Introduction
Résumés
Établir un inventaire fiable des chansons de geste se heurte à une double difficulté. Comment définir une chanson de geste ? Comment dater les textes avec une précision acceptable ? Ces productions hétérogènes constituent pour beaucoup d’entre elles des remaniements ou des suites d’œuvres antérieures ; d’autres, moins nombreuses, se présentent comme des créations originales. Toutes se situent cependant dans le prolongement de la tradition épique médiévale, qu’elles se bornent à infléchir à la marge.
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- 1 Nouvelles françoises en prose du xive siècle, éd. L. Moland et C. d’Héricault, Paris, Janet, 1858.
- 2 Ibid.
- 3 Leçon d’ouverture au Collège de France dispensée en décembre 1875 : « La littérature du xive siècl (...)
- 4 Les Épopées françaises, 2e éd., Paris, t. 2, 1894, à propos de l’auteur de Galien (« pauvre cervel (...)
- 5 « Charles le Chauve. Étude sur le déclin de l’épopée française », Les Lettres Romanes, 7, 1953, p. (...)
- 6 Les Chansons de geste françaises, 2e éd., trad. I. Cluzel, Paris, Nizet, 1957, p. 288. Même J.-Ch. (...)
1« C’est le quatorzième siècle qui a ajouté aux cycles de Chansons de geste ces dernières branches parasites, puériles ou grotesques, qui tranchent si malheureusement avec les branches antiques1. » Cette appréciation très négative portée en 1858 par Louis Moland et Charles d’Héricault sur la production épique d’une époque placée pour eux sous le signe d’une profonde décadence morale expliquant « Crécy, Poitiers, Nicopolis et Azincourt2 » marquera pendant plus d’un siècle les quelques études que de rares savants s’excuseront presque de consacrer à ces textes. G. Paris parle à leur propos de « romans, d’ailleurs extrêmement faibles de forme, […] jetés dans le moule banal des chansons de geste dégénérées3 » et l’on sait que L. Gautier manque rarement une occasion de déplorer leur caractère répétitif, leur manque d’idéal, voire la « pauvre cervelle » de leurs auteurs4. Déclin, dégénérescence, abâtardissement, décadence sont les termes qui reviennent le plus souvent sous la plume des critiques. Robert Bossuat, qui a pourtant consacré plusieurs études à ces textes, intitule l’une d’elles « Étude sur le déclin de l’épopée française5 » et c’est encore de « franche décadence » que parle M. de Riquer en 19566.
- 7 En dehors de La Vie Vaillant Bertrand du Guesclin (éd. Charrière, 1839), perçue comme un document (...)
- 8 Voir « L’épopée française tardive (xive-xve siècle) », Études de philologie romane et d’histoire l (...)
- 9 « La “chanson d’aventures” », Essor et fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient la (...)
- 10 D. Boutet, La Chanson de geste. Forme et signification d’une écriture épique au Moyen Âge, Paris, (...)
- 11 Voir, sur ces points, Cl. Roussel, « Le mélange des genres dans les chansons de geste tardives », (...)
2Il faut attendre les années 1970 et la vague d’éditions modernes de ces œuvres jusqu’alors mal connues7 (Tristan de Nanteuil, Bâtard de Bouillon, Lion de Bourges, Florent et Octavien, Renaut de Montauban, Belle Hélène de Constantinople, Hugues Capet, Jourdain de Blaye, Baudouin de Sebourc) pour que le regard change, sous l’impulsion notamment des recherches pionnières menées en ce domaine par François Suard8. Parallèlement, W. Kibler, après avoir constaté que ces textes relevaient d’une esthétique fondamentalement différente de celle qui prévaut dans la Chanson de Roland, propose de voir en eux l’expression d’un genre ou d’un sous-genre particulier qu’il nomme « chanson d’aventures9 ». Le terme souvent utilisé de « chansons tardives » lui paraît en effet trop imprécis et, de surcroît, dépréciatif. Reste que la « chanson d’aventures », comme d’ailleurs à l’époque moderne le « roman d’aventures », s’avère souvent difficile à définir rigoureusement et à identifier. La chanson de geste pratique à date ancienne « le mélange des genres et des styles10 » si bien qu’à l’exception notable du Roland, arbre qui cache la forêt, on a souvent affaire à un dosage complexe et fluctuant d’éléments hétérogènes. L’exaltation guerrière cohabite fréquemment avec des éléments à caractère romanesque, mélodramatique ou comique. Les textes d’inspiration et de forme épique composés au xive siècle et qui se donnent pour beaucoup d’entre eux comme de « glorieuses chansons » accentuent sans doute cette hétérogénéité, mais s’inscrivent cependant dans une continuité qui les nourrit et dont, pour autant qu’on puisse en juger, ils ne cherchent nullement à s’affranchir11. On continuera donc, par commodité, à parler à leur propos de « chansons de geste », tout en étant bien conscient que les limites du corpus demeurent floues.
Chansons de geste ?
- 12 Voir C. Cazanave, D’Esclarmonde à Croissant. Huon de Bordeaux, l’épique médiéval et l’esprit de su (...)
- 13 Voir t. 1, p. 104, note du v. 5195.
- 14 Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, Champion, 1998.
- 15 A. Coville, « Poèmes historiques de l’avènement de Philippe VI de Valois au traité de Calais (1328 (...)
- 16 M. Barry McCann Boulton, Sacred Fictions of medieval France. Narrative theology in the lives of Ch (...)
- 17 Les Traductions de la Bible en vers français au Moyen Âge, Paris, Imprimerie Nationale, 1884, p. 4 (...)
- 18 Suard, Guide, p. 204.
- 19 L’œuvre est conçue pour être divisée en trois livres (voir annexe bibliographique). Le premier, do (...)
3Au xive siècle, à l’exception de la continuation décasyllabique d’Ogier, probablement composée dans les toutes premières années de la période, et de la courte continuation de Huon de Bordeaux contenue dans le manuscrit BnF, fr. 22555, à vrai dire difficile à dater12, les chansons de geste recourent systématiquement à la laisse monorime d’alexandrins, souvent combinée à une pratique assidue de l’enchaînement des laisses et à une large palette de stéréotypes narratifs et rhétoriques. Toutefois, ces caractéristiques formelles, si elles constituent un indice ou une marque de connivence, ne garantissent pas une affiliation automatique et universellement admise au genre, d’où des chevauchements et de nombreuses hésitations taxinomiques. Dans une note de son édition de L’Entrée d’Espagne, A. Thomas présente ainsi Le Fuerre de Gadres comme une « chanson de geste du cycle d’Alexandre13 ». Les récits consacrés à Alexandre le Grand se situent en effet, comme le relève Catherine Gaullier-Bougassas, « aux frontières de l’épique et du romanesque14 » et le constat demeure évidemment valable pour les prolongements de ces textes, toujours en laisses d’alexandrins, composés au xive siècle. C’est le cas des Vœux du paon de Jacques de Longuyon, qui ont connu un grand succès, et de leurs suites (Restor du paon, Parfait du paon), comme de certains représentants de la littérature des « vœux sur un oiseau » qu’ils ont suscitée dans leur sillage (Vœux de l’épervier, Vœux du héron). Sans doute en raison du sujet antique du texte fondateur, qui invite à le rapprocher des romans d’Énéas, de Thèbes ou de Troie, ces textes sont traditionnellement considérés comme des romans ou, pour certains poèmes plus tardifs de la série des « vœux », répertoriés sous l’appellation juste mais peu compromettante de « poèmes historiques15 ». La même équivoque joue pour une série de textes d’inspiration religieuse que Maureen Boulton regroupe sous l’étiquette de « sacred epic16 ». Jean Bonnard qualifie ainsi la Bible d’Herman de Valenciennes de « chanson de geste ecclésiastique, destinée plutôt à édifier qu’à charmer17 ». Quoiqu’ordinairement rangés parmi les chansons de geste, plusieurs autres textes se situent de même aux frontières du genre. D’inspiration indubitablement épique, par son sujet comme par sa forme, le Charlemagne de Girart d’Amiens peine à concilier le caractère hétéroclite de ses sources. Cette vaste compilation manque de souffle et constitue davantage, selon la formule de F. Suard, une « biographie épique intégrale18 » qu’une authentique chanson de geste. L’énorme Geste de Liège de Jean d’Outremeuse (œuvre inachevée de plus de 50 000 alexandrins19) se situe dans la même zone grise intermédiaire. Elle cultive une claire tonalité épique qui transparaît notamment dans les appels au calme lancés à l’auditoire :
Or escuteis, por Dieu qui en mont de Calvaire
Morut dedens la crois à paine et à grief haire,
S’oreis vraie chanchon qui a cascun dois plaire ;
Oncques ne fut plus vraie, depuis le temps Cesaire,
Si comme poreis oiir ; mains que vous, sens meffaire,
Teneis pais et silenche, et si vuilhiés substraire
Murmur hors de vous, et trestous biens atraire ;
Car de beaux mos oir se doit bon cuer refaire,
Viande est delitable. (v. 124-132)
- 20 Pour A. Gier, La Geste de Liège se présente comme « une chronique qui se donne l’allure d’un poème (...)
4Elle juxtapose toutefois à cette emphase épique un souci de datation précise qui renvoie au ton de la chronique20, affichant ainsi le caractère hybride du texte :
Or escuteis avant, que Dieu bin vous otrie.
Sour l’an de grasce Viiic X xv sens boisdie
Passat Agolans meir à mult grant baronie […]. (v. 19999-20001)
- 21 Le procédé, que L. Gautier qualifie de « loi bête » (Les Épopées françaises, t. 2, p. 462), consis (...)
- 22 Phénomène bien repéré par Jean de Grouchy : « In aliquo tamen cantu clauditur per versiculum ab al (...)
- 23 Voir Ch.-L. Janssens, « Brun de la Montaigne et la versification française moderne », Zeitschrift (...)
5De plus Girart d’Amiens et Jean d’Outremeuse cherchent visiblement à personnaliser l’arsenal rhétorique de la chanson de geste. Girart pratique assez systématiquement la « rime dérivative21 » dans les 278 premières laisses (sur 684) de son poème avant d’en faire un usage beaucoup plus lâche par la suite. Dans ce même ensemble, sans doute inspiré par l’exemple de la Chanson du roi de Sicile d’Adam de la Halle, il s’impose des laisses de 20 vers, contrainte à laquelle il renonce ensuite définitivement. De son côté, Jean d’Outremeuse utilise de manière originale le « petit vers » conclusif. On sait que de nombreuses chansons du cycle de Guillaume d’Orange placent en fin de laisse un hexasyllabe à terminaison féminine qui ne rime pas avec la laisse qu’il clôt22, d’où son nom usuel de « vers orphelin ». Quelques chansons du xive siècle (Enfances Garin, Ami et Amile, Jourdain de Blaye) conservent ce dispositif, mais l’auteur de la Geste de Liège en fait un usage différent : l’hexasyllabe, qui n’est plus nécessairement à finale féminine, annonce la rime de la laisse suivante ; il cesse donc d’être « orphelin », mais contribue à souligner l’enchaînement des laisses. Probablement inspiré, là encore, par la Chanson du roi de Sicile, le renoncement total ou partiel à la césure épique que l’on constate dans les premier et troisième livres du poème de Girart d’Amiens ou dans Brun de la Montagne23 procède d’un effort similaire de distinction ou de raffinement.
6En s’imposant de telles contraintes, l’auteur joue avec les codes épiques, les complique ou les enjolive. Il peut parfois s’en éloigner délibérément comme le remanieur de Girart de Roussillon qui trouve davantage son inspiration dans la Vita Gerardi que dans l’ancienne chanson, dont il se méfie :
Ancor dit mont de choses qu’il baille pour notoires
Que selonc le latin je ne trouve pas voires,
Et pour ce au latim me vul dou tout aordre,
Quar em pluseurs moustiers le lisent la gent d’ordre. (v. 91-94)
- 24 Suard, Guide, p. 298. Voir sur ce point l’analyse de M. Heintze, pour qui « ce texte ne fait pas p (...)
- 25 Cuvelier, La Chanson de Bertrand du Guesclin, Toulouse, EUS, 1991, t. 3, p. 70.
7Cette défiance se manifeste sur le plan formel par le choix de l’alexandrin à rimes plates. Les vers sont toutefois regroupés en strophes de longueurs variables (de 4 à 120 vers) imitant visuellement la laisse ; elles sont introduites par une lettrine, dotées d’une relative unité narrative ou thématique et pourvues même parfois d’un véritable vers d’intonation : « Mont fut li estours grans sans mesure et sans compes » (v. 3783) ; « Va s’am li dux Girarz tout droit en Olivant » (v. 4557). Cette curieuse combinaison d’attirance et de répulsion produit un texte inclassable, « sorte de pastiche épique plutôt que chanson de geste véritable », selon la formule de F. Suard24. Inversement, certains textes à vocation historique peuvent opter pour la forme de la chanson dès lors qu’il s’agit de donner à ce qui aurait pu faire l’objet d’une simple chronique la valeur d’une entreprise solennelle de commémoration. C’est le cas de la Chanson de Bertrand du Guesclin, de Cuvelier, composée dans les années 1380-1385, dont Jean-Claude Faucon considère qu’elle « mérite bien d’être comptée au nombre des dernières chansons de geste25 » :
Seigneur, or escoutez, pour Dieu le roy divin !
[…] Or me vueillez oïr, chevalier et meschin,
Bourgoises et bourgois, prestre, clerc, jacobin,
Et je vous chanteray commencement et fin
De la vie vaillant Bertran de Glaiequin,
Connestable de France, le vaillant palazin […]. (v. 1-9)
8Même si son auteur ne parle pas de « chanter », mais de « dire un roumant », on peut sans doute considérer qu’il en va de même pour le court « poème historique » (519 alexandrins) composé vers 1355 et célébrant, sur fond de guerre de Cent ans, un épisode spectaculaire de la guerre de succession de Bretagne, La Bataille de trente Anglois et de trente Bretons :
Seigneurs, or faites paix, chevaliers et barons,
Bannerois bachelers et trestoux nobles hons,
Evesques et abbés, gens de religions,
Heraulx, menestreëlx et tous bons compaignons,
Gentilz hons et bourgois de toutes nacions,
Escoutez cest roumant que dire vous voulons,
L’histoire en est vraie et les dix en sont bons ;
Comment trentë Englois, hardix comme lions,
Combatirent un jour contre trente Bretons. (v. 1-9)
- 26 Paris, « La littérature au xive siècle », p. 193.
9Ce sont ces deux textes qui, de toute la production du xive siècle, se situent le plus clairement, aux yeux de Gaston Paris, dans le sillage de ce qu’il appelle « la vraie chanson de geste » et à travers lesquels « la flamme près de s’éteindre, assoupie depuis longtemps, a jeté une dernière lueur26 ».
- 27 P.-Y. Badel, « La chanson de geste hors de la chanson de geste », Plaisir de l’épopée, éd. G. Math (...)
- 28 Florence de Rome, chanson d’aventure du premier quart du xiiie siècle, éd. A. Wallensköld, Paris, (...)
- 29 Voir Suard, Guide, p. 261.
10À vrai dire, une certaine marge d’appréciation reste toujours possible. Dans sa stimulante étude sur « la chanson de geste hors de la chanson de geste », Pierre-Yves Badel range Florence de Rome parmi « les textes partageant la forme de la chanson de geste27 ». L’éditeur du texte constatait pour sa part que « le poète, tout en prenant pour sujet un conte d’origine orientale qu’il tenait on ne sait d’où, a évidemment voulu composer une véritable chanson de geste28 », ce qui l’a conduit à développer l’épisode initial de la guerre entre les Romains et les Grecs. Il souligne toutefois le caractère spécifique de cette chanson en la nommant, avant W. Kibler, « chanson d’aventure ». Brun de la Montaigne, dont ne nous sont parvenus que les 3926 premiers vers, est souvent considéré comme un roman en raison du rôle qu’y jouent Morgue, les fées et la forêt de Breceliant. Son éditeur le nomme « roman d’aventure ». Le texte se présente pourtant à trois reprises comme « une chanson » (v. 242, 937, 2744) dont il imite la forme, même s’il refuse la césure épique. On peut donc avec F. Suard le ranger au nombre des chansons de geste du xive siècle29, tout en relevant que le télescopage entre forme épique et thème courtois produit parfois un effet incongru :
Huimès orrés chançon bone et bien agencie,
Car a l’onneur d’amours la matiere est traitie. (v. 243-244)
- 30 Voir « Brun de la Montaigne : une chançon de matiere enforcie (v. 2744) ? », Le Romanesque aux xiv(...)
11La version complète du texte aurait peut-être permis d’y voir plus clair. Dans l’état où nous le connaissons, Brun de la Montaigne s’avère donc profondément hybride, comme l’a bien montré Christine Ferlampin-Acher30.
- 31 Voir A. Goose, « Ogier le Danois, chanson de geste de Jean d’Outremeuse », Romania, 86, 1965, p. 1 (...)
12Compte tenu de ces incertitudes, on peut considérer, en optant pour l’acception la plus large, que la production épique du xive siècle en français compte environ une trentaine de textes dont on trouvera la liste en annexe. Cette dernière inclut trois fragments de quelques centaines ou quelques dizaines de vers révélant l’existence d’une version inconnue de la Chanson de Croissant, d’un remaniement en alexandrins de Garin le Lorrain, ou encore d’une chanson de Lohier et Malart dont seule la prose allemande d’Élisabeth de Nassau-Sarrebrücken (Loher und Maller) permettait jusqu’en 1987 de soupçonner l’existence. Pour d’autres textes, on en est réduit aux conjectures : ils ne sont plus conservés que par des adaptations en prose mais ont probablement connu au départ une forme versifiée. C’est le cas notamment de Saladin, « suite et fin du deuxième cycle de la Croisade » selon le sous-titre adopté par l’éditeur de la version en prose, de Mabrien, dont le héros éponyme, petit-fils de Renaud de Montauban, est élevé par les Sarrasins dans l’ignorance de sa filiation, et de Meurvin, consacré à l’histoire du fils d’Ogier le Danois, enfant enlevé lui aussi, et d’abord ennemi farouche de la chrétienté. De même encore le roman en prose de Valentin et Orson s’inspire vraisemblablement d’un poème français perdu (Valentin et Sansnom ?) également adapté en allemand (Valentin und Namelos), néerlandais et suédois. La chanson d’Ogier le Danois, composée par Jean d’Outremeuse, ne nous est plus connue que par des allusions dispensées çà et là dans Le Myreur des Histors et la Geste de Liège31. D’autres œuvres sont sans doute irrémédiablement perdues.
- 32 Voir G. Holtus et P. Wunderli, Franco-italien et épopée franco-italienne, GRLMA, Les Épopées roman (...)
- 33 La Passion de Venise : codice marciano francese vi (= 226), éd. V. Bertolini, Vérone, Bi & Gi, 198 (...)
- 34 Dans la Pharsale, « il est difficile de reconnaître l’intention stylistique précise de ces changem (...)
- 35 Holtus et Wunderli, Franco-italien, p. 165.
- 36 Suard, Guide, p. 381.
13Largement copiées et diffusées en Italie, les chansons de geste françaises ont aussi inspiré une production originale dans cette langue hybride, à géométrie variable, qu’est le franco-italien32. C’est notamment le cas de l’anonyme Entrée d’Espagne et de sa suite par Niccolò da Verona connue aussi sous le titre de Prise de Pampelune. En clé épique, le même auteur a également rédigé une Pharsale et une Passion du Christ. C’est aussi le cas de Huon d’Auvergne, demeuré globalement inédit, et de l’énorme Guerre d’Attila (plus de 37 000 vers) composée vers le milieu du siècle par Niccolò da Casola, auquel on a aussi parfois attribué, vraisemblablement à tort, une courte Passion de 594 vers, majoritairement des décasyllabes, répartis sur 24 laisses33. Ces textes pratiquent souvent des variations métriques qui peuvent correspondre à un choix stylistique patent, comme lorsque telle lettre reçue par un personnage est présentée sous la forme d’un développement en octosyllabes à rimes plates (Entrée d’Espagne, Attila, Pharsale), mais peuvent s’avérer plus déconcertantes lorsqu’on a affaire à un mélange localisé (Pharsale) ou diffus (Entrée d’Espagne, Attila) de décasyllabes ou d’alexandrins34. « Dernière création originale de la tradition franco-italienne35 » composée entre 1379 et 1407, Aquilon de Bavière, de Raffaele da Verona, opte pour la prose et constitue, selon la formule de F. Suard une « véritable mosaïque de textes et de traditions épiques ou romanesques36 », multipliant les jeux de masques et de reflets, comme le montre ici même Jean-Claude Vallecalle.
Le cadre chronologique
- 37 Boutet, La Chanson de geste, p. 271.
- 38 « C’est une production du quatorzième siècle, placée entre Doon de Maience qu’elle continue et Ogi (...)
- 39 Voir sur ce point les observations de Guidot, Recherches sur la chanson de geste, p. xv-xxxii, « C (...)
- 40 Cazanave, D’Esclarmonde à Croissant, notamment p. 227-238.
- 41 La Geste Francor. Edition of the Chansons de geste of MS. Marc. Fr. xiii (=256), éd. L. Zarker Mor (...)
- 42 Voir M. L. Meneghetti, « Ancora sulla Morte (o Testamento) di Carlo Magno », Testi, cotesti e cont (...)
- 43 Le Roland occitan, éd. et trad. G. Gouiran et R. Lafont, Paris, UGE, 1991.
- 44 S. Marnette, « Nord et Sud : chansons de geste d’oc et d’oïl », L’Épopée romane. Actes du xve Cong (...)
14Bien que présentant des caractéristiques thématiques et formelles qui devraient permettre de l’identifier avec une relative précision, la chanson de geste se joue des frontières et s’avère d’une grande souplesse et d’une grande adaptabilité, comme l’a très justement noté D. Boutet : « La tendance holistique inhérente à toute épopée est le secret de sa longévité, puisqu’elle lui permet d’épouser, sans renier ses traditions techniques, la diversité croissante du réel37. » Reste que pour évaluer les éventuelles métamorphoses du genre au xive siècle, il faudrait pouvoir se fonder sur une datation fiable des textes. Or, dans ce domaine encore prévaut un certain flou. Gaston Paris considérait ainsi que la chanson de Gaufrey, aujourd’hui attribuée sans discussion au xiiie siècle, appartenait au siècle suivant38. La datation des œuvres médiévales soulève en effet de réelles difficultés et est sujette à fluctuations. Il s’agit d’un problème général39, mais qui se pose ici avec une acuité particulière. Un premier indice peut être la date du manuscrit qui fournit en principe un terminus ante quem incontestable. Toutefois, hormis les cas où le copiste a lui-même daté son travail, on n’aboutit en ce domaine qu’à une fourchette plus ou moins large. De plus, la date de la copie doit évidemment être distinguée de celle de la composition de l’œuvre. Si le manuscrit de Turin (L ii 14) est bien daté de 1311, les continuations de Huon de Bordeaux qu’il contient (Auberon, Esclarmonde, Clarisse et Florent, Yde et Olive, Godin) sont à attribuer à la fin du xiiie siècle, comme le soutient Caroline Cazanave avec de très bons arguments40. Pour certaines œuvres, la situation est plus floue, voire inextricable. Si le manuscrit V13 de la Marciana qui contient la Geste Francor (17067 vers41) a vraisemblablement été copié au début du xive siècle, la date de composition des textes de la collection épique qu’il renferme reste incertaine. La courte chanson (884 vers) de La Mort Charlemagne (ou Le Testament Charlemagne42) soulève une difficulté similaire. Le cas des deux poèmes épiques occitans que sont Ronsasvals et Rollan a Saragossa est encore plus complexe43. Les deux textes sont conservés dans un registre daté de 1398, mais présentent, notamment pour le second, un étonnant mélange de traits anciens (vraisemblablement de la fin du xiie siècle), décelables par exemple dans certains détails concernant l’équipement du chevalier, et d’éléments romanesques que l’on est tenté de croire plus récents. « Même s’ils ont été composés dans leur forme “définitive” au xive siècle, le Roland à Saragosse et le Ronsasvals présentent un grand nombre de caractéristiques propres aux chansons de geste du xiie siècle et même, pour le premier, à celles qui sont les plus anciennes44. » Étant donné qu’il paraît hors de portée de repérer l’apport du xive siècle à ces poèmes, nous les exclurons, certes quelque peu arbitrairement, du corpus.
