Langue, poésie et histoire
Résumés
Rédigé en 1555, le manuscrit des Veilles de Claude Fauchet offre les premiers résultats des recherches entreprises par l’humaniste sur la langue, la poésie et l’histoire françaises. Ce texte témoigne de l’engagement de Fauchet pour la défense d’une tradition nationale qui se traduit, dans le domaine des lettres, par une réhabilitation de la poésie française (du Moyen Âge à Clément Marot) et, dans le domaine historique, par la consécration de Commynes comme « prince » de tous les historiens.
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- 1 Veilles ou observations de plusieurs choses dinnes de mémoire en la lecture d’aucuns autheurs Fran (...)
- 2 Fauchet, Veilles, fol. 81r (Espiner-Scott, Documents, p. 177).
1Claude Fauchet, avocat au Châtelet, commença en 1555, à l’âge de vingt-cinq ans, la rédaction de son manuscrit intitulé Veilles ou observations de plusieurs choses dinnes de memoires en la lecture d’aucuns autheurs François1. Ce manuscrit se présente sous forme d’un cahier de 131 feuillets divisé en deux parties. La première partie (51 feuillets), composée de quatre « livres », eux-mêmes structurés en chapitres, constitue, à n’en pas douter, l’ébauche d’un ouvrage que Fauchet avait l’intention de publier et qui aurait présenté les premiers résultats de ses recherches historiques commencées quelques années plus tôt au retour de son voyage en Italie. La seconde partie du cahier se limite quant à elle à une série de notes prises par le jeune érudit au fil de ses lectures d’ouvrages historiques dont notamment l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, des Annales carolingiennes ou bien encore des chroniques du bourguignon Enguerrand de Monstrelet dont Fauchet nous dit qu’il a commencé à lire son « Histoire » le « premier jour de janvier 15572 ».
- 3 Dans son manuscrit, Claude Fauchet fait plusieurs fois références à Aulu-Gelle et à ses commentate (...)
- 4 Sur la poétique et l’esthétique de la variété à la Renaissance, voir La varietas à la Renaissance,(...)
2Comme l’indique le titre de la première partie du manuscrit, Veilles ou observations de choses dinnes de memoire en la lecture d’aucuns autheurs françois, ces « essais » historiques sont placés sous le double signe de l’érudition et de la variété. Le modèle suivi par Fauchet, tant pour la forme que pour le fonds, renvoie de façon explicite aux Nuits attiques d’Aulu-Gelle3. Comme chez l’érudit latin du deuxième siècle après Jésus-Christ, le choix du terme « Veilles » souhaite mettre en avant le « labeur » du jeune humaniste. L’ensemble des « matières traitées » dans les quatre livres est ainsi présenté comme le fruit d’un travail assidu et de stricte érudition. Le caractère savant de cette étude, qui pourrait rebuter le lecteur, est atténué par l’annonce faite dans le même titre de la variété thématique qui a prévalu à la composition des Veilles, comme elle avait aussi prévalu à celle des Nuits Attiques. Ainsi, chacun des quatre livres du manuscrit aborde une grande diversité de sujets qui rattache l’ouvrage de Fauchet au genre des florilèges ou des mélanges en vogue à la Renaissance4.
- 5 Pour les historiens, on relève les noms de Philippe de Commynes (Premier Livre, chap. 1 et Second (...)
- 6 Trois chapitres sont respectivement consacrés à la signification des mots « pallefroi », « mallett (...)
- 7 Il s’agit des chapitres 1 et 4 du second Livre respectivement intitulés « Que antiennement les ver (...)
- 8 Il s’agit respectivement du chap. 3 du Premier Livre, du chap. 3 du Second Livre et, pour les dign (...)
3Certaines dissertations adoptent la forme de notices bio-bibliographiques consacrées à des historiographes ou des poètes français5 ; d’autres traitent de questions d’étymologie ou de sémantique6 ; d’autres encore s’intéressent à l’origine et à l’histoire de la langue et de la poésie françaises7 ou portent sur l’analyse de questions historiques précises tels que, par exemple, la fondation de la ville de Paris, le récit de la prise de Calais par les Anglais, ou bien encore l’origine des dignités de sergent, comte, marquis et de connétable8. Toutes ces analyses ont néanmoins pour point commun d’être liées à un aspect de l’histoire ou de la culture nationale. En ce sens, on peut dire que cet ouvrage de jeunesse fait apparaître les fondements mêmes sur lesquels va se développer l’œuvre historiographique à venir de Claude Fauchet. Par les thèmes qu’elles abordent, l’érudition qu’elles mobilisent et le fort sentiment national dont elles sont animées, les Veilles ou observations annoncent et préparent les écrits historiques majeurs de l’« antiquaire » français. De la même façon qu’Aulu-Gelle avec ses Nuits attiques souhaitait démontrer la richesse et la grandeur de la langue et de la civilisation latines par rapport à la Grèce, l’érudit français entend pour sa part offrir une défense et illustration de la langue et de la civilisation françaises par rapport à Rome et à l’Italie.
- 9 Sur le développement de la science historique dans la seconde moitié du xvie siècle, voir en parti (...)
4Notons que l’humaniste choisira de ne pas publier ces études sous cette première forme et qu’il préfèrera les réintégrer plus tard soit dans ses Antiquitez gauloises et françoises, soit dans ses traités historiques sur la langue et la poésie ou sur les institutions. On constate ainsi que la quasi-totalité des chapitres des Veilles consacrés à la langue et à la poésie françaises réapparaissent presque sans modification en 1581 dans le Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise. Il en va de même des dissertations sur les titres de sergent, marquis, comte ou de connétable qui trouveront leur place dans le traité sur les Origines des dignitez et magistrats de France que Fauchet publiera à la fin de sa vie. Ce choix éditorial est à notre avis révélateur d’une évolution de la part de Claude Fauchet. Alors que dans les années 1550, Fauchet éprouve encore le besoin de présenter ses recherches historiques sur le passé national sous forme de mélanges, sans doute afin de répondre au goût du lectorat, à partir de la fin des années 1570, c’est désormais le genre du traité qui sera privilégié par l’historien. Sans en exagérer la portée, cette transformation offre un exemple du changement de statut que connaissent l’histoire et l’histoire littéraire au cours de cette période. Elles s’imposent peu à peu comme des disciplines à part entière et les écrits historiographiques adopteront de plus en plus la forme d’ouvrages d’érudition9.
5Notre analyse des Veilles portera sur deux thèmes principaux de l’œuvre qui lui donnent son unité. Dans un premier temps nous analyserons les prises de position du jeune humaniste en faveur de la langue et de la poésie françaises, prises de position qui s’inscrivent dans les débats passionnés qui agitèrent le monde lettré en France au début des années 1550. Dans un second temps, nous nous intéresserons à l’attachement que porte Fauchet au passé national et à sa volonté d’illustrer l’histoire glorieuse du royaume de France. Pour chacun de ces deux thèmes, l’humaniste français témoigne d’une même volonté de défendre une tradition nationale et souhaite montrer le rayonnement culturel qu’a souvent exercé la France en Europe.
Claude Fauchet et le combat pour la langue et la poésie françaises
- 10 J. du Bellay, La Deffence, et Illustration de la Langue françoyse (1549), éd. J.-C. Monferran, Gen (...)
- 11 Fauchet, Veilles, fol. 41v (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
- 12 Fauchet, Veilles, Troisième Livre, chap. 9 : « De Pierre de Ronsard Poete », fol. 39v-42r (Espiner (...)
- 13 Fauchet, Veilles, fol. 41r (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
- 14 Ibid.
6Dans ses Veilles ou observations, Claude Fauchet apporte son soutien au programme d’enrichissement de la langue vernaculaire proposé par les membres de la Pléiade. Après Joachim Du Bellay, il affirme que la création de néologismes et le rajeunissement de « motz antiques françoys » sont les deux moyens les plus sûrs d’« amplifier la Langue Françoyse10 » et de permettre à cette dernière de devenir « imitable » et « prisable aus estrangiers11 ». Le jeune humaniste rend en particulier hommage au travail de tout premier ordre accompli par le poète Pierre de Ronsard en faveur de l’idiome national12. Si certains ont pu critiquer l’obscurité de son style et « se fachent de plusieurs parolles dont il use », Claude Fauchet pour sa part, « loue » au contraire « le renouvellement, invention et composition » dont le poète a su faire preuve notamment dans ses Odes et dans ses Amours13. Ce dernier a réussi en effet à la fois à « ramener » en usage plusieurs « parolles » « esgarées et presque estrangées de nous pour le peu de compte que nous en faisions » et à « enrichir nostre langue de plusieurs aultres discretement inventées et forgée[s] sur nostre enclume, empruntant du greq et latin la matiere, quant la nostre se trouvoit faillie14 ». En procédant de la sorte, Claude Fauchet estime que l’auteur des Amours n’a fait qu’
- 15 Ibid.
imiter (…) nos bons peres de famille, qui se jolivent aussi bien d’un fin simple tapis de Turquie ou Flandres (sans toutefois y emploier tout leur bien) que de la plus riche hautlice ou broderie, que l’on pourroit faire à Paris ou Envers ou aultres draps tissés en nostre contrée15.
