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Varia

Un procès de magie en Gévaudan et ses enjeux politiques (1347)

Solène Baron
p. 385-417

Résumés

En 1347 s’ouvre à Mende le procès d’Étienne Pépin, franciscain défroqué. Il est accusé de l’envoûtement sur l’évêque Albert Lordet, exécuté à la demande de Guérin de Châteauneuf. Il s’agit d’un procès en magie, mais aussi d’un procès politique, à resituer dans le conflit opposant les barons locaux aux évêques de Mende, et dans le réseau d’alliance de Guérin, neveu du pape Clément VI.

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Texte intégral

  • 1 On entend par occulte ce qui échappe à la raison, ce qu’elle ne peut connaître en aucun cas. Chez R (...)
  • 2 Au xive siècle, les procès en magie comptent 107 femmes accusées pour 127 hommes, sans compter les (...)
  • 3 Le procès se présente sous la forme de deux petits registres, cotés G 936 et G 937 aux Archives dép (...)
  • 4 Albert Lordet a pour neveu Guillaume Lordet, qui lui succède comme évêque de Mende en 1362.

1Avant de prendre principalement les traits de la sorcière, l’occulte avait aussi le visage du nigromanticus, l’invocateur d’esprits1. Au xive siècle, les femmes ne représentent pas encore la majorité massive des accusés pour crime de sorcellerie2. En 1347, à Mende, un frère franciscain défroqué est condamné à quinze ans d’emprisonnement3. L’accusé, Étienne Pépin, est l’un de ces praticiens de la magie rituelle qui exclut les femmes. Il a procédé à l’envoûtement de l’évêque de Mende, Albert Lordet4. Néanmoins, il n’est que l’exécutant du sortilège, perpétré au moyen d’une figurine de cire (imago) et d’incantations. Le commanditaire du sort est le seigneur d’Apcher, Guérin de Châteauneuf, qui est l’un des huit barons du Gévaudan, et pas le moins puissant. Il avait eu, durant les années 1330, plusieurs démêlés judiciaires avec l’évêque. Selon l’accusé, l’opération magique avait pour but de réconcilier l’évêque et le seigneur, à la demande de ce dernier. L’official accuse en revanche le franciscain d’avoir attenté à la santé et à la vie de l’évêque.

  • 5 A. Provost, Domus diaboli. Un évêque en procès au temps de Philippe le Bel, Paris, Belin, 2010. Il (...)
  • 6 E. Albe, Autour de Jean XXII. Hugues Géraud évêque de Cahors ; l’affaire des poisons et des envoûte (...)
  • 7 J. Schatzmiller, Justice et injustice au début du xive siècle. L’enquête sur l’archevêque d’Aix et (...)
  • 8 Étudié par J.-L. Biget, « Autour de Bernard Délicieux. Franciscanisme et société en Languedoc entre (...)
  • 9 J.-P. Boudet et J. Théry, « Le procès de Jean XXII contre l’archevêque d’Aix Robert de Mauvoisin (1 (...)
  • 10 J. Chiffoleau, « Le procès comme mode de gouvernement », Le procès comme mode de gouvernement, 2007 (...)
  • 11 Dans le cas spécifique de l’astrologie « judiciaire », où l’astrologue se fait le juge des destinée (...)
  • 12 R. Kieckhefer, European Witch Trials. Their Foundations in Popular and Learned Culture, 1300-1500, (...)

2Ce procès de 1347 doit être situé dans le contexte trouble d’un siècle qui s’ouvre sur une série de procès d’ecclésiastiques, intentés par le pape ou le roi de France contre des prélats de premier ordre. On citera ainsi les affaires suivantes : en 1307, Clément V contre Bernard de Castanet, évêque d’Albi ; en 1308, Philippe IV le Bel contre Guichard, évêque de Troyes5 ; puis, en 1317-1318, Jean XXII contre Hugues Géraud, évêque de Cahors6, et contre Robert de Mauvoisin, archevêque d’Aix7. En 1319, le procès du franciscain Bernard Délicieux8, l’agitateur favorable aux franciscains spirituels du Midi, s’inscrit dans cette série d’affaires. Les études les plus récentes ne mettent pas uniquement en avant les enjeux politiques ; elles insistent aussi sur la dimension démonologique des accusations, comme l’article de Julien Théry et Jean-Patrice Boudet sur l’utilisation des arts prohibés dans le procès contre Robert de Mauvoisin9. Ces affaires sont le produit d’un profond changement dans les pratiques judiciaires, mais aussi une manifestation de la souveraineté, que ce soit celle du pape ou celle du roi10. Les articles d’accusation développés par la justice pontificale offrent une place considérable à la pratique des arts réprouvés par l’Église, tels que la nigromancie ou la divination11. L’affaire d’Étienne Pépin est jugée à la fin de l’année 1347, soit plusieurs décennies après cette série de procès. Richard Kieckhefer propose un découpage chronologique de la répartition des affaires de sorcellerie et de magie au cours des xive et xve siècles12. Il signale une raréfaction des procès de ce type sur la période allant de 1330 à 1375. Les pontificats de Jean XXII et de Benoît XII sont marqués par un grand zèle en matière de poursuites judiciaires. Mais sous Clément VI, un certain désintérêt semble gagner la papauté. Notre affaire se situe donc en aval des grands procès en magie du début du siècle et, qui plus est, elle éclate lors d’une période qui semble moins marquée par la répression de la magie.

  • 13 A. Boureau, Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320, Rome, EFR, (...)
  • 14 Bullarum privilegiorum ac diplomaticum Romanorum Pontificum, amplissima collectio, éd. C. Cocquelin (...)
  • 15 Les différents manuels à l’usage des inquisiteurs, comme le Manuel de l’inquisiteur de Bernard Gui, (...)

3Le procès d’Étienne Pépin doit cependant être étudié à travers le prisme du pontificat de Jean XXII, bien qu’il soit antérieur à l’affaire d’une quarantaine d’années. Ce règne est marqué par un intérêt et une inquiétude de plus en plus perceptibles face aux pratiques magiques. La papauté fait preuve d’une fermeté croissante envers ceux qui s’adonnent aux « arts interdits ». En 1320, Jean XXII consulte dix ecclésiastiques de haut rang afin de répondre notamment à la question suivante : ceux qui baptisent des images sont-ils coupables d’hérésie ? Oui, ils le sont et doivent être jugés comme tels, tranchent les experts13. Quelques années plus tard, Jean XXII aurait fulminé la bulle Super illius specula, dont la portée et l’authenticité même sont l’objet de débats historiographiques. Elle aurait été écrite vers 1326 et constituerait une condamnation inédite des praticiens de la magie14. Cependant, la proportion de procès ayant été menés par l’Inquisition, comme le sont toutes les affaires d’hérésie, reste faible, et ce jusqu’à ce que commence la chasse aux sorcières, au début du xve siècle. La politique de Jean XXII concernant la magie n’aurait-elle pas eu de postérité15 ?

4On en vient alors à la procédure en elle-même. Elle est de type inquisitoire : l’instruction semble avoir été déclenchée par la juridiction de l’évêque, en vertu de son droit d’auto-saisine, et en raison de la mauvaise fama du frère défroqué. Pépin est interrogé à plusieurs reprises, il est soumis à la torture. Confier l’affaire à un tribunal spirituel, certes, mais non inquisitorial, c’est apparemment dissocier la nigromancie de l’hérésie. Le procès est assez imprécis sur la question : jamais Pépin n’est qualifié d’hérétique. Cependant, le terme heresis apparaît au moment de l’annonce de la sentence. Cette accusation arrive in extremis. Le caractère hérétique du crime est peu mis en avant, sans doute avant tout pour des raisons politiques. Aux yeux de l’évêque de Mende, il s’agit plus de juger et de condamner celui qui a tenté de l’assassiner. L’affaire semble avoir été considérée dès le départ sous un angle politique plus qu’elle n’a été envisagée comme un crime envers l’Église.

  • 16 E. Falgairolle, Un envoûtement en Gévaudan, en l’année 1347, Nîmes, Catélan, 1892.
  • 17 D. Fabrié, « Un procès de sorcellerie à Mende au xive siècle », Espaces religieux et communautés mé (...)