- 45 Baudouin de Sebourc et Bâtard de Bouillon (Paris, BnF, fr. 12552, milieu du xive siècle) ; Girart (...)
- 46 « Medieval Trade Guilds and the Miracles de Nostre Dame par personnages », Medium Aevum, 39, 1970, (...)
15À quelques heureuses exceptions près45, les manuscrits ayant transmis les œuvres que nous tentons de recenser ici appartiennent au xve siècle. On peut pourtant disposer parfois de quelques repères et, par un jeu de dominos qu’il convient de manier avec prudence, cerner de plus près leur élaboration. On sait ainsi que la Chanson de Bertrand du Guesclin a dû être composée dans les années 1380-1387, en tout cas avant 1387, date de sa mise en prose à la demande de Jehan d’Estouteville. Comme Cuvelier mentionne à plusieurs reprises les exploits d’Olivier, fils de Lion de Bourges, il est logique de penser que la chanson de Lion de Bourges est plus ancienne. Elle est même antérieure à Tristan de Nanteuil, qui s’y réfère aussi, mais dont la date demeure indécise. Theséus de Cologne est très vraisemblablement la source du Miracle du roi Thierry, l’un des Miracles de Nostre Dame par personnages, qui a été représenté en 1374 selon G. Runnalls46. Parfois, le jeu des renvois s’avère particulièrement complexe et déconcertant, comme dans le cas des deux remaniements en alexandrins d’Ami et Amile et de Jourdain de Blaye. Chacune des deux chansons contenant des allusions explicites à l’autre, T. Matsumura est logiquement amené à faire l’hypothèse d’une rédaction parallèle et coordonnée.
16Dans certains cas, des témoignages iconographiques peuvent apporter un élément de réponse. Peintures et tapisseries ont en effet contribué efficacement à la diffusion et à la connaissance des œuvres littéraires, comme le relève l’auteur de La Bataille de trente Anglois et de trente Bretons :
- 47 Roumander, c’est-à-dire « écrire en français », apparemment un hapax.
Car l’en soit les vieulx dis et tout par roumander47,
Ly uns par lettre escripte ou painte en tappichiés,
Par trestoux les roiaulmes qui sunt de chi la mer. (v. 501-503)
- 48 Renaut de Montauban, édition critique du ms. de Paris B. N. fr. 764 (R), éd. Ph. Verelst, Gand, Ri (...)
- 49 R. Bossuat, « Theséus de Cologne », Le Moyen Âge, 65, 1959, p. 97-133, 293-320, 539-577, ici p. 30 (...)
- 50 Jourdain de Blaye en alexandrins, éd. T. Matsumura, Genève, Droz, 1999, p. xxiv-xxvii.
- 51 Bossuat, « Theséus de Cologne », p. 305 ; Theseus de Cologne, éd. Bacquin, p. 21-22 ; voir dans ce (...)
- 52 Theseus de Cologne, éd. Bacquin, p. 26.
17La mention, dans des inventaires, de personnages ou de scènes ne figurant que dans la version du texte considérée permet, là encore, de fournir un vraisemblable terminus ad quem. C’est en s’appuyant sur plusieurs témoignages de ce type que Philippe Verelst peut considérer que le grand remaniement de Renaut de Montauban « date de la seconde moitié du xive siècle au moins48 ». Un inventaire des tapisseries possédées par le roi Charles V, daté de 1379, mentionne des « tappiz a ymages » représentant, entre autres sujets, l’histoire de Theséus, de Florence de Rome, d’Ami et Amile, de Godefroy de Bouillon49. De même une tapisserie intitulée La Geste de Jourdain de Blaye, datant des années 1390-1400 et conservée au Museo civico de Padoue, illustre des scènes qui correspondent à ce qu’on lit dans le remaniement et non dans la version ancienne50. Le jeu de miroirs peut toutefois être plus subtil, soulignant un aller-retour entre texte et image. C’est ainsi que, comme argument publicitaire, la chanson de Theséus de Cologne mentionne à plusieurs reprises le fait que le roi de France en personne « l’a fait mectre en painture » sur une fresque de l’hôtel Saint Pol, sans doute dans les années 136051. Cette précision ne figure toutefois que dans deux des trois manuscrits qui nous ont transmis la chanson : elle est absente du manuscrit P (Paris, BnF, nouv. acq. franç. 10060) qui « semble le plus ancien linguistiquement52 ». Dans la mesure où la fidélité à l’œuvre originale est une notion étrangère aux « escrivains » du Moyen Âge, la distinction entre auteur et copiste s’estompe souvent, rappelant au lecteur moderne que la version dont il dispose est in fine du xve siècle.
- 53 Voir Girart de Rossillon, poème bourguignon du xive siècle, éd. E. B. Ham, New Haven, Yale Univers (...)
- 54 Voir A. Saly, « La date du Charlemagne de Girart d’Amiens », Au carrefour des routes d’Europe : la (...)
- 55 Voir « La chanson de Hugues Capet », Romania, 71, 1950, p. 450-481. Voir aussi Fr. Suard, « Hugues (...)
- 56 Voir D. Collomp, « L’écho des bourgeois de Calais dans Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux (...)
- 57 « Les dates et les allusions historiques dans les chansons d’Ogier le Danois », Mélanges Alfred Je (...)
- 58 Le motif est récurrent dans Dieudonné de Hongrie : Philippe, son fils Dieudonné et l’empereur de G (...)
- 59 Voir « The date of Ciperis de Vignevaux », Modern Language Notes, 49, 1934, p. 255-260 et 50, 1935 (...)
- 60 Voir Cl. Roussel, « La fonction royale dans Ciperis de Vignevaux », Bien dire et bien aprandre, 18 (...)
- 61 « Theséus de Cologne », p. 124.
18La datation des œuvres peut aussi s’appuyer sur des éléments internes au texte. En interpellant dans son poème Jeanne de France, femme du roi Philippe VI, et ses deux frères, dont il donne les titres, le remanieur de Girart de Rossillon a permis à L. Delisle de situer sa rédaction entre 1330 et 133453. Ce cas demeure exceptionnel. Parfois, le créneau chronologique s’élargit. Girart d’Amiens a composé son histoire du roi Charlemagne pour Charles de Valois (1270-1328), « frere au roy de France », Philippe IV le Bel, qui est monté sur le trône en 1286 et est mort en 1314. Toutefois l’esprit du texte (contexte de croisade, ambitions impériales de Charles) amène à réduire cet intervalle et à situer la rédaction du poème vers 1303-1306 pour Antoinette Saly, voire 1301 pour son éditeur54. De manière plus floue, on peut aussi déceler dans les chansons des allusions plus ou moins directes à des événements historiques datables. R. Bossuat a ainsi montré que le siège de Paris décrit par Hugues Capet reproduisait assez fidèlement les circonstances de l’opération menée devant la ville par le futur Charles V en 1358, ce qui le conduit à dater la chanson de 1360 environ55. Un épisode de Theséus de Cologne et, plus nettement encore, son réemploi dans Ciperis de Vignevaux peuvent être interprétés comme un écho de l’affaire des bourgeois de Calais (134756). C’est aussi en s’appuyant sur des allusions historiques (rôle des Templiers, relations franco-anglaises) qu’Émile Roy date la continuation d’Ogier en décasyllabes « des environs de 1314 » et considère que « la version en alexandrins, la plus célèbre de toutes, est comme Meurvin antérieure à 133757 ». Les indices sont ici relativement ténus et il est clair que, globalement, la recherche de ces effets de possibles résonnances historiques dans un texte littéraire n’est pas sans risque. Quand la chanson de Florent et Octavien met en scène la capture du fils, puis du père, qui d’ailleurs ignorent leur lien de parenté, dans un combat contre les Sarrasins devant Paris, faut-il y voir nécessairement un souvenir de la bataille de Poitiers58 ? Dans le même esprit, A. H. Krappe est persuadé que Ciperis de Vignevaux transpose les événements de Hongrie qui ont abouti en 1396 à la lourde défaite de Nicopolis59. L’argumentation s’appuie sur une lecture très sélective, voire partiale, du texte et demeure de ce fait fragile60. Tout en restant attentif aux éventuels clins d’œil à l’actualité, il convient sans doute de manier avec prudence le postulat de R. Bossuat pour qui les chansons comme Dieudonné de Hongrie ou Theséus « tent[ent] d’évoquer le présent en le dissimulant sous une fiction romanesque61 ». Les auteurs sont, bien entendu, des hommes de leur temps, mais il n’est pas certain qu’un tel encodage ait toujours constitué leur priorité.
- 62 On ne prendra évidemment en compte que les références à des œuvres composées ou diffusées au xive (...)
- 63 Voir E.-R. Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, Paris, Droz, 1940, p. 92-99.
- 64 Voir Parise la Duchesse, éd. M. Plouzeau, Aix-en-Provence, Publications du CUERMA, Senefiance, 17, (...)
- 65 Voir « Ideali cavallereschi in Valpadana : il Roman d’Hector et Hercule e l’Entrée d’Espagne », Da (...)
- 66 Voir Les Épopées françaises, 2e éd., Paris, 1882, t. 4, p. 106.
- 67 Voir Recherches sur la chanson de geste, p. xxxi.
- 68 Voir Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 65-66 et L.-F. Flutre, « Dieudonné de Hongrie, cha (...)
19D’un point de vue strictement littéraire, la recherche des sources, des citations, des emprunts peut aussi aider à esquisser une chronologie relative62. On a déjà signalé que la Chanson de Bertrand du Guesclin et Tristan de Nanteuil mentionnent Lion de Bourges. Il paraît de même certain que l’auteur de Baudouin de Sebourc connaît et exploite Le Devisement du Monde de Marco Polo63. Des allusions explicites aux Vœux du Paon figurent dans Baudouin de Sebourc, Hugues Capet, le remaniement de Florence de Rome et la Chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroy de Bouillon (CCGB). Hugues Capet, qui a vraisemblablement, comme le montre May Plouzeau, emprunté le personnage de Hugues de Vauvenice à Tristan de Nanteuil, doit donc avoir été composé après ce texte64. De même, le remanieur de Huon de Bordeaux devait connaître la version remaniée de Renaut de Montauban. Dans Huon en effet, Charlemagne rappelle que Renaut a rapporté d’Orient les reliques de la Passion (v. 843-875, fol. 15r), précision qui ne figure sauf erreur que dans le grand remaniement de Renaut de Montauban. L’étude sur nouveaux frais de ces interférences peut parfois permettre d’affiner une datation. C’est ainsi que le repérage de certaines analogies entre Le Roman d’Hector et Hercule et L’Entrée d’Espagne conduit Marco Infurna à situer la composition de ce dernier texte autour de 1316, au lieu de la large fourchette (1298-1343) qu’on se trouvait jusqu’alors contraint de lui assigner65. Encore faut-il être certain d’identifier correctement les traces d’un éventuel emprunt. Léon Gautier voit ainsi dans la réponse que le roi Thierry fait aux fils de Savary (« Mais la mort qui tout prent, et vesques et abbés, / Les grans et les petis, nulz n’en est depportés, / Prist le duc vostre pere », v. 3608-3610) une allusion évidente à la Danse macabre et date en conséquence la chanson des Enfances Garin de Monglane du xve siècle66. À ce compte, on pourrait aussi bien attribuer à la même époque Lion de Bourges qui insiste, dans un aparté du narrateur, sur la vanité du monde et la fragilité du corps « que mengent li ver per deden la terree » (v. 18292). Bernard Guidot estime pour sa part que Les Enfances Garin présentent une certaine communauté d’inspiration avec Berte aus grans piés, Macaire, Parise la Duchesse et doivent avoir été composées dans le dernier quart du xiiie siècle67. Toutefois, ce qui caractérise à ses yeux ce texte, qu’il s’agisse du « romanesque sans poésie » ou des « tendances édifiantes, morales ou moralisantes », marque aussi bien les œuvres du siècle suivant. De même, la dénonciation des taxes excessives imposées par les traîtres et leurs suppôts, et notamment de la maltôte (Enfances Garin, v. 3896) devient un motif récurrent dans les chansons du xive siècle (Lion de Bourges, v. 297, 21127, 21582 ; Tristan de Nanteuil, v. 9881 ; Baudouin de Sebourc, v. 6182, 6201), au nombre desquelles, sauf à voir en elle une œuvre pionnière, on sera donc tenté de compter Les Enfances Garin. Il ressort de ces quelques exemples que l’interprétation des corrélations décelables reste difficile et souvent arbitraire. Si quelques détails de la trame narrative invitent ainsi à penser que les auteurs de Tristan de Nanteuil et de Lion de Bourges connaissaient, au moins de loin, La Belle Hélène de Constantinople, il est difficile d’aller au-delà d’un simple faisceau de présomptions. Le fait que l’auteur de Dieudonné de Hongrie recycle partiellement Lion de Bourges, et peut-être Florent et Octavien, paraît en revanche mieux assuré. Reste que le sens d’une possible filiation est d’autant plus difficile à établir que toutes ces chansons puisent dans un vaste fonds commun de motifs narratifs (les fées marraines, la reine faussement accusée, la méchante belle-mère, la famille séparée, l’enfant sauvage, l’anneau magique préservant la chasteté des femmes…) et de scénarios empruntés aux contes folkloriques. Enfin, en ultime recours, l’étude du lexique, et notamment le repérage de termes désignant des pièces de l’équipement chevaleresque apparues au xive siècle (plates, targe, volequin, broches…) peut éventuellement aider à confirmer un cadre chronologique au demeurant assez large68.
- 69 Voir Flutre, « Dieudonné de Hongrie », p. 400 ; Bossuat, « Charles le Chauve », p. 199 opte pour l (...)
- 70 Ciperis de Vignevaux, éd. W.S. Woods, Chapel Hill, University of North Carolina, 1949, p. 6.
20Dater avec précision la plupart de ces textes s’avère donc une opération hasardeuse. C’est pourquoi les éditeurs demeurent souvent prudents et les situent dans une fourchette relativement large : première moitié du siècle (Florence de Rome), deuxième quart du siècle (Lohier et Malart), vers le milieu du siècle (Baudouin de Sebourc, CCGB, Hugues Capet, Lion de Bourges, Belle Hélène, Tristan de Nanteuil, Florent et Octavien, Geste de Monglane), deuxième moitié du siècle (Renaut de Montauban, Dieudonné de Hongrie69). Pour E. E. Rosenthal, Theséus de Cologne a été composé en deux temps : la première partie pourrait avoir vu le jour avant 1364, alors que la rédaction des derniers épisodes serait à repousser après 1376, mais de toute façon dans le dernier quart du xive siècle. Pour Mari Bacquin, il faudrait plutôt envisager entre 1361 et 1374 pour la première partie et après 1378 pour la seconde. Ciperis de Vignevaux est souvent daté du début du xve siècle, mais sur la foi, comme on l’a signalé, d’arguments fragiles. Son éditeur opte du reste pour une date plus précoce, « near the middle of the 14th century70 ». Quant à Jourdain de Blaye, T. Matsumura incline à opter pour le xve siècle. Il minore toutefois le témoignage de la tapisserie de Padoue et accorde une importance peut-être excessive à un élément lexical isolé (la mention de l’abbaye facétieuse de Froivaux), indice qui, en toute rigueur, inviterait à repousser la composition du texte vers le milieu du siècle – ce qui paraît pour le coup exagérément tardif.
- 71 Florent et Octavien, chanson de geste du xive siècle, éd. N. Laborderie, Paris, Champion, 1991, p. (...)
- 72 Baudouin de Sebourc, éd. L.S. Crist et R.F. Cook, Paris, SATF, 2002, p. xvii.
- 73 Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 75.
- 74 Les Épopées françaises, t. 2, p. 403.
21La question de la datation se complique encore si l’on considère que ces chansons, ou du moins certaines d’entre elles, ont pu être composées en plusieurs étapes. On a vu que c’est l’opinion qui prévaut pour Theséus de Cologne. Il en va de même pour Florent et Octavien, dont l’éditrice écrit : « on peut conclure avec R. Bossuat que les deux premières parties de la chanson ont été composées peu après 1356 tandis que la troisième ne doit dater que de la fin du xive siècle ou même du début du xve71 ». E.-R. Labande décelait également l’intervention de deux auteurs distincts dans Baudouin de Sebourc. Même s’il existe de fortes présomptions en ce sens, il convient de rappeler la prudente circonspection de L. S. Crist et de F. R. Cook : « La technique de composition des chansons de geste tardives est traditionnelle et ne permet pas de distinguer dans un poème donné, des traces d’individualité. Un changement de ton ou de sujet, même s’il peut être constaté avec certitude, ne prouve pas un changement d’auteur72 ». E.-R. Labande, comme après lui N. Laborderie, envisage l’hypothèse d’un « “atelier” littéraire où des versificateurs de même origine ou de même culture auraient travaillé sous la direction du plus habile d’entre eux73 ». C’est au fond le même constat que celui que faisait déjà, dans son style inimitable, Léon Gautier : « La différence entre l’art et l’industrie, c’est que l’art crée un objet unique, et que l’industrie multiplie un même objet mille et dix mille fois. Eh bien ! nos vieilles chansons des xie et xiie siècles étaient de l’art : celles-ci ne sont que de l’industrie74 ».
Le modèle épique
- 75 Brun de la Montaigne, roman d’aventure, éd. P. Meyer, Paris, SATF, 1875, p. xiv.
- 76 Voir notamment T. Matsumura, « Sur le vocabulaire d’Ami et Amile en alexandrins », Revue de lingui (...)
- 77 « Dieudonné de Hongrie », p. 398.
22Ces chansons « industrielles » affichent en effet un incontestable air de famille qui tient d’abord à une grande parenté linguistique. À l’exception bien entendu des productions franco-italiennes, la plupart des chansons que l’on peut raisonnablement attribuer au xive siècle ont clairement été produites « dans la partie septentrionale des pays de langue d’oui [où] on a continué plus longtemps qu’ailleurs à composer des poëmes en forme de chansons de geste75 ». C’est ce que montre avec une grande constance l’étude de la métrique et des rimes et ce que confirme l’examen du lexique76. Selon L.-F. Flutre, « il est à présumer que l’auteur de Dieudonné […] était originaire d’une région comprise entre Lille, Arras, Cambrai, Maubeuge, Mons et Tournai. C’est dire que Dieudonné a dû être composé à peu près au même lieu que Baudouin de Sebourc, Le Bastard de Bouillon et Hugues Capet, œuvres plus ou moins contemporaines, avec lesquelles il présente tant de ressemblances dans l’inspiration et dans les procédés de composition et d’expression77 ». La liste pourrait être considérablement allongée et étendue à la quasi-totalité des œuvres citées en annexe. Outre les arguments d’ordre linguistique, il est clair que certains au moins de ces auteurs, comme ceux de Baudouin de Sebourc, de La Belle Hélène ou de Tristan de Nanteuil ont une excellente connaissance de la Flandre, de l’Artois et du Hainaut. Globalement conventionnelles ou fantaisistes ailleurs, les indications relatives aux itinéraires ou aux lieux cités s’avèrent précises et fiables dès qu’elles concernent ces régions. C’est du reste dans cette même aire géographique que ces chansons ont visiblement connu leur succès le plus durable et ont été le plus souvent copiées au xve siècle.
- 78 La Chanson de geste. Essai sur l’art épique des jongleurs, Genève-Lille, Droz-Giard, 1955, p. 126.
- 79 Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 145.
- 80 Les Épopées françaises, t. 2, p. 469.
23L’air de famille qui rapproche un grand nombre de ces productions tient aussi à l’emploi de procédés empruntés au fonds commun de la rhétorique épique, mais dont l’emploi s’avère ici massif et ostentatoire. « Vu d’une certaine hauteur, le genre entier paraît “cliché” », écrivait J. Rychner78. Les textes composés au xive siècle conservent globalement l’arsenal traditionnel de motifs et de séquences stéréotypées utilisé dans les productions antérieures, même s’ils en présentent souvent une version assouplie, selon les cas diluée ou raccourcie. Du style formulaire, caractéristique de la parole épique, ils retiennent surtout les facilités prosodiques qu’il offre. L’alexandrin est truffé de chevilles qui affectent en particulier le second hémistiche, si bien que, comme le relève E.-R. Labande, « certaines laisses pourraient presque se lire sans inconvénient en recouvrant la partie droite du texte79 ». Un passage de La Belle Hélène fournit un bon exemple de « cet odieux chevillage » qui choque L. Gautier80 :
Or s’en va le paigneur que moult fu sage ouvrier,
Sy en porte le targe que fu painte a or myer.
. iiiI. ymages a faitee en l’escut de cartier
De trestout tel samblant, mentir ne vous en quier,
Con la roïne Elaine que le cuer ot entier,
Et puis revint au roy que moult ot le cuer fier,
La targe ly presente, que moult fist a prisier.
Ly rois voit les ymages, moult forment les ot chier,
Ses chevaliers apelle ou il se pot fïer :
« Seigneurs, que vous en samble, pour Dieu le droiturier ?
Certes, che samble Elaine, m’amie qu’ay tant chier.
– Sire, dient ly prinche, bien samble vo moulier ;
N’y sçavons qu’amender ny avant ny arier. » (v. 1749-1760)
- 81 Gautier, Les Épopées françaises, t. 2, p. 467.
- 82 U. Eco, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993, rééd. Paris, Librairie générale française, (...)
24Chevilles et redondances en tous genres expliquent les jugements négatifs unanimement portés sur le style de ces chansons de geste. Absence d’invention, platitude, verbosité, « prolixité flasque81 » sont en effet des reproches récurrents. Toutefois ce qui peut passer pour un manque de goût et d’art peut aussi constituer un gage d’efficacité narrative. Dans des textes surchargés en personnages et en événements, ces temps morts et ces mots inutiles ralentissent le rythme et orientent efficacement l’attention de l’auditeur. Ils contribuent grandement à l’intelligibilité de récits que tout effort de condensation, toute élimination drastique de ces scories rend à peu près incompréhensibles. U. Eco a bien montré, à travers le cas du Comte de Monte-Cristo, que ces fausses négligences, ces répétitions pléthoriques, qu’il nomme joliment « les horribles intempérances stylistiques » de l’auteur, jouent un rôle important dans l’architectonique du roman populaire82. Les chansons de geste du xive siècle usent spontanément, par anticipation, des mêmes recettes.
- 83 Tristan de Nanteuil, p. 299-300.
- 84 « The widely held idea that laisse lenght gradually increased from older to younger works does not (...)
