir Le débat sur le Roman de la Rose, éd. et trad. É. Hicks, Paris, Champion, 1977, p. 95.

Des qu’il commensa a escripture, il entre en raison ; et Dieu sceit combien il se tient : a painne se peut il oster (aussy ne s’i estoit gaires tenu le premier aucteur). Et ne cuide pas que ce qu’il dit en son Testament : « J’ay fait en ma jonesse maint dit par vanitey », qu’il entende de ce livre de la Rose ; car vraiement come je ne monstreray mais, il entendoit d’aucunes balades, rondiaus et virelais que nous n’avons pas par escript, – au moins moy27.

  • 28 Sur cette question, voir l’article déjà cité de Ph. Frieden sur le Testament.

33Dès lors, il semble bien que les lecteurs de ces manuscrits-recueils aient perçu le trajet allant du Roman de la Rose au Testament comme celui qui reliait le texte et son contre-texte28. Les premiers manuscrits qui ont commencé par regrouper les deux œuvres, surtout à partir du moment où ils les réunissaient au point de former un duo, ont vraisemblablement imposé cette lecture où le Testament joue le rôle d’une retractatio à la continuation du Roman de la Rose.

34Ainsi, à partir de cette construction était-il possible d’élaborer un ensemble plus complet et partant plus parfait, en lui ajoutant le Codicille et le Trésor ou les Sept articles de la foi, ces deux textes suivant une orientation plus nettement religieuse et achevant le tournant négocié avec le Testament. Mais cette inflexion s’est aussi accompagnée, dans certains manuscrits, d’une mise en scène qui intéresse davantage encore notre propos. Deux témoins à ce titre doivent retenir notre attention. Il s’agit des manuscrits BnF, fr. 24392 et Arsenal 3339. Ces deux copies du xve siècle présentent, il va sans dire, les quatre textes habituels dans un ordre similaire : Roman de la Rose Testament Codicille Trésor. Le manuscrit de l’Arsenal offre une version du roman allégorique dépourvue d’illustrations à l’exception d’une belle image à l’ouverture du récit – alors que celui de la Bibliothèque nationale est l’un des plus richement décorés du corpus. Toutefois, tous deux se rejoignent dans la façon qu’ils ont de présenter le texte suivant : dans les deux cas, Testament et Trésor sont précédés d’une image alors que le Codicille n’est orné que d’une lettrine travaillée mais non historiée.

  • 29 Voir l’édition de Méon, Le Roman de la Rose, p. 331. Les images dont je parle sont visibles sur le (...)

35L’illustration qui ouvre le Trésor, comme c’est souvent le cas, figure les trois personnes de la Trinité, ce qui répond logiquement aux premiers vers du morceau qui débute ainsi : « O glorieuse Trinité / Une essence et vraie verité / En trois singulieres personnes29 ». Mais à la différence de la représentation la plus communément choisie à cet endroit, et qui place entre le Père et le Fils un orbe désignant le monde, les deux manuscrits ont inséré un livre ouvert que tiennent les deux personnes de la Trinité et que survole la colombe du Saint Esprit. Ce détail, sans doute anecdotique, peut cependant être retenu pour notre commentaire, nous le verrons.

36Ce qui démarque plus franchement ces manuscrits est l’image choisie pour ouvrir le texte du Testament, car dans ce cas, les illustrateurs ont fait preuve d’une originalité qui distingue leur version de toutes celles du corpus. En fait, au lieu de figurer à cet endroit un trône de gloire dans une lettrine (Châlon-sur-Saône 33, fol. 107r), sur une ou deux colonnes occupant souvent un tiers de la page (une colonne pour le BnF fr. 380, fol. 140r et deux pour le BnF fr. 12595, fol. 158r), on découvre une image très différente de toutes les précédentes ainsi que des suivantes. La scène nous fait découvrir un homme alité, vêtu de bleu et reposant sur une couche recouverte d’une riche étoffe rouge parsemée de fleurs d’or. Tout autour de lui se pressent des personnages, tantôt assis, tantôt debout, qui représentent un large échantillon de la société de l’époque. On y voit des laïcs et des hommes d’Église, des princes et des bourgeois, des hommes et des femmes. Leurs regards convergent vers le « malade » qui, légèrement rehaussé par une pile de coussins blancs, tient dans sa main gauche un livre fermé et qu’il semble tendre à l’assemblée.