5La source a été étudiée à la fin du xixe siècle par un érudit du nom d’Edmond Falgairolle : son travail a permis une première édition du texte16. En ce qui concerne l’analyse, le très bref article de Dominique Fabrié a lancé des pistes intéressantes, en particulier à propos des antécédents judiciaires du seigneur d’Apcher dans sa lutte contre l’évêque17. En revanche, la matière « occulte », très riche dans ce procès, a été soit négligée, soit insuffisamment étudiée.

6Il ne faut cependant pas perdre de vue l’idée que la magie n’est qu’un modus operandi, elle ne constitue pas le chef d’accusation principal. Le frère défroqué est accusé d’envoûtement, et plus précisément de tentative de meurtre ou d’atteinte à l’intégrité physique de l’évêque de Mende. C’est le crime contre l’évêque que l’official souhaite juger. Celui-ci a des racines profondes, liées au contexte de renforcement de l’État et d’affaiblissement de la noblesse au profit de l’autorité royale. Le paréage est au cœur de cette politique royale du début du xive siècle, mais la noblesse locale résiste, et lutte plus particulièrement contre l’évêque dont elle dénonce les abus de pouvoir. Guérin de Châteauneuf est un des chefs de file de cette noblesse contestataire, outragée dans sa fière indépendance. La contestation passe par la voie légale, mais aussi par la voie criminelle : au moment de l’envoûtement, Guérin n’en est pas à son coup d’essai en matière d’actes violents contre l’évêque.

Nigromancie, divination, alchimie

Un aperçu de la pratique des « scientiae prohibitae » à travers le parcours d’Étienne Pépin

Un nigromancien franciscain

  • 18 « Scientiae prohibitae » est l’expression récurrente employée dans le procès d’Étienne Pépin.

7La carrière de l’accusé et sa formation aux sciences magiques sont largement évoquées au cours des interrogatoires. Pépin admet avoir effectué des recherches sur la pierre philosophale, il se présente même davantage comme un alchimiste que comme un adepte de la magie. L’appartenance à un ordre religieux peut sembler entrer en contradiction avec la pratique de la magie ; pourtant les ouvrages de nigromancie sont imprégnés de rituels propres au culte chrétien. A contrario, la magie repose en grande partie sur l’invocation de démons (appelés « anges » par Étienne Pépin), qui sont supposés se plier à la volonté de celui qui les appelle. Le versant démoniaque de la magie constitue le fondement des accusations dont Pépin fait l’objet : dans les chefs d’inculpation, il est présenté comme un invocateur de démons, un adepte et un expert des sciences interdites, qui a mis son savoir au profit de l’ennemi de l’évêque de Mende18.

  • 19 P. Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos, vicomte de Roda et de Perellos (v. 1350-apr. 14 (...)
  • 20 J. R. Veenstra, « Honorius and the Sigil of God : The Liber iuratus in Berengario Ganell’s Summa sa (...)
  • 21 Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos », p. 220. En outre, les archives départementales d (...)
  • 22 D. Gehr, « “Spiritus et angeli sunt a Deo submissi sapienti et puro” : il frammento del Magisterium (...)

8Pépin est un lettré, un esprit cultivé dont l’origine sociale n’est sans doute pas à chercher parmi les couches les plus modestes. Selon ses déclarations, l’accusé n’aurait fait qu’un bref passage au couvent de Silvinhiacum, dans le diocèse de Clermont : une année seulement, au bout de laquelle il reçoit les ordres mineurs et majeurs. Il y devient prêtre, il est donc en droit de célébrer la messe, et de procéder aux sacrements majeurs de l’Église, tels que l’eucharistie ou le baptême, ce qui n’est pas sans importance dans la pratique de la nigromancie. Le basculement vers l’étude de la magie semble se faire rapidement, puisqu’immédiatement après son départ du couvent, il commence à collaborer avec Théodoric Barbancié, présenté comme un expert en science de la pierre philosophale, dont il devient le disciple. C’est Barbancié qui lui apprend l’existence de ce traité intitulé Liber juratus, qu’il ne possède pas cependant. Cet ouvrage de magie angélique joue un rôle important dans la formation de Pépin comme dans le procès : Pépin parcourt tout le midi de la France afin de se le procurer. C’est aussi en ayant recours à ce livre qu’il procède à l’envoûtement de l’évêque. La quête du Liber juratus l’aurait mené jusqu’en Espagne, en des lieux fameux de la culture scientifique et magique. Il dit avoir séjourné à Tolède et à Cordoue, où, faute de trouver l’ouvrage qui l’intéressait, il enrichit sa bibliothèque de volumes d’Averroès et de Sénèque, ainsi que d’« un livre du roi Alphonse où l’on apprend comment faire des images ». Puis, installé à Langeac, il y fait la connaissance de Guérin de Châteauneuf, seigneur du lieu, qui l’invite à Perpignan, siège de la cour royale de Majorque où il exerce la fonction de chambellan19. Le roi Jacques III de Majorque est lui-même féru d’alchimie, d’où la facilité avec laquelle Pépin est introduit auprès de lui. C’est en terre majorquine que le franciscain entre en possession du livre, au château de Tresserre, près de Perpignan. À cette même occasion, il rencontre son second maître, Bérenger Ganell, auteur de la Summa sacre magice, ouvrage qui puise son inspiration dans le Liber juratus20. Ganell a probablement été au service de Jacques III de Majorque. La rencontre avec Guérin de Châteauneuf a ainsi été décisive. Les éléments concernant la vie personnelle de Bérenger Ganell sont très maigres ; on sait néanmoins qu’il est d’origine catalane et que sa Somme de la magie sacrée a été rédigée en 1346. Pierre Ponsich signale un fait significatif : le château de Tresserre, où a eu lieu la rencontre de Pépin avec Bérenger Ganell, appartenait au roi de Majorque21. Par ailleurs, Pépin rencontre Jacques III à Perpignan, en 1343. Cependant, par la suite, le frère défroqué raconte qu’il séjourne systématiquement à Montpellier. Or, c’est aussi à Montpellier que s’est réfugié Jacques de Majorque car, à partir de 1344, le souverain est privé de la partie insulaire de son royaume, ainsi que de nombreuses terres catalanes. Ganell l’a probablement suivi à Montpellier. Le maître en magie ayant composé son œuvre majeure en 1346, celle-ci n’a pu paraître qu’à Montpellier, et non à Perpignan comme l’indique Damaris Gehr22.

  • 23 A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris, Payot et Rivage, 2003, p. 291-29 (...)

9Pépin, en tant que religieux, incarne l’archétype de l’invocateur de démons. Le monde religieux fournit de nombreux adeptes des sciences dites « occultes » au Moyen Âge, des plus modestes clercs jusqu’au pape, à l’instar de Boniface VIII23. Pépin est aussi accusé d’être un mathematicus, c’est-à-dire un devin, voire un astrologue. Le frère défroqué pourrait être un représentant de cette sorte de spécialistes de la prospective. Autant la magie est devenue une pratique populaire, autant l’astrologie n’a pu faire des émules dans le peuple, du fait de sa grande complexité technique. La majorité des mathematici sont des clercs, rarement haut placés dans la hiérarchie ecclésiastique.

Les pouvoirs du nigromancien

  • 24 G. Hedegård, Liber iuratus Honorii. A Critical Edition of the Latin Version of the Sworn Book of Ho (...)
  • 25 R. Kieckhefer, Forbidden Rites. A Necromancer’s Manual of the Fifteenth Century, Stroud, Sutton Pub (...)
  • 26 Kieckhefer, Forbidden Rites, p. 181-182 et 309. Sur cet usage de la magie, voir J. Véronèse, « Les (...)