- 85 Voir Fr. Suard, « La fonction des proverbes dans les chansons de geste des xive et xve siècles », (...)
- 86 Les Épopées françaises, t. 2, p. 470.
- 87 Voir « Les proverbes dans Jourdain de Blaye en alexandrins », Travaux de linguistique et de philol (...)
25Résolument narratives, ces chansons négligent le rôle musical de la laisse. Elles ignorent les laisses similaires où joue à plein l’effet de pause lyrique et de célébration polyphonique d’un événement unique. Elles ne pratiquent guère non plus les laisses parallèles dans lesquelles une action identique est attribuée tour à tour à différents agents. La laisse conserve en revanche chez elles une importante fonction de séquençage narratif, comme le constate A. Georges dans son étude sur Tristan de Nanteuil : « la laisse joue un rôle structurant fondamental. Elle est assez vigoureusement délimitée en ses vers d’intonation, et, dans une moindre mesure, de conclusion. Ses dimensions modestes et son unité narrative concourent à la conforter dans son statut d’unité rythmique et narrative primordiale83 ». Si leur caractère composite s’accentue globalement, les laisses n’accusent aucune hypertrophie. R. Hartman a montré que l’idée, souvent répandue, d’un allongement progressif des laisses au fil du temps manquait de fondement84. Les chansons du xive siècle comptent en moyenne une quarantaine de vers par laisse (de 30 pour Le Bâtard de Bouillon à 49 pour Lion de Bourges), ce qui reste très en deçà des 86 vers d’Aliscans ou des 115 vers de Huon de Bordeaux. Les contours de la laisse demeurent relativement bien marqués. Les vers d’intonation se modèlent pour l’essentiel sur des modèles syntaxiques aisément repérables qui peuvent se combiner entre eux (nom d’un personnage en fonction de sujet, inversion épique, attaque en Or ou en Quant, apostrophe…). Prolongeant une tendance déjà perceptible dans les œuvres plus anciennes, les vers de conclusion sont souvent moins typés. On y retrouve les types canoniques : expression d’un jugement sur l’action écoulée (formulé par un personnage ou par le narrateur), anticipation ou présage, voire relances caractéristiques de jongleur (« Or vous traiez en cha, signour… », « Or commenche matere… »). La laisse peut aussi se clore par un commentaire sentencieux ou un proverbe85. « Dans nos dernières chansons de geste, le proverbe fleurit à plaisir », écrit L. Gautier86. Il s’agit là d’un trait d’époque, dont les œuvres contemporaines, hors cadre épique, offrent maint exemple. Clore la laisse par un énoncé gnomique est donc un choix tentant, mais qui varie beaucoup selon les auteurs. Le cas se produit une dizaine de fois (sur 399) dans La Belle Hélène de Constantinople, mais est beaucoup plus fréquent dans d’autres textes comme Ciperis de Vignevaux, Baudouin de Sebourc ou Jourdain de Blaye. Dans ce dernier texte, l’inflation est spectaculaire : alors que T. Matsumura compte huit proverbes dans la version du xiiie siècle, il en recense 299 dans le remaniement87.
- 88 La Chanson de geste, p. 74.
- 89 J. Thomas, L’Épisode ardennais de « Renaut de Montauban », édition synoptique des versions rimées,(...)
26Souligner les contours de la laisse passe aussi par la pratique de ce que J. Rychner a nommé « enchaînement ». Le procédé consiste, sous sa forme la plus simple, « à reprendre, au début de la laisse suivante, sous une forme plus ou moins semblable, ce qui a été dit à la fin de la laisse précédente88 ». Vraisemblablement perçu comme un indispensable marqueur épique, le procédé est habituel, voire « poussé à l’état de système89 », dans ces chansons. Il peut revêtir une forme minimale, sur un vers, ou porter sur un développement plus important :
Grande fu la pités a le recongnissanche.
130
Grande fu la pités des fiex et de le mere.
(Baudouin de Sebourc, v. 3846-3847)
As frenestrez se va le bon roy apoiant
Et voit de Sarazins le siege orible et grant.
Moult s’en va li bons fois en son cuer mervillant :
De Damedieu les va en son cuer maudissant
Qu’i les voielle confondre.
159
Aus frenestrez estoit Ricars li ricez rois
Et voit son païs plain de Sarazins revois,
De Jesus les maudist, qui fu mis en le crois.
(Jourdain de Blaye, v. 4470-4477)
27Initialement associé à la valeur strophique de la laisse, ce dispositif vise plutôt ici à souligner les articulations du récit et relève au fond, pour les chansons de cette époque, de cette stratégie déjà signalée de la redondance, de la saturation.
28Les adresses au public constituent de même un autre marqueur épique largement sollicité dans les chansons de geste du xive siècle. Elles apparaissent selon l’usage dans la captatio benevolentiae :
Signour, or faites paix, chevaillier et baron,
Bourgois et clerc et prestre, gens de religion,
Et je vous chanterait une bonne chanson […].
(Lion de Bourges, v. 1-3)
Seigneurs, or faites pais, chevaliers et barons
Et rois et dus et contes et princes de renons
Et prelas et bourgois, gens de religion,
Dames et dammoiseles et petiz enfansons,
Clers et lais, toutes gens vivans fois et raisons.
(Renaut de Montauban, v. 1-5)
29Ou bien, plus discrètement, dans la clausule qui appelle la bénédiction divine sur l’auteur (ou le copiste), l’interprète et son auditoire, voire le commanditaire, avec, éventuellement, en forme de pirouette finale, le classique appel à aller tous ensemble se désaltérer :
Car cy fine Hulin, plus de son fait n’i a,
Car il le fault finer, longuement duret a.
Cy fine son histore. Dieu qui le mond fourma
Voeulle celluy garder qui bien entendu l’a
Et aussy ensement qui chanté le vous a,
Et cilx qui l’a escript oublié ne sera.
Jhesus le tout poissant qui racheté nous a
A le fin de ses jours, quant il desviera,
Le voeulle herbergier en son lieu magesta
Aveuc ossy celuy qui faire le rouva.
(Huon de Bordeaux, ms. BnF, fr. 1451, fol. 225v, v. 4-13)
Cy fineray mon livre de Tristan le guerrier,
De ses enffans aussy, de son oncle Richer.
Dieu leur ottroit sa gloire et les veulle avancer !
Et vous aussy, seigneurs, je veul aussy prier,
Et d’un aultre romant vous vourray commancer
Il est temps d’aller boire, j’en ay grant desirier.
(Tristan de Nanteuil, v. 23356-23361)
30Elles figurent aussi très régulièrement à l’intérieur du texte :
Seigneur, or entendés, franche gent absolue,
Glorïeuse chançon que bien vraye est tenue.
(Tristan de Nanteuil, v. 3313-3314)
Or vous traiés en ça, sergent et chevalier,
Ystoire vous diray qui moult fait a louer
D’Aiglentine la belle […].
(Tristan de Nanteuil, v. 9135-9137)
Seigneurs, or entendés, pour Dieu le droiturier,
S’orrés certaine ystoire sans mensonge conter.
(Tristan de Nanteuil, v. 15771-15772)
Seigneurs, ceste chançon doit bien estre escoutee,
Car cë est d’une geste de moult grant renommee.
(Tristan de Nanteuil, v. 16854-16855)
- 90 Voir Chroniques relatives à l’histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne, éd (...)
- 91 « À propos du style formulaire dans les chansons de geste : définitions et propositions », Lez Val (...)
- 92 Un énoncé rappelant les exordes épiques figure au début du manuscrit Paris, BnF, fr. 340 (début du (...)
31Ces marques ostentatoires d’oralité et de connivence avec le public se multiplient encore dans un texte aussi délibérément écrit que l’est, au siècle suivant, la Geste des ducs de Bourgogne90. Sans doute ne constituent-elles plus, selon la jolie formule de J.-P. Martin, que « l’habillage littéraire d’une nostalgie91 », mais elles ont néanmoins le mérite de montrer que dans l’imaginaire des auteurs comme du public, la chanson de geste ne se conçoit pas sans cette référence, réelle ou fictive, à un public regroupé autour d’un interprète qui provoque, capte et amplifie les émotions92.
Typologie
- 93 On notera de malencontreux et improbables lapsus dans l’éd. Laborderie, p. vi-vii : le manuscrit B(...)
- 94 Voir K. Togeby, Ogier le Danois dans les littératures européennes, Munksgaard, 1969, p. 134-155 ; (...)
- 95 Le manuscrit renferme Lion de Bourges (fol. 1 à 183r), Huon de Bordeaux (fol. 184 à 247) et sa sui (...)
32Si l’on excepte les œuvres célébrant des faits contemporains (Combat des Trente, Du Guesclin), au contenu par définition innovant, les chansons de geste composées au xive siècle se répartissent en deux grandes catégories : remaniements ou continuations d’œuvres antérieures, créations sans précédent connu. La tradition de la réécriture est solidement ancrée dans le monde médiéval, notamment dans le domaine épique ; elle est souvent associée à des extensions textuelles prenant des formes variées : introduction de nouveaux épisodes sous forme d’interpolations ou prolongements du récit vers l’amont (préludes, « enfances ») ou l’aval (suites). En dehors du remaniement de Girart de Roussillon, qui, comme on l’a signalé, prend ses distances avec le cadre de la chanson de geste, le seul remaniement pur est celui de Florence de Rome qui, exceptionnellement, condense son modèle du xiiie siècle, ramené de 6410 à 4562 alexandrins. Il faut toutefois ajouter que cette nouvelle version cesse d’être perçue comme une œuvre autonome mais devient un prolongement de Florent et Octavien à la suite duquel elle est d’ailleurs copiée dans l’unique manuscrit qui l’a conservée (BnF, fr. 2438493). De même la seule véritable suite est celle qui prolonge la version décasyllabique d’Ogier le Danois dans le manuscrit BnF, fr. 1583. Le texte de la Chevalerie Ogier est pourvu d’une continuation d’environ 17 000 décasyllabes relatant les exploits du héros en Orient, son séjour à Avalon et, deux cents ans plus tard, son intervention en France au secours du roi Philippe, fils de Hugues Capet94. Dans le manuscrit BnF, fr. 22555, Huon de Bordeaux est suivi d’une courte continuation95 que l’on peut diviser en trois « branches », non séparées dans le codex : Huon roi de Féerie (440 vers), Huon et les géants (404 vers) et Huon le desvey (« Si vous dirait de Huon le desvey », v. 845, fol. 252v b40). Il reste peu de chose des démêlés opposant le héros à ce Huon le desvey, frère du traître Gibouart, en raison de la déchirure du dernier folio (fol. 253).
33Dans la plupart des cas, le remaniement modifie en profondeur l’architecture du texte source et inclut diverses extensions. Le remaniement en alexandrins du même Huon de Bordeaux transmis par le seul manuscrit BnF, fr. 1451 inclut une interpolation de 2500 vers environ (Huon et Calisse) et se prolonge par deux suites (Esclarmonde, Clarisse et Florent) dans une version plus condensée que celle qu’offre le manuscrit de Turin. À plusieurs reprises des prolepses narratives, placées dans la bouche d’Auberon ou assumées par le narrateur, annoncent la naissance de Croissant, arrière-petit-fils d’Esclarmonde et Huon. Le manuscrit s’achève par la paix conclue, sous la houlette de Huon, entre le roi d’Aragon et ses ennemis et par le fait que Huon reconnaît Clarisse comme sa fille, rendant ainsi possible l’union du fils du roi (Florent) et de la jeune fille :
- 96 H. Schäfer, Über die Pariser Hss. 1451 und 22555 der Huon de Bordeaux-Sage. Beziehung der HS 1451 (...)
Et par icelle paix dont je fais parlement
Fust fais un mariage, se l’istore ne ment,
De Clarisse la belle et du noble Flourent,
Mais n’est pas en ce livre, car il prent finement,
Ains est ens ou rommant, par le corps saint Climent,
De Croissant, cilx de Romme, qui moult o(s)t hardement,
Qui fust filx a la fille Clarisse o le corps gent […]96.
- 97 T. Städtler, « Deux fragments d’une chanson de geste perdue, la Chanson de Croissant », Romania, 1 (...)
- 98 Sur cet épisode, voir M. Ott, « Femmes et duels judiciaires : Ogier le Danois et l’épouse du roi d (...)
34En quelques vers, l’auteur présente l’histoire de Yde, fille de Clarisse et Florent, qui change de sexe, devient Ydé, épouse la fille de l’empereur de Rome (ici Beatris et non Olive) et donnera naissance à Croissant, futur souverain de quatorze royaumes, « comme vous l’apprendrez au livre de Croissant si vous trouvez quelqu’un pour vous le chanter ». C’est selon toute vraisemblance de cette chanson, considérée jusqu’au début des années 2000 comme perdue, que Th. Städtler a retrouvé et publié deux fragments97. Transmis par quatre manuscrits, le remaniement en alexandrins d’Ogier (29 000 vers environ) suit globalement la trame de la version décasyllabique du manuscrit BnF, fr. 1583 mais en y ajoutant divers épisodes dans la partie initiale (Chevalerie proprement dite) : intervention des fées marraines, histoire de la femme du roi Desier98, rôle de Caraheust et Rubion… Il est plus fidèle dans la continuation, qu’il tend pourtant à abréger. Une innovation importante consiste à doter Ogier et Morgue d’un fils, Murvin (Meurvin), né en Féerie (pages 653-655 du manuscrit Arsenal 2985). Ce personnage fera manifestement l’objet d’une chanson à lui consacrée, comme le laissent penser ces deux vers du manuscrit de Turin :
- 99 Passage cité par Gautier, Les Épopées françaises, t. 2, p. 450.
De Meurvin vous lairay chy endroit maintenant
Car sa vie est escrite en un autre romant99.
- 100 R double la version de D (Oxford Bodl. Douce 121) et augmente d’un tiers la version de L (Paris, B (...)
- 101 Pour une présentation concise et claire de la tradition rinaldienne, voir S. Baudelle-Michels, « L (...)
- 102 « Les nouvelles aventures d’Ami et Amile au xve siècle », Façonner son personnage au Moyen Âge, éd (...)
- 103 Suard, Guide, p. 295.
- 104 Voir Jourdain de Blaye, éd. Matsumura, p. xxxv.
- 105 La formule est de Suard, « L’originalité des épopées tardives », p. 39, n. 7, qui emploie aussi l’ (...)
- 106 Pour une comparaison très détaillée entre les deux textes, voir Florent et Octavien, éd. Laborderi (...)
35Cette chanson est perdue mais subsiste sous la forme d’une mise en prose. Comme il est fréquent dans ce genre de situation, les informations fournies sur Meurvin dans le remaniement d’Ogier ne coïncident pas totalement avec le sort que lui assigne le dit « romant », tel du moins qu’on peut l’appréhender à travers la prose. Le remaniement R (BnF, fr. 764) de Renaut de Montauban présente par rapport aux versions du xiiie siècle une inflation notable (de 30 à 100 %), mais qu’il est difficile de chiffrer avec précision en raison des écarts importants qui caractérisent déjà les états antérieurs du texte100. Il amplifie en particulier considérablement le premier épisode d’Orient, qui atteint à lui seul 11 550 vers, et est d’ailleurs suivi, après le retour en France du héros, d’un second épisode oriental spécifique de 2488 alexandrins. Encore faut-il constater que cet imposant ensemble de 28 392 alexandrins ne constitue que le vestige très partiel d’une énorme production cyclique dont seule la prose dite « amplifiée » peut donner une idée101. Un autre vestige de cet ensemble versifié figure dans le manuscrit B (Londres, British Library, Royal 16 G ii) qui fournit une nouvelle version de La Mort de Maugis (1899 alexandrins). De plus, le narrateur annonce, dans une anticipation, la naissance de Mabrien, petit-fils de Renaut, et résume son histoire (v. 27998-28030). Il a très vraisemblablement existé une chanson de Mabrien en alexandrins, mais, comme pour Meurvin, cette histoire ne nous est plus connue que par une version en prose. Composées vers la fin du xiie siècle ou au début du xiiie, les deux chansons constituant la petite geste de Blaye (Ami et Amile, 3504 vers ; Jourdain de Blaye, 4245 vers), toutes deux en décasyllabes avec vers orphelin, ont fait l’objet de remaniements qui les ont considérablement amplifiées. Ami et Amile compte près de 14 000 vers (alexandrins et hexasyllabes). J.-P. Martin distingue trois parties dans le récit : « les 4500 premiers vers sont consacrés aux aventures de jeunesse d’Ami et Amile, de leur naissance à leur arrivée à la cour de Charlemagne ; une deuxième partie d’environ 2900 vers reprend de façon assez fidèle les épisodes figurant dans la chanson du xiie siècle ; enfin les 6700 derniers vers font le lien avec la version en alexandrins de Jourdain de Blaye […] et s’attachent à la fois aux deux enfants d’Amile et à Gérard, le fils d’Ami et de Lubias, qui est aussi le père de Jourdain102 ». Jourdain de Blaye compte 23182 vers (alexandrins et hexasyllabes) complétés par un onzain du copiste, dans lequel celui-ci donne son nom en acrostiche (Druet Vignon). Cette hypertrophie par rapport à la version initiale s’explique notamment par le fait que l’auteur développe son intrigue sur plusieurs générations : Gérart, fils d’Ami et père de Jourdain, Jourdaine et Gérart, fille et fils de Jourdain et Oriabel, Richart, fils de Gérart et Beatris (fille de Charlemagne) et enfin Thibaud, fils de Richart et de Soline. Une « extension généalogique103 » similaire du côté des païens permet de saturer le récit par de multiples rebondissements. Au terme d’un examen serré des relations qu’entretiennent ces deux textes, T. Matsumura croit, comme on l’a déjà signalé, à une composition simultanée et coordonnée d’Ami et Amile et de Jourdain, la première chanson traitant d’Ami et Amile et des fils de ce dernier, la deuxième étant consacrée aux descendants d’Ami104. C’est en combinant le même mécanisme d’« extension généalogique » mais aussi l’ajout d’épisodes, de personnages et le développement de certaines scènes de combat que la chanson de Florent et Octavien fait passer le « roman épique105 » d’Octavian de 5371 octosyllabes à 18 509 alexandrins106. Entièrement originale, et enchaînant attaques païennes, trahisons, enlèvements, emprisonnements, la troisième partie compte à elle seule 6500 vers. Une même cascade d’aventures anime Lohier et Malart, dont ne subsistent plus que 160 alexandrins mais que la prose allemande permet de reconstituer. Charlemagne a deux fils, Lohier et Louis. Séducteur impénitent des femmes et des épouses des barons, Lohier est banni et son ami, Malart, l’accompagne dans son exil. À partir d’une trame apparentée à celle de Floovent, le récit entend expliquer, dans un second temps, vraisemblablement en exploitant et adaptant une chanson qui ne nous est pas parvenue, pourquoi la couronne de France est héréditaire alors que la dignité impériale est élective. Prolongeant ce climat de vendettas familiales exacerbées, un ultime épisode consiste en un remaniement de l’histoire de Gormont et Isembart ; il s’achève par la disparition du roi Louis qui meurt sans héritier mâle, ouvrant ainsi une grave crise successorale, à laquelle Hugues Capet proposera une réponse.
36La frontière entre remaniement et ajout s’avère parfois incertaine. On peut ainsi se demander si la version de Garin de Monglane du ms. Paris, BnF, fr. 1460 doit être considérée comme comportant une chanson originale (Les Enfances Garin de Monglane, 5078 alexandrins) suivie d’une version fortement remaniée de Garin de Monglane ou si l’ensemble du texte ne doit pas plutôt être interprété comme un remaniement dont le prologue que constituent Les Enfances ne serait qu’un élément. On considère à juste titre que la section correspondant aux Enfances se termine avec le départ de Garin pour la France (laisse clxv). Aux yeux de l’auteur toutefois (ou du copiste), le texte constitue visiblement un bloc homogène, les laisses s’enchaînant imperturbablement dans le manuscrit (fol. 95v) sans aucun hiatus :
Et Garrin s’en alla en France sans arrester
Qui puist concquist Monglenne.
clxvi
Or chevauche Garin qui tant ot renommee
Vers France s’en va celle terre loee […].
- 107 Sur tous ces points, voir J. Horrent, La Chanson de Roland dans les littératures française et espa (...)
- 108 Voir Fr. Suard, « Le Chevalier au Cygne et Godefroy de Bouillon. Une écriture épico-romanesque », (...)
- 109 Dans le manuscrit de Bruxelles, édité par Reiffenberg. Selon R.F. Cook et L.S. Crist, Le Deuxième (...)
- 110 Le Bâtard de Bouillon, éd. R.F. Cook, Genève, Droz, 1972, p. xxviii.
37Comme le laisse présager le cas de Lohier et Malart, le travail de remaniement et d’extrapolation peut prendre la forme d’une compilation regroupant plusieurs textes. C’est probablement en combinant des éléments empruntés au Pèlerinage de Charlemagne et à une version rimée du Roland qu’a vu le jour une chanson de Galien, fils d’Olivier, qui a ensuite été incorporée à un premier ensemble consacré aux quatre fils de Garin de Monglane (Hernaut de Beaulande, Renier de Gennes, Milon de Pouille, Girart de Vienne) procédant d’une version remaniée et amplifiée de Girart de Vienne. De cette fresque, sans doute élaborée au xiiie siècle, puis remaniée au xive, et qui prolonge Garin de Monglane dont elle remet en scène certains acteurs (Robastre, Perdigon107), ne subsiste que la version transmise par le manuscrit de Cheltenham (Geste de Monglane et Galiens li restorés, respectivement 7842 et 4911 alexandrins). L’auteur de cette version a drastiquement amputé son modèle, en particulier dans le cas de Galien. Autre œuvre à vocation synthétique, La Chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroid de Bouillon (CCGB) se présente comme une ample compilation « épico-romanesque108 » des chansons constituant le premier cycle de la croisade (Naissance du Chevalier au Cygne [Beatrix], Le Chevalier au Cygne, La Fin d’Elias, Les Enfances Godefroi, La chanson d’Antioche, Les Chétifs, La Chanson de Jérusalem et ses continuations [version Londres-Turin]). Comme l’a signalé F. Suard, le remanieur tend à réduire les poèmes qu’il rassemble, à l’exception des Chétifs et de la Chanson de Jérusalem, qu’il développe au contraire. Cette longue chanson de 35 180 alexandrins109 est traditionnellement considérée comme la pièce centrale d’un « deuxième cycle » de la croisade, dont la genèse a suscité d’âpres discussions. Au CCGB seraient en effet venues s’adjoindre plusieurs œuvres originales : Le Bâtard de Bouillon, qu’annoncent diverses prolepses narratives du CCGB, Baudouin de Sebourc et enfin Saladin, dont ne subsiste plus qu’une version en prose. Pour R. F. Cook, le mécanisme s’avère plus complexe et plus sinueux. Le texte le plus ancien de cet ensemble serait Le Bâtard de Bouillon qui, conçu pour « faire la liaison entre la Première et la Troisième croisade, entre Godefroi de Bouillon et Saladin110 », prolonge un état du premier cycle de la croisade semblable à celui que présentent les manuscrits cycliques de Londres et de Turin. Il aurait été logiquement, dans cette optique, suivi d’un Saladin en vers aujourd’hui perdu. L’élaboration du CCGB serait plus tardive. Quant à Baudouin de Sebourc, certes « branche oubliée » (v. 1363, v. 10071) de l’histoire de Godefroi de Bouillon comme l’assure son auteur, il s’agirait d’un électron libre rattaché approximativement au cycle.