- 16 Fauchet, Veilles, fol. 7r (Espiner-Scott, Documents, p. 139). L’humaniste se livre au même exercic (...)
- 17 Ibid.
- 18 Ibid. Louis des Masures traduisit l’intégralité de l’Énéide de Virgile entre 1547 et 1560. Le vers (...)
- 19 Ibid. Sur la traduction du Livre IV de l’Énéide de Virgile par Joachim du Bellay, voir A. Hulubei, (...)
7Le jeune humaniste, cependant, ne limite pas son propos à la simple expression de son admiration pour « l’entreprise » de Pierre de Ronsard et des autres poètes de la Pléiade, il entend aussi apporter sa propre contribution à l’« illustration » de la langue vernaculaire. C’est ainsi que celui-ci consacre un chapitre entier de ses Veilles à l’étude du vieux mot français « pallefroi » dont il retrouve la signification à partir de plusieurs occurrences respectivement relevées dans le Roman d’Alexandre, le Roman des Oiseaux (ou Roman des deduis) de Gace de la Buigne et les Chroniques de Froissart16. Selon l’auteur des Veilles, ce mot servait à désigner « tous chevaulx d’amble : aulbins, traquenars, haquenées », et il précise : « Voulontiers c’estoit la monture des dames à cause de leur doulce alleure17 ». Claude Fauchet se réjouit que le « seigneur Louis des Masures, l’un des plus sçavans traducteurs » ait eu recours à ce vieux mot français dans sa traduction du livre IV de l’Énéide parue en 155218. Il préfère ce choix à celui fait la même année par Joachim du Bellay qui avait traduit quant à lui le mot latin « sonipes », présent dans le vers de Virgile, par le néologisme « piesonnant ». Le jeune humaniste ne doute pas que l’auteur de la Deffence et Illustration, « tant favorable de son autorité si grande » pourra « naturalizer » cette « parolle nouvelle aus oreilles françoises », mais il estime néanmoins qu’il serait plus approprié d’utiliser le mot de « pallefroi » qui est « le plus propre que nous aions19 ».
- 20 Fauchet, Veilles, fol. 2v -3r, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 164-165.
- 21 Fauchet, Veilles, fol. 3r (passage transcrit par nos soins).
8Dans la même perspective, Claude Fauchet cite dans le chapitre qu’il consacre au Roman d’Alexandre plusieurs vers de cette œuvre car, dit-il, « Il y a beaucoup de bons motz et qui méritent bien le renouveller20. » Il encourage « le studieux de poesie françoise » à « imiter » ces « belles manieres de parler et motz […], et aucune fois refondre se les appropriant, comme jadis Virgile faisoit, lisant les œuvres du bon père Ennius auquel ces autheurs peuvent estre comparez21. » Claude Fauchet met toutefois en garde le poète de ne choisir des mots
- 22 Ibid. Ce passage fait directement écho à celui de Joachim du Bellay dans sa Deffence et Illustrati (...)
si viez [sic] et usez qu’ils soient inconnus ou inutiles, pour ce qu’on lui pourroit reprocher ce que jadis un savant Romain fit a un trop grant afectateur d’anciennes parolles lui disant : Tu parles à moi comme si le roi Servius Tullius regnoit22.
- 23 Fauchet, Veilles, fol. 26v-27r (Espiner-Scott, Documents, p. 157-158).
- 24 Fauchet, Veilles, « Des deux autheurs du Romant de la Rose Guilleaume de Lorris et Jehan de Meung (...)
9Parmi les anciens auteurs français qui méritent d’être lus pour les « bons motz » que leurs œuvres recèlent, l’humaniste accorde une place toute particulière à Gaston Phébus et Gace de la Buigne dont les livres respectifs sur la chasse sont, affirme-t-il, d’une richesse linguistique sans égale ; « Maistre Allain Chartier poete et orateur françois », qualifié de « grave et sententieux », est lui aussi considéré par Claude Fauchet comme l’une des sources à laquelle les poètes français pourront aller puiser23 ; enfin, c’est sans surprise que l’humaniste partage l’engouement de ses contemporains pour le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung24.
10Favorable au mouvement de la Pléiade, Claude Fauchet sait aussi parfois se démarquer des prises de position du groupe de Pierre de Ronsard et de Joachim du Bellay. Cette indépendance est perceptible au moins dans deux domaines.
- 25 Fauchet, Veilles, fol. 2r. On rapprochera ce jugement de Claude Fauchet de ceux de T. Sébillet, Ar (...)
- 26 Fauchet, Veilles, fol. 8v (Espiner-Scott, Documents, p. 140). Claude Fauchet a lu cet ouvrage en m (...)
- 27 Fauchet, Veilles, Second Livre, chap. 8 : « De Gaces de la Vigne, lequel a escript un Roman des Oi (...)
11On constate tout d’abord que l’intérêt que l’auteur des Veilles manifeste pour les poètes français du « Moyen Age » ne se limite pas au seul domaine lexical. Pour Claude Fauchet, en effet, si les œuvres des « vieux auteurs françoys » peuvent permettre d’enrichir la langue vernaculaire, elles méritent aussi d’être lues pour leur qualité littéraire ainsi que pour le savoir dont elles sont les détentrices. Le jeune humaniste souligne ainsi la filiation, déjà revendiquée par Guillaume de Lorris et Jean de Meung, entre le Roman de la Rose et l’Art d’aimer d’Ovide « duquel, affirme-t-il, ces deux ont pris la pluspart de leur matiere : y meslant de la Philosophie morale25. » Claude Fauchet se montre aussi très intéressé par le Livre de chasse écrit par le comte de Foix, Gaston Phébus, dans lequel on trouve décrit « la nature tant des chiens que de toutes bestes qui se chassent26. » C’est cependant le Roman des Oiseaux de Gace de la Buigne qui fait l’objet des commentaires les plus élogieux de la part de l’auteur des Veilles. Ce dernier loue en premier lieu le style élevé utilisé par le poète dans les différents « déduits » dont est composé son traité en vers : « […] il est impossible de mieux dire, écrit Claude Fauchet, ni avec plus grant contentement des escoutans car il est meslé d’une infinité de belles sentences27. » Au plaisir suscité par la lecture de ce texte se mêle en second lieu l’instruction que peut en tirer tout lecteur. Le jeune humaniste n’hésite pas à comparer le savoir du poète français à ceux d’Hésiode ou du Virgile des Géorgiques :
- 28 Fauchet, Veilles, fol. 29r (Espiner-Scott, Documents, p. 160). À cette liste d’auteurs médiévaux, (...)
[…] tout l’œuvre mérite bien, oultre la venerable antiquité des mots, qu’on le lise, m’estant avis que je li ung Hesiod ou Georgices de Virgille, car tout ainsi que l’ung fait un bon pere de famille ou ung laboureur, cetui-ci fait un bon fauconnier et veneur par son discours28.
- 29 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, Livre II, chap. ii, « Des Poëtes Franç (...)
- 30 Du Bellay, Deffence et Illustration, p. 127.
- 31 Du Bellay, Deffence et Illustration, p. 126.
- 32 La défense la plus appuyée de la tradition poétique nationale apparaît à l’époque dans Le Quintil (...)