10L’objet magique par excellence dans ce procès est l’image de cire. C’est elle qui a permis le sortilège. Elle a été fabriquée au moyen de deux livres de cire blanche. Elle a la forme d’un homme habillé, avec des bras repliés le long du corps et des jambes. Sur le recto de la figurine sont inscrits le nom du père et de la mère de l’évêque, ainsi que les noms des anges qui dominaient au moment où l’image a été créée. Ils sont écrits en lettres latines, bien que les noms des anges soient hébraïques (ou semblent l’être) : l’accusé ne se souvient que d’un seul d’entre eux, Anoelh. Les anges qui dominent au moment d’un envoûtement relèvent d’une planète ; le sort ayant été réalisé un vendredi, jour de Vénus, il fallait donc que Pépin invoque l’esprit correspondant. C’est pourquoi il a inscrit le nom d’Anoelh, orthographié soit Hanahel soit Hanael dans les différentes versions du Liber juratus. Dans le second traité de cet ouvrage, l’auteur dresse une typologie des esprits : ils sont répartis en six catégories, les esprits de Jupiter, de Mars, du Soleil, de Vénus, de Mercure et de la Lune. À chaque groupe correspondent des fonctions spécifiques, des attributs moraux et physiques. Ainsi, les esprits de Vénus sont lascifs, associés au désir, au commerce avec les femmes24. On ne peut faire l’économie d’une comparaison avec un manuel de nigromancie, le manuscrit bavarois du xve siècle, étudié par Richard Kieckhefer dans Forbidden Rites25. Dans la section de ce manuel relative à la magie astrale, on associe un ange à chaque jour de la semaine. Anael est, comme dans le Liber juratus, celui du vendredi ; on invoque cet esprit angélique afin de susciter l’amitié entre des individus ou d’obtenir l’amour d’une femme, et pour cela, il est nécessaire de fabriquer une image de cire blanche. Or, selon la version de Pépin, l’envoûtement aurait eu pour but de réconcilier Guérin et l’évêque. Elle concorde donc bien avec ces éléments, et indiquerait que les accusations portées par l’official sont fausses. Qui plus est, Anael est associé à la deuxième heure de la journée et fabriquer une image en l’invoquant à ce moment est censé avoir pour effet de s’attirer la bienveillance de quelqu’un26.

Le Liber juratus

  • 27 Veenstra, « Honorius and the Sigil of God », p. 151-191.

11Cet ouvrage de magie, tant convoité par le franciscain défroqué, fait l’objet d’une description étonnamment détaillée. Les réponses de Pépin fournissent des informations précieuses sur les conditions d’élaboration, la transmission et la diffusion du livre. L’accusé précise que l’ouvrage qu’il a eu entre ses mains est en papier et fait la taille d’un psautier. Il ne reste que trois exemplaires principaux du Liber juratus, tous conservés à la British Library, dans la collection Sloane. Le premier, identifié comme le Sloane 3854 par Gösta Hedegård, contient, entre autres, la transcription complète du Liber. Le Sloane 313 constitue en revanche un manuscrit incomplet, auquel il manque trois folios. Les caractères employés, à savoir des cursives anglaises, ont permis au philologue suédois d’affirmer qu’il s’agit d’une version anglaise, et de dater le manuscrit de la seconde moitié du xive siècle. Il s’agit de l’exemplaire le plus ancien, après le ms. 3854. Enfin, le Sloane 3885 semble être une version « corrigée », écrite dans un latin plus classique, et bien postérieure aux deux autres, puisque Gösta Hedegård la date du xvie siècle. Les éléments de description fournis par l’accusé au cours du procès concordent avec les différents manuscrits dont on dispose : Pépin énumère avec exactitude les chapitres du livre et donne le contenu de son prologue. Bien que toutes les versions du Liber juratus soient conservées en Angleterre, rien ne permet d’en déduire qu’il a été rédigé outre-manche. Par ailleurs, la Summa sacre magice de Bérenger Ganell, le maître de Pépin, comporte des passages qui sont la reprise pure et simple du Liber juratus27. Les deux textes se réfèrent à Honorius, présenté comme l’auteur du livre.

  • 28 Hedegård, Liber iuratus Honorii, p. 60. Pour une traduction française du prologue, voir Boudet, « M (...)
  • 29 Interrogatus unde processit iste liber et quis eum condidit ; dixit quod quidam nominatus magister (...)
  • 30 Boudet, « Magie théurgique », p. 861.

12Comme Pépin l’explique dans l’interrogatoire, l’auteur de l’ouvrage serait en effet un certain Honorius de Thèbes, fils d’Euclide28. Les historiens s’accordent sur le caractère fictif de cet Honorius. Il est probable que le véritable auteur de l’ouvrage n’ait pas voulu révéler son identité, comme c’est très souvent le cas. Il se cache derrière des autorités pseudépigraphiques telles que Salomon, Hermès Trismégiste, Toz le Grec ou Germath le Babylonien. Ces autorités fictives et antiques sont présentées comme des références en matière de magie. Cependant, le procès de 1347 nous offre un indice considérable et inespéré sur l’identité de l’auteur et sur son origine géographique. Pépin déclare : « un certain maître Pradel rapporte dans son prologue que, autrefois, on le lisait dans quatre studia, c’est-à-dire à Athènes, Thèbes, Naples et Tolède29 ». Rien ne permet de dire que l’auteur du prologue est aussi celui du livre dans son ensemble. Mais cette mention aiguille vers l’hypothèse d’une origine française du Liber juratus. Pradellus, c’est-à-dire Pradel, est un nom d’origine occitane ; on dénombre, vers 1500, 223 individus porteurs de ce patronyme dans l’actuel département de l’Aveyron, soit plus de la moitié des Pradel du royaume à cette époque. De plus, comme le note Jean-Patrice Boudet, Pradels s’avère être le toponyme d’une localité aux marges du Gévaudan et de l’Auvergne, non loin de Langeac, l’épicentre de l’affaire30. Encore une fois, le Midi apparaît comme le lieu où prospère la culture magique. Après Théodoric Barbancié, après Ganell, le Catalan installé à Langeac, un nouvel expert méridional des arts magiques fait irruption. Mais d’où Pépin tient-il l’identité de l’auteur du prologue ? Les manuscrits anglais n’en font pas état et aucun Pradellus ou Pradel n’a laissé de trace dans le domaine de la nigromancie. Aucune source externe, autre que le procès lui-même, ne permet de confirmer ou d’infirmer les déclarations du frère défroqué.

  • 31 J.-P. Boudet et J. Véronèse, « Lier et délier : de Dieu à la sorcière », La légitimité implicite. A (...)
  • 32 Art. X : […] dictam ymaginam babtisando et exorcisando ; art. XIV : Item, pervenit quod dictus Step (...)
  • 33 Voir le problème soulevé par le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, da (...)
  • 34 Boudet et Véronèse, « Lier et délier », p. 109.
  • 35 Boudet et Véronèse, « Lier et délier », p. 111.
  • 36 Dans le premier traité du Liber Iuratus, le chapitre intitulé « De compositione sigilli Dei vivi et (...)

13Le Liber juratus constitue un ouvrage de magie rituelle. Le modus operandi repose avant tout sur des invocations et des prières. Le traité promet ainsi l’obtention de richesses matérielles mais aussi de bénéfices spirituels, à savoir la vision béatifique (c’est-à-dire la vision de Dieu) avant la mort. La procédure à suivre repose quasi exclusivement sur la prière et l’adoption d’un comportement ascétique. Cette dimension dévotionnelle est plus marquée dans les ouvrages de nigromancie de la fin du Moyen Âge, qui mettent l’accent sur les rituels d’invocation ou de purification assurant la réussite de l’opération magique31. Kieckhefer distingue la magie démoniaque (demonic magic) de la magie naturelle en ce que la première est imprégnée de religion (bien qu’elle soit « irreligieuse »), tandis que la seconde est compatible avec le dogme. C’est bel et bien de la première catégorie que relève le Liber juratus : les rituels de mortification qu’il préconise, la prière incessante lui confèrent une dimension religieuse et ont de quoi séduire les ecclésiastiques curieux, mais les nombreux éléments subversifs qu’il contient ne le rendent pas pour autant tolérable par l’Église. Hedegård le décrit comme un traité « relativement pieux, autant que peut l’être un livre de magie ». En effet, le rituel de purification auquel doit procéder le « magicien » repose sur des fondements chrétiens. La pénitence et la confession sont les étapes préliminaires pour toute opération. Les pratiques préconisées par le Liber, au même titre que celles que l’on trouve dans de nombreux ouvrages de magie, renvoient bien à celles d’un prêtre. Les articles d’accusation du procès évoquent plusieurs fois la réalisation d’un exorcisme32. La porosité entre pratiques d’exorcisme et pratiques magiques est plus perceptible dans d’autres ouvrages (par exemple, le Liber consecrationum) ; cette perméabilité pose problème, car il est quasi impossible de faire la distinction entre ce qui relève de la tradition canonique et ce qui fait partie de la tradition nigromantique33. Pépin admet avoir exorcisé l’image, bien qu’il ne reconnaisse pas l’avoir baptisée (set non babtisavit eam, tamen ipsam exorsisavit et etiam conjuravit, fol. 18r). L’exorcisme est une opération au cours de laquelle un clerc s’adresse aux démons et leur donne des ordres. Elle se fait donc à leurs dépens, contrairement à la conjuratio, qui consiste à invoquer les démons afin de les liguer contre une personne. La conjuration est en tout cas synonyme de commandement, selon Kieckhefer : l’agent contraint un esprit à lui obéir, à réaliser ses volontés. L’ambivalence des ouvrages de magie est perceptible dans le vocabulaire qu’ils emploient : par exemple, le verbe ligare (lier) implique de contraindre un esprit afin que son pouvoir néfaste soit maîtrisé par le magicien et lui permette d’accomplir sa volonté. Le nigromancien conclut donc une sorte de pacte avec le démon qu’il soumet34. Cependant, la réussite d’un sortilège repose sur « une dévotion sans faille », car le pouvoir que détient l’opérateur du sort provient de Dieu35. L’invocation des noms de Dieu, qui est au cœur du rituel préconisé par le Liber juratus, est l’un des éléments qui permettent de rapprocher le magicien de l’exorciste : le nigromancien s’en remet ainsi à la puissance divine, absolument nécessaire à la ligation des esprits36.