- 111 Voir I. Weill, « Un “résumé” et une “suite” d’Auberi le Bourgoin dans le Charlemagne de Girart d’A (...)
- 112 Voir G. Paris « Mainet, fragments d’une chanson de geste du xiie siècle », Romania, 4, 1875, p. 30 (...)
- 113 Voir sur ce point Le Myreur, éd. Bormans, p. xxii-xxvii.
- 114 D. Boutet, « La récriture de Jehan de Lanson par Jean d’Outremeuse », Chanter de geste. L’art épiq (...)
38Long poème, pourtant incomplet, de 23 348 alexandrins, le Charlemagne de Girart d’Amiens se présente comme une ample compilation fondée pour l’essentiel sur les Grandes Chroniques de France et la Chronique du pseudo-Turpin. L’auteur connaît par ailleurs et exploite ponctuellement le répertoire épique : allusions aux Enfances Ogier (v. 9320-9393), à Auberi le Bourgoin (v. 14430-14540111) ou renvoi à la Chanson des Saisnes de « Jehans Bodiaus », qui mérite selon lui d’être connue de tous et le dispense surtout de relater des événements s’intégrant difficilement dans le cadre chronologique qu’il adopte. Pour combler le vide de ses sources sur les enfances de Charlemagne, il utilise en revanche assez largement la chanson de Mainet, qui ne nous est plus connue que par des fragments112. La Geste de Liège de Jean d’Outremeuse associe étroitement à l’histoire et à la glorification de la ville qui est le sujet annoncé de son poème (« C’est de Tongre et de Liege », v. 27), l’histoire d’Ogier, mais s’autorise aussi des allusions à diverses autres « gestes113 » : Girart de Roussillon, Parise la Duchesse, Anseïs de Carthage… Surtout, il incorpore à son récit « la gieste Johan de Lanchon » (v. 15089) que, selon lui, trop de jongleurs corrompent et dont il se propose de rapporter « l’istoire vraie et cleir » (v. 15092). La chanson de Jean de Lanson est conservée par trois manuscrits dérivant d’un archétype unique. On a longtemps pensé que la version présentée dans La Geste de Liège procédait d’une rédaction voisine mais distincte de ce modèle. D. Boutet a toutefois montré que les écarts constatés pouvaient fort bien s’expliquer par le projet spécifique de l’auteur et qu’il paraît donc raisonnable de les lui attribuer114.
- 115 Georges, Tristan de Nanteuil, p. 27.
- 116 Voir R. Bossuat, « La chanson de Hugues Capet », Romania, 71, 1950, p. 450-481. Voir aussi A. Gier (...)
39En dehors de ces productions largement tributaires, à des degrés divers, d’œuvres antérieures qu’elles rassemblent ou remanient, le xive siècle a également vu naître des chansons dépourvues de précédent connu. Ces dernières peuvent à l’occasion s’intégrer ou s’associer à un ensemble plus vaste, comme le montre le cas du Bâtard de Bouillon ou celui de Baudouin de Sebourc. De la même façon, Tristan de Nanteuil, prolixe et tumultueuse chanson de geste de 23 361 alexandrins (mais le début manque et le manuscrit unique qui a transmis ce texte présente quelques autres lacunes), constitue un ultime ajout tardif au petit cycle de Nanteuil, intercalé entre Gui de Nanteuil et Parise la Duchesse « à la fois comme un chaînon manquant et comme une énorme excroissance115 ». D’autres chansons, comme La Belle Hélène de Constantinople ou Hugues Capet s’avèrent plus autonomes. À partir d’une trame apparentée à celle de La Manekine de Philipe de Remi, mais considérablement hypertrophiée, La Belle Hélène (15 500 alexandrins, 3 manuscrits) relate les « enfances » de Martin, le futur saint Martin, et de son frère jumeau, Brice, père du futur saint Brice. Plus courte (6360 alexandrins) que la plupart des productions contemporaines, la chanson de Hugues Capet (un seul manuscrit) se caractérise par une ligne narrative simple, un nombre limité de personnages, une totale absence de merveilleux et une place prépondérante accordée aux enjeux politiques, à la question de la légitimité du pouvoir et aux relations entre monarchie et bourgeoisie urbaine. Toutefois, même si l’actualité parisienne des années 1350 y joue un rôle prépondérant116, l’intertexte épique demeure bien présent. La vacance du trône de France, qui va permettre la brillante ascension sociale du jeune Hugues, est en effet provoquée par la mort du roi Louis après sa victoire en Ponthieu sur les troupes païennes de Gormont et Isembart. Or, la rumeur accuse Savari de Champagne, traître du lignage de Ganelon, d’avoir empoisonné le monarque, époux de Blanchefleur et beau-frère de Guillaume. Hugues Capet s’inscrit ainsi dans le double prolongement de Lohier et Malart et du cycle de Guillaume d’Orange.
- 117 Florent et Octavien, éd. Laborderie, p. cxxiii.
- 118 Voir Collomp, Dieudonné, p. 25.
- 119 Il reste 7895 alexandrins du poème. Tout le début du texte manque et d’autres lacunes sont patente (...)
- 120 Voir Un mito alla corte di Borgogna. « Ciperis de Vignevaux » in prosa, éd. L. Ramello, Alessandri (...)
- 121 « Ainsi le prince mérovingien, jusque-là presque dédaigné par les poètes, devient, vers le milieu (...)
40Trois autres textes originaux (Dieudonné de Hongrie, Theséus de Cologne, Ciperis de Vignevaux) présentent la particularité de mettre en scène le personnage de Dagobert. Ce dernier n’est pas tout à fait inconnu de la tradition. En effet, le roman d’Octavian se déroule sous son règne (« Aprés un jor qui jadis fu / Ot a Paris un roi cremu, / Qui Dagonbers fu apelés », v. 7-9) et on le retrouve donc, logiquement, dans Florent et Octavien, où son rôle demeure modeste. « Souverain incontesté, dans la force de l’âge, [il] apparaît seul, sans parents, sans femme ni enfant et ne joue qu’un rôle de comparse dans l’intrigue », écrit Noëlle Laborderie117. Dieudonné de Hongrie s’emploie à combler ce vide généalogique. Transmise par un manuscrit unique, la chanson comporte 15 660 vers repérables (dont tous ne sont pas lisibles), mais on peut raisonnablement estimer qu’elle était plus longue d’un bon millier de vers118. Selon le mécanisme habituel, l’histoire du héros principal (Dieudonné) est encadrée par celle de ses ascendants (son père, Philippe, son grand-père, Charles le Chauve) et de ses fils (Dagobert et Corsabrin). La chanson de Theséus de Cologne est actuellement connue par trois manuscrits diversement lacunaires (de 14 000 à 24 000 vers environ). Il s’agit là encore d’un véritable roman familial développant les aventures de Theséus, fils du foi Floridas de Cologne, de son fils Gadifer, et des trois fils de ce dernier, des triplés tous baptisés sous le nom de Regnier, du nom du charbonnier qui les a recueillis, mais nommés concrètement par la suite Renechon, Regnault, Regnier. Dagobert et son fils, Ludovis, jouent un rôle important dans l’intrigue, tour à tour alliés ou adversaires du héros. Dagobert meurt dans la seconde partie de la chanson. Enfin, Ciperis de Vignevaux, connu par un manuscrit unique gravement amputé119 – mais la mise en prose, qui suit fidèlement le texte, permet de combler ce manque120 –, joue toujours des mêmes recettes. Le roi Clotaire a trois fils : Dagobert, Philippe et Ludovis. Philippe, le fils puîné, séduit Clarisse, fille du duc d’Orléans, et s’enfuit avec elle. Les amants sont accidentellement séparés et Clarisse donne naissance à Ciperis dans la forêt de Vignevaux. Clarisse est enlevée par un géant et Ciperis est recueilli, puis élevé par un ermite (en fait, son arrière-grand-oncle). Plus tard, après avoir délivré sa mère, il tuera le géant et s’emparera de son fief. Il rencontre un jour dans la forêt une jeune fille qui s’avérera plus tard être Orable, fille de Dagobert, injustement bannie. Il fait d’elle son amie sans pour autant l’épouser. Elle lui donne cependant dix-sept fils qui, par les armes ou par de judicieux mariages, s’approprieront la plupart des royaumes d’Occident. Ciperis retrouvera son père, Philippe, devenu incognito roi de Hongrie à la faveur d’un riche mariage, et qu’il aidera à triompher d’une gigantesque armée païenne. Après être entré en conflit avec son oncle, Dagobert, à la suite d’une sombre machination, puis avec son oncle, Ludovis, il finira par régner sur la France. Comme souvent dans ce type de situations, le texte reprend des données figurant dans les textes précédents, auxquels il fait de nombreux renvois, mais sans s’astreindre à une cohérence absolue. Il offre ainsi une version de la mort de Dagobert incompatible avec celle qui est présentée dans Theséus. De plus, Ludovis est le fils de Dagobert dans Theséus, son frère dans Ciperis. En dépit des divergences constatées entre ces deux dernières chansons, on voit qu’à partir de la chanson de Florent et Octavien s’élabore un petit cycle « mérovingien » centré autour de la personne de Dagobert121. Le mécanisme cyclique est renforcé par la mise en place (hors Dieudonné de Hongrie) d’un second réseau généalogique. L’empereur de Rome, Othevien, a deux fils, Florent et Othevien le jeune. Ce dernier mourra sans héritier, mais Florent et son épouse Marsebile ont un fils, Othon, qui est enlevé et éduqué par les Sarrasins. Il découvre son origine et devient empereur de Rome (Florent et Octavien). Florence de Rome, fille d’Othon, épouse Esmeré (Florence de Rome). Ils ont une fille, Flore, dont s’éprend Theséus, qui l’enlève. Après bien des péripéties, les deux jeunes gens finissent par se marier et donnent naissance à Gadifer (Theséus de Cologne, Ciperis de Vignevaux), père lui-même de triplés (Theséus de Cologne).
Le tropisme cyclique
- 122 Histoire poétique de Charlemagne, p. 313.
- 123 « En guise de conclusion : que peut-on entendre par cycle de Doon de Mayence ? », La Geste de Doon (...)
41Même si elles ne se présentent ni comme des suites, ni comme des remaniements, la plupart des chansons de geste composées au xive siècle tendent à se connecter, d’une manière ou d’une autre, au vaste intertexte épique qui les stimule et les nourrit. Le phénomène est déjà bien attesté dans la seconde moitié du xiiie siècle. L’auteur de Gaufrey tente ainsi de s’annexer la quasi-totalité de la production épique antérieure en dotant Gaufrey, fils de Doon de Mayence, de douze fils et de douze filles, qui s’avèrent être les ancêtres de la plupart des principaux héros du monde épique médiéval. Pour G. Paris, l’œuvre ne vaut d’ailleurs que comme témoignage « du travail cyclique des derniers chantres de geste122 » ; dans la même optique, F. Suard y voit « une sorte de synthèse, ou plutôt de pot-pourri, de point d’aboutissement de plusieurs cycles ou chansons123 ». Comme le laisse prévoir le dispositif adopté dans Gaufrey, ces corrélations peuvent prendre la forme d’une sorte de surenchère généalogique. Dans le Huon de Bordeaux en décasyllabes, quand le héros délivre une jeune fille retenue prisonnière par l’Orgueilleux, celle-ci se présente comme la fille du comte Guinemer et la nièce de Seguin. Dans le remaniement en alexandrins, elle annonce qu’elle est la nièce d’Estout, mort à Roncevaux avec Olivier et Roland, qu’elle est aussi une proche cousine d’Ogier et qu’elle appartient au lignage de Doon (Doelin), qui est le grand-père de sa mère. De même, Lion de Bourges affiche avec fierté un lignage authentiquement épique : cousin d’Ogier, parent de Naime, du lignage des Quatre Fils Aymon, de Gui de Nanteuil, de Girart de Roussillon… (v. 20362-20365). Il en va de même pour Girart, fils bâtard de Lion et de Clarisse (v. 25654-25656). Les auteurs paraissent ainsi s’ingénier à mobiliser, à la première occasion, le ban et l’arrière-ban de toute la tradition épique.
- 124 Fictions transfuges, Paris, Seuil, 2011, p. 7.
- 125 Lion de Bourges, éd. W.W. Kibler, J. L. G. Picherit et Th. S. Fenster, Genève, Droz, 1980, p. lxxv(...)
- 126 Rapide résumé du début de la chanson d’Anseïs de Carthage aux v. 30105-30141 de Lion de Bourges.
- 127 Guide, p. 296.
42Cette recherche de corrélations, dont il ne faut sans doute pas méconnaître la dimension ludique, peut conduire les auteurs à intégrer à leur récit des personnages connus venus d’ailleurs. Le procédé relève de la « transfictionnalité » définie par Richard Saint-Gelais comme « le phénomène par lequel deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d’une intrigue préalable ou partage d’univers fictionnel124 ». Lion de Bourges en joue avec une particulière délectation. C’est ainsi qu’Aymeri et ses fils viennent prêter main forte au héros dans sa reconquête de Bourges, sans que, comme le constatent les éditeurs, « leur présence n’ajoute rien au récit125 ». Lion croise aussi la route du duc Raymond de Vauvenisse, héros de Paris la Duchesse. La chanson accorde un petit rôle à Marsile « qu’an Ronsevalz ossit Rollan le niez Charlon » (v. 1487), à Basin de Gennes (Jehan de Lanson) et connaît un Sinagon de Palerme dont le nom vient tout droit du Moniage Guillaume. Guy de Carthage, qui vient prêter main-forte à Olivier pour l’aider à reprendre Bourges, n’est autre que le fils bâtard d’Anseïs de Carthage, qui avait cédé aux avances de la fille d’Ysoré (Anseïs de Carthage126). Dans le même esprit, mais plus discrètement, Jourdain de Blaye met en scène Charlemagne, Ogier, Naime, mais aussi Aymeri et ses sept fils (v. 22315-22337) et même Thibaut d’Orange, faisant ainsi de Jourdain, comme le relève F. Suard, « une sorte de prologue au cycle d’Orange127 ».
- 128 Suard, Guide, p. 263. Divers indices (notamment Aymeri de Narbonne, v. 4589-4602) laissent penser (...)
43La continuation et le remaniement d’Ogier jouent avec plus d’insistance encore de ce dispositif. Dans la continuation en décasyllabes, la fée Morgue explique au héros, retenu deux cents ans à son insu en Féerie (Avalon), la situation désastreuse du royaume de France. Après avoir combattu Gormont et Isembart, le roi Louis est mort. Hugues Capet lui succède, mais son fils, Philippe, est un roi faible qui ne sait pas défendre sa terre contre les Sarrasins (v. 23114-23178). Le chef des païens, Florimont, est le petit-fils de cet Ysoré que Guillaume au Court Nez a tué devant Paris (v. 23877-23881). Le remaniement en alexandrins amplifie encore le jeu des interférences. Après avoir mentionné la victoire de l’amiral Gaudisse sur les chrétiens et sa conquête de Babylone, il enchaîne sur un bref résumé de Huon de Bordeaux (Arsenal 2985, p. 652). Il condense la fin de la chanson, mais ajoute un certain nombre de détails à vocation intertextuelle associés au personnage nouveau de Meurvin (Murvin), fils d’Ogier et de Morgue. Après avoir évoqué, comme dans la continuation, la mort de Louis à la suite de son combat contre Gormont et Isembart, Morgue annonce que ce fils, accompagné de Drogues, fils d’Aÿmer de Venise, aidera Hugues Capet à conquérir son trône. Dans la chanson de Hugues Capet, ce sont Drogues, le fils d’Aÿmer, et son compagnon Beuve de Tarse qui joueront ce rôle. Fondées dans ce cas sur des emprunts partiels et volontiers déviants à de probables « récits épiques relatifs à Aÿmer le Chétif128 », aujourd’hui perdus, les passerelles jetées entre les chansons relèvent ainsi souvent d’une opération en trompe-l’œil. Il en va de même de la corrélation, cette fois d’ordre généalogique, établie entre Meurvin et le Cycle de la Croisade et soulignée avec insistance par le narrateur :
Seigneurs de ce Murvin dont je fais mencion
Yssi la noble geste Godeffroy de Buillon,
Baudouin et Huitasse qui furent de grant non.
(Ogier en alex., Arsenal, p. 653-654)
- 129 Voir D. Boutet, « Au carrefour des cycles épiques : la chanson de Doon de Mayence », « Plaist vos (...)
- 130 La Chanson de Jérusalem, éd. N.R. Thorp, The Old French Crusade Cycle, 6, Tuscaloosa and London, T (...)
- 131 Sur le rôle de cette « matière de la croisade », voir Fr. Suard, « Chanson de geste traditionnelle (...)
- 132 « ainsi qu’en aultre hystoire trouver on le pourra » (Ciperis, éd. Woods, v. 5955) ; « ensi qu’ave (...)
- 133 « Se me volés oïr, je vous cuit desrengnier/jusqu’au biau roy Phylippe, de Franche l’eritier, / vo (...)
44Inscrire Godefroy de Bouillon dans le lignage de Doon de Mayence n’est pas une invention de l’auteur. Doon de Mayence et Gaufrey s’y essaient déjà, en optant d’ailleurs pour des configurations généalogiques diverses129, mais l’entreprise d’annexion se précise ici et sera encore amplifiée dans Meurvin. Quoique vague, une prédiction d’Auberon, dans Huon de Bordeaux, joue apparemment sur le même registre (v. 1561-1578 [fol. 26r, 25-30]). Auberon annonce en effet à Huon que sa mission sera une réussite, qu’il épousera Esclarmonde et qu’ils donneront naissance à une fille « qui avra moult de maulx et moult d’adversités » (v. 1565). De sa « geste » viendra un héritier redouté qui donnera naissance à trois fils, lesquels prendront Jérusalem, Tabarie, Damas, Acre et régneront sur quatorze royaumes. La fin de Theséus de Cologne (ms. P) annonce que les fils de Gadifer conquerront toute la Terre Sainte, mais que les Sarrasins la reprendront à leur mort et la conserveront jusqu’à la venue de Godefroy de Bouillon. Tristan de Nanteuil annonce que Hugues de Saint-Gilles, seigneur de Vauvenisse, « passera la mer » avec Godefroy (v. 22354). Par un habile retournement, La Belle Hélène signale que si, lors de la Première Croisade, Thomas de Marles est entré le premier dans Jérusalem130 en se faisant hisser sur les remparts à la pointe des lances, c’est parce qu’il avait « leüt piecha » l’exploit d’Amaury d’Écosse relaté précisément par La Belle Hélène (v. 9809-9820). De plus, ce n’est pas seulement dans Theséus mais dans plusieurs autres chansons contemporaines (Belle Hélène, Lion de Bourges, Ciperis de Vignevaux, Renaut de Montauban), que les héros opèrent une première conquête de la Terre sainte préfigurant la croisade. Ces références récurrentes visent sans doute à délivrer un certificat de légitimité épique à des textes dont l’inspiration romanesque est par ailleurs patente ; elles attestent aussi le statut particulier du cycle de la croisade présenté comme le point de convergence ultime de textes disparates131. Plus généralement, ces multiples renvois à d’autres « romans » ou « histoires132 » invitent à percevoir toutes ces chansons comme autant de « branches » constitutives d’un même et unique ensemble ayant vocation à élaborer et à promouvoir une sorte de légende nationale, de Clovis aux Croisades, voire au-delà133.
Thématiques
- 134 Voir I. Szabics, « “Chanson d’aventures” ou “chanson de mésaventures” : Florence de Rome », Studia (...)
- 135 « Oncques mais dame n’ot tant de destrusïon / D’anoy ne de grevanche, de tribulatïon […] » (Belle (...)
- 136 « L’accueil aux voyageurs d’après quelques chansons de geste des xiie et xiiie siècles », Senefian (...)
- 137 « Chanson de geste traditionnelle », p. 1034.
45Globalement amples et touffues, les chansons de geste composées au xive siècle multiplient les personnages et les péripéties. En ce sens, ce sont bien des « chansons d’aventures ». Encore faut-il s’entendre sur le terme : les « aventures » en question ne sont jamais librement choisies, elles ne répondent ni à une envie de voir du pays ni au désir de se mettre à l’épreuve et de tester sa valeur ; elles font plutôt figure de mésaventures134, de tribulations135, d’épreuves voulues par Dieu. Dans ce cadre, les motivations du départ sont diverses. On part pour le pèlerinage, la croisade, pour répondre à un appel au secours, fuir un danger ou pour tenter de retrouver les membres d’une cellule familiale dispersée. Le caractère contraint de ce départ est encore plus patent dans le cas d’un bannissement, toujours injuste, causé par les machinations des traîtres. Ces « chansons d’aventures » sont aussi des « chansons d’exil » (M. Rossi136) ou des « chansons d’errance » (F. Suard137). Leur intrigue se développe sur une aire géographique particulièrement étendue qui occupe tout l’espace du monde connu, de l’Écosse à Jérusalem, de Nimègue à La Mecque, voire jusqu’à l’Inde (Lion de Bourges), en passant par l’Arménie, Constantinople, Rome, Palerme, Burgos, Londres ou Paris. Les itinéraires suivis par les nombreux personnages dessinent un entrelacs compliqué : on se cherche, on se fuit, on se poursuit, on se croise sans se reconnaître, on s’égare. Ces pérégrinations impliquent de multiples et spectaculaires revers de fortune : conquêtes de fiefs, situations enviables acquises à la cour d’un monarque païen, amours avec une jeune princesse sarrasine secrètement chrétienne ou tentée par la conversion, mais aussi longs séjours dans des geôles infectes, déclassement social, condamnations à mort qu’une heureuse péripétie annule au dernier moment. L’errance amène en outre à croiser des personnages hauts en couleurs, étrangers à la sphère de l’aristocratie, qui confèrent à ces textes une coloration picaresque : prêtres lubriques et poltrons, aubergistes brutaux, artisans secourables et héroïques, bourgeois compatissants, mais aussi vrais et faux pèlerins, foule hirsute des mendiants diversement éclopés, pitoyables et effrayants. Les chansons de geste du xive siècle présentent ainsi tendanciellement un monde vaste et bigarré.
- 138 « Theséus de Cologne », p. 102, n. 12.
- 139 « Quelques remarques sur l’intégration des contes populaires aux chansons de geste françaises », R (...)