  • 30 L’emboîtement narratif complexe qui ouvre le récit du Roman de la Rose, où le narrateur, le sujet (...)

37Ces manuscrits paraissent former un hapax dans cet ensemble résolument homogène et surtout, on le voit, le choix des illustrations est radicalement autre : au lieu de représenter le contenu du texte par une allusion claire à ses premiers vers, ils ont privilégié une autre voie qu’il nous faut maintenant tenter de déchiffrer. On peut certes postuler un choix plus ambigu qui verrait dans cette image à la fois le moment du legs et en même temps une représentation des différents états auxquels s’adresse le Je qui « teste » dans le texte. En effet, dans son contenu, le Testament vise aussi bien les rois, les princes que le clergé, les hommes que les femmes. En ce sens, son propos n’est pas très éloigné de celui du Roman de la Rose. On serait alors avec cette image dans et hors du texte, à sa lisière, un peu comme le dormeur de la première partie qui oscille entre l’Amant et Guillaume de Lorris30.

  • 31 Pour soutenir cette hypothèse, on peut renvoyer à l’image qui ouvre la Consolation dans le manuscr (...)

38Ces deux illustrations du Testament peuvent cependant être rapprochées d’autres images qui figurent à l’ouverture d’un autre texte : il s’agit de la Consolation de Philosophie de Boèce. Or on sait que le début du récit n’est pas très éloigné du Roman de la Rose, lorsque l’auteur voit apparaître à son chevet Philosophie qui vient l’entretenir. Mais auparavant, la dame doit chasser les Muses qui, comme les personnages du Testament, entourent le lit de l’auteur. On peut donc supposer que cette ressemblance, certes un peu lointaine, a conduit les illustrateurs des deux manuscrits vers le choix d’une mise en scène similaire, rapprochant ainsi un peu fortuitement ces deux œuvres31.

  • 32 Il existe plusieurs traductions de ce texte dont la plupart sont anonymes, on le sait aujourd’hui. (...)

39Mais on sait aussi que l’une des plus célèbres traductions en français de l’œuvre de Boèce fut celle accomplie par Jean de Meun et qu’il a offerte au roi de France, Philippe IV32. Cette célébrité a d’ailleurs été accrue par le geste très « médiéval » qui a incité les copistes – volontairement ou non – à ajouter le prologue de Jean de Meun à des traductions qui n’étaient pas de lui. De ce fait, et comme le prologue était signé de son auteur, ces versions anonymes ont été par erreur attribuées au continuateur du Roman de la Rose, augmentant d’autant le volume de ses œuvres.

40L’enjeu de ce prologue ne s’arrête toutefois pas là. Il a pu également contribuer au rapprochement opéré par les illustrateurs entre les deux morceaux. Pour s’en rendre compte, il faut alors se rappeler le propos tenu dans cette présentation. Il explicite d’une part la démarche propre au traducteur mais, auparavant, Jean de Meun donne une liste des œuvres qui ont précédé celle qu’il offre maintenant au petit-fils de saint Louis. On peut y lire :

  • 33 Le Livre Boece de Consolacion, p. 83.

A ta royal majesté, tres noble prince par la grace de Dieu, roy de France, Phelipe le quart, je, Jehan de Meun qui jadis ou Rommant de la Rose, puis que Jalousie ot mis en prison Bel Acueil, enseignay la maniere du chastel prendre et de la Rose cueillir, et translatay de latin en françois le livre de Vegece de Chevalerie et le livre des Merveilles d’Irlande et la Vie et les Epistres maistre Pierre Abayelart et Heloÿs sa femme et le livre Aelred de Espirituel Amistié, envoye ores Boece de Consolacion que je t’ay translaté de latin en françois ja soit ce que tu entendes bien latin, mais toutesvoyes est moult plus legier a entendre le françois que le latin33.

  • 34 Il s’agit du manuscrit BnF fr. 809. Le texte de la Rose couvre les fol. 1r à 26r. Le verso de ce f (...)

41Cette liste, précieuse quant à l’attribution des œuvres du continuateur on le voit, peut aussi être entendue dans un sens assez proche de celui qui est suggéré dans le deuxième quatrain du Testament, c’est-à-dire comme l’aveu d’une composition venant succéder à d’autres et surtout prenant place après le Roman de la Rose. Un témoin manuscrit semble d’ailleurs avoir perçu cette affinité qui ne réunit que ces deux textes, copiés l’un à la suite de l’autre34. Testament et traduction de Boèce partagent donc leur position « seconde » d’œuvres venant ponctuer et réorienter un parcours littéraire que le Roman de la Rose avait initié. Réorientation « philosophique » à travers la traduction, réorientation « spirituelle » dans le cas du Testament. Ces deux textes témoigneraient d’un changement ayant affecté leur auteur, sans qu’aucune précision n’explique réellement cette réorientation.

