La logique de la citation dans le Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise (1581) de Claude Fauchet
Résumés
Le livre ii du Recueil de Claude Fauchet (1581) peut être considéré comme la première anthologie française de poésie médiévale. Tirant profit de la mode des anthologies ou des recueils de poésie moderne, mais aussi d’un changement (propre à la fin du xvie siècle) dans le régime de l’« allégation », l’auteur, malgré l’urgence dans laquelle il compose son œuvre, sélectionne et dispose ses citations selon une typologie, une fonctionnalité et des modes d’insertion précis que cette étude s’attache à analyser.
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- 1 Voir Claude Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Plus l (...)
- 2 Recueil, p. 128 : « Jehan de Nostredame qui a escrit des poetes Provençaux, fait ce mesme conte de (...)
1Si le livre II du Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise de Claude Fauchet1 peut être légitimement considéré comme la première anthologie française de poésie médiévale, c’est notamment parce que Fauchet prend soin d’y citer, parfois longuement, un texte poétique inédit – ou inouï – qu’il veut donner à lire, ou à entendre, pour la première fois. En ce sens, le recueil se distingue par exemple des Vidas des troubadours, dont la tradition renaît pourtant à la fin du xvie siècle, notamment à travers Les vies des plus celebres et anciens poetes provensaux de Jean de Nostredame (Lyon, Alexandre Marsilli, 1575), un ouvrage que Fauchet mentionne – sans doute pour mieux s’en écarter – à propos du Châtelain de Coucy2. Mais si cette forte présence du texte médiéval confère à l’ouvrage de Fauchet toute sa valeur, le statut ou la fonction de la citation n’est pas toujours, dans le détail, facile à déterminer : longue ou brève, assortie de remarques ou simplement insérée, proposée en version originale ou (plus rarement) réécrite, la citation poétique relève d’une logique d’ensemble qui échappe d’abord un peu au lecteur du Recueil, entièrement dépendant des choix d’un premier lecteur – Fauchet lui-même – motivés à la fois par un goût personnel, les aléas de lecture des manuscrits et un fort sentiment d’urgence : citer le texte médiéval, c’est d’abord, dans un geste salutaire, le sauver d’une disparition certaine.
- 3 Sur l’importance de ce « travail », voir A. Compagnon, La seconde main ou le travail de la citatio (...)
- 4 Voir Compagnon, La seconde main, p. 279-313. Le caractère radicalement nouveau du rapport de Monta (...)
- 5 Voir A. Moss, Les recueils de lieux communs : apprendre à penser à la Renaissance, trad. P. Eichel (...)
2En ce sens, le Recueil de Fauchet participe bien du mouvement général de réévaluation de l’autorité de la citation à la fin de la Renaissance, la subordination à son emprise dogmatique étant atténuée ou même contestée par la valorisation ostensible du « travail de la citation », cette activité concrète de sélection critique (dans la lecture), de découpage et de collage qui permet au citeur d’assurer une nouvelle forme de mainmise sur le texte cité, et de s’investir pleinement comme sujet dans cette action3. De manière significative, le Recueil de Fauchet paraît un an après la première édition des Essais de Montaigne (Bordeaux, Simon Millanges, 1580), exemple même de cette nouvelle liberté de l’auteur-citeur4. Et l’ouvrage peut également être lu à la lumière du succès grandissant des recueils de lieux communs, qui traduit un goût renouvelé pour la citation – même s’il s’agit dans ce cas d’une culture scolaire et antique – associé à des pratiques privées de lecture et d’écriture5.
- 6 Sur Fauchet « historien de la littérature », voir la contribution de S. Menegaldo dans le présent (...)
3Mais ce « travail » à la fois fébrile et méthodique de la citation est indissociable de l’objectif précis que s’est assigné Fauchet : ce dernier est d’abord un « antiquaire », et sa manière de puiser dans les textes et d’en isoler des extraits révèle un discours singulier et reflète un regard neuf d’historien polyvalent – historien des institutions et de la société, de la langue et surtout de la littérature médiévales6. Bien plus, cette logique citationnelle recouvre un certain nombre d’enjeux relevant à la fois de l’écriture de l’Histoire et du discours sur la poésie, deux « disciplines » qui évoluent de façon importante au xvie siècle (notamment dans leur manière de citer) et que Fauchet parvient à croiser de manière originale dans son ouvrage. L’intérêt du Recueil de 1581 réside donc tout autant dans la production d’un discours (historique) par la citation que dans celle d’un discours (théorique) sur la citation. Après avoir éclairé les enjeux de l’ouvrage dans son dialogue à distance avec les grandes questions relatives au renouvellement de l’écriture de l’Histoire et à l’émergence d’un discours théorique actualisé sur la poésie, on évaluera les différentes modalités de la citation en rapport avec la composition même du Recueil avant de proposer une première typologie des citations susceptible d’éclairer le labeur de « seconde main » propre à l’« antiquaire ».
De l’écriture de l’histoire au discours sur la poésie. Les nouveaux enjeux de la citation
- 7 Voir Cl.-G. Dubois, La conception de l’histoire en France au xvie siècle (1560-1610), Genève, Slat (...)
- 8 Voir F. Lemerle, La Renaissance et les antiquités de la Gaule : l’architecture gallo-romaine vue p (...)
- 9 Voir E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse : naissance l’« histoire littéraire » française aux xvie(...)
- 10 Voir D. R. Kelley, Foundations of Modern Historical Scholarship : Language, Law and History in the (...)
- 11 Voir Claude Fauchet, Origines et dignitez des magistrats de France, Paris, Jérémie Périer, 1600, « (...)
- 12 Voir Recueil, p. 37 et 32-37 (chap. iv), 40 et 47 (chap. v), 73, 74, 77, 79-80 (chap. viii). Pour (...)
4L’originalité du Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise repose sur l’articulation étroite d’enjeux historiques et poétiques. De fait, l’usage de la citation chez Fauchet doit d’abord être interrogé en rapport avec trois phénomènes relatifs au vaste mouvement de renouvellement de l’écriture de l’Histoire à la fin du siècle7. Le premier concerne la promotion de l’« antiquité » comme objet d’étude du passé national (antiquité essentiellement gauloise ou gallo-romaine, et plutôt urbaine), c’est-à-dire d’un signe tangible, d’une trace manifeste des temps anciens8 : dans cette perspective, le texte poétique cité apparaîtrait chez Fauchet comme une véritable « antiquité médiévale », un « monument » du Moyen Âge – souvent en ruines, comme les manuscrits abîmés qu’il cherche à sauver – susceptible d’une authentique redécouverte. Un autre phénomène important est l’émergence de l’histoire littéraire dans le champ général de l’Histoire9 : la citation aurait dès lors pour fonction de rétablir un continuum historique de la poésie française, de construire concrètement son archéologie en évitant toute solution de continuité. Le troisième phénomène, peut-être le plus difficile à appréhender, concerne le renouvellement global du régime de l’exemplarité dans l’écriture de l’Histoire, dans le passage (progressif) du paradigme antique au paradigme médiéval10 : non seulement Fauchet privilégie le Moyen Âge dans sa quête des sources, mais il est surtout l’un des tout premiers à légitimer la citation littéraire comme exemple historique, le texte poétique comme document licite pour l’Historien11. C’est cette fonction de « preuve » qui est mise en évidence dans les citations poétiques du livre I, lesquelles informent tour à tour sur l’histoire de la langue française (sur la réalité du « roman ») et les étymologies (chap. iv), sur l’histoire des idées (chap. v), sur la pratique des jongleurs et la spécificité française de la rime « léonine » (chap. viii), avec le souci constant, chez Fauchet, de mettre en évidence le prestige de la langue, de la poésie et de la culture françaises – par rapport aux Latins bien sûr, mais surtout aux Italiens et à toutes les autres cultures romanes12.
- 13 Voir S. Kovaks, « Formes de médiation du texte littéraire : usage de l’anthologie imprimée au xvie(...)
- 14 Voir Gilles Corrozet, Le parnasse des poëtes françois modernes : contenant leurs plus riches & gra (...)
- 15 Voir M. Clément, « Mettre en vers français une poétesse latine. Proba Falconia à Lyon en 1557 », A (...)
5À côté de ces liens étroits à une « nouvelle Histoire », le Recueil entre en résonance avec un discours, lui aussi renouvelé, de promotion de la poésie. Dans ce cadre, l’usage que fait Fauchet de la citation, dans le livre II notamment, se distingue à la fois par son originalité (le Recueil est un objet unique en raison de la place accordée au Moyen Âge) et par une certaine filiation avec trois pratiques éditoriales remarquables. La première est celle de l’anthologie de poésie. Comme collection de citations, le Recueil semble en effet profiter de la vogue des anthologies poétiques, depuis le Jardin de plaisance de la fin du xve siècle jusqu’au Parnasse des plus excellents poètes de ce temps et aux Muses françaises du début du xviie siècle13 : Fauchet tire visiblement profit de cette mode pour valoriser la poésie médiévale, désormais placée sur le même plan que la poésie moderne et sujette aux mêmes modalités de lecture. La mise en lumière des « poetes François, vivans avant l’an m. ccc. » paraît ainsi répondre de loin à l’anthologie des « poëtes françois modernes » de Gilles Corrozet publiée dix ans plus tôt, l’objectif étant chez l’un et l’autre de puiser « sentences » et « descriptions » dans un fonds poétique national, passé ou présent14. L’anthologie de Fauchet rappelle aussi la pratique et l’édition de centons, un genre également très apprécié des juristes, comme le prouve la publication par le jurisconsulte Pardoux Duprat de l’Amas chrétien, ou extrait(s) de la poésie de Virgile accommodés aux vieux et nouveau testaments (Lyon, Jean D’Ogerolles, 1557), une version française du centon virgilien de la poétesse chrétienne Falconia Proba15. Certaines citations du Recueil relèvent en effet de cette pratique de la mosaïque exemplaire, notamment quand Fauchet se plaît à identifier des formules gnomiques, qu’il présente en guirlandes, chez les auteurs de romans ou de chansons de geste.
- 16 Sur les enjeux liés à la notion de « recueil », voir Réforme, Humanisme, Renaissance, 62, 2006 (« (...)
- 17 D’après A. J. Greimas et T. M. Kane, Dictionnaire du moyen français, Paris, Larousse, 1992, p. 536 (...)
- 18 Voir Recueil, « Au Roy de France et de Polongne », p. 3 : « Aussi est-ce la cause qui m’incite à v (...)
- 19 Voir Recueil, p. 87 (à propos des mots desrocher et periller chez Jehan le Nevelon) : « Car si nou (...)
6Plus généralement encore, le titre choisi par Fauchet fait écho au genre – et surtout à la pratique éditoriale – du « recueil de poésie », qui dépasse celle de l’anthologie16. Si l’idée de recueil semble devoir être appliquée strictement à la première partie (Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et roman), elle semble bien aussi éclairer la seconde, malgré son apparente dimension de simple liste [d]es noms et sommaire des œuvres de CXXVII poetes françois vivans avant l’an MCCC. Certes, la seule mention des « noms » de poètes (largement inconnus) et la pratique du « sommaire » (du résumé) sont en soi essentielles pour mettre en lumière ce corpus presque totalement étranger à la culture du temps ; mais cette seconde partie fait bien plus que donner des « noms » et « sommaires » : en multipliant les citations, Fauchet organise un vrai « recueil de poésie médiévale », dans tous les sens que le verbe recueillir peut couvrir au xvie siècle : « rassembler » (des troupes en particulier), « accueillir » (voire « mettre à l’abri »), « ramasser », « récolter » ou « adopter » (notamment une langue17). Or, si deux des principales occurrences de « recueil » dans le livre renvoient bien à la nécessité d’un « rassemblement » (celle d’une sorte de force culturelle, pour la « gloire » du royaume de France18) ou à la possibilité d’une « adoption » (celle d’un potentiel linguistique indiscutable, pour l’enrichissement de la langue française19), l’usage métapoétique que fait Fauchet du verbe « recueillir » à l’articulation des deux livres souligne avec force l’exigence d’un regroupement de ce qui était auparavant dissimulé, dispersé et destiné à une perte irrémédiable :
Voyla ce que je puis dire de la ryme quant à present, & jusques à ce que j’en aye plus grande certaineté : laissant à juger aux lecteurs si l’etymologie de Leonine est bien prouvee ou non. Car n’estant moymesme raisonnablement satisfait pour ce regard, je ne conclu rien, & suffit, que suivant ma devise, J’ai recueilli ce qui estoit espars et delaissé : ou si bien caché, qu’il eust esté malaisé de le trouver sans grand travail (Recueil, p. 81).
- 20 Cette définition du « recueil » comme mode de rassemblement provisoire d’une œuvre à la fois dispe (...)
- 21 Voir Adrian d’Amboise, Discours ou traicté des devises, Paris, Roulet Boutonne, 1620 : « Le Docte (...)
7Le « recueil » permet littéralement de révéler le patrimoine poétique médiéval, de mettre en lumière ce qui était resté « si bien caché20 ». Loin de répondre à une simple fonction de remplissage ou de divertissement, les citations « recueillies » dans le livre II accomplissent véritablement la devise de Claude Fauchet : Sparsa et neglecta coegi21. De même, l’apparente modestie de la conclusion de l’ouvrage ne doit pas tromper :
Et à ce propos j’ose bien asseurer, que des Journaux de simples gens, m’ont tellement aidé en aucuns endroits d’histoire, que je ne puis appeller gastepapiers, ceux qui fidellement recueillent les choses de marque : quelque mauvais ordre ou langage dont ils usent. Ce qui me donne esperance que ce recueil, tout lourd qu’il est, sera bien receu de ceux qui desirent s’informer de l’ancienne Poesie, ryme & Romans François (Recueil, p. 209).