46Prolongeant une tendance déjà bien attestée au siècle précédent, mais qu’elles amplifient sensiblement, ces chansons sont aussi une redoutable machine à recycler les matériaux narratifs les plus divers. Directement ou par des relais littéraires souvent difficiles à identifier avec certitude, elles font largement appel au trésor des contes populaires. Ces emprunts peuvent prendre la forme de quelques motifs ponctuels : cor magique désignant l’héritier légitime (Lion de Bourges, Jourdain de Blaye…), arbre restant vert tant que le héros absent est en vie (Jourdain de Blaye), jeune femme abandonnée au gré des flots (Jourdain de Blaye, Lion de Bourges, Belle Hélène…)… De manière plus structurante, un conte folklorique peut fournir un cadre narratif, global ou partiel, à la chanson, comme l’histoire de la Fille sans mains (AT 706) qui, combinée avec le motif du père incestueux (AT 510B, Peau d’Âne), fournit la donnée centrale de La Belle Hélène et le synopsis d’un épisode de Lion de Bourges. Le conte du Mort reconnaissant (AT 506, AT 508) est utilisé par Lion de Bourges, sans doute par l’intermédiaire du roman de Richars li biaus. À partir du succès de chansons comme Parise la Duchesse, Berthe aux grands pieds (conte de la Fiancée substituée, AT 403, 553) ou Florence de Rome (conte de Crescentia, AT 712), le thème de la femme injustement bannie et persécutée tend à s’imposer dans ces chansons. Il est bien représenté dans La Belle Hélène, Lion de Bourges, Florent et Octavien ou Dieudonné de Hongrie, et figure à cinq reprises dans Theséus de Cologne, ce qui amène R. Bossuat à constater, non sans un certain art de la litote, que les trouvères de l’époque en font « un usage presque abusif138 ». Cette thématique interfère largement avec celle de la dispersion familiale, incluant fréquemment l’épisode des enfants provisoirement enlevés ou, plus souvent encore, abandonnés et recueillis par des animaux. J.-P. Martin a bien montré comment, en dépit de multiples variations de surface, le modèle que constitue le conte AT 938 (Placide-Eustache) irrigue en profondeur un grand nombre de ces textes : « Avec les très longues chansons tardives, si les données des contes demeurent parfaitement identifiables, et pour certains détails peuvent même être conservées intactes, elles sont en revanche développées, dédoublées et entremêlées d’éléments complémentaires issus d’autres traditions ; certains contes servent ainsi de réservoir de motifs dans lesquels les trouvères viennent puiser leur matériau, et Placide-Eustache occupe à cet égard une place privilégiée, grâce à sa trame qui en faisait un support pratique pour raconter l’éclatement des familles et ouvrir ainsi le champ à de multiples aventures. Avec cette profusion narrative, c’est alors une nouvelle esthétique littéraire qui est en train d’éclore139. »
- 140 Voir sur ce point R. Trachsler, Disjointures-Conjointures. Étude sur l’interférence des matières n (...)
47D’autres éléments exogènes viennent ponctuellement se greffer sur ces canevas. Baudouin de Sebourc s’approprie ainsi des situations narratives hétéroclites qu’il emprunte tour à tour au fabliau (Le Mari confesseur), à des récits pieux (Barlaam et Josaphat, Voyage de saint Brendan) et même au Devisement du Monde de Marco Polo, de diffusion pourtant toute récente. Probablement par le relais de Vincent de Beauvais, Jourdain de Blaye emprunte à Valère Maxime l’histoire de la jeune femme qui allaite sa mère emprisonnée et condamnée à mourir de faim. Le merveilleux oriental, avec notamment le thème de la Montagne d’Aimant, figure en bonne place dans les suites de Huon de Bordeaux, dans Dieudonné de Hongrie ou dans les remaniements d’Ogier. Il peut se combiner avec un intermède « arthurien » présent dans six chansons (Dieudonné, Tristan de Nanteuil, Lion de Bourges, Bâtard de Bouillon, Ogier140), sorte de rite de passage qui consiste en une mise à l’épreuve du héros et qui admet une double paternité, celle de La Bataille Loquifer, plus marquée dans les remaniements d’Ogier avec le combat contre Chapalu, et celle d’Huon de Bordeaux, sensible partout, et notamment dans tous les cas où le héros reçoit des objets magiques, ou lorsque qu’apparaît, comme dans Lion de Bourges, le personnage d’Auberon. Dans Ogier comme dans Lion de Bourges, l’ultime départ, plus ou moins volontaire, des héros vers le monde de Féerie, se combine avec des éléments empruntés à la plus pure tradition des moniages épiques.
- 141 CCGB 6, 32505, Bâtard de B. 2655, Baudouin de S. 4045, 7920, 16629, 17582, 19536, Théséus 1058, En (...)
48Enfin, quelques traits courtois émaillent ces chansons : l’austère Godefroi de Bouillon succombe aux charmes de la belle Florie, et le « tres douc tison d’amour » (CCGB, v. 21024) redouble sa prouesse ; Henri d’Angleterre fait peindre sur son bouclier le portrait d’Hélène afin de stimuler lui aussi son ardeur au combat. Ces notations illustrent et confirment le programme narratif annoncé de manière récurrente par la formule « c’est d’armes et d’amour141 ». En fait, le thème amoureux demeure marginal et traité de manière conventionnelle : la chanson de geste n’a pas vocation à traiter des incertitudes de la passion ou des finesses du sentiment. Elle exploite en revanche avec une grande constance le motif épique traditionnel de la jeune princesse païenne éprise du beau chevalier chrétien, et qui trahit pour lui son père (ou son mari) et sa religion. Moins fréquent, le thème de l’amour de loin y est abordé en raison de ses virtualités narratives : c’est parce qu’il a vu chez un orfèvre une statue représentant Flore que Theséus, soudain enluminé par la vertu d’amour, fait confectionner la statue creuse de l’aigle d’or, version courtoise du cheval de Troie, qui lui permet de pénétrer dans le palais inaccessible de la belle.
- 142 Voir éd. Rosenthal (ms. P, fol. 341b) ; Bossuat, « Theséus de Cologne », p. 551-553 ; voir aussi é (...)
- 143 Éd. A. Giacchetti, Rouen, PUR, 1989, p. 489.
49Élaborées progressivement au cours du xiiie siècle, ces évolutions ne doivent pas masquer l’importance de la thématique épique traditionnelle. L’inspiration guerrière et apologétique du genre demeure vivace. Même si les motifs rhétoriques qui les scandent tendent globalement à se diluer, les scènes de combat occupent toujours une place privilégiée. Ces textes sont en outre nourris du rêve de croisade qui hante le xive siècle : on y prend Jérusalem, on y menace La Mecque, on y convertit sans relâche des païens qui, pour les meilleurs d’entre eux, ne demandent d’ailleurs qu’à se laisser convaincre. L’Orient féerique et l’Orient mystique tendent à se superposer, ce qui explique sans doute que Huon de Bordeaux d’une part, le Cycle de la Croisade d’autre part, fournissent une toile de fond et une référence communes à nombre de ces textes. Les conflits internes au monde chrétien jouent encore un rôle important dans les réécritures des chansons de la révolte (Renaut de Montauban, Jourdain de Blaye, Ogier le Danois), qui tendent à noircir le rôle de Charlemagne, vindicatif, cupide et grossièrement manipulé par les traîtres. Dans Hugues Capet ou dans le cycle mérovingien, on assiste à une vigoureuse dénonciation du rôle des factieux, fauteurs de guerre civile, avec d’éventuels clins d’œil à la réalité contemporaine, comme l’atteste par exemple le rôle du roi de Navarre dans Ciperis de Vignevaux. Au-delà de ces antagonismes stériles ou illégitimes, les chansons tardives prônent une union du monde chrétien, arc-bouté, sous la conduite du pape, dans une lutte sans concession contre les Sarrasins. À l’intérieur de la chrétienté, les rois de France occupent toutefois une place privilégiée, du fait de la sollicitude divine dont bénéficie cette monarchie, par-delà les changements dynastiques qui l’ont affectée. L’attribution miraculeuse de l’écu fleurdelisé à Clovis est rappelée discrètement dans plusieurs textes (Dieudonné de Hongrie, v. 7 ; Ogier, ms. Arsenal 2985, p. 660, l. 23-24 ; Florent et Octavien, v. 1837 et 5813 ; Theséus142). Dans un développement d’environ 70 vers, présenté comme une digression (« uns contes assez brief »), mais annoncé solennellement par deux prolepses, La Belle Hélène se distingue en relatant les conditions de ce miracle. Plus directement en prise avec la réalité de l’époque, la Chanson de Bertrand du Guesclin oppose « la noble fleur de lis » au « liepart felon » et souligne avec insistance la dévotion dont la fleur, « transmise du ciel au roy Louis le gent », fait l’objet de la part du « povre menu peuple » (v. 22741-22749, 23126-23144). Un écho de cet intérêt affleure peut-être à la fin du roman d’Ysaïe le triste dont l’auteur regrette que l’histoire de Tristan et de ses descendants fasse moins recette qu’autrefois, car « le gent mirent plus leur entente a mettre en memoire les fais du roy Clovis, le premier roy de Franche crestien, de sez batailles et de sez enffans qui adont rengnoient143 ».
- 144 « C’est de sains et saintes » (Belle Hélène v. 3, Tristan de Nanteuil, v. 14881, 15773) ; « Huymés (...)
- 145 Jeu de mots sur le nom saint Brendan, dont l’auteur de Baudouin de Sebourc connaît et exploite les (...)
- 146 Voir R. F. Cook, « Baudouin de Sebourc : un poème édifiant ? », Olifant, 14/2, 1989, p. 115-135 ; (...)
- 147 « Otant vaut a oïr com sermon au moustier » (Baudouin de Sebourc, v. 4923) ; « On la pourroit moul (...)
- 148 Voir Page, « Johannes de Grocheio », p. 22 ; voir aussi, du même auteur, The Owl and the Nightinga (...)
50La religion ne constitue pas seulement le cadre idéologique quelque peu convenu de la croisade mais imprègne en profondeur tous ces textes. Renouant à sa façon avec les probables origines hagiographiques du genre, le monde des épopées tardives est peuplé de saints, de futurs saints, d’ascendants de saints. La formule « c’est de sains et de saintes » constitue un argument publicitaire fréquent dans les annonces de jongleurs144. Ces textes relatent en effet les « enfances » de saint Martin (Belle Hélène) et de saint Gilles (Tristan de Nanteuil), mais n’hésitent pas, parallèlement, à canoniser plusieurs autres personnages, voire à inventer des saints fantômes comme saint Amaury (Belle Hélène) ou saint Brandon145 (Baudouin de Sebourc). Le phénomène est constant. Baudour (Theséus) deviendra sainte Bathilde, Dieudonné de Hongrie et son épouse, Supplante, seront canonisés après leur mort sous les noms de saint Honoré et de sainte Foi. Deux personnages de Jourdain de Blaye finiront également en odeur de sainteté et le héros lui-même donnera naissance à une lignée qui ne comptera pas moins de soixante-deux saints. Les prières et les miracles abondent dans ces chansons, très régulièrement présentées comme « glorieuses », et qui affichent leur prétention à édifier leur public. C’est ainsi que Baudouin de Sebourc, à la tonalité pourtant volontiers burlesque et égrillarde, n’hésite pas à interpeller le pécheur (« Pequieres, car t’avisez ! », v. 113), à prôner un repentir sincère ou à recommander l’assiduité aux offices146. Rien d’étonnant dès lors à ce que ces textes se proclament aussi dignes d’attention et aussi bénéfiques qu’un sermon147. Ils dispensent aussi, en développant avec emphase les malheurs qui pleuvent sur les grands de ce monde, la vertu consolatrice que Jean de Grouchy assigne aux chansons de geste148. Les revers de fortune mis longuement en scène se prêtent en effet à une stratégie récurrente et très concertée de l’apitoiement :
Seigneurs, or entendés moult piteuse adventure ;
Je croy que sy dur ceur n’ait nulle creature
Qui n’euÿst grant pitié d’oÿr ceste escripture.
(Tristan de Nanteuil, v. 25583-25585)
51L’émotion ainsi suscitée n’est pas gratuite : elle vise à ébranler le cœur endurci du pécheur pour le rapprocher de Dieu, l’inviter à s’ouvrir à la grâce divine. La « pitié », célébrée à satiété dans les interventions de jongleur, ouvre la voie à la piété.
- 149 Voir la thèse, non encore publiée, de J. Cayer, Heroic Uncertainties : Representations of the Hero (...)
- 150 Voir J.-P. Martin, « Ganelon en famille ou mauvais sang ne saurait mentir », Les Représentations d (...)
- 151 Voir D. Kullmann, « Der entartete Sohn – Problematisierungen von Familienbeziehungen und sozialem (...)
- 152 Les Épopées françaises. t. 2, p. 531.
- 153 Les Épopées françaises, t. 2, p. 533.
- 154 Voir Heroic Uncertainties, le chapitre : « The Peculiar Case of the Bastard : Half-Way House to Gl (...)
- 155 « L’originalité des épopées tardives », p. 50.
52Tout en revendiquant leur fidélité aux cadres formels et aux idéaux de la chanson de geste, les poèmes composés au xive siècle ne peuvent ignorer les réalités de leur temps. Ils tendent à mettre en scène un monde instable, aux repères brouillés et aux valeurs incertaines149. Le caractère tendanciellement manichéen du monde épique perdure. Aux victimes innocentes s’opposent toujours des traîtres patentés, dont l’image toutefois se diversifie : méchantes belles-mères, vieilles reines jalouses de leur pouvoir, amoureux éconduits, mais surtout barons ambitieux, félons par nature, ordinairement apparentés, pour plus de clarté, au lignage de Ganelon150. En revanche, les structures féodales et les solidarités du lignage s’affaiblissent en même temps que s’affirme le rôle social décisif de l’argent151. Loin d’être irréprochables, les héros cèdent souvent à leurs pulsions. C’est le cas de Baudouin de Sebourc qui, pour Léon Gautier, n’est qu’« un gros débauché brutal et qui n’a que des sens152 » ; le jeune Hugues Capet, qui poursuit dans le Nord de la France une aimable carrière de Don Juan, et doit fuir ses créanciers et la colère des pères des jeunes filles séduites, n’est pas loin de correspondre au même profil. Ce libertinage engendre de multiples bâtards qui viendront utilement au secours de leur père biologique, au détriment parfois de leur père d’adoption. « Le bâtard a été à l’honneur aux xive et xve siècles, lesquels sont vraiment les siècles de la bâtardise et du bâtard », observe L. Gautier153, qui voit dans cette floraison, comme le relève J. Cayer, une métonymie de l’abâtardissement du genre épique154. Ces frasques de jeunesse sont manifestement jugées avec indulgence et la colère des pères outragés est traitée avec désinvolture. Néanmoins, même une fois passé le temps d’insouciance de l’adolescence, le héros demeure souvent fragile, incapable de respecter les engagements pris, succombant à l’adultère, impulsif, imprudent et manquant de clairvoyance. Comme le relève F. Suard, « un trait commun assez remarquable consiste à présenter certains héros comme faillibles et pouvant commettre des actes irrémédiables155 ».
- 156 Ce changement de sexe a suscité de nombreuses études, relevant, pour beaucoup d’entre elles, du do (...)
53Parallèlement, ces récits se placent sous le signe de la métamorphose. Theséus naît sous l’aspect d’un nain difforme avant de devenir un beau jeune homme ; ex-enfant sauvage, Tristan de Nanteuil doit, pour sa part, apprendre difficilement à vaincre sa couardise. On s’habille en mendiant, en pèlerin, on dissimule son identité. Les femmes se travestissent en hommes et parviennent avec une déconcertante facilité à s’illustrer dans le métier des armes, comme Alis/Ballian dans Lion de Bourges ou Aye/Gaudion dans Tristan de Nanteuil. Dans les cas extrêmes, le clivage sexuel lui-même s’estompe et le masque se substitue au corps féminin qu’il avait vocation à protéger : comme Yde (Yde et Olive), Blanchandine (Tristan de Nanteuil) devient ainsi, miraculeusement, un homme156. Dans le même temps, les hiérarchies sociales s’avèrent fragiles, instables : rois et reines connaissent l’exil, la mendicité, la prison, les princesses se font aubergistes, les pêcheurs ou les savetiers sont faits rois. De manière générale, les déguisements, les faux messages, l’appétit exacerbé du pouvoir et de la richesse brouillent les références morales et sociales. Soumis à la menace persistante de l’inceste, que favorise le flou des identités et l’incertitude des filiations, le monde que ces textes donnent à voir se révèle opaque, déconcertant et finalement dangereux. L’existence se présente ainsi comme une longue errance ponctuée d’épreuves, dont on comprend qu’elle puisse parfois céder à la tentation du refuge en Féerie. Message pessimiste, que tempèrent pourtant une piété sincère, omniprésente, et un formidable appétit pour cette « âpre saveur de la vie » qu’a si bien évoquée J. Huizinga.
Production et diffusion
- 157 Voir W. Van Emdem, « Le chef-d’œuvre épique », L’Épopée romane. Actes du xve congrès international (...)
- 158 Voir « Le caractère oral de la chanson de geste tardive », Langue et littérature françaises du Moy (...)
54Il reste, pour compléter cette présentation, à revenir sur la question initiale. On a vu que les contours du corpus étaient fluctuants, les dates incertaines et que l’appartenance de ces textes au genre « canonique » de la chanson de geste, représenté à peu près exclusivement, il faut en convenir, par le seul « chef-d’œuvre épique157 » que constitue la Chanson de Roland, pouvait être discutée. Il en va de même de la signification des nombreux signes d’oralité présents dans ces œuvres. N. Van Den Boogard estimait que la chanson de Tristan de Nanteuil avait été dictée par un jongleur ayant l’habitude de composer de mémoire. Il y décelait même un possible découpage en séances et de nombreuses allusions au chant158. Si la mémoire a sûrement pu jouer un rôle, au demeurant difficile à évaluer, dans la transmission des textes, il paraît difficile, surtout à cette époque, de lui assigner un rôle décisif dans leur élaboration. Ces multiples références à la récitation publique sont sans doute, comme on l’a déjà signalé, d’efficaces marqueurs génériques, utilisés comme tels par les auteurs. Rien n’interdit toutefois qu’elles puissent, à l’occasion, retrouver leur pertinence. Probablement composé par un clerc dans la plupart des cas, le texte peut parfaitement être déclamé ou chanté par un professionnel devant un auditoire :
Cy fine li ystore c’on vous a racontee ;
Beneois soient tout cil qui l’ont escoutee
Et li clers qui le fist et cieux qui l’a cantee !
(Jourdain de Blaye, v. 23178-23180)
- 159 Texte cité par R.F. Cook (R.F. Cook et L.S. Crist, Le Deuxième cycle de la croisade, Genève, Droz, (...)
Cy fine l’ystoire, plus avant n’en y a ;
Or veulle Dieu garder qui escoutee l’a,
Et cil qui l’a chanté et cil qui escript l’a :
Dictes trestous Amen, et deça et dela.
(CCGB, Lyon, ms. 744, fol. 432r)159
- 160 « C’est par fragments qu’on les débitait souvent. […] Un auteur de chanson de geste savait […] que (...)
55Dans ce cas, on peut penser que l’interprète choisit un certain nombre de passages, comme le relevait déjà J. Bédier160, quitte à les relier entre eux par des résumés. C’est probablement ce mode de diffusion que dénoncent les exordes de plusieurs chansons vilipendant les « mauvais jongleurs » qui bâclent le travail, amputent et dénaturent leur texte. L’auteur de Lion de Bourges est particulièrement explicite sur ce point :
- 161 « Ne raconter que le milieu d’une histoire n’est ni légitime ni raisonnable. Les chanteurs agissen (...)
Que d’une ystoire conte ansi que le moilon
Se n’est pais droite ruelle ne euvre de rason,
Mais ceu font li chantour pour avoir plus loialz don :
Despechent une ystoire, et pour avoir le nom
Qu’i scevent de tous bien assés et a foison,
Si dient en lour rimez qu’i chantent sur le son ;
Mais il n’en scevent mie la monte d’un bouton,
Et ceu qu’i vous en chantent per folle antancion
Contrueuvent en lour cuer san rime et san faiçon. (v. 6523-6532)161
56Seul le texte écrit fournit une version stable, authentique et intégrale, conforme aux chroniques, de Saint-Denis ou d’ailleurs, dont il prétend s’inspirer. Les contraintes de la déclamation publique conduisent inévitablement à l’altérer :
- 162 « Par mainte fois vous ont chant[é] ce jonghelour / des grans fais d’outre mer ou il ot maint esto (...)
Il sont et ont estet maint jongleurs poissant
Qui vous en ont canté assés et bien avant,
Mais oublyet en ont maint fait biel et plaisant.
Mais chus livres ychy en va plus devisant
Et de çou qu’oublyet avoient ly aucquant.
(CCGB, v. 18736-18740)162
57À l’exception du cas particulier que constituent des compilateurs comme Girart d’Amiens ou Jean d’Outremeuse, la présence avérée d’un auteur qui se nomme et revendique son travail est rare :
Nicholais le rima dou païs Veronois.
(Pharsale, v. 1934)
- 164 Voir O. Delsaux, « Qu’est-ce qu’un escripvain au Moyen Âge ? Étude d’un polysème », Romania, 132, (...)
58La mention beaucoup plus fréquente de l’écrivain est d’interprétation problématique dans la mesure où le terme désigne aussi bien le poète que le copiste164, et, semble-t-il, dans nos textes, plutôt ce dernier. Renaut de Montauban propose une intéressante variation sur les clausules épiques traditionnelles en détournant au profit exclusif de « celui qui a écrit le texte » le topos habituel du jongleur appelant la bénédiction divine sur son auditoire, dont il sollicite, avec souvent un trait d’humour, la participation financière :
Or prions tous a Dieu par grant devocion
Qu’il nous ottroit se gloire par son saintisme non,
Et cellui qui l’a escripte [la vie de Renaut] vueille Dieux donner en don
Or et argent assez, car il en aroit bon beson
Pour donner aux fillettes et maint bon compaingnon,
Car c’est tout che qu’il ayme : que vous celeroit on ? (v. 28387-28390)
59De la même manière, les auditeurs et « celui qui écrit » se trouvent associés dans l’appel à la miséricorde divine sur lequel s’achève Ciperis de Vignevaux :
Ychi fine l’hystoire et la bonne chanson.
Tous ceulz qui l’ont ouÿe fache Dieu vray pardon,
Et celui qui l’escript c’om nomme Brienchon,
En la fin a eulz tous leur doint salvacion. (v. 7890-7893)
- 165 Exceptionnellement, on ne dispose ici que de l’initiale du prénom.
- 166 Voir Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de la ville d’Arras [par Z.-F. Caron], Arras, 186 (...)
- 167 Voir A.-G. Krüger, « Les manuscrits de la chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroi de Bouillon(...)
60Il semble, à s’en tenir à ce corpus restreint, que les textes opèrent une distinction entre celui qui rime ou met en rime (l’auteur) et celui qui écrit (le copiste). Certains de ces scribes se nomment volontiers à la fin de leur travail, mais ils le font habituellement, à la différence de Brienchon, dans une note additionnelle, clairement détachée de la dernière laisse du récit. Grâce à cette pratique, parfois complétée par une précieuse indication de date, on peut attribuer un nom à quelques-uns de ces tâcherons de la plume : Jorge (Hugues Capet), J. Boucher (Tristan de Nanteuil165), Henry Ryet166, boulanger à Arras (Ami et Amile, ms. d’Arras, 1465), Jennette Greberd (Belle Hélène, ms. A, 1470), Alexandre (Belle Hélène, ms. L), Pierre de Coudren (CCGB, ms. Lyon 744, 1469167). Druet Vignon, qui a copié Florent et Octavien (ms. B, 1461) et deux fois Jourdain de Blaye à quelques années d’intervalle (ms. B, 1455 ; ms. C, 1461), révèle toujours son nom en acrostiche dans un onzain d’alexandrins monorimes dont il varie à chaque fois la rime (-a,-ez,-u) et qui s’achève par un clin d’œil à son commanditaire, Maillin Duboz.
- 168 Voir sur ces questions Cl. Roussel, « Les dernières chansons de geste et leur public », « Plaist v (...)