42Les rubriques offrent peut-être une explication à ces interrogations en même temps qu’elles se présentent comme la dernière pièce de cette construction auctoriale. Plusieurs copistes ont en effet tenté d’articuler les quatre textes et en particulier ces ajouts venus compléter le Roman de la Rose en même temps qu’ils en infléchissaient le propos. Souvent ces éléments paratextuels ne font qu’intituler le texte qui s’achève et celui qui débute, comme c’est le cas du manuscrit de l’Arsenal 3339 qui contient l’une des images que nous avons retenues et qui au passage entre le premier et le deuxième texte copiés insère : « Ci fine le Rommant de la Rose / Ou l’art d’amours est toute enclose » suivi de « Et aprés commence le testament mestre Jehan de Meun » (fol. 155v). De semblables rubriques prennent place aussi entre les deux textes suivants – Codicille et Trésor – avec une finalité très proche. Elles soulignent ainsi – il faut le signaler au passage – la structure serrée voulue par les facteurs de ce manuscrit qui ont pris soin de créer, par ce biais, un enchaînement rigoureux entre les pièces rassemblées.

43Le recueil dès lors s’élabore davantage comme une série syntaxique plutôt que paratactique, à l’instar du manuscrit BnF fr. 380 déjà mentionné, ou de simples explicit se contentent de ponctuer chacun des textes conservés. En revanche, l’exemplaire de l’Arsenal va au-delà d’une simple démarcation et tente plus ambitieusement de lier ce qui ne l’est pas nécessairement en même temps qu’il programme un enchaînement plus sûr, un parcours en quelque sorte qui conduit le lecteur presque sans solution de continuité du Roman de la Rose aux Sept articles de la foi.

44Un manuscrit franchit même une étape supplémentaire toujours par le biais des rubriques qu’il intercale entre les textes. Dès la présentation du Testament, qui comme de coutume fait suite au Roman de la Rose, le fléchissement est perceptible : « C’est la table du grant testament maistre Jehan de Meun, le penultiesme livre qu’il fist » (fol. 168v). Le copiste et/ou rubricateur du BnF fr. 12596 (xve siècle) ajoute non seulement une table des matières là où il n’y en a généralement pas mais – et c’est ce qui nous intéresse ici – il synchronise avec soin la rédaction du Testament et la « vie » de son auteur. En fait, par son geste, il ébauche une sorte de « biographie littéraire » qui prend tout son sens à la lecture de l’ultime rubrique qui vient clore le Trésor, dernier texte du recueil : « Explicit les Sept articles de la foy que maistre Jehan de Meun compilla en sa maladie prés du jour de son trespassement » (fol. 214v). En effet, ce texte de spiritualité n’a pas vocation, comme le Testament, à être écrit sur un lit de mort. S’il est ainsi peut-être exagéré de voir dans la première rubrique une sorte de coïncidence biographique puisque là, à l’évidence, il va davantage de soi qu’un tel texte ait été écrit en fin de vie, la rédaction d’une œuvre comme les Sept articles de la foi aurait pu échapper à ce cadre et être placée ailleurs dans le manuscrit. Mais la rubrique est formelle : le Trésor est le résultat d’une rédaction ultime, située à l’extrémité de la vie de son auteur. Par ailleurs la « maladie » évoquée, tout en confortant l’effet de réel ainsi élaboré, trahit par la même occasion l’artificialité de l’entreprise. Rien dans cette pièce ne vient corroborer ce détail. Pour se rendre compte de l’impact que peut avoir ce minuscule ajout, on peut comparer cette rubrique à celle qui se trouve à la même place, dans le manuscrit de l’Arsenal 3339 dont il a été question plus haut. Cette dernière est très proche de celle du BnF fr. 12596 : « Ci fine le Tresor maistre Jehan de Meun, lequel il fit et compila au lit de sa mort et fait mention des sept articles de la foy » (fol. 193r). Dans les deux cas, on le voit, la rubrique précise que le texte a été composé in extremis, très peu de temps avant la mort de l’auteur. Par ailleurs, elles ajoutent encore que ce dernier était alité quand il écrivait le Trésor, ce qui n’est pas sans rappeler la position de Jean de Meun dans l’illustration du Testament, là aussi allongé sur un lit et tenant son livre à la main. Mais seul le manuscrit de la Bibliothèque nationale introduit le détail de la maladie de l’auteur, conférant ainsi un surcroît de vraisemblance à l’ensemble et expliquant peut-être aussi la raison qui a obligé l’auteur à garder le lit pendant qu’il écrivait sa dernière œuvre.