- 22 D’après Greimas et Kane, Dictionnaire du moyen français, p. 233.
8À la forme active, informer conserve au xvie siècle son sens étymologique de « façonner » (« donner une forme ») voire, selon l’usage le plus fréquent, « nourrir », le sens de « mettre au courant » ne venant qu’ensuite22. Désirer « s’informer » de l’« ancienne Poesie », c’est bien vouloir s’en imprégner, en être marqué et modelé. C’est assurément à une initiation (au sens fort) à la poésie médiévale que Claude Fauchet invite son lecteur, initiation dont l’efficacité réside paradoxalement dans l’abondance parfois désordonnée des citations. De fait, la connotation péjorative de l’adjectif « lourd » ne doit pas masquer la revendication d’une copia informative, à laquelle il faut fructueusement confronter le lecteur, littéralement plongé dans cet inédit « recueil de Poetes ».
- 23 Sur l’exemple de l’Art poétique de Thomas Sébillet, voir supra n. 19. La mode du recueil bipartite (...)
9La bipartition du Recueil s’en trouve donc pleinement justifiée : comme dans certains arts poétiques du xvie siècle, celui de Thomas Sébillet notamment, l’exposé théorique est naturellement complété par un « recueil » des meilleurs vers, à la fois invitation à la lecture et incitation à l’écriture23. Les quelques citations poétiques du livre I relèvent bien de l’allégation, de l’argument d’autorité. En fondant la légitimité du texte poétique médiéval, elles aident à préparer la lecture du livre II, auquel il faut désormais ajouter le plaisir de la lecture par la manifestation pleine d’une copia et d’une varietas. La composition éditoriale du Recueil permet donc à Fauchet d’établir une analogie implicite entre la poésie médiévale et la poésie moderne françaises, toutes deux également susceptibles de prendre la forme d’anthologies « exemplaires ».
Composition d’ensemble du livre ii : un « lourd » recueil de citations
- 24 Voir Compagnon, La seconde main, p. 15-45. Pour une vue d’ensemble de ces citations du Livre II, v (...)
- 25 Sur ce « Parnasse » des poètes médiévaux, voir la contribution de S. Menegaldo dans le présent dos (...)
- 26 Cinquante-sept notices ne proposent aucune citation de l’auteur mentionné : no 7, 27, 31, 32, 35, (...)
- 27 Sur la « lourdeur » (ou copia) du Recueil, voir supra. L’atténuation de l’érudition par la variété(...)
- 28 Nous nous contentons de résumer la très claire analyse de ces trois critères de composition et du (...)
10Il convient dans un premier temps d’observer la composition d’ensemble du livre II et d’apprécier les différentes modalités d’insertion des citations dans le texte, afin de mieux cerner d’une part les centres d’intérêt de Fauchet dans sa lecture de la poésie médiévale, et d’autre part son travail de sélection, de découpage et de collage24. Les cent-vingt-sept poètes recensés dans ce livre II ne sont assurément pas traités de manière égale : certains suscitent visiblement une forte curiosité et un intérêt souligné ; d’autres sont mentionnés en passant25. Tous ne sont pas cités, loin s’en faut26, et la composition de ce livre met surtout en lumière à la fois une sorte d’urgence (peut-être mise en scène ?) et une forme d’improvisation : Fauchet cite au fil de la plume, pratique la digression ou insère des anecdotes – sans doute pour rendre la lecture plus agréable, en jouant sur les principes de varietas et de brevitas, destinés à compenser ce que l’auteur perçoit comme une « lourdeur » d’ensemble27. Mais d’une manière générale, l’antiquaire cherche à rester le plus lisible et le plus clair possible dans son projet. Trois principes d’organisation générale sont mêlés dans le livre II : un classement chronologique, un classement selon les manuscrits que l’auteur a eus sous les yeux – notamment quand il n’en est pas lui-même le propriétaire et qu’il doit en tirer profit rapidement –, et un classement par genres28.
- 29 Voir Recueil, p. 116-117, où Fauchet relate sous forme d’anecdote la découverte de ce « livre » da (...)
- 30 Voir Recueil, p. 183, où Fauchet évoque le « livre […] en la possession de monsieur Matherel Advoc (...)
11Si le classement chronologique est globalement dominant, c’est que Fauchet raisonne d’abord en historien de la poésie, et une citation permet souvent – et d’abord – de dater un texte. La chronologie permet de rendre plus lisible une généalogie de la poésie française et de souligner discrètement des évolutions linguistiques. La liste s’ouvre sur Wace (mort vers 1180) et se ferme sur Jean de Meun (mort vers 1305) et Pierre Gentien (mort vers 1298). Mais en réalité, cette logique chronologique, d’abord efficace (notices 1 à 13) est mise à mal par la difficulté à dater les textes (notice 14), et d’autres modes de classement prennent alors le relais. Le premier mode est celui de l’ordre imposé par un manuscrit, Fauchet se contentant alors de suivre la succession des auteurs. En effet, la section de lyrique courtoise correspond à la lecture d’un manuscrit emprunté à Henri de Mesmes (dit « chansonnier de Mesmes ») aujourd’hui perdu (notices 15 à 82)29 ; la première section « mêlée » (mais largement dominée par les fabliaux) correspond pour la plus grande part au ms. BnF, fr. 1593, et ponctuellement au fr. 837 (notices 83 à 102) ; enfin, la section des jeux-partis correspond à un manuscrit appartenant à Antoine Matharel, aujourd’hui ms. Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 1522 (notices 103 à 115)30. Le classement générique, qui apparaît ponctuellement, est souvent dicté par l’organisation des manuscrits. Fauchet a une idée globalement claire de la spécificité des genres médiévaux, même si certaines distinctions lui échappent, comme celle qui oppose roman et chanson de geste, lesquels composent, avec la « satyre », un premier ensemble (notices 1 à 14). Vient ensuite une longue section consacrée à la lyrique courtoise, de Thibaud de Champagne et Gace Brulé (mis en vedette) aux trouvères mentionnés dans le Roman de Guillaume de Dole de Jean Renart (notices 15 à 82). La suivante est une section « mêlée », déjà évoquée, où dominent les récits brefs, essentiellement des fabliaux (notices 83 à 102). Enfin, une section consacrée au seul genre du jeu-parti (notices 103 à 115) précède une dernière section « mêlée » mentionnant romans, fabliaux, un lai (que Fauchet n’identifie pas comme tel) et une satire, section qui s’achève sur Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meun pour d’évidentes raisons de notoriété (notices 116 à 127).
- 31 Le premier centon de trois vers, tirés du Roman d’Alexandre (notice 5 sur Jehan le Nevelon) soulig (...)
- 32 Voir Recueil, [alléguer], p. 81-82 (livre I : « […] comme les vers pris des vieils Romans d’Alexan (...)
- 33 Voir par exemple Recueil, p. 88-92, l’usage particulièrement révélateur de ce procédé dans l’encha (...)
- 34 Voir par exemple Recueil, p. 99 (notice 10 sur Chrétien de Troyes) : « Il appert que ledit Christi (...)
- 35 Voir par exemple Recueil, p. 82 (notice 1 sur Wace) : « C’est pourquoy pourquoy je suis contraint (...)
- 36 Voir par exemple Recueil, p. 82-83 (notice 1 sur Wace) : « Je ne sçay pas quand ce m’Wistace mouru (...)
- 37 Voir par exemple, outre la fin de la citation du Tournoi de l’Antéchrist mentionnée supra n. 35, R (...)
12Un certain nombre de traits sont communs aux modes d’insertion des citations, et à leur encadrement. Fauchet utilise systématiquement les guillemets, qui n’ont évidemment pas ici de valeur gnomique, comme c’est souvent le cas au xvie siècle : il s’agit bien de mettre en valeur la citation en tant que telle, au cœur du discours. L’usage fréquent de l’esperluette, qui signale à la fois le travail d’addition synthétique (&) et l’ouverture possible vers d’autres citations (&c.), laisse percevoir tout le potentiel de la poésie médiévale – tout en invitant implicitement à poursuivre un travail par définition simplement ébauché31. Fauchet ne parle évidemment pas de « citation » ou d’action de « citer » (dont les sens de sommation/sommer restent exclusivement juridiques au xvie siècle), mais utilise indifféremment les binômes « remarquer »/« extraire » ou plus simplement « trouver »/« mettre », mais aussi plus significativement « alléguer » à l’articulation des deux livres, dans une sorte d’effet d’annonce32. Aucune citation n’est introduite abruptement : en multipliant les expressions comme « l’autheur/il dit », « il dit encores », « il adjouste », « disant », « il nomme », etc. Fauchet finit par faire littéralement entendre la voix du poète médiéval33 ; le mode d’insertion peut aussi soit souligner la valeur de preuve de la citation (« ainsi qu’il appert par ces vers », « ainsi qu’il est clair par ces vers », « tesmoins ces vers », etc.34) soit identifier un lieu clé pour la lecture, l’« antiquaire » s’intéressant naturellement aux mines d’informations que sont les incipit (« leur livre commence », « commençant », « il commence ainsi », « la première chanson commence », « lequel commence », « il dit au commencement », etc.35) et les explicit (des expressions équivalentes, moins nombreuses cependant, identifient les épilogues36), y compris pour les formes brèves. De la même manière, une citation est souvent suivie de sa justification, qui fait alors apparaître la motivation du citeur en des formules généralement appuyées (« ce dernier vers me fait dire », « j’ay voulu transcrire ces vers […] pour monstrer », « je devine par ces vers », « je n’ay pas trouvé [à partir de tel vers] », « ce qui me fait plus dire » etc.37).
- 38 Voir Recueil, p. 164-166 (notice 86), 167-169 (notice 88) et 170-179 (notice 89), la réécriture en (...)
- 39 Voir par exemple la présentation (emblématique) qui est faite de la poésie de Robert de Blois, pre (...)
- 40 Dans la section des jeux-partis (notices 103 à 115), Fauchet compense l’absence de citation par la (...)
- 41 Voir par exemple Recueil, p. 183 (sur l’usage du mot « dosnoyer » dans la notice 103) : « Ce Frere (...)
13Ainsi Fauchet mêle-t-il sans cesse sa voix à celle des poètes qu’il entend faire connaître. De fait, il y a trois niveaux énonciatifs dans le livre II : le discours de Fauchet lui-même, la citation (à la fois typographiquement autonome et toujours source de commentaire) et un niveau intermédiaire correspondant soit à la réécriture-paraphrase (autre genre prisé à la fin du xvie siècle) reposant souvent sur un dérimage38, soit au résumé, notamment quand il s’agit de mettre en lumière les « matières » (topoï) de la poésie lyrique39 ou des jeux-partis40. Systématique dans ces deux dernières sections, l’effet de résumé est cependant diffus dans l’ensemble du livre II, traduisant sans doute ce que l’auteur avait appelé en titre le « sommaire des œuvres ». En mêlant ainsi les niveaux énonciatifs, Fauchet finit par ouvrir son propre discours aux vieux mots du français, montrant concrètement comment la citation, dans sa répétition, finit par marquer en retour le texte de l’« antiquaire », ce dernier étant soucieux de faire lui-même l’expérience du « renouveller41 ».
- 42 Voir Recueil, p. 134-136 (notice 23). Les 50 heptasyllabes de cette chanson sont introduits avec u (...)
- 43 Voir Recueil, p. 140-141 (notice 29). Les 42 heptasyllabes de cette chanson sont introduits par un (...)
- 44 Voir Recueil, p. 100-101 (notice 10 sur Chrétien de Troyes), à propos de la « description de Print (...)
- 45 Voir Recueil, p. 87 (Jehan le Nevelon), 101 (les « bons proverbes & sentences » de Chrétien de Tro (...)
- 46 Voir Recueil, p. 116-122 (notice 15) et p. 122-124 (notice 16). À propos du premier, Fauchet se re (...)
- 47 Voir par exemple Recueil, p. 108 (fin de la citation déjà mentionnée supra n. 35) et p. 122 : « J’ (...)
14Les citations proposées ne sont jamais longues : de un à une vingtaine de vers suivis au maximum – si l’on excepte les deux pièces lyriques citées intégralement (ou quasi intégralement), sans doute parce qu’elles se rapprochent le plus de ce qu’un lecteur du xvie siècle pouvait connaître et apprécier : la définition générale d’Amour dans la « bonne » chanson « Amors n’est pas, que qu’en die » de Moniot d’Arras42 ou les antithèses d’amour de la chanson « Qui bien veut amors descrivre » du « bon poete » Robert de Reims43. Quelle que soit la longueur de l’extrait, le choix du découpage dépend toujours d’un intérêt précis mais, chez Chrétien de Troyes par exemple, deux vers peuvent susciter un commentaire aussi enthousiaste que dix-huit44. C’est dans la première section (romans et chansons de geste) que Fauchet cite le plus, notamment Guiot de Provins (62 vers au total, probablement pour sa richesse encyclopédique) et Chrétien de Troyes (76 vers, sans aucun doute en raison de sa richesse d’invention). C’est dans cette section également qu’est le plus pratiquée la méthode du centon, pour mettre en valeur la beauté sentencieuse de la poésie narrative française45. Dans les autres parties du Recueil, les citations sont plus courtes mais pas nécessairement moins nombreuses. Dans la section lyrique, par exemple (notices 15 à 82), l’auteur cherche surtout à montrer en quelques vers à la fois la tonalité d’ensemble d’une chanson et un nombre suffisant de topoï courtois. Mais les notices consacrées à Thibaud de Champagne (55 vers de 9 chansons différentes) ou Gace Brulé (31 vers de 6 chansons) rendent manifeste un goût prononcé pour ces deux poètes, dont l’imaginaire lyrique est dans son ensemble bien restitué46. D’une manière générale, Fauchet associe toujours recherche d’équilibre et efficacité : chaque citation vise un effet précis, et une inhabituelle longueur appelle généralement une justification47.
