Quelques aspects de l’usage politique de la forme épique dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier
Résumés
L’article étudie comment la Chanson de Bertrand du Guesclin mobilise les effets épiques au service de son discours et de sa structure narrative : marquage rhétorique des épisodes ; marquage rhétorique interne aux laisses, où s’opèrent des disjonctions du texte, entre ses différentes versions, suggérant la circulation autonome d’épisodes à intégrer ou non à la Chanson ; traits rhétoriques et littéraires caractérisant, pendant le long récit de la campagne d’Espagne, l’influence grandissante du genre romanesque.
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1Composée par le poète Cuvelier à la gloire du connétable, peu après sa mort en 1380, la Chanson de Bertrand du Guesclin appartient à la catégorie des œuvres de littérature qui sont aussi objet d’histoire, et illustre même, compte tenu de son intention laudative et célébrative, l’usage politique de la forme littéraire.
- 1 Voir Chronique de Bertrand du Guesclin par Cuvelier, trouvère du xive siècle, éd. E. Charrière, Pa (...)
- 2 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 338 et T. Lassabatère, « Le connétable, la guerre et la paix : (...)
2Le texte s’est transmis jusqu’à nous par sept manuscrits recensées par Jean-Claude Faucon, auxquels l’IRHT a récemment ajouté deux nouveaux témoins, et qui se rangent, pour l’essentiel, en deux grandes traditions textuelles : deux regroupements autour de la version éditée par Ernest Charrière en 1839 sur la base du manuscrit BnF, fr. 850, et de celle que Jean-Claude Faucon reconstitua en 1991 en rassemblant les deux morceaux épars, le BnF, nouv. acq. fr. 993 et le ms. H250 de la Faculté de médecine de Montpellier, d’un même manuscrit originel, constitué entre Paris et Normandie dans les dernières années du xive siècle – qui nous servira de référence par défaut1. Une version significative s’intercale entre ces deux principales leçons du texte : le ms. BnF, Arsenal 3141. Déjà connu d’Ernest Charrière, qui avait transcrit en note l’essentiel de ses variantes par rapport au fr. 850, le manuscrit de l’Arsenal se montre très proche du manuscrit Faucon sur les trois quarts de la Chanson, jusqu’aux alentours du 19 680e de ses 24 346 vers, puis s’en écarte pour donner une version fortement originale2.
- 3 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, p. 3-4 ; D. Boutet, « L’épique au Moyen Âge », Histoire de la Fran (...)
- 4 Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 65-67. Voir aussi Boutet, « L’épique au Moyen Âge », p. 864 : genre (...)
- 5 Voir A. Labbé, « Un ennemi de l’intérieur : le roi mécréant. Pierre le Cruel dans la Chanson de Be (...)
3La dénomination de Chanson par laquelle nous désignons l’œuvre de Cuvelier suit le choix de Jean-Claude Faucon, qui marque son rattachement unanimement reconnu au genre de la chanson de geste, dont elle constitue l’un des derniers exemples3. Certes, c’est avant tout sa « matière », centrée sur la fabrique d’un héros de légende incarnant « les aspirations collectives » et une « totale adhésion à la Couronne », qui rattache l’œuvre au genre de la chanson de geste4. Ce patronage littéraire inscrit d’emblée son héros dans l’illustre lignée de Roland et de Guillaume d’Orange et, coulant son récit édifiant dans un moule déjà prêt pour lui, la « vie » de Cuvelier peut ainsi puiser librement au genre épique, à ses stéréotypes comme à ses schémas narratifs : Charlemagne et ses pairs, Roland et Olivier, comme références individuelles, et les grands thèmes du genre, du motif de la croisade – dont le récit de l’expédition d’Espagne livrera une nouvelle réalisation, calquée sur le modèle de Roland à Roncevaux – à celui de la faiblesse du roi – mis en scène par Cuvelier selon des rapports de protection qui rappellent ceux du roi faible et de son mentor Guillaume d’Orange dans le Couronnement de Louis –, comme modèles narratifs et politiques5.
- 6 Chronique, éd. Charrière, introduction, t. 1, respectivement p. ii, viii et iv.
- 7 Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 39 et 66-67.
- 8 Voir D. Boutet, La Chanson de geste, Paris, PUF, 1993, p. 14-16 et Gaullier-Bougassas, Les Romans (...)
4Mais, l’hésitation d’Ernest Charrière, parlant tour à tour de « chronique rimée », d’« épopée romanesque » ou encore, citant Michelet, d’« épopée chevaleresque6 », aussi bien que le constat d’un Jean-Claude Faucon remarquant que sa composition « la rapproche plus de la chronique, voire du roman, que de la geste, ce qui a pu la faire qualifier longtemps de “roman7 ” », montrent la difficulté de la caractérisation du genre qui, pour l’œuvre écrite à la louange du connétable comme pour l’ensemble des chansons de geste depuis les xiie et xiiie siècles, se destine de plus en plus à la lecture plutôt qu’à la performance orale, et s’ouvre à l’influence d’autres formes, en particulier du roman8.
- 9 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 39-71, « Le moule épique ». Sur le grotesque, voir J.-C Faucon, (...)
5Le genre de la chanson de geste n’en affirme pas moins son emprise sur l’écriture du poète picard. Jean-Claude Faucon repère ainsi la mise en œuvre par Cuvelier de tous les grands traits du « moule épique » de la chanson de geste, notamment formels : laisses monorimes, reprises, marques d’oralité, effets d’amplification, proverbes, registre comique9. Le rapport de la forme strophique et de ses marqueurs rhétoriques, de type « épico-lyrique », avec le contenu narratif doit faire l’objet d’un examen en soi. Et, dans nos études antérieures consacrées à la malléabilité de la forme épique et à sa mise à profit pour construire une signification politique du récit, nous avions déjà cru dégager un certain nombre de règles générales de l’utilisation par Cuvelier des marqueurs rhétoriques :
- épisodes importants marqués, dans le ms. Faucon et contrairement à ce que pense son éditeur10, par des effets rhétoriques spécifiquement choisis, placés en début de laisse et relevant de l’arsenal rhétorique du genre de la chanson de geste : appel au public, intervention du narrateur, argument de vérité et d’autorité ou mot de liaison logico-temporel (or, ainsi, en cette saison, etc.). Ces marqueurs rhétoriques permettent de repérer 67 épisodes principaux de la narration recoupant, à l’exception de huit épisodes résiduels ne bénéficiant pas de marquage rhétorique, la quasi-totalité de la structure narrative du récit.
- marqueurs internes aux laisses en nombre presque aussi important dans la Chanson mais n’ayant, sauf exception, qu’une fonction essentiellement lyrique et ne recoupant aucune césure narrative majeure. Un petit nombre de ces marqueurs internes correspondent à des disjonctions narratives entre les différentes versions de la Chanson.
- fin du texte – deuxième partie de la guerre d’Espagne et fin de la reconquête du royaume – caractérisée par une dilution narrative que traduisent la raréfaction des marqueurs, leur rôle essentiellement rhétorique et de moins en moins narratif, et en conséquence l’allongement considérable des épisodes. Ces épisodes allongés et moins scandés par la voix du poète sont représentatifs d’une ouverture de l’œuvre de Cuvelier au-delà du genre épique : aventures espagnoles lointaines et exotiques, se parant des couleurs du merveilleux et de la réflexion psychologique qu’affectionnent les romans ; accélération narrative des hauts faits de la reconquête qui rapproche la fin de la Chanson d’une chronique11.
