« Du monde qui fet a reprendre »
Résumés
Les Vers du Monde sont un poème anonyme en strophes d’Hélinand. Le but de cet article est de procurer une nouvelle édition du texte – après celle d’A. Jubinal (1842) – accompagnée d’une traduction et d’un commentaire, nécessaires pour éclaircir le sens de nombreux passages de compréhension difficile dans le ms. unique (BnF, fr. 837). L’introduction étudie le contenu et le style de l’œuvre et essaie de la situer parmi les « vers moraux » composés dans la France du Nord entre xiiie et xive siècle.
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- 1 Ce ms. a retenu l’attention de nombreux chercheurs et a été l’objet de plusieurs contributions por (...)
- 2 Le même intitulé est repris par la rubrique en écriture cursive ajouté tardivement en-dessus de la (...)
- 3 Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des xiiie, xive et xve siècles(...)
- 4 A. Bernhardt, Die altfranzösische Helinandstrophe, Münster, Aschendorff, 1912, p. 11-13. Pour le t (...)
- 5 « Nach meinem Dafürhalten, haben wir es hier mit einem begabten Dichter zu tun » (Bernhardt, Die a (...)
- 6 Nous l’avons déjà fait, marginalement, dans une contribution précédente, dont nous reprenons ici q (...)
1Le célèbre recueil de la littérature française médiévale transmis par le ms. BnF, fr. 8371 contient, parmi ses nombreux unica, un poème anonyme en 17 strophes d’Hélinand auquel le copiste, à la fin de sa transcription, attribue le titre de Vers du Monde (« Expliciunt les vers du monde », fol. 209r)2. Notre connaissance de cet ouvrage repose sur l’édition publiée par Achille Jubinal en 18423, dépourvue de tout appareil exégétique : le texte est assez fiable mais la plupart des fautes évidentes du manuscrit unique ne sont pas corrigées et les interventions conjecturales ni justifiées ni signalées. Soixante-dix ans plus tard, Adolf Bernhardt, dans son essai-répertoire consacré à l’ensemble de la production en strophe d’Hélinand, donne une brève description du poème, en y retrouvant l’influence puissante des Vers de la Mort hélinandiens4. Après cette contribution, les Vers du Monde ont été tout à fait négligés par la critique, malgré le jugement globalement appréciatif émis par le savant allemand sur l’art du trouvère anonyme et sur la réussite de sa composition5. Cela justifie que l’on revienne sur ce poème6 pour en proposer, dans cet article, une nouvelle édition, accompagnée d’une introduction portant sur le rapport de l’œuvre au contexte littéraire qui est le sien et d’un commentaire synthétique servant à une meilleure intelligence du texte.
Le genre des vers du monde : datation, localisation et sources
- 7 Robert le Clerc d’Arras, Les Vers de la Mort, éd. A. Brasseur et R. Berger, Genève, Droz, 2009.
- 8 Adam de la Halle, Œuvres complètes, éd. P.-Y. Badel, Paris, Librairie générale française, 1995, p. (...)
- 9 Au. Scheler, Dits de Watriquet de Couvin, Bruxelles, Devaux, 1868, xiv, p. 155-162.
- 10 K. Bartsch, La langue et la littérature françaises depuis le ixe siècle jusqu’au xive siècle : tex (...)
- 11 A. Långfors, « Li despisemens du cors (Bibl. Nat. fr. 25.462) », Romania, 40, 1911, p. 566-570. La (...)
- 12 Voir aussi Les Vers d’Amours d’Arras (Adam de la Halle et Nevelot Amion), éd. F. Saviotti, Paris, (...)
2Parmi les nombreux ouvrages exploitant la strophe d’Hélinand, un regroupement de textes en langue d’oïl, assez restreint mais significatif par son homogénéité, se distingue par sa fidélité rigoureuse au modèle des Vers de la Mort. Il s’agit tout d’abord des imitations évidentes sinon déclarées, composées, plus d’un demi-siècle après le poème hélinandien, par Robert le Clerc d’Arras7 et par Adam de la Halle8 ; ensuite de quatre autres poèmes moraux suivant de près le style et la rhétorique du moine de Froidmont, à savoir, selon les titres – plus ou moins conformes aux indications des manuscrits – que les éditeurs leur ont assignés, des Vers du Monde anonymes, du Despit du Monde de Watriquet de Couvin9, de l’Apostrophe au Cors anonyme10 et du Despisement du Cors, dû peut-être à un obscur Perrin la Tour11. Nous avons cru pouvoir ranger toutes ces œuvres dans un seul et même genre poétique12, sur la base du partage exclusif de l’ensemble des traits suivants :
- L’emploi de la strophe d’Hélinand.
- L’absence d’ordre rigide dans la succession logique des strophes, qui peuvent être lues comme une série de variations sur le même thème.
- L’anaphore : les strophes s’ouvrent par l’apostrophe à une entité personnifiée (la « Morz », le « Monde » ou bien le « Cors »), dont la fréquence tend à diminuer au fur et à mesure que le texte s’allonge. Cette apostrophe constitue le fil rouge du discours poétique, dont il détermine la tonalité globale.
- L’inspiration morale, exploitant le motif topique du contemptus mundi.
- 13 Pour la polysémie de vers dans la langue médiévale – selon le cas, « vers », « poème » ou bien « s (...)
- 14 Voir Robert le Clerc, Les Vers de la Mort, p. 74.
- 15 Voir « Watriquet de Couvin », Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, éd. G. Hasenohr e (...)
- 16 Voir Les Vers d’Amours, éd. Saviotti, p. 31-32.
- 17 Le sous-genre des « vers d’Amour » a connu un succès rapide et non moindre que celui des autres, s (...)
3Nous avons dénommé les textes caractérisés par ces traits « vers moraux » en un sens à la fois global et particulier. En effet, le mot vers (toujours au pluriel selon le témoignage des manuscrits), signifiant dans ce contexte « strophes13 », identifie manifestement chaque poème comme l’ensemble des strophes qui le composent : cela ne fait que confirmer l’importance structurelle et l’autonomie de l’unité strophique dans l’économie poétique de ces textes. Inauguré dans un cloître du Beauvaisis par le chef-d’œuvre hélinandien vers la fin du xiie siècle, le genre des « vers moraux » a joui d’une vogue remarquable au siècle suivant, et même plus tard, dans la France septentrionale. Son succès peut se mesurer par la préférence que lui ont accordée non seulement des auteurs moralisants comme Robert le Clerc d’Arras (son poème date des années 1266-1271)14 ou le Wallon Watriquet de Couvin (dont la production se situe entre 1319 et 1329)15, mais aussi un grand trouvère comme Adam de la Halle. Ce dernier, responsable – nous l’avons déjà rappelé – de trois strophes « de la Mort », arrive jusqu’à dépasser les frontières du genre en en remployant les ressources formelles pour parler d’amour : les Vers d’Amours d’Adam (composés avant 1265-1266)16 ouvrent à leur tour la voie à un sous-genre parallèle à ceux des « vers de la Mort », « vers du Corps » et « vers du Monde17 ».
- 18 A. Bernhardt (Die altfranzösische, p. 13) semble croire notamment que la dernière strophe des Vers (...)
- 19 G. Gröber, Grundriss der romanische Philologie, ii/1, Strasbourg, Trubner, 1888, p. 696. Cette dat (...)
- 20 Voir Lefèvre, « Le recueil et l’œuvre », p. 205.
- 21 Pour le détail de ces reprises, voir plus bas, les notes de commentaire aux vers.
- 22 Voir Les Vers d’Amours, éd. Saviotti, p. 111.
- 23 Bernhardt, Die altfranzösische, p. 11.
- 24 À la liste de Bernhardt, on ajoutera les indices suivants : 1) fŏcu > « fu » (v. 59 ; Ch.-Th. Goss (...)
- 25 D’où les divergences entre les chercheurs qui se sont penchés sur l’étude du ms. fr. 837 quant à l (...)