12Claude Fauchet prend ici l’exact contre-pied du mépris affiché par Joachim du Bellay pour les « anciens Poëtes Françoys » dans sa Deffence et Illustration de la Langue françoyse29. Celui-ci avait en effet très clairement déclaré que la forme et le contenu des œuvres médiévales nationales n’étaient que d’un intérêt tout à fait négligeable pour qui cherchait à « illustrer » la poésie française. Seule comptait, pour lui, « l’Imitation des Grecz, et Romains30 ». Filant sa métaphore de « l’innutrition », le défenseur de la langue vernaculaire avait déclaré que des « Aucteurs Françoys […], on ne sçauroit prendre, que bien peu, comme la peau, et la couleur » alors que des « vieux Grecz, et Latins », on pouvait « prendre la chair, les oz, les nerfz, et le sang31. » C’est précisément contre ce culte quasi-exclusif de la Pléiade pour l’Antiquité que réagit Claude Fauchet. Dans la lignée de l’Art poétique françoys attribué à Thomas Sébillet et publié un an avant La Deffence et Illustration, le jeune humaniste encourage le « studieux de la poésie » à lire et à s’inspirer des auteurs français du Moyen Âge. Pour Claude Fauchet, en effet, ces derniers sont les représentants d’une tradition nationale dont l’intérêt et la richesse sont comparables à celles respectives des Grecs et des Romains32.
- 33 Dans le deuxième livre de l’Art poétique Françoys qui fait une analyse de « toutes les formes et d (...)
- 34 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 126.
- 35 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 94. Antoine Heroët, poète néoplaton (...)
- 36 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 131-132.
- 37 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 131-138. Seule exception à ce réqui (...)
13La seconde prise de distance de la part de l’auteur des Veilles vis-à-vis des principes énoncés dans La Deffence et Illustration de la Langue françoyse s’inscrit dans le prolongement de la précédente et concerne le jugement très négatif porté par Joachim du Bellay sur les poètes de la première moitié du xvie siècle et en particulier sur Clément Marot. Alors que l’Art poétique françoys de 1548 accordait une place de choix au poète de L’Adolescence clementine en le désignant comme un modèle à imiter33, Joachim du Bellay adoptait quant à lui, dans son manifeste, le parti exactement contraire en multipliant les attaques explicites ou implicites contre ce « rimeur » qui incarnait à ses yeux la médiocrité et « l’ignorance » dans lesquelles la poésie française s’était jusqu’alors complu. Joachim du Bellay souhaitait que vît le jour « une forme de Poësie beaucoup plus exquise34 » qui exigeait des poètes français qu’ils cessassent de s’estimer « estre des meilleurs, quand plus ilz ressembl[oient] un Heroet, ou un Marot35. » Son manifeste se présente donc comme une rupture par rapport aux conceptions et aux pratiques poétiques admises jusqu’alors. On se souvient du passage célèbre de La Deffence et Illustration dans lequel Joachim du Bellay exhorte le « Poëte futur » à feuilleter « de Main nocturne, et journelle, les Exemplaires Grecz et Latins » et à laisser « toutes ces vieilles Poësies Françoyses aux Jeuz Floraux de Thoulouze, et au Puy de Rouan : comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz, Chantz Royaulx, Chansons, et autres telles episseries, qui corrumpent le goust de nostre Langue : et ne servent si non à porter temoingnaige de notre ignorance36. » Après avoir condamné ces genres traditionnels de la poésie française, l’auteur du manifeste dresse la liste de ceux, tous repris à la poésie gréco-latine à l’exception du sonnet, que doit « élire » le « Poëte Françoys ». Qu’il s’agisse de l’épigramme, de l’élégie, de l’ode, de l’épître, de la satire ou du « mignard Hendecasyllabe », Joachim du Bellay reste fidèle à sa position : seuls méritent d’être imités les auteurs grecs et latins ; quant aux poètes français, dont notamment Clément Marot, qui ont déjà pratiqué ces genres, Joachim du Bellay estime que leurs tentatives sont indignes du « plus hault, et meilleur Style » qu’exige la poésie et il recommande de façon systématique à ses contemporains de se détourner de leurs exemples37.
- 38 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 37r-39r (Espiner-Scott, Documents, p. 165-167). Sur c (...)
14Ces critiques très sévères dont Clément Marot était plus particulièrement la cible donnent lieu à une vive réaction de la part de Claude Fauchet dans ses Veilles38. Le chapitre que le jeune humaniste consacre à l’auteur des Épîtres s’apparente à une véritable réhabilitation. Claude Fauchet commence par rendre hommage au Clément Marot traducteur des Psaumes :
- 39 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 38v (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Ce thème de l (...)
[…] meu de bon zelle il tralata (sic) les Psalmes de David, chose tant laborieuse, par quoi il a merité telle louange des studieux de la langue françoise, qu’à jamais on l’en doit estimer ; la fidelité et heur de sa tralation (sic) est telle qu’il ne s’est trouvé homme apres lui aprochant de sa grace – je ne parle point seullement en françois, mais en aultres langues. Mais quelle recompense a il eu de chose tant louable, o France ingrate et indigne de tel homme ! Les diables et ennemis du Dieu et du nom françois le poursuivirent tant qu’il fut contraint vuider le pais et se retirer en Piedmont, ou il mourut […]39.
- 40 Ibid.
- 41 Fauchet, Veilles, fol. 38v-39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Souvenir d’Horace, Art poétique (...)
- 42 Fauchet, Veilles, fol. 39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167).
- 43 Fauchet, Veilles, fol. 38v (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Rappelons que cette églogue, une fo (...)
- 44 Fauchet, Veilles, fol. 40v-41r (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
- 45 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Dans l’Art Po (...)
15Ingrate, la France l’est encore vis-à-vis de ce poète, estime Claude Fauchet, à la lecture des jugements sans appel que certains se sont permis de prononcer sur son œuvre : « Ses vers, rapporte l’auteur des Veilles, furent trouvez par aulcuns laches, peu virilz et trop coulantz jusques à dire que s’estoient vers de barbier40. » Tout en déclarant s’en rapporter « au jugement des plus sçavants », le jeune humaniste ne peut s’empêcher d’exprimer sa désapprobation et de mettre en avant les qualités d’une poésie fidèle, selon lui, à l’un des principes essentiels de l’Art poétique d’Horace : « quant à moi, écrit-il, je l’estime avoir esté fort propre en sa composition, usant de doulceur et gravité là où il en estoit besoin41 ». Abordant alors la question des genres poétiques considérés comme mineurs pratiqués par l’auteur de L’Adolescence clementine, Claude Fauchet développe une double argumentation. Dans un premier temps, le jeune humaniste estime que si Clément Marot « ne s’est amusé qu’à faire petites pieces comme epigrames et aultres », la responsabilité en incombe avant tout à ceux qui sollicitèrent son talent poétique sans jamais lui commander « chose plus grave42 ». Claude Fauchet invoque pour preuve l’« Eglogue sus la naissance du filz de Monseigneur le Dauphin », qui montre selon lui, et s’il en était besoin, que « Marot, emploié en plus grand-chose que une epistre ou epigrame, eut fait honte aus plus braves estrangers43. » Dans un second temps, l’auteur des Veilles donne un tour différent à sa défense de l’épigramme marotique. C’est ainsi que Claude Fauchet fait un rapprochement entre ce genre poétique tel qu’il fut pratiqué par Clément Marot, c’est-à-dire « fluide » dans sa « composition » et « poingnant à la fin », et le « naturel du François44 ». Le jeune humaniste établit une correspondance entre d’un côté une forme poétique et de l’autre un « naturel » propre à la nation française : « L’epigrame, déclare-t-il, nous est si familier et tant approchant de la nature françoise que j’ose asseurer lui soier mieux qu’a toutes aultres nations45. » La poésie marotique s’apparente donc pour l’auteur des Veilles à l’expression d’un esprit « facétieux » particulier à la France et à son peuple. Dans ces conditions, condamner cette œuvre équivaut à renier ce qui fait la spécificité même de la poésie française ; pour l’auteur des Veilles, à travers le rejet de la poésie de Clément Marot, c’est l’essence même de la poésie et de l’esprit français qui se trouve remise en cause.
- 46 Ibid.
- 47 Fauchet, Veilles, « De Pierre de Ronsard Poete », fol. 40v (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
- 48 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167).
- 49 Sébillet, Art poétique François, éd. F. Goyet, p. 59-60.
- 50 Comme l’a montré Nicolas Lombart, Fauchet restera fidèle à ses positions dans son Recueil de l’ori (...)