6Nous inscrivant dans la lignée de travaux déjà effectués et cités sur cette thématique, nous nous efforcerons ici de caractériser, par l’exemple, l’ensemble de cette mobilisation des effets de forme littéraire au service du discours. Reprenant point par point les postulats ainsi énoncés, nous approfondirons le rôle des mécanismes de marquage rhétorique des épisodes du récit ; celui des points de marquage rhétorique internes aux laisses, à partir desquels se repèrent et s’opèrent parfois des disjonctions du texte, entre ses différentes versions, laissant entrevoir la circulation autonome de pans entiers de la légende du connétable, que le récit de la Chanson choisirait ou non d’intégrer, comme « à la carte » ; enfin les traits rhétoriques et littéraires caractérisant, au sein des longs vers de la campagne d’Espagne, l’influence grandissante du genre romanesque sur la narration.
Forme épique et structuration narrative : le marquage rhétorique des grands épisodes du récit
7À l’échelle du poème et de son organisation structurelle, l’étude précise de la mise en œuvre de ces artifices littéraires propres au genre épique révèle un usage volontaire des marqueurs rhétoriques spécifiques de la chanson de geste, tout particulièrement les appels au public et marques d’oralité, pour structurer la narration en y signalant la plupart de ses grands épisodes. Un tel projet est « politique » au plus haut point, et d’une redoutable efficacité, si l’on songe que son choix volontaire se lit encore, six siècles plus tard, dans l’imagerie collective du bon connétable. Les épisodes qui l’ont façonnée, précisément à partir du texte fondateur de Cuvelier, relèvent de ce marquage rhétorique qui permet d’éveiller l’attention du public, de dramatiser le récit et de susciter l’empathie : l’enfance mal-aimée et bagarreuse du héros, ses exploits lors des sièges de Rennes et de Melun, ses batailles les plus marquantes, à Cocherel, Auray et Nájera, sa nomination comme connétable, ses combats de la reconquête, enfin sa mort devant les remparts de Châteauneuf-de-Randon, autant d’épisodes devenus pour nous des images d’Epinal. Au total, ce sont quelque 67 séquences que permettent de repérer les marqueurs rhétoriques aux changements de laisse, sur les 75 qui constituent l’ensemble de la structure narrative de la Chanson. Huit césures narratives, seulement, échappent à ce marquage : elles concernent le début de la campagne normande du connétable fraîchement nommé et, plus encore, sa guerre espagnole lointaine et confuse, emplie d’étrangeté et de merveilleux, consacrant à la fois l’effacement du marquage rhétorique et l’allongement généralisé des séquences narratives qui caractérisent le récit à cet endroit.
- 12 Voir R. Vernier, The Flower of Chivalry. Bertrand du Guesclin and the Hundred Years War, Woodbridg (...)
- 13 Voir Eustache Deschamps, Lay du tresbon connestable B. du Guesclin, lai 313, Œuvres complètes d’Eu (...)
8Sans remettre en cause, pour l’essentiel, leur lien avec les étapes « réelles » de la vie du héros, notre lecture doit tenir compte des choix rhétoriques et littéraires de Cuvelier, qui conditionnent la focalisation, la mise en valeur et le découpage du récit. Faut-il pour autant attribuer tous ces choix à Cuvelier lui-même ? Richard Vernier pense qu’il dut bénéficier d’épisodes déjà constitués de la geste de du Guesclin, circulant sous forme orale ou écrite12. Le Lay du tresbon connestable B. du Guesclin d’Eustache Deschamps semble lui donner raison. Vraisemblablement composé dans les jours ou semaines qui suivirent la mort du connétable, le lai partage nombre de thèmes avec la Chanson de Cuvelier, du motif mi-héraldique et mi-prophétique de « l’aigle d’Occident » à la comparaison aux neuf Preux du héros, qui « En monde, en terre et en mer / Fit tant qu’on doit le clamer / Des chevaliers père et preux » (v. 233-235) ; mais, plus encore, il décrit les tableaux principaux de la légende que Cuvelier fixera et léguera ensuite13. Son traitement du siège de Melun, au milieu de ce florilège des hauts faits partagés du connétable, renforce la thèse d’une circulation, du vivant même de du Guesclin, d’un certain nombre d’éléments déjà cristallisés de sa légende : identifié dans les deux œuvres comme le premier exploit du héros au service de la royauté, l’épisode y bénéficie des mêmes caractéristiques narratives très typiques, montrant le héros payer de sa personne au point de frôler la mort,
Et li prodoms s’avança,
Qui a Meleun commença,
A l’assault froment s’ offrit
Et tant de paine y souffrit
Que d’illec l’en l’apporta
Comme mort ; la se monstra
Et la fut son premier cry. (v. 73-77)
9En toutes ces concordances, le Lay du tresbon connestable montre l’antériorité de Deschamps sur Cuvelier, ou de façon plus vraisemblable encore, l’existence pressentie de sources communes, de thèmes déjà constitués de la légende du connétable, comme le pressentait Richard Vernier. Sous une forme ou une autre, ils devaient être connus de leur public, y connaître une circulation déjà bien affirmée ; et l’étude plus précise des disjonctions textuelles entre versions de Cuvelier, de certains effets d’enchâssement et d’enrichissement du discours, s’opérant le plus souvent à partir de marqueurs rhétoriques internes aux laisses qui constituent comme les vestiges de leur présence, ancienne ou virtuelle (ex silentio), et de leur soulignement, ancien ou implicite, nous en donnera un élément de conviction supplémentaire.
Variantes et disjonctions du texte : épisodes indépendants d’une légende « à la carte »
- 14 Un recensement sur les 4200 premiers vers permet de repérer 24 marqueurs qui ne sont pas des césur (...)
10Une étude du même genre, du même systématisme, devrait être consacrée à ces marqueurs rhétoriques internes aux laisses, qu’un premier sondage permet de repérer en proportion comparable au sein de la Chanson de Cuvelier14. Ces marqueurs internes aux laisses ont un rôle essentiellement rhétorique et contribuent peu, en général, à souligner la progression narrative. Tout juste peuvent-ils servir, au sein de l’épisode narratif où ils sont placés, à ramener le discours à son sujet principal – comme cet appel au public : « Seigneur, cilz connestable, qui fu Bertran appelez » (v. 28) qui clôt le laïus d’une dizaine de vers présentant l’auteur de la Chanson pour ramener à son héros –, à participer au séquencement interne des épisodes narratifs – comme ce vers mêlant conjonction de coordination logico-temporelle et appel au public : « Or oyez de Bertran quel coustume il prenoit » (v. 286), qui fait progresser la narration de l’enfance du héros en organisant la transition de la visite de la converse porteuse d’heureuse prédiction aux parodies de combat entre enfants du voisinage –, ou bien encore, au terme de quelques vers généraux et vagues d’introduction, à focaliser la narration sur son objet précis – comme ce marquage logico-temporel et d’autorité qui ouvre le récit des joutes de Rennes : « Or avoit a ce temps, ce nous dit li escripts, / Une feste criee de jouste de hault pris » (v. 566-567).
- 15 Voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 162-164.