61Pour ce qui est du chant, les indices textuels sont ambigus. L’histoire racontée est, à en croire la majorité des auteurs, censée être chantée, comme le montrent du reste les exemples précédents. Sans renoncer à employer le mot chanson (v. 402, 3897, 4836), l’auteur-narrateur d’Hugues Capet annonce pour sa part qu’il dispose d’un livre (v. 4765, 4767, 5131) et qu’il va lire la vie de son héros (« Et pour ce vous lyray le vie d’un guerrier », v. 7 ; voir aussi v. 6358) ; celui de Baudouin de Sebourc déclare « ensi que vous orrés, mais que je lis[e] avant » (v. 19636), mais enchaîne aussitôt : « huimais orrés chanson dont li ver sont plaisant » (v. 19637168). L’auteur-narrateur annonce indifféremment qu’il va chanter une chanson (Lion de Bourges, v. 3), la vie d’un personnage (Cuvelier, v. 7), ou qu’il va dire, conter (recorder, retraitier…) une histoire, en faisant éventuellement entendre « un livre souffisant » (Cuvelier, v. 22). Les termes employés sont donc assez largement interchangeables, tributaires vraisemblablement d’options rhétoriques et de postures, et ne peuvent pas fournir d’indications claires et définitives sur les conditions de diffusion de ces chansons.
- 169 Voir M. Rousse, « Le dénombrement du fief de la jonglerie à Beauvais », La Scène et les tréteaux. (...)
- 170 On pense immédiatement à un aide-mémoire contenant le texte à réciter ou à chanter (voir ci-dessus(...)
62Quel que soit le sort réservé précisément à nos textes, il est certain qu’on pouvait encore entendre « chanter de geste » au xive siècle. Selon un document daté de 1377, énumérant ses droits et devoirs, le titulaire du fief de la jonglerie de Beauvais est tenu de « faire chanter de geste » au cloître de l’église, trois fois l’an, lors des fêtes de Noël, Pâques et Pentecôte, de prime à la grand-messe, « ou cas qu’il puet recouvrer de chanteur en le ville de Beauvèz ou environ » ; il peut aussi, le cas échéant, accorder à d’autres chanteurs de son choix le droit de se produire ailleurs dans la ville, en exclusivité, lors de ces mêmes fêtes. Le même document précise encore que « ledit Jehan », détenteur du fief, « a de chascun jongleur venant et estant à Beauvèz une fois douze deniers de ceulx qui chantent en place, et, se ils sont refusant de paier, il puet prendre leur livre ou leur viele se ils l’ont169 ». On retrouve à cette occasion l’instrument de musique et le livre, même si le rôle exact de ce dernier demeure incertain170. La présence du chant est également attestée par Jean Corbechon, qui a achevé en 1372 sa traduction du De proprietatibus rerum, et ajoute au texte de Barthélémy l’Anglais un court développement de son cru sur le sens du mot « symphonie » :
- 171 Le texte cité est celui du ms. Paris, BnF, fr. 22533, 20e livre, fol. 374r (voir Gallica). Selon l (...)
On appelle en France cymphonie un instrument dont les avugles jouent en chantant les chançons de geste et a cest instrument bien doulx son et plaisant a oyr se ce ne fust pour l’estat de ceulx qui en jouent171.
63S’il faut en croire Froissart, qui reprend les mises en garde formulées par son maître, Jean le Bel, des jongleurs auraient même pu composer des chansons sur des événements contemporains :
- 172 Jean Froissart, Chroniques, Livre I, Le manuscrit d’Amiens, éd. G.T. Diller, t. 2, Genève, Droz, 1 (...)
Pluiseur gongleour et enchanteour en place ont chanté et rimet lez guerres de Bretaigne et coromput, par leurs chançons et rimes controuvees, le juste et vraie histoire […]. Car leurs rimmez et leurs canchons controuvees n’ataindent en riens le vraie matere172.
64Peut-on considérer La Bataille de trente Anglois et de trente Bretons comme un possible vestige de cette activité ? Force est de constater que de nombreux aspects de la création et de la diffusion des chansons de geste au xive siècle nous échappent, et notamment le « spectacle vivant » proposé par les chanteurs de geste. La production épique de l’époque a certainement été plus riche et plus diversifiée que ce que laissent entrevoir les quelque trente témoins, parfois lacunaires, qui nous sont parvenus. Si des pièces du puzzle nous manquent, il faut toutefois se féliciter du fait qu’en plein xve siècle, à l’heure où la prose recueille tous les suffrages – et a d’ailleurs permis d’assurer indirectement la survie de certains de ces récits –, quelques amateurs de vieilleries versifiées aient pris la peine de faire transcrire ces ultimes manifestations d’un genre qui n’a certes pas cessé d’évoluer, mais qui perpétue, en dépit ou peut-être à cause de ces mutations, l’authentique tradition de la « chanson de geste ».
65Les études regroupées dans ce volume permettront de mesurer à la fois la diversité flamboyante de cette production et les convergences qui s’y dessinent. Par rapport au modèle épique traditionnel, le récit se fait plus fluide, tandis que les développements romanesques, les discours moralisants, les clins d’œil humoristiques, certes déjà présents dans les œuvres du siècle précédent, s’y affichent avec une ostentation inédite. Cette évolution ne s’effectue pas toutefois sans à-coups dans un genre marqué par la forte prégnance d’un code thématique et stylistique rigoureux. Le traitement des motifs rhétoriques se trouve ainsi affecté au premier chef par cette tension entre tradition et innovation. Jean-Pierre Martin, dont les travaux sur le « discours de l’épopée médiévale » font autorité, montre que les auteurs tendent globalement à atténuer le caractère stéréotypé de ces motifs et que, notamment hors du registre militaire où leur empreinte reste forte, ils les sollicitent de manière très inégale et savent les adapter aux choix esthétiques qu’ils opèrent.
66L’emploi de la laisse dans la version de la Chanson de Bertrand du Guesclin contenue dans le manuscrit d’Aix-en-Provence (E) daté de 1441 illustre cette fine combinaison de fidélité à la tradition et d’innovation. Comme l’établit Delphine Demelas, si elle demeure bien présente, la rhétorique épique (vers d’intonation, de conclusion, enchaînements) s’adapte aux exigences d’un texte de grande ampleur et vise à favoriser l’émergence de séquences narratives plus vastes que la laisse, favorisant au bout du compte la linéarité du récit.
67En examinant de près les modifications que le remanieur apporte à sa source, Dorothea Kullmann décèle dans la nouvelle version de Renaut de Montauban une profonde mutation idéologique. Sur fond de guerre de Cent ans, la thématique féodale s’avère obsolète. Le texte reflète les aspirations d’un milieu urbain, méfiant à l’égard d’une noblesse volontiers factieuse, aspirant à l’ordre et à la sécurité qu’il appartient au souverain d’assurer.
68Dans le Hernaut de Beaulande du manuscrit de Cheltenham, Bernard Guidot observe que, tout en conservant globalement un cadre épique traditionnel, l’auteur propose lui aussi une image négative de l’aristocratie et valorise au contraire les personnages issus du peuple, dont Robastre est en quelque sorte l’emblème. Tout en dispensant largement de multiples consignes morales prenant l’aspect de formules sentencieuses, il pratique volontiers une fantaisie souriante qui s’appuie notamment sur les figures pittoresques de Robastre et de l’enchanteur Perdigon.
69Les chansons de geste intègrent volontiers des allusions plus ou moins explicites aux événements contemporains de leur rédaction. Denis Collomp montre que la créativité des auteurs, voire des copistes, en ce domaine est une constante de la tradition épique, qui s’accentue au xive siècle. Ces références, parfois ténues, aux réalités politiques ou sociales du temps ne peuvent être correctement repérées et interprétées que dans un cadre largement transdisciplinaire.
70Yasmina Foehr-Janssens constate que le remanieur de Jourdain de Blaye s’éloigne considérablement du texte source en décasyllabes. Il renonce à exploiter le cadre narratif que constituait dans la version initiale l’histoire d’Apollonius de Tyr et opère une reconversion radicale marquée par l’esprit des « chansons d’enfances ». Dans le grand jeu du lignage et de la filiation orchestré par la chanson, le personnage de Jourdaine, fille du héros, joue un rôle central. L’insertion apparemment gratuite de l’anecdote, empruntée à Valère Maxime, de la jeune fille qui nourrit de son lait sa mère emprisonnée constitue en fait une clé symbolique des enjeux de la chanson.
71Dans la Chanson de Bertrand du Guesclin, Thierry Lassabatère relève que les marqueurs rhétoriques (appels au public, interventions du narrateur…) opèrent un découpage du récit en épisodes bien identifiables, ce qui invite à penser que Cuvelier a vraisemblablement combiné des « éléments déjà cristallisés » de la légende de son héros. La transmission orale pourrait expliquer certaines variantes constatées entre les différentes versions de ce substrat légendaire. Si le rôle de ces marqueurs s’estompe quelque peu dans la relation, fortement marquée par le romanesque et l’exotisme, de la campagne espagnole du héros, c’est peut-être pourtant ce passage, dans lequel affleure l’esprit de croisade, qui se présente comme le plus délibérément « épique » de la chanson.
72Des infléchissements spécifiques affectent les productions épiques franco-italiennes du Trecento. Le cadre féodal légué par les chansons de geste françaises demeure dans tous ces récits un élément emblématique du décor. Toutefois, les auteurs prennent clairement leurs distances à l’égard d’un modèle qui leur paraît d’autant plus archaïque et exotique qu’il ne s’est jamais imposé en Italie. Comme le montre Chloé Lelong, le mode de gouvernement valorisé par ces textes est celui d’un pouvoir local libéré de la tutelle impériale et dont l’autorité repose sur le libre consentement de la population. C’est en ce sens qu’on peut parler d’épopée « communale ».
73Ample somme épico-romanesque en prose composée à l’extrême fin du siècle, Aquilon de Bavière déploie un subtil jeu de masques et de reflets dont Jean-Claude Vallecalle analyse les modalités et les enjeux. Quoique toujours présent à l’arrière-plan, le cadre manichéen de la geste carolingienne se fissure et se brouille. Le texte met en scène des personnages complexes, ambigus, gérant difficilement, parfois douloureusement, les contradictions qui les habitent. C’est en les confrontant à leurs doubles que le romancier parvient à cerner la réalité intime de ses personnages, celle d’une humanité fragile et instable.
74Une meilleure connaissance des chansons de geste du xive siècle passe d’abord par un accès commode à des éditions fiables. Or, si dans ce domaine des progrès considérables ont été réalisés au cours des cinquante dernières années, il reste encore du chemin à parcourir. Ainsi, la chanson de Theséus de Cologne, qui a pourtant connu en son temps une grande célébrité, demeure encore largement inédite. Spécialiste incontestée de ce texte dont elle prépare une édition critique, Mari Bacquin présente les réemplois successifs de la chanson et propose, avec un apparat critique volontairement allégé, l’édition de son épisode sans doute le plus emblématique, le subterfuge de l’aigle d’or. Le texte vaut aussi pour son caractère hybride : derrière le laxisme prosodique flagrant du copiste, on perçoit clairement la tentation de la prose.
- 173 Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, XIV/O, Paris, 1781, p. 39 (à propos de Theséus de Cologn (...)
- 174 N. Belmont, Poétique du conte, Paris, Gallimard, 1999, p. 223.
- 175 « The perverse ingenuity of the authors of like fictions », The English Charlemagne Romances. The (...)
75Foisonnantes, excentriques, mélodramatiques, les chansons de geste du xive siècle bousculent les cadres génériques et constituent un objet singulier, bizarre, dont les narrations embrouillées pouvaient encore, selon Contant d’Orville, divertir le public de 1781 : « Le merveilleux qui y regne, et la maniere singuliere et piquante avec laquelle les faits les plus bizarres y sont présentés, nous paroissent capables d’amuser ceux que les extravagances des quatorzieme, quinzieme et seizieme siecles n’ont pas rebuté173 ». Leur ambition ne se limite pas toutefois à cet objectif. À l’époque de leur composition, elles visent autant à édifier qu’à plaire, à instruire qu’à distraire, soit sous forme de prescriptions morales ou religieuses, soit de manière plus indirecte. À l’instar des contes dont elles s’inspirent souvent et dont elles partagent, l’« apparence simple, voire naïve, [la] finalité divertissante174 », ces chansons posent avec acuité les questions cruciales soulevées par la place de l’individu dans le monde, la famille, la filiation, l’identité, les relations sociales. En cela, elles ne sont pas, ou pas simplement, les compositions « puériles ou grotesques » dénoncées par L. Moland et Ch. d’Héricault. Leur naïveté est sans doute plus retorse qu’il n’y paraît, comme l’a fort justement perçu S. L. Lee, qui souligne, à propos de Huon de Bordeaux, « l’ingénuité perverse des auteurs de semblables fictions175 ».
Annexe
Les chansons de geste du xive siècle
Ami et Amile (remaniement en alexandrins) : inédit, 4 mss du xve siècle. Alfred Neufang, Mitteilungen aus der Alexandriner-Version der Chanson d’Ami et d’Amile, Greifswald, 1914 ; Christine Augier, Édition critique d’un passage du manuscrit 704 de la Bibliothèque d’Arras : « Le Roman de Amys et Amille », mémoire de DEA, Université d’Artois, 2003. Ce mémoire édite les fol. 86v-101v, soit 1101 vers, et fournit une analyse de la totalité du texte.
Bataille de trente Anglois et de trente Bretons (La –), éd. H.R. Brush, Modern Philology, 9, 1911-1912, p. 511-544 et 10, 1912-1913, p. 82-136 ; analyse et étude par A. Coville, Histoire littéraire de la France, t. 38, Paris, Imprimerie nationale, 1949, p. 288-308.
Bâtard de Bouillon (Le —), éd. R.F. Cook, Genève, Droz, 1972.
Baudouin de Sebourc, éd. L.S. Crist [et R.F. Cook], Paris, SATF, 2002, 2 vol.
Belle Hélène de Constantinople (La —), éd. Cl. Roussel, Genève, Droz, 1995.
Brun de la Montaigne, roman d’aventure, éd. P. Meyer, Paris, SATF, 1875.
Chanson de Croissant : T. Städtler, « Deux fragments d’une chanson de geste perdue, la Chanson de Croissant », Romania, 125, 2007, p. 213-228. Voir Huon de Bordeaux.
Chevalier au Cygne et Godefroid de Bouillon (Le —), éd. le baron F. de Reiffenberg, puis A. Borgnet, Monuments pour servir à l’histoire des provinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg, Bruxelles, 1846-1859, t. 4, 5 et 6.
Ciperis de Vignevaux, éd. W.S. Woods, Chapel Hill, University of North Carolina, 1949. Le début du récit manque, mais cette lacune peut être comblée grâce à la version en prose éditée par L. Ramello, Un mito alla corte di Borgogna. « Ciperis de Vignevaux » in prosa, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2012.
Cuvelier, La Chanson de Bertrand du Guesclin, éd. J.-C. Faucon, Toulouse, Éditions Universitaires du Sud, 1990-1991, 3 vol.
Dieudonné de Hongrie (dit le Roman de Charles le Chauve), édition critique des fol. 49 à 87, éd. D. Collomp, thèse de 3e cycle, Université d’Aix-Marseille i, Aix-en-Provence, 1986 (v. 8635 à la fin [v. 15655]) ; voir aussi l’analyse de L.-F. Flutre, « Dieudonné de Hongrie, chanson de geste du xive siècle (alias Roman de Charles le Chauve) », Zeitschrift für Romanische Philologie, 68, 1951, p. 321-400.
Enfances Garin de Monglane (Les —) : A. Kostka-Durand, Recherches sur les Enfances Garin de Monglane, accompagnées d’une édition critique d’après le manuscrit unique Paris, B.N. fr. 1460, thèse de doctorat, Université Nancy 2, 2001 ; la transcription sèche du texte du manuscrit est consultable sur le site de l’Université d’Ottawa.
Florence de Rome, chanson d’aventure du premier quart du xiiie siècle, éd. A. Wallensköld, Paris, SATF, 1907 et 1909, 2 vol. (version du xive siècle, vol. 1, p. 131-293).
Florent et Octavien, chanson de geste du xive siècle, éd. N. Laborderie, Paris, Champion, 1991, 2 vol.
Galiens li Restorés, Le « Galien » de Cheltenham, éd. D.M. Dougherty et E.B. Barnes, Amsterdam, John Benjamins, 1981 ; voir aussi Geste de Monglane.
Garin le Lorrain, éd. P. Meyer, « Fragments d’une rédaction de Garin le Lorrain », Romania, 6, 1877, p. 481-489 (deux fragments, 153 alexandrins). « Il s’agit non d’un fragment mais d’un extrait copié au xviiie siècle dans un manuscrit aujourd’hui perdu » (J.-Ch. Herbin, Prose des Loherains (Ms Arsenal 33.46), Valenciennes, PUV, 1995, p. 298).
Geste de Monglane (La —) : I. Hernaut de Beaulande, ii . Renier de Gennes, iii . Girart de Vienne, edited from the Cheltenham Manuscript, éd. D.M. Dougherty, E.B. Barnes et C.B. Cohen, Eugene (Oregon), University of Oregon Books, 1966 ; voir les comptes rendus de F. Lecoy, Romania, 88, 1967, p. 561-562 et de W. Kibler, Speculum, 58, 1983, p. 1033-1035.
Girart d’Amiens, A Critical Edition of Girart d’Amiens’ « L’Istoire le roy Charlemaine », poème épique du xive siècle, éd. D. Métraux, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 2004, 3 vol.
Girart de Rossillon, poème bourguignon du xive siècle, éd. E.B. Ham, New Haven, Yale University Press, 1939 ; voir les corrections d’A. Jeanroy, « Le roman de Girard de Roussillon », Journal des Savants, oct.-déc. 1941, p. 145-155.
Hugues Capet, chanson de geste du xive siècle, éd. N. Laborderie, Paris, Champion, 1997.
Huon de Bordeaux : remaniement et suites en alexandrins :
– H. Schäfer, Über die Pariser Hss. 1451 und 22555 der Huon de Bordeaux-Sage. Beziehung der HS 1451 zu Chanson de Croissant ; die Chanson de Huon et Calisse ; die Chanson de Huon, roi de Féerie, Marburg, 1892.
– H. Schäfer, Chanson d’Esclarmonde. Erste Fortsetzung der Chanson de Huon de Bordeaux, nach der Pariser Handschrift Bibl. Nat. frc. 1451, Worms, 1895.
– H. Brisemeister, Über die Alexandrinerversion der Chanson de Huon de Bordeaux in ihrem Verhältnis zu den anderen Redaktionen, Greifswald, 1902.
– R. Bertrand, Huon de Bordeaux, version en alexandrins (B. N. F. fr 1451), édition partielle, thèse de 3e cycle, Université d’Aix-en-Provence, 1978 (édition des v. 1-3020 [fol. 2-48] sur 15 000 alexandrins environ).
– Voir aussi Chanson de Croissant.
Jean d’Outremeuse, La Geste de Liège : « Le Myreur des histors », chronique de Jean des Preis dit d’Outremeuse, éd. A. Borgnet et S. Bormans, Bruxelles, Hayez, 1864-1887, [7 vol.], vol. 1, p. 587-638 (v. 1-3657), vol. 2, p. 537-766 (v. 3658-20999), vol. 3, p. 411-520 (v. 21000-29589), vol. 4, p. 601-738 (v. 29590-39069), vol. 5, p. 583-694 (livre deuxième, v. 1-330, puis v. 1-8586), vol. 6, p. 639-710 (v. 8587-13381 ; début du troisième livre à la p. 695, v. 12225).
Jourdain de Blaye en alexandrins, éd. T. Matsumura, Genève, Droz, 1999, 2 vol.
Lion de Bourges, éd. W.W. Kibler, J.L.G. Picherit et Th.S. Fenster, Genève, Droz, 1980.
Lohier et Malart, éd. U. Mölk, « Lohier et Malart, fragments d’une chanson de geste disparue », Romania, 110, 1989, p. 466-492.
Ogier le Danois :
– continuation en décasyllabes (vers 1310), ms. Paris, BnF, fr. 1583 : L’Istoire d’Ogier le redouté, éd. E.T. Salberg, en ligne sur le site de l’Université d’Oslo. Un autre ms. ne subsiste plus que sous la forme d’un fragment de 213 décasyllabes : voir A. de Longpérier, « La délivrance d’Ogier le Danois. Fragment d’une chanson de geste », Le Journal des Sçavans, 1876, p. 219-233.
– remaniement en alexandrins (vers 1335) : inédit, 4 manuscrits : Paris, Arsenal 2985 (seconde moitié du xive siècle) ; Londres, British Library, 15.E.VI, fol. 86r-154v (xve siècle) ; Turin, Biblioteca Nazionale Universitaria, L IV 2 (xve siècle) ; Chantilly, Musée Condé, 490 (ancienne cote 465), fol. 63-216 (xve siècle). Les manuscrits de l’Arsenal et de Londres ont été numérisés et sont consultables respectivement sur Gallica et sur le site de la British Library. Édition en préparation sous la direction de Muriel Ott.
Renaut de Montauban, édition critique du ms. de Paris B. N. fr. 764 (R), éd. Ph. Verelst, Gand, Rijksuniversiteit te Gent, Faculteit van de Letteren en Wijsbegeerte, 1988. Les deux fragments rimés du manuscrit de Londres (618 et 1899 vers) sont édités respectivement par J. Thomas (L’Épisode ardennais de « Renaut de Montauban », édition synoptique des versions rimées, Bruges, De Tempel, 1962, t. 3, p. 368-410) et par Ph. Verelst (Deuxième fragment rimé du manuscrit de Londres, British Library, Royal 16 G ii (B), éd. Ph. Verelst, Romanica Gandensia, 21, 1988).
Theseus de Cologne, a general study and partial edition, éd. E.E. Rosenthal, Birkbeck College, University of London, 1975 ; Theseus de Cologne, édition partielle d’une chanson de geste du xive siècle, éd. M. Bacquin, Lund, Lunds Universitet, 2008.
Tristan de Nanteuil, éd. K.V. Sinclair, Assen, Van Gorcum, 1971.
Probables chansons de geste conservées uniquement par un remaniement en prose
Mabrien. Roman de chevalerie en prose du xve siècle, éd. Ph. Verelst, Genève, Droz, 1998.
Meurvin : L’Histoire du preux et vaillant chevalier Meurvin, fils d’Oger le Dannois, lequel par sa prouesse conquist Hierusalem, Babilone et plusieurs autres royaumes sur les infidelles, Paris, Pierre Sergent et Jehan Longis, 1540. Édition en préparation par Cl. Roussel.
Saladin. Suite et fin du deuxième Cycle de la Croisade, éd. L.S. Crist, Genève-Paris, Droz-Minard, 1972.
Valentin et Orson, an edition and translation of the fifteenth-century romance epic, éd. et trad. Sh. Schwam-Baird, Tempe (Arizona), Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 2011.
Domaine franco-italien
Aquilon de Bavière, éd. P. Wunderli, Tübingen, Niemeyer, 1982 (vol. 1-2) et 2007 (vol. 3).
L’Entrée d’Espagne, chanson de geste franco-italienne publiée d’après le manuscrit unique de Venise, éd. A. Thomas, Paris, Firmin-Didot, SATF, 1913, 2 vol. ; Anonimo Padovano, L’Entrée d’Espagne. Rolando da Pamplona all’Oriente, éd. M. Infurna, Roma, Carocci, 2011.