- 48 Fauchet en appelle en effet à un lecteur ignorant (sans connaissance préalable de la langue médiév (...)
- 49 Il n’est évidemment pas question de faire ici le relevé de ce lexique traduit, mais cette étude re (...)
- 50 Voir Recueil, p. 157 (passage cité supra n. 48).
- 51 Voir Recueil, p. 87-88 : « […] ces vieux autheurs [= médiévaux], dont maintenant j’escri les vers,(...)
- 52 Voir Recueil, p. 98 (à propos du Conte du Graal de Chrétien de Troyes) : « Il y a deux ans qu’alla (...)
- 53 Voir J. G. Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son œuvre, Paris, Droz, 1938, p. 115-217 (sur le(...)
15Deux grands principes dominent donc dans la manière dont Fauchet se met en scène comme citeur. D’une part, il ne laisse jamais le lecteur absolument seul devant l’étrangeté de la langue médiévale48 : presque toutes les citations sont l’objet d’un commentaire minimal (historique, esthétique ou lexical) et les termes jugés les plus éloignés de la langue du xvie siècle sont traduits dans des notes marginales49 ; bien plus, l’antiquaire réduit la distance avec son lecteur en avouant avoir été lui-même gagné par la lassitude après une lecture prolongée du chansonnier de Mesmes50. D’autre part, Fauchet dramatise son travail, en insistant sur l’idée d’urgence dans l’acte de « copier » des « traits » remarquables : il met en scène les tâches de copie, de coupe et de sélection au moment même où il les effectue51. La première fonction de la citation est de sauvegarder un patrimoine poétique menacé de dispersion ou de destruction ; et paradoxalement, le moindre extrait imprimé constitue une petite part de ce patrimoine inestimable sauvée de la voracité… des imprimeurs eux-mêmes52. En somme, copier et citer sont des activités qui relèvent d’abord (mais pas seulement) d’un « réflexe d’antiquaire53 ».
Typologie des citations
- 54 Sur la place de la citation à côté de la référence, du plagiat et de l’allusion, voir A. Bouillagu (...)
- 55 Ces fonctions sont indiquées dans la dernière colonne du tableau proposé en Annexe.
16Élaborer une typologie théorique des citations n’est pas chose aisée54. Une approche plus inductive, fondée sur les commentaires mêmes de Fauchet, sur ce qu’il dit de ses « motivations », permet de rassembler les citations du Recueil en quatre catégories ou fonctions, qui peuvent le cas échéant se recouper55 : la nomination-identification (pour identifier des auteurs à travers des noms, ou des œuvres à travers des titres), la datation-contextualisation (pour révéler une histoire et une anthropologie médiévales), l’invention-élocution (pour esquisser un « essai de poétique médiévale ») et la modélisation-actualisation (pour circonscrire, dans un esprit militant, un patrimoine poétique à exploiter).
Des noms d’auteurs : identifier l’auctorialité médiévale
Nom, origine, identité
- 56 Voir supra les n. 35-36.
17La première fonction de la citation est de faire apparaître des noms d’auteurs (le poète médiéval, à quelques exceptions près, étant encore un quasi inconnu), et si possible de donner à ces auteurs une épaisseur historique en cernant leur origine ou leur identité. Dès lors, la citation fonctionne comme une preuve biographique. Dès qu’il le peut, Fauchet cite les vers où apparaissent ce nom ou d’autres éléments biographiques, et la première notice (Wace) est en ce sens parfaitement exemplaire56. La restitution du nom est aussi inséparable de l’identification de titres d’ouvrages et d’une enquête sur la période d’activité de chaque auteur.
- 57 Ibid.
- 58 Voir Recueil, p. 89-90.
- 59 Voir Recueil, p. 197.
18C’est dans cette perspective que Fauchet cite souvent l’incipit ou l’explicit des romans, et il paraît sensible à cette particularité de l’œuvre médiévale – l’existence de prologues et d’épilogues, où l’auteur se présente et se met en scène, pour nommer et légitimer son projet57. Chaque détail biographique compte, même le plus ténu, par exemple l’état monacal de Guiot de Provins58. Fauchet cherche aussi à déterminer l’identité linguistique des auteurs : il se plaît notamment à distinguer le picard, comme dans le cas de Pierre du Riés, continuateur du Roman de Judas Macchabée59. Ces citations témoignent de la volonté de faire de l’auteur médiéval une figure concrète, engagée dans son temps – peut-être pour le distinguer des figures « mythiques » et idéalisées évoquées dans les vidas.
La sodalitas médiévale
- 60 Voir Recueil, p. 96.
19Mais Fauchet ne veut pas se contenter de donner des noms isolés, il veut inscrire les poètes dans des réseaux, et tente de cerner une sodalitas médiévale. Les citations mettent ainsi en évidence la manière dont les poètes médiévaux se nomment, se reconnaissent et s’estiment entre eux – comme, du reste, pouvaient le faire les poètes du xvie siècle. C’est dans cet esprit qu’est cité le passage du Tournoi de l’Antéchrist où Huon de Méry évoque Raoul de Houdenc60. Cette mise en évidence d’une « communauté des trouvères » apparaît surtout à travers deux phénomènes auxquels Fauchet est particulièrement sensible : la pratique de la continuation et le dialogue (à distance) entre poètes.
- 61 Voir Recueil, p. 83-85 (notices 3 sur le Roman d’Alexandre, 4 sur le Testament, et 5 sur une des c (...)
- 62 C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la « réhabilitation » de Clément Marot dans les(...)
- 63 Sur les jeux-partis, voir supra n. 40.
20La pratique de la continuation – ou de la collaboration – apparaît nettement dans l’étude du Cycle d’Alexandre, chez Godefroy de Leigni (continuateur de Chrétien de Troyes), chez Pierre du Riés (continuateur de Gautier de Belleperche), et bien sûr chez Jean de Meun (continuateur de Guillaume de Lorris61). Fauchet semble ici percevoir une spécificité de la poésie médiévale, d’autant plus intéressante ou symbolique à ses yeux qu’il ne cesse de réfléchir à l’histoire littéraire en termes de continuité – et non en termes de rupture, comme chez la plupart des poètes de la génération de 155062. Les dialogues entre poètes apparaissent nettement dans la section consacrée à la lyrique courtoise (où Fauchet distingue des échos d’une chanson à l’autre) et naturellement dans la section consacrée aux jeux-partis63.
Vers une « socio-poétique » médiévale : du trouvère au jongleur
- 64 Sur cette dimension, voir les remarques de S. Menegaldo à propos du « rôle des jongleurs » dans sa (...)
21Fauchet s’intéresse à la « jonglerie », c’est-à-dire à la pratique des poètes, à l’univers social où ils évoluent. Les citations permettent ainsi d’identifier non seulement des dédicataires et des protecteurs, mais aussi, parfois, des pratiques et les objectifs concrets de cette poésie. L’« antiquaire » peut être sensible à la valeur métapoétique ou réflexive de certains passages – un aspect également prononcé dans la poésie du xvie siècle64.
- 65 Recueil, p. 84.
- 66 Voir Recueil, p. 110, et le commentaire de Fauchet : « J’ay voulu mettre ces vers, & pour monstrer (...)
- 67 Voir Ronsard, « Ode au Roy » (1550), Œuvres complètes, éd. P. Laumonier, t. III, Paris, Didier, 19 (...)
- 68 Voir Recueil, p. 147-148 : « Colin Muset fut un joueur de violle, qui alloit par les cours des Pri (...)
22On pourra retenir trois exemples particulièrement significatifs. Le premier renvoie à la mention des onze premiers vers du prologue du Roman d’Alexandre, dans lequel Fauchet croit reconnaître la visée éthique de la poésie médiévale, à travers l’« intention des Trouverres [qui] estoit d’animer les seigneurs, & les encourager à la vertu, mais sur tout à la liberalité65 ». Dans une autre citation, dix-huit vers aujourd’hui perdus du prologue de Doon de Nanteuil, Fauchet constate l’inscription de la poésie comme performance dans une économie de l’échange et une logique de la rétribution66 – ce que Ronsard avait pu, en 1550, réaffirmer avec force dans sa conception d’une poésie « troque pour troq’67 ». Dans un dernier exemple, enfin, Fauchet se plaît à évoquer la figure concrète du joueur de vielle Colin Muset68.
Une curiosité d’historien : la poésie en contexte
L’obsession de la datation
23Dès la première notice, consacrée à Wace, Fauchet associe naturellement à l’identification de l’auteur la question de sa période d’activité ou de la datation de l’œuvre – une obsession constante chez l’« antiquaire ». De fait, il ne cesse de chercher des éléments permettant de situer un texte, et un grand nombre de citations fonctionnent comme des preuves chronologiques : la mention de personnages ou d’événements historiques, plus rarement de motifs anthropologiques ou de détails lexicaux sont autant d’indices temporels.
- 69 Recueil, p. 94.
24Un long passage, consacré à la datation de l’Estoire li Romans (sic) de Thibaut de Marly, que Fauchet trouve à la suite de la Bible de Guiot de Provins, est révélateur de la méthode privilégiée. L’auteur multiplie les courts passages pour mobiliser des indices lexicaux (par exemple le mot « beduin », inconnu « à nos François avant le voyage de Jerusalem ») et surtout historiques (les noms de nombreux personnages) afin de dater le texte, ce qu’il ne peut faire « pour le present » mais reste un objectif prioritaire : « [Thibaut de Marly] fait aussi mention d’autres [personnages], que je nommeray à fin de remarquer plus certainement le temps qu’il a vescu, s’il se trouve puis apres livre ou titre faisant mention de quelcun d’eux : ne le pouvant dire au vray pour le present69 ».
La poésie comme document
- 70 Voir supra n. 35.
25De fait, Fauchet n’hésite pas à considérer la poésie médiévale comme une source pour l’historien. Si cet usage de la source littéraire est davantage développé dans les ouvrages plus historiques, il est en quelque sorte expérimenté dans le Recueil de 1581, comme il l’avait été dans les Veilles de 1555. On a vu comment, avec une formulation significative, Fauchet citait longuement le prologue du Tournoi de l’Antéchrist d’Huon de Méry dans la mesure où ces vers « serv[aient] à l’histoire du temps70 ».
- 71 Voir Recueil, p. 97.
- 72 Voir Recueil, p. 161.
- 73 Voir Recueil, p. 160 (notice 82 à propos du ménestrel Hugues de Braie-Selve) : « Ces plaids & gieu (...)
26Mais les informations recherchées ne relèvent que rarement de la « grande histoire », elles intéressent plutôt la vie quotidienne au Moyen Âge, et ont une dimension davantage anthropologique. C’est dans cette perspective que Fauchet se plaît à rappeler comment Raoul de Houdenc a su « nomm[er] aucuns taverniers de Paris » et « remarqu[er] une coustume lors pratiquee […] en Bretagne » à travers deux brèves citations du Songe d’enfer71. Une simple citation poétique peut aussi rétablir une vérité historique : ainsi de l’hôpital des Quinze-Vingts, dont les pensionnaires « ne furent Chevaliers, comme l’on pense : ains quelques pauvres gens », comme le prouvent douze vers extraits du Dit des ordres de Paris de Rutebeuf72. Les informations évoquées, enfin, peuvent combiner un intérêt social et littéraire, à l’image de la tradition des « jeux sous l’ormel » mentionnés dans une page du Roman de Guillaume de Dole73.
Poésie et encyclopédie
- 74 Sur cette autre obsession du xvie siècle, voir J. Céard, « L’idée d’encyclopédie à la Renaissance (...)
- 75 Voir Recueil, p. 145-146.
27D’une manière générale, Fauchet considère ce corpus poétique comme une véritable « encyclopédie », comme la somme d’un savoir ancien – ou plutôt comme une source pour étudier l’histoire de ce savoir74. Mais s’il ne peut évidemment en montrer toute la richesse, les quelques exemples donnés sont destinés à convaincre le lecteur qu’il y a là une mine à exploiter – pour l’historien, pour le « curieux » des antiquités médiévales ou plus généralement pour quiconque veut défendre la « gloire » du nom français. Car le poète du Moyen Âge est souvent, aussi, un « homme de sçavoir », comme le montre par exemple l’usage du bestiaire chez Richard de Fournival75.
- 76 Voir Recueil, p. 91 : « J’ay appris de ce Guiot de Provins, le vrai nom. François de la pierre d’A (...)
28Là encore, ce sont surtout les détails qui comptent. Il s’agit moins, bien évidemment, d’offrir une étude de synthèse que de suggérer des pistes de travail pour l’avenir, en mettant le doigt sur des motifs étonnants ou amusants. C’est sans doute dans cet esprit qu’est présenté l’exemple de la « marinette », c’est-à-dire la boussole (ou « pierre d’Aimant »), chez Guiot de Provins76.
De l’inventio à l’elocutio médiévales : définir les goûts du temps
Identifier des sujets
- 77 Voir Recueil, p. 198-199 (notice 125 sur Guillaume de Lorris) : « Maistre Guilleaume de Lorris eut (...)