11De tels exemples nous en convainquent : s’il n’est pas de premier ordre, s’il ne participe pas à la segmentation du récit en ses grands épisodes, le rôle narratif de ces marqueurs rhétoriques internes n’est pas totalement et uniformément nul pour autant ; ils constituent parfois une sorte de césure de second ordre au sein du récit, à l’intérieur des grands épisodes dont ils servent et scandent la progression. La preuve de ce rôle narratif occasionnel plus ou moins implicite nous est apportée par les cas de disjonction du texte qui naissent de certains d’entre eux, ouvrant à de longues séquences qui se greffent comme librement et comme des épisodes indépendants, choisis comme « à la carte » et dont on se plairait presque à deviner la circulation indépendante. Ainsi le vers 18793, portant la double marque rhétorique d’un dialogue entre le narrateur et son public – « Or est temps que vous die du nobille Bertrant » –, introduit, dans le manuscrit édité par Jean-Claude Faucon, la quarantaine de vers d’un récit du cortège de du Guesclin dans Paris que le fr. 850 omet. Exemple inverse, une apostrophe du public en milieu de laisse du manuscrit Faucon annonce la coupure volontaire du texte (« Seigneurs, ceste matiere ne vous est alongie », v. 3453), dont les deux vers suivants donnent la mesure en précisant que « Bertrand demoura la une anee acomplie. / Quatre chasteaulx conquist, o lui sa gent prisie », et en renvoyant à un autre modèle, plus proche du manuscrit BnF, fr. 850, qui consacre effectivement, à cet endroit, 16 laisses et quelque 400 vers aux sièges de Pestivien et Trogoff(éd. Charrière, v. 3002-3434)15. Un autre épisode du même genre présente toutes les apparences de l’indépendance et n’ornemente que certaines des versions du texte de Cuvelier – celle du ms. BnF fr. 850 (éd. Charrière, v. 633-830), mais pas celles des mss Faucon et Arsenal : cette joute improvisée contre un chevalier anglais rencontré au hasard des pérégrinations en Brocéliande, qui mêle stéréotype de roman arthurien et possible circulation autonome de la séquence. Dans le manuscrit BnF, fr. 850 où ils sont intégrés, ces deux passages bénéficient de ces mêmes marqueurs rhétoriques qui y signalent leur statut d’épisode particulier. Ainsi la parenthèse guingampaise de Bertrand y est introduite par un marquage logico-temporel (« Ensement est Bertran à Guingamp demoure », éd. Charrière, v. 3003) replacé en début de laisse, que redouble l’intervention par apostrophe du narrateur, dans le vers précédant la disjonction (« Bertran est demourez, Dieux lui doint bonne vie ! », éd. Faucon, v. 3451) ; elle se clôt par un double marquage logico-temporel et d’intervention du narrateur, réparti sur deux vers (« Apres ce que Bertran à la chière hardie / Ot conquis le chastel, dont je vous signifie », éd. Charrière, v. 3431-3432). Marquage, également, pour le duel en Brocéliande, mais plus discret : réduit, en plein milieu de laisse, à une simple conjonction logico-temporelle à sa clôture (« Ainsi fu longuement Bertran o ses gens là », éd. Charrière, v. 830), suivie de l’intervention du narrateur qui recolle au tronc commun des versions.
Le double enchâssement de cuvelier et de hay du chastelet
12Sans pour autant conduire à la différence binaire de l’absence ou de la présence, certains épisodes du texte de Cuvelier se prêtent à un jeu savant d’enchâssements qui, selon les versions, peut contribuer à leur donner une profondeur et une richesse de sens accrues. Ainsi en est-il, dès les premiers vers de la Chanson, de la visite d’une converse inspirée qui auréole l’enfance bougonne de Bertrand de ses prédictions de gloire et le révèlent à sa destinée. C’est repas de fête, jour de l’Ascension, lorsqu’une converse pénètre dans le logis des du Guesclin. Remarquant le jeune Bertrand prostré dans un coin de la salle, à l’écart de la table familiale où déjeunent sa mère, ses frères et ses sœurs, la religieuse lui demande de s’approcher, le questionne, l’examine, découvre sur sa physionomie les signes de sa haute destinée. La converse demande alors à Jeanne de Malemains si l’enfant est sien, n’obtenant pour seule réponse qu’une longue plainte sur son comportement « pervers et rude » qui fait la désolation quotidienne de ses parents : désamour de son père – « Mais oncques mon seigneur vrayement ne l’ama » (v. 207), affirme Jeanne –, et jusqu’au souhait de sa mort par sa mère – « Pleüst a Dieu qu’il feust mors, desiré l’ay pieça ! » (v. 214).
13Désamour parental que la religieuse détrompe en annonçant l’exceptionnelle destinée qui attend le fils renié de Robert du Guesclin et Jeanne de Malemains : il montrera tant de hardiesse qu’« il n’ara son pareil en tout le firmament, / Et li plus honnorez de tout ce tenement / Ne qui soit ou royaume de France proprement. »
Des fleurs de lix sera honnorez telement
Qu’on en orra parler jusques Jherusalant (v. 240-241),
14ajoute la version Faucon de la Chanson, pour accentuer le trait et marquer les esprits. Cette même version brode d’ailleurs autour de cet événement central tout un environnement qui concourt à la dramatisation de l’épisode et à l’accentuation de ses contrastes. En amont, elle plante le décor d’une scène d’affrontement à laquelle donne lieu le repas familial, avant l’arrivée de la converse : Bertrand, relégué avec les serveurs et cuisiniers, exige de prendre place au milieu de ses frères et sœurs ; mais c’est alors, dans l’empressement qu’il met à engloutir les mets, qu’éclatent ses manières de table déplorables, qui déclenchent aussitôt l’ire de sa mère et le renvoient à sa condition d’exclu. L’irruption de la converse, à ce moment précis du récit, hérite de ce climat d’hostilité. Bertrand tourne vers elle son ressentiment, anticipant l’usuelle malveillance à son égard et répondant à ses marques d’intérêt par autant de bravades et, même, de menaces :
Bien cuida que la dame luy deïst desraison
Et qu’elle le voulsist nonmer nice, bricon :
« Laissiez m’en paiz, dist il, qu’enfouir vous puist on !
Se vous me dictes riens qui ne me viengne a bon,
De ce bastont droit cy arez un horion ! » (v. 170-174)
15Mais la douceur de la religieuse, ses prometteuses prédictions surtout, ont tôt fait d’amadouer l’enfant rebelle, qui lui témoigne sa reconnaissance en la servant, à la table où sa mère l’a conviée à partager le repas : il se lève pour ôter un paon rôti des mains du maître d’hôtel et le porter lui-même à l’invitée. Dans son empressement à la servir en vin, sa maladresse le rattrape et il renverse. Qu’importe, jamais on ne l’avait vu dans d’aussi bonnes dispositions, remarque sa mère émerveillée : c’est que « le fruit ne vault riens qui ne puet meürer » (v. 272), répond Bertrand, décochant à l’occasion sa première d’une longue série répliques à valeur proverbiale.
- 16 Voir par exemple Boutet, « L’épique au Moyen Âge », p. 870 et Lassabatère, Du Guesclin, p. 78-79.
- 17 Voir Lassabatère, « Entre histoire et littérature » et Du Guesclin, p. 155-158 et 349-350.
- 18 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 24.
16De la sorte, l’environnement dont la version Faucon enrobe l’épisode central de la prédiction de la converse exacerbe les contrastes, dramatise la scène et enchâsse encore davantage le récit dans un contexte littéraire caractéristique, celui de l’épopée, au plan narratif comme rhétorique et formel. Ainsi le caractère proverbial de la réplique du jeune Bertrand et la composante grotesque, qui allègent la tension dramatique et permettent au héros d’assurer une fonction comique consubstantielle au genre, à l’image de Rainouard, stéréotype du procédé, dans le cycle de Guillaume d’Orange16 : son incarnation par Bertrand culminera au moment du siège de Melun, montrant le héros tombé des remparts et tête en bas dans les fossés puis transporté sur un tas de fumier, avant que son statut de connétable n’impose de la transférer sur d’autres épaules17. Nul doute que la gaucherie du jeune Bertrand, tourné en ridicule au cœur même de ce « moment de grâce » où il montre sa reconnaissance en servant le vin, constitue le premier jalon de cette longue série d’anecdotes grotesques qui émailleront la geste du connétable. Première réplique proverbiale et premier épisode grotesque : plus que ce trait de trivialité garantissant l’authenticité du récit qu’y voit Richard Vernier, l’ajout de la version Faucon s’avère une référence consciente à la rhétorique épique18.