16Face aux jugements catégoriques portés par Joachim du Bellay contre le « Prince des Poètes françoys » de la première Renaissance, Claude Fauchet adopte donc une position plus nuancée. Pour ce dernier, en effet, l’imitation des Grecs et des Latins, leitmotiv de la Deffence et Illustration de la Langue françoyse, ne doit pas conduire à faire table rase de la tradition poétique nationale dont Clément Marot fut le plus digne représentant dans la première moitié du xvie siècle. À côté du style « élevé » préconisé par les membres de la Pléiade, il y a aussi la place, estime le jeune humaniste, pour un style « humble » qu’incarne mieux qu’aucune autre la poésie de Clément Marot. « Mais quel besoin est-il de tonner et foudroier quant l’on veult rire ? » interroge l’auteur des Veilles46. Tout en rendant hommage à la « hardiesse » du Ronsard des Amours et des Odes47, Claude Fauchet défend une poésie plus légère, expression d’un « naturel Françoys » dont « le propre […] est plus de traicter choses communes et facetieuses que graves48 ». Ainsi, qu’il s’agisse des « Anciens poetes Françoys » du Moyen Âge ou de ceux plus récents de la première Renaissance française, la position de l’auteur des Veilles reste toujours la même : tout en souscrivant aux innovations préconisées par l’« école » de la Pléiade, celui-ci souhaite néanmoins que soient prises en considération les richesses de la poésie française depuis les premiers « romans » médiévaux jusqu’à Clément Marot. À ses yeux, l’éducation du poète doit reposer autant sur la lecture des auteurs grecs et latins que sur la connaissance des « bons et classiques poètes français49 ». Dans cette perspective, les chapitres des Veilles consacrés à la poésie peuvent être considérés comme une tentative de synthèse entre l’Art poétique françois attribué à Thomas Sébillet, favorable à la tradition poétique nationale, et La Deffence et Illustration de la Langue françoyse, fondée sur l’imitation de la culture gréco-latine. Pour Fauchet, il n’y a pas incompatibilité entre ces deux approches mais au contraire complémentarité ; une complémentarité dont les poètes français doivent tirer le meilleur parti pour illustrer le « nom françoys » à travers l’enrichissement de leur langue et de leur poésie nationales50.
Claude Fauchet et la redécouverte du passé national
- 51 Fauchet, Veilles, « De l’utilité des histoires et que les memoires de Philippe de Commines telz qu (...)
- 52 Ibid.
17À côté de ces prises de position sur la langue et la poésie nationales, Claude Fauchet consacre de nombreux chapitres de ses Veilles à l’étude du passé du royaume de France. L’intention évidente de l’humaniste est de combler une lacune. Fauchet constate en effet avec regret que les Français contrairement aux Romains ou aux Grecs n’ont jamais pris la peine de léguer à la postérité les actes glorieux dont ils étaient les auteurs : « Mais noz François, déplore-t-il, aimantz mieux faire que bien dire, ne se sont souciez (au moins bien peu) d’écrire leurs faitz et gestes non moins grands toutefois que ceulx des estrangers si bien, et doctement écris51. » Et pourtant, estime Fauchet, l’histoire de France n’a rien à envier à celles de la Grèce ou de l’Italie. Ainsi historiens et poètes devraient puiser dans le passé national pour exalter la grandeur française plutôt que de toujours chercher à l’étranger des exemples d’héroïsme et de vertu. Dans cette perspective, les écrits historiques respectifs de Jean Froissart, Philippe de Commynes et Jean Lemaire de Belges apparaissent à Fauchet comme les premières tentatives plus ou moins abouties de mise en récit historique du passé national. Soucieux de promouvoir ces initiatives, Fauchet consacre une étude à chacun de ces trois auteurs. À travers ces portraits d’historiens, il met en place une réflexion sur la démarche historique, sur la relation de l’historien au pouvoir politique et sur l’« utilité de l’histoire52 » qui doit permettre « d’illustrer » la grandeur de la France.
- 53 Tel est le cas du chapitre sur le duel (Premier Livre, chap. 8), de celui sur les « six François » (...)
18Jean Froissart est l’un des historiens les plus souvent cités dans les Veilles ; ses Chroniques sont la source de nombreux chapitres de l’œuvre manuscrite de Claude Fauchet53. L’opinion de l’humaniste sur l’historien de la guerre de Cent Ans reste cependant ambivalente.
- 54 Fauchet, Veilles, fol. 9r (Espiner-Scott, Documents, p. 141).
19Claude Fauchet reconnaît un véritable mérite à l’entreprise historiographique de Froissart. Il est en particulier sensible à la recherche de l’information à laquelle s’est livré le chroniqueur. Froissart, en effet, n’a pas hésité pour composer son œuvre à voyager « en plusieurs pais comme Angleterre, Escose, Languedoc, France et aultres, entrant aus maisons des princes et grands seigneurs hardiment54. » La documentation personnelle qu’il a collectée en interrogeant de nombreux témoins ou acteurs des faits qu’il relate donne à son récit une indéniable valeur historique. De plus, il n’hésite pas à confronter les témoignages, à les opposer les uns aux autres pour reconstituer l’enchaînement des faits et établir les causes des événements.
- 55 Ibid.
20Pour Claude Fauchet, cette œuvre se distingue encore par ses qualités littéraires. L’humaniste est sensible à la langue de Froissart, l’une des plus riches et des plus colorées du Moyen Âge. Il voit en ce chroniqueur un précurseur : « C’est le premier de nos François qui s’est estudié a mieux faire parler l’Histoire qu’elle ne souloit et d’une aultre façon55 ». Pour Fauchet, Froissart innove donc de deux manières : tout d’abord, par sa méthode historique qui repose à la fois sur un travail documentaire solide et sur la confrontation des témoignages ; ensuite, par les qualités littéraires de sa narration historique.
- 56 Ibid.
21« Louable56 », l’entreprise historiographique de Froissart n’en souffre pas moins de graves défauts qui compromettent sa valeur historique.
- 57 Ibid.
- 58 Ibid.
22La première faute du chroniqueur tient aux nombreux développements inspirés des romans de chevalerie ou des contes qui viennent émailler la narration. Fauchet reproche à Froissart d’avoir mélangé les « genres » en insérant dans la trame du récit historique des passages qui tiennent plus du « romant ou conte57 » que de l’histoire. Les longues digressions consacrées à la description des tournois ou des fêtes princières semblent tout droit tirées du cycle arthurien et tranchent avec les témoignages recueillis par le chroniqueur au cours de son enquête. Les « Histoires » de Froissart, apparaissent ainsi aux yeux de l’humaniste comme une œuvre hétéroclite où la « fable58 » corrompt l’histoire.
- 59 Fauchet, Veilles, fol. 8v (Espiner-Scott, Documents, p. 141).
- 60 Fauchet, Veilles, fol. 9r (Espiner-Scott, Documents, p. 141).
23À ce premier défaut vient s’ajouter un second plus grave encore aux yeux de Fauchet. Dans la notice biographique qu’il consacre à Froissart, l’auteur des Veilles se livre au relevé des nombreux protecteurs dont bénéficia le chroniqueur. L’humaniste remarque ainsi que la rédaction des Chroniques fut commencée à l’instigation de « Messire Robert de Namur Seigneur de Beaufort » mais que l’œuvre fut ensuite dédiée à « Gui comte de Blois et d’Avennes59 ». Fauchet souligne surtout le rôle déterminant que joua la reine d’Angleterre Philippa de Hainaut, femme d’Édouard III d’Angleterre, dans la continuation de l’entreprise historiographique. À partir de 1361, en effet, date du premier séjour de Froissart en Angleterre, l’historiographe fut « secrétaire » de la reine d’Angleterre, et son « familier » et c’est elle, affirme Fauchet qui « lui commanda [de] poursuivre son Histoire60 ». Fauchet mentionne encore les cours que fréquenta Froissart après le décès de la reine d’Angleterre : la cour des ducs de Brabant, d’abord, où le chroniqueur eut pour protecteur Wenceslas de Luxembourg ; celle, ensuite, des rois de France, Jean II le Bon et le dauphin Charles ; la cour de Richard II, enfin, dont Froissart fut le familier lors de son second séjour en Angleterre.
- 61 Ibid.
- 62 Fauchet, Veilles, fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
- 63 Ibid.
