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Une forme médiévale à succès : la strophe d'Hélinand

« Saillir de une espece de rithme en l’aultre »

Variations sur la strophe d’Hélinand dans l’œuvre d’Alain Chartier
Laëtitia Tabard
p. 153-173

Résumés

Cet article soutient l’hypothèse d’une filiation entre la strophe d’Hélinand et le huitain ababbcbc, en analysant la manière dont Alain Chartier tisse des liens entre ces deux formes. Il use en effet du douzain hélinandien comme d’une matrice de variations, le situe dans la continuité de strophes caractéristiques de la complainte et du débat, et met ainsi l’accent sur les possibilités d’enchaînement portée par la rime croisée plus que sur la clôture de la forme.

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Texte intégral

  • 1 Le rôle déterminant de la reprise des strophes de Chartier dans la poésie de la Grande Rhétorique (...)
  • 2 Sur l’importance de cette forme strophique, voir H. Chatelain, Recherches sur le vers français au (...)

1Alain Chartier représente pour les auteurs qu’on appelle les « rhétoriqueurs » une source, un commencement : c’est à lui que les poètes postérieurs empruntent nombre de modèles strophiques, pour se mesurer à leur maître et affirmer leur virtuosité1. Reprendre une strophe, c’est ainsi faire écho à une voix, faire de nouveau sonner une rime signifiante, rendre hommage à un maître tout en se livrant à des variations personnelles sur une trame déjà définie, parfois pour mieux faire entendre des accents par lesquels on diffère. Après La Belle Dame sans mercy se répand ainsi l’usage du huitain d’octosyllabes sur trois rimes (ababbcbc), dans les dits comme dans la lyrique, mais plus précisément dans les débats qui répondent à l’œuvre originale ou l’imitent, parfois en prenant parti contre l’auteur ; cette forme strophique fait alors figure de nouvelle norme pour l’expression poétique de préoccupations morales et éthiques, autour de l’amour courtois notamment2. L’œuvre de « maistre Alain » semble ainsi avoir permis un réagencement des formes, et l’instauration de nouveaux modèles poétiques.

  • 3 A. Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, Münster, Aschendorff, 1912, p. 133.
  • 4 L. Seláf, « La strophe d’Hélinand : sur les contraintes d’une forme médiévale », Formes strophique (...)

2Le huitain mis à l’honneur par Alain Chartier évince ainsi la strophe d’Hélinand. L’histoire du douzain octosyllabique construit sur des rimes en miroir (aabaabbbabba) est en effet à la fin du Moyen Âge celle d’une disparition progressive, ou bien d’une dissolution dans des formes proches mais néanmoins rivales. Pour Adolf Bernhardt, la strophe hélinandienne en octosyllabes se trouve reléguée à l’arrière-plan par les nouvelles créations des rhétoriqueurs, au cours du xve siècle3. Mais on peut également noter qu’il existe une continuité dans les réécritures, qui permettent de lier l’ancien douzain sur deux rimes aux formes nouvelles qui naissent à la fin du Moyen Âge. Dans l’article qu’il a consacré à la strophe, Levente Seláf observe qu’à partir du milieu du xive siècle, les formes hétérométriques ou les variations sur la structure de base, par « l’allongement des modules métriques » ou par commutation avec d’autres vers que l’octosyllabe, prennent le relais de la strophe initiale ; finalement, « [s]a popularité a été largement dépassée au 15e siècle par celle du huitain d’octosyllabes ababbcbc, employé fréquemment par Villon, Guillaume Alexis, Alain Chartier et d’autres dans le même registre moral que la plupart des poèmes hélinandiens4. »

3Est-ce alors une substitution qui s’opère, ou une transformation ? Il est tentant en effet de rapprocher les deux modèles strophiques qui donnèrent ainsi corps aux différents accents de la réflexion morale en poésie, faite tour à tour de plainte et de déploration funèbre, d’amère satire, d’accusation et d’appel à la réformation. Les deux formes, par l’intermédiaire d’un douzain sur trois rimes, se trouvent liées par leur fonctionnement commun, reposant sur l’alliance du lyrique et du narratif, selon Gérard Gros, qui a avancé l’hypothèse d’une filiation entre la strophe hélinandienne et le huitain d’octosyllabes à rimes croisées ; à l’origine, ce dernier « procède peut-être directement d’une forme simplifiée du schéma d’Hélinand, apparue pour servir l’art du récit plutôt que l’intention persuasive » :

  • 5 G. Gros et M.-M. Fragonard, Les Formes poétiques du Moyen Âge à la Renaissance, Paris, Nathan, 199 (...)

Ce faisceau d’indices, à défaut d’une démonstration, suggère une filiation entre la poésie subjective du xiiie siècle et la poésie personnelle du xve. Voilà comment, techniquement, se justifierait en fin de compte le rapprochement des « Testaments » de Villon avec les fameux Congés d’Arras5.

4Le problème formel, ou « technique », pose en fait la question d’une descendance intellectuelle entre des formes de poésie pourtant éloignées dans le temps : quelque chose de la puissance saisissante des vers hélinandiens continuerait ainsi de résonner dans la poésie du xve siècle, malgré l’assourdissement de la voix du moine dans celle des poètes de la cour ou de la ville.

5Un même sentiment de parenté guide la réflexion de Michel Zink sur les « rythmes de la conscience », lorsqu’il avance que « certains schémas strophiques, certains modes rythmiques ont été sentis comme adaptés à l’effusion, à l’affectation de la confidence ou de la confession » :

  • 6 M. Zink, « Rythmes de la conscience. Le noué et le lâche des strophes médiévales », La Conscience (...)

Ces types et ces modes sont ceux de la strophe hélinandienne, du tercet coué, plus tard du huitain d’Alain Chartier et de ses émules – le huitain de Villon. Tous structurent des œuvres où se marquent le développement de cette nouvelle poésie qui se veut le reflet d’une conscience, porteuse des stigmates de ses tourments, de ses vices et des misères quotidiennes de la vie6.

  • 7 Sur cette position charnière, voir l’introduction de l’ouvrage A Companion to Alain Chartier, éd. (...)

6Pour que l’on puisse admettre ainsi que la strophe d’Hélinand se survit à elle-même, il faut alors reconsidérer l’apport d’Alain Chartier, qui se trouve manifestement à la charnière, à la fois origine et source pour les « rhétoriqueurs », et point d’aboutissement de la tradition des Vers de la mort7. L’accusation portée contre la mort, le discours anti-curial ou encore la distance à l’égard de la poésie courtoise forment autant de points de convergence thématique entre l’œuvre de Chartier et le grand poème d’Hélinand, points qui signalent une continuité possible, même s’il n’est pas toujours évident de lire une véritable allusion intertextuelle dans les jeux strophiques. Les poèmes de Chartier qui conservent l’empreinte du douzain sur deux rimes s’offrent comme un lieu de réélaboration du modèle, et nous y chercherons les formes intermédiaires et les points de passage susceptibles d’expliquer comment on peut encore saisir l’écho de la complainte du moine cistercien dans la poésie dite « courtoise » d’Alain Chartier. Nous espérons ainsi éclairer également en retour la vocation de la strophe d’Hélinand et l’interprétation qui en est faite à la fin du Moyen Âge.