- 19 La version dérimée de Jean d’Estouteville reprend les moindres détails des mss Faucon et Arsenal d (...)
- 20 P. Hay du Chastelet, Histoire de Bertrand du Guesclin, Paris, Charles de Sercy, 1666, p. 7.
17À ce premier enchâssement mis en œuvre par la version Faucon, qu’il a jusqu’ici fidèlement suivie, Hay du Chastelet en ajoute un second, que l’on ne retrouve dans aucune des versions manuscrites de la Chanson parvenues jusqu’à nous, ni dans aucune de leurs transcriptions en prose du moment19. Le premier biographe de du Guesclin, qui écrit presque trois siècles plus tard, semble superposer son propre environnement à celui du manuscrit Faucon. Il incruste la visite révélatrice de la religieuse au cœur même d’une révélation antérieure : le songe prémonitoire de la mère de Bertrand. Le récit qu’il livre commence ainsi par ce rêve de Jeanne de Malemains à peine mariée et pas encore mère, d’une boîte de pierres lui appartenant, contenant le portrait de son époux et le sien, et ornée de trois diamants, trois émeraudes et trois perles, enfin un unique diamant tellement brut qu’il semblait un caillou. Un lapidaire auquel elle aurait demandé de l’ôter lui aurait, au contraire, recommandé d’en prendre soin : l’essuyant régulièrement, sur son conseil, elle eut en effet l’impression qu’il embellissait jusqu’à devenir le plus beau des joyaux. Hay du Chastelet donne plus loin l’interprétation du songe, qu’il place dans la bouche de la converse, organisant ainsi sa fusion avec le récit de Cuvelier. Il rapporte un entretien privé entre les deux femmes, au terme de la fameuse journée de l’Ascension déjà contée par la Chanson, au cours duquel Jeanne de Malemains aurait confié son rêve à la religieuse, qui lui en aurait en retour livré le sens, où « le diamant brut qui lui avoit semblé estre devenu si merveilleux signifoit son fils aisné, qu’elle verroit un jour grand et illustre si elle prenoit soin de son éducation20 ».
- 21 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 22. Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 12 s’étonne que Cuvelie (...)
18Malgré la suspicion légitime à l’égard des anecdotes ajoutées par Hay du Chastelet, que n’appuie aucune source vérifiable du xive siècle, il est possible que Richard Vernier ait raison de considérer que, plutôt que de son imagination, l’épisode du songe puisse provenir d’une légende contemporaine de Cuvelier et que le poète picard aurait rejetée comme peu vraisemblable21. Un détail du texte de Cuvelier vient même appuyer cette intuition : le poète fait bien mention, dans des termes semblables, d’une discussion privée entre la converse et la mère du jeune Bertrand, mais interrompt volontairement son discours, dérobant au public un prolongement dont il sous-entend pourtant l’existence et la connaissance :
La dame apres disner la converse menoit,
En sa chambre a privé son afaire monstroit ;
Ne say que li dona, a tant m’en tairay coit. (v. 276-278)
19Outre ces vers qui semblent renvoyer à un épisode connu mais dérobé, la structure du texte de la Chanson, à cet endroit, invite elle aussi à l’hypothèse d’un branchement laissé vide, voire d’une suppression identique à celle de l’épisode guingampais. « Or oyez de Bertran quel coustume il prenoit » (v. 286) : ce vers, déjà évoqué, planté en plein milieu de laisse, use de la rhétorique de l’appel au public pour mieux relancer la narration et l’orienter vers son épilogue où l’enfance de Bertrand bascule dans ses années d’apprentissage des jeux de combat et du commandement. Branche morte retirée du tronc de la narration de Cuvelier, n’est-ce pas là le signe d’un nouvel enchâssement dont Hay du Chastelet aurait pu, on ne sait par quel miracle, retrouver ou reconstituer la trace ?
Syncrétisme des sources : la version emboîtée de la prise de mantes
20Avec le récit de la prise de Mantes, le texte du seul Cuvelier, en ses variantes, nous donne un autre exemple de double enchâssement du récit qui permet d’accueillir, dans la version Faucon, une tradition textuelle enrichie de l’événement, organisant la fusion de sources historiques distinctes, complémentaires, que le tronc commun de la Chanson ignore.
- 22 Voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 96 et Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 41, pour le rapprochement to (...)
21Alors que le héros assiège la tour puissante de Rolleboise, dont la garnison navarraise harcèle en permanence les populations voisines, arrive sur les lieux un personnage que le texte dote d’une importance énigmatique : « Guillaume de Lannoy l’appeloient sa gent » (v. 3950), « monseigneur Guillaume de Lannoy et sa gent » (v. 3960), insiste le poète. C’est de ce personnage clé, que seul Cuvelier nomme, que jaillit l’initiative de la prise de Mantes, son stratagème et la part la plus âpre de sa réalisation. Le stratagème réplique celui de la prise de Fougeray, une quinzaine d’années plus tôt, basé sur la dissimulation et la surprise, avec Guillaume de Lannoy dans le rôle de du Guesclin et des bûcherons transformés en vignerons : « A loy de vignerons en a .xxx. vestis. / Bien sambloient vignerons demourans ou païs / Qui doient labourer es vignes du pourpris » (v. 3981-3983)22. L’attaque est prévue à l’aube, pour profiter à plein du sommeil des habitants : « Encor ne sera pas li conmun tout levés » (v. 4003). Technique habituelle des routiers, qui profite de la moindre vigilance du guet et de la démobilisation des forces endormies de la ville, le plan est mis à exécution. Au petit matin, profitant du moment où, pour laisser passer des Mantois menant leurs bêtes au pré, la ville a abaissé son pont-levis, les faux vignerons se présentent au regard du guet, dont leur accoutrement trompe la vigilance : « Ce sont cil vigneron de la nostre contree / Qui en place venront pour gaigner leur journee » (v. 4050-4051). C’est alors que les intrus passent à l’attaque ; envoyés en premier groupe, dix faux vignerons – d’abord quatre, bientôt renforcés de six autres, s’accordent toutes les versions – abordent les gardiens et, sortant leurs armes dissimulées, les maîtrisent, bloquant le pont baissé avant d’alerter les autres complices du commando aux aguets :
Et vous .iiii. des nos qui la ont fait entree,
Et puis s’en revint .VI., s’ont la porte combree.
Chascun isnellement a traite son espee,
En pou de temps y vint toute li assemblee.
Li uns ot un cornet dont l’oeuvre fu plevee,
C’on dit turelurete ; maintenant fu sonnee,
Et Guillaume en a bien la voix escoutee.
Lors sont mis au chemin courant de randonnee,
Et li vigneron ont commencié la merlee.