Huon d’Auvergne : inédit sauf pour quelques passages ; 4 manuscrits ou fragments. Édition en préparation sous la direction L. Zarker Morgan. Voir l’importante notice d’A. Bianco dans GLRMA, éd. G. Holtus et P. Wunderli, vol. 3, t. 1/2, fascicule 10, Franco-italien et épopée franco-italienne, p. 341-358.
Niccolò da Casola, La Guerra d’Attila, éd. G. Stendardo, Modène, 1941, 2 vol ; version numérique : livre I, éd. M. Inselvini, livre II, éd. S. Modena, RIALFrI (Repertorio informatizzato antica litteratura franco-italiana). Les erreurs de numérotation de l’éd. Stendardo sont corrigées à partir du v. 4475 du chant XV et du v. 5560 du chant XVI.
Niccolò da Verona, Opere, Pharsale, Continuazione dell’Entrée d’Espagne, Passion, éd. F. Di Ninni, Venise, Marsilio, 1992.
Notes
1 Nouvelles françoises en prose du xive siècle, éd. L. Moland et C. d’Héricault, Paris, Janet, 1858.
2 Ibid.
3 Leçon d’ouverture au Collège de France dispensée en décembre 1875 : « La littérature du xive siècle », La Poésie du Moyen Âge. Leçons et lectures. Deuxième série, Paris, Hachette, 1922, p. 185-211.
4 Les Épopées françaises, 2e éd., Paris, t. 2, 1894, à propos de l’auteur de Galien (« pauvre cervelle d’un remanieur de dixième ordre », p. 414) ou de Girart d’Amiens (« l’une des plus pauvres et des plus étroites cervelles de son temps », p. 421).
5 « Charles le Chauve. Étude sur le déclin de l’épopée française », Les Lettres Romanes, 7, 1953, p. 107-132 et 187-199.
6 Les Chansons de geste françaises, 2e éd., trad. I. Cluzel, Paris, Nizet, 1957, p. 288. Même J.-Ch. Payen a relayé pour un temps ce discours : « Le xive siècle sera désastreux pour la pauvre chanson de geste abâtardie en roman de chevalerie » (Le Moyen Âge. I. Des origines à 1300, Paris, Arthaud, 1970, p. 135). Cette observation disparaît dans le volume paru chez le même éditeur en 1984 (Littérature française, I. Le Moyen Âge, Paris, Arthaud, 1984).
7 En dehors de La Vie Vaillant Bertrand du Guesclin (éd. Charrière, 1839), perçue comme un document historique, les seuls textes véritablement disponibles ont longtemps été Baudouin de Sebourc (éd. Boca, 1841) et la Chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroid de Bouillon (éd. Reiffenberg, 1846-1859), suivis par Hugues Capet (éd. de La Grange, 1864) et Le Bâtard de Bouillon (éd. Scheler, 1877).
8 Voir « L’épopée française tardive (xive-xve siècle) », Études de philologie romane et d’histoire littéraire offertes à Jules Horrent, éd. J.-M. D’Heur et N. Cherubini, Liège, 1980, p. 449-460 ; « La tradition épique aux xive et xve siècles », Revue des sciences humaines, 183, 1981, p. 95-107 ; « L’Épopée », GRLMA, t. 8/1, Heidelberg, Winter, 1988, p. 161-177 ; « L’originalité des épopées tardives », L’Épique : fins et confins, éd. P. Frantz et al., Besançon, PUFC, 2000, p. 39-59. Voir aussi son monumental Guide de la chanson de geste et de sa postérité littéraire ( xie- xve siècle), Paris, Champion, 2011.
9 « La “chanson d’aventures” », Essor et fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient latin. Actes du ixe congrès international de la Société Rencesvals, Modène, Mucchi, 1984, p. 509-515 ; « Relectures de l’épopée », Au carrefour des routes d’Europe : la chanson de geste. Actes du xe congrès international de la Société Rencesvals, Senefiance, 20-21, Aix-en-Provence, Publications du CUER-MA, 1987, p. 103-140.
10 D. Boutet, La Chanson de geste. Forme et signification d’une écriture épique au Moyen Âge, Paris, PUF, 1993, p. 206. Voir aussi sur ce sujet les observations de B. Guidot, Recherches sur la chanson de geste au xiiie siècle d’après certaines œuvres du cycle de Guillaume d’Orange, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 1986, notamment la conclusion de l’étude, t. 2, p. 1105-1110.
11 Voir, sur ces points, Cl. Roussel, « Le mélange des genres dans les chansons de geste tardives », Les Chansons de geste. Actes du xvie Congrès international de la société Rencesvals, éd. C. Alvar, J. Paredes, Grenade, Editorial Universidad de Granada, 2005, p. 65-85 ; « L’automne de la chanson de geste », Cahiers de recherches médiévales, 12, 2005, La Tradition épique du Moyen Âge au xixe siècle, p. 15-28 ; M. Bacquin, « La chanson de geste “tardive” : décadence ou développement du genre ? L’exemple de Theseus de Cologne », Le Moyen Âge par le Moyen Âge, même. Réception, relectures et réécritures des textes médiévaux dans la littérature française des xive et xve siècles, éd. L. Brun, S. Menegaldo, A. Bengtsson et D. Boutet, Paris, Champion, 2012, p. 83-96 ; Ph. Bennett, « État présent. Chansons de geste and chansons d’aventures. Recent Perspectives on the Evolution of a Genre », French Studies, 66, 2012, p. 525-532.
12 Voir C. Cazanave, D’Esclarmonde à Croissant. Huon de Bordeaux, l’épique médiéval et l’esprit de suite, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 203-212.
13 Voir t. 1, p. 104, note du v. 5195.
14 Les Romans d’Alexandre. Aux frontières de l’épique et du romanesque, Paris, Champion, 1998.
15 A. Coville, « Poèmes historiques de l’avènement de Philippe VI de Valois au traité de Calais (1328-1360) », Histoire littéraire de la France, Paris, Imprimerie nationale, t. 38, 1949, p. 259-333.
16 M. Barry McCann Boulton, Sacred Fictions of medieval France. Narrative theology in the lives of Christ and the Virgin, 1150-1500, Woodbridge, Brewer, 2015, p. 81-140.
17 Les Traductions de la Bible en vers français au Moyen Âge, Paris, Imprimerie Nationale, 1884, p. 41.
18 Suard, Guide, p. 204.
19 L’œuvre est conçue pour être divisée en trois livres (voir annexe bibliographique). Le premier, dont quelques vers manquent à la fin, comporte près de 40 000 alexandrins. Du second, il ne reste qu’environ 12 000 vers, le copiste qui l’a transmis l’ayant sévèrement élagué et ayant remplacé un certain nombre de laisses par des résumés en prose. « Au fur et à mesure qu’il avance, sa patience s’épuise, et il abrège de plus en plus. Toutes les strophes sont tronquées et s’entremêlent sans souci de la rime ; les vers mêmes sont hachés de toutes façons et bientôt enchevêtrés par lambeaux dans la prose, de telle sorte qu’il n’est plus possible de les distinguer de celle-ci » (Le Myreur des histors, chronique de Jean des Preis dit d’Outremeuse, éd. S. Bormans, Bruxelles, Hayez, 1864-1887, vol. 7, p. x-xiv). Un projet de troisième livre consacré à la période postérieure à 1335 se limite à quelque 250 alexandrins suivis de notes en prose hétéroclites et de petites pièces en octosyllabes qui ne sont peut-être pas de l’auteur de la Geste.
20 Pour A. Gier, La Geste de Liège se présente comme « une chronique qui se donne l’allure d’un poème épique », dans « Jean d’Outremeuse, La Geste de Liège : l’histoire régionale au xive siècle », Fifteenth-Century Studies, 14, 1988, p. 87-94, ici p. 91.
21 Le procédé, que L. Gautier qualifie de « loi bête » (Les Épopées françaises, t. 2, p. 462), consiste à faire suivre une laisse à rime masculine d’une laisse à rime féminine comportant la même voyelle : -ent/-ente, -ier/-iere, -is/-ise, etc. Il est utilisé systématiquement dans La Prise de Defur, puis épisodiquement dans Les Vœux du Paon et les suites de ce poème. Adenet le Roi, dont Girart se veut le disciple et le continuateur, y recourt, avec quelques licences, dans Buevon de Conmarchis et Berte aus grans piés. On en trouve des traces éparses dans les chansons du xive siècle, notamment dans Florent et Octavien, qui le pratique dans les 42 premières laisses du texte.
22 Phénomène bien repéré par Jean de Grouchy : « In aliquo tamen cantu clauditur per versiculum ab aliis consonantia discordantem, sicut in gesta, quae dicitur de Girardo de Viana », cité par Ch. Page, « Johannes de Grocheio on secular music : a corrected text and a new translation », Plainsong and Medieval Music, 2, 1993, p. 17-41, ici p. 27.
23 Voir Ch.-L. Janssens, « Brun de la Montaigne et la versification française moderne », Zeitschrift für Romanische Philologie, 87, 1971, p. 233-237.
24 Suard, Guide, p. 298. Voir sur ce point l’analyse de M. Heintze, pour qui « ce texte ne fait pas partie de la tradition épique » (« La relation du Roman de Girart de Roussillon avec la tradition épique », Atti del Secondo Congresso Internazionale della « Association Internationale d’Études Occitanes », éd. G. Gasca Queirazza, Turin, Università di Torino, 1993, vol. 1, p. 181-206, ici p. 196).
25 Cuvelier, La Chanson de Bertrand du Guesclin, Toulouse, EUS, 1991, t. 3, p. 70.
26 Paris, « La littérature au xive siècle », p. 193.
27 P.-Y. Badel, « La chanson de geste hors de la chanson de geste », Plaisir de l’épopée, éd. G. Mathieu-Castellani, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2000, p. 155-172.
28 Florence de Rome, chanson d’aventure du premier quart du xiiie siècle, éd. A. Wallensköld, Paris, SATF, 1907, vol. 1, Introduction, p. 42.
29 Voir Suard, Guide, p. 261.
30 Voir « Brun de la Montaigne : une chançon de matiere enforcie (v. 2744) ? », Le Romanesque aux xive et xve siècles, éd. D. Bohler, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, p. 29-40.
31 Voir A. Goose, « Ogier le Danois, chanson de geste de Jean d’Outremeuse », Romania, 86, 1965, p. 145-198.
32 Voir G. Holtus et P. Wunderli, Franco-italien et épopée franco-italienne, GRLMA, Les Épopées romanes, vol. 3, t. 1/2, fascicule 10, Heidelberg, Winter, 2005 ; Suard, Guide, p. 375-381 ; J.-C. Vallecalle, « Les chansons de geste franco-italiennes : héritage et réinterprétation d’une tradition littéraire », In Limine Romaniae. Chansons de geste et épopée européenne, éd. C. Alvar et C. Carta, Berne, Peter Lang, 2012, p. 61-90.
33 La Passion de Venise : codice marciano francese vi (= 226), éd. V. Bertolini, Vérone, Bi & Gi, 1986. Voir aussi Boulton, Sacred Fictions, p. 134-138. Le poème est truffé de mots latins et de citations latines plus ou moins librement empruntées aux Évangiles. Dans l’unique témoin qui l’a conservé, le manuscrit V6 de la Marciana, il précède une version de la chanson d’Aspremont.
34 Dans la Pharsale, « il est difficile de reconnaître l’intention stylistique précise de ces changements de mètre » ; dans L’Entrée d’Espagne, « les deux mètres alternent irrégulièrement, le plus souvent à l’intérieur de la laisse » : R. Specht, Recherches sur Nicolas de Vérone. Contribution à l’étude de la littérature franco-italienne du quatorzième siècle, Berne, Peter Lang, 1982, p. 120.
35 Holtus et Wunderli, Franco-italien, p. 165.
36 Suard, Guide, p. 381.
37 Boutet, La Chanson de geste, p. 271.
38 « C’est une production du quatorzième siècle, placée entre Doon de Maience qu’elle continue et Ogier le Danois qu’elle prépare », Histoire poétique de Charlemagne, Paris, A. Franck, 1865, p. 313. P. Paris, Histoire littéraire de la France, t. 26, Quatorzième siècle, Paris, 1873, recense au titre du xive siècle Floovant, Cipéris de Vignevaux, Huon de Bordeaux, Charles le Chauve, Hue Capet, Doon de Maience, etc.
39 Voir sur ce point les observations de Guidot, Recherches sur la chanson de geste, p. xv-xxxii, « Considérations préliminaires sur les datations épiques ».
40 Cazanave, D’Esclarmonde à Croissant, notamment p. 227-238.
41 La Geste Francor. Edition of the Chansons de geste of MS. Marc. Fr. xiii (=256), éd. L. Zarker Morgan, Tempe (Arizona), ACMRS (Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies), 2009.
42 Voir M. L. Meneghetti, « Ancora sulla Morte (o Testamento) di Carlo Magno », Testi, cotesti e contesti del franco-italiano, éd. G. Holtus, H. Kauss, P. Wunderli, Tübingen, Niemeyer, p. 245-284.
43 Le Roland occitan, éd. et trad. G. Gouiran et R. Lafont, Paris, UGE, 1991.
44 S. Marnette, « Nord et Sud : chansons de geste d’oc et d’oïl », L’Épopée romane. Actes du xve Congrès international Rencesvals, Poitiers, Université de Poitiers (CESCM), 2002, t. 2, p. 927-935, ici p. 932. Que Gérard Gouiran et Marjolaine Raguin, qui m’ont très aimablement fait bénéficier de leurs lumières sur les difficultés soulevées par la datation de ces textes, veuillent bien trouver ici l’expression de ma profonde gratitude !
45 Baudouin de Sebourc et Bâtard de Bouillon (Paris, BnF, fr. 12552, milieu du xive siècle) ; Girart de Rossillon (Montpellier, Faculté de médecine H-349, milieu du xive siècle) ; Brun de la Montaigne (Paris, BnF, fr. 2170, 2e moitié du xive siècle) ; Ogier en alexandrins (Paris, Arsenal, 2985, fin du xive siècle) ; Entrée d’Espagne (Marciana V21, 2e moitié du xive siècle) ; Guerra d’Attila (2e moitié du xive siècle, manuscrit peut-être autographe).
46 « Medieval Trade Guilds and the Miracles de Nostre Dame par personnages », Medium Aevum, 39, 1970, p. 257-287 ; voir aussi Theseus de Cologne, édition partielle d’une chanson de geste du xive siècle, éd. M. Bacquin, Lund, Lunds Universitet, 2008, p. 22.
47 Roumander, c’est-à-dire « écrire en français », apparemment un hapax.
48 Renaut de Montauban, édition critique du ms. de Paris B. N. fr. 764 (R), éd. Ph. Verelst, Gand, Rijksuniversiteit te Gent, Faculteit van de Letteren en Wijsbegeerte, 1988, p. 45.
49 R. Bossuat, « Theséus de Cologne », Le Moyen Âge, 65, 1959, p. 97-133, 293-320, 539-577, ici p. 304-307.
50 Jourdain de Blaye en alexandrins, éd. T. Matsumura, Genève, Droz, 1999, p. xxiv-xxvii.
51 Bossuat, « Theséus de Cologne », p. 305 ; Theseus de Cologne, éd. Bacquin, p. 21-22 ; voir dans ce volume son édition des v. 2440-2450 du texte.
52 Theseus de Cologne, éd. Bacquin, p. 26.
53 Voir Girart de Rossillon, poème bourguignon du xive siècle, éd. E. B. Ham, New Haven, Yale University Press, 1939, p. 13.
54 Voir A. Saly, « La date du Charlemagne de Girart d’Amiens », Au carrefour des routes d’Europe : la chanson de geste, t. 2, p. 975-981 ; Girart d’Amiens, A Critical Edition of Girart d’Amiens’ « L’Istoire le roy Charlemaine », poème épique du xive siècle, éd. D. Métraux, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 2004, p. xxvii.
55 Voir « La chanson de Hugues Capet », Romania, 71, 1950, p. 450-481. Voir aussi Fr. Suard, « Hugues Capet dans la chanson de geste au xive siècle », Religion et culture autour de l’an Mil : royaume capétien et Lotharingie. Actes du colloque Hugues Capet 987-1987, éd. D. Iogna-Prat et J.-Ch. Picard, Paris, Picard, 1990, p. 215-225.
56 Voir D. Collomp, « L’écho des bourgeois de Calais dans Theseus de Cologne et Ciperis de Vignevaux », « Plaist vos oïr bone cançon vaillant ? ». Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à François Suard, Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 1999, p. 183-195.
57 « Les dates et les allusions historiques dans les chansons d’Ogier le Danois », Mélanges Alfred Jeanroy, Paris, Droz, 1928, p. 415-425, ici p. 425.
58 Le motif est récurrent dans Dieudonné de Hongrie : Philippe, son fils Dieudonné et l’empereur de Grèce sont capturés par les traîtres lors du siège de Lausanne ; l’empereur Valérien, son fils Octavien et le pape sont faits prisonniers par les Sarrasins lors du siège de Rome. Il s’agit d’une variation sur le motif Prisonnier des Sarrasins (5. A. 10) mentionné par J.-P. Martin, Les Motifs dans les chansons de geste. Définition et utilisation, Villeneuve d’Ascq, Centre d’Études médiévales et dialectales de l’Université de Lille iii, 1992, p. 352, qui est particulièrement bien représenté dans les chansons du xive siècle. Voir A. Georges, Tristan de Nanteuil. Écriture et imaginaire épiques au xive siècle, Paris, Champion, 2006, p. 344-351.
59 Voir « The date of Ciperis de Vignevaux », Modern Language Notes, 49, 1934, p. 255-260 et 50, 1935, p. 343-344 ; voir aussi C. Badalo-Dulong, « Ciperis de Vignevaux », Romania, 71, 1950, p. 66-78.
60 Voir Cl. Roussel, « La fonction royale dans Ciperis de Vignevaux », Bien dire et bien aprandre, 18, 2000, La Figure du roi, t. 2, p. 139-152.
61 « Theséus de Cologne », p. 124.
62 On ne prendra évidemment en compte que les références à des œuvres composées ou diffusées au xive siècle.
63 Voir E.-R. Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, Paris, Droz, 1940, p. 92-99.
64 Voir Parise la Duchesse, éd. M. Plouzeau, Aix-en-Provence, Publications du CUERMA, Senefiance, 17, 1986, p. 152-156.
65 Voir « Ideali cavallereschi in Valpadana : il Roman d’Hector et Hercule e l’Entrée d’Espagne », Dai pochi ai molti. Studi in onore di Roberto Antonelli, éd. P. Canettieri et A. Punzi, Rome, Viella, 2014, p. 931-943.
66 Voir Les Épopées françaises, 2e éd., Paris, 1882, t. 4, p. 106.
67 Voir Recherches sur la chanson de geste, p. xxxi.
68 Voir Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 65-66 et L.-F. Flutre, « Dieudonné de Hongrie, chanson de geste du xive siècle (alias Roman de Charles le Chauve) », Zeitschrift für Romanische Philologie, 68, 1951, p. 399-400. Ces termes techniques peuvent être parfois mal compris par le copiste au siècle suivant. Le mot volequin, qui désigne une sorte de tunique, devient ainsi valepin ou vallequin dans La Belle Hélène.
69 Voir Flutre, « Dieudonné de Hongrie », p. 400 ; Bossuat, « Charles le Chauve », p. 199 opte pour le « dernier quart du xive siècle » ; D. Collomp, Dieudonné de Hongrie (dit le Roman de Charles le Chauve), édition critique des fol. 49 à 87, thèse de 3e cycle, Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille i, 1986, p. 50, pour les années 1360-1365.
70 Ciperis de Vignevaux, éd. W.S. Woods, Chapel Hill, University of North Carolina, 1949, p. 6.
71 Florent et Octavien, chanson de geste du xive siècle, éd. N. Laborderie, Paris, Champion, 1991, p. iii.
72 Baudouin de Sebourc, éd. L.S. Crist et R.F. Cook, Paris, SATF, 2002, p. xvii.
73 Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 75.
74 Les Épopées françaises, t. 2, p. 403.
75 Brun de la Montaigne, roman d’aventure, éd. P. Meyer, Paris, SATF, 1875, p. xiv.
76 Voir notamment T. Matsumura, « Sur le vocabulaire d’Ami et Amile en alexandrins », Revue de linguistique romane, 56, 1992, p. 475-493 ; « Les régionalismes dans Jourdain de Blaye », Revue de linguistique romane, 62, 1998, p. 129-166.
77 « Dieudonné de Hongrie », p. 398.
78 La Chanson de geste. Essai sur l’art épique des jongleurs, Genève-Lille, Droz-Giard, 1955, p. 126.
79 Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 145.
80 Les Épopées françaises, t. 2, p. 469.
81 Gautier, Les Épopées françaises, t. 2, p. 467.
82 U. Eco, De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1993, rééd. Paris, Librairie générale française, 1995, p. 87-88 [éd. originale : Il Superuomo di massa, Milan, Fabbri & Bompiani, 1978].
83 Tristan de Nanteuil, p. 299-300.
84 « The widely held idea that laisse lenght gradually increased from older to younger works does not prove to be entirely accurate » ; voir « Initials and Laisse Division in Two Later Epics : Aiol and Parise la Duchesse », Olifant, 12, 1987, p. 3-27, ici, p. 21-22.
85 Voir Fr. Suard, « La fonction des proverbes dans les chansons de geste des xive et xve siècles », Richesses du Proverbe, éd. Fr. Suard et Cl. Buridant, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1984, t. 1, Le Proverbe au Moyen Âge, p. 132-144, repris dans Fr. Suard, Chanson de geste et tradition épique en France au Moyen Age, Caen, Paradigme, 1994, p. 271-284.
86 Les Épopées françaises, t. 2, p. 470.
87 Voir « Les proverbes dans Jourdain de Blaye en alexandrins », Travaux de linguistique et de philologie, 37, 1999, p. 171-215.
88 La Chanson de geste, p. 74.
89 J. Thomas, L’Épisode ardennais de « Renaut de Montauban », édition synoptique des versions rimées, Bruges, De Tempel, 1962, t. 1, p. 47, cité par Renaut de Montauban, éd. Verelst, p. 47.
90 Voir Chroniques relatives à l’histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne, éd. Kervin de Lettenhove, Bruxelles, 1873, vol. 2, p. 259-572.
91 « À propos du style formulaire dans les chansons de geste : définitions et propositions », Lez Valenciennes, 11, 1986, p. 133-145, ici p. 144, cité par Boutet, La Chanson de geste, p. 74.
92 Un énoncé rappelant les exordes épiques figure au début du manuscrit Paris, BnF, fr. 340 (début du xve siècle), qui contient une version de la compilation de Rusticien de Pise connue sous le nom de Roman du roi Artus : « Seigneurs, empereurs et princes et ducs et contes et barons et chevaliers et vavasseurs et bourgois et tous les preudommes de cestui monde qui avez talent de vous deliter en rommans, si prenez cestui et le faites lire de chief en chief, si orrez toutes les grans aventures qui advindrent entre les chevaliers errans du temps au roy Uterpandragon jusques au temps au roy Artus son fils et des compaignons de la Table Ronde […] ». Est-ce l’appel à la lecture publique qui explique cette convergence ?
93 On notera de malencontreux et improbables lapsus dans l’éd. Laborderie, p. vi-vii : le manuscrit B de Florent et Octavien est le ms. Paris, BnF, fr. 12564 (et non 12584) ; le ms. C est le Paris, BnF, fr. 24384 (et non 24394).