Un lectorat de clercs

  • 37 Boudet, Entre science et nigromance, p. 384.
  • 38 Boudet, Entre science et nigromance, p. 383-388.

14Le clerc est l’individu le mieux à même de pratiquer correctement la nigromancie, car sa formation religieuse est en accord avec l’ascèse qu’exigent les arts magiques. Confession, jeûne, prières intenses sont autant de comportements de dévotion. Cette particularité n’est pas propre au Liber juratus. Nombreux sont les livres de magie qui présentent de telles exigences. La pureté est une condition nécessaire à la réussite des opérations mentionnées par les ouvrages de nigromancie. Il n’est guère étonnant qu’Étienne Pépin, ancien frère mineur, soit féru de ce genre de littérature. À l’évidence, un ouvrage entièrement rédigé en latin ne peut s’adresser qu’à un public lettré. Sur l’ensemble des manuscrits conservés à ce jour, Jean-Patrice Boudet en recense cinq seulement en langue vernaculaire, dont l’un est une traduction partielle, en anglais, d’un traité originellement rédigé en latin37. Le Liber juratus, malgré l’existence d’une version anglaise plus tardive, ne peut donc être associé à une pratique populaire de la magie. On peut s’interroger à propos du Liber juratus comme le feraient les théoriciens de la littérature pour un roman : ce titre s’adresse à un type de lecteurs particulier, qu’il s’agit de déterminer. Or, Pépin est représentatif du lecteur d’ouvrages de nigromancie. La richesse des références à la tradition et à la morale chrétiennes permet de dresser le portrait des praticiens de la nigromancie. Le Liber juratus, comme la plupart des œuvres du genre, s’adresse à un lectorat de clercs, c’est-à-dire à des hommes ayant reçu les ordres, et plus particulièrement les ordres mineurs38. Pépin, quant à lui, a reçu les ordres majeurs.

  • 39 Explicit liber de vita anime rationalis, qui Liber sacer vel Liber angelorum vel Liber juratus nunc (...)
  • 40 J.-P. Boudet et J. Véronèse, « Le secret dans la magie rituelle médiévale », Il Segreto, Micrologus (...)
  • 41 Boudet et Véronèse, « Le secret », p. 119. Les auteurs notent (p. 123) que « l’enseignement » prodi (...)
  • 42 Et vocatur juratus quia nemini est tradendus, nisi fuerit probatus moribus per annum, nec etiam est (...)
  • 43 G. Federici Vescovini, Le Moyen Âge magique. La magie entre religion et science aux xiiie et xive s (...)

15Le Liber juratus n’a pas la moindre des prétentions : l’auteur le présente comme un livre sacré, Liber sacer est d’ailleurs l’autre titre mentionné39. Dieu lui-même aurait affirmé la sacralité de l’ouvrage. Il s’agit là d’une revendication courante des livres de nigromancie, qui affirment renfermer des savoirs mystérieux devant faire l’objet d’une révélation40. Il ne s’agit pas de pure rhétorique : c’est par Dieu que les nigromanciens peuvent accéder à des connaissances inaccessibles au commun des mortels. En cela, les procédés magiques développés par le Liber juratus sont l’objet d’une transmission exclusive, ils sont réservés à une élite41. Ceux qui sont en mesure d’être initiés à ces connaissances tiennent ce privilège de Dieu. Selon les dires de Pépin, il ne peut être remis entre toutes les mains : « […] le Liber juratus ne doit être transmis à aucun homme dont les mœurs n’ont pas été éprouvées pendant un an », de même qu’il « ne doit pas être confié aux femmes42 ». L’exclusion de ces dernières s’explique par le fait que cette pratique de la magie est quasi érudite et sacerdotale, et non pas populaire, comme on l’a vu. De plus, la magie rituelle considère les femmes comme impures. Une sélection est ainsi opérée quant aux possesseurs du livre et à la transmission de la science qu’il est censé délivrer. Pépin parle de « secreta » à propos des informations qu’il renferme. Tout d’abord, avoir accès au Liber juratus suppose que l’on ait le statut informel de « magister », donc une expérience et une connaissance solides en la matière. Ensuite, on ne peut le copier plus de trois fois. Le maître en sa possession doit être enterré avec l’ouvrage si personne n’est digne d’en hériter, le lieu de sépulture devant rester inconnu. De plus, ses disciples, dans le cas où ils auraient connaissance d’un certain nombre de secrets, doivent être prêts à mourir plutôt que de les révéler. Celui qui entre en possession du livre ne doit pas interroger son maître ; il s’engage à respecter le « pacte de fidélité », selon les mots de Graziella Federici-Vescovini, pacte qui découle des précédents serments43. Dès lors, le titre lui-même de Livre juré prend tout son sens, dans la mesure où ce serment fictif est décrit comme fondateur. La pratique de la magie apparaît donc particulièrement exclusive.

  • 44 Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos », p. 222.
  • 45 Voir P. Barthélémy, La Sedacina ou l’Œuvre au crible. L’alchimie de Guillaume Sedacer, carme catala (...)

16Le Liber juratus a continué à circuler entre les mains des clercs, après l’affaire de 1347. Les recherches de Pierre Ponsich sur la bibliothèque de Ramon de Perellos pourraient le confirmer, bien qu’elles concernent une période postérieure à la nôtre : parmi les ouvrages mentionnés, il en identifie un comme étant le Liber juratus, hypothèse qui doit cependant être considérée avec prudence44. Ce manuscrit a fait l’objet d’une transaction en 1385 : il figurait dans la collection personnelle du frère carmélite Guillem Sedasser ou Sedacer, auteur d’un important traité d’alchimie45. Celle-ci contenait dix livres d’alchimie et cinq d’astrologie et astronomie sur 37 titres. Pierre Ponsich précise que le nombre de titres relatifs à l’alchimie a été sous-estimé. Ils sont en tout cas surreprésentés dans la bibliothèque du frère. L’historien note ainsi l’orientation « hermétique » de la bibliothèque de Sedasser.

L’église et le sortilegus

Le procès de la magie par la justice ecclésiastique

  • 46 Corpus juris canonici, t. II, Decretalium collectiones, Liber sextus, vol. V, 2, 8, éd. A. L. Richt (...)

17Le statut que l’Église attribue à l’exercice de la magie ne peut être évoqué sans faire référence aux débats du pontificat de Jean XXII. Son règne marque un tournant dans la façon dont l’Église conçoit la magie et entend réprimer sa pratique. L’association de la magie à l’hérésie n’était pas sans précédent : en 1258, une bulle d’Alexandre IV, reprise dans le Liber Sextus de Boniface VIII en 1298, autorisait les inquisiteurs à poursuivre les magiciens et devins à condition que les affaires les concernant aient « une saveur d’hérésie ». Dans le cas contraire, cela leur était catégoriquement refusé46. La difficulté réside dans la définition toute relative que chacun peut donner à cette « saveur d’hérésie » : en quoi le droit canon est-il en mesure de délimiter ce qui relève de l’autorité d’un juge inquisiteur ou d’un juge ecclésiastique ordinaire ? À la lumière du procès de 1347, il s’agira d’évaluer la portée effective de la politique pontificale à cet égard.