Aux bourgois ont donné mainte grande colee,
Dont ont prins a crier conme gent effraiee,
Et crioient : « Traÿ ! S’ont la ville estonnee ! » (v. 4058-4070)
22C’est alors que Bertrand intervient, comme convenu, chargeant par le pont paralysé à la tête de ses troupes et investissant tous les quartiers de la ville. L’épilogue de cette conquête éclair est celui de nombre de prises de villes : cris et pleurs de femmes serrant contre elles leurs enfants, fuites épouvantées à travers les champs environnants, scènes de pillage sur lesquelles Bertrand ferme les yeux, jusqu’à la reddition de la dernière résistance ennemie (v. 4099-4113).
23Tel est le récit de la prise de Mantes selon le tronc commun de toutes les versions. L’histoire ne s’arrête pas là, toutefois, car le texte de Cuvelier joue, ici encore, de ses variations entre versions distinctes et du jeu des enchâssements d’épisodes que l’une rajoute à l’autre – celle des manuscrits Faucon et Arsenal à celle du manuscrit BnF, fr. 850. Premier ajout de la version Faucon/Arsenal, l’intervention d’une charrette arrêtée dans sa course au moment de franchir le pont et utilement mise à profit par les assaillants pour empêcher les portes ne se referment :
Une chareste estoit sur le pont arestee,
Qu’il cuidoient aler hors de Mante la fremee.
Mais des bons vignerons fu tantost destelee,
Et par ce ne pot on en celle matinee
Lever le pont, qui fu d’une oeuvre charpentee,
Ne la porte fremer ; la y ot grant criee. (v. 4071-4076)
24La seconde variante de texte ajoutée par la version Faucon/Arsenal est à peine plus longue, mais d’une autre conséquence pour la structure et la logique du récit. Elle joue de l’enchâssement d’un récit complémentaire au sein du récit principal, permettant la superposition de deux traditions textuelles de l’événement. Là où le manuscrit BnF, fr. 850 s’en tient au stratagème des trente faux vignerons conduits à l’aube devant les murs de Mantes par le mystérieux Guillaume de Lannoy, ceux de Jean-Claude Faucon et de l’Arsenal ajoutent deux courts extraits d’une dizaine de vers chacun qui encadrent le cœur de l’épisode en modifiant assez profondément son sens. Dans cette version allongée, le récit fait précéder l’attaque des trente vignerons d’une ruse supplémentaire, cette fois attribuée à Bertrand du Guesclin lui-même. On y apprend que, sur son conseil, trente infiltrés se faisant passer pour des hommes d’armes du roi de Navarre ont pris chambre en une auberge de Mantes la veille de l’attaque, afin de pouvoir prêter main forte aux assaillants :
Seigneurs, a celui temps dont je vous signifie,
Par le conseil Bertran et l’autre baronnie,
Avoit entré en Mante une chevalerie,
.xxx. glaives ou plus de gent bien abilie
Qui orent fait entendre de la ville prisie
Qu’i estoient au roy qui Navarre maistrie.
Touz furent ostellé en une hostellerie ;
Ce qu’il prindrent paierent de monnoie forgie
Et menaçoient fort le duc de Normendie.
La furent atendant Bertran et sa mesgnie,
Guillaume de Lannoy et sa bachelerie. (v. 4017-4026)
25Ouvert par un appel au public (« Seigneurs ») doublé d’une intervention du narrateur (« je vous signifie »), l’ajout donne lieu, au vers suivant son terme, à un nouveau marquage, à la fois logico-temporel (« Or ») et de mise en scène du lien public-narrateur (« je vous die »), qui rehausse le retour au groupe des vignerons et à la mise en œuvre de son stratagème. L’insertion n’a coûté qu’une dizaine de vers, mais elle a préparé, avec la plus grande efficacité, un effet d’écho, un système d’enchâssement du récit, qui enrichit et modifie considérablement la narration. Une seconde insertion similaire, d’une seconde dizaine de vers situés au terme de la surprise du guet de Mantes par le commando des faux vignerons de Guillaume de Lannoy, referme en effet l’enchâssement préparé quelques vers plus haut, en contant l’intervention de ces trente infiltrés qui se portent au secours des assaillants et se rassemblent au cri de « Lannoy », véritable signal de ralliement : « Les .xxx. glaives dont devant fis devisee / Avec la gent Guillaume se midrent la journee, / Et crioient “Lannoy” conme gent aduree » (v. 4079-4081).
- 23 Chronique des quatre premiers Valois, éd. S. Luce, Paris, Renouard, 1861 p. 139.
26Ces deux variantes de texte, qui apparaissent comme greffées au tronc commun de l’ensemble des versions renvoient à deux traditions textuelles indépendantes de l’événement, dont on trouve l’écho dans des sources bien distinctes du texte de Cuvelier : des chroniques en l’occurrence. Ainsi, l’épisode de la charrette s’avère très proche de la Chronique des quatre premiers Valois, écrite dans les années 1390 et qui conte : « Et au matin, comme la porte fut ouverte et les gardes n’estoient pas encoires tous venuz, les Bretons saillirent sur le pont comme une charette yssoit de de la ville et coururent sus aux gardes de la porte, et gaingnierent la porte, et de plain front coururent parmi la ville. Ceux de Mante furent ainsi soupprins23. » Le texte y souligne l’emploi caractéristique de la ruse en la qualifiant d’« embûche » organisée par le futur connétable, dont les premiers rôles sont distribués à l’avance parmi ses proches : tandis qu’Olivier de Mauny, Roland de la Chesnaye et quelques autres mèneront un commando destiné à maîtriser l’entrée de la ville, du Guesclin conduira en renfort le gros des troupes. Où l’on retrouve, déguisements de vignerons en moins, ce scénario de surprise des Français embusqués, les traditionnelles scènes de pillage qui cloront la prise de la ville, mais aussi, spécificité de la seule version Faucon/Arsenal, le rôle de cette charrette dont le passage sur le pont-levis est mis à profit pour l’attaque surprise des Français embusqués. Le récit nous propose également une candidature plus crédible au rôle joué par Guillaume de Lannoy chez Cuvelier en la personne d’Olivier de Mauny, cousin et proche compagnon de Bertrand, qui avait récemment co-dirigé avec lui le siège de Molay-Bacon.
- 24 Chroniques de Jean Froissart, t. 6, éd. S. Luce, Paris, Renouard, 1876, § 511, p. 102.
27L’autre rapprochement textuel éclaire quant à lui l’enchâssement relatif aux infiltrés de la veille, et il est fourni par la Chronique de Jean Froissart. L’auteur valenciennois insiste, pour sa part, sur le rôle de Jean Ier le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, comme envoyé express du dauphin Charles auprès de Bertrand du Guesclin pour hâter et durcir les opérations engagées sous sa houlette sur les bords de la Seine. La stratégie arrêtée par les deux chefs, la seule possible, est la dissimulation : « Si consillièrent entre yaus que messires Boucicaus, lui centime de chevaus tant seulement, chevauceroit devant et venroit à Mantes, et feroit l’effraé, et diroit à chiaus de le ville que cil de Roleboise le cacent et que il le laissent [entrer] ens. Se il y entre, tantost il se saisira de le porte, et messires Bertrans et se grosse route tantost venront ferant batant, et entreront en le ville et en feront leur volenté24 ». Le plan est mis à exécution, Boucicaut et les siens se dirigeant, une fois entrés, vers l’hôtel où tous se désarment ostensiblement jusqu’à l’arrivée du gros de la troupe. Le récit de Froissart nous livre ici un double rapprochement avec celui de Cuvelier : en offrant un substitut au Guillaume de Lannoy du poète picard et en proposant un déroulement qui étaye la version complexe de la Chanson, celle des manuscrits Faucon et Arsenal, et qui cite, lui aussi, l’envoi d’un groupe d’infiltrés dans un hôtel de la ville.