La strophe d’Hélinand comme prologue : une ouverture polyphonique

7Le douzain construit sur deux rimes en miroir apparaît dans deux dits strophiques de Chartier à l’ouverture des poèmes, ce qui lui confère sans nul doute un statut de signe de reconnaissance, et contribue à la définition du ton donné aux œuvres. Le poète adopte ainsi la posture d’un je qui discourt, alors même qu’il évoque l’amour de sa dame, appelant ainsi à entendre l’inflexion morale qu’il imprime à la lyrique amoureuse. Le douzain, au seuil de l’œuvre, semble fait pour convoquer toute une tradition d’écriture. Mais sa position liminaire en fait également le point de départ d’un jeu de variations qui donne à voir le travail de réécriture de la forme des Vers auquel se livre le poète.

  • 8 Sur cette variante de la strophe d’Hélinand que Chartier semble avoir été le premier à introduire, (...)

8Dans la Complainte sur la mort de sa dame, les deux douzains initiaux adoptent le schéma de rimes de la strophe hélinandienne, mais en décasyllabes8 :

Contre toy, Mort doloreuse et despite,
Angoisseuse, maleureuse, maudite,
Et en tes fais merveilleuse et soudaine,
Ceste complainte ai fourmee et escripte
De cuer courcié, ou nul plaisir n’abite,
Noircy de dueil et aggrevé de peine.
Je t’appelle de traïson vilaine ;
De toy me plaing de toute riguer plaine,
Quant ta durté a tort me desherite
Du riche don de joye souverainne,
Et que ton dart a piteuse fin maine
Le chois d’onneur et des dames l’eslite.

  • 9 Alain Chartier, La Complainte sur la mort de sa dame, dans The Poetical Works of Alain Chartier, é (...)

Tu m’as tolu ma dame et ma maistresse,
Et as murtry mon cuer et ma leësse
Par un seul cop, dont ilz sont tous deux mors.
Du cuer n’est riens puis que plaisir le laisse
Et que je pers la joye de jennesse ;
Ainsi n’ay plus fors la voix et le corps.
Mes yeulx pleurent ens et rïent dehors,
Et tousjours ay le doloreux remors
Du hault plaisir qui de tous poins me cesse.
Las ! Or n’est plus ce que j’avoye, Amors.
Je muir sur bout, et en ce point me pors
Comme arbre sec qui sur le pié se dresse9.

  • 10 Voir W. T. Elwert, Traité de versification française des origines à nos jours, Paris, Klincksieck, (...)
  • 11 Sur cette anaphore et son rôle structurant, voir L. Seláf, Chanter plus haut : la chanson religieu (...)
  • 12 Les Vers de la mort par Hélinant, moine de Froidmont, éd. Fr. Wulff et E. Walberg, Paris, Didot, 1 (...)
  • 13 Les Vers de la mort : poème du xiie siècle, trad. M. Boyer et M. Santucci, Paris, Champion, 1983, (...)

9Le choix du décasyllabe, mètre long à la césure régulière (4/6), confère une gravité éloquente au discours, mais il inscrit cependant la strophe dans la tradition du chant amoureux, le vers de dix syllabes étant encore majoritaire dans les formes lyriques de la fin du Moyen Âge10. Le poème de Chartier se présente ainsi avant tout comme une complainte (v. 4) amoureuse. Par un jeu subtil de reprise, l’apostrophe à la « Mort », caractéristique de la strophe d’Hélinand11, apparaît bien au premier vers – mais non à l’initiale – et sonne ensuite à la rime dans la seconde strophe (« mors », v. 15), avant de laisser place à « Amors » (v. 22), objet d’une seconde apostrophe qui réoriente le discours. La partition nette du douzain en deux sizains, que souligne dans les vers d’Hélinand la répétition de « Morz », apparaît encore grâce à la construction syntaxique, mais le second mouvement de la première strophe s’ouvre par le vers « Je t’appelle / de traïson vilaine » (v. 7) : la césure lyrique, suivie d’une diérèse, introduit alors une brisure de rythme et le son aigu de la voyelle [i], pour évoquer peut-être la discordance qui s’introduit alors dans la forme strophique, selon un effet qui se répète partiellement à la strophe suivante (« Mes yeulx pleurent ens et rïent dehors », v. 19). Les deux douzains dessinent une progression qui mène de l’accusation oratoire contre la mort à un douloureux retour sur les tourments du je, figé dans la comparaison finale avec l’arbre desséché. La réécriture s’apparente presque à un retournement : alors que la seconde strophe des Vers de la mort d’Hélinand s’en prenait à « çaus qui d’amors chantent », pour leur opposer la solidité de ceux qui « se plantent » hors du siècle et que la mort ne peut « sozplanter12 » (« déraciner13 »), Chartier reprend à son compte l’image de l’arbre et donne corps, à la première personne, à cette figure d’amoureux que la disparition de la dame laisse sans racine dans la terre, séchant sur pied.

  • 14 Seláf, Chanter plus haut, p. 77-78.
  • 15 Adam de la Halle, « Li ver d’amours », Œuvres complètes, éd. P.-Y. Badel, Paris, Librairie général (...)

10Alain Chartier s’inscrit ici dans la lignée des dits amoureux écrits en strophes d’Hélinand, par Adam de la Halle le premier14. Dans Les Vers d’amour cependant, Adam rejetait le sentiment amoureux en raison des souffrances infligées par une dame trop dure, prenant plaisir à le tourmenter, et le poème se terminait sur la dénonciation traditionnelle de l’inconstance féminine15. Par opposition à ce célèbre précédent, Alain Chartier prolonge, au cœur même du discours moral, les accents du chant courtois, et récuse par avance le discours misogyne qui accompagne la dénonciation des douleurs amoureuses :

Je ne di pas – ne l’entente n’est telle –
Qu’il n’ait des biens en mainte dame belle,
Et qu’il n’en soit de tresbonnes sans elle (…).
Et se je fail en rien, je m’en rappelle,
Et cry mercy et engage l’amende. (v. 73-75 et 79-80)

11On peut comparer ces vers à ceux d’Adam de la Halle :

Amour, pour che pas ne le di
Que femes ne fachent aussi
Par aventure, [et] pis encore. (v. 181-183)

12Devançant les arguments de leurs adversaires, les deux amants-poètes adoptent une attitude inverse, l’un concédant humblement que les dames restent aimables même s’il se refuse à aimer, l’autre reconnaissant volontiers qu’elles se conduisent aussi mal que les hommes en amour. Peut-être même peut-on voir également un écho entre le vers d’Adam de la Halle, « Je ne sui pas che que je fui » (v. 70) et celui de Chartier, « Las ! Or n’est plus ce que j’avoye, Amors » (v. 22), qui signale le déplacement opéré par le poète, alors même qu’il adopte la posture réflexive de son prédécesseur, pour exprimer le dégrisement lié à la perte de l’amour.

13Avec la troisième strophe de la Complainte de Chartier surgit pourtant un tout autre modèle : la strophe d’Hélinand laisse alors place, après les deux douzains initiaux, à un seizain qui joue sur la même structure, mais l’allonge en ajoutant un vers à chaque tercet, laissant attendre plus longtemps l’apparition de la seconde rime, selon le schéma aaabaaabbbbabbba. Placée juste après les douzains, cette formule fait apparaître la continuité, ce que souligne par ailleurs l’adverbe si à l’initiale de la strophe, tandis que la triple énumération rend d’autant plus sensible l’amplitude nouvelle qui est donnée à la plainte :

Si suis desert, despointé et deffait,
De pensee, de parolle et de fait,
De los, de joye et de tout ce qui fait
Cuer en jennesse a hault honneur venir (…). (v. 25-28)

  • 16 La Fontaine amoureuse, éd. J. Cerquiglini-Toulet, Paris, Stock, 1993, « La complainte de l’Amant » (...)
  • 17 Oton de Granson, Poésies, éd. J. Grenier-Winther, Paris, Champion, 2010, pièce I, p. 141-151.