4Les Vers du Monde anonymes relèvent donc de cette typologie textuelle ; leur proximité aux poèmes analogues, avant tout aux Vers de la Mort d’Hélinand18, ressort clairement de l’analyse des contenus et des stylèmes exploités par le poète. L’impossibilité d’établir avec certitude la chronologie relative des pièces, surtout de celles dont l’auteur est inconnu, ne permet pas de préciser davantage la direction des rapports – à la rigueur plus souvent « interdiscursifs » qu’« intertextuels » – existant indéniablement entre les différents vers. La datation de notre poème est également indéterminable : celle, avancée par Gustav Gröber, au premier tiers du xiiie siècle19 (qui ferait certainement des Vers du Monde le premier specimen de leur genre) n’est étayée par aucune donnée positive. Ce qui est certain, c’est qu’il précède, de quelques décennies au moins, le Despit du Monde de Watriquet, puisque le ms. fr. 837 qui seul le renferme a pu être daté du quatrième quart du xiiie siècle (après 1278)20 : les nombreuses correspondances entre les deux textes devront partant être lues comme des emprunts du trouvère wallon à son prédécesseur anonyme21. L’interprétation de la présence de deux passages extrêmement proches dans les Vers du Monde (iv, v. 37-40 ; xiv, v. 160-161) et dans les Vers d’Amours d’Adam de la Halle (ii, v. 13-16 ; xiv, v. 157-158) se révèle plus problématique : en l’absence de tout autre élément permettant de déterminer la direction de l’influence, nous croyons probable, compte tenu du modus operandi et du prestige d’Adam de la Halle, que l’anonyme ait imité et cité le grand poète, plutôt que l’inverse22. Cela donnerait aussi un terminus post quem tout à fait vraisemblable (1265) pour la composition du poème, qui serait ainsi à situer dans le dernier tiers du xiiie siècle. Quant à sa localisation, l’analyse linguistique des rimes et des éléments pour lesquels la responsabilité de l’auteur est assurée par la prosodie démontre l’appartenance de celui-ci aux régions du Nord, comme l’avait déjà remarqué A. Bernhardt23. Les traits régionaux qu’il est possible de repérer dans les 204 vers du poème24 s’avèrent d’autant plus significatifs que la composant « septentrionale » n’est apparemment pas prédominante dans la scripta du manuscrit25.
- 26 Il est à notre avis probable que même les Vers d’Amours aient été conçus dans et pour la Confrérie (...)
5Rien ne s’oppose donc à ce que les Vers du Monde relèvent de l’un de ces milieux urbains artésiens et wallons qui pratiquèrent volontiers l’imitation du poème d’Hélinand pour la composition de « dits », les pièces les plus à la mode dans la deuxième moitié du xiiie siècle dans les régions du Nord : par exemple, cette illustre (mais encore trop peu étudiée en tant que foyer de production littéraire) Carité Notre Dame, autrement connue comme la Confrérie des Jongleurs et des Bourgeois d’Arras, pour laquelle, à une époque que l’on peut croire assez proche, Robert le Clerc et Adam de la Halle ont vraisemblablement composé leurs Vers de la Mort respectifs26. Certes, rien ne prouve, non plus, que notre poète anonyme était, à l’instar de Robert, un clerc artésien rattaché à la Confrérie. Ce qui est certain – c’est l’affirmation des v. 191-192 qui le démontre – c’est que l’auteur se présente comme un novice s’engageant à s’abstenir désormais de toute fréquentation mondaine en préparation du moment où il prononcera ses vœux.
Les vers du monde : sujet, thèmes, style
- 27 Voir T. Matsumura, Dictionnaire de français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 2276 : ‘ (...)
6Chez Hélinand de Froidmont, le thème du contemptus mundi est un topos exploité à plusieurs reprises pour persuader les destinataires du poème de la nécessité de la repentance et de la conversion avant qu’il ne soit trop tard. Dans les Vers du Monde, ce thème se trouve amplifié jusqu’à devenir le sujet principal du discours moral du poète, qui fait du Monde une entité personnifiée, à l’instar de la Mort hélinandienne. Parmi les différentes acceptions du terme que recouvre la langue de l’époque, « Monde » est ici à entendre en un sens humain et social : il se réfère selon toute évidence à ce qui a trait à la vie terrestre, corporelle et, précisément, « mondaine27 ». Cela explique le rapport étroit et presque nécessaire, à l’intérieur du genre des vers moraux, entre le « Monde » et le « Corps » et, bien sûr, des deux avec la « Mort », qui en démasque définitivement la consistance éphémère ; que l’on considère par exemple, dans le prototype du genre, les trois premiers vers programmatiques :
Morz, qui m’as mis muer en mue
en cele estuve o li cors sue
ce qu’il fist el siecle d’outrage… (i, v. 1-3)
7Les Vers du Monde, quant à eux, sans en être vraiment hantés, entretiennent pourtant un dialogue constant avec la Mort, qui apparaît aux strophes ii, v, ix et surtout xv pour rappeler, de façon discrète mais constante, l’horizon de l’expérience humaine :
Mondes, la mort qui son repere
a par tout me fet ton afere
remirer plus diligaument
que ja mes ne cuidoie fere,
mes toute rien voi a fin trere
et toi plain de mauvés couvent. (xv, v. 169-175)
8Au contraire, la corporalité, ou pour mieux dire la dualité âme-corps, n’est évoquée explicitement qu’une seule fois dans le poème, et c’est alors pour nier tout rapport préférentiel entre le Monde et la composante corporelle de l’homme à l’encontre de son âme :
Mondes mauvés, nous sommes doi,
cors et ame, cui t’as feru
a mort et de venin peü. (ii, v. 21-23)
9Il est probable, à cet égard, que l’auteur des Vers du Monde ne connaissait pas les deux « vers du Corps » qui, au contraire, exploitent volontiers la thématique « mondaine » ; autrement, on peut soupçonner qu’il aurait sans doute cédé à la tentation d’insister sur un thème aussi proche du sien. En revanche, le blâme du monde est développé, sous forme d’une longue liste de chefs d’inculpation, exprimés à partir d’un noyau très restreint de motifs, souvent topiques, qui se trouvent réitérés sous des formes plus ou moins différentes au fil du texte. Parmi les plus significatifs, nous pouvons mentionner les suivants :
- la fausseté et la tromperie du monde, qui n’est qu’apparence (i-iii, viii, xii - xiii, xv - xvi) ;
- la vanité des joies et des récompenses données par le monde (i, iv - viii, xv - xvi) ;
- la nocivité du monde (ii-iv, viii, xiii), plusieurs fois décrite par la métaphore du poison ;
- l’hostilité du monde à l’encontre de Dieu (v, x, xiii) ;
- la folie de l’homme qui s’adonne au monde (ii, vii, ix, xiv, xvi) ; le syntagme « fols est qui… » est peut-être la formule la plus récurrente dans l’ensemble des vers moraux.
- 28 Il convient de remarquer que, malgré l’emploi commun de la strophe hélinandienne, notre texte ne d (...)
- 29 Voir, à propos de la simplicité calculée de la composition hélinandienne, M. Zink, « Rythmes de la (...)
- 30 Watriquet de Couvin, un demi-siècle plus tard, suivra cet exemple dans son Despit du Monde.
- 31 Voir J. Cerquiglini-Toulet, « Le clerc et l’écriture : le “voir dit” de Guillaume de Machaut et la (...)