Aspects formels et motifs narratifs d’une contamination : le romanesque exotique de la « croisade » espagnole
28Les développements précédents ont montré le rôle des marqueurs rhétoriques dans la construction du récit : segmentation en épisodes par les marqueurs de début de laisse ; rôle de certains marqueurs internes aux laisses comme points de disjonction du récit, où s’intègrent comme « à la carte » des épisodes de la légende du connétable ayant une existence, une raison d’être et, sans doute, une diffusion propres et indépendantes. Cette prégnance des marqueurs dans la segmentation du récit se relâche cependant, dans la seconde partie de la Chanson, avec le récit de l’expédition en Castille.
- 25 Voir Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre. Segmentation détaillée dans Lassabatère, Du Guesc (...)
29L’aventure espagnole est un élément central de la carrière de Bertrand du Guesclin, dans sa dimension réelle, imaginaire et symbolique. Après les campagnes militaires anti-navarraise et bretonne de l’année 1364, qui l’ont vu occuper, avec des fortunes diverses, un rôle prééminent dans la conduite de grandes batailles, l’expédition de Castille menée de 1365 à 1370 pour évincer le roi Pierre Ier le Cruel au profit de son frère adultérin, Henri de Trastamare, achève de l’installer dans un rôle de chef de guerre, exerçant durablement et au nom de la puissance royale un commandement militaire élargi. Malgré sa longueur et son positionnement central (10 000 des 24 000 vers de la Chanson, dans la version Faucon, dont ils occupent le centre exact), malgré l’importance tout aussi centrale de son discours, qui vise à légitimer l’action guerrière de Bertrand du Guesclin au regard des critères de la guerre juste et de son caractère artificiel de croisade, la ligne narrative apparaît souvent brouillée, par les nombreux linéaments dont le poète a le secret, par ses interférences entre théâtres d’opérations, enfin par sa longueur même. Elle est également brouillée par la malléabilité et la variabilité de la forme littéraire à cet endroit du récit. On a évoqué, précédemment, la volonté de Cuvelier d’user des artifices spécifiques du genre épique pour marquer sa narration et segmenter son récit. Pourtant, l’examen de cette segmentation rhétorique du récit montre aussi une importante disparité entre les différentes grandes « sections » de l’œuvre de Cuvelier : alors que les quelque 7500 vers que le poète consacre au récit des premiers exploits de son héros jusqu’à sa défaite à Auray sont scandés en 29 séquences narratives clairement délimitées, dont la plupart sont introduites par un marqueur rhétorique saisissant l’auditoire, l’aventure espagnole se caractérise par une dilution narrative que traduit la raréfaction des marqueurs, leur rôle essentiellement lyrique et de moins en moins associé à l’articulation du récit d’où, en conséquence, l’allongement considérable des épisodes. Ainsi, malgré ses 6000 vers, la première campagne espagnole est découpée en 16 séquences seulement, dont moins des deux tiers (11 sur 16) bénéficient à leur entame d’un effet de style épique. Pour la seconde campagne, même constat, avec ses 3000 vers répartis entre 7 séquences, dont 6 délimitées par des marqueurs rhétoriques. Seule la période intermédiaire, moment de pause ramenant le récit en Aquitaine et en France, renoue avec ses caractéristiques initiales (8 séquences, toutes signalées par un marqueur épique, pour 2000 vers). Ainsi, alors que tout le début de la Chanson, jusqu’à Auray, s’articule en séquences narratives de l’ordre de 260 vers, en moyenne, celles de la campagne castillane s’allongent jusqu’à 375 à 430 vers, bénéficiant au surplus de repères épico-lyriques plus épars. La dernière phase du récit de Cuvelier, celle de la reconquête du royaume, subira le même sort (6000 vers pour 16 séquences dont 14 marquées) : effet de contamination, sans doute, du style épique de la chanson de geste par des éléments romanesques, venus de cette Espagne lointaine, un peu exotique et en partie rêvée, ou par une accélération narrative aux allures de chronique, avec la reconquête. Tout comme la fin du poème aux allures de chronique, la description par Cuvelier de l’aventure espagnole de du Guesclin témoigne de cette caractéristique stylistique de la littérature épique depuis le xiie siècle : son ouverture aux influences venues d’autres genres, notamment du roman, de la chronique également25.
- 26 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 79.
- 27 Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 10086-10096. Voir également t. 2, p. 79.
30Cette influence du roman apparaît également au recensement des thèmes, motifs et autres images, qui parcourent le long récit des campagnes de Castille. Jean-Claude Faucon a relevé nombre de références littéraires émaillant le récit espagnol de Cuvelier et qui relèvent du genre du roman : ainsi les moqueries envers le héros, qu’il rapproche de Gauvain dans Perceval ou de Lancelot dans Le Chevalier de la charrette – même si ce motif, on l’a évoqué, n’est pas non plus étranger à l’univers de la chanson de geste26. Mais c’est avant tout sa coloration exotique qui donne au récit de la campagne espagnole l’essentiel de sa dimension romanesque. À commencer par le portrait haut en couleur, proche de l’impie et du diabolique, de Pierre le Cruel et des attributs dont il est environné. Ainsi cette table merveilleuse dont Cuvelier nous dit que « trestoute estoit d’or, en trois aloit ployant / A charnieres d’or fin », sertie « De pierres precieuses, de perles d’Orient / […] et de maint dyamant », émaillée de représentations azur et sinople « de Rolant, / De touz les .xii. pers, d’Olivier le poissant », affrontés au roi sarrasin Marsile de la Chanson de Roland27. De même que cette escarboucle magique que Pierre convoie partout avec lui, lanterne magique qui « rendoit clarté par nuyt a jour faillant » (v. 10099), qui accompagne le roi et sa suite en errance au milieu de la forêt profonde de Cordoue, peuplée d’une faune étrange et bigarrée de « Mainte beste sauvage, […] / Ours, lyons et serpens » (v. 10188-10189) et grâce à laquelle « Veoit on aussi cler qu’a miedi sonnant » (v. 10626) au cœur des landes arides de Séville. Le cheval maure que le Cruel montera au moment des derniers affrontements, est également chargé d’exotisme et de maléfique. Supérieur à tous les autres par sa rapidité, il est d’une apparence physique étrange, alliant les contraires et parée des couleurs du Mal :
- 28 Voir L. Moal, « Irrationnel et surnaturel dans les guerres d’Espagne (1365-1370) », Le Feu et la f (...)
Le cheval roy dan Pierre fu de telle façon
Qu’il ot les .iiii. piés aussi blans que coton,
Et s’ot la teste noire entour et environ,
Et la queue plus rouge que n’est feu de charbon,
Et s’ot les yeux plus jaunes que cuivre ne laiton. (v. 15611-15615)28
- 29 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 16003-16129.
31Chargée de romanesque, également, cette aventure rocambolesque, totalement inventée et sans équivalent dans d’autres sources, qui montre le même Pierre Ier esseulé, abandonné de ses plus fidèles, capturé par un capitaine de bateau qu’il essayait de convaincre de l’embarquer vers des terres moins hostiles, pour être finalement racheté et délivré par un marchand juif29.
- 30 Voir Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre, p. 149-172. Voir aussi Suard, Guide de la chanson (...)
- 31 Labbé, « Un ennemi de l’intérieur », p. 103.
- 32 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 17179-17214 et t. 2, p. 117-118 (mort du fils du roi de Banû Ma (...)