14Alain Chartier renoue ici en partie avec le rythme de la « Complainte de l’amant » insérée dans La Fontaine amoureuse de Guillaume de Machaut, construite cependant sur un schéma hétérométrique, combinant décasyllabes et tétrasyllabes16 (a10 a10 a10 b4 a10 a10 a10 b4 b10 b10 b10 a4 b10 b10 b10 a4). Cette forme strophique apparaît également dans le « Lay en complainte17 » d’Othon de Grandson, poème qui présente les douze strophes caractéristiques du lai, tout en répétant la même structure strophique sur deux rimes, ce qui correspond à la forme plus répétitive de la complainte. Ce poème où Othon de Grandson prend congé de sa dame constitue certainement un des modèles directs d’Alain Chartier, en raison des ressemblances de la construction en douze strophes quasi-identiques, mais aussi parce qu’il opère, comme le poème de Chartier, une fusion entre les structures du lai et de la complainte.

  • 18 Chartier, Poetical Works, éd. Laidlaw, p. 320-321. J. Laidlaw fonde son édition sur sept manuscrit (...)

15Alors que l’ordre des douze strophes de la Complainte de Chartier varie selon les manuscrits18, la première séquence de trois strophes est stable, signe peut-être qu’elle est sentie comme une unité malgré le changement de rythme introduit par le seizain. Cette séquence strophique constitue ainsi un prologue en mouvement : par le jeu subtil sur des formes qui semblent s’engendrer, il tisse des références à des auteurs multiples, pour donner à entendre une nouvelle forme de complainte amoureuse, où le poète prend congé de l’amour, puise aux sources de la parole énergique du prédicateur, sans rompre pourtant avec le chant courtois qui célèbre la dame. Cet effet d’ouverture polyphonique créé par les variations formelles autour de la strophe d’Hélinand en fait résonner les différents accents, appelés à se développer ensuite dans le cours du poème.

  • 19 Voir sur ce point les conclusions de Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, p. 133.
  • 20 La Cour de may, éd. A. Scheler, Œuvres de Froissart : poésies, Bruxelles, Devaux, 1872, t. 3, v. 1 (...)
  • 21 Jean Froissart, Le Joli mois de mai, éd. A. Fourrier, Dits et débats, Genève, Droz, 1979, p. 129-1 (...)

16L’usage du prologue en douzains aabaabbbabba se rencontre également dans l’œuvre de Froissart, qui semble avoir innové en usant de cette forme sans s’inscrire dans la tradition de la complainte19. Sans parler des dix-neuf strophes qui forment l’ouverture du poème de La Cour de may, dit dont l’attribution à Jean Froissart est douteuse20, on trouve au début du « traitiers amoureux » intitulé Le Joli mois de mai des douzains d’abord hétérométriques (a8 a8 b4 a8 a8 b4 b8 b8 a4 b8 b8 a4) ; puis, après l’insertion d’une ballade, la narration reprend en douzains octosyllabiques sur deux rimes, avant que n’intervienne une seconde insertion lyrique sous la forme d’une « balladelle » et que l’on ne retrouve la forme hétérométrique initiale ; enfin le poème s’achève sur un « virelay21 ».

17La strophe d’Hélinand apparaît donc, dans sa forme canonique, plutôt au centre du dit, au cœur d’un jeu de variations et de montage formel, dont elle donne en quelque sorte la clé. Il est en effet presque difficile de la deviner dans le rythme léger des douzains en vers coupés qui ouvrent le dit. Le poète, songeant à l’amour, pénètre dans un verger et écoute le chant du rossignol, qui réveille en lui l’image de sa dame. Le thème de la reverdie, le lieu comme le développement d’un dialogue avec l’oiseau évoquent avant tout l’univers courtois et les strophes hétérométriques des formes lyriques. Voulant adresser au rossignol ses « complains » (v. 77), le je se reprend dès le vers suivant (« Non pour quant point ne me complains », v. 78), et le discours s’achève sur une tonalité heureuse :

Douls rossegnols gais et jolis,
Ton biel esbat, ton chant polis,
Ta voix isnelle
M’aporte au coer tant de delis
Avoec le may qui fait le lis
Croistre et l’ asprielle
Et fait venir la rose bielle
Et toute joie renouvielle,
Je m’en tieng fis !
Dont pour l’amour de la loiielle,
Que ma tres souveraine appielle,
J’ai mon chant pris. (v. 157-168)

  • 22 L. Seláf (« La strophe d’Hélinand », p. 79) revient sur ces écarts par rapport au ton de la plaint (...)
  • 23 Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, p. 135.
  • 24 Voir sur ce point Ferrand, « Aux frontières de l’écriture de la narration et du lyrisme : la Compl (...)
  • 25 Seláf, Chanter plus haut, p. 78-79.

18La strophe d’Hélinand semble alors utilisée totalement à contre-emploi, dans un choix délibéré d’originalité22 : le « Joli mois de mai » redonne la joie au poète malheureux, le réconcilie avec l’amour et le porte au chant. On pourrait considérer avec A.o Bernhardt23 que plus rien ne renvoie alors vraiment à la tradition hélinandienne dans cette version hétérométrique. De fait, le tercet coué (a8 a8 b4) évoque peut-être davantage les poèmes de Rutebeuf24, auteur avec lequel le lien entre la complainte et la strophe d’Hélinand semble se distendre25. Pourtant Froissart place la partie écrite en strophes d’Hélinand au centre de son dit, ce qui éclaire en retour les douzains hétérométriques en les réinscrivant dans la filiation hélinandienne. Là encore, le poète récuse la tentation de la complainte au profit du chant de louange inspiré par le mois de mai :

Autre ne seront mi complaint,
Car il est fols qui se complaint
Pour amer dame si hautainne. (v. 297-299)

  • 26 Sur l’importance de la recherche musicale dans ce dit, voir A. Sultan, « Ymaginer son chant. Prése (...)
  • 27 La conception d’un chant courtois en tension est développée par Froissart dans l’Orloge amoureus : (...)

19De cette allusion très indirecte à la tonalité plaintive, grâce à la forme, le poète use donc peut-être pour faire sentir la tentation de la mélancolie et de la récrimination qu’il parvient à conjurer, mais c’est un effet de sourdine, comme un contrepoint de basse26 ; il ne donne jamais droit à la voix accusatoire et au rejet de l’amour, mais l’élan lyrique est ainsi saisi dans toute sa tension27.

20Dans les dits amoureux, la strophe d’Hélinand crée ainsi un écart, par un mouvement qui contredit en principe celui du lyrisme de célébration. Mais si dans ce travail de mise en relation des formes, Froissart use du douzain comme d’une forme dissonante, comme pour désamorcer le chant, Chartier en fait au contraire l’amorce d’un mouvement lyrique, il en révèle et en exploite la polyphonie, pour mieux l’intégrer. Placée à l’initiale, la strophe donne le ton, confère d’emblée une tonalité oratoire à la complainte, mais les modulations dont elle est l’objet en révèlent aussi les potentialités. Il semble qu’elle incarne, avant tout, une forme de diversité dans les accents de la voix. La forme de l’adresse, de l’apostrophe, qui lance le premier mouvement du discours est intrinsèquement liée, dans la poétique médiévale, à la diversification du ton. Dans l’interprétation qu’en propose Geoffroy de Vinsauf, l’apostrophe, liée à l’amplification, ouvre le discours à une pluralité de registres :

Sic igitur variat vultum : vel more magistri / Corripit errorem pravum ; vel ad omnia dura / In lacrimis planctusque jacet ; vel surgit in iram / Propter grande scelus ; vel fertur ridiculose / Contra ridiculos.