- 78 L’exemple le plus significatif est assurément le long développement sur l’alexandrin, le vers fran (...)
29Fauchet s’intéresse aussi à ce corpus en amateur de poésie. Il distingue des titres, des genres, et surtout une topique – c’est-à-dire une « matière », qui peut être l’objet de reprises et d’imitations77. Les citations ont donc pour fonction de fournir un premier répertoire des thèmes et sujets de la poésie médiévale : Fauchet s’intéresse à l’inventio des poètes, que la citation permet toujours de préciser. S’il y trouve à la fois des éléments inédits et des points communs avec la poésie renaissante, il s’agit surtout de montrer que ces poètes sont d’authentiques devanciers. Il raisonne toujours de manière nuancée en termes de rupture et de continuité, suggérant qu’il n’y a pas de cassure radicale entre le Moyen Âge et le xvie siècle78.
- 79 Voir supra n. 46.
30Fauchet parvient globalement à définir ces topiques en fonction des genres qu’il identifie. Mais la section consacrée à la lyrique courtoise est exemplaire dans la mesure où l’« antiquaire » y établit une liste de topoï avec un réel esprit de synthèse – peut-être pour la comparer implicitement avec celle de la poésie amoureuse renaissante, particulièrement riche et appréciée des lecteurs du temps. La longue notice inaugurale consacrée à Thibaud de Champagne apparaît vraiment comme un inventaire complet des thèmes relatifs à l’« art d’aimer » médiéval, mêlant l’analyse esthétique et l’information anthropologique79.
Du génie poétique au génie gnomique : « inventions » et « sentences » de la poésie médiévale
- 80 Voir supra n. 31. Mais il sait modérer son enthousiasme ; ainsi dit-il à propos du Tournoi des Dam (...)
- 81 Voir Lombart, « Une “défense et illustration” de la poésie française médiévale », passim. Fauchet (...)
31Fauchet rappelle, au moins une fois explicitement, qu’il est nécessaire de s’intéresser au « stil » des poètes80. Quand il évoque l’elocutio de la poésie médiévale, il utilise à la fois les termes de « traits » et « inventions », et ceux de « sentences » et « proverbes ». Les premiers renvoient incontestablement à l’idée d’un génie poétique français précoce, d’une capacité des poètes à mobiliser toutes les ressources de la langue et de la rhétorique (seconde). L’anthologie du livre II apparaît bien dès lors comme un « recueil », au sens de réservoir ou magasin de figures, même si la terminologie technique de Fauchet n’est pas aussi riche que celle des arts poétiques81.
- 82 Recueil, p. 111.
- 83 Voir Recueil, p. 105-106.
- 84 Sur l’usage de ce terme, voir Recueil, p. 88 (Guiot de Provins), 93 (Thibaut de Marly), 108 (Huon (...)
32L’identification de « proverbes » et de « sentences » rappelle l’intérêt suscité par les formes gnomiques dans le milieu robin auquel appartient Fauchet. Elle lui donne l’occasion, on l’a vu, de proposer quelques centons censés mettre en évidence l’existence d’un « esprit français ». Bien plus, ces « vieux auteurs » développent déjà, à travers leur œuvre, un discours sur la France, comme l’auteur de Doon de Nanteuil « qui par tout donne à la France l’epithete de douce France82 ». Cette spécificité est nettement mise en avant au sujet d’Herbert, le traducteur du Dolopathos de Jean de Haute-Seille, qui selon Fauchet « est tout plein de contes moraux & plaisans, de proverbes François & belles sentences » ; et de citer ensuite neuf vers sentencieux du roman pour relever surtout avec malice que « la deuxieme nouvelle de la iii. journee du Decameron de Bocace peut estre prise de cest autheur83 ». C’est la France qui inspire l’Italie. Et c’est peut-être cette capacité à être à la fois « plaisant » et « moral » qui explique le goût typiquement français pour la « satyre84 ».
La richesse lexicographique : l’ancien français « illustre »
- 85 Voir Recueil, p. 109 : « Il appelle en un endroit les espees acerines, qui est une epithete assez (...)
- 86 Voir par exemple Recueil, p. 112-113 : « Le mot de pailles signifie un riche drap de soye. Et en I (...)
33Fauchet relève un certain nombre de termes qui reflètent la richesse de l’ancien français, une langue assurément copieuse. Il repère des « epithetes » (en réalité une seule, particulièrement remarquable, chez Huon de Méry : « acerines » qui vient qualifier « espees85 ») et surtout des « mots » (des substantifs) qui suscitent toujours un commentaire historique et sémantique, dans un jeu de comparaison plus ou moins polémique avec le latin ou l’italien, pour contredire l’idée d’une infériorité du français par rapport à ces langues concurrentes86, confirmant les hypothèses théoriques du livre I. Ici comme ailleurs, l’essentiel est moins de proposer un tableau complet que de montrer une voie et une méthode – en s’appuyant sur une série de citations judicieusement choisies.
- 87 Voir Recueil, p. 101 et 114.
34Bien plus, les mots circulent d’un poète à l’autre – et parfois d’une période à l’autre. Utiliser Gace Brulé pour comprendre le sens du mot dois (« canal ») dans un passage du Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes ou Villon pour comprendre le sens du mot malfez (« diable ») dans un extrait de Gui de Nanteuil contribue à renforcer ce sentiment d’une communauté de textes au-delà des œuvres singulières87. Dans une époque soucieuse de développer la lexicographie, Fauchet invite implicitement à élaborer un dictionnaire du « vieux » français, que chaque citation pourrait venir illustrer.
Du trouvère au poète moderne : l’actualité médiévale
Initier le lecteur
- 88 Voir J. Céard, « Les transformations du genre du commentaire », L’Automne de la Renaissance (1580- (...)
35Le « recueil » de Fauchet n’est pas bilingue, et l’auteur a évidemment conscience de la difficulté que peut susciter la lecture d’un texte en ancien français. Pour autant, le fait même de citer les textes relève d’une initiation à la lecture du poème médiéval, que Fauchet souhaite réellement « pédagogique » : il cite de courts extraits, traduit les termes jugés incompréhensibles pour son lecteur, annote le texte cité quand il y a des difficultés et enfin le paraphrase ou l’explicite si nécessaire. Loin d’être une simple anthologie, il s’agit bien de la première anthologie « commentée », toutes proportions gardées, de poésie médiévale. Là encore, Fauchet adapte à son corpus médiéval une pratique éditoriale, et même un « genre » en soi, le commentaire88, destinée à valoriser et légitimer la poésie moderne.
Comparer des pratiques
- 89 Recueil, p. 86.
36Fauchet établit plus ou moins explicitement des comparaisons entre la poésie du Moyen Âge et celle de son temps, sans chercher à hiérarchiser les pratiques. En évoquant le principe (déjà médiéval) de l’alternance du genre des rimes, il constate que « Pierre de Ronsard prince de nostre poesie Françoise, & les autres venus depuis luy, [y] ont eu esgard89 », preuve flagrante d’une continuité des pratiques s’il en est. Fauchet s’efforce donc de montrer en quoi la poésie médiévale a été capable, en son temps, d’invention et d’innovation. Sa longue digression sur l’alexandrin, déjà évoquée, met en évidence comment ce vers est l’exemple même de ce qu’a inventé le « génie » français, mais bien avant Ronsard précisément. Car si l’alexandrin est un vers typiquement français, il est surtout ancien et porteur d’une gloire nationale.
Exploiter un patrimoine
- 90 Voir supra n. 19.
- 91 Recueil, p. 111.
37Non seulement le lexique mais le « stil » même de ceux que Fauchet appelle les « bons peres » et les « vieux autheurs » peuvent être fructueusement exploités par les poètes contemporains – et sans doute même au-delà du cercle des poètes. Le constat d’une copia de la langue française médiévale va de pair avec son exploitation (raisonnée). C’est le principe du « renouveller », que Fauchet invoque une première fois à propos du Roman d’Alexandre et des termes « desrocher » et « periller », réunis dans un même vers, susceptibles de ramener tout auteur français du xvie siècle à une certaine logique lexicographique dans sa quête d’une « illustration » de la langue vulgaire90. Du reste, ce regard raisonné sur le lexique ancien n’est pas forcément exempt d’un véritable enthousiasme dans la lecture, comme en témoigne cette remarque qui suit une longue citation de Doon de Nanteuil : « & par tout Peliçon hermin, lance fresnine, cendal pourprin, & autres mots de telle façon, dont lon peut user encores aujourdhuy91 ». Jamais évoquée dans le livre I, cette règle du « renouveller » est assurément au cœur du livre II, tout autant livre de lecture que de pratique.
Conclusion
- 92 Voir S. Morawski, « The Basic Functions of Quotation », Signe. Langage. Culture, éd. A. J. Greimas (...)
38Malgré son apparente « lourdeur » (assumée comme telle par Fauchet, du reste), la logique de la citation dans le Recueil de 1581, et dans le livre II notamment, repose sur le double objectif de l’efficacité et de la clarté. Fauchet cite massivement (pour assurer une imprégnation), mais par morceaux brefs (pour orienter le regard du lecteur). Chaque citation est toujours plus ou moins justifiée, et l’ensemble du livre II peut apparaître comme un guide de lecture pour l’apprenti lecteur de poésie médiévale. Si le classement par auteurs domine, plutôt qu’un classement par thèmes ou rubriques comme dans les recueils de lieux communs par exemple, il s’agit bien d’un premier pas vers l’organisation du « champ » de la poésie médiévale à travers un texte à la fois copieux et rendu à sa lisibilité. Et en adaptant son corpus à des habitudes de lecture remarquables (l’anthologie, le recueil ou le centon poétiques), l’« antiquaire » encourageait à « se frotter » à la poésie médiévale – une pratique désormais indispensable devant le risque de la perte irrémédiable de ces textes provisoirement sauvés par l’imprimé. En ce sens, l’anthologie de Fauchet assume bien la première et plus importante fonction de la citation : assurer et maintenir une « continuité culturelle92 ».
- 93 Sur cette tension, qui caractérise surtout le premier xviie siècle, voir B. Beugnot, « Dialogue, e (...)
39Il convient cependant de noter la situation à la fois intermédiaire et singulière de Fauchet dans sa pratique de la citation. Dans le Recueil, celle-ci n’est pas encore vraiment là pour nourrir un discours premier qu’il s’agirait de justifier (sauf ponctuellement dans le livre I), mais elle n’est pas non plus entièrement autonome ou distincte de ce discours, qui ne cesse de la mettre en valeur. L’originalité de Fauchet réside précisément, à travers son usage de la citation, dans la manifestation d’une nouvelle forme d’allégation en gestation. En sortant de la culture scolaire au sens strict, forgée par les recueils de lieux communs latins et grecs, en rompant avec un usage traditionnel de la citation comme reconnaissance d’une autorité figée, Fauchet projette aussi son lecteur vers un usage futur, sans doute à inventer, de la culture poétique médiévale. De fait, si dans le Recueil chaque morceau choisi est avant tout une citation savante, destinée à augmenter le savoir de l’« antiquaire », elle apparaît déjà un peu comme une citation plaisante, destinée à élargir une culture davantage « mondaine93 ». À condition bien sûr, après les premières étapes de la « cueillette » et de la « conservation », d’assurer pleinement la « greffe » qui rendra définitivement visible ce prometteur Jardin du Moyen Âge.