45Là ne réside cependant pas tout l’intérêt de ce détail. En évoquant le lit et la maladie de l’auteur, le rubricateur met l’accent sur la dimension corporelle qui unit ces textes : corps vieilli, malade, trop faible pour pouvoir s’éloigner longtemps du lit où il repose. On perçoit alors le lien qui peut être fait entre le récit qu’ébauchent en filigrane les rubriques et l’anecdote ajoutée à l’explicit de certains manuscrits du Roman de la Rose, même si ce ne sont pas les mêmes, et qui prolonge en quelque sorte le récit de vie en élaborant une dernière notice venant compléter logiquement et chronologiquement cette biographie. L’enterrement de l’auteur succéderait naturellement au dernier de ses textes, celui qu’il a rédigé sur son lit de mort.

  • 35 Si le terme désigne depuis le vie siècle une collection de droit romain, comme le corpus Justinian (...)

46Mais, il faut le redire, les manuscrits-recueils qui contiennent, enregistrent un récit de vie littéraire en pointillé par l’entremise des rubriques qu’ils insèrent ne sont pas ceux qui possèdent le quatrain de Faux Semblant. La reconstruction est donc un peu tendancieuse, mais malgré cet état des lieux qui pourrait devenir un obstacle, on constate que les différents suppléments – rubriques, anecdotes, images – suivent un courant unique. Dans tous ces exemples, le Roman de la Rose est considéré comme un point de départ, une œuvre de jeunesse et d’amour qui aboutit à la maladie, aux derniers jours ou encore à la mort de son auteur. Dans tous les cas, le corps intervient pour signifier l’étape à laquelle on veut aboutir. Parallèlement, en esquissant ces trajets, on récite une vie qui vient soutenir l’ensemble mais qui en fait est créée par lui. Dans le cas du BnF fr. 12596, le phénomène prend une tournure nouvelle et laisse apercevoir ce qui sera désigné un peu plus tard par le terme corpus35. Qu’est-ce qu’un corpus d’auteur sinon la projection de ses œuvres, du corps de ses œuvres sur une biographie, c’est-à-dire l’histoire de son corps vivant d’écrivain ?

47Dans ce contexte précis, au contraire de nos modernes « œuvres complètes », l’image du corps se situe au croisement de l’homme et de l’œuvre. C’est lui qui, à proprement parler, opère la conjointure de ces deux dimensions. Si d’un côté le corps de Jean de Meun a été programmé par son auteur pour disparaître, ce qui devait dans le même temps surgir par le travail des copistes à qui il léguait son texte bifrons était celui de son corpus.

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Notes

1 « Cist [Jean de Meun] avra le romanz si chier / qu’il le voudra tout parfenir, / se tens et leus l’en peut venir, / car quant Guillaumes cessera, / Jehans le continuera, / aprés sa mort, que je ne mante, / anz trespassez plus de. xl. » Cf. Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, 3 tomes, éd. F. Lecoy, Paris, Champion, 1985, II, v. 10554-10560.

2 « Ci se reposera Guillaumes, / cui li tombleaus soit pleins de baumes, / d’encens, de mirre et d’aloé, / tant m’a servi, tant m’a loé. » (v. 10531-10534).

3 C’est d’ailleurs souvent ainsi que l’on représente Guillaume de Lorris, non en auteur, mais en dormeur de son propre rêve. Voir par exemple le manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal 3339 (fol. 1r) sur lequel j’aurai l’occasion de revenir par la suite.

4 Voir notamment à ce sujet, la mise au point de L. J. Walters, « Appendix : Author Portraits and Textual Demarcation in Manuscripts of the Romance of the Rose », Rethinking the Romance of the Rose. Text, Image, Reception, éd. K. Brownlee et S. Huot, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 359-373.

5 Voir Honoré Bonet, L’apparicion maistre Jehan de Meun et le Somnium super materia scismatis, éd. I. Arnold, Paris, Les Belles Lettres, 1926. On désigne aussi l’auteur sous le nom d’Honorat Bovet.