  • 28 Geoffroy de Vinsauf, Poetria nova, éd. E. Gallo, The Poetria nova and its sources in Early Rhetori (...)

« Elle montre divers visages : tantôt, comme un maître d’école, elle blâme les vices ; tantôt, face à tous les cruels coups du sort, elle gît parmi les larmes et les gémissements ; tantôt elle éclate de rage contre les crimes monstrueux ; tantôt elle se laisse aller à rire des gens risibles28. »

21Elle semble constituer un principe d’unité pour des changements de ton extrêmes, comme un même visage qui se transformerait sous le coup de violentes émotions pour prendre diverses expressions. Dans le genre de la complainte, cette modulation est intimement liée à la coexistence de la colère et du chagrin qui caractérise le courroux au sens médiéval du terme. Le « cuer courcié » du poète mène ainsi de la mise en accusation de la mort pour « traïson vilaine » (v. 7) au chant de la douleur amoureuse. La strophe d’Hélinand s’interprète alors comme une forme ouverte, aux inflexions multiples, d’où peuvent surgir la déploration aussi bien que le débat, et où se croisent les références intertextuelles.

  • 29 Le Livre des quatre dames, éd. Laidlaw, The Poetical Works, p. 196-304, et pour le prologue, v. 1- (...)

22Le mouvement de recherche formelle qui guide l’écriture de Chartier apparaît également dans l’ouverture du Livre des quatre dames, où le douzain se combine également avec le seizain dans le prologue29. Chartier fait alors le choix de l’octosyllabe, se rapprochant ainsi davantage de la forme initiale de la strophe d’Hélinand. La variation tient cette fois à l’introduction d’une troisième rime, qui modifie l’équilibre du système et favorise l’enchaînement au détriment de la cohésion strophique : deux douzains rimant en aabaabbbcbbc sont suivis d’un seizain reprenant presque la même structure (aaabaaabbbbcbbbc), système qui se répète ensuite deux fois (v. 1-120) ; la structure se module ensuite, et deux seizains encadrent un douzain (v. 121-164) ; enfin, au terme de cet enchaînement de douze strophes, Chartier adopte une version octosyllabique du rythme caractéristique des Jugements de Machaut puis des débats de Christine de Pizan, un quatrain « coué » avec enchaînement de rimes (a8 a8 a8 b4 b8 b8 b8 c4 c8 c8 c8 d4…). Il est frappant de constater que le douzain est inscrit là encore dans une séquence de trois unités, et donne l’impulsion à un mouvement de transformation formelle. Au seuil du poème, on est encore très proche de la strophe hélinandienne, en dépit de la différence de thème :

Pour oublïer melencolie
Et pour faire chiere plus lie,
Un doulz matin es champ yssy,
Ou premier jour qu’Amours ralie
Les cuers et la saison jolie
Fait cesser ennuy et soulcy.
Si alay tout seulet, ainsy
Que l’ay de coustume, et aussy
Marchay l’erbe poignant menue
Qui toute la terre tissy
Des estranges couleurs dont sy
Long temps l’yver ot esté nue.

Tout autour oyseaulx voletoient
Et si tresdoulcement chantoient
Qu’il n’est cuer qui n’en fust joieux,
Et en chantant en l’air montoient,
Et puis l’un l’autre seurmontoient
A l’estrivee, a qui mieulx mieulx.
Le temps n’estoit mie nuyeux :
De bleu se vestoient les cieulx,
Et le beau soleil cler luisoit.
Violete croissoit par lieux,
Et tou faisoit ses devoirs tieulx
Comme Nature le duisoit. (v. 1-24)

  • 30 Voir sur ce point J. Cerquiglini-Toulet, « Le Matin mélancolique ; relecture d’un topos d’ouvertur (...)

23Malgré la présence d’une troisième rime, les douzains peuvent se percevoir comme des variantes assonancées de la strophe d’Hélinand, grâce au maintien d’un son vocalique. On peut en effet être sensible à la parenté sonore entre a, b et c dans la première strophe (-lie, -sy et -nue), où l’alternance des terminaisons féminines et masculines relie la première et la dernière rime. Dans la seconde strophe, la ressemblance entre a et c, rimes fondées toutes deux sur les verbes à l’imparfait de la troisième personne, au singulier ou au pluriel (-toient et -soit) est encore plus nette. Cet effet ne se prolonge cependant pas, et le seizain qui suit reprend deux sons vocaliques des premières strophes (-bloient et -pris), mais fait sonner clairement une rime nouvelle grâce aux mots « harper » et « loyal per » (v. 36 et 40). C’est ainsi dans une progression et comme insensiblement que se dessine une structure sonore et rythmique autour de trois rimes, sans solution de continuité avec la forme hélinandienne. La persistance sourde de la musique de la complainte accompagne ainsi la réécriture de l’ouverture printanière, devenue « matin mélancolique30 ».

  • 31 Règles de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Recueil d’arts de seconde rhétorique, Paris, Imprim (...)

24Le Livre des quatre dames situe également dans un mouvement de progression le seizain sur trois rimes et la forme du quatrain « coué ». Cette structure strophique, appelée « trois et un31 » dans Les Règles de seconde rhétorique, se caractérise par la présence à la fin d’un quatrain d’un vers court qui introduit la rime de la strophe suivante (aaab bbbc cccd…) : ainsi les vers s’enchaînent de manière fluide par la rime, mais la fin de la strophe reste marquée par la rupture de rythme liée au vers bref. Cette formule apparaît avec les quatre dames qui compareront leurs malheurs pour décider qui est la plus malheureuse, et introduit donc le mouvement du debat, genre dont elle constitue le rythme propre dans la tradition reprise par Chartier :

  • 32 Chartier, Le Livre des quatre dames, v. 165-171, p. 203.

Quant ces dames choisy a l’œil,
Un pou entr’oublïay mon doeil ;
Dont j’ay trop plus que je ne soeil,
Qui cessera
Au fort quant a Amours plaira
Ou Mort du tout l’abbregera ;
Un de ces deux le m’ostera32.

25Le changement de mètre n’introduit donc pas directement la discussion, et les réflexions du narrateur sur ses propres tourments amoureux occupent tout le premier mouvement composé en « trois et un » (v. 165-351). Le balancement rythmique irrégulier apparaît alors comme une forme propre à traduire l’état d’entre-deux du poète, qui « entr’oublï[e] » son chagrin et se trouve pris entre les forces contraires d’« Amours » et de « Mort ». Il signale ainsi sa nature de forme en mouvement, faite pour marquer la transition d’un état à un autre, par une chaîne de vers qui n’a plus la complétude de la strophe, close sur elle-même par l’achèvement d’un système de rimes. Comme Guillaume de Machaut, auquel il reprend, en les adaptant, à la fois la comparaison entre les maux amoureux et le système strophique, Alain Chartier établit une filiation entre la complainte et le débat ; celui-ci surgit de la plainte du narrateur et de celles des dames, atténuant l’expression douloureuse par l’émergence progressive d’un discours. Mais le dialogue porte en définitive non sur la nature de l’amour, mais sur les responsabilités des chevaliers dans la défaite d’Azincourt. En écrivant en octosyllabes et en liant ainsi le douzain, le seizain et les quatrains enchaînés, Alain Chartier signale ainsi qu’il ajoute à sa gamme la voix du clerc qui chastie et tente de convertir ses contemporains : au point de départ de la construction hybride qu’est Le Livre des quatre dames, la forme du douzain sur deux ou trois rimes joue comme un rôle d’annonce de la tournure morale et politique imprimée au dit amoureux. La strophe d’Hélinand forme ainsi le point de départ de variations par lesquelles Chartier semble créer l’instrument strophique propre à faire entendre la voix de la complainte polémique.