Annexe
Tableau des citations poétiques en langue vulgaire94
Livre I i |
Auteur |
Citations / œuvres |
Fonction de la citation |
iv, 27 |
[Non mentionné] |
Li Roman d’Alixandre, 3 v. |
[État de la langue romane vers 1150 par opposition au latin] |
Id., 32-33 |
Huon de Méry |
Le tournoi de l’Antechrist : 18 v. (incipit) |
[Le « gros François » mentionné par l’auteur est bien la langue romane] |
Id., 33-34 |
Herbert |
Dolopathos : 4 + 9 + 2 v. |
[« mettre en roman » signifie bien « mettre en français », à partir du latin] |
Id., 34 |
Lambert li Tors (non « Cors ») |
Li Roman d’Alixandre, 3 v. |
[Le « parler Roman » est maintenant « appelé François le plus poli »] |
Id., 35 |
« Le clerc Simon » |
Roman d’Alexandre : 7 v. d’un ms. perdu |
[Le « roman » est un langage français propre à Paris] |
Id., 36 |
Adenet le Roi |
Li Roumans de Berte aus grans piés : 9 v. |
[Les Hurepoix sont bien sujets du roi de France] |
Id., 36-37 |
? |
« le Roman de la conqueste d’outre mer » (Le chevalier au cygne) : 2 + 3 + 2 v. ; La chanson d’Antioche : 2 v. |
[Étymologie et sens du mot Hurepoix] |
v, 40 |
Rutebeuf (?) |
La complainte de sainte Église : 2 v. |
[Les docteurs en théologie sont appelés « devins »] |
Id., 47 |
Guillaume de Lorris |
Roman de la Rose : v. 702 (éd. Strubel, LGF) |
[Les Français ont depuis longtemps pratiqué le sonnet] |
viii, 73 |
Huon de Méry |
Le tournoi de l’Antechrist : 7 v. |
[Pratique des jongleurs] |
viii, 74 |
? |
Du chevalier à la robe vermeille [fabliau] : 9 v. |
[Pratique des jongleurs] |
viii, 77 |
? |
Des trois dames qui troverent l’anel [fabliau] : 8 v. |
[Rime française « consonante » et/ou « léonine »] |
viii, 77 |
Gautier de Belleperche |
Le Romans de Judas Macchabée : 3 v. (incipit) |
[Rime française « consonante » et/ou « léonine »] |
viii, 79 |
? |
Pour orgueilleux humilier [dit] : 6 v. |
[Rime française « consonante » et/ou « léonine »] |
viii, 80 |
Jean de Meun |
Roman de la Rose : v. 8691-8692 (éd. Strubel, LGF) |
[Exemple de rime léonine : « quand deux dictions sont semblables & de pareille consonance en syllabes » (Fabri)] |
viii, 80 |
? |
4 v. « allégués » par Pierre Fabri |
[Exemple de rime léonine] |
Livre II ii |
Auteur |
Citations/œuvres |
Fonction de la citation |
Chansons de geste et romans |
|||
82-83 |
Wace |
Brut : 7 (incipit) et 4 v. (explicit) |
[Nom de l’auteur + sujet : la généalogie des rois d’Angleterre + datation] |
83 |
Lambert li Tors [Alexandre de Bernay] |
Li Romans d’Alixandre : 3 v. |
[Nom et origine de l’auteur, donnés par le continuateur Alexandre de Bernay] |
83-84 |
Alexandre de Paris [Alexandre de Bernay] |
Idem : 3 + 11 v. (incipit). |
[Nom et origine de l’auteur + continuation/collaboration + pratique poétique] |
84 |
Pierre de Saint Cloot (ou Cloud) |
Le testament d’Alexandre : 2 v. |
[Nom de l’auteur] |
84-85 |
Jean le Nevelon (ou le Venelais) |
La vengeance Alexandre : 9 v. ; Li Romans d’Alixandre : 3 v. (centon) |
[Nom de l’auteur + continuation + digression sur l’alexandrin, p. 85-88] |
88-92 |
Guiot de Provins |
La Bible : 7 (incipit) + 4 + 4 + 4 + 4 + 8 + 1 + 8 + 4 + 6 + 5 + 5 + 2 v. |
[incipit : sujet de l’ouvrage ; autres vers : identité de l’auteur + datation/contexte + richesse encyclopédique] |
92-93 |
Blondel de Nesle |
Aucune citation |
|
93-96 |
Thibaut de Marly |
L’Estoire li Romans : 4 (incipit) + 3 + 1 + 2 + 2 + 14 + 8 + 3 + 3 + 3 (centon) |
[Sujet + datation/contexte + lien à un protecteur + lexique + « bonnes sentences »] |
96-97 |
Raoul de Houdenc |
Huon de Méry, Le Tournoi de l’Antechrist : 8 v. (mentionnent le Roman des ailes) Le songe d’Enfer : 2 (explicit) + 2 + 4 + 3 v. ; Meraugis de Portlesguez : 6 v. (explicit) |
[Communauté des trouvères] |
97-103 |
Chrétien de Troyes |
Huon de Méry, Le Tournoi de l’Antechrist : 5 + 12 v. (éloge) Le Roman du Graal : 13 + 6 v. (incipit) ; Le Chevalier au lion : 2 (« description du printemps ») + 18 (« description de l’ouye ») + 5 (« desconfiture de gens ») + 12 (centon de « sentences ») + 20 v. (incipit). Gace Brulé : 2 v. |
[Communauté des trouvères] |
103-5 |
Godefroi de Leigni |
Le roman de la charrette : 9 (explicit) + 11 + 17 v. (centon, « peine du mal » d’amour) |
[Nom de l’auteur + continuation + « belles inventions »] |
105-7 |
Herbert |
Dolopathos : 9 (incipit) + 3 (« proverbe ») + 6 (« sentence ») + 3 v. |
[Nom de l’auteur + translation + datation + dédicataire + « contes moraux & plaisans », « proverbes François & belles sentences »]. |
107-9 |
Huon de Méry |
Le tournoi de l’Antechrist : 2 + 27 (incipit) + 4 + 19 + 3 (explicit) + 2 v. (« epithete assez bon »). |
[Nom de l’auteur + identification + datation + « ces vers servent à l’histoire du temps »] |
109-11 |
Huon de Villeneuve (fausses attributions = Cycle de Nanteuil) |
Doon de Nanteuil : 18 (incipit, ms. perdu) + 9 + 11 v. (centons de « sentences ») ; Aye d’Avignon : 2 + 22 v. (centon) ; Renaut de Montauban : 2 v. ; Gui de Nanteuil : 26 v. (centon) ; Doon de Nanteuil : 2 v. ; Ciperis de Vignevaux : 30 v. (centon). + Villon : 4 v. (Ballade en vieil langage françois) |
[Nom de l’auteur (erreurs) + pratique poétique : « entree de ces Chanterres » + datation + « bonnes sentences & descriptions » + richesse lexicale à exploiter] |
Chansonnier de Mesmes |
|||
116-22 |
Thibaud de Champagne |
Chanson 1iii : 2 v. (incipit) ; ch. 2 : 2 + 8 v. ; ch. 4 : 7 v. ; ch. 5 : 8 + 3 v. ; ch. 6 : 1 v. (incipit) ; ch. 7 : 9 v. ; ch. 8 : 2 + 3 v. ; ch. 9 : 6 v. ; ch. 10 : 4 v. |
[Nom de l’auteur + datation + contexte + relevé de topoï propres à la lyrique courtoise : doux semblant, losengiers, châtiment d’amour, inconstance de la Dame, « il aime et la hait »…] |
122-24 |
Gace Brulé |
Chanson 1 : 1 v. (incipit) ; ch. 2 : 4 + 2 v. ; ch. 3 : 3 v. ; ch. 5 : 8 v. ; ch. 8 : 4 v. ; ch. 24 : 8 v. |
[Datation + contexte + relevé de topoï] |
124-30 |
Le Châtelain de Couci |
Chanson 1 : 1 (incipit) + 3 v. ; ch. 2 : 2 v. ; ch. 4 : 8 v. ; ch. 15 : 4 v. + 3 v. d’une chanson anonyme |
[Datation + contexte + relevé de topoï : les losengiers, l’amour de loin, la cruauté de la Dame…] |
130-31 |
Blondel de Nesle |
Chanson 3 : 5 v. ; ch. 6 : 2 v. ; ch. 8 : 3 v. ; ch. 10 : 9 v. |
[Contexte + relevé de topoï + « beaux traits »] |
131-32 |
Perrin d’Angicourt |
Chanson 15 : 4 v. ; ch. 22 : 10 v. |
[Datation + contexte + relevé de topoï] |
132-3 |
Thierry de Soissons (?) |
Chanson 2 : 9 v. ; ch. 4 : 5 v. ; ch. 5 : 3 v. ; ch. 9 : 2 v. |
[Datation + contexte + relevé de topoï] |
133-4 |
Thibaut de Blaison |
[5 chansons] Aucune citation |
|
134 |
Gautier de Dargies |
Chanson 6 : 3 v. ; ch. non id. : 2 v. + 3 v. de « Richard » |
[Contexte + Relevé de topoï] |
134-5 |
Moniot d’Arras |
5 premières strophes (sur 7) de la chanson « Amors n’est pas, que q’en die » (50 v.) |
[Chanson « bonne & belle »] |
136-8 |
Gilbert de Berneville |
Chanson 2 : 8 v. ; ch. 5 : 4 v. ; ch. 3 : 10 v. ; ch. 10 : 1 v. ; ch. 11 : 12 v. |
[Datation + contexte + relevé de topoï] |
138-9 |
Richard de Semilly |
3 v. (une chanson) |
[relevé de topoï] |
139 |
Vidame de Chartres |
Chanson citée dans Guillaume de Dole : 4 v. ; ch. 3 : 10 v. |
[« couples […] bonnes » ; « le dernier couplet (= ch. 3) mérite bien d’estre récité »] |
139-40 |
Robert de Blois |
Aucune citation |
|
140 |
Raoul de Ferrières |
Chanson 2 : 4 v. |
[relevé de topoï] |
140-1 |
Robert de Reims |
Chanson intégrale « Qui bien veut amors descrivre » : 42 v. |
[« Il a fait des antitheses d’amour »] |
141-2 |
Moniot de Paris |
Chanson 2 : 1 v. (refrain) Dit de Fortune : 3 v. |
[Contexte] |
142 |
Ode de la Courroierie (?) |
[5 chansons] Aucune citation |
|
142 |
Jean Erart |
Aucune citation |
|
142 |
Raoul de Beauvais |
6 v. (une chanson) |
[relevé de topoï + « assez bon poete »] |
143 |
Gautier d’Épinal |
Chanson 2 : 4 + 4 v. ; ch. 6 : 7 v. ; ch. 4 : 7 v. |
[relevé de topoï + « belles comparaisons », « chanson tresbelle & poetique »] |
143-4 |
Jacques d’Épinal |
1 chanson Aucune citation |
|
144 |
Jacques de Cysoing |
Chanson 3 : 12 v. |
[relevé de topoï courtois + « excellent poete »] |
144-5 |
Gautier de Soignies |
Aucune citation Roman de G. de Dole : 11 v. |
[Nom de l’auteur] |
145 |
Simon d’Authie |
Aucune citation |
|
145-6 |
Richard de Fournival |
Aucune citation |
|
146 |
Vielart de Corbie |
Aucune citation |
|
146 |
Oudart de Lacenie |
Aucune citation |
|
146 |
Baude de la Carrière |
Aucune citation |
|
146 |
Thrésorier de l’Isle |
Aucune citation |
|
146-7 |
Gilles de Viés-Maisons |
Chanson 1 (?) : 6 v. ; ch. 2 : 4 + 3 v. |
[relevé de topoï + identification + chanson « tres bien faite & tres belle »] |
147 |
Bruneau de Tours |
Un vers cité |
[relevé de topoï] |
147-8 |
Colin Muset |
Chanson 2 : 3 v. |
[Figure concrète du jongleur à la vielle] |
148 |
Jacques de Hesdin |
Aucune citation |
|
148 |
Henri III de Brabant |
Aucune citation |
|
148-9 |
Colard le Bouteiller |
Aucune citation |
|
149 |
Jean l’Orgueneur |
Aucune citation |
|
149 |
Gilles le Vinier |
Aucune citation |
|
149 |
Pierre de Craon |
Aucune citation |
|
149-50 |
Le Chanoine de Saint-Quentin |
Une chanson : 11 v. |
[relevé de topoï + chanson « tresbelle »] |
150 |
Baudoin des Auteus |
Aucune citation |
|
150 |
Chardon de Croisilles |
Aucune citation |
|
150 |
Sauvage d’Arras |
Aucune citation |
|
150 |
Robert de Memberolles |
Une chanson : 4 v. |
[relevé de topoï + chanson « tresbelle »] |
151 |
Philippe Pa |
Aucune citation |
|
151-2 |
Hugues de Berzé |
Aucune citation Bible de Guiot : 13 v. |
[Nom de l’auteur] |
152 |
Roger (Robert ?) de Cambrai |
Aucune citation |
|
152 |
Jean de Maisons |
Aucune citation |
|
152-3 |
Le comte de Bretagne [Pierre Mauclerc] |
Un vers cité |
[Nom de l’auteur + identification] |
153 |
Robert de Castel |
Deux chansons : 3 + 3 v. |
[relevé de topoï + contexte des Puys] |
153-4 |
Lambert Ferri |
Aucune citation |
|
154 |
Jehan le Cuvelier |
Aucune citation |
|
154-5 |
Eustache le Peintre |
Chanson 5 : 8 v. |
[« trait digne d’estre renouvellé »] |
155 |
Matthieu de Gand |
Aucune citation |
|
155 |
Robert de Mauvoisin |
Aucune citation |
|
155 |
Thomas Hérier |
Aucune citation |
|
155 |
Carasaus « d’Arras » |
Aucune citation |
|
155 |
Aubin de Sezanne |
Une chanson : 5 v. |
[Relevé de topoï] |
156 |
Jean Frémeau |
Aucune citation |
|
156 |
Guillaume Veau |
Aucune citation |
|
156 |
Carasaus |
Aucune citation |
|
156 |
Thomas « Eriers » [Erars ?] |
Aucune citation |
|
156 |
Le comte d’Anjou |
Aucune citation |
|
156 |
Roger d’Andeli |
Aucune citation |
|
157 |
Le comte de la Marche |
Aucune citation |
|
Guillaume de Dole |
|||
157-8 |
Renaut de Sabloeil [= Robert de Sablé] |
[Jean Renart], Le roman de Guillaume de Dole : 2 v. + 16 premiers v. de la chanson « Ja de chanter en ma vie… ». Guiot, Bible : 1 v. |
[Nom de l’auteur] |
158-9 |
Doete de Troyes |
[Jean Renart], id. : 6 v. |
[Mention du nom + contexte] |
159 |
« Jonglet » [= Fabliau de Jouglet] |
[Jean Renart], id. : 6 v. |
[Mention du nom + contexte] |
159-60 |
Hugues de Braie-Selve |
[Jean Renart], id. : 16 v. |
[Nom de l’auteur + contexte + tradition des « jeux sous l’ormel »] |
Ms. BNF Fr 1593 / Mélange |
|||
160-3 |
Rutebeuf |
Monseigneur Anseau de l’Isle : 8 v. Les ordres de Paris : 12 v. |
[« ce couplet me semble bon »] |
163-4 |
Marie de France |
Fables d’Ésope : 4 v. (explicit) |
[Nom de l’auteur + dédicataire] |
164 |
Jean Durpain |
L’évangile aux femmes : 1 (incipit) + 2 v. (explicit) |
[Nom de l’auteur] |
164-6 |
Cortebarbe |
[Fabliau] Les trois aveugles de Compiègne : 2 derniers v. |
[Nom de l’auteur] |
167 |