6 Voir René d’Anjou, Le Livre du Cuer d’amour espris, éd. et trad. Fl. Bouchet, Paris, LGF, 2003, v. 117-118.

7 Les poètes visités dans ce cimetière sont les suivants : Ovide, Guillaume de Machaut, Boccace, Jean de Meun, Pétrarque et Alain Chartier. René d’Anjou alterne poètes « italiens » et poètes français. Sur cette liste et celle qui la précède dans le récit, voir les articles suivants : J.-Cl. Mühlethaler, « Liste des poètes, énumération des victimes d’Amour : les enjeux d’un choix dans Le cœur d’amour épris de René d’Anjou », Versants, 56, 2009 p. 67-82 et S. O. Poitral, « L’Empreinte des hommes illustres : lecture des blasons royaux du Livre du Cuer d’Amour espris de René d’Anjou », Questes, 13, 2008, p. 53-66.

8 Voir l’article de Patrizio Tucci auquel j’emprunte ici le titre : « Une poésie sépulcrale au xve siècle », P. Tucci, Stromates. Du xive  siècle au symbolisme, Padova, Unipress, 2004, p. 93-122.

9 Deux autres manuscrits l’ont préservé : BnF fr. 19154 et Laurentienne 153. Langlois en donne une transcription dans son ouvrage sur les manuscrits du roman. Cf. E. Langlois, Les manuscrits du Roman de la Rose. Description et classement, Lille, Tallandier et Paris, Champion, 1910, p. 54. Le sens de ce quatrain étant loin d’être obvie, je propose la traduction suivante : « À cause de l’hostilité haineuse / qui habite Faux Semblant / Clopinel fut déterré du champ / en raison de ce qu’il possédait ». Le jeu à la rime entre ouvert et couvert ne laisse pas de poser problème. On voudrait que les deux mots apparaissent dans l’ordre inverse ce qui ferait davantage sens. C’est donc ainsi que je les traduis.

10 Le manuscrit en question appartient aujourd’hui à une collection privée à Los Angeles. Il a cependant été numérisé sur le site romandelarose. org. Les vers copiés se trouvent au fol. 136v.quant à la traduction, cette fois beaucoup plus aisée : « De Faux Semblant le maudit traître, / Qui vit depuis longtemps dans le chapitre ; / Mais depuis, grâce à l’Université / Il fut rapporté dans Paris / Et enterré honnêtement / Malgré Faux Semblant le puant ». Si l’on veut maintenant faire le lien avec le quatrain précédent, un nouveau problème surgit, celui du sens à donner entre les vers 4 et 5 : « En raison de ce qu’il avait découvert/au sujet de Faux Semblant le traître » ? Dans ce cas, la traduction des quatre premiers vers est insoluble.

11 Cf. Le Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jean de Meun, 4 tomes, éd. E. Langlois, Paris, Firmin Didot, 1914-1924, t. I, p. 16. Pierre-Yves Badel remet en question ce lien. Pourtant si le lien est ténu quand il ne s’agit que du quatrain, il devient plus évident lorsqu’on lui ajoute les six autres vers transcrit par Badel. On s’étonne donc de sa réaction même si, il est vrai, Langlois ne connaissait pas ces vers supplémentaires et surtout ne donnait aucune preuve du lien qu’il établissait entre le quatrain de Faux Semblant et l’anecdote qui va suivre. Voir P.-Y. Badel, Le Roman de la Rose au xive  siècle. Étude de la réception d’une œuvre, Genève, Droz, 1980, p. 68-69.

12 De Nicolas Lenglet Dufresnoy à Dominique Martin Méon en passant par Jean-Baptiste Lantin de Damerey, tous les éditeurs intègrent à leur ouvrage une « Vie de Jean Chopinel » écrite par le cosmographe André Thévet. Or l’anecdote en question est rapportée par ce dernier dans une version très complète.

13 Claude Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Plus les noms et sommaire des œuvres de CXXVII poetes François vivans avant l’an M.CCC, Paris, 1581, p. 205-206.

14 Overt/covert est l’une des rimes que l’on retrouve de lieu en lieu dans le récit allégorique pour désigner le sens qui se cache sous la lettre comme dans l’exemple suivant : « La verité, qui est coverte, / vos sera lores toute overte / quant espondre m’oroiz le songe, / car il n’i a mot de mençonge. » (v. 2071-2074). On pourra lire sur ce sujet l’article suivant : R. Blumenfeld-Kosinski, « Overt and covert : Amourous and Interpretative Strategies in the Roman de la Rose », Romania, 111, 1990, p. 432-453.