- 33 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 135 et Labbé, « Un ennemi de l’intérieur », p. 113, n. 26
32Cet exotisme qui trahit l’influence du genre romanesque n’entrave en rien le caractère épique de l’œuvre de Cuvelier, exemple de cette fertilisation croisée dont Catherine Gaullier-Bougassas a montré la prégnance au Moyen Âge central et tardif30. Tout entouré de romanesque qu’il peut être, le personnage de Pierre est aussi, selon plusieurs auteurs, celui qui revêt la dimension épique la plus importante au sein de la Chanson de Bertrand du Guesclin : Alain Labbé considère même qu’il y représente le « seul véritable héritier du héros épique, ce que du Guesclin n’est en aucune manière31 ». C’est cependant avec le motif mauresque que la Chanson, tout à la fois, touche à un exotisme romanesque et atteint sa saveur épique maximale. L’intervention des maures donne libre champ à un imaginaire empli de fils de sultan, ce « filz du roy qui fu Bel Marin gouvernans » (v. 17181), défait et occis au nom de la foi chrétienne, agrémenté de récits de pèlerins revenant des lieux saints et nourri, comme dans quelque rêverie proustienne, de noms de pays : Orblois, Orbrie, ou autres graphies corrompues, autant d’échos et de réminiscences confuses de « ces pays imaginaires d’Orient aux noms devenus méconnaissables », nous rappelle Jean-Claude Faucon, de royaumes, de villes ou de ports dont la littérature et ses chansons de geste tardives ne transmettent plus qu’un nom détaché de sa réalité et inclinant au rêve32. L’exotisme romanesque s’accommode cependant très bien de références et renvois parallèles au style épique le plus fondamental, illustré notamment par la référence à la Chanson de Roland. Ici encore, comme pour le personnage de Pierre le Cruel, les combats de du Guesclin contre les maures, qui clôturent l’aventure espagnole du héros, sonnent selon Richard Vernier comme un écho des prouesses de Roland, et constituent la matière la plus essentiellement et typiquement épique de l’œuvre, ajoute Alain Labbé33.
Conclusion
- 34 Voir par exemple Boutet, La Chanson de geste, en particulier p. 86, 162, 167-168, 177, 182, 187, 1 (...)
- 35 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 43-44, 229, 234, 253.
- 36 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 58-62, 68, 70 et « L’épique au Moyen Âge », p. 869.
- 37 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 66, 68, 70.
- 38 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 15-16, 65-77, 86, 251, 257 et « L’épique au Moyen Âge », p. 8 (...)
33En définitive, au terme de ce panorama, la longue et tardive Chanson de Cuvelier nous semble illustrer bien des grands constats et questionnements de la recherche récente sur les caractéristiques littéraires de la chanson de geste. Elle montre, en premier lieu, l’importance des marqueurs rhétoriques, caractéristiques de l’écriture épico-lyrique, dans la structuration du récit, mais aussi leur effacement progressif au profit d’une narration plus continue, moins scandée et aux contours structurels moins affirmés, plus ouverte aux thématiques romanesques de l’exotisme, du merveilleux et de la psychologie personnelle34. Elle témoigne de la mise en œuvre, à partir d’un tronc commun bien partagé, d’épisodes indépendants insérés comme « à la carte » dans telle ou telle version, constituant des disjonctions du texte enracinées, le plus souvent, en des points de marquage rhétorique internes aux laisses – ou, du moins, devenus internes, et comme vestige de leur ancienne présence, au rabotage des passages supprimés. Ces variantes, comme d’autres que nous avons pu étudier plus en détail dans d’autres articles, sont bien souvent le fruit d’une véritable intention politique35. Les épisodes dont elles jouent semblent jouir d’une vie propre et parallèle, hors du texte principal, qui font penser à ces phénomènes bien attestés, dans l’histoire de la chanson de geste, de superposition d’un fonds légendaire ou d’une structure ancienne de nature distincte36 : ainsi la rencontre avec le chevalier anglais en Brocéliande, le double enchâssement de la prise de Mantes montrant des connivences avec les chroniques du temps, l’enrichissement de l’épisode de la converse et jusqu’à son supplément par Hay du Chastelet, bien plus tard et peut-être sur la foi d’une tradition orale, mais auquel le texte de Cuvelier semble bien ouvrir par une allusion voilée. Une telle hypothèse renvoie par là-même, en le soulignant, au rôle implicite ou réel de l’oralité dans le processus de création ou de modification de la chanson : bien que le principe de la genèse de l’essentiel du texte par un acte écrit de poète fasse peu de doute, plus encore pour une œuvre écrite à la fin du xive siècle, il est possible que certains de ses enrichissements et de ses variantes doivent beaucoup à la transmission orale, y compris sur des durées importantes37 ; et, même réduite à un effet de simulation au service de l’esthétique et de la structuration du récit, la voix du jongleur continue de vibrer sous la plume du poète Cuvelier, tel l’écho des chants de ménestrels à la solde du connétable ayant, un peu partout, loué sa gloire38.
Notes
1 Voir Chronique de Bertrand du Guesclin par Cuvelier, trouvère du xive siècle, éd. E. Charrière, Paris, Firmin Didot, 1839, 2 tomes ; Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier, éd. J.-C. Faucon, Toulouse, Éditions universitaires du Sud, 1990-1991, 3 tomes. Pour la tradition manuscrite de la Chanson, voir t. 3, p. 311-348, ainsi que T. Lassabatère, « Le mythe littéraire de Bertrand du Guesclin : écriture, diffusion et lecture des œuvres de Christine de Pizan et ses contemporains », Désireuse de plus avant enquerre… Actes du vie colloque international sur Christine de Pizan, éd. L. Dulac, A. Paupert, C. Reno et B. Ribémont, Paris, Champion, 2008, p. 87-101, en particulier p. 89 et p. 95-98. Les ajouts de l’IRHT sont les manuscrits : Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin – Preussischer Kulturbesitz, Hamilton 226 et New Haven, Yale University Library, 0990 (base Jonas).
2 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 338 et T. Lassabatère, « Le connétable, la guerre et la paix : la geste de Bertrand du Guesclin dans les miniatures du manuscrit BnF, Arsenal 3141 », Images et pouvoirs. Actes du colloque de Nanterre (5-6 décembre 2014), éd. L. Scordia, F. Lachaud et F. Collard, à paraître. Voir aussi T. Lassabatère, Du Guesclin. Vie et fabrique d’un héros médiéval, Paris, Perrin, 2015, p. 399-410 et 428-429.
3 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, p. 3-4 ; D. Boutet, « L’épique au Moyen Âge », Histoire de la France littéraire. Naissances, Renaissances (Moyen Âge – xvie siècle), éd. F. Lestringant et M. Zink, Paris, PUF, 2006, p. 850-873, ici p. 864 ; C. Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, Champion, 1998, p. 39. Fr. Suard, Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire ( xie-xve siècle), Paris, Champion, 2011, parle tour à tour de « chanson de geste d’actualité » (p. 264), d’« intermédiaire entre chanson de geste et chronique » (p. 274) ou encore d’un texte « très proche de la chronique » (p. 301), « qui se présente comme une chronique » (p. 311).
4 Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 65-67. Voir aussi Boutet, « L’épique au Moyen Âge », p. 864 : genre choisi par Cuvelier pour « propager une idéologie du service de la couronne au profit de la dynastie française ».