Le clerc de Vaudoy |
[Fabliau] Le Fablel de Niceroles : 1er v. |
|
167-9 |
Jean le Galois |
[Fabliau] Plaine borse de sens |
→ Réécriture intégrale du fabliau en prose |
170-9 |
Jean le Chapelain |
[Fabliau] Du segretain moine : 6 v. (incipit) |
→ Réécriture intégrale du fabliau en prose |
179 |
Renaut d’Andon |
[Le Contenz dou monde] |
|
179 |
Guiart |
L’art d’amours : 2 v. |
[adaptation de L’art d’aimer d’Ovide] |
179-80 |
Garin |
[Fabliau] Du chevalier qui fist les cons parler : 12 v. |
[Nom de l’auteur + fonction du fabliau érotique] |
180 |
Huon le Roi de Cambrai |
La devision d’ordres et de religions (2 v.) |
[Nom de l’auteur] |
180 |
Girart d’Amiens |
[Roman] Meliacin : 6 v. |
[Nom de l’auteur] |
181 |
Hue Piaucele |
[Fabliau] Sire Hain et de Dame Hanieuse : 4 v. |
[Nom de l’auteur] |
181 |
Jean Bodel |
Aucune citation |
|
181 |
« Jean du Châtelet » [= Jean de Paris] |
« Distiques de Caton » : 5 v. |
[Nom de l’auteur] |
181-2 |
« Hue de Cambrai » [= Huon le Roi de Cambrai] |
[Fabliau] La male honte : 2 v. |
[Nom de l’auteur] |
182 |
Courtois d’Arras ? |
Fabliau de Foucher Boi-Vin (?) |
|
182 |
Haisiau |
[Fabliau] De l’annel qui faisoit les vis grans et roides : 2 v. |
[Nom de l’auteur] |
182 |
Durans |
[Fabliau] Trois boçus menestrels : 3 v. |
[Nom de l’auteur] |
182 |
Eustache d’Amiens |
[Fabliau Du bouchier d’Abeville] |
|
Mss Matharel : jeux-partis |
|||
183 |
« Frere » [= Gilles le Vinier] |
Aucune citation |
|
183-4 |
Guillaume le Vinier |
Aucune citation |
|
184 |
Adam de Givenchy |
Aucune citation |
|
184 |
Andrieu (de Paris ?) |
Aucune citation |
|
184-91 |
Jean Bretel |
Aucune citation |
Mais 37 chansons sont résumées |
191 |
Mapolis |
Aucune citation |
|
191 |
Gamart de Vilers |
Aucune citation |
|
191-2 |
Jean de Grieviler |
Aucune citation |
|
192 |
Robin de Compiègne |
Aucune citation |
|
192 |
Perrot de Nesles |
Aucune citation |
|
192 |
Sainte des Prés |
Aucune citation |
|
192 |
Gerart (Gerardin) de Boulogne |
Aucune citation |
|
193 |
Hue le Maronier |
Aucune citation |
|
Mélange |
|||
193-5 |
Adenet le Roi |
Cléomadès : 5 v. (incipit) |
[Nom et identification de l’auteur] |
195 |
Guillaume de la Villeneuve |
Les crieries de Paris : 5 + 3 v. |
[Nom et identification de l’auteur + contexte des ordres mendiants] |
195-6 [118] |
Huon le Roi [de Cambrai] |
[Lai] Du vair palefroi : 7 v. |
[Nom de l’auteur et sujet de l’ouvrage] |
196 |
Richard de l’Isle-Adam |
[Fabliau] De Honte et de Puterie : 2 + 6 v. (incipit) |
[Nom de l’auteur et sujet de l’ouvrage] |
196 |
Jehan de Boves |
[Fabliau] Des deux chevaux : 4 v. |
[Nom de l’auteur] |
196-7 |
Adam le bossu |
Le Jeu de la feuillée : 2 v. (+ 3 v. de Jean Bretel) |
[Élément biographique] |
197 |
Gautier de Belleperche |
Le Romans de Judas Macchabée : aucune citation |
|
197 |
Pieros du Riés |
Continuation de Judas Macchabée |
[Nom et identification du continuateur] |
197-8 |
Jacquemart Giélée |
Renart le nouvel : 3 + 9 v. (explicit) |
[Nom de l’auteur + datation] |
198-200 |
Guillaume de Lorris |
Roman de la Rose : 5 + 3 + 5 + 6 + 2 v. (+ 2 v. dans la notice 126) |
[Titre de l’ouvrage + œuvre inachevée + identification de l’auteur comme juriste] |
200-7 |
Jean de Meun |
Trad. de la Consolation de Boèce (prol. en prose) |
[Identification de l’auteur + datation] |
207-9 |
Pierre Gentien |
Le tornoiement as Dames de Paris : 3 (explicit) + 4 + 3 + 1 v. |
[Nom et identification de l’auteur (blason)] |
i. Le numéro du chapitre est suivi des numéros de pages dans l’éd. de 1581. Pour les références précises des vers, voir l’éd. citée de J. G. Espiner-Scott, Recueil […]. Livre Ier, 1938.
ii. Les numéros de pages de l’éd. de 1581 précèdent le numéro de la notice.
iii. Dans l’ordre du ms. de Mesmes.
Notes
1 Voir Claude Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Plus les noms et sommaire des œuvres de CXXVII poetes François, vivans avant l’an MCCC, Paris, Mamert Patisson (pour Robert Estienne), 1581 (dorénavant Recueil). Le livre I a été édité par J. G. Espiner-Scott, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Livre Ier, Paris, Droz, 1938.
2 Recueil, p. 128 : « Jehan de Nostredame qui a escrit des poetes Provençaux, fait ce mesme conte de Tricline Carbonnelle, femme de Raimond de Silhans seigneur de Roussillon, amie de Guillem de Cabestan poete Prouençal ». Voir Jehan de Nostredame, Les vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux, éd. C. Chabaneau et J. Anglade, Genève, Slatkine Reprints, 1970 [1913], p. 36-38 (« De Guilhem de Cabestan »). Dans l’ouvrage de Nostredame la citation, qui tient une place nettement moins importante que chez Fauchet, reste très largement subordonnée au récit de « vie ».
3 Sur l’importance de ce « travail », voir A. Compagnon, La seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979. Pour l’auteur, la Renaissance se caractérise par un équilibre instable entre l’allégation, c’est-à-dire « l’argument de tradition », et la citation proprement dite, c’est-à-dire « le nouveau modèle de la répétition qui engage le sujet » (p. 283). On notera que J. G. Espiner-Scott n’a précisément pas jugé utile d’éditer la partie anthologique du Recueil de Fauchet (voir supra n. 1), considérant sans doute comme peu révélatrice la pure activité de citation, par opposition au discours théorique plus « élaboré » du livre I. Mais il y a bien, au xvie siècle, un nouveau discours lié à l’acte de citer et celui-ci est particulièrement exhibé chez Fauchet.
4 Voir Compagnon, La seconde main, p. 279-313. Le caractère radicalement nouveau du rapport de Montaigne à la citation a été également bien mis en évidence par M. Metschies, La citation et l’art de citer dans les Essais de Montaigne [1966], trad. J. Brody, Paris, Champion, 1997 et M. McKinley, Words in a Corner : Studies in Montaigne’s Latin Quotations, Lexington (Ky), French forum, 1981.
5 Voir A. Moss, Les recueils de lieux communs : apprendre à penser à la Renaissance, trad. P. Eichel-Lojkine, Genève, Droz, 2002, p. 313-354.
6 Sur Fauchet « historien de la littérature », voir la contribution de S. Menegaldo dans le présent dossier. Sur son appréciation esthétique de la poésie médiévale, voir N. Lombart, « Une “défense et illustration” de la poésie française médiévale : le Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise de Claude Fauchet (1581) », Accès aux textes médiévaux de la fin du Moyen Âge au xviiie siècle, éd. M. Guéret-Laferté et C. Poulouin, Paris, Champion, 2012, p. 105-142.
7 Voir Cl.-G. Dubois, La conception de l’histoire en France au xvie siècle (1560-1610), Genève, Slatkine reprints, 2011 [1977]. Sur la variété des pratiques historiographiques, voir aussi les récentes études de L’Histoire à la Renaissance. À la croisée des genres et des pratiques, éd. R. Darmon et al., Paris, Classiques Garnier, 2015.
8 Voir F. Lemerle, La Renaissance et les antiquités de la Gaule : l’architecture gallo-romaine vue par les architectes, antiquaires et voyageurs des guerres d’Italie à la Fronde, Turnhout, Brepols, 2005. Cette discipline est naturellement associée au genre nouveau des « Antiquités de villes » : voir F. Lemerle, « Les villes du royaume de France à la Renaissance : entre antiquités et modernités », et Ch. Liaroutzos, « “Voici en deux mots tout ce que je peux déposer” : le silence des pierres et la parole du chercheur dans les antiquités de villes au xvie siècle », Seizième Siècle, 9, 2013, respectivement p. 37-45 et p. 95-106.
9 Voir E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse : naissance l’« histoire littéraire » française aux xvie et xviie siècles, Paris, Champion, 2006, notamment p. 58-62 et 96-98 sur Fauchet.
10 Voir D. R. Kelley, Foundations of Modern Historical Scholarship : Language, Law and History in the French Renaissance, New York-London, Columbia University Press, 1970, p. 271-300 (« The Rise of Medievalism : Étienne Pasquier Searches for National Past »). L’auteur cite notamment l’injonction du juriste Louis Le Caron : « Vous avez, hommes François, assez d’exemples en vos histoires, sans en rechercher aux Grecques & Romaines » (Responses du droit françois, Paris, Vincent Normant, 1583, fol. 8r).
11 Voir Claude Fauchet, Origines et dignitez des magistrats de France, Paris, Jérémie Périer, 1600, « Au lecteur », fol. ã6v-ã7r : « J’appelle miens tant de Romans desquels à tous propos je m’ayde : é de l’autruy, ce que Messieurs du Tillet, l’Evesque & le Greffier (les plus sçavans en nos Antiquitez qui furent onques en France) maistre Vincent de la Loupe Lieutenant Criminel au baillage de Chartres, & quelques autres doctes & sçavant personnages, ont escrit de l’Origine desdicts Estats. Quant ausdicts Romans qui en parlent, je les tiens pour miens : comme en la preuve d’un finage d’un Royaume ou Seigneurie, les Princes s’aydent du tesmoignage de leurs Barons, de hauts Seigneurs, & Nobles Gentis-hommes, mesmes & des soldats, ou paisans des marches & confins, pour verifier leurs limites & possessions immemorialles, aussi je me sers de ceux-cy, pour la preuve de l’antiquité que j’essaye à descouvrir la plus nette qu’il me sera possible ».
12 Voir Recueil, p. 37 et 32-37 (chap. iv), 40 et 47 (chap. v), 73, 74, 77, 79-80 (chap. viii). Pour une vue d’ensemble de ces citations du Livre I, voir en Annexe le « Tableau des citations poétiques ». Sur les prises de position modernes de Fauchet en matière d’histoire de la langue, voir Cl.-G. Dubois, Mythe et langage au xvie siècle, Paris, Eurédit, 2010 (éd. augm.) [1970], passim.
13 Voir S. Kovaks, « Formes de médiation du texte littéraire : usage de l’anthologie imprimée au xvie siècle », Communication et langages, 129, 3e semestre 2001, p. 110-124 ; J.-Ch. Monferran, « De l’anthologie et de l’art poétique à la Renaissance », Les Arts poétiques du xiiie au xviie siècle. Tensions et dialogue entre théorie et pratique, éd. G. Ems et M. Minet, Turnhout, Brepols, 2017, p. 107-117 ; M. Bombart et G. Peureux, « Politique des recueils collectifs dans le premier xviie siècle. Émergence d’une norme linguistique et sociale », Le recueil littéraire. Pratiques et théorie d’une forme, éd. I. Langlet, Rennes, PUR, 2003, p. 239-256.
14 Voir Gilles Corrozet, Le parnasse des poëtes françois modernes : contenant leurs plus riches & graves Sentences, Discours, Descriptions, & doctes enseignemens, Recueillies par feu Gilles Corrozet Parisien, Paris, Galiot Corrozet, 1571. L’ouvrage posthume (c’est le fils de Gilles, Galiot, qui se charge de donner au projet de son père une forme achevée) est réédité en 1572 et 1578. Les termes de « sentences » et « descriptions », souvent repris par Fauchet dans le Recueil, rappellent l’intérêt porté à la dimension gnomique de la poésie, très appréciée dans le milieu des juristes de la fin du siècle.
15 Voir M. Clément, « Mettre en vers français une poétesse latine. Proba Falconia à Lyon en 1557 », Auteur, traducteur, collaborateur, imprimeur… qui écrit ?, éd. M. Furno et R. Mouren, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 165-191.
16 Sur les enjeux liés à la notion de « recueil », voir Réforme, Humanisme, Renaissance, 62, 2006 (« Le recueil poétique »), et notamment l’introduction par N. Dauvois et D. Martin p. 13-20. Sur les résonances de ce terme dans le texte de Fauchet, voir Lombart, « Une “défense et illustration” de la poésie française médiévale », p. 118-123.
17 D’après A. J. Greimas et T. M. Kane, Dictionnaire du moyen français, Paris, Larousse, 1992, p. 536 et www.atilf.fr/dmf/definition/recueiletrecueillir.