10La série d’accusations au Monde trouve son origine dans l’expérience individuelle du poète, qui est rappelée à plusieurs endroits du texte (i-iii, v, xv-xvii). En particulier, tout comme chez Hélinand, le début et la conclusion du poème permettent la mise en place d’un véritable cadre biographique (plus ou moins figé) qui contribue puissamment par son exemplarité à la tonalité didactique de l’ouvrage. Cependant, l’épigone introduit des nouveautés non négligeables par rapport à son modèle. Hélinand en effet se limite à ouvrir et clore son allocution par de brèves affirmations (str. i : « m’as mis muer en mue », « ai changié mon corage / et ai laissié et gieu et rage » ; str. l : « de si chier morsel n’ai je cure, / mieuz aim mes pois et ma poree ») qui, tout en évoquant en des termes très concrets la réalité de sa vie claustrale, ne se distinguent pas, sur le plan de l’expression, des phrases qui développent la description de la Mort dans le reste du texte, où le motif biographique n’est présent qu’indirectement dans la mention des « amis » (iv, v. 37) que la Mort est envoyée convertir. L’auteur des Vers du Monde, quant à lui, non seulement amplifie le discours sur sa propre attitude à l’égard du monde, jusqu’à en faire le sujet principal des trois premières et des trois dernières strophes (tandis qu’ailleurs le « je » n’a le plus souvent qu’une fonction purement grammaticale), mais il met aussi en relief l’incipit et l’explicit du texte par des formules marquées : d’une part, la proposition de l’argumentum (« Du Monde…/me dueil », i, v. 1-2), qui distingue la première strophe des suivantes, où l’allocution anaphorique « Mondes » est la règle ; de l’autre, le « congé » au monde au premier vers de la strophe finale (« Mondes, je praing a toi congié », xvii, v. 193)28, dans laquelle s’achèvent avant tout les vicissitudes de celui qui parle, désormais prêt à entrer en religion. Ainsi, à l’encontre de la fluidité, du commencement in medias res et de la conclusion formellement « ouverte » des Vers de la Mort, qui donnent presque l’impression d’un « aveu » spontané capable de se poursuivre à l’infini29, les Vers du Monde, avec leur construction fermée et symétrique décrivant une progression dans l’attitude du « je » à l’égard de la vie mondaine, paraissent réinterpréter le contemptus mundi hélinandien selon l’esthétique prédominante au xiiie siècle30 : celle du « dit », qui fait de la discontinuité et de la mise en scène du moi deux de ses traits distinctifs fondamentaux31.
11D’ailleurs, malgré la proximité formelle et structurelle des deux œuvres, les éléments que nous venons d’examiner vont de pair avec d’autres différences tout à fait conséquentes au niveau de l’esprit et du registre. L’inquiétude, l’urgence et le tourment qui transparaissent des strophes du moine de Froidmont, caractérisées par l’accumulation, la parataxe et un ton extrêmement varié, n’épargnant aucune couleur pour convaincre ses auditeurs, cèdent la place, dans les Vers du Monde, à une argumentation bien consciente des arts de la rhétorique mais attentive à éviter les accents trop élevés. L’organisation rationnelle de la période, les comparaisons, implicites ou explicites, et les métaphores sont les expédients les plus fréquentés dans un discours qui semble conçu pour susciter l’intérêt du public plutôt que l’émouvoir. L’attention du lecteur moderne est particulièrement attirée par la véritable galerie d’images, très diverses et rarement banales, que l’auteur crée pour rendre tangibles les vices d’une entité abstraite telle que le « Monde ». En puisant tantôt dans la réalité quotidienne, tantôt dans ses connaissances littéraires et scientifiques, celui-ci décrit son interlocuteur par les métaphores suivantes :
- le vent (i, v) ;
- la cendre (i) ;
- un calice rempli de poison (ii), une nourriture empoisonnée (iv), un serpent venimeux (xiii) ;
- une voie sans issue dont l’entrée est ornée de délices trompeurs (iv-v) ;
- un labyrinthe (« meson Dedalu » ; v) ;
- une fausse monnaie (v) ;
- un vivier plain de nasses (vii) ;
- un prêteur usuraire (viii) ;
- le zéro arithmétique (« cyffres d’augorisme » ; xiii).
12L’analyse des éléments structurels – strophes et rimes – ne fait que confirmer l’impression d’heureuse sobriété non dépourvue de finesse que nous venons de déceler dans la forme aussi bien que dans le fond du poème. Les strophes gardent l’autonomie syntaxique et sémantique qui en fait, comme chez les autres imitateurs d’Hélinand, des unités minimales susceptibles d’être lues isolément. Néanmoins, leur succession, visiblement loin d’être due au hasard, contribue au développement du discours qui, tout en revenant à plusieurs reprises sur les mêmes arguments, progresse par un lent mouvement que l’on pourrait dire « en spirale », accompagnant celui qui l’écoute vers la conclusion prévue. Nous retrouvons des marques évidentes de ce procédé dans la pratique d’une sorte de coblas capfinidas (le retour du même mot ou de la même image peut exceptionnellement remonter jusqu’au septième vers précédant la fin ou suivant le début des strophes concernées : par ex. « trespasses », vi, v. 66, et vii, v. 73), particulièrement évident dans la première partie du texte, notamment entre les strophes i-ii, ii-iii, v-vi et vi-vii.
- 32 « Die Reime sind häufig reich und leoninisch, auch homonyme sind anzutreffen » (Bernhardt, Die alt (...)
13Le système des rimes est plus simple que ce que le commentaire d’A. Bernhardt laisse à penser32 :
i |
ii |
iii |
iv |
v |
vi |
vii |
viii |
ix |
|
a |
-endre |
-oi |
-ui |
-ue |
-oie |
-oit |
-asses |
-ures |
-age |
b |
-ent |
-u |
-é |
-iens |
-u |
-ens/enz |
-oir |
-ueil |
-er |
x |
xi |
xii |
xiii |
xiv |
xv |
xvi |
xvii |
|
a |
-eur |
-chiez |
-vant |
-i(s)me |
-ert |
-ere |
-on |
-ié |
b |
-é |
-oient |
-er |
-i(e)u |
-ier |
-ent |
-ie |
-age |
- 33 Voir L. Seláf, « La Strophe d’Hélinand : sur les contraintes d’une forme médiévale », Formes strop (...)
- 34 Il faut pourtant remarquer que la faute intéressant le dernier mot de la strophe – dans le ms. nou (...)
14Dans la majorité des strophes, les deux terminaisons, a et b, sont l’une masculine, l’autre féminine, comme c’est généralement le cas dans les strophes d’Hélinand. En revanche, l’« hétérogonie structurale33 » n’entre pas dans les principes de composition fondamentaux du poème : en effet, les rimes féminines ne sont admises à la position b qu’à partir de la strophe xi (et deux fois seulement, aux str. xi et xvii). Quant au timbre, les terminaisons sont généralement faciles et se répètent parfois dans des strophes différentes. Aux seules strophes xi et xii la rime a est systématiquement riche34 ; ailleurs, on peut trouver épisodiquement des rimes riches (par ex. i, v. 6, 7, 10, 11 ; xvi, v. 181, 182, 185, 192), dérivatives (par ex. i, v. 1, 2, 9) ou équivoques (par ex. ii, v. 13, 22).
15En conclusion, il est possible d’affirmer que notre auteur tend à éviter l’insistance sur les artifices de style qui marquent puissamment son modèle et, encore plus, les autres imitations de celui-ci, en n’exploitant apparemment que ceux qui, lors de la performance orale, auraient pu mettre en relief certaines parties du texte sans risquer de distraire le public de son sens.
Note philologique et édition du texte
16Nous avons cru nécessaire de corriger le texte aux lieux suivants, où la leçon du manuscrit unique n’est pas satisfaisante pour des raisons métriques ou sémantiques :
- vii, v. 74, « les » : le possessif « tes », qui contraste avec le sens du v. 75, est très fréquent dans le poème ; ici il paraît être dû à la répétition de la terminaison -tes de l’adj. « cortes ».
- vii, v. 81, « brasses » : la forme « brasse » fausse la rime en -asses.
- x, v. 114, « et » : la lettrine « A » au début du vers ne fait pas sens et pourrait être la répétition de celle du v. 115 ; nous accueillons la correction proposée par Jubinal.
- xiii, v. 145, « le » : la préposition « en » ne donne pas un sens satisfaisant ; nous introduisons l’article défini, qui semble être normal devant le numéral substantivé (« milisme »).
17Comme le v. 144, « tels chiet qui se releveroit », devrait rimer en –ant, il est donc à considérer comme irrémédiablement corrompu. Deux cruces (†) le signalent ; le texte du ms. est enregistré, comme le sont toutes ses leçons rejetées, dans l’apparat critique (en marge du texte).
- 35 L’idée de « ’correzioni mentali’, proposte al lettore e non imposte al testo » est développée, bie (...)