Variation sur la « croisure » : douzain, seizain, « trois et un » et double quatrain croisé

  • 33 Sur les descriptions du douzain d’Hélinand dans les traités de seconde rhétorique, voir Bernhardt,(...)

26Ces effets de continuité créés par les prologues des dits de Chartier permettent d’éclairer réciproquement les formes ainsi mises en rapport, montrant ce qui est perçu comme significatif dans les systèmes strophiques. Nous voudrions maintenant montrer comment les arts de seconde rhétorique33 prennent acte de la continuité ainsi établie entre le douzain sur deux rimes et les formes que le poète présente comme plus ou moins dérivée de cette veine, même si cela ne signifie pas qu’il y ait un rapport de filiation effective.

27On peut remarquer, en premier lieu, combien les arts de seconde rhétorique mettent en avant la plasticité de la forme hélinandienne, dont le nombre de rimes est toujours susceptible de variations. Sans perdre sa structure de base, le douzain peut passer de deux rimes à trois, voire à quatre, par des enrichissements divers. Ainsi, dans Le Joli mois de mai de Froissart, les modulations sur les quantités d’une rime unique, noyau sonore clairement identifié, donnent l’impression de couplets de rimes plus riches, se détachant de l’ensemble. Parmi de multiples exemples, on peut citer la strophe suivante :

Simple et plaisant sont si vair oel,
Sans fiereté et sans orgoel
Et si doucement atraiant
Qu’il me donnent moult grant esquoel
D’avoir le bien que j’en requoel,
Quels que soie merchi criant.
Sa douche bouchete riant
A un douls regart si friant,
Blonc chief, cler front et bel entroel,
Gent corps joli et avenant,
Car Nature par couvenant
L’en fourma dou tout a son voel. (v. 239-250)

28La continuité vocalique de la rime b sur -ant, qui parcourt l’ensemble de la strophe, n’empêche pas que l’on perçoive une unité de trois vers où elle s’étend jusqu’à faire résonner le mot « riant » (criant/riant/friant), puis un distique faisant rimer « avenant » et « couvenant », de même que la rime a sur -oel s’enrichit en -quoel dans la seconde séquence où elle se déploie.

29La définition que propose Jean Molinet dans son Art de rhétorique est particulièrement révélatrice de cette instabilité de la rime :

  • 34 Jean Molinet, L’Art de rhétorique, éd. G. Berthon et P. Frieden, dans La Muse et le Compas : poéti (...)

D’autre taille de rime nommee vers douzains, ou deux et as, sont pluiseurs histoires et oroisons richement decoreez comme « O digne preciosité » et autres dont le formulaire et croisure se demonstre par cest exemple34.

  • 35 Voir la note consacrée à cette définition dans La Muse et le Compas, éd. Monferran, p. 273-274.

30L’exemple auquel il fait allusion reprend bien le modèle de la strophe d’Hélinand35, et celui qu’il présente ensuite s’y rattache encore, quoique l’on puisse distinguer une troisième rime :

Dame, ne vous souvient il pas
De la grant labeur et des pas
Que pour vous j’ay fais et passez ?
Comme desriglé sans compas
J’ay perdu repos et repas,
À pou que n’en suis trespassez.
Se tous voz dons ne sont passez,
Je vous pri que me respassez
D’un regart d’œil plain de solas :
Mes griefz tourmens seront cassez,
Riche seray trop plus qu’assez,
Hors de Dangier et de ses las.

31La rime pauvre en -as se module ainsi en deux versions plus riches, -pas et -las, si bien qu’on peut interpréter cette forme comme une variante sur trois rimes (aabaabbbcbbc), sans que cela n’altère la perception de la structure en miroir caractéristique de la strophe d’Hélinand.

32Plus que la symétrie inversée, c’est la « croisure » de la rime qui semble à Molinet plus pertinente pour définir le modèle qu’il explore : l’expression « deux et as » lie la forme de la strophe au « trois et un » (aaab bbbc cccd …). C’est une formule que l’on retrouve dans Le Grant et Vray Art de pleine rhétorique de Pierre Fabri :

  • 36 Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Rouen, 1889-1890, réimp. Ge (...)

Il est une espece de rithme qui s’appelle deux et ar, pource que deux ou trois lignes de semblable longueur sont leonines, et celle qui croise est plus courte ou de semblable longueur, ainsi que est le Livre du gras et du maigre et Des quattre Dames maistre Alain ; et en faict l’en par baston et sans bastons36.

  • 37 On rejoint ainsi l’analyse de Michel Zink qui voit l’élément fondateur de la strophe hélinandienne (...)
  • 38 Seláf, « La strophe d’Hélinand », p. 89.
  • 39 Voir sur ce point l’article d’Ariane Bottex-Ferragne, « Lire, écrire et transcrire en strophe d’Hé (...)
  • 40 Règles de seconde rhétorique, éd. Langlois, p. 29-33.
  • 41 Le douzain se trouve annexé au genre du « petit lai » en raison de la division, pour le sens et la (...)

33Comme cette définition le montre, le principe du « trois et un », fondé sur la rupture introduite par un vers plus court, est alors compris différemment, puisque le vers « qui croise » peut fort bien être « de semblable longueur ». Ainsi le tercet aab, qui constitue le module du douzain, est devenu deux et as, et la strophe d’Hélinand se perçoit avant tout comme la mise en œuvre sur douze vers de la forme simple de la rime croisée, sentie comme le retour d’une rime qui vient contrer en le coupant un premier mouvement de répétition sonore, pour mieux le relancer37. La domination des formes hétérométriques dans l’ensemble des poèmes hélinandiens écrits à partir de la seconde moitié du xive siècle38 peut expliquer aussi cette relecture d’une forme dont le rythme octosyllabique n’est plus senti comme pertinent : qu’elle soit ou non soulignée par le choix d’un mètre plus court, la « croisure » par une rime nouvelle définit le rythme du douzain fondé par Hélinand. C’est une interprétation que soulignent d’ailleurs des jeux graphiques, présents dans un recueil de textes hélinandiens, où les sonorités qui « croisent » sont notées pour l’œil39. Dans les Règles de seconde rhétorique déjà, la strophe d’Hélinand se nomme « douzaines croisiez », et s’emploie pour une allégorie courtoise, dans un poème intitulé « la Tour amoureuse40 », exemple repris par Baudet Herenc dans le Doctrinal de seconde rhétorique pour les « vers douzains » : « De laquelle ornure on peult comprendre matere pour faire tant en divinité, amours, sottie ou aultres choses moralles » (p. 195). L’auteur cite ensuite une version hétérométrique du douzain sur deux rimes, où la rime a est associée à l’octosyllabe et la seconde rime b au tétrasyllabe (a8 a8 b4 a8 a8 b4 b4 b4 a8 b4 b4 a8), ce qui renvoie à une forme très proche de celle du lai lyrique, à laquelle il tend à s’identifier à la fin du xve siècle41.