18 Voir Recueil, « Au Roy de France et de Polongne », p. 3 : « Aussi est-ce la cause qui m’incite à vous presenter ce Recueil, lequel estant fait pour la gloire du nom François, je n’ay deu addresser à autre qu’à vostre Majesté, laquelle dés sa premiere jeunesse a monstré par effect combien elle fait cas de l’honneur de ce Royaume ». Les recueils de poètes modernes ont aussi pour but de manifester, de manière synthétique, l’« excellence » d’un « règne » : voir par exemple le Recueil de vraye Poesie françoyse, prinse de plusieurs Poetes, les plus excellentz de ce règne, Paris, Denis Janot, 1544.
19 Voir Recueil, p. 87 (à propos des mots desrocher et periller chez Jehan le Nevelon) : « Car si nous disons descrocher, pour oster d’un croc : pourquoy ne dirons nous, desrocher pour tomber & precipiter d’un roc ? Et comme sçauriez vous mieux representer le latin de periclitor & periclitari, que par periller, puis que nous disons peril pour periculum ? Je n’ay pas deliberé cy apres de faire ainsi de tous les mots, qui se trouveront aux vers que j’allegueray en ce Recueil de poetes : mais j’ay voulu monstrer par ceux cy, comme lon se peut aider d’aucuns : qui vallent bien le renouveller ». Les citations invitent à l’écriture, et le « recueil » complète utilement un discours théorique, comme dans l’édition de 1550 de l’Art poétique de Thomas Sébillet : Art poetique françoys, pour l’instruction des jeunes studieux, & encor peu avancez en la Poësie Françoyse avec le Quintil Horatian sur la Defense & illustration de la langue franc̜oyse. Auquel est inséré à la fin un recueil de poësie franc̜oyse, pour plus facilement entendre ledict art, Paris, Vve François Regnault, 1555 ; il s’agit en fait du « recueil » imprimé chez D. Janot en 1544 (voir supra n. 18).
20 Cette définition du « recueil » comme mode de rassemblement provisoire d’une œuvre à la fois dispersée et cachée rappelle en partie la pratique de Du Bellay : voir le Recueil de poesie, presente à tresillustre Princesse Madame Marguerite seur unique du Roy, et mis en lumiere par le commandement de madicte Dame, Paris, Guillaume Cavellat, 1549, « A tresillustre Princesse Madame Marguerite seur unique du Roy », p. 3-5.
21 Voir Adrian d’Amboise, Discours ou traicté des devises, Paris, Roulet Boutonne, 1620 : « Le Docte Antiquaire. Messire Claude Fauchet avec les armes de sa famille mediocre, mais noble, qui sont trois chevrons crenelez a pris sa devise sur son nom un fauchet, qui sert à fener avec ce mot, Sparsa et neglecta coegi. Éloge qui lui est bien propre à luy, ayant ramassé dans les cendres de l’Antiquité plusieurs belles reliques & choses de remarque, qui avant luy estoient negligees ».
22 D’après Greimas et Kane, Dictionnaire du moyen français, p. 233.
23 Sur l’exemple de l’Art poétique de Thomas Sébillet, voir supra n. 19. La mode du recueil bipartite (discours théorique en prose/recueil de vers) dépasse le seul genre de l’art poétique : voir par exemple Louis Le Caron, La Claire. Ou, De la prudence de droit, Dialogue premier [= traité juridique en prose]. Plus, La clarté amoureuse [= recueil de poésie amoureuse], Paris, Guillaume Cavellat, 1554.
24 Voir Compagnon, La seconde main, p. 15-45. Pour une vue d’ensemble de ces citations du Livre II, voir en Annexe le « Tableau des citations poétiques » (les notices sont numérotées de 1 à 127).
25 Sur ce « Parnasse » des poètes médiévaux, voir la contribution de S. Menegaldo dans le présent dossier.
26 Cinquante-sept notices ne proposent aucune citation de l’auteur mentionné : no 7, 27, 31, 32, 35, 37 à 43, 47 à 52, 54 à 56, 58 à 61, 64-65, 67 à 78, 90, 96, 99, 102, 103 à 115 (toute la section des jeux-partis), et 122.
27 Sur la « lourdeur » (ou copia) du Recueil, voir supra. L’atténuation de l’érudition par la variété est d’emblée un principe de composition des Veilles, comme l’a rappelé A. Coulombel dans sa contribution au présent dossier.
28 Nous nous contentons de résumer la très claire analyse de ces trois critères de composition et du rapport de Fauchet à la lecture de manuscrits proposée par S. Menegaldo dans sa contribution au présent dossier.
29 Voir Recueil, p. 116-117, où Fauchet relate sous forme d’anecdote la découverte de ce « livre » dans « la librairie de messire Henry de Mesmes ».
30 Voir Recueil, p. 183, où Fauchet évoque le « livre […] en la possession de monsieur Matherel Advocat en Parlement […] digne d’estre gardé ».
31 Le premier centon de trois vers, tirés du Roman d’Alexandre (notice 5 sur Jehan le Nevelon) souligne une richesse lexicale, dûment repérée par l’« antiquaire-citeur » ; voir Recueil, p. 87 : « Ces vers donc qui suivent, pourront servir à cest effect : & donner à congnoistre une partie du stil desdits autheurs : l’un desquez parlant d’un chevalier qui donna un coup d’espee sus le heaume dun autre, dit Si la feru del branc que sus l’arçon l’adente.”/ & De morts & de nauvres enjonche la campagne.”/ & Ahi dame fortune tant estes nouveliere.” comment sçauriez vous mieux representer novatrix Latin » (je souligne). La récurrence du « & c. » traduit à la fois l’impossibilité de tout transcrire et la nécessité de poursuivre ce travail.
32 Voir Recueil, [alléguer], p. 81-82 (livre I : « […] comme les vers pris des vieils Romans d’Alexandre & Siperis, que j’allegueray au second livre »), p. 87 (voir supra n. 19), 102 (mais c’est Geoffroy Tory qui est ici allégué) ; [remarquer] p. 82, 86, 94, 95, 108, 131 ; [extraire/faire un extrait], p. 91, 122, 157 ; [mettre], p. 82, 83, 91, 92, 99, 109, 110, 116, 128 et 208. Les occurrences du verbe trouver sont innombrables.
33 Voir par exemple Recueil, p. 88-92, l’usage particulièrement révélateur de ce procédé dans l’enchaînement des citations de la Bible de Guiot de Provins (notice 6).
34 Voir par exemple Recueil, p. 99 (notice 10 sur Chrétien de Troyes) : « Il appert que ledit Christien a nommé un de ses œuvres, le Romans du Graal, puis qu’il dit, “Christians qui entent & paine / “A rimoyer le meillor conte, / “Par le commandement le Conte, / “Qu’il soit contez en cort royal. / “Ce est li contes del Graal, / “Dont li quens li bailla le livre ».
35 Voir par exemple Recueil, p. 82 (notice 1 sur Wace) : « C’est pourquoy pourquoy je suis contraint de mettre le premier en rang, maistre Wistace ou Huistace : autheur du Roman appelé Brut. Le poeme duquel commence par ces vers : “Qui veut ouir, qui veut savoir, / “De Roy en Roy, & d’hoir en hoir, / “Qui cil fure, & dont vinrent / “Qui Angleterre primes tinrent, / “Quiez Roy y a en ordre eu : / “Et qui ainçois, & qui puis fu : / “Metre Huistace le translata ». Voir aussi la longue citation de l’incipit du Tournoi de l’Antéchrist de Huon de Méry, p. 107-108 (notice 13) : « Il declare au commencement de son œuvre, en quel temps il l’a composé, puis qu’il dit, “Il avint apres celle emprise, / “Que li François orent emprise, / “Contre le Conte de Champaigne : / “Que li Rois Lois en Bretaigne [en marge : ‘Ce fut S. Loys’] / “Mena son ost sans point d’aloine, / “Que mors ert li quens de Boloine [Fauchet cite les v. 27-53 du prologue] […] Par ces vers que j’ay voulu mettre au long, pource qu’ils servent à l’histoire du temps, il appert que Huon vivoit au commencement du regne du Roy S. Louis, à sçavoir l’an m. ccxxviii. auquel finit ceste guerre de Bretaigne ». On pourrait multiplier les exemples.
36 Voir par exemple Recueil, p. 82-83 (notice 1 sur Wace) : « Je ne sçay pas quand ce m’Wistace mourut, mais à la fin de l’œuvre il dit, “Puis que Dieu incarnation / “Prist pour nostre redemption / “Mil cent cinquante cinq ans / “Fit metre Wistace cet Romans. De sorte qu’on peut s’asseurer par ceste datte, du temps auquel il a vescu ». Voir aussi la brève citation de l’explicit du Tournoi de l’Antéchrist (d’un manuscrit sans doute perdu), p. 109 : « À la fin il nomme son livre, “Par son droit nom a peau cet livre / “Qui tresbien s’accorde à l’escrit / “Le tournoiement d’Antichrist ». Là encore, on pourrait multiplier les exemples.
37 Voir par exemple, outre la fin de la citation du Tournoi de l’Antéchrist mentionnée supra n. 35, Recueil, p. 116 (notice 14 sur « Huon de Villeneuve » [= Cycle de Nanteuil]), après la citation d’un long centon de vers extraits de Ciperis de Vignevaux : « Je devine que l’autheur fut Picard, parce qu’il prend son principal suject d’un seigneur de Boulenois, & aussi que ce vers luy est eschapé. “Dont sonnerent le cloque qui bondi hautement. Toutesfois je n’ose rien asseurer, car ainsi que j’ay dit, je ne vey jamais que deux copies de ce livre, encores rompues au commencement, au milieu, & à la fin ».
38 Voir Recueil, p. 164-166 (notice 86), 167-169 (notice 88) et 170-179 (notice 89), la réécriture en prose de trois fabliaux (Des trois aveugles, La bourse pleine de sens et Le sacristain). Fauchet résume ainsi sa poétique de la réécriture (à propos du Sacristain) : « Et le reste en ryme que j’ay mis en prose le plus pres du sens de l’autheur, retenant beaucoup de ses propres mots pour d’avantage descouvrir le temps » (p. 170).
39 Voir par exemple la présentation (emblématique) qui est faite de la poésie de Robert de Blois, premier trouvère du « Chansonnier de Mesmes » à n’être l’objet d’aucune citation (notice 27), Recueil, p. 139-140 : « Robert de Blois dit en sa ii. chanson, que par trop celer son courage, il ne peut à joye monter. Et neantmoins il tient que c’est outrage de trop gehir (c’est à dire descouvrir & confesser, mot qui vient de gehenne) son penser. Aussi ne peut on estimer sage homme, qui trop sçait celer. Mais celuy-la fait bien son affaire, qui se couvre sagement. Il fut de Blois ainsi qu’on peut voir par sa premiere chanson : & je n’en trouve que quatre ».
40 Dans la section des jeux-partis (notices 103 à 115), Fauchet compense l’absence de citation par la mise en lumière de la dimension dialoguée du genre en exploitant les ressources du discours indirect libre. La notice 107 consacrée à Jean Bretel « grand maistre de jeux partis », résume ainsi 37 pièces : voir Recueil, p. 184-190. Fauchet s’intéresse au genre (clairement défini : des « demandes, lesquelles il est loysible de disputer probablement pour & contre ») en raison de son caractère proprement national : « Ces demandes joyeuses servoyent à faire passer le temps aux compaignies honnestes : & je trouve que tel esbat a esté longuement pratiqué en France » (p. 184). De fait, l’absence de citation ici n’empêche pas Fauchet de faire entendre des voix en débat.
41 Voir par exemple Recueil, p. 183 (sur l’usage du mot « dosnoyer » dans la notice 103) : « Ce Frere [Gilles le Vinier] demande, De deux amans l’un aime par devis, & a son vouloir entier : l’autre n’a fors le dosnoyer [en marge : “privauté de rire, baiser, & autres petits avantages d’amours sans avoir le dernier poinct : l’Italien Donneare”] : & toutesfois il est asseuré que s’amie estant debonnaire, que son bon luy lairroit faire, mais il veut targier pour son honneur garder […] ». Sur le principe du « renouveller », voir supra n. 19.
42 Voir Recueil, p. 134-136 (notice 23). Les 50 heptasyllabes de cette chanson sont introduits avec une simplicité inhabituelle : « La vi. [chanson] me semble bonne, & est telle […] ». Fauchet cite les cinq premières strophes des sept aujourd’hui identifiées de cette chanson.
43 Voir Recueil, p. 140-141 (notice 29). Les 42 heptasyllabes de cette chanson sont introduits par un énoncé caractéristique : « en sa iii. [chanson] il a fait des antitheses d’amour, disant […] ».
44 Voir Recueil, p. 100-101 (notice 10 sur Chrétien de Troyes), à propos de la « description de Printemps » (deux vers) ou de la « description de l’ouye » (dix-huit vers) dans le Chevalier au Lion.
45 Voir Recueil, p. 87 (Jehan le Nevelon), 101 (les « bons proverbes & sentences » de Chrétien de Troyes), 104-105 (la peine d’amour selon Godefrois de Leigni), et 111-114 (les « bonnes sentences & descriptions » dans la Geste de Nanteuil).
46 Voir Recueil, p. 116-122 (notice 15) et p. 122-124 (notice 16). À propos du premier, Fauchet se reproche du reste d’avoir été un peu « long » : voir infra n. 47. La tonalité est indiquée, dans l’insertion de la citation, par des verbes qui complètent les traditionnels « il dit » : « il est joyeux », « se plaint », « confesse », « crie merci », etc.