18Enfin, dans les trois cas suivants, l’opportunité de corriger, au moins « mentalement35 », les infractions à la « déclinaison bi-casuelle », encore bien solide dans le nord du domaine d’oïl à l’époque de la composition du poème, a été rappelée soit par [s] (-s flexionnel à intégrer), soit par <s> (-s à effacer) : ix, v. 108, « cruel <s> » ; xi, v. 131, « tel <s> » ; xiv, v. 166, « Fol[s] ».
19Pour le reste, nous nous sommes limités à reproduire le texte du manuscrit, même dans ses inconséquences graphiques, en l’adaptant aux usages typographiques modernes (séparation des mots ; distinction de u/v et i/j ; marques de diérèse ; explicitation des abréviations ; ponctuation), selon les critères communément acceptés par les éditeurs d’œuvres médiévales.
[i.] Du Monde qui fet a reprendre
me dueil, quar ainçois me vint prendre
c’onques eüsse entendement,
n’ainc puis ne me vout mon cuer rendre,
[5] ainz m’a fet entor lui despendre
tens, aage, sens et jouvent :
dont en grant dolor sui sovent,
quar je remir confetement
me sui lessiez a lui sozprendre
[10] por ce qu’il m’avoit en couvent.
En ses promesses n’a que vent
et, s’il paie, n’est ce fors cendre.
[ii.] Mondes, de toi plaindre me doi,
quar par toi engané me voi
[15] par ce que je t’ai trop creü :
tes promesses de pute foi
m’ont si converti en ta loi,
mondes, qu’eles m’ont deceü.
Mondes, tu m’as si desvestu
[20] qu’il n’a en moi nule vertu.
Mondes mauvés, nous sommes doi,
cors et ame, cui t’as feru
a mort et de venin peü.
Fols est qui a fïance en toi.
[iii.] Mondes, li venins que je bui
a ton hanap, quant a toi fui,
dont tout me truis envenimé,
samble chascun plesant en lui
dusqu’adonc qu’il connoist l’anui,
[30] le domage et la povreté
que l’ame i prent, et l’enferté ;
mes quant connoist ta fausseté,
adonc te het et aime autrui.
Cil qui plus se sont delité
[35] en toi servir, plus ont musé,
quar servi ont ne sevent qui.
[iv.] Mondes, cil par a trop perdue
la connoissance et la veüe
qui en toi se fie de riens.
[40] T’es une voie sanz issue :
l’entree est paree et vestue
de delices, plaine de fiens,
d’orgueil, de beuban, c’est li biens
que tu fes savorer les tiens ;
[45] covoitise i est maintenue
et toute chose qui est niens.
Mondes, tu pais cels que tu tiens
d’une vïande qui les tue.
[v.] Mondes, cil qui a toi s’avoie,
[50] quant connoissance le ravoie
d’aler au chemin de salu,
il n’en puet issir, ainz forvoie
quar il ne puet trover la voie.
Tu es la meson Dedalu :
[55] puis c’on ert en toi embatu,
a paines en ert on issu.
Les tiens paies fausse monoie ;
he ! Diex, tant en ai receü,
je criem que je n’en arde ou fu
[60] avoeques cels que Diex renoie.
[vi.] Mondes, qui bien te connistroit
et qui tres bien t’esgarderoit,
tes oevres et tes paiemenz,
nule fiance en toi n’avroit,
[65] quant qui te sert, il se deçoit.
Ausi trespasses comme venz :
i est uns hon de si grant sens,
si plains d’avoir et de parenz
que nului riens ne priseroit ;
[70] ci est si viex et si pullenz
que chascuns li vuide les renz
nis uns chiens ne l’aprocheroit.
[vii.] Mondes, je di que tu trespasses
et que cortes sont les espasses [les] tes]
[75] c’on a en toi de joie avoir.
u es uns viviers plains de nasses
por prendre les chetives lasses
dames, qui n’ont mestier d’avoir,
mes amors les fet encheoir,
[80] maugré reson, a recevoir
ce que par mi les cors leur brasses. [brasses] brasse]
Mondes, tu les fez en ton oir
de longue vie par espoir,
nis croire ne vuelent leur faces.
[viii.] Mondes, en toi n’a fors paintures,
durtez, tribulacïons sures,
mes de ce es plains jusqu’en l’ueil.
Les tiens fez prester a usures
or avoir les envoiseüres
[90] en qui l’en envelope orgueil.
Tels a pou de pain de mestueil
et mendie sus autrui sueil
en mauvés dras plains de coustures,
qui plus list de joie en droit fueil,
[95] que cil qui ont par ton acueil
robes, chevaus et couvertures.
[ix.] Mondes, je voi que li plus sage
devienent tuit fol par l’usage
que tu leur fez acoustumer.
[100] Il ne t’en chaut de lor domage :
tu leur fez paier le musage,
tant les fez aprés toi aler
qu’el mont d’orgueil les fez monter ;
et la lor fez les iex crever
[105] a covoitise et a outrage,
si qu’il n’en sevent ravaler.
Mes qui la mort i puet trover,
il en paie cruel <s> ostage.
[x.] Mondes, tu taus Nostre Seigneur
[110] ce qu’il racheta de la fleur
et du fruit de virginité.
Hé, laz ! con vez ci grant doleur
quant l’en voit vaintre le meneur !
Et Celui qui tout a crïé [Et] A]
[115] a L’en ore si adossé,
si en despit, si en viuté,
c’on ne li veut porter honeur :
il samble c’on ne li set gré
de ce qu’il ouvri son costé
[120] por nous toz remetre en valeur.
[xi.] Mondes, con ce est granz meschiez
de ce que tu as tant des chiez
de Sainte Yglise, qui bien voient
qu’il n’a en toi fors que pechiez ;
[125] et s’est chascuns si atachiez
a toi qu’il n’aiment ne ne croient
fors toi, dont maint example envoient
a cels qui bien se garderoient !
Mes quant l’en voit de toi tachiez
[130] cels qui enseignier nous devroient,
je sai bien que tel<s> te fuiroient
qui atent ore tes marchiez.
[xii.] Mondes, hardiement me vant
que cil qui te voient devant
[135] sanz toi par derriere esgarder
ne se vont nient apercevant
comment tu les vas decevant,
si qu’il ne s’en sevent garder.
Mondes, tu les fez arester
[140] en tes delices desirrer ;
mes qui voudroit aller avant
et espresseement garder
quel on te puet en fin trover,
† […] †-ant.] [tels chiet qui se releveroit]
[xiii.] Mondes, nus ne puet le milisme [le] en]
de tes faussetez metre en rime
en romanz n’en latin n’en griu.
Tu es serpenz qui envenime,
tu es li cyffres d’ augorisme
[150] qui ne fet fors tolir le lieu
d’autre figure, c’est de Dieu.
N’a Pere Ihesu Crist le pieu
qui troveroit maint cuer benime
en lieu amoreus et soutiu,
[155] qu’i ore en sont rude et eschieu
con s’il fussent de paienime.
[xiv.] Mondes, l’en seut dire en apert
que qui a chetif seigneur sert,
il en atent chetif loier.
[160] Mondes, cil qui a toi s’ahert
j’ose bien dire qu’il se pert
quar, de quanque toz pues paier,
ne porroies mie apaier
.j. cuer par qoi son desirrier
[165] n’eüst a couvoitier ouvert.
Fol[s] se fet en toi herbregier :
cuers ne s’i puet rassasïer,
ne c’uns gloutons en vuit desert.
[xv.] Mondes, la mort, qui son repere
[170] a par tout, me fet ton afere
remirer plus diligaument
que ja mes ne cuidoie fere ;
mes toute rien voi a fin trere
et toi plain de mauvés couvent.
[175] A maint homme dones sovent
espoir de vivre longuement
en joie, sanz avoir contrere,
a cui la mort est en present
par viellece ou par sentement,
[180] ne por ce ne s’en veut retrere.
[xvi.] Mondes, plain de corruptïon
te voi, d’abominacïon :
trop est faus qui en toi se fie !