24Le recensement de tous ces protecteurs n’est pas gratuit. Fauchet reproche en effet au chroniqueur d’avoir fait varier son récit des événements au gré des protections successives dont il bénéficia : « on voie clairement la faveur qu’il porte aus siens ou a ceus qui lui ont fait du bien, chose que sur tout doit fuir celui qui entreprent d’escrire une Histoire, car ce faisant il la depouille de son plus beau joiau, qui est verité61 ». Dans un autre passage, Fauchet reprend le même grief contre Froissart et son continuateur Enguerrand de Monstrelet qu’il accuse « d’avoir failli a la principale partie requise à l’Historiographe, qui est Verité. Car l’un, et l’autre ne pouvant devestir ce naturel apetit de favoriser ses bienfaiteurs, se fait connoistre pour Anglois ou pour Bourguignon62. » Le jugement porté par Fauchet sur les deux chroniqueurs est sans appel. Froissart comme Monstrelet ont manqué à leur devoir d’historien en faussant le récit des événements passés. Ils ont travesti la vérité historique pour flatter leurs bienfaiteurs. Leur récit est souillé, écrit Fauchet, de « l’orde tache d’écrire par faveur63 ». À travers ce réquisitoire contre les deux chroniqueurs, Fauchet énonce ce qui constitue pour lui le but ultime de l’historien : mettre au jour la vérité. C’est à la seule quête de la vérité que l’historien doit s’employer et rien ne devrait le faire dévier de ce dessein.
- 64 Sur la réception de Commynes au xvie siècle, voir J. Dufournet, « Les premiers lecteurs de Commyne (...)
- 65 Claude Fauchet a lu Commynes dans l’édition de 1552 de Denis Sauvage qu’il considère comme « la me (...)
25À côté de Froissart et de Monstrelet, sévèrement épinglés par l’humaniste, Philippe de Commynes fait figure de véritable modèle de l’historien dans les Veilles64. Fauchet consacre d’ailleurs à ses Mémoires deux chapitres et dresse de ce dernier un portrait des plus élogieux65. Pour l’humaniste, Commynes conjuguait tous les
- 66 Fauchet, Veilles, fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
dons que doit avoir l’Historiographe, […] pour avoir esté de son vivant gouverneur des princes, sage, de bon discours, aiant (la plus part) assisté au conseil, ou a l’acte qu’il décrit, asses eloquant pour le temps, riche pour n’escrire sous esperance de guerdon66.
26À travers le portrait de Philippe de Commynes, c’est bien le portrait de l’historien idéal que dresse Fauchet. L’auteur des Mémoires sut associer des qualités morales (la sagesse, le bon conseil) à une situation dans le monde qui lui permit à la fois d’être un témoin privilégié de son époque et de conserver son indépendance vis-à-vis des Grands dont il écrivait l’histoire. Ce qui distingue encore Philippe de Commynes aux yeux de Fauchet, c’est sa culture, sa connaissance des lettres qui font de lui un exemple pour la noblesse française :
- 67 Fauchet, Veilles, fol. 1r-1v (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
Cetui premier môntra à nos gentishommes que la science seioit ausi (sic) bien au gendarme, que l’épée bien fourbie et le montra bien : redigant par memoires les faitz des rois Louis XI, et Charles 8 son filz67.
- 68 Fauchet, Veilles, fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
- 69 Fauchet, Veilles, fol. 17r (Espiner-Scott, Documents, p. 151).
27Ainsi, pour Fauchet, Philippe de Commynes fut bien ce « personnaige doué de toutes choses necessaires68 » pour être historiographe. Le portrait du mémorialiste fait apparaître les enjeux qui sont liés pour l’humaniste à l’écriture de l’histoire. L’observation et la compréhension des faits nécessitent de la part de l’historien qu’il évolue dans l’entourage des princes. À cet égard, la connaissance qu’il a du passé et des affaires humaines peuvent lui permettre de jouer le rôle de conseiller auprès des rois. L’historien cependant doit toujours veiller à conserver toute liberté de jugement dans son appréciation des faits. Dans ce rapport de l’historien au pouvoir, l’autonomie financière sinon totale tout du moins partielle apparaît comme une nécessité. Elle est garante en effet de son indépendance. Sur l’historien gagé pèse la menace de l’asservissement à son maître. La recherche de la récompense risque de fausser la narration historique et de détourner l’historien de son but premier qui doit être, comme Fauchet ne cesse de l’affirmer, la recherche de la vérité. Dans cette perspective, la figure de Philippe de Commynes apparaît comme une référence essentielle dans la réflexion de l’humaniste sur l’histoire et sur les devoirs de l’historien. Il est, affirme Claude Fauchet, le « prince de nos (si j’ose dire, de tous aultres) historiographes69 » et son œuvre qui offre une analyse des règnes de Louis XI et de Charles VIII est un modèle d’écriture historique.
- 70 Sur ce livre, on pourra se reporter à J. Abélard, Les Illustrations de Gaule de Jean Lemaire de Be (...)
- 71 Dubois, Celtes et Gaulois au xvie siècle, p. 35.
28Le dernier historien auquel Claude Fauchet consacre une notice dans ses Veilles est Jean Lemaire de Belges, « Poete et Historiographe », auteur en particulier des Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye parues en trois volumes entre 1509 et 151370. Cet ouvrage, qui connut un large succès dans la première moitié du xvie siècle, retrace l’histoire nationale depuis les premiers rois gaulois de l’époque post-diluvienne jusqu’au règne de Pépin, père de Charlemagne. L’œuvre se caractérise par une érudition syncrétique où les auteurs apocryphes nouvellement redécouverts par Annius de Viterbe côtoient les auteurs grecs et latins, les poètes, les Pères de l’Église et des auteurs modernes71. Cette vaste compilation pseudo-historique fut à l’origine du courant celtophile qui traversa tout le xvie siècle.
29Quel jugement Claude Fauchet porte-t-il sur cette œuvre historiographique de la première Renaissance ?
- 72 Fauchet, Veilles, fol. 43r (Espiner-Scott, Documents, p. 171).
- 73 Ibid.
- 74 Fauchet, Veilles, fol. 43v (Espiner-Scott, Documents, p. 172).
30Fauchet commence par rendre hommage au patriotisme de Lemaire de Belges qui « n’estima faire chose plus louable que d’illustrer le pais, auquel il debvoit et la vie et l’avancement de son bien, c’est assçavoir, France72. » Il se dit ensuite « esmerveillé du travail et labeur enduré par lui en lisant tant et si divers aulteurs que ceux qu’il allegue en si grant nombre », et l’humaniste ajoute : « […] je ne m’esbahis point du temps qu’il dit y avoir emploié, qui fut par l’espace de neuf ans73. » Ce que Claude Fauchet apprécie avant tout dans les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troyes, c’est la très vaste documentation collectée par Jean Lemaire de Belges. Après avoir reconnu cette qualité à l’ouvrage de ce dernier, Claude Fauchet adopte alors une position plus critique : « il me semble advis qu’il avoit l’esperit plus poetiq qu’aultrement » et l’humaniste considère que l’auteur des Illustrations doit surtout être loué pour ses « inventions bonnes de motz et de fictions poetiques74 ». De ce fait, le crédit d’abord accordé aux Illustrations de Gaule et Singularités de Troyes se trouve considérablement diminué. L’œuvre révèle un Lemaire de Belges plus poète qu’historiographe. La démarche érudite revendiquée n’a pas abouti à l’écriture d’une histoire nationale expurgée des « fables et de contes » comme le revendiquera bien plus tard Claude Fauchet à propos de ses Antiquitez gauloises et françoises.
- 75 Fauchet, Veilles, fol. 19r (Espiner-Scott, Documents, p. 153).
- 76 Ibid.
31De ces trois portraits, il ressort que pour Claude Fauchet, le but principal de l’historien est la recherche de la vérité. Son travail repose sur la collecte la plus rigoureuse possible des témoignages et des documents. La fréquentation des princes apparaît comme indispensable dans la mesure où elle permet d’accéder à une meilleure intelligence des faits et de leurs causes. Dans son rapport avec le pouvoir cependant, l’historien doit toujours veiller à conserver son indépendance. Son récit doit rester fidèle à la stricte narration des faits établis et ne pas chercher à présenter les événements sous un jour favorable au souverain dont on relate les actions. Enfin, Claude Fauchet considère que l’historien doit privilégier l’étude et la connaissance du passé de son pays. Il doit faire sortir de l’oubli les actions héroïques des ancêtres afin que les Français n’aillent plus « chercher des exemples chez les estrangers » mais s’inspirent de ceux « qu’ils ont en leur maison75 ». Fauchet prend pour exemple d’héroïsme propre aux Français l’épisode rapporté par Jean Froissart des six Bourgeois qui « s’exposèrent a la mort volontairement pour sauver leurs conbourgeois76 » lors du siège de Calais par le roi d’Angleterre, Édouard III. Pour l’auteur des Veilles, il appartient aux historiens mais aussi aux poètes du royaume de révéler ces faits exemplaires afin que les Français aient une meilleure connaissance de leur passé et qu’ils développent ainsi un fort sentiment national.