La menace du démon : la fièvre démonologique du début du xive siècle

  • 47 C’est volontairement que l’on devient hérétique : de nombreux décrétistes font de la volonté l’argu (...)

18En 1320, Jean XXII s’adresse à dix prélats afin de les consulter sur le bien-fondé de la qualification en hérésie de la magie. Deux d’entre eux sont des dominicains, deux autres des franciscains, et appartiennent ainsi aux ordres directement concernés par la question, puisque les inquisiteurs sont traditionnellement choisis parmi les mendiants. Pour la première fois dans l’histoire de la chrétienté, un pape manifeste la volonté de faire reconnaître la magie comme une forme d’hérésie. Cette caractérisation nouvelle des pratiques magiques peut avoir des répercussions concrètes : les adeptes de cette « science » devraient dès lors faire l’objet de sanctions sévères, à l’instar des Vaudois ou des Spirituels. Les poursuites judiciaires à leur encontre relèveraient dès lors de l’Inquisition. L’Église sortirait de son indifférence envers la magie : de pratique superstitieuse sans gravité, elle devient un art honni et diabolique, contraire à la foi. Alain Boureau signale une autre rupture qui résulte de l’entreprise papale : la définition même d’hérésie s’en trouve bouleversée. Étymologiquement, l’hérésie est un choix, elle existe donc intellectuellement. Est hérétique tout individu qui professe une opinion contraire à la foi. Autrement dit, on est moins hérétique en acte qu’en pensée ; l’error réside dans l’intention47. Or, Jean XXII qualifie d’hérésie une pratique ; quand bien même celle-ci était jugée négativement auparavant, elle n’était pas considérée comme une « erreur doctrinale ». Les questions soulevées par le pape dans sa consultation se focalisent sur un aspect particulier de la magie, à savoir le détournement des sacrements, que ce soit à des fins de guérison ou de maléfice, ou encore de manipulation d’un tiers. L’accusation d’hérésie réside donc dans le fait de détourner des pratiques chrétiennes de leur fonction première.

  • 48 A. Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval, 1280-1330, Paris (...)

19La réponse de ces religieux n’a rien d’unanime, mais la qualification d’hérésie est tout de même approuvée48. L’argumentation de tous insiste sur le fait que les auteurs de sortilèges sont des sacrilèges, dans la mesure où ils détournent les sacrements ou les objets sacrés, tels que les hosties. L’invocation des démons suscite des discours divergents entre l’Église et les magiciens. Alors que la première voit dans la nigromancie une pratique démonolâtre, il s’agit plutôt, si l’on en croit les nigromanciens eux-mêmes, de demander l’aide divine afin qu’elle contraigne les démons à l’obéissance. L’Église voit dans certains actes, tels que le jeûne ou le fait de porter une tenue spécifique, autant de manières de sacrifier aux esprits, et donc de leur être liés, d’être soumis à eux. Mais les ouvrages de magie ne disent jamais explicitement que l’opérateur doive se soumettre aux démons et se faire leur serviteur.

  • 49 Boureau, Satan hérétique, p. 20. Cette bulle n’est connue que par le manuel de l’inquisiteur de Nic (...)

20La bulle Super illius specula, fulminée en 1326 ou 1327, s’inscrirait dans le prolongement de la consultation de 1320, et serait sa concrétisation juridique. Cependant, certains historiens ont soulevé la question de l’authenticité de ce document, c’est le cas d’Alain Boureau. Il note néanmoins que cette bulle est l’arbre qui cache une « forêt des documents49 ». Remettre en question l’authenticité de ce document ne signifie pas pour autant que l’on puisse écarter l’idée d’une inquiétude du pape vis-à-vis de la démonolâtrie. Nombreuses sont en effet les autres sources qui permettent d’attester de la volonté du pape de poursuivre les nigromanciens comme hérétiques.

L’évolution des préoccupations démonologiques de Benoît xii à Clément vi

21Les pontificats de Jean XXII et de Benoît XII regorgent d’affaires de magie. Au contraire, sous Clément VI, on ne dénombre qu’un seul procès inquisitorial de la sorte, celui de 1347 n’étant pas instruit par l’Inquisition. Cela traduit-il pour autant un recul de la magie ? Rien n’est moins sûr. Le nombre d’affaires s’est résorbé de façon si spectaculaire qu’il est fortement permis d’en douter. On peut plutôt y voir la variabilité des préoccupations des papes successifs. Jean XXII apparaît comme l’instigateur de la chasse aux nigromanciens. Benoît XII, bien qu’il ait fait moins de bruit autour de la répression de la magie, n’en est pas moins un continuateur de l’œuvre de son prédécesseur. Quant à Clément VI, la question ne semble pas autant le préoccuper ; il dépense bien moins d’énergie à la poursuite des adeptes de la magie que les précédents papes.

22On note une certaine continuité entre les règnes de Jean XXII et de Benoît XII. Le premier pontificat pris en compte dans ces statistiques est celui de Jean XXII, pour les raisons déjà évoquées. En effet, le choix de l’an 1300 comme point de départ aurait été arbitraire dans la mesure où les prédécesseurs de Jean XXII n’avaient pas mené de politique de répression dirigée spécifiquement contre les sortilegi et autres nigromanciens. Par ailleurs, les procès en hérésie ont été exclus : si quelques-unes des personnes accusées de sorcellerie ont été qualifiées d’hérétiques, cela reste très minoritaire. Les accusations d’hérésie durant cette période concernent surtout les Spirituels et leurs sympathisants.

23Le midi de la France apparaît comme l’épicentre des affaires en magie. La nigromancie serait un art plus répandu que dans toute autre contrée ; mais cela peut tout aussi bien être un lieu où l’Inquisition exerce un contrôle plus étroit et une pression plus constante, un lieu qui concentre l’attention des papes et de leurs subordonnés. Cela s’explique notamment par l’origine méridionale des souverains pontifes du xive siècle : Jean XXII est natif de Cahors et la famille de Benoît XII est originaire des Pyrénées. La seconde hypothèse n’exclut pas l’autre, elle peut même en être la conséquence.

  • 50 Ce tableau statistique a été établi à partir du Bullaire de l’Inquisition française de Jean-Marie V (...)

Fig. 1 – Tableau de répartition des procès en magie et en sorcellerie menés par l’Inquisition, de Jean XXII à Clément VI50.

  • i X = chiffre inconnu

Pontificat

Date

Conditions des inculpés

Diocèse

Ecclésiastiques

Laïcs

Femmes

Nombre

Ordre, statut

Jean XXII

1319

2

Carme, prêtre

1

Pamiers

1320

1

Paris

1323

1

Moine bénédictin

Cahors

1326

1

Chanoine

Agen

1326

3

Un prieur et deux clercs

Xi

Cahors, Toulouse

1327

1

Moine cistercien

Béziers

1331

2

Dominicain et bénédictin

Autun, Paris

Benoît XII

1335

1

Clerc

Paris

1336

1

Prêtre

1

Tarbes

1336

2

Moine, recteur d’église, clerc

4

2

Cahors

1338

2

Viviers

1339

3

Maguelonne

1339

5

4 moines cisterciens, un clerc

1

Rieux

Clément VI

1343

1

Clerc

Narbonne

Total

20

> 7

8

24Il est certain que la poursuite des magiciens et des sorciers ne figure pas dans les priorités de Clément VI : un seul procès en magie donne lieu à l’émission d’une bulle, au tout début de son pontificat, en 1343. Les lettres qu’il adresse aux inquisiteurs ou aux prélats concernent avant tout la poursuite des hérétiques, tels que les béguins. Celles de Jean XXII où celui-ci exhortait évêques et inquisiteurs à mener une répression sans faille contre les nigromanciens font donc figure d’exception en ce premier xive siècle. Le procès de Pépin s’ouvre dans un contexte que l’on ne pourrait qualifier d’apaisé, cependant moins centré sur la traque du démon et de ses disciples, les nigromanciens, que ne l’était la période du pontificat de Jean XXII. Ce dernier laisse néanmoins derrière lui l’idée que la magie ne peut être que le produit de l’accointance et de la complicité de certains individus avec le diable.

La place effective de la qualification en Hérésie

  • 51 Reg. Vat. 109, fol. 133v, c. 550.