  • 42 Ce principe paraît d’autant plus caractéristique qu’il incarne dans la forme le rôle négateur et e (...)
  • 43 Voir Chatelain, Recherches sur le vers français, p. 92 et p. 249-250 ; A. Piaget, « La Belle Dame (...)
  • 44 Pour les nombreux débats reprenant le huitain de Chartier, nous nous permettons de renvoyer à notr (...)
  • 45 Chatelain, Recherches sur le vers français, p. 88 et p. 249.

34Le principe de renversement et de clôture qui peut sembler caractéristique de la strophe hélinandienne42, en raison de la symétrie inversée des rimes – la première sera la dernière –, paraît alors moins caractéristique que l’enchaînement – la seconde rime devenant la première –, comme dans le « trois et un » ou dans le double quatrain croisé ababbcbc. On serait tenté de voir dans le « trois et un » une sorte de chaînon manquant entre la strophe d’Hélinand et le huitain d’octosyllabes ababbcbc, dont Othon de Grandson serait le premier à user dans des poèmes longs43, mais qui deviendra, après le succès de La Belle Dame sans mercy, le rythme caractéristique des débats amoureux44. Malgré leurs différences, le « trois et un » et le huitain sur trois rimes, tous deux issus de l’inspiration plaintive, que ce soit par Machaut ou par Othon de Grandson, sont en effet unis par leur fonction de marqueur poétique du débat, comme si Alain Chartier avait réussi à créer un rythme épousant si bien le mouvement du dialogue contradictoire qu’il avait détrôné la forme du « trois et un » imposée par Machaut pour le genre. Il serait ainsi l’aboutissement des recherches formelles que les poèmes d’Alain Chartier semblent refléter. A priori, ainsi que le propose Gérard Gros, il convient de rattacher le huitain dit « français » plutôt au douzain sur trois rimes (aabaabbbcbbc), forme dérivée de la strophe d’Hélinand, qu’illustre en particulier Le Livre des quatre dames : le huitain peut en effet s’analyser comme une version simplifiée de ce système construit sur le module du tercet. Mais à considérer comment Alain Chartier établit une continuité entre douzains, seizains et « trois et un », l’auteur semble chercher à faire un lien entre la strophe caractéristique de la complainte et l’enchaînement de quatrains associés par la rime. Cette parenté est notamment relevée par Henri Chatelain, pour qui le type aaab bbbc « forme comme une chaîne de strophes sans fin », et pourrait donc avoir préparé dès le xive siècle le grand succès de la rime croisée abab bcbc qui « est, elle aussi, une chaîne sans fin45 ».

  • 46 Règles de seconde rhétorique, éd. Langlois, p. 59. L’exemple proposé pour le huitain est cependant (...)

35La lecture dont les arts de seconde rhétorique porteraient la trace rend compte ainsi de la réinterprétation dont la strophe d’Hélinand est l’objet au xve siècle, en raison notamment du glissement de cette forme chez Chartier. Elle se fait mouvement de progression rythmée, rendant possible le passage insensible d’une rime à l’autre et d’une unité à une autre, sans que l’on perde cependant le sentiment de la répétition et du retour, selon le principe même qui est celui du huitain ababbcbc, que le traité de poétique intitulé Règles de seconde rhétorique nomme « doubles croisies en balladant46 ».

Conclusion

36Alain Chartier semble donc s’être livré à une sorte de réorchestration de la strophe hélinandienne, qui intègre le chant de la douleur amoureuse. Réassigné au lyrisme, le douzain destiné aux « choses moralles » n’en conserve pas moins ses harmoniques propres, et donne le ton à des œuvres hybrides, entre complainte et débat avec la mort, entre débat amoureux et politique. Chartier se réapproprie une tradition, et la transforme : à suivre le travail de mise en relation des formes qui se poursuit dans ses dits strophiques, on a le sentiment que la strophe d’Hélinand donne son impulsion à la recherche qui mène Chartier jusqu’au huitain ababbcbc, en passant par tout un jeu de variations. Explorant les formes strophiques, Alain Chartier semble chercher sa propre voix, en se mesurant aux grands modèles mis à l’honneur par ses prédécesseurs. S’il a repris la strophe caractéristique du ton de la complainte, il s’est appuyé sur elle pour modifier le sens à lui donner, et en faire non plus une marque générique, équivalente à certains topoï d’ouverture, mais l’empreinte même de son style, détournant ainsi la strophe d’Hélinand pour la faire sienne, en une série de réécritures.

  • 47 Molinet n’évoque Alain Chartier que par la citation de son œuvre la plus célèbre, et mentionne éga (...)
  • 48 Règles de seconde rhétorique, éd. Langlois, p. 33.
  • 49 Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art, t. 2, p. 50.

37La strophe, au cœur des échanges poétiques qui se multiplient au xve siècle, joue ainsi le rôle de signature poétique. Décrite dans les arts de seconde rhétorique de cette période sous le nom de « taille », de « vers », ou encore de « baston » ou de « clause » dans l’art de rhétorique de Pierre Fabri, elle favorise de plus en plus l’identification d’une forme au poète qui grâce à elle a laissé son empreinte dans l’art de versifier. Le huitain dit « français » est lié pour Jean Molinet à l’œuvre de Chartier, auteur dont il cite les œuvres mais tait le nom, pour lui opposer le huitain « par croisure », sur le système de rimes abaabbcc, qui demeure attaché à George Chastelain47. Dans les Règles de seconde rhétorique, le « trois et un » (aaab bbbc…) évoque immédiatement l’incipit du Jugement dou roy de Behaigne de Machaut48, alors que ce sera le système strophique de prédilection de « maistre Alain » pour Pierre Fabri49. L’évolution des arts de seconde rhétorique témoigne ainsi de la marque laissée par Chartier dans l’interprétation des formes strophiques. Véritable signature stylistique, attachée au nom d’un maître et porteuse d’une qualité particulière de la voix, reconnaissable entre toutes les autres, la strophe se pense alors moins comme signe de reconnaissance générique.

  • 50 Seláf, Chanter plus haut, p. 83-84.

38Certes, la strophe hélinandienne est ainsi appelée à s’effacer pour laisser place à des créations nouvelles. Mais sa force tient alors justement à la multiplicité de tons qu’elle autorise, en raison de la figure dominante de l’apostrophe : elle ouvre sur la déploration, la satire, le débat. Elle se trouve ainsi exploitée dans sa polyphonie, comme lieu où peuvent fusionner les genres du discours et du lyrisme, et à partir duquel peut se déployer la modulation choisie par le poète. De ce point de vue, on peut donner raison à Levente Seláf, qui explique la disparition de la strophe, pourtant bien implantée dans la poétique médiévale, par un manque de lien entre la forme et le contenu, et par la diversité de tons qui est la sienne à la fin du Moyen Âge50 ; mais on peut également nuancer cette lecture, car l’ouverture de la forme hélinandienne en fait une véritable matrice poétique. L’art consiste à reprendre la strophe, pour mieux en sortir et aller vers le nouveau ; c’est ainsi que Pierre Fabri, admirant la ballade de Courtoisie dans le Bréviaire des nobles de Chartier, remarque que les six premiers vers renvoient à la ballade, et les cinq derniers au virelai, et que ce « sont deux especes de ryme joinctes en ung » :

  • 51 Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art, t. 2, p. 91 (nous modernisons la graphie en distinguant le i d (...)

et en trouve l’en beaucoup de telles compositions aux nouveaux acteurs, et est magistrallement fait saillir de une espece de rithme en l’aultre, pourveu que la concordance y soit bien gardee51.