Les tiens jues de trahison
[185] par ta vaine promecïon
dont ame n’est fors esvuidie.
Mondes, cil qui plus estudie
en toi, et plus fet grant folie :
l’en n’i aquiert se paine non
[190] et s’est par tant l’ame perie.
Por ce istrai de t abeie
tant qu’aie fet profectïon.
[xvii.] Mondes, je praing a toi congié.
Se pieç’a t’eüsse eslongié
[195] j’eüsse fet mon avantage,
nes que se j’eüsse songié
mes desirs que tu m’as paié :
n’en truis en moi fors qu’arrierage,
famine, acroissement de rage.
[200] Or voi, quant connois mon domage,
comment tu m’as le dé changié !
Or vueil issir de ton servage
et corre a mon droit heritage
que Diex m’a fet et esligié.
Traduction
20Conçue pour éclaircir autant que possible le sens du poème, notre traduction s’éloigne parfois de la lettre du texte, lorsque cela nous a paru opportun pour rester compréhensible. Nous avons, cependant, essayé de traduire vers à vers et signalé par des points d’interrogation les passages qui ont résisté à nos efforts exégétiques.
[I.] Du Monde qui est digne de reproche
je me plains, car il vint me saisir avant
que je n’en eusse conscience,
et, depuis, il n’a jamais voulu me rendre mon cœur ;
il m’a même fait gaspiller autour de lui
mon temps, ma vie, ma raison et ma jeunesse :
c’est pourquoi souvent un grand chagrin me tourmente,
car je cherche attentivement comment
je me suis laissé surprendre par lui
puisqu’il m’avait donné sa parole.
Dans ses promesses il n’y a que vent
et, s’il paie quelque chose, ce n’est que cendre.
[II.] Monde, je dois me plaindre de toi,
car je vois que tu m’as trompé
puisque j’ai trop eu confiance en toi :
tes promesses de mauvaise foi
m’ont rendu si fidèle à ta loi,
Monde, qu’elles m’ont abusé.
Monde, tu m’as tellement dépouillé
qu’il ne me reste aucune vertu.
Monde méchant, nous sommes deux,
corps et âme, que tu as blessés
à mort et rassasié de poison.
Il est fou celui qui a confiance en toi.
[III.] Monde, le poison que j’ai bu
à ton calice, lorsque j’étais des tiens,
et qui m’a entièrement empoisonné,
semble agréable à tous ceux qui l’avalent
jusqu’à ce qu’ils éprouvent la peine,
le dommage et la misère
que l’âme en retire, et la maladie ;
mais quand ils connaissent ta fausseté,
alors il te haïssent et aiment quelqu’un d’autre.
Ceux qui se sont amusés le plus
à ton service ont le plus gaspillé leur temps,
car ils ne savent pas qui ils ont servi.
[IV.] Monde, il a complètement perdu
la raison et la vue,
celui qui a tant soit peu confiance en toi.
Tu es une voie sans issue :
parée et revêtue de délices
à l’entrée, mais jonchée d’ordures,
d’orgueil et d’arrogance, à savoir les biens
que tu fais goûter aux tiens ;
la convoitise y réside
ainsi que tout ce qui ne vaut rien.
Monde, tu nourris ceux que tu retiens
avec une nourriture qui les tue.
[V.] Monde, celui qui prend ta direction,
alors que la raison lui rappelle
d’aller sur le chemin du salut,
il ne peut s’en sortir et se perd même,
car il n’arrive pas à trouver la voie.
Tu es la maison de Dédale :
dès qu’on est tombé sur toi,
difficilement pourra-t-on s’en sortir.
Tu paies les tiens d’une fausse monnaie ;
hélas, Dieu ! j’en ai tant reçu
que je crains de brûler dans le feu
avec ceux que Dieu répudie.
[VI.] Monde, celui qui te connaîtrait bien,
en considérant de très près
tes œuvres et tes récompenses,
n’aurait aucune confiance en toi,
puisque celui qui te sert s’abuse.
Tu es fugace comme le vent :
considérons un homme d’une sagesse si grande,
si entouré de biens et de proches
qu’il n’envierait rien à personne ;
le voici devenu si vieux et si repoussant
que tout le monde s’écarte de lui ( ?)
et que pas même un chien ne s’en approcherait.
[VII.] Monde, je dis que tu es fugace
et que les moments de jouissance
que l’on trouve en toi sont courts.
Tu es un vivier plein de nasses
qui capturent les pauvres et malheureuses
dames qui n’ont pas besoin d’argent ;
mais c’est l’amour qui les fait condescendre
à recevoir contre raison
ce que tu provoques dans leur corps.
Monde, tu en fais de tes héritiers ( ?)
par l’espoir d’une longue vie,
et elles ne veulent même pas croire à (la vue de) leurs visages.
[VIII.] Monde, en toi il n’y a que fausses apparences,
peines et tourments certains :
tu en es plein jusqu’aux yeux.
Aux tiens tu prêtes à intérêt
pour obtenir les réjouissances
dont se nourrit l’orgueil.
Celui qui n’a qu’un peu de pain de méteil
et demande l’aumône devant la porte des autres,
vêtu de guenilles toutes raccommodées,
il en a plus appris sur la joie en lisant le bon livre
que ceux qui obtiennent grâce à ton accueil
vêtements, chevaux et housses.
[IX.] Monde, je vois que les plus sages
deviennent tous fous à cause des habitudes
que tu leur fais prendre.
Tu ne te soucies pas de leur dommage :
tu leur fais gaspiller leur temps
et les conduis à ta suite jusqu’à ce
qu’ils montent sur le mont d’orgueil ;
là-haut tu leur fais crever les yeux
par convoitise et démesure,
si bien qu’ils ne sont plus capables de redescendre.
Mais celui qui y trouve la mort
en paie un pénible tribut.
[X.] Monde, tu enlèves à Notre Seigneur
ce qu’il racheta de la fleur
et du fruit de virginité.
Hélas, quelle grande douleur
que de voir le moins digne l’emporter !
Et Celui qui a tout créé,
on L’a maintenant renié
de façon si méprisante et ignoble
qu’on ne veut plus lui rendre honneur :
il semble qu’on ne lui sait gré
d’avoir ouvert son côté
pour tous nous rétablir dans notre valeur.
[XI.] Monde, quel grand malheur
que tu comptes parmi les tiens beaucoup de chefs
de la Sainte Église qui, bien qu’ils ne voient
en toi que péché,
te sont pourtant tous si liés
qu’ils n’aiment ni ne croient
qu’en toi et en montrent de nombreux mauvais exemples
à ceux qui plutôt se méfieraient !
Mais puisque l’on voit souillés de toi
ceux qui devraient être nos guides,
je sais bien que ceux pour qui le commerce avec toi
est maintenant inévitable te fuiraient.
[XII.] Monde, sans hésiter je me tiens pour assuré
que ceux qui te voient de face
sans te regarder aussi de dos
ne s’aperçoivent aucunement
de la manière dont tu les trompes :
aussi ne sont-ils pas en mesure de se défendre.
Monde, tu les fais s’arrêter
au désir de tes délices ;
mais en voulant continuer la marche
pour voir expressément
quel peut être ton véritable aspect,
[…].
[XIII.] Monde, personne ne peut mettre en vers
le millième de tes mensonges,
en français, en latin ou en grec.
Tu es un serpent venimeux,
tu es le zéro en arithmétique
qui ne fait que prendre la place
d’un autre chiffre : Dieu.
Même Jésus Christ, Notre Père, le pieux,
ne trouverait pas beaucoup de cœurs bienveillants
dans un lieu d’amour et de raffinement, ( ?)
car maintenant ils sont devenus grossiers et hostiles à l’image des païens.
[XIV.] Monde, on a l’habitude de dire ouvertement
que celui qui sert un mauvais maître
en reçoit un mauvais salaire.
Monde, celui qui s’attache à toi
j’ose bien dire qu’il se perd
car, pour autant que tu puisses tous les payer,
tu ne pourrais jamais satisfaire
un cœur de façon à ne pas ouvrir
son désir à la convoitise.