25Derrière la question de la compétence des tribunaux se pose celle de l’application de la bulle Super illius specula et de la volonté pontificale de manière générale. En 1318, une longue lettre adressée à l’évêque de Fréjus demande à celui-ci de faire preuve de la plus grande fermeté envers les nigromanciens. Il énumère avec force précisions les actes que l’Église ne peut tolérer ; ces individus sont littéralement présentés comme des ennemis du genre humain se livrant à des crimes hérétiques (presertim cum labem sapiant heretice pravitatis)51. La nigromancie, de même que la géomancie et d’autres arts non précisés, se voient décerner le titre d’« artes demonum » : aucun doute sur la nature démoniaque que Jean XXII prête à ces pratiques. Deux ans plus tard, dans la bulle du 22 août 1320 où le pape insère une lettre du cardinal Guillaume de Peyre Godin, celui-ci (et Jean XXII à travers lui) recommande aux inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne de poursuivre et de châtier les idolâtres du démon. Il énumère avec précision les actes répréhensibles : la ligation d’un démon (ad demonem alligandum), l’invocation de démons (demonum invocatione) dans le but de commettre un maléfice, la fabrication et le baptême d’une image de cire (qui sacramento babtismatis abutendo ymaginem de cera seu de re alia factam babtizant), les sortilèges qui requièrent l’utilisation d’une hostie consacrée, et qui constituent un détournement de l’eucharistie ou de tout autre sacrement de l’Église. Doivent également être châtiés les commanditaires de tels maléfices, s’ils ont conscience du sacrilège qu’ils commettent. Tous ces individus sont dès lors passibles de poursuites pour fait d’hérésie (in facto heresis). Ainsi, avant même la bulle Super illius specula, Jean XXII œuvre à la diffusion de ses principes théologiques et juridiques. Il use de son autorité pour leur mise en application, et rappelle par la même occasion aux inquisiteurs qu’ils servent le Saint Siège et sont donc soumis à ses directives. De façon moins franche, il associe déjà nigromancie et hérésie dans la lettre qu’il adresse le 28 juillet 1319 à l’évêque de Pamiers, au sujet d’un carme, d’un prêtre et d’une femme accusés de fabriquer des images, de réaliser des enchantements, de consulter les démons, et de se livrer à d’autres activités superstitieuses. Dans cette bulle, nulle mention n’est faite de l’hérésie, mais une allusion explicite rapporte les « erreurs » dont les accusés se sont rendus coupables. Le choix lexical est particulièrement problématique : quels termes permettent d’identifier un cas d’hérésie ? Le simple emploi du terme « error », ou de dérivés, est-il suffisant pour y renvoyer ? Équivaut-il à une mention littérale de l’hérésie ? Les considérations dogmatiques ne doivent pourtant pas cacher la forte dimension politique du procès intenté au frère franciscain.

L’usage politique de l’accusation de magie

  • 52 E. Peters, The Magician, the Witch, and the Law, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 19 (...)

26La nigromancie est présentée comme l’un des principaux chefs d’accusation contre Pépin. Elle est l’objet d’une condamnation, car elle est perçue comme dangereuse. Ce n’est donc pas une accusation d’« appoint », qui permettrait simplement de justifier la mauvaise fama du prévenu. Mais dans le cas de Pépin, le politique et le magique sont indissociables : c’est la tentative de meurtre sur l’évêque qui est jugée, bien plus que la pratique de la nigromancie. Les articles d’accusation ne font pas état du rôle de Guérin de Châteauneuf dans l’envoûtement, comme si Pépin avait agi seul. L’official fait donc preuve d’une grande prudence à son égard. Selon Peters, on s’aperçoit à travers les sources judiciaires que la nigromancie était étudiée et pratiquée par des sortilegi sans renommée spécifique, dont les maîtres, puissants, sont bien souvent épargnés par la justice52.

  • 53 […] dictus dominus Apcherii dixit eidem loquenti quod magna discentio erat ad invicem inter dictum (...)
  • 54 Fabrié, « Un procès de sorcellerie à Mende au xive siècle », p. 112.

27Quant à la qualification en hérésie, elle a aussi été utilisée par les puissants comme une arme politique. Les articles d’accusation portent sur une tentative d’assassinat (ou de mutilation) sur l’évêque, au moyen de procédés magiques réprouvés par l’Église. Mais le fait que le commanditaire de l’envoûtement n’ait pas été incriminé semble évacuer l’aspect politique de l’affaire : on sait juste, d’après les aveux de Pépin, que le seigneur d’Apcher n’entretenait pas de bons rapports avec Albert Lordet53. Le xie article d’accusation affirme que Pépin a réalisé la figurine de cire « à l’instigation des ennemis de l’évêque ». Mais ces ennemis ne sont pas poursuivis par la justice. Contrairement à ce qu’écrit D. Fabrié, le seigneur d’Apcher n’a jamais fait l’objet de la moindre poursuite concernant l’envoûtement. Guérin n’a donc pu être condamné à quinze ans de prison54. L’inventaire des archives de Lozère ne relève pas de procédure judiciaire à son encontre. C’est tout le paradoxe de l’affaire : sa teneur éminemment politique a été pratiquement passée sous silence, Albert Lordet préférant mettre l’accent sur le mode opératoire de l’accusé. On pourrait alors rapprocher l’affaire Pépin de la série de procès politiques du début du siècle. Néanmoins, ils avaient pour objectif évident de faire tomber les puissants qui gênaient le roi ou encore la papauté. Le procès de Pépin a cela de déroutant qu’il met en cause l’agent de l’envoûtement et non son commanditaire, bien que la fama de celui-ci en soit logiquement affectée. En témoigne la lettre de rémission de Jean II (que nous étudierons plus loin), dont l’objectif est d’absoudre le seigneur d’Apcher et de le rétablir dans sa bonne fama. Bien que le frère mineur ait déclaré explicitement avoir agi « à l’instigation et à la demande du seigneur d’Apcher », ce dernier n’est ni convoqué comme témoin ni poursuivi par le tribunal épiscopal.

L’évêque, le roi, le pape : vassalité, clientèle et luttes de pouvoir

28Les protagonistes de l’affaire s’inscrivent dans un réseau complexe de parenté et d’alliances politiques. Par sa femme, Marie de Belfort, le seigneur d’Apcher est lié à un clan puissant : l’oncle de son épouse n’est autre que le pape Clément VI. Le mariage entre les familles de Roger de Belfort et de Châteauneuf date de 1347, soit l’année même où l’affaire éclate. Guérin apparaît à travers les bulles pontificales émises par Clément VI comme un familier et un homme de confiance de celui-ci. Par ailleurs, les tensions entre les évêques gévaudanais et la royauté se sont bien apaisées au cours du siècle. L’histoire spécifique du Gévaudan est marquée par des conflits profonds qui ont caractérisé les rapports entre les évêques et les barons locaux, d’une part, et les rois de France d’autre part. Ils ont eu des répercussions certaines dans la querelle opposant Guérin de Châteauneuf et Albert Lordet.

  • 55 Les études historiques sur cette région sont assez peu nombreuses : néanmoins, le peu de travaux qu (...)
  • 56 I. Darnas, « Les châteaux de l’évêque de Mende dans la vallée du Lot en Gévaudan (xiie-xive siècles (...)

29Le comté se situe aux confins de l’Auvergne, au nord, du Rouergue, à l’ouest, et du Languedoc, au sud55. Aux xiie et xiiie siècles, il fait l’objet de rivalités entre l’Aragon, les comtes de Toulouse et les évêques de Mende. En 1226, le roi de France s’immisce dans ces affaires, avec la ferme intention de rattacher la région à son royaume : par le traité de 1229, elle passe sous son autorité. Ce qui semble d’autant plus indispensable que la guerre reprend entre seigneurs locaux. Ce traité a causé le rattachement des anciens territoires aragonais au royaume de France. Cependant, l’évêque de Mende conserve le statut de suzerain qui lui avait été conféré jusque-là. Le roi de France est donc vassal d’un évêque. Des tractations sont menées entre les deux parties, qui aboutissent, en 1266, à un accord par lequel l’évêque de Mende renonce à sa suzeraineté. Mais cet accord est régulièrement violé par la sénéchaussée de Beaucaire à laquelle est rattachée la vicomté, si bien que les évêques sont en procès continuel avec le pouvoir royal, jusqu’au début du xive siècle. L’acte de paréage, conclu en 1307, semble mettre un terme au conflit : l’évêque conserve sa seigneurie et les privilèges dont il bénéficie, le roi reste le maître de la vicomté, mais les deux parties se partagent l’exercice de la justice56. Cependant, la noblesse locale ne manifeste aucun enthousiasme pour ce nouvel ordre des choses qui la prive de son autonomie.