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Notes

1 Le rôle déterminant de la reprise des strophes de Chartier dans la poésie de la Grande Rhétorique a été précisément étudié par A. Armstrong, dans The Virtuoso circle : competition, collaboration, and complexity in late medieval french poetry, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 2012, ainsi que dans son article « Alain Chartier and the Rhétoriqueurs », A Companion to Alain Chartier (c. 1385-1430) : Father of French Eloquence, éd. D. Delogu, J. McRae et E. Cayley, Leiden/Boston, Brill, 2015, p. 303-323, notamment p. 309.

2 Sur l’importance de cette forme strophique, voir H. Chatelain, Recherches sur le vers français au xve  siècle : rimes, mètres et strophes, Paris, Champion, 1907, p. 91-92 et p. 242, ainsi que les articles de Jacqueline Cerquiglini-Toulet et de Gérard Gros dans l’ouvrage issu du colloque Poétiques de l’octosyllabe. Histoire et fonctions d’un mètre de ses origines médiévales à nos jours, éd. D. James-Raoul et F. Laurent, Paris, Champion, 2018.

3 A. Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, Münster, Aschendorff, 1912, p. 133.

4 L. Seláf, « La strophe d’Hélinand : sur les contraintes d’une forme médiévale », Formes strophiques simples / Simple Strophic Patterns, éd. L. Seláf, P. Noel, A. Hanna et J. van Driel, Budapest, Akadémiai Kiadó, 2010, p. 89.

5 G. Gros et M.-M. Fragonard, Les Formes poétiques du Moyen Âge à la Renaissance, Paris, Nathan, 1995, p. 17-21 sur le douzain d’Hélinand, et p. 21-23 sur le huitain sur trois rimes, ici p. 23.

6 M. Zink, « Rythmes de la conscience. Le noué et le lâche des strophes médiévales », La Conscience de soi de la poésie. Poésie et rhétorique. Colloque de la Fondation Hugot du Collège de France réuni par Yves Bonnefoy, éd. O. Bombarde, Paris, Lachenal & Ritter, 1997, p. 55-66, ici p. 59 ; Michel Zink se refuse cependant à suggérer que ces formes strophiques dérivent les unes des autres (voir p. 63).

7 Sur cette position charnière, voir l’introduction de l’ouvrage A Companion to Alain Chartier, éd. Delogu, McRae et Cayley, p. 1. La réception de Chartier, et notamment la circulation manuscrite de son œuvre, permet de reconsidérer son œuvre « courtoise », longtemps laissée de côté et vue comme un prolongement des formes traditionnelles de la lyrique ou de la poésie narrative : voir pour cette réévaluation de l’œuvre E. Cayley, Debate and Dialogue : Alain Chartier in his Cultural Context, Oxford, Oxford University Press, 2006, et J. McRae, « Cyclification and the Circulation of the Querelle de la Belle Dame sans mercy », Chartier in Europe, éd. E. Cayley et A. Kinch, Cambridge, Brewer, 2008, p. 93-104. La descendance poétique de Chartier éclaire ainsi son écriture poétique propre et ses sources, aspects qui nous intéresseront plus particulièrement ici.

8 Sur cette variante de la strophe d’Hélinand que Chartier semble avoir été le premier à introduire, voir Bernhardt, Die Altfranzösiche Helinandstrophe, p. 142-143 ; pour L. Seláf, l’incipit éloquent de la complainte renvoie aux Vers de la mort même si Alain Chartier a remanié la forme originale « pour être conforme à l’esthétique littéraire de son époque » (« La strophe d’Hélinand », n. 19, p. 79).

9 Alain Chartier, La Complainte sur la mort de sa dame, dans The Poetical Works of Alain Chartier, éd. J. Laidlaw, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, v. 1-24, p. 321-322.

10 Voir W. T. Elwert, Traité de versification française des origines à nos jours, Paris, Klincksieck, 1965, p. 116.

11 Sur cette anaphore et son rôle structurant, voir L. Seláf, Chanter plus haut : la chanson religieuse vernaculaire au Moyen âge : essai de contextualisation, Paris, Champion, 2008, notamment p. 72-75, et J.-P. Bobillot, « La mort, le moi (ne) et Dieu. Une approche de la ratio formæ dans les Vers de la Mort d’Hélinand de Froidmont », Poétique, 77, 1989, p. 93-111.

12 Les Vers de la mort par Hélinant, moine de Froidmont, éd. Fr. Wulff et E. Walberg, Paris, Didot, 1905, strophe ii.

13 Les Vers de la mort : poème du xiie siècle, trad. M. Boyer et M. Santucci, Paris, Champion, 1983, p. 61.

14 Seláf, Chanter plus haut, p. 77-78.

15 Adam de la Halle, « Li ver d’amours », Œuvres complètes, éd. P.-Y. Badel, Paris, Librairie générale française, 1995, p. 394-403. Cf. aussi l’édition de Federico Saviotti, Les Vers d’amours d’Arras, Adam de la Halle et Nevelot Amion, Paris, Champion, 2018.

16 La Fontaine amoureuse, éd. J. Cerquiglini-Toulet, Paris, Stock, 1993, « La complainte de l’Amant », v. 235-1034, p. 46-100. Voir D. Poirion, Le Poète et le prince. L’Évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Paris, 1965, réimp. Genève, Slatkine, 1978, p. 408, et F. Ferrand, « Aux frontières de l’écriture de la narration et du lyrisme : la Complainte », Mélanges Wolfgang Spiewok, éd. D. Buschinger, Amiens, Université de Picardie, 1989, p. 101-117.

17 Oton de Granson, Poésies, éd. J. Grenier-Winther, Paris, Champion, 2010, pièce I, p. 141-151.

18 Chartier, Poetical Works, éd. Laidlaw, p. 320-321. J. Laidlaw fonde son édition sur sept manuscrits témoins, sur les trente-sept qui conservent le texte, et dégage trois groupes correspondant à trois différents ordonnancements du poème ; il constate en fait que la composition n’est pas très serrée, la complainte constituant un jeu de variations sur l’expression de la douleur, et que divers réagencements des strophes pouvaient se justifier. Mais la séquence des trois premières strophes, voire des quatre premières, reste stable.

19 Voir sur ce point les conclusions de Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, p. 133.

20 La Cour de may, éd. A. Scheler, Œuvres de Froissart : poésies, Bruxelles, Devaux, 1872, t. 3, v. 1-228, p. 1-8 ; le poème est plutôt une imitation de Froissart (Poirion, Le Poète et le prince, n. 88, p. 217). A. Bernhardt, qui y voit une œuvre de jeunesse, explique le choix de la strophe par le désir du poète de se mesurer à une forme considérée comme difficile, pour faire la preuve de son talent (Die Altfranzösische Helinandstrophe, p. 102-103).

21 Jean Froissart, Le Joli mois de mai, éd. A. Fourrier, Dits et débats, Genève, Droz, 1979, p. 129-146.

22 L. Seláf (« La strophe d’Hélinand », p. 79) revient sur ces écarts par rapport au ton de la plainte qui semble attaché à la forme : « parfois il s’agit d’un changement conscient, motivé, qui souligne la particularité d’une nouvelle composition, joyeuse ou burlesque, dans une forme qui a priori ne lui sied pas. »

23 Bernhardt, Die Altfranzösische Helinandstrophe, p. 135.

24 Voir sur ce point Ferrand, « Aux frontières de l’écriture de la narration et du lyrisme : la Complainte ».

25 Seláf, Chanter plus haut, p. 78-79.

26 Sur l’importance de la recherche musicale dans ce dit, voir A. Sultan, « Ymaginer son chant. Présence de la musique chez Froissart », Froissart à la cour de Béarn : l’écrivain, les arts et le pouvoir, éd. V. Fasseur, Turnhout, Brepols, 2009, p. 49-65.