Conclusion
32Qu’il s’agisse de l’étude de la poésie, de la langue ou de l’histoire, on relève donc toujours chez Claude Fauchet le même souci d’établir et de défendre une tradition nationale. Cette démarche s’inscrit dans une volonté d’affirmation de la civilisation française face à l’hégémonie de la culture italienne en Europe. Ainsi, dans de nombreux chapitres de ses Veilles, Fauchet cherche-t-il à montrer l’autonomie de la culture française par rapport à la civilisation italienne, voire même à établir la préséance de la première sur la seconde. À propos de l’Université de Paris aux xiiie et xive siècles, le jeune humaniste constate que « non seullement les François y acouroient mais aussi les Italiens, Espaignolz, Anglois, Allemantz ». Et Fauchet ajoute :
- 77 Fauchet, Veilles, fol. 24r.
Danthe poète florentin, Bocace y ont estudié. Et quant à Bocace, si quelqu’un veult prendre la poene de le leire et voir de pres, il trouvera une infinité non seulement de parolles mais de manieres de parler françoises. Et qui vouldra voir nos antiens autheurs, il trouvera l’origine des plus braves parolles dont les Italiens se parent aujourd’hui ; voire des noms de leur poesie comme sonnet, ballade77.
- 78 Fauchet, Veilles, fol. 23v.
33L’auteur des Veilles considère donc que la dette culturelle de l’Italie à l’égard de la France est des plus significatives. Si translatio studii il y eut, ce fut de la France vers l’Italie et non l’inverse. Mais l’Italie n’est pas le seul pays redevable à la France. Ainsi l’Angleterre, suite à la conquête que fit Guillaume le Conquérant de ce pays, adopta non seulement la langue du vainqueur mais aussi ses lois : « les Anglois avoient lois françoises78 » écrit Fauchet. Du xie au xive siècle, le rayonnement culturel de la France fut donc intense. C’est précisément ce rôle de premier plan que Fauchet voudrait que la France retrouve sur l’échiquier européen. Ainsi, les Veilles constitue une défense et illustration de la civilisation française pour que la France redevienne « mère des armes, des arts et des lois » en Europe.
Notes
1 Veilles ou observations de plusieurs choses dinnes de mémoire en la lecture d’aucuns autheurs François par C.F.P. l’an 1555, BnF, ms. fr. 24726 (désormais, Fauchet, Veilles). Des extraits de ce manuscrit autographe de Fauchet ont été publiés par J. G. Espiner-Scott dans Documents concernant la vie et les œuvres de Claude Fauchet, Paris, Droz, 1938, p. 135-179 (désormais, Espiner-Scott, Documents). Sur ce manuscrit, voir les études de J.G. Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son œuvre, Paris, Droz, 1938, p. 270-281 et d’A. Schoysman, « Le regard de Claude Fauchet sur le Moyen Âge finissant », L’Analisi Linguistica e Letteraria, 12, 2004, p. 197-206.
2 Fauchet, Veilles, fol. 81r (Espiner-Scott, Documents, p. 177).
3 Dans son manuscrit, Claude Fauchet fait plusieurs fois références à Aulu-Gelle et à ses commentateurs (Gilles de Maizières et Josse Bade), Fauchet, Veilles, fol. 4v (Espiner-Scott, Documents, p. 138). Sur la réception d’Aulu-Gelle en France à la Renaissance, consulter le chapitre de Michael Heath, « Gellius in the French Renaissance », The Worlds of Aulus Gellius, éd. L. Holford-Strevens et A. Vardi, Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 282-317.
4 Sur la poétique et l’esthétique de la variété à la Renaissance, voir La varietas à la Renaissance, éd. D. de Courcelles, Paris, École nationale des chartes, 2001.
5 Pour les historiens, on relève les noms de Philippe de Commynes (Premier Livre, chap. 1 et Second Livre, chap. 2), Jean Froissart (Premier Livre, chap. 7) et Jean Lemaire de Belges (Troisième Livre, chap. 10) ; pour les poètes, il s’agit des « autheurs du Romant d’Alexandre » (Premier Livre, chap. 2), de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung (Premier Livre, chap. 4), de Gaston Phebus (Premier Livre, chap. 6), d’Alain Chartier (Second Livre, chap. 7), de Gaces de la Buigne (Second Livre, chap. 8), de Clément Marot (Troisième Livre, chap. 8), de Pierre de Ronsard (Troisième Livre, chap. 9), de Huon de Méry (Quatrième Livre, chap. 1) et de Hugues de Berzé (Quatrième Livre, chap. 2). Les notices bio-bibliographiques consacrées aux auteurs du Roman d’Alexandre, à Guillaume de Lorris et à Jean de Meung, à Huon de Méry et à Hugues de Berzé réapparaîtront sous une forme remaniée dans le Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise publié en 1581.
6 Trois chapitres sont respectivement consacrés à la signification des mots « pallefroi », « mallettotes » et « ferrant » (Premier Livre, chap. 5 ; Troisième Livre, chap. 4 ; le dernier chapitre est un chapitre isolé), deux autres à l’étymologie des mots « sergent » et « corfeu » (Second Livre, chap. 6 et chap. 7).
7 Il s’agit des chapitres 1 et 4 du second Livre respectivement intitulés « Que antiennement les vers rimez de nos poëtes se chantoient au son des instrumentz » et « L’estendue de nostre langue avoir esté plus grande qu’elle n’est maintenant ». Ce dernier chapitre réapparaîtra avec quelques ajouts dans le Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise.
8 Il s’agit respectivement du chap. 3 du Premier Livre, du chap. 3 du Second Livre et, pour les dignités, du chap. 6 du Second Livre et des chapitres 1, 6 et 7 du Troisième Livre. À la liste de ces chapitres historiques, il convient d’ajouter un long chapitre sur le duel « durant le regne de Charles 5 et 6 au roiaulme de France » (Premier Livre, chap. 8), un autre sur la « vieille coustume » militaire de faire hisser l’« estandart » avant la bataille (Second Livre, chap. 5), un chapitre sur l’origine de l’épithète « le Hardi » attribuée à Philippe, duc de Bourgogne, un dernier chapitre, enfin, sur les remparts de la ville de Paris (Quatrième Livre, chap. 3). Pour être complet, citons trois chapitres qui s’apparentent plus à des histoires merveilleuses, l’un tiré de Froissart, qui porte sur un acrobate funambulesque, un second repris à Georges Chastellain, sur un jeune homme prodige, le dernier, enfin, extrait de l’Histoire d’Angleterre de Polydore Virgile, relatif aux habitants d’un village anglais qui avaient « dez queues come bestes ».
9 Sur le développement de la science historique dans la seconde moitié du xvie siècle, voir en particulier, C.-G. Dubois, La conception de l’histoire en France au xvie siècle (1560-1610), Paris, Nizet, 1977 et B. Barret-Kriegel, La défaite de l’érudition, Paris, P.U.F., 1988 ; sur la naissance de l’histoire littéraire dont Fauchet fut un des précurseurs avec Étienne Pasquier, voir E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse. Naissance de l’« histoire littéraire » française aux xvie et xviie siècles, Paris, Champion, 2006.
10 J. du Bellay, La Deffence, et Illustration de la Langue françoyse (1549), éd. J.-C. Monferran, Genève, Droz, 2001, p. 93. Sur les débats qui entourèrent la question de l’enrichissement de la langue française au milieu du xvie siècle, voir la synthèse de Michel Magnien, « Le français et la latinité : de l’émergence à l’illustration », Histoire de la France littéraire. T. I. Naissances, Renaissances, Moyen Âge- xvie siècle, éd. M. Prigent, Paris, P.U.F., 2006, p. 36-77.
11 Fauchet, Veilles, fol. 41v (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
12 Fauchet, Veilles, Troisième Livre, chap. 9 : « De Pierre de Ronsard Poete », fol. 39v-42r (Espiner-Scott, Documents, p. 168-171). Pour un résumé du chapitre consacré par Claude Fauchet à Ronsard, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 233-234.
13 Fauchet, Veilles, fol. 41r (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
14 Ibid.
15 Ibid.
16 Fauchet, Veilles, fol. 7r (Espiner-Scott, Documents, p. 139). L’humaniste se livre au même exercice avec le mot « ferrand » plus loin dans son manuscrit, Veilles, fol. 74r (Espiner-Scott, Documents, p. 139).