Les barons frondeurs

30Mende ne constitue pas une exception en matière de paréage. Celui de Mende comporte une spécificité particulièrement révélatrice de la situation du diocèse et du pouvoir épiscopal à la fin du xiiie et au début du xive siècle. Les autres traités prévoient un partage de souveraineté en matière de juridiction sur les fiefs de la partie contractante : le roi n’exerce son pouvoir judiciaire que sur les terres relevant du domaine temporel de l’évêque. Cependant, le paréage de Mende prévoit le partage de la haute et basse justice sur un territoire bien plus étendu, incluant les fiefs des seigneurs gévaudanais, qui, précisément, se sont tant opposés à l’autorité des évêques. De plus, contrairement aux autres paréages, les terres royales et épiscopales n’entrent pas dans le contrat, si bien qu’un officier royal ne peut rendre la justice sur le domaine de l’évêque, par exemple. Chacun conserve ses prérogatives sur son propre territoire. Le traité présente donc un avantage indéniable aux yeux du pouvoir épiscopal ; le roi se fait le garant du respect de l’acte de paréage, et donc de l’autorité de l’évêque, celui-ci tenant la noblesse sous sa coupe. Au début du xive siècle, l’évêque de Mende Guillaume Durand prend ainsi en tenaille les seigneurs rebelles.

  • 57 R. Telliez, « Croz e sonnaills ». La souveraineté en Gévaudan 1161-1343, Mémoire de maîtrise de l’U (...)
  • 58 F. André, Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, Lozère, tome I, Mend (...)
  • 59 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 132.
  • 60 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 132.
  • 61 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 131.

31Les années 1340 sont marquées par l’échec des barons dans leur tentative de remise en question du paréage, comme le montre l’étude de Romain Telliez57. En 1341, le roi Philippe renouvelle son soutien à l’évêque, Albert Lordet, en imposant à la sénéchaussée de réparer les torts éventuellement causés à l’évêque58. Les seigneurs gévaudanais ne renoncent pas pour autant à leur désir d’indépendance : ils entament un nouveau procès, par lequel ils réclament l’annulation pure et simple des actes de paréage, et cette fois, en s’adjoignant le soutien d’un procureur royal59. Les plaignants principaux sont les seigneurs du Tournel, de Canilhac et d’Apcher. La stratégie des nobles est la suivante : le paréage est dénoncé comme néfaste pour le royaume, dont il menacerait l’intégrité. Leur souci pour les intérêts de la couronne est purement factice, c’est un argument stratégique destiné à leur faire obtenir gain de cause. Contrairement au précédent procès des années 1300, qui dénonçait les abus de pouvoir commis par les officiers royaux aux dépens de la noblesse, celui-ci prend directement pour cible Albert Lordet lui-même, accusé entre autres d’entraver l’action des représentants du pouvoir royal et de s’arroger certains droits sur des juridictions qui ne sont pas de son ressort60. Les plaignants ont adressé plusieurs lettres à la cour mais se sont vus déboutés61. Le pouvoir royal a peu à peu pris ses distances avec le camp noble : après la lettre de Philippe VI, en 1341, demandant au sénéchal de réparer les torts faits à l’évêque, une ordonnance de 1343 annonce la suppression des concessions faites aux nobles gévaudanais ; un arrêt de la même année demande au procureur du roi, qui s’était joint aux barons dans leur procès, de se retirer de l’affaire. On peut voir dans ce procès, intenté quelques années seulement avant l’affaire Étienne Pépin, un indice majeur sur les origines de l’hostilité profonde entre le seigneur d’Apcher et l’évêque. Le paréage est donc l’une des clés de lecture de l’affaire de 1347. Les seigneurs gévaudanais, et en particulier les plus puissants d’entre eux, comme Guérin, refusent les accords conclus au xiiie siècle entre le roi et l’évêque, qui mettent en péril leur indépendance.

Albert Lordet : des abus incessants envers l’autorité royale

  • 62 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 133.
  • 63 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 134.

32Dans le mémoire qu’ils remettent au Parlement dans les années 1340, les barons gévaudanais avancent un argument qui, espèrent-ils, devrait faire pencher la balance en leur faveur : ils mettent en exergue les multiples abus dont l’évêque de Mende se rend coupable envers le pouvoir royal. La partialité de ce mémoire est évidente. Albert Lordet lèse la couronne sur le plan financier : il entrave la levée des impôts royaux, et cela en usant de la violence. Ainsi, les chanoines, traditionnellement désignés pour percevoir les taxes, ont été molestés et emprisonnés sans motif par des hommes de l’évêque62. Les subsides pour la défense du royaume ne sont pas levés. Il empêche les nobles de son diocèse de se rendre à l’ost royal, et n’hésite pas à les menacer de se voir confisquer leurs terres. À cela s’ajoutent des actes iniques et violents, tels que le prélèvement de fortes sommes d’argent sur ses sujets, qu’il utilise à son profit, et bien sûr, en toute violation du paréage ; les sergents de l’évêque ont également brutalisé le prévôt à plusieurs reprises. Les attaques de l’évêque ciblent également les représentants du pouvoir royal : Romain Telliez mentionne qu’« un sergent royal, envoyé à Mende pour faire certaines citations et commissions, fut capturé et emprisonné plus de trois jours », et cela à la connaissance de l’évêque63. Il se livre ainsi à une violation continuelle des intérêts royaux.

33Bien qu’il soit impossible de l’affirmer, il n’est pas à exclure que l’absolution de Guérin de Châteauneuf par Philippe VI puis par Jean II le Bon soit une manière de montrer à Albert Lordet que la royauté ne cède pas devant ses provocations, et que les ennemis de l’évêque peuvent aussi être les alliés du pouvoir royal. La procédure des années 1340 entamée par la noblesse a échoué, mais il n’est pas dit que les accusations portées par elle contre l’évêque aient été oubliées. La remise en question du paréage aurait été un retour en arrière dans l’entreprise de renforcement de l’autorité royale et d’unification territoriale ; c’est pourquoi le Parlement a donné tort aux barons. Les débordements d’Albert Lordet sont, en quelque sorte, un moindre mal. L’absolution du seigneur d’Apcher peut être un avertissement envers l’évêque ; c’est aussi et surtout le résultat de la mise en marche d’un réseau de grands personnages.

Répliquer par la loi

34Le combat juridique des barons gévaudanais a été une lutte de longue haleine, commencée en 1308 mais qui n’a toujours pas abouti en 1344, date à laquelle on peut situer l’envoûtement d’Albert Lordet par Étienne Pépin. Les seigneurs du Tournel, de Peyre, de Canilhac, d’Apcher et de Cénaret sont à la pointe de la contestation du paréage et de la dénonciation des torts que leur causent l’évêque et son administration. En avril 1308, vingt-et-un barons et vingt-six damoiseaux sont réunis à Alès, devant le sénéchal, auquel ils affirment vouloir persévérer dans leur lutte. Les représentants du pouvoir royal sont, quant à eux, déterminés à faire obstacle aux poursuites judiciaires de la noblesse. Ainsi, en février de la même année, le roi demandait dans une lettre adressée au sénéchal la convocation des nobles gévaudanais afin qu’ils s’expliquent au sujet des articles hostiles au paréage dont ils sont à l’origine. La lettre stipulait que les seigneurs souhaitant continuer la procédure judiciaire devaient se présenter en personne devant le procureur du roi, l’évêque de Mende et le roi lui-même, cette dernière condition étant difficile à remplir pour la noblesse pauvre de la région. La démarche n’a cependant pas abouti, et le fait que les barons ne se soient pas déplacés à Paris en est probablement la cause, selon Romain Telliez. En 1344, ils adressent un mémoire à la cour royale, faisant état des divers préjudices occasionnés par l’acte de paréage, ou que celui-ci pourrait causer à l’avenir.