15 La très grande majorité des manuscrits qui ont transmis le Roman de la Rose ne possède pas de nom d’auteur ou d’ajout indiquant, comme c’est le cas à la transition, que Jean a « parachevé » le texte du songe. Dans son ensemble – début et fin – le récit allégorique se présente donc sous une forme anonyme et le lecteur n’apprend l’identité des auteurs qu’au moment du passage de témoin et dans le discours d’Amour.

16 Pour le premier cas, on peut mentionner les manuscrits Paris, BnF fr. 12594 et Amiens BM 437, et pour le second les témoins suivants : Turin L.III.22, Paris, BnF fr. 12786 et surtout Dijon, BM 526.

17 Le titre de ce texte est très variable en fonction des manuscrits qui nous l’ont transmis. Sur cet aspect de l’œuvre, voir l’article suivant : Ph. Frieden, « Jean de Meun et le Testament de la rose », Texte et contre-texte, pour le période pré-moderne, éd. N. Labère, Bordeaux, Ausonius, 2013, p. 145-156. Silvia Buzzetti Gallarati a donné une édition du texte à laquelle je me référerai dorénavant : Le Testament maistre Jehan de Meun. Un caso letterario, éd. S. Buzzetti Gallarati, Torino, Edizione dell’Orso, 1989.

18 L’éditrice synthétise dans son Introduction (p. 8-19) les différentes opinions, anciennes et modernes, au sujet de la paternité du Testament. Cette mise au point met bien en lumière les tendances qui, suivant les périodes, ont oscillé entre l’une et l’autre options. Il faut conclure qu’il n’est pas possible aujourd’hui de certifier cette attribution mais que pour le Moyen Âge, elle n’a jamais été remise en question, et c’est ce qui importe pour nous ici.

19 Seul le Codicille a été édité aujourd’hui selon des principes philologiques modernes par la même éditrice que le Testament : S. Buzzetti Gallarati, « Le Codicille maistre Jehan de Meun », Medioevo Romanzo, 17, 1992, p. 339-389. Pour le texte du Trésor, il faut aller voir l’édition Méon pour en connaître le texte. Voir : Le roman de la rose par Guillaume de Lorris et Jehan de Meung : nouvelle édition, revue et corrigée sur les meilleurs et plus anciens manuscrits, éd. M. D. Méon, 4 vol., Paris, P.N.F. Didot l’aîné, 1814. Le Trésor se trouve dans le tome III aux pages 331-395. Il clôt d’ailleurs ce volume.

20 On peut lire dans les derniers vers du texte une signature qui donne un certain Jean Chapuis comme auteur de l’œuvre. Le site Arlima l’enregistre d’ailleurs sous ce nom.

21 Dans le manuscrit Arras BM 897 qui contient plus d’une dizaine de textes, le Roman de la Rose et le Testament se suivent exactement, ouvrant même le recueil.

22 On doit cependant noter une exception, celle de l’édition due à Antoine Vérard et qui reproduit le modèle légué par les manuscrits du xve siècle. Il s’agit de l’édition in-quarto que le libraire fit éditer autour de 1500. Voir à ce sujet : Fr. W. Bourdillon, The Early Editions of The Roman de la Rose, Genève, Slatkine Reprints, 1974 [1906], p. 29.

23 Quelques vers du Roman de la Rose (Lecoy, v. 16035-16118) ont pu faire penser que Jean de Meun avait un lien avec l’alchimie. Il s’emble qu’à partir de là on ait développé, sous des formes différentes (manuscrits-recueils tel celui de l’Arsenal 2872 ou anecdotes, voire textes attribués au continuateur), une figure de Jean de Meun alchimiste. Voir à ce sujet l’article de P.-Y. Badel, « Alchemical Readings of the Romance of the Rose », Rethinking the Romance of the Rose. Text, Image, Reaction, éd. K. Brownlee and S. Huot, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 262-285.

24 Cet aspect de l’évolution manuscrite du Roman de la Rose a très peu été étudié. On pourra cependant lire l’article suivant qui touche indirectement la question : D. F. Hult, « La fortune du Roman de la Rose à l’époque de Clément Marot », Clément Marot « Prince des poëtes françois ». Actes du Colloque international de Cahors en Quercy, 1996, éd. G. Defaux et M. Simonin, Paris, Champion, 1997, p. 143-156.