17 Ibid.
18 Ibid. Louis des Masures traduisit l’intégralité de l’Énéide de Virgile entre 1547 et 1560. Le vers de Virgile (L’Énéide, IV, 135) dont il est question est le suivant : « Stat sonipes frenaque ferox spumatia mandit ». Sur l’activité de traducteur de Louis des Masures, voir en particulier l’article de J. Pineaux, « Louis des Masures traducteur : expression française et expression latine chez un humaniste du xvie siècle », Revue des Sciences Humaines, 180, 1980, p. 51-71. Il existe une édition critique de cette traduction, L’Énéide de Virgile, éd. R. Thomas, East Ardsley, 1972.
19 Ibid. Sur la traduction du Livre IV de l’Énéide de Virgile par Joachim du Bellay, voir A. Hulubei, « Virgile en France au xvie siècle : éditions, traductions, imitations », Revue du seizième siècle, 18, 1931, p. 1-77, ici p. 37-42.
20 Fauchet, Veilles, fol. 2v -3r, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 164-165.
21 Fauchet, Veilles, fol. 3r (passage transcrit par nos soins).
22 Ibid. Ce passage fait directement écho à celui de Joachim du Bellay dans sa Deffence et Illustration, Livre II, chap. vi, « D’inventer des Motz, et quelques autres choses, que doit observer le Poëte Françoys » : « Quand au reste, use de motz purement Françoys, non toutesfois trop communs, non point aussi trop inusitez, si tu ne voulois quelquefois usurper, et quasi comme enchasser ainsi qu’une Pierre precieuse, et rare, quelques motz antiques en ton Poëme, à l’exemple de Virgile […]. Pour ce faire te faudroit voir tous ces vieux Romans, et Poëtes Françoys […] » (Deffence et Illustration, p. 148).
23 Fauchet, Veilles, fol. 26v-27r (Espiner-Scott, Documents, p. 157-158).
24 Fauchet, Veilles, « Des deux autheurs du Romant de la Rose Guilleaume de Lorris et Jehan de Meung », fol. 2r-3v. Sur la « fortune » du Roman de la Rose à la Renaissance, voir en particulier D. Hult, « La fortune du Roman de la Rose à l’époque de Clément Marot », Clément Marot, « Prince des poëtes françois », 1496-1996, éd. G. Defaux et M. Simonin, Paris, Champion, 1997, p. 143-156.
25 Fauchet, Veilles, fol. 2r. On rapprochera ce jugement de Claude Fauchet de ceux de T. Sébillet, Art poétique Françoys, II, XIV, « Grand œuvre. Le Roman de la Rose », éd. F. Goyet, Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Librairie Générale Française, 1990, p. 140 : « Pour ce si tu désires exemple [d’un poème qui tombe sous l’appellation de Grand œuvre], te faudra recourir au Roman de la Rose, qui est un des plus grands œuvres que nous lisons aujourd’hui en notre poésie Française », et de J. du Bellay dans La Deffence et Illustration de la Langue françoyse, Livre II, chap. ii, « Des Poëtes Françoys », p. 121 : « De tous les anciens Poëtes Françoys, quasi un seul Guillaume du Lauris, et Jan de Meun sont dignes d’estre leuz, non tant pour ce qu’il y ait en eux beaucoup de choses, qui se doyvent immiter des Modernes, comme pour y voir quasi comme une premiere Imaige de la Langue Françoyse, venerable pour son antiquité. » Relevons dès maintenant que dans son appréciation des œuvres médiévales, Claude Fauchet est plus proche de l’Art poétique Françoys de Thomas Sébillet que de La Deffence et Illustration de Joachim du Bellay. Sur le jugement porté par Joachim du Bellay sur la littérature médiévale, lire F. I. Tripplet, « Du Bellay’s Ambivalent Defense of Medieval Vernacular : La deffence et Illustration de la Langue françoise », Studies in Medievalism, 3/1, Fall 1987, p. 33-39. Pour une analyse des références au Roman de la Rose dans les écrits de Fauchet, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 212-217.
26 Fauchet, Veilles, fol. 8v (Espiner-Scott, Documents, p. 140). Claude Fauchet a lu cet ouvrage en manuscrit comme il l’indique au début de son chapitre : « […] (ainsi comme le dit un livre que j’ai escrit à la main) », Veilles, fol. 7v (Espiner-Scott, Documents, p. 139-140). On atteste l’existence de 44 manuscrits médiévaux du Livre de chasse de Gaston Phébus : voir sur cette question l’édition de G. Tilander, Karlshamn, 1971. Nous n’avons pu identifier, jusqu’à maintenant et s’il existe toujours, le manuscrit consulté par Claude Fauchet. Il apparaît par ailleurs que l’humaniste ignorait l’existence de l’édition « imprimée pour Anthoine Verard » à Paris vers 1507 des Deduiz de la Chasse des bestes sauvaiges et des oyseaux de proye de Gaston Phébus. Cette édition comportait, imprimés l’un à la suite de l’autre, l’ouvrage de Gaston Phébus et celui de Gace de la Buigne sans que le nom de ce dernier poète ne soit mentionné ; c’est elle qui fut à l’origine de l’attribution à Gaston Phébus de la paternité des deux ouvrages, attribution erronée à laquelle fait écho la remarque finale du chapitre de Claude Fauchet sur ce poète : « J’ai ouï dire qu’il [Gaston Phébus] en a fait aussi un de la fauconnerie, mais je ne l’ai point veu » (Veilles, fol. 8v ; Espiner-Scott, Documents, p. 140). Pour un résumé du chapitre de Claude Fauchet sur Gaston Phébus dans les Veilles, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 220.
27 Fauchet, Veilles, Second Livre, chap. 8 : « De Gaces de la Vigne, lequel a escript un Roman des Oiseaux et de leur chasse en vers françois », fol. 27v-30v (Espiner-Scott, Documents, p. 158-162). Comme pour l’ouvrage de Gaston Phébus, Claude Fauchet dit avoir lu le Roman des deduis de Gace de la Buigne : « […] dans un exemplaire viel escript à la main (car jamais je n’en vi d’imprimé encor qu’il soit tres bien fait et utille) » (Veilles, fol. 27v ; Espiner-Scott, Documents, p. 158). De cette dernière citation, il apparaît que Claude Fauchet ignorait les trois impressions, dont deux avec le Livre de chasse de Gaston Phébus, que connut le Roman des deduis de Gace de la Buigne au début du xvie siècle, sur ce point voir Le Roman des deduis, éd. A. Blomqvist, Karlshamn, 1951. Pour une analyse de ce chapitre des Veilles, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 219-220.
28 Fauchet, Veilles, fol. 29r (Espiner-Scott, Documents, p. 160). À cette liste d’auteurs médiévaux, il conviendrait encore d’ajouter le nom de « Maistre Allain Chartier, poète et orateur françoys » dont Claude Fauchet écrit qu’« Il fut homme de fort grant esperit, ainsi que ses œuvres tant de prose que de vers le montrent […] », Veilles, fol. 26v (Espiner-Scott, Documents, p. 157).
29 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, Livre II, chap. ii, « Des Poëtes Françoys », p. 121-127 et livre II, chap. iiii, « Quelz genres de Poëmes, doit elire le Poëte Françoys », p. 131-138. Dans le passage précédemment cité sur le Roman de la Rose, Joachim du Bellay estime que : « De tous les anciens Poëtes Françoys, quasi un seul Guillaume du Lauris, et Jan de Meun sont dignes d’estre leuz » (p. 121).
30 Du Bellay, Deffence et Illustration, p. 127.
31 Du Bellay, Deffence et Illustration, p. 126.
32 La défense la plus appuyée de la tradition poétique nationale apparaît à l’époque dans Le Quintil Horacien, pamphlet anonyme paru en février ou en mars 1550 et attribué à Barthelémy Aneau. Cet opuscule était une critique virulente des prises de position adoptées par Joachim du Bellay dans sa Deffence et Illustration. On dispose de deux éditions critiques de ce texte, par F. Goyet, Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, p. 175-218 et J.-C. Monferran, Deffence et Illustration de la Langue françoyse (1549), p. 299-361.
33 Dans le deuxième livre de l’Art poétique Françoys qui fait une analyse de « toutes les formes et différences des Poèmes usurpées en l’art Poétique Français, et au passé, et au présent […] » (Sébillet, Art poétique François, « Préface », p. 97), la plupart des illustrations sont tirées de l’œuvre de Clément Marot et introduites par une formule du type : « cet exemple pris de Marot te montrera plus clairement […] » Sébillet, Art poétique François, p. 116.