27 La conception d’un chant courtois en tension est développée par Froissart dans l’Orloge amoureus : le mécanisme du désir doit être freiné, réglé, mesuré, par un mouvement contradictoire de retenue et de « Discretion ». Voir sur ce point l’article de P. Wheeler, « Technique poétique, discours technique : l’Orloge amoureus de Jean Froissart », Romanic Review, 90, 1999, p. 133-154, notamment p. 148-150.

28 Geoffroy de Vinsauf, Poetria nova, éd. E. Gallo, The Poetria nova and its sources in Early Rhetorical Doctrine, La Haye/Paris, Mouton, 1971, v. 455-459 ; traduction de J.-Y. Tilliette, Des mots à la parole. Une lecture de la Poetria nova de Geoffroy de Vinsauf, Genève, Droz, 2000, p. 97-98.

29 Le Livre des quatre dames, éd. Laidlaw, The Poetical Works, p. 196-304, et pour le prologue, v. 1-164, p. 198-203. Pour l’analyse de cette séquence d’ouverture, nous nous permettons de renvoyer à notre article « L’octosyllabe éloquent d’Alain Chartier », Poétiques de l’octosyllabe, éd. James-Raoul et Laurent, p. 301-317.

30 Voir sur ce point J. Cerquiglini-Toulet, « Le Matin mélancolique ; relecture d’un topos d’ouverture aux xive et xve siècles », Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, 45, 1993, p. 7-22.

31 Règles de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Recueil d’arts de seconde rhétorique, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 33. Voir sur ce système Poirion, Le Poète et le Prince, p. 40, et L. E. Kastner, « A Neglected French Poetic Form », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 28, 1905, p. 288-297.

32 Chartier, Le Livre des quatre dames, v. 165-171, p. 203.

33 Sur les descriptions du douzain d’Hélinand dans les traités de seconde rhétorique, voir Bernhardt, Die Altfranzösiche Helinandstrophe, p. 123-126.

34 Jean Molinet, L’Art de rhétorique, éd. G. Berthon et P. Frieden, dans La Muse et le Compas : poétiques à l’aube de l’âge moderne, éd. J.-Ch. Monferran, Paris, Garnier, 2015, p. 227.

35 Voir la note consacrée à cette définition dans La Muse et le Compas, éd. Monferran, p. 273-274.

36 Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Rouen, 1889-1890, réimp. Genève, Slatkine, 1969, t. 2, p. 50.

37 On rejoint ainsi l’analyse de Michel Zink qui voit l’élément fondateur de la strophe hélinandienne dans « le noyau élémentaire du lyrisme français qu’est le distique suivi d’un troisième vers qui lui est lié tout en en étant séparé, retranché – ce qui se dit refractum, “refrain” » (« Rythmes de la conscience », p. 59).

38 Seláf, « La strophe d’Hélinand », p. 89.

39 Voir sur ce point l’article d’Ariane Bottex-Ferragne, « Lire, écrire et transcrire en strophe d’Hélinand : un art poétique visuel dans le manuscrit BnF, fr. 2199 », Études françaises, 53/2, 2017, p. 103-130, notamment p. 115.

40 Règles de seconde rhétorique, éd. Langlois, p. 29-33.

41 Le douzain se trouve annexé au genre du « petit lai » en raison de la division, pour le sens et la mélodie, en « quartiers », ce qui correspond aux exigences affirmées dans les arts poétiques pour la strophe du lai : voir Gros et Fragonard, Formes poétiques, p. 20-21 ; Georges Lote, « Le Lai et ses formes dérivées », dans « Le xive et le xve siècle », Histoire du vers français. Tome II : Première partie : Le Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1951, livre IV, section IV, chapitre iv, p. 239-314 (disponible en ligne) ; Ph. Martinon, Les Strophes, étude historique et critique sur les formes de la poésie lyrique en France depuis la Renaissance, Paris, Champion, 1911, p. 221. Les exemples donnés dans les traités tardifs pour le genre du lai renvoient ainsi très souvent à la structure du douzain en miroir, mais en hétérométrie, et avec une prédilection pour l’alternance 7/3 ; voir La Muse et le compas, éd. Monferran : Instructif de la seconde rhétorique, éd. E. Buron, O. Halévy et J.-C. Mühlethaler, v. 1688-1735, Jean Molinet, L’art de Rhétorique, p. 248, et le traité anonyme qui s’en inspire, v. 125-200. C’est l’usage que Chartier fait de la strophe d’Hélinand dans Le Livre de l’espérance qui semble alors déterminant : voir sur ce point V. Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique à l’époque de Charles VI : imaginaires et discours, Paris, Champion, 2005, p. 497-512, notamment p. 505-506.

42 Ce principe paraît d’autant plus caractéristique qu’il incarne dans la forme le rôle négateur et enfermant de la mort, et les commentateurs en ont souvent donné des interprétations très suggestives : pour Monique Santucci, « dans ce poème où la sagesse s’oppose à la richesse, où la mort affranchit le serf mais asservit rois et papes (XXXI), curieusement la rime dominante devient la rime dominée » (Les vers de la mort : poème du xiie  siècle, p. 35) ; Jean Batany parle plutôt d’un « jeu chorégraphique » dans « Un charme pour tuer la mort : la “Strophe d’Hélinand” », Farai chansoneta novele : Hommage à Jean-Charles Payen, Caen, Centre de Publications de l’Université de Caen, 1989, p. 37-45.

43 Voir Chatelain, Recherches sur le vers français, p. 92 et p. 249-250 ; A. Piaget, « La Belle Dame sans merci et ses imitations », Romania, 33, 1904, p. 205 ; Gros et Fragonard, Formes poétiques, p. 21-23.

44 Pour les nombreux débats reprenant le huitain de Chartier, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse, « Bien assailly, bien deffendu ». Le genre du débat dans la littérature française de la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 2012, notamment p. 120-124.

45 Chatelain, Recherches sur le vers français, p. 88 et p. 249.

46 Règles de seconde rhétorique, éd. Langlois, p. 59. L’exemple proposé pour le huitain est cependant en décasyllabes, ce qui montrerait que la formule introduite par Alain Chartier ne fait pas encore référence.

47 Molinet n’évoque Alain Chartier que par la citation de son œuvre la plus célèbre, et mentionne également les œuvres d’Achille Caulier et de Martin le Franc : « Autre taille de vers huytains, autrement appelez françois, est assez commune en pluiseurs livres et traittiez, comme en la Belle dame sans merci, l’Ospital d’Amours et le Champion des dames » ; mais « Autre taille de vers huytains se fait par autre croisure de laquele monseigneur l’indiciaire fut principal inventeur » (L’Art de rhétorique, p. 224).

48 Règles de seconde rhétorique, éd. Langlois, p. 33.

49 Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art, t. 2, p. 50.

50 Seláf, Chanter plus haut, p. 83-84.

51 Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art, t. 2, p. 91 (nous modernisons la graphie en distinguant le i du j, et le u du v).

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Pour citer cet article

Référence papier

Laëtitia Tabard, « « Saillir de une espece de rithme en l’aultre » »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 153-173.

Référence électronique

Laëtitia Tabard, « « Saillir de une espece de rithme en l’aultre » »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16157 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16157

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Auteur

Laëtitia Tabard

Le Mans Université

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