25 Cf. Gallarati, Le Testament, p. 121. Le nombre des quatrains est variable d’un manuscrit à l’autre allant d’un total de 324 (Arras BM 845) à une version qui en donne 570 (BnF fr. 12596). L’édition de Silvia Gallarati ne rend pas cette plasticité du texte qui peut encore varier dans l’ordre de ses unités versifiées. En effet, les quatrains s’enchaînent de façon très lâche voire paratactique ce qui a favorisé des bouleversements dans les copies. Le manuscrit de la BGE choisi par l’éditrice pour l’établissement de son texte donne une version « standard » de 530 quatrains plus un explicit lui aussi rédigé sous forme d’un quatrain.

26 La première strophe du Canzoniere expose une idée similaire, celle d’un regard rétrospectif sur un passé que le recueil poétique tente d’adoucir.

27 Voir Le débat sur le Roman de la Rose, éd. et trad. É. Hicks, Paris, Champion, 1977, p. 95.

28 Sur cette question, voir l’article déjà cité de Ph. Frieden sur le Testament.

29 Voir l’édition de Méon, Le Roman de la Rose, p. 331. Les images dont je parle sont visibles sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France aux fol. 208r (BnF) et 187r (Arsenal), les manuscrits ayant été entièrement numérisés. On peut aussi les consulter sur le site romandelarose.org.

30 L’emboîtement narratif complexe qui ouvre le récit du Roman de la Rose, où le narrateur, le sujet rêveur et le sujet rêvé se confondent, a donné lieu à une image récurrente dans les manuscrits : on y voit (comme dans le manuscrit BnF fr. 803) un personnage endormi dans un lit. Il est difficile dans ce cas, et par manque d’indices, de statuer sur l’identité de ce personnage : est-il déjà l’amant ou encore Guillaume ?

31 Pour soutenir cette hypothèse, on peut renvoyer à l’image qui ouvre la Consolation dans le manuscrit d’Oxford, Douce 595, fol. 1. Là, un homme alité est entouré de jeunes femmes ainsi que d’une autre, assise sur une chaise et tenant en sa main droite un sceptre. Le manuscrit a été numérisé sur le site de la Bodleian Library.

32 Il existe plusieurs traductions de ce texte dont la plupart sont anonymes, on le sait aujourd’hui. D’autres sont signées et leur auteur connu (Renaut de Louhans, Pierre de Paris ou encore Bonaventure de Demena). Voir à ce sujet l’édition de l’une des versions anonymes, la plus importante pour sa tradition manuscrite : Le Livre Boece de Consolacion, éd. G. M. Cropp, Genève, Droz, 2006.

33 Le Livre Boece de Consolacion, p. 83.

34 Il s’agit du manuscrit BnF fr. 809. Le texte de la Rose couvre les fol. 1r à 26r. Le verso de ce folio est resté blanc et la traduction de la Consolation commence au folio suivant (27r) et s’achève au fol. 96r. Le manuscrit est numérisé sur le site Gallica ainsi que sur le site romandelarose.org.

35 Si le terme désigne depuis le vie siècle une collection de droit romain, comme le corpus Justinianus par exemple, il n’acquiert son acception littéraire que plus tardivement, vraisemblablement par le biais de son utilisation en allemand (voir la notice du terme corpus sur le site du CNRTL). Ce qui importe dans tous les cas, c’est qu’un corpus est une sélection et non, comme les œuvres complètes, un tout. C’est exactement sur ce critère que s’élaborent les recueils dont j’ai parlé. Ils ne procèdent jamais par accumulation exhaustive des œuvres de Jean de Meun – les traductions sont presque toujours omises – mais uniquement par une sélection. C’est à partir de ce choix que peut ensuite se former la vie de l’auteur, par l’assemblage et l’articulation des pièces retenues. L’image du corps vient donc couronner l’entreprise en s’imposant à la croisée des deux dimensions, littéraire et biographique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Frieden, « L’incarnation de l’auteur dans les manuscrits recueils du Roman de la Rose »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 215-234.

Référence électronique

Philippe Frieden, « L’incarnation de l’auteur dans les manuscrits recueils du Roman de la Rose »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16192 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16192

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Auteur

Philippe Frieden

Université de Genève

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