Seulement un fou se fait héberger par toi :
le cœur ne peut y être rassasié,
pas plus qu’un glouton dans un désert absolu.
[XV.] Monde, la mort qui est chez elle
partout me fait examiner
ta conduite plus attentivement
que je n’avais encore jamais songé à le faire ;
mais je vois que tout tend à sa fin
et que tu es plein de mauvaises promesses.
Tu donnes souvent à beaucoup d’hommes
l’espoir de vivre longtemps
dans la joie, sans rencontrer d’obstacle,
eux pour qui la mort est une pensée obsédante
à cause de la vieillesse ou de mauvais pressentiments,
et qui, malgré cela, ne veulent pas y renoncer.
[XVI.] Monde, je te vois plein
de corruption et d’abomination :
il est trop fou, celui qui a confiance en toi !
Tu t’amuses à trahir les tiens
par ta vaine promesse
qui ne fait que dépouiller complètement l’âme.
Monde, celui qui s’attache le plus
à toi commet aussi la folie la plus grande :
l’on n’y obtient que souffrance
et même, pour cela, la ruine de son âme.
C’est pourquoi je sortirai de ton abbaye,
jusqu’à ce que j’aie prononcé mes vœux.
[XVII.] Monde, je prends congé de toi.
Si je t’avais déjà depuis longtemps quitté,
j’en aurais tiré profit,
de même que si j’avais vu en rêve
l’accomplissement des désirs que tu m’as satisfait :
je n’en trouve en moi que procrastination,
disette et colère montante.
Je vois maintenant, en reconnaissant mon dommage,
comment tu as modifié le résultat de mon dé !
Je veux désormais m’émanciper de ton service
et courir vers le juste héritage,
que Dieu a préparé et acheté pour moi.
Notes de commentaire aux vers
21I, 8. La conjonction « quar » pourrait être une innovation de copiste (répétition des v. 2 et 14, même voyelle finale que « remir ») au lieu de « quant », ‘lorsque’ : le sens temporel paraît ici plus satisfaisant.
22I, 11. Voir Watriquet de Couvin, Despit : « En tes promesses n’est que vens » (vi, v. 62).
23I, 12. Voir Watriquet de Couvin, Despit : « Mondes, tu ne paies que cendre » (v, v. 55). La rime « sozprendre » : « cendre » (avec les plus communs « prendre » et « rendre ») se trouve aussi dans l’Apostrophe au Cors : « et s’il te veut apres sousprendre/remembre toi que tu es cendre » (xvi, v. 190-191).
24II, 10. Les conséquences de l’action du Monde à la fois sur le corps et sur l’âme sont parmi les aspects des Vers du Monde dont se rappellera Watriquet : « Mondes, tu fais le cors quasser / en pechié et soi mespasser, / dont sans respasser l’ame quasses » (Despit, viii, v. 94-96).
25III, 1-3. La métaphore du poison (voir aussi iv, v. 48, et xiii, v. 148) est récurrente dans les vers moraux, depuis Hélinand (Vers, l, v. 589-590 : « Hé, Dieus ! por qu’est tant desiree/joie charneus envenimee ») : voir l’Apostrophe au cors (iii, v. 25 : « Cors desloiaus, de venin plains ») et le Despit de Watriquet de Couvin (v, v. 49 : « Mondes faus et d’ort venim plains »).
26IV, 5. L’image de la porte qui introduit au Monde semble avoir influencé Watriquet : « Mondes, n’a pas bien l’ueil ouvert / qui s’afie en ta porte ouverte » (Despit, iv, v. 45-46).
27IV, 37-40. Un rapport intertextuel indéniable relie ces vers à un passage des Vers d’Amours d’Adam de la Halle, comme le démontre l’identité de la rime a (-ue), de la structure syntaxique et du vocabulaire employé : « Amours, tu m’as chiere vendue / ta counisance et ta venue ; / pour voir es li Vaus Perilleus, / plains d’amertume et sans issue » (ii, v. 13-16).
28V, 54-56. À notre connaissance, la « maison Dedalu » – à savoir le labyrinthe mythologique de Dédale – apparaît seulement une autre fois dans la littérature française du xiiie siècle, chez Richard de Fournival, qui en fait une métaphore de l’amour : « C’est la maison Dedalu / u a se devise / set cascun entrer, / et tout i sont detenu, / car en nule guise / ne pueent trouver / ne assener / par u l’entree fu » (RS 760, v. 25-32 ; éd. Y. G. Lepage, L’œuvre lyrique de Richard de Fournival, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1981, xv). Pourtant, le rapport de notre poème avec cette chanson est improbable : en effet, la présence de la même image, au siècle suivant, dans des œuvres de genre aussi différent que les Sept articles de la foi de Jean Chapuis (voir Le Roman de la Rose par Guillaume de Lorris et Jehan de Meung, éd. M. Méon, Paris, Didot, 1814, t. III, p. 353, v. 560) et la ballade anonyme En la maison Dedalus du ms. de la Jean Gray Hargrave Music Library (University of California, Berkeley), paraît confirmer qu’elle devait faire partie de l’imaginaire de l’époque.
29V, 57. L’hémistiche « fausse monoie » se trouve chez Hélinand : Vers, vi, v. 6 (voir aussi « denier faus », Vers, xiv, v. 9).
30VI, 67-72. La deuxième partie de la str. vi paraît exemplifier le caractère éphémère du Monde (affirmé au v. 66) par la description d’un homme satisfait de sa vie mondaine – si nous comprenons bien, le « grant sens » (‘grande sagesse’, v. 67) serait à entendre ironiquement – qui devient un vieillard misérable et abandonné de tous. Le substantif « renz » (< hring : voir FEW, xvi, 240) signifie litt. ‘rang, ligne de soldats’ : bien qu’elle ne semble être attestée qu’au sens très concret de ‘rompre les rangs’ (voir G. Di Stefano, Nouveau dictionnaire historique des locutions, Ancien Français – Moyen Français – Renaissance, Turnhout, Brepols, 2015, t. II, p. 1494b), la locution (li) vuider les renz signifie vraisemblablement ici ‘(le) quitter, s’écarter (de lui)’. Je tiens à remercier Silvère Menegaldo de m’avoir suggéré cette interprétation.
31VII, 76. Voir Hélinand de Froidmont : « Tu as tramail et roiz et nasse / por devant le haut homme tendre » (Vers, xx, v. 237-238).
32VII, 78. Dans l’édition de Jubinal, la séparation des mots donne une leçon inacceptable : « d’ames » pour « dames ». Cette strophe parle incontestablement de ‘dames’, non pas d’‘âmes’.
33VII, 79. Le verbe « encheoir » vaut évidemment ‘condescendre’ (« a recevoir », v. 80), quoique cette acception ne soit attestée qu’à partir du moyen français (voir FEW, ii, 26b).
34VII, 81. « Bracier », litt. ‘fabriquer de la bière’, prend souvent le sens, figuré et génériquement négatif, de ‘faire, provoquer’ (TL, i, 1107 ; voir, par ex., le Despisement du Cors, xiv, v. 168).
35VII, 82. La leçon du ms. « entonoir », ‘entonnoir’, reproduite telle quelle par Jubinal, n’est pas acceptable. La leçon correcte s’obtiendrait par la séparation des mots : « en ton oir » (‘héritier’ : pour l’emploi figuré du substantif « oir », voir Robert le Clerc, Vers, cclviii, v. 3096, « li hom cui pecié fait son oir », et n.), s’opposant au « droit heritage / que Diex m’a fet et esligié » (xvii, v. 203-204) qui clôt le poème. Si le sens global du v. paraît assez évident (« tu leur lègues ton héritage », donc « tu les associes à toi »), l’interprétation des rapports logiques et syntaxiques entre « les », « en » et le sing. « oir » n’est pas aisée. À cet égard, il n’est pas à exclure que le texte du ms. puisse être corrompu : la mémoire du v. 79 (dont le deuxième hémistiche, « les fet encheoir », est tout à fait semblable à celui du v. 82) aurait pu provoquer la modification de la leçon originaire, qui resterait pour nous insaisissable.