5 Voir A. Labbé, « Un ennemi de l’intérieur : le roi mécréant. Pierre le Cruel dans la Chanson de Bertrand du Guesclin », La Chrétienté au péril sarrasin, Senefiance, 46, 2000, p. 205-220, ici p. 113 ; T. Lassabatère, « Poétique et politique du genre : quelques aspects de la construction d’un mythe dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier », L’Œuvre littéraire du Moyen Âge aux yeux de l’historien et du philologue, éd. L. Evdokimova et V. Smirnova, Paris, Garnier, 2014, p. 99-113 ; Lassabatère, Du Guesclin, p. 158-162 et 340-350.
6 Chronique, éd. Charrière, introduction, t. 1, respectivement p. ii, viii et iv.
7 Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 39 et 66-67.
8 Voir D. Boutet, La Chanson de geste, Paris, PUF, 1993, p. 14-16 et Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre.
9 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 39-71, « Le moule épique ». Sur le grotesque, voir J.-C Faucon, « La dérision, arme politique dans la Chanson de Bertrand du Guesclin », Burlesque et dérision dans les épopées de l’Occident médiéval, éd. B. Guidot, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 333-349 et T. Lassabatère, « Entre histoire et littérature : le personnage de du Guesclin au crible de la théorie des trois styles », Centaurus. Studia classica et mediaevalia, 7, 2010, p. 180-192.
10 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 3, p. 41.
11 Voir Lassabatère, « Poétique et politique du genre », p. 100-103. Voir aussi Lassabatère, Du Guesclin, p. 17-18, 265-267 et 505-517 (« Annexe I »). Sur la dimension psychologique dans la Chanson, voir Labbé, « Un ennemi de l’intérieur », qui parle d’« investigation psychologique » (p. 112-113) et d’« intériorité spirituelle » (p. 114).
12 Voir R. Vernier, The Flower of Chivalry. Bertrand du Guesclin and the Hundred Years War, Woodbridge, Boydell, 2003, p. 211.
13 Voir Eustache Deschamps, Lay du tresbon connestable B. du Guesclin, lai 313, Œuvres complètes d’Eustache Deschamps, éd. Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, Didot, 1878-1903, 11 tomes, ici t. 2, p. 324-335. Étrange silence au moment de « maudire l’année » (v. 307), l’absence de référence à la mort du roi, le 16 septembre suivant, peut en donner un terminus ante quem. Une solution (moins probable) serait de lier le lai aux célébrations du connétable à Saint-Denis, en 1389, inversant le rapport chronologique entre le lai et la Chanson de Cuvelier (mes remerciements à Yvonne Vermijn pour cette suggestion).
14 Un recensement sur les 4200 premiers vers permet de repérer 24 marqueurs qui ne sont pas des césures narratives : v. 28, 286, 566, 630, 1210, 1380, 1482, 1557, 1713, 2072, 2428, 3068-3069, 3124, 3161, 3453, 3459, 3495, 3503, 3600, 3619, 3726, 3734, 3902, 4027 et 4114. Tous sont situés en plein cœur de laisse à l’exception de deux vers en début de laisse (v. 1482 et v. 4114) et de trois positions remarquables (fin de laisse, v. 3068-3069 et v. 3902, ou deuxième vers, v. 1713), à comparer, sur la même portion de texte, à environ 20 marqueurs en début de laisse et faisant césure.
15 Voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 162-164.
16 Voir par exemple Boutet, « L’épique au Moyen Âge », p. 870 et Lassabatère, Du Guesclin, p. 78-79.
17 Voir Lassabatère, « Entre histoire et littérature » et Du Guesclin, p. 155-158 et 349-350.
18 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 24.
19 La version dérimée de Jean d’Estouteville reprend les moindres détails des mss Faucon et Arsenal de Cuvelier (Histoire de Messire Bertrand du Guesclin connestable de France… Escrite en prose l’an M. CCC. L xxxvi I. à la requeste de Messire Jean d’Estouteville, capitaine de Vernon sur Seine, éd. C. Ménard, Paris, Sébastien Cramoisy, 1618, ici p. 7 et p. 4-7 pour l’ensemble de l’épisode). Les deux enchâssements sont absents de l’autre version en prose, commanditée par Marie de Bretagne dans les années 1390, que ce soit dans son format court (Chronique de du Guesclin, collationnée sur l’édition originale du xve siècle et sur tous les manuscrits, éd. F. Michel, Paris, Méquignon-Havard et Bricon, 1830, p. 36-37) ou long (BnF, fr. 1984, fol. 4v). Pour l’identification des versions en prose de la Chanson et de leurs témoins, manuscrits ou imprimés, voir Y. Vermijn, Chacun son Guesclin : la réception des quatre versions de l’œuvre de Cuvelier entre 1380 et 1480, Mémoire de Mastère, Université d’Utrecht, 2010.
20 P. Hay du Chastelet, Histoire de Bertrand du Guesclin, Paris, Charles de Sercy, 1666, p. 7.
21 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 22. Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 12 s’étonne que Cuvelier ne le cite pas.
22 Voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 96 et Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 41, pour le rapprochement topique avec le Charroi de Nîmes, que renforce, ici, le déguisement de vigneron.
23 Chronique des quatre premiers Valois, éd. S. Luce, Paris, Renouard, 1861 p. 139.
24 Chroniques de Jean Froissart, t. 6, éd. S. Luce, Paris, Renouard, 1876, § 511, p. 102.
25 Voir Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre. Segmentation détaillée dans Lassabatère, Du Guesclin, p. 505-517 (« Annexe 1 »).
26 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 2, p. 79.
27 Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 10086-10096. Voir également t. 2, p. 79.
28 Voir L. Moal, « Irrationnel et surnaturel dans les guerres d’Espagne (1365-1370) », Le Feu et la folie. L’irrationnel et la guerre (fin du Moyen Âge – 1920), éd. L. Vissière et M. Trévisi, Rennes, PUR, 2016, p. 135-150.
29 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 16003-16129.
30 Voir Gaullier-Bougassas, Les Romans d’Alexandre, p. 149-172. Voir aussi Suard, Guide de la chanson de geste, p. 108-110.
31 Labbé, « Un ennemi de l’intérieur », p. 103.
32 Voir Chanson, éd. Faucon, t. 1, v. 17179-17214 et t. 2, p. 117-118 (mort du fils du roi de Banû Marin) ; t. 1, v. 16202-16432 et t. 2, p. 114 (récits de pèlerins) ; t. 2, p. 114-115 (fantaisie onomastique du poète).
33 Voir Vernier, The Flower of Chivalry, p. 135 et Labbé, « Un ennemi de l’intérieur », p. 113, n. 26.
34 Voir par exemple Boutet, La Chanson de geste, en particulier p. 86, 162, 167-168, 177, 182, 187, 187, 230-231, 236-237 et D. Boutet, « La voix : mirage et présence de l’oralité au Moyen Âge », Histoire de la France littéraire. Naissances, renaissances (Moyen Âge – xvie siècle), éd. Lestringant et Zink, p. 193-212, ici p. 204-205.
35 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 43-44, 229, 234, 253.
36 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 58-62, 68, 70 et « L’épique au Moyen Âge », p. 869.
37 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 66, 68, 70.
38 Voir Boutet, La Chanson de geste, p. 15-16, 65-77, 86, 251, 257 et « L’épique au Moyen Âge », p. 850. Sur les ménestrels à la solde de du Guesclin, voir Lassabatère, Du Guesclin, p. 75-76.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Thierry Lassabatère, « Quelques aspects de l’usage politique de la forme épique dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 35 | 2018, 229-250.
Référence électronique
Thierry Lassabatère, « Quelques aspects de l’usage politique de la forme épique dans la Chanson de Bertrand du Guesclin de Cuvelier », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 35 | 2018, mis en ligne le 29 août 2021, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/15465 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.15465
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