47 Voir par exemple Recueil, p. 108 (fin de la citation déjà mentionnée supra n. 35) et p. 122 : « J’ay esté un peu long à l’extrait de cet autheur [Thibaud de Champagne], à fin de monstrer davantage de ses traits ».
48 Fauchet en appelle en effet à un lecteur ignorant (sans connaissance préalable de la langue médiévale), alors que les auteurs de recueils leçons pouvaient s’appuyer sur un fonds commun de culture antique. Dans le Recueil, Fauchet s’adresse toujours au lecteur avec une certaine légèreté ou pour dédramatiser le rapport à la langue médiévale : « Voyla ce que je puis dire de la ryme quant à present, & jusques à ce que j’en aye plus grande certaineté : laissant à juger aux lecteurs si l’etymologie de Leonine est bien prouvee ou non » (Recueil, p. 81) ; « Je pouvois extraire d’avantage de belles manieres de parler, tant de ceux qui sont nommez, que des autres sans nom : mais tout ainsi que je me suis lassé de lire, aussi croy-je bien, lecteur, que tu ne le seras pas moins » (p. 157) ; « J’ay mis toutes ces raisons, à fin que toy (lecteur) en juges ce qu’il te plaira » (p. 206).
49 Il n’est évidemment pas question de faire ici le relevé de ce lexique traduit, mais cette étude reste à mener pour mettre en lumière ce qui était compris de ce qui ne l’était plus de la langue médiévale au xvie siècle.
50 Voir Recueil, p. 157 (passage cité supra n. 48).
51 Voir Recueil, p. 87-88 : « […] ces vieux autheurs [= médiévaux], dont maintenant j’escri les vers, peuvent estre comparez [à Ennius et Pacuvius, imités par Virgile] » ; p. 91 : « Ce livre [la Bible Guiot] seroit trop gros qui voudroit mettre tous les poemes que j’ay leuz : & l’extrait que j’ay faict d’aucuns, servira pour faire garder les vieils livres, & ne les vendre plus aux relieurs : car il se trouve quelque fois de bonnes pieces parmi tels cahiers moisis » (je souligne à chaque fois).
52 Voir Recueil, p. 98 (à propos du Conte du Graal de Chrétien de Troyes) : « Il y a deux ans qu’allant en une imprimerie, je trouvay que les imprimeurs se servoyent à remplir leur timpan d’une fueille de parchemin bien escrite : où ayant leu quelques vers assez bons, je demanday le reste : & lors on me monstra environ huit fueilles de parchemin, toutes de divers cahiers, mais de pareille ryme & subject : qui me faisoit croire que c’estoit d’un mesme livre. Le premier monstroit evidemment l’autheur, & pour ce que je crain que le reste soit perdu, je mettray ici tout ce que je copiay lors, & qui me sembla bon. Le Romans du Graal commence ainsi, etc. » ; et p. 115 (à propos de Ciperis de Vignevaux) : « Les bons traits qui se trouvent dedans me l’ont fait icy mettre : & craignant aussi que ce que j’en ay veu il y a plus de xx. ans soit perdu : car le livre n’estoit pas mien ». Voir aussi l’anecdote rapportée p. 91, déjà citée supra n. 51.
53 Voir J. G. Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son œuvre, Paris, Droz, 1938, p. 115-217 (sur le Recueil), et plus particulièrement p. 141-217 (sur le livre II). Mais les remarques de l’auteur montrent à quel point l’acte même de citer est réduit, toutes proportions gardées, à une pure activité d’enregistrement : « Les citations donc ne sont jamais faites pour des raisons artistiques ou littéraires, et pourtant il faut noter quelques exceptions à cette règle » (p. 154) ; « Les citations du Recueil ne sont accompagnées d’aucune appréciation littéraire – à peine y trouve-t-on quelques remarques philologiques. Cependant quelques-unes des belles et vigoureuses citations que nous venons de retranscrire révèlent que Fauchet ne manque pas de sens esthétique » (p. 158). L’auteur relève quand même cette nécessaire copia (« belles et vigoureuses citations ») qui permet au lecteur du Recueil de se plonger littéralement dans la poésie médiévale.
54 Sur la place de la citation à côté de la référence, du plagiat et de l’allusion, voir A. Bouillaguet, « Une typologie de l’emprunt », Poétique, 20, 1989, p. 489-497. Voir aussi Compagnon, La seconde main, p. 49-92.
55 Ces fonctions sont indiquées dans la dernière colonne du tableau proposé en Annexe.
56 Voir supra les n. 35-36.
57 Ibid.
58 Voir Recueil, p. 89-90.
59 Voir Recueil, p. 197.
60 Voir Recueil, p. 96.
61 Voir Recueil, p. 83-85 (notices 3 sur le Roman d’Alexandre, 4 sur le Testament, et 5 sur une des continuations, la Vengeance d’Alexandre de Jehan le Nevelon), 103-105 (notice 11 sur Godefroy de Leigni continuateur de Chrétien de Troyes), 197 (notice 123 sur Pieros du Riés continuateur du Roman de Judas Macchabée) et 198-207 (notices 125 et 126 sur Guillaume de Lorris et Jean de Meun).
62 C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la « réhabilitation » de Clément Marot dans les Veilles, bien mise en évidence par A. Coulombel dans sa contribution au présent dossier.
63 Sur les jeux-partis, voir supra n. 40.
64 Sur cette dimension, voir les remarques de S. Menegaldo à propos du « rôle des jongleurs » dans sa contribution au présent dossier.
65 Recueil, p. 84.
66 Voir Recueil, p. 110, et le commentaire de Fauchet : « J’ay voulu mettre ces vers, & pour monstrer l’entree de ces Chanterres avant que faire leurs recits, & aussi les recompenses qu’ils tiroyent des seigneurs, en chevaux, habits, & deniers. Le 13. vers me fait soupçonner qu’un Chanterre desroba ce Romans à Huon de Ville-neuve, qui en estoit le Trouverre, & inventeur ». Aussi faut-il bien distinguer le chanterre (le jongleur, l’exécuteur) du trouverre (le poète, l’inventeur).
67 Voir Ronsard, « Ode au Roy » (1550), Œuvres complètes, éd. P. Laumonier, t. III, Paris, Didier, 1968, p. 33-34, v. 469-474 : « Prince, je t’envoie cette Ode, / Trafiquant mes vers à la mode / Que le marchant baille son bien, / Troque pour troq’ : toi qui es riche, / Toi roi de biens, ne soi point chiche / De changer ton present au mien ». Sur cet aspect, voir Th. Berriet, « Le prix du don : de l’éloge au blâme chez Pierre de Ronsard », COnTEXTES [en ligne], 5/2009, mis en ligne le 25 mai 2009, consulté le 01 avril 2018.
68 Voir Recueil, p. 147-148 : « Colin Muset fut un joueur de violle, qui alloit par les cours des Princes, ainsi que declare sa. i. chanson. Par la ii. il donne à connoistre que sa vielle n’estoit pas pareille à celle dont jouent communément les aveugles du jourd’huy. car il dit, “J’alay a li el praelet : / “O tot la vielle & l’archet. / “Si li ai chanté le muset. La figure d’un Jougleor tenant ceste forme de vielle ou violle se voit en bosse au costé dextre du portail de l’Eglise de S. Julian des Menestriers, assis à Paris, en la rue S. Martin, representant un instrument communément appelé Rebec ».
69 Recueil, p. 94.
70 Voir supra n. 35.
71 Voir Recueil, p. 97.
72 Voir Recueil, p. 161.
73 Voir Recueil, p. 160 (notice 82 à propos du ménestrel Hugues de Braie-Selve) : « Ces plaids & gieux ou jeux souz l’ormel, estoyent une assemblee de dames & gentilshommes, où se tenoit comme un parlement de courtoisie & gentillesse pour y vuider plusieurs differens. Il y en avoit d’autres en autres provinces, selon qu’il se trouvoit des seigneurs & dames de gentil esprit ».
74 Sur cette autre obsession du xvie siècle, voir J. Céard, « L’idée d’encyclopédie à la Renaissance », L’encyclopédisme, éd. A. Becq, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1991, p. 57-67.
75 Voir Recueil, p. 145-146.
76 Voir Recueil, p. 91 : « J’ay appris de ce Guiot de Provins, le vrai nom. François de la pierre d’Aimant, de laquelle usent les mariniers à la conduite des navires allans sus mer. Car apres avoir parlé du Pole Arctique qu’il appelle Tramontane, il dit, “Icelle estoile ne se muet, / “Un art font qui mentir ne puet / “Par vertu de la Marinette, / “Une pierre laide & noirette / Ou li fer volontiers se joint ».
77 Voir Recueil, p. 198-199 (notice 125 sur Guillaume de Lorris) : « Maistre Guilleaume de Lorris eut peu estre mis avant sept ou huit de ces derniers, n’eust esté qu’il se trouve joint de composition, avec maistre Jehan de Meung. Ce Guilleaume de Lorris fut tresbon poete : & lequel amoureux d’une dame, composa le livre intitulé le Romans de la Rose, contenant en somme les commandements d’Amour, pour parvenir à jouissance : imitant Ouide (ainsi que je croy) en l’art d’aimer : & du quel ces deux, ont pris la plus part de leur matiere : y meslant de la Philosophie morale ».
78 L’exemple le plus significatif est assurément le long développement sur l’alexandrin, le vers français par excellence : voir Recueil, p. 85-88.
79 Voir supra n. 46.
80 Voir supra n. 31. Mais il sait modérer son enthousiasme ; ainsi dit-il à propos du Tournoi des Dames de Paris de Pierre Gentien : « Ce tournoy peut estre leu pour la memoire d’aucunes familles de Paris plus que pour excellence du stil » (Recueil, p. 208).
81 Voir Lombart, « Une “défense et illustration” de la poésie française médiévale », passim. Fauchet mentionne cependant des figures notables : « antithèse », « similitude », « translation » (métaphore ?), « comparaison », « figure » (allégorie).
82 Recueil, p. 111.
83 Voir Recueil, p. 105-106.
84 Sur l’usage de ce terme, voir Recueil, p. 88 (Guiot de Provins), 93 (Thibaut de Marly), 108 (Huon de Méry), 167 (le Clerc de Vaudoy), 179 (Renaut d’Andon), 180 (Huon le Roi de Cambrai), 197 (Jacquemart Giélée) et 206 (Jean de Meun).
85 Voir Recueil, p. 109 : « Il appelle en un endroit les espees acerines, qui est une epithete assez bon. “As grans espees acerines / “Fierent com feuvres sus enclume ».
86 Voir par exemple Recueil, p. 112-113 : « Le mot de pailles signifie un riche drap de soye. Et en Italie Correre il paglio est courre pour gaigner des pieces de drap d’or, de veloux, soye, ou escarlate, que les seigneurs & republiques donnent à certains jours de l’annee pour resjouir le peuple à voir courir les chevaux de barbarie. Quant au mot Gaut, il signifie bois, tesmoins ces vers du Romans de Regnaut de Montauban, “Eins charpentier en bos ne sot si charpenter, / “Ne mena telle noise en parfont Gaut ramé. & Goi en Breton signifie bois : Esperons d’ormier signifie de fer doré. Encores à Paris lon appelle sellier l’ormier celuy qui peut faire des selles garnies de boucles & fenures necessaires. Et l’ormerie en ce mestier, s’appelle toute ferrure qui appartient au harnois d’un cheval, hors le mors ».
87 Voir Recueil, p. 101 et 114.
88 Voir J. Céard, « Les transformations du genre du commentaire », L’Automne de la Renaissance (1580-1630), éd. J. Lafond et A. Stegmann, Paris, Vrin, 1981, p. 101-115.
89 Recueil, p. 86.
90 Voir supra n. 19.
91 Recueil, p. 111.
92 Voir S. Morawski, « The Basic Functions of Quotation », Signe. Langage. Culture, éd. A. J. Greimas, R. Jakobson et al., The Hague-Paris, Mouton, 1970, p. 690-705, ici p. 691.
93 Sur cette tension, qui caractérise surtout le premier xviie siècle, voir B. Beugnot, « Dialogue, entretien et citation à l’époque classique », Canadian Review of Comparative Literature, 3/1, 1976, p. 39-50.
94 Ne sont pas précisés pour l’instant : l’origine de la citation (quel ms. Fauchet a-t-il copié ?) ; le lien aux Veilles ou aux autres ouvrages de Fauchet (qui fait circuler ses citations) ; la qualité de la transcription de Fauchet (leçon généralement fidèle, si l’on met de côté la modernisation orthographique quasi systématique) ; la question des attributions fausses ou incertaines ; le renvoi à des éditions modernes (sauf dans quelques cas). Il n’a été tenu compte que du corpus premier mentionné par Fauchet, non des sources alléguées en seconde main (chroniques, etc.). De même, les citations en « vieux langage François-Germain », en provençal ou en latin, présentes surtout dans le livre I, n’ont pas été retenues. Nous restituons directement les noms des auteurs et les titres des ouvrages retenus par la tradition, non ceux utilisés par Fauchet.
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Référence papier
Nicolas Lombart, « La logique de la citation dans le Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise (1581) de Claude Fauchet », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 35 | 2018, 525-563.
Référence électronique
Nicolas Lombart, « La logique de la citation dans le Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise (1581) de Claude Fauchet », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 35 | 2018, mis en ligne le 29 août 2021, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/15565 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.15565
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