36VIII, 87. La formule « jusqu’en l’ueil » est répertoriée dans TL (xi, 9 : ce vers y est cité) mais sans traduction.
37VIII, 88. Le prêt « a usure » est deux fois évoqué par Hélinand : Vers, xxxii, v. 380, et l, v. 595.
38VIII, 91-96. La mention de la quantité de « pain » et de la qualité des « dras » comme éléments pour distinguer les riches des pauvres paraît dénoncer un emprunt à la str. xliii des Vers d’Hélinand : « Li mieuz vestu et li plus cras / çaus a peu pain et a peu dras… » (v. 505-506).
39IX, 103. Pour la métaphore du « mont d’orgueil », voir par ex. Le Dit de la Panthère, v. 631-640 : « Orgueil se maine haultement, / et Humilitez bassement ; / por tant puet estre comparee / Humilitez a la valee. / Par le mont aussi, sans mesprendre, / puet on le mont d’Orgueil entendre ; / honnie soit tele montaigne ! / Nulz n’i monte qui ne s’en plaigne. / Qui le mont d’Orgueil velt monter / entre les folz se peut conter » (Nicole de Margival, Le Dit de la Panthère, éd. B. Ribémont, Paris, Champion, 2000, p. 62).
40X, 109-110. Si l’image de la « fleur de virginité », représentant la Vierge (qui sera explicitement invoquée par Watriquet de Couvin : Despit, iii, v. 36, et x, v. 119), est assez courante au Moyen Âge (et jusqu’à l’époque moderne), celle du « fruit de virginité » est beaucoup moins fréquente. En référence au Christ, elle apparaît par ex. chez le cistercien Aelred de Rievaulx (« De fructu virginitatis eius melius est silere quam dicere, quia nihil inde digne dicere possumus… » : voir Aelredi Rievallensis Sermones i-xlvi. Collectio Claraevallensis prima et secunda, éd. G. Raciti, Turnhout, Brepols, 1989, xxxix, De annuntiatione domini 5, 65-66).
41XI, 132. « Qui » vaut « cui ». Pour « atendre », « mit sächl. subj. » (ici « tes marchiés », ‘le commerce avec toi’), voir les ex. donnés par TL, i, 632.
42XII, 133. « Hardiement », anc. pic. ‘sans hésiter’ (FEW, xvi, 155b).
43XIII, 152. « Ihesu Crist » reçoit parfois l’appellatif de « père » dans les textes médiévaux (voir TL, vii, 741), surtout dans les chansons de geste (D. Kullmann, « “Pere Jhesu”. Überlegungen zu einer theologisch bedenklichen Ausdrucksweise in den Chansons de geste », Literatur : Geschichte und Verstehen. Festschrift für Ulrich Mölk zum 60. Geburtstag, éd. H. Hudde, U. Schöning, F. Wolfzettel, Heidelberg, Winter, 1997, p. 221-238). En s’appuyant sur les rares occurrences latines (sermons, hymnes et autres textes liturgiques), Dorothea Kullmann démontre que l’emploi littéraire de cette appellation à partir du xiie siècle serait à relier à la posture du Christ dans la liturgie de la Passion, que le renforcement, sur le plan socio-politique, des liens de parenté au détriment des rapports féodaux et la propagande pour la Croisade auraient contribué à diffuser (p. 236-238).
44XIII, 154. La référence de l’expression « lieu amoureus et soutieu » (‘lieu d’amour et de raffinement’ ?) n’est pas évidente dans ce contexte.
45XIII, 155. La leçon « qui » du ms. est à interpréter « qu’i[l] » ; le pronom sujet de 3e pers. plur. ne peut que se référer ad sensum au sing. – mais logiquement plur. – « maint cuer » (v. 153).
46XIV, 158-159. Pour le proverbe (introduit, comme c’est souvent le cas pour les expressions parémiologiques insérées dans des œuvres littéraires, par la formule « l’en seut dire que … », v. 157) « qui a chetif seigneur sert / il en atent chetif loier », présent dans le répertoire de J. Morawski (Proverbes français antérieurs au xve siècle, Paris, Champion, 1925, no 1986), voir Thesaurus Proverbiorum Medii Ævi, t. II, p. 244 (« Dienen », § 8.11.4).
47XIV, 160-161. Voir Adam de la Halle, Vers d’Amours : « Amours, n’en puet aler sans perte / ki en ton service s’aherte » (xiv, v. 157-158).
48XV, 180. L’antécédent de « en » est « espoir » (v. 176).
49XVII, 201. L’image de dés signifiant les aléas du destin auquel l’homme est immanquablement soumis apparaît chez Hélinand (Vers, xv, v. 176-177 : « Si aport dez de deus et d’as / por vos faire jeter del mains » [c’est la Mort qui parle]) ; elle est ensuite systématiquement reprise par les auteurs de vers moraux (Robert le Clerc, Vers, xxxvii, v. 440, lxiv, v. 765, cxxxv, v. 1616, cxliii, v. 1705 ; Apostrophe au Cors, xvi, v. 181-183 ; Despisement du Cors, xii, v. 140-144). Pour l’emploi du champ métaphorique du jeu – notamment des dés – dans les poèmes en strophe d’Hélinand, voir M. Margani, « I dadi della Morte : metafore del gioco nella letteratura francese medievale », « Mort suit l’homme pas à pas ». Représentations iconographiques, variations littéraires, diffusion des thèmes. Actes du xviie Congrès international Danses macabres d’Europe, éd. A. Benucci, M.-D. Leclerc et A. Robert, Reims, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2016, p. 233-247.
Notes
1 Ce ms. a retenu l’attention de nombreux chercheurs et a été l’objet de plusieurs contributions portant sur différents aspects de sa structure ou de son contenu : voir, entre autres, L. Borghi Cedrini, « Per una lettura ‘continua’ dell’837 (Ms. fr. Bibl. Nat. di Parigi) : il Departement des livres », Studi testuali, 3, 1994, p. 115-166 ; O. Collet, « “Encore pert il bien aus tés quels li pos fu” (Le Jeu d’Adam, v. 11) : le manuscrit BnF f. fr. 837 et le laboratoire poétique du xiiie siècle », Mouvances et jointures. Du manuscrit au texte médiéval, éd. M. Mikhaïlova, Orléans, Paradigme, 2005, p. 173-192 ; S. Lefèvre, « Le recueil et l’œuvre unique. Mobilité et figement », Mouvances et jointures, éd. Mikhaïlova, p. 203-228. Cependant, une description satisfaisante de ce livre, dont le principe constitutif paraît être la brevitas des pièces (Lefèvre, « Le recueil et l’œuvre », p. 206), manque toujours. Pour la datation et la localisation du recueil, voir plus loin.
2 Le même intitulé est repris par la rubrique en écriture cursive ajouté tardivement en-dessus de la première ligne du texte (« Les vers du monde », fol. 208r).
3 Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des xiiie, xive et xve siècles, éd. A. Jubinal, Paris, Pannier, 1839-1842, t. II, p. 124-133.
4 A. Bernhardt, Die altfranzösische Helinandstrophe, Münster, Aschendorff, 1912, p. 11-13. Pour le texte du poème d’Hélinand : Les Vers de la Mort par Hélinant, moine de Froidmont, éd. F. Wulff et E. Walberg, Paris, Didot, 1905.
5 « Nach meinem Dafürhalten, haben wir es hier mit einem begabten Dichter zu tun » (Bernhardt, Die altfranzösische, p. 13). La seule référence ultérieure aux Vers du Monde se trouve, à notre connaissance, dans un autre répertoire critique de la littérature didactique et morale : C. Segre, « Le forme e le tradizioni didattiche », Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, vi/i, Heidelberg, Winter, 1968, p. 63.
6 Nous l’avons déjà fait, marginalement, dans une contribution précédente, dont nous reprenons ici quelques arguments et à laquelle nous renvoyons pour tout renseignement complémentaire sur les œuvres mentionnées dans le prochain paragraphe : F. Saviotti, « Le “rendite della morte” : i vers morali in strofa d’Hélinand », Rivista di storia e letteratura religiosa, 47, 2011, p. 237-255.