34 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 126.
35 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 94. Antoine Heroët, poète néoplatonicien, ami de Clément Marot, avait lui aussi été loué par Thomas Sébillet dans son Art poétique François, p. 60, 78, 80, 82 et 107.
36 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 131-132.
37 Du Bellay, Deffence et Illustration de la Langue françoyse, p. 131-138. Seule exception à ce réquisitoire, le jugement favorable prononcé par Joachim du Bellay à l’égard de l’« Eglogue sur la naissance du filz de Monseigneur le Dauphin » composée par Clément Marot.
38 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 37r-39r (Espiner-Scott, Documents, p. 165-167). Sur ce chapitre, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 232-233. La spécialiste qualifie d’« assez inattendue » la défense par Claude Fauchet de la poésie de Clément Marot à un moment où « la Pléiade avait définitivement conquis ses droits de cité à la Cour » (p. 233). Nous considérons pour notre part que cette prise de position de l’humaniste est tout à fait logique et qu’elle s’inscrit dans le cadre plus large de la défense de la tradition poétique nationale entreprise par Claude Fauchet dans ses Veilles.
39 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 38v (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Ce thème de l’ingratitude apparaît chez Clément Marot, lui-même : « O France ingrate, ingratissime / A ton poëte ».
40 Ibid.
41 Fauchet, Veilles, fol. 38v-39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Souvenir d’Horace, Art poétique, v. 343 : « Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci ». (« Il enlève tous les suffrages celui qui mêle l’agréable à l’utile »).
42 Fauchet, Veilles, fol. 39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167).
43 Fauchet, Veilles, fol. 38v (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Rappelons que cette églogue, une fois n’est pas coutume, avait aussi été citée en exemple par Joachim du Bellay dans sa Deffence et Illustration.
44 Fauchet, Veilles, fol. 40v-41r (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
45 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167). Dans l’Art Poétique françoys attribué à Thomas Sébillet, on relève un développement consacré précisément à cette notion de « Naturel des Français », p. 127-128 : « Mais en ce [le genre théâtral de la moralité] avons-nous comme en toutes choses suivi notre naturel, qui est de prendre des choses étrangères non tout ce que nous y voyons, ains seulement que nous jugeons faire pour nous, et être à notre avantage. »
46 Ibid.
47 Fauchet, Veilles, « De Pierre de Ronsard Poete », fol. 40v (Espiner-Scott, Documents, p. 170).
48 Fauchet, Veilles, « De Clement Marot », fol. 39r (Espiner-Scott, Documents, p. 167).
49 Sébillet, Art poétique François, éd. F. Goyet, p. 59-60.
50 Comme l’a montré Nicolas Lombart, Fauchet restera fidèle à ses positions dans son Recueil de l’origine de la langue et poésie françoise publié en 1581, vingt-six ans après les Veilles : N. Lombart, « Une défense et illustration de la poésie française médiévale : Le Recueil de l’origine de la langue et de la poésie françoise de Claude Fauchet (1581) », Accès aux textes médiévaux de la fin du Moyen Âge au xviiie siècle, éd. M. Guéret-Laferté et C. Pouloin, Paris, Champion, 2012, p. 105-142 ; citons en particulier ce passage, p. 106-107 : « […] la logique adoptée par Du Bellay dans La Deffence est renversée : si Claude Fauchet participe, à la fin du siècle, au mouvement de réhabilitation de la langue et de la poésie médiévales, légitimant l’ancienneté du génie français et justifiant la politique gallicane défendue par le Roi de France, c’est en valorisant une authentique continuité entre la poésie de son siècle et celle “de nos bons pères”. Le principe de rupture entre les “vieilles Poësies Françoyses [et] autres telles episseries” et les genres modernes (c’est-à-dire imités de l’antiquité gréco-latine) n’est plus de mise : la poésie française du Moyen Âge manifeste déjà un génie (genius) culturel qu’il ne faut pas se contenter de réhabiliter mais bien adapter au temps présent. »
51 Fauchet, Veilles, « De l’utilité des histoires et que les memoires de Philippe de Commines telz que nous les avons sont imparfais », fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 135).
52 Ibid.
53 Tel est le cas du chapitre sur le duel (Premier Livre, chap. 8), de celui sur les « six François » de Calais (Second Livre, chap. 3) et de celui enfin sur les « souplesses » de l’acrobate Turc lors d’une entrée de Henri II à Paris (Troisième Livre, chap. 3). Claude Fauchet a lu Froissart dans l’édition d’Antoine Vérard parue vers 1495 en 4 vol. in-fol (voir Espiner-Scott, Documents, p. 140, note 2). Sur la réception de Jean Froissart au xvie siècle, voir P. Villey, Les Livres d’histoire moderne utilisés par Montaigne : contribution à l’étude des sources des Essais suivi d’un appendice sur les traductions françaises d’histoires anciennes utilisées par Montaigne, Genève-Paris, 1972, p. 39-41. J. G. Espiner-Scott ne consacre que quelques lignes au chapitre de Claude Fauchet sur Froissart (Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 276-277).
54 Fauchet, Veilles, fol. 9r (Espiner-Scott, Documents, p. 141).
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Fauchet, Veilles, fol. 8v (Espiner-Scott, Documents, p. 141).
60 Fauchet, Veilles, fol. 9r (Espiner-Scott, Documents, p. 141).
61 Ibid.
62 Fauchet, Veilles, fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
63 Ibid.
64 Sur la réception de Commynes au xvie siècle, voir J. Dufournet, « Les premiers lecteurs de Commynes au xvie siècle », Mémoires de la société d’histoire de Comines-Warneton et de la région, 14, 1984, p. 51-94, et surtout p. 56-57. Consulter aussi J. Demers, « Montaigne, lecteur de Commynes », Seconda Miscellanea di studi e ricerche sul Quattrocento Francese, éd. F. Simone, Chambéry-Torino, 1981, p. 204-216 ; M. Tetel, « Montaigne’s glances at Philippe de Commynes », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 60/1, 1998, p. 25-39.
65 Claude Fauchet a lu Commynes dans l’édition de 1552 de Denis Sauvage qu’il considère comme « la meilleure qui fut » (Fauchet, Veilles, fol. 1v (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
66 Fauchet, Veilles, fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
67 Fauchet, Veilles, fol. 1r-1v (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
68 Fauchet, Veilles, fol. 1r (Espiner-Scott, Documents, p. 136).
69 Fauchet, Veilles, fol. 17r (Espiner-Scott, Documents, p. 151).
70 Sur ce livre, on pourra se reporter à J. Abélard, Les Illustrations de Gaule de Jean Lemaire de Belges. Études des éditions. Genèse de l’œuvre, Genève, Droz, 1976. Sur Jean Lemaire de Belges et les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, voir G. Doutrepont, Jean Lemaire de Belges et la Renaissance, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1934 ; J. Frappier, « L’Humanisme de Jean Lemaire de Belges », Bulletin d’Humanisme et de Renaissance, 25, 1963, p. 289-306 ; P. Jodogne, Jean Lemaire de Belges, écrivain franco-bourguignon, Bruxelles, Palais des Académies, 1972 ; C.-G. Dubois, Celtes et Gaulois au xvie siècle. Le développement littéraire d’un mythe nationaliste, Paris, Vrin, 1972, p. 31-39 ; C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985, p. 39-51 ; J. Abélard, « Les Illustrations de Gaule de Jean Lemaire de Belges. Quelle Gaule ? Quelle France ? Quelle nation ? », Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 13/1, 1995, p. 7-27. Sur la place de Jean Lemaire de Belges dans l’œuvre de Claude Fauchet, voir Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 229-231.
71 Dubois, Celtes et Gaulois au xvie siècle, p. 35.
72 Fauchet, Veilles, fol. 43r (Espiner-Scott, Documents, p. 171).
73 Ibid.
74 Fauchet, Veilles, fol. 43v (Espiner-Scott, Documents, p. 172).
75 Fauchet, Veilles, fol. 19r (Espiner-Scott, Documents, p. 153).
76 Ibid.
77 Fauchet, Veilles, fol. 24r.
78 Fauchet, Veilles, fol. 23v.
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Référence papier
Arnaud Coulombel, « Langue, poésie et histoire », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 35 | 2018, 473-494.
Référence électronique
Arnaud Coulombel, « Langue, poésie et histoire », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 35 | 2018, mis en ligne le 29 août 2021, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/15549 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.15549
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