94 Voir K. Togeby, Ogier le Danois dans les littératures européennes, Munksgaard, 1969, p. 134-155 ; E. Poulain-Gautret, La Tradition littéraire d’Ogier le Danois. Permanence et renouvellement du genre épique médiéval, Paris, Champion, 2005 ; Suard, Guide, p. 298-300.
95 Le manuscrit renferme Lion de Bourges (fol. 1 à 183r), Huon de Bordeaux (fol. 184 à 247) et sa suite (fol. 248-253). Cette suite est éditée par H. Schäfer (voir annexe : Huon de Bordeaux). Comme la version de Huon contenue dans ce manuscrit, mais sur une plus courte distance (deux vers), elle présente la particularité de commencer par deux alexandrins avant de se poursuivre en décasyllabes : « Oiez, signour, oiez, que Dié vous soit amis, / Li glorieux Jhesu qui en le croix fut mis ! / Oÿt avés de l’anffan Huelin / Comment il fuit fors de France banis, / Comment allait a l’amiral Gaudisse […] ».
96 H. Schäfer, Über die Pariser Hss. 1451 und 22555 der Huon de Bordeaux-Sage. Beziehung der HS 1451 zu Chanson de Croissant ; die Chanson de Huon et Calisse ; die Chanson de Huon, roi de Féerie, Marburg, 1892, p. 33 ; manuscrit Paris, BnF, fr. 1451, fol. 225r, 14-20.
97 T. Städtler, « Deux fragments d’une chanson de geste perdue, la Chanson de Croissant », Romania, 125, 2007, p. 213-228.
98 Sur cet épisode, voir M. Ott, « Femmes et duels judiciaires : Ogier le Danois et l’épouse du roi de Pavie », Les Relations entre les hommes et les femmes dans la chanson de geste, éd. C. Füg-Pierreville, Lyon, Université Jean Moulin-Lyon 3, 2013, p. 191-206.
99 Passage cité par Gautier, Les Épopées françaises, t. 2, p. 450.
100 R double la version de D (Oxford Bodl. Douce 121) et augmente d’un tiers la version de L (Paris, BnF, fr. 24387) – voir Renaut de Montauban, éd. Verelst, p. 30. Le manuscrit B (Londres, British Museum, Royal 16 G ii) conserve également des fragments de cette version remaniée (mais remonte à un autre modèle que R).
101 Pour une présentation concise et claire de la tradition rinaldienne, voir S. Baudelle-Michels, « La fortune de Renaut de Montauban », Cahiers de recherches médiévales, 12, 2005, p. 103-114 ; voir aussi, du même auteur, Les Avatars d’une chanson de geste. De « Renaut de Montauban » aux « Quatre fils Aymon », Paris, Champion, 2006.
102 « Les nouvelles aventures d’Ami et Amile au xve siècle », Façonner son personnage au Moyen Âge, éd. Ch. Connochie-Bourgne, Aix-en-Provence, Senefiance, 53, 2007, p. 223-232, ici p. 224. Voir Suard, Guide, p. 293-295.
103 Suard, Guide, p. 295.
104 Voir Jourdain de Blaye, éd. Matsumura, p. xxxv.
105 La formule est de Suard, « L’originalité des épopées tardives », p. 39, n. 7, qui emploie aussi l’expression « roman / chanson de geste » (Guide, p. 273). Jouant sur l’équivoque, le début du « romanz de Othevien empereor de Rome » justifie cette formulation : « Seigneor preudon, or escoutés / Qui les bones chançons amés, / D’une tant bone oïr porrés, / Ja de meilleor dire n’orrés […] » (Octavian, éd. K. Vollmöller, Heilbronn, 1883, v. 1-4)
106 Pour une comparaison très détaillée entre les deux textes, voir Florent et Octavien, éd. Laborderie, p. cxxxvii-clxi.
107 Sur tous ces points, voir J. Horrent, La Chanson de Roland dans les littératures française et espagnole au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 1951, p. 377-412 ; Galiens li Restorés, Le « Galien » de Cheltenham, éd. D.M. Dougherty et E.B. Barnes, Amsterdam, John Benjamins, 1981, p. xi-xiii.
108 Voir Fr. Suard, « Le Chevalier au Cygne et Godefroy de Bouillon. Une écriture épico-romanesque », Croisades ? Approches littéraires, historiques et philologiques, éd. J.-Ch. Herbin et M.-G. Grossel, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 2009, p. 211-227 ; Guide, p. 285-286.
109 Dans le manuscrit de Bruxelles, édité par Reiffenberg. Selon R.F. Cook et L.S. Crist, Le Deuxième Cycle de la croisade, Genève, Droz, 1972, p. 27, le manuscrit Lyon, Bibliothèque municipale, 744 fournirait un texte meilleur et plus ancien. Une édition critique de cette chanson, que Fr. Suard appelait de ses vœux en 2009 (« Le Chevalier au Cygne », p. 227), s’avérerait donc fort utile.
110 Le Bâtard de Bouillon, éd. R.F. Cook, Genève, Droz, 1972, p. xxviii.
111 Voir I. Weill, « Un “résumé” et une “suite” d’Auberi le Bourgoin dans le Charlemagne de Girart d’Amiens », Palimpsestes épiques, éd. D. Boutet et C. Esmein-Sarrazin, Paris, PUPS, 2006, p. 115-127.
112 Voir G. Paris « Mainet, fragments d’une chanson de geste du xiie siècle », Romania, 4, 1875, p. 303-337 ; Ch. Samaran, « Lectures sous les rayons ultraviolets », Romania, 53, 1927, p. 291-297. Pour un examen très minutieux des relations entre les deux œuvres, voir J. Horrent, Les Versions françaises et étrangères des Enfances de Charlemagne, Bruxelles, 1979, p. 52-68.
113 Voir sur ce point Le Myreur, éd. Bormans, p. xxii-xxvii.
114 D. Boutet, « La récriture de Jehan de Lanson par Jean d’Outremeuse », Chanter de geste. L’art épique et son rayonnement. Hommage à Jean-Claude Vallecalle, éd. M. Possamaï-Perez et J.-R. Valette, Paris, Champion, 2013, p. 51-65.
115 Georges, Tristan de Nanteuil, p. 27.
116 Voir R. Bossuat, « La chanson de Hugues Capet », Romania, 71, 1950, p. 450-481. Voir aussi A. Gier, « Hugues Capet, le poème de l’harmonie sociale », Essor et fortune, p. 69-75, et, plus généralement, M. Heintze, « Les chansons de geste tardives et la réalité historique », Actes du xie congrès international de la Société Rencesvals, Barcelone, Real Academia de Buenas Letras, 1990, p. 331-341.
117 Florent et Octavien, éd. Laborderie, p. cxxiii.
118 Voir Collomp, Dieudonné, p. 25.
119 Il reste 7895 alexandrins du poème. Tout le début du texte manque et d’autres lacunes sont patentes au fil du récit. Au xvie siècle, Claude Fauchet a eu entre les mains un autre manuscrit du poème dont il a recopié quelques fragments, reproduits par J. G. Espiner-Scott, Documents concernant la vie et l’œuvre de Claude Fauchet, Paris, 1938, p. 252-261.
120 Voir Un mito alla corte di Borgogna. « Ciperis de Vignevaux » in prosa, éd. L. Ramello, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2012.
121 « Ainsi le prince mérovingien, jusque-là presque dédaigné par les poètes, devient, vers le milieu du xive siècle, le héros d’un véritable cycle » (Bossuat, « Theséus de Cologne », p. 313). Voir aussi, du même auteur, « Le roi Dagobert héros de romans du Moyen Âge », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 108, 1964, p. 361-367.
122 Histoire poétique de Charlemagne, p. 313.
123 « En guise de conclusion : que peut-on entendre par cycle de Doon de Mayence ? », La Geste de Doon de Mayence dans ses manuscrits et dans ses versions, éd. D. Boutet, Paris, Champion, 2014, p. 255-272, ici p. 268.
124 Fictions transfuges, Paris, Seuil, 2011, p. 7.
125 Lion de Bourges, éd. W.W. Kibler, J. L. G. Picherit et Th. S. Fenster, Genève, Droz, 1980, p. lxxv.
126 Rapide résumé du début de la chanson d’Anseïs de Carthage aux v. 30105-30141 de Lion de Bourges.
127 Guide, p. 296.
128 Suard, Guide, p. 263. Divers indices (notamment Aymeri de Narbonne, v. 4589-4602) laissent penser qu’il a existé au moins une chanson, aujourd’hui perdue, consacrée à Aÿmer. L’existence d’un fils d’Aÿmer, nommé Drogues/Drogon est confirmée par Albéric de Trois-Fontaines, qui le nomme Rogon (« Aimerum captivum, patrem Rogonis Venetiani », Mon. Germ. Hist. Script., 23, 1874, p. 716, année 779).
129 Voir D. Boutet, « Au carrefour des cycles épiques : la chanson de Doon de Mayence », « Plaist vos oïr bone cançon vallant », p. 101-109.
130 La Chanson de Jérusalem, éd. N.R. Thorp, The Old French Crusade Cycle, 6, Tuscaloosa and London, The University of Alabama Press, 1992, v. 4744-4751.
131 Sur le rôle de cette « matière de la croisade », voir Fr. Suard, « Chanson de geste traditionnelle et épopée de croisade », Au carrefour des routes d’Europe : la chanson de geste, p. 1033-1055.
132 « ainsi qu’en aultre hystoire trouver on le pourra » (Ciperis, éd. Woods, v. 5955) ; « ensi qu’avez oyr en ung aultre romant » (Lion de Bourges, v. 14562) ; « ainsy con vous dira/le livre de Croissant, qui le vous chantera » (Huon de Bordeaux, Paris, BnF, fr. 1451, fol. 225v, l. 2-3).
133 « Se me volés oïr, je vous cuit desrengnier/jusqu’au biau roy Phylippe, de Franche l’eritier, / voire jusqu’aujourd’hui, s’en avés desirier. » (Baudouin de Sebourc, v. 21439-21441) ; « jusqu’au biau roy Phylippe » (Bâtard de Bouillon, éd. Cook, v. 6539) ; « jusqu’au temps saint Loÿs » (CCGB, v. 26328).
134 Voir I. Szabics, « “Chanson d’aventures” ou “chanson de mésaventures” : Florence de Rome », Studia Romanica de Debrecen. Series Litteraria, 23, 2000, Études de littérature médiévale. Recherches actuelles en Hongrie, éd. K. Halász, p. 157-172.
135 « Oncques mais dame n’ot tant de destrusïon / D’anoy ne de grevanche, de tribulatïon […] » (Belle Hélène, v. 9-10).
136 « L’accueil aux voyageurs d’après quelques chansons de geste des xiie et xiiie siècles », Senefiance, 2, 1976, p. 381-394, ici p. 388.
137 « Chanson de geste traditionnelle », p. 1034.
138 « Theséus de Cologne », p. 102, n. 12.
139 « Quelques remarques sur l’intégration des contes populaires aux chansons de geste françaises », Revista Barbante, 12, 2014, Poesia épica e expressões afins, p. 121-139, ici p. 134. Voir aussi, du même auteur, « La famille séparée d’Orson de Beauvais », PRIS-MA, 12, 1996, p. 203-220, et l’introduction à l’édition d’Orson de Beauvais, chanson de geste du xiie siècle, Paris, Champion, 2002.
140 Voir sur ce point R. Trachsler, Disjointures-Conjointures. Étude sur l’interférence des matières narratives dans la littérature française du Moyen Âge, Tübingen-Basel, Francke, 2000.
141 CCGB 6, 32505, Bâtard de B. 2655, Baudouin de S. 4045, 7920, 16629, 17582, 19536, Théséus 1058, Enfances Garin 1484, Jourdain de B. 15601, Florent et O. 3, 6066, Florence de R. 53, Belle Hélène 1957… Sur cette « devise », voir M. Stanesco, « D’armes et d’amours, la fortune d’une devise médiévale », Travaux de littérature publiés par l’ADIREL, 2, 1989, p. 37-54.
142 Voir éd. Rosenthal (ms. P, fol. 341b) ; Bossuat, « Theséus de Cologne », p. 551-553 ; voir aussi éd. Rosenthal (P, fol. 90b, p. 399) et éd. Bacquin, v. 3514-3522.
143 Éd. A. Giacchetti, Rouen, PUR, 1989, p. 489.
144 « C’est de sains et saintes » (Belle Hélène v. 3, Tristan de Nanteuil, v. 14881, 15773) ; « Huymés orés istore que est de grant regnon / De saintes et de sains […] » (Belle Hélène, v. 7709) ; « Or entendés chansson ou moult de beaulx mos a / Car de sains et de saintes mains miracles y a » (Tristan de Nanteuil, v. 13702) ; « De saintes et de sains est ma chanson furnie, / Et d’armes et d’amours et de chevalerie » (Baudouin de Sebourc, v. 4042).
145 Jeu de mots sur le nom saint Brendan, dont l’auteur de Baudouin de Sebourc connaît et exploite les aventures maritimes. Brandon est ici le nom de baptême adopté par un roi païen converti (Polibant), dont on peut lire la vie à l’abbaye Saint-Amand de Bruges, « une abbaye flamande qui n’a jamais existé » (Labande, Étude sur Baudouin de Sebourc, p. 68).
146 Voir R. F. Cook, « Baudouin de Sebourc : un poème édifiant ? », Olifant, 14/2, 1989, p. 115-135 ; P. Leverage, « The Reception of the Chansons de Geste », Olifant, 25/1-2, 2008, Acts of the Seventeenth International Congress of the Société Rencesvals, p. 299-312.
147 « Otant vaut a oïr com sermon au moustier » (Baudouin de Sebourc, v. 4923) ; « On la pourroit moult bien ou moustier preescher » (Tristan de Nanteuil, v. 15775) ; « Elle doit de tous cuers iestre bien escoutee / Oussy bien c’un siermons en le messe sacree » (CCGB, v. 12693-12694) ; déjà dans Les Chétifs : « Segnor, or escoutés glorieuse cancon / […] Molt est bone a entendre, car mius valt de sermon » (éd. G.M. Myers, The Old French Crusade Cycle, Alabama, 1981, vol. 5, v. 2473-2476).
148 Voir Page, « Johannes de Grocheio », p. 22 ; voir aussi, du même auteur, The Owl and the Nightingale. Musical Life in France 1100-1300, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1990, notamment p. 30-33, 69-73 et 176-179.
149 Voir la thèse, non encore publiée, de J. Cayer, Heroic Uncertainties : Representations of the Hero in the French Epic of Later Middle Age, thèse de doctorat, Université de Yale, 2012. Merci à J. Cayer de m’avoir aimablement communiqué son travail.
150 Voir J.-P. Martin, « Ganelon en famille ou mauvais sang ne saurait mentir », Les Représentations de la trahison dans l’imaginaire des lettres européennes et des cultures occidendales, éd. J.-J. Pollet et J. Sys, Arras, Artois Presses Université, 2007, p. 57-71 ; J. Subrenat, « Du crime individuel au complot permanent. Ganelon et son lignage », Le Crime de l’ombre. Complots, conspirations et conjurations au Moyen Âge, éd. C. Leveleux-Teixeira et B. Ribémont, Paris, Klincksieck, 2010, p. 203-224.
151 Voir D. Kullmann, « Der entartete Sohn – Problematisierungen von Familienbeziehungen und sozialem Status in französischen Epen des 14. Jahrhunderts », Verwandtschaft, Freundschaft, Bruderschaft. Soziale Lebens-und Kommunikationsformen im Mittelalter, éd. G. Krieger, Berlin, Akademie Verlag, 2009, p. 408-426. Les observations de C. F. Clamote Carreto sur Tristan de Nanteuil (« Contez vous qui savez de nombre… » Imaginaire marchand et économie du récit au Moyen Âge, Paris, Champion, 2004, p. 34) valent pour toutes ces chansons.
152 Les Épopées françaises. t. 2, p. 531.
153 Les Épopées françaises, t. 2, p. 533.
154 Voir Heroic Uncertainties, le chapitre : « The Peculiar Case of the Bastard : Half-Way House to Glory », p. 67-95, ici p. 68.
155 « L’originalité des épopées tardives », p. 50.
156 Ce changement de sexe a suscité de nombreuses études, relevant, pour beaucoup d’entre elles, du domaine des gender studies : F. Canadé Sautman, « What Can They Possibly Do Together ? Queer Epic Performances in Tristan de Nanteuil », Same Sex Love and Desire Among Women in the Middle Ages, éd. F. Canadé Sautman et P. Sheingorn, New York, Palgrave, 2001, p. 199-231 ; Georges, Tristan de Nanteuil, p. 545-609 ; A.K. Campbell, « Acting Like a Man : Performing Gender in Tristan de Nanteuil », Cultural Performances in Medieval France : Essays in Honour of Nancy Freeman Ragalado, éd. E. Doss-Quinby, R. Krueger et J. Burns, Cambridge, Brewer, 2007, p. 79-89 ; P. Leverage, « Sex and the Sacraments in Tristan de Nanteuil », Sexuality in the Middle Ages and Early Modern Times. New Approaches to a Fundamental Cultural-Historical and Literary-Anthropological Theme, éd. A. Classen, Berlin, De Gruyter, 2008, p. 517-533 ; Cayer, Heroic Uncertainties, p. 207-243.
157 Voir W. Van Emdem, « Le chef-d’œuvre épique », L’Épopée romane. Actes du xve congrès international Rencesvals, t. 1, p. 395-412.
158 Voir « Le caractère oral de la chanson de geste tardive », Langue et littérature françaises du Moyen Âge, éd. R. E. V. Stuip, Assen, Van Gorcum, 1978, p. 25-38.
159 Texte cité par R.F. Cook (R.F. Cook et L.S. Crist, Le Deuxième cycle de la croisade, Genève, Droz, 1972, p. 26). Au vers 4, nous transcrivons l’a chanté là où l’auteur note la chantë. Le même tandem, « celui qui chanté le vous a » et « cilx qui l’a escript », figure à la fin du remaniement de Huon de Bordeaux (Paris, BnF, fr. 1451, fol. 225v 8-13).
160 « C’est par fragments qu’on les débitait souvent. […] Un auteur de chanson de geste savait […] que son œuvre, en certaines occasions du moins, parviendrait au public sous forme de “morceaux choisis” » (Les Légendes épiques, 2e éd., I, Le Cycle de Guillaume d’Orange, Paris, Champion, 1914, p. 335).
161 « Ne raconter que le milieu d’une histoire n’est ni légitime ni raisonnable. Les chanteurs agissent ainsi pour être mieux rétribués : ils bâclent un récit et, pour avoir la réputation de connaître un vaste répertoire, disent qu’ils chantent sur la musique ; mais ils n’y connaissent rien et ce qu’ils vous chantent ainsi présomptueusement n’est qu’invention de leur part, sans rime ni raison. »
162 « Par mainte fois vous ont chant[é] ce jonghelour / des grans fais d’outre mer ou il ot maint estour ; / on vous en dit des branches, mais on laisse la flour » (Baudouin de Sebourc, v. 16625-16627).
163 L’auteur de La Guerra d’Attila se nomme également à diverses reprises au cours de son long poème (« dont Nicolais ais non / Da Chasoil il Lomgbars, et ais ma maison/En Boloigne deserte, ou fu ma nasion », I, v. 49-51).
164 Voir O. Delsaux, « Qu’est-ce qu’un escripvain au Moyen Âge ? Étude d’un polysème », Romania, 132, 2014, p. 11-158.
165 Exceptionnellement, on ne dispose ici que de l’initiale du prénom.
166 Voir Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de la ville d’Arras [par Z.-F. Caron], Arras, 1860, notice du ms. 704 ; le Catalogue général des manuscrits de bibliothèques publiques des départements, t. 4, Arras, Avranches, Boulogne, Paris, 1872 (qui s’appuie sur un inventaire fait par J. Quicherat en 1841) lit Henry Ryer.
167 Voir A.-G. Krüger, « Les manuscrits de la chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroi de Bouillon », Romania, 28, 1899, p. 421-426. On apprend que Pierre de Coudren est natif de Laon, qu’il a travaillé à la demande de Léonard de Saint-Priest, seigneur de Saint-Chamond et qu’il a terminé son travail en mars 1469, à l’époque où « on ne mainge point ne char ne venoison », neuf jours avant les Brandons.
168 Voir sur ces questions Cl. Roussel, « Les dernières chansons de geste et leur public », « Plaist vos oïr bone cançon vallant ? », p. 809-820.
169 Voir M. Rousse, « Le dénombrement du fief de la jonglerie à Beauvais », La Scène et les tréteaux. Le théâtre de la farce au Moyen Âge, Orléans, Paradigme, 2004, p. 197-206, ici p. 198.
170 On pense immédiatement à un aide-mémoire contenant le texte à réciter ou à chanter (voir ci-dessus Hugues Capet ou Baudouin de Sebourc), mais Michel Rousse fait observer que ce livre pourrait être aussi « un recueil d’illustrations que le jongleur montre et commente par la chanson qu’il récite, comme on en trouve l’usage en Espagne jusqu’au xixe siècle » (« Le dénombrement du fief de la jonglerie à Beauvais », p. 201).
171 Le texte cité est celui du ms. Paris, BnF, fr. 22533, 20e livre, fol. 374r (voir Gallica). Selon les mss, l’ouvrage comporte 19 ou 20 livres, le dernier livre du De proprietatibus rerum ayant été ou non partagé en deux : un livre 19 qui « parle des couleurs, odeurs, saveurs et liqueurs » et un livre 20 « qui traicte de la difference des nombres, mesures, poiz et sons ». Alors que l’instrument (ciphonie : « sorte de vielle ») semble encore prisé à la cour de Portugal, il est, à en croire Cuvelier, déconsidéré en France : « Ens ou païs de France et ou païs normant, / Ne vont telz instrumens fors qu’aveugles portant. /Ainsi vont li aveugles et li povre truant / De si faiz instrumens les bourgois estonnant ; / On l’appelle dela un instrument truant » (Chanson de Bertrand du Guesclin, v. 11045-11049). C’est encore aux aveugles que l’associe Eustache Deschamps : « Aveugles chiphonie aura » (Œuvres complètes, éd. le marquis de Queux de Saint-Hilaire, Paris, SATF, t. 6, 1889, ballade mclxxviii, « Du métier profitable », p. 127).
172 Jean Froissart, Chroniques, Livre I, Le manuscrit d’Amiens, éd. G.T. Diller, t. 2, Genève, Droz, 1992, p. 96 (§ 311 ; SHF, 138, R cxxx). En coordination avec jongleur, enchanteur a le sens de « chanteur, ménestrel » (voir DMF2015).
173 Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, XIV/O, Paris, 1781, p. 39 (à propos de Theséus de Cologne).
174 N. Belmont, Poétique du conte, Paris, Gallimard, 1999, p. 223.
175 « The perverse ingenuity of the authors of like fictions », The English Charlemagne Romances. The Boke of Duke Huon of Burdeux, done into English by Sir John Bourchier, Lord Berners and printed by Wynkyn de Worde about 1534 A.D, éd. S.L. Lee, Londres, Early English Text Society, 1882-1887, réimpr. en volume séparé : The Boke of Duke Huon of Burdeux…, éd. S.L. Lee, Woodbridge/Rochester (N.Y), Boydell & Brewer, 2002, p. xxxiii.
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Référence papier
Claude Roussel, « Introduction », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 35 | 2018, 13-74.
Référence électronique
Claude Roussel, « Introduction », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 35 | 2018, mis en ligne le 29 août 2021, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/15417 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.15417
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