7 Robert le Clerc d’Arras, Les Vers de la Mort, éd. A. Brasseur et R. Berger, Genève, Droz, 2009.
8 Adam de la Halle, Œuvres complètes, éd. P.-Y. Badel, Paris, Librairie générale française, 1995, p. 412-415.
9 Au. Scheler, Dits de Watriquet de Couvin, Bruxelles, Devaux, 1868, xiv, p. 155-162.
10 K. Bartsch, La langue et la littérature françaises depuis le ixe siècle jusqu’au xive siècle : textes et glossaire, précédés d’une grammaire de l’ancien français par A. Horning, Paris, Maisonneuve & Leclerc, 1887, c. 547-554.
11 A. Långfors, « Li despisemens du cors (Bibl. Nat. fr. 25.462) », Romania, 40, 1911, p. 566-570. La seule mention du nom de Perrin la Tour se trouve dans la rubrique du ms. BnF, fr. 25462 (fol. 178r) qui en fait l’auteur du dit Du Mesdisant, précédant le Despisement du Cors dans le recueil : c’est pour cette raison que l’éditeur des deux pièces avance, quoique de façon très prudente, la possibilité que leur auteur soit le même.
12 Voir aussi Les Vers d’Amours d’Arras (Adam de la Halle et Nevelot Amion), éd. F. Saviotti, Paris, Champion, 2018, p. 82-83.
13 Pour la polysémie de vers dans la langue médiévale – selon le cas, « vers », « poème » ou bien « strophe » – voir P. Bourgain, « Qu’est-ce qu’un vers au Moyen Âge ? », Bibliothèque de l’École des Chartes, 147, 1989, p. 231-282.
14 Voir Robert le Clerc, Les Vers de la Mort, p. 74.
15 Voir « Watriquet de Couvin », Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, éd. G. Hasenohr et M. Zink, Paris, Fayard, 1994.
16 Voir Les Vers d’Amours, éd. Saviotti, p. 31-32.
17 Le sous-genre des « vers d’Amour » a connu un succès rapide et non moindre que celui des autres, si l’on considère l’imitation du poème d’Adam par son concitoyen Nevelot Amion et par l’amiénois Guillaume le Peintre avant la fin du siècle.
18 A. Bernhardt (Die altfranzösische, p. 13) semble croire notamment que la dernière strophe des Vers de la Mort a servi de modèle pour l’auteur des Vers du Monde. Cependant, il n’y a pas de correspondances textuelles évidentes qui peuvent supporter cette lecture et la même affinité peut se retrouver entre les Vers du Monde et d’autres passages de l’œuvre hélinandienne.
19 G. Gröber, Grundriss der romanische Philologie, ii/1, Strasbourg, Trubner, 1888, p. 696. Cette datation est reprise par Bernhardt, Die altfranzösische, p. 11-13.
20 Voir Lefèvre, « Le recueil et l’œuvre », p. 205.
21 Pour le détail de ces reprises, voir plus bas, les notes de commentaire aux vers.
22 Voir Les Vers d’Amours, éd. Saviotti, p. 111.
23 Bernhardt, Die altfranzösische, p. 11.
24 À la liste de Bernhardt, on ajoutera les indices suivants : 1) fŏcu > « fu » (v. 59 ; Ch.-Th. Gossen, Grammaire de l’ancien picard, Paris, Klincksieck, 1970, § 25, p. 78) ; 2) rime - ens / enz : indépendamment de la notation -s ou -z, l’affaiblissement de l’élément dental devant -s (t + -s > [s] ; Gossen, Grammaire, § 40, p. 94) permet de faire rimer « paiemenz » (< pacamentu + -s, v. 63), « venz » (< ventu + -s, v. 66), « parenz » (< parentes, v. 68), « pullenz » (< * putulentu + -s, v. 70) et, sans doute, « renz » (< renditas, v. 71) avec « sens » (< sensu, v. 67) ; 3) pron. suj. de 2e pers. sing. : « t’ » (< te, v. 40 ; Gossen, Grammaire, § 64, p. 123, n. 1) ; 4) emploi du verbe « (soi) aherdre », ‘s’attacher’ : « s’ahert » (v. 160 ; il s’agirait d’un mot régional picard-champenois : voir Ch.-Th. Gossen, « Les “mots du terroir” chez quelques poètes arrageois du Moyen Âge », Études romanes du Moyen Âge et de la Renaissance offertes à Jean Rychner, éd. A. Gendre, Ch.-Th. Gossen et G. Straka, Strasbourg, Klincksieck, 1978, p. 183-195).
25 D’où les divergences entre les chercheurs qui se sont penchés sur l’étude du ms. fr. 837 quant à l’origine (francienne ? normande ? septentrionale ?) de son copiste unique (voir Lefèvre, « Le recueil et l’œuvre », p. 205). D’ailleurs, on ne peut pas s’empêcher de remarquer qu’aucune des hypothèses avancées n’a été étayée par un dépouillement systématique des textes transcrits dans le recueil. Les tentatives de localisation de celui-ci à partir de la sélection et de l’organisation de son contenu (telle celle, arrageoise, que suggère quoique prudemment Collet dans « “Encore pert il bien” », p. 191-192) ne paraissent pas davantage fiables.
26 Il est à notre avis probable que même les Vers d’Amours aient été conçus dans et pour la Confrérie (voir Les Vers d’Amours, éd. Saviotti, p. 98-99).
27 Voir T. Matsumura, Dictionnaire de français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 2276 : ‘vie du siècle’. Il est à remarquer qu’Hélinand n’utilisait en ce sens que le mot « siecle » (par ex. : « Que vaut quanque li siecles fait ? / Morz en une eure tot desfait », Vers, xxviii, v. 1-2), qui en revanche manque au vocabulaire de l’auteur des Vers du Monde.
28 Il convient de remarquer que, malgré l’emploi commun de la strophe hélinandienne, notre texte ne démontre aucun rapport évident avec le genre arrageois des « congés », dont le thème prédominant est celui de la séparation du sujet de ses amis et concitoyens.
29 Voir, à propos de la simplicité calculée de la composition hélinandienne, M. Zink, « Rythmes de la conscience. Le noué et le lâche des strophes médiévales », La conscience de soi de la poésie. Poésie et rhétorique, éd. O. Bombarde, Paris, Lachenal et Ritter, 1997, p. 59-62.
30 Watriquet de Couvin, un demi-siècle plus tard, suivra cet exemple dans son Despit du Monde.
31 Voir J. Cerquiglini-Toulet, « Le clerc et l’écriture : le “voir dit” de Guillaume de Machaut et la définition du dit », Literatur in der Gesellschaft des Spätmittelalters, éd. H. U. Gumbrecht, Heidelberg, Winter, 1980, p. 151-168.
32 « Die Reime sind häufig reich und leoninisch, auch homonyme sind anzutreffen » (Bernhardt, Die altfranzösische, p. 13).
33 Voir L. Seláf, « La Strophe d’Hélinand : sur les contraintes d’une forme médiévale », Formes strophiques simples / Simple Strophic Patterns, éd. L. Seláf et al., Budapest, Akadémiai Kiadó, 2010, p. 73-92, aux p. 86 et 88.
34 Il faut pourtant remarquer que la faute intéressant le dernier mot de la strophe – dans le ms. nous lisons « releveroit », mais cette forme fausse manifestement la rime – n’assure pas quant à la terminaison « riche » du vers 144, qui demeure tout de même statistiquement probable.
35 L’idée de « ’correzioni mentali’, proposte al lettore e non imposte al testo » est développée, bien que dans un cadre différent du nôtre, par C. Segre, « La critica testuale », XIV Congresso Internazionale di Linguistica e Filologia Romanza, éd. A. Varvaro, Napoli, Macchiaroli, 1978-1981, t. I, p. 493-499, à la p. 496.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Federico Saviotti, « « Du monde qui fet a reprendre » », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 36 | 2018, 23-48.
Référence électronique
Federico Saviotti, « « Du monde qui fet a reprendre » », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 36 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/16117 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.16117
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