35Les plaintes concernent tout d’abord des questions judiciaires : les seigneurs gévaudanais ont, depuis 1307, deux suzerains. Cependant, l’évêque, partie prenante du contrat qu’il a signé avec la royauté, n’a, à ce titre, de comptes à rendre qu’à la cour royale. Celle-ci étant très éloignée du Gévaudan, les barons ne peuvent espérer un recours en justice éventuel contre les officiers de l’évêque ou le prélat lui-même, étant donné les frais qu’occasionneraient les déplacements. Ils dénoncent par ailleurs la partialité de la justice telle qu’elle doit être exercée selon l’acte de paréage : les délits éventuellement commis par des officiers de la cour commune sur les terres d’un baron ne peuvent être portés devant la justice seigneuriale du lieu, étant donné que la cour commune fait obstacle à cette démarche. Celle-ci se retrouve alors juge et partie. Les barons dénoncent par ailleurs l’arbitraire des jugements de la cour commune : ils donnent l’exemple d’un homme qui s’est vu privé de sa terre, condamnation disproportionnée par rapport au délit commis, et d’autant plus injuste que la cour l’a confisquée à son profit. Les condamnations au versement d’amendes sont une pratique courante, permettant bien sûr à la cour d’en retirer des bénéfices. Sans compter que son personnel est particulièrement nombreux et qu’il vit aux frais de la population gévaudanaise.

  • 64 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 119.

36Ils s’estiment également lésés dans l’exercice de leur suzeraineté, car la cour commune leur impose son sceau, au lieu du sceau personnel de chaque baron, empêchant la noblesse d’exercer son ressort sur ses vassaux. Les barons dénoncent l’impunité dans laquelle agissent certains sergents de la cour, coupables de crimes, qui ne sont ni poursuivis par la cour commune, ni par la sénéchaussée, du fait de la distance de celle-ci. De manière générale, les barons pointent les multiples abus dont les officiers de la cour commune se trouvent coupables envers eux, sans pour autant être jugés. Ils convoquent pour des motifs non valables des habitants des terres baronnales, puis les incarcèrent avant de leur réclamer une somme d’argent pour leur libération, ce qui n’est ni plus ni moins que du rançonnement64. Ce système de terreur imposé par les hommes de la cour commune est précisément dirigé contre la justice seigneuriale, et vise à provoquer des dysfonctionnements profonds au sein de ces cours locales.

Répliquer par la force

  • 65 Reg. Vat. 141, fol. 176v, n. 997 ; Reg. Vat. 244 k, fol. 10, n. 13. Voir l’édition suivante : E. Dé (...)

37Les coups de force des nobles locaux contre le pouvoir épiscopal ne sont pas rares au cours du xive siècle. Une lettre pontificale de 1348 présente le seigneur d’Apcher et l’évêque de Mende comme des ennemis mortels (inimici capitales)65. La cause de l’hostilité d’Albert Lordet et de son acharnement contre Guérin est à trouver dans un procès de 1335 : la cour commune de Mende poursuit le seigneur d’Apcher et un complice du nom de Berthon de Chaumeyrac, pour avoir usurpé le droit de juridiction épiscopal. Il avait fait dresser des fourches patibulaires au Chambon, fief de l’évêque. Il était aussi l’auteur d’une expédition punitive pour le moins musclée : il aurait incendié le château du Chambon et le bois en dépendant avec une troupe d’hommes armés et masqués, puis aurait rançonné la population. Guérin refuse cependant de comparaître devant le tribunal, s’opposant ainsi obstinément au pouvoir épiscopal. Le seigneur d’Apcher échappe à la justice de l’évêque grâce à ses puissants appuis : un acte royal rédigé à Vincennes en décembre 1339 et octroyé par Philippe VI accorde son pardon et sa grâce au seigneur d’Apcher. Le document renvoie à des lettres de rémission antérieures, celle émise par Jean de Bohême, datée du 19 janvier 1338, et celle du comte d’Eu : la première remonte au 22 septembre 1337, et la seconde a été donnée à Poissy, près de Paris, le 15 juillet 1338. Elles précisent que Guérin et ses hommes n’ont causé la mort de personne et que nul n’a été blessé. Elles mettent aussi en exergue les services militaires rendus au roi au cours de la campagne de Guyenne. Par son acte de 1339, le roi défend à l’évêque de Mende et au procureur de la cour commune de s’opposer à cette grâce, leur empêchant ainsi tout recours.

  • 66 Actes du Parlement de Paris : Parlement criminel règne de Philippe VI de Valois, Paris, Archives na (...)
  • 67 D. C. Devic, D. J. Vaissète et alii, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, 1872, t. IX. (...)

38L’affaire se poursuit : en juin 1346, les deux parties consentent à faire renouveler la commission d’enquête66. Guérin effectue son devoir militaire envers le roi de France en participant à la campagne de Guyenne et de Gascogne, sous les ordres du connétable Raoul de Brienne, dont il obtient, le 22 septembre 1347, une lettre de rémission pour que cesse la procédure ; cette lettre tendait bien sûr à disculper le seigneur d’Apcher, qui n’aurait fait que « traverser avec une troupe d’hommes armés des lieux possédés en paréage par le roi et par l’évêque de Mende67 ». Le roi de Bohême, gouverneur du Languedoc, dut à son tour renouveler les lettres de rémission car la cour commune refusait absolument d’abandonner les poursuites.

Le réseau de Guérin de Châteauneuf

39Le pape Clément VI se trouve mêlé à l’affaire pour deux raisons : tout d’abord, parce que Guérin de Châteauneuf lui adresse une supplique, par laquelle celui-ci conteste les conclusions du tribunal épiscopal et la condamnation dont Pépin a fait l’objet. Ensuite, parce qu’il s’avère être l’oncle par alliance du seigneur d’Apcher : ce lien familial, qui est aussi un lien de solidarité, pèse de tout son poids dans le sort de Guérin. On ignore ce qu’il est advenu de Pépin, l’instrument du complot, mais, quoi qu’il en soit, il est certain qu’il a fait les frais de son association au seigneur d’Apcher qui, quant à lui, a superbement rebondi grâce aux puissants appuis dont il disposait.

  • 68 Voici la liste des plus intéressantes pour notre étude : Reg. Vat. 141, fol. 176r ; Reg. Vat. 141, (...)
  • 69 Reg. Vat. 145, fol. 142v ; littere responsionum.
  • 70 Dilecte in Christo filie nobili mulieri Marie de Belloforti, uxori dilecti filii nobilis viri Garin (...)
  • 71 Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des (...)
  • 72 Reg. Vat. 138, no DCCCLXXXXVI, fol. 233v et Reg. Vat. 138, no DCCCCLXXVIII, fol. 255v.

40Guérin est un client de la papauté : les lettres curiales de Clément VI ont constitué une source précieuse dans l’établissement d’un lien de parenté entre le pape et Guérin de Châteauneuf. Celui-ci est mentionné dans 29 d’entre elles68. La lettre de réponse adressée au roi le 14 décembre 1351 fait état du lien de parenté qui les unit : Guérin de Châteauneuf est présenté comme « nepotem nostrem69 ». Deux autres lettres permettent d’éclaircir cette parenté : le seigneur d’Apcher est l’époux de Marie de Belfort70. Or, celle-ci est la fille de Guillaume II Roger, le frère de Clément VI71. L’Histoire généalogique et chronologique d’Anselme de Sainte-Marie date leur mariage en l’an 1347. La bienveillance du pape précède cependant cette alliance. En 1344, il le recommande deux fois au roi Philippe VI au sujet d’un procès porté devant le Parlement, mais dont nous ignorons la teneur72. Ces lettres le concernent personnellement, si bien qu’il n’y a guère de raison pour qu’il s’agisse de la même affaire qu’en 1344, où son nom figurait aux côtés de ceux de Marquis de Canilhac, Odilon du Tournel et Astorge de Peyre.

Le seigneur d’Apcher dans la diplomatie pontificale

  • 73 Reg. Vat. 146, fol. 74v-75r ; littere missive.

41Plusieurs lettres témoignent de la confiance de Clément VI à l’égard de son neveu. Il fait de Guérin de Châteauneuf son émissaire : il lui donne plusieurs sauf-conduits, dont l’un pour se rendre en Prusse auprès de l’empereur afin de lui faire part de son inquiétude au sujet de l’invasion dont a été victime la principauté de Galicie-Volhynie. La lettre du 26 octobre 1352 est adressée au futur empereur Charles IV, fils de Jean de Luxembourg, roi de Bohême depuis 134673. Il est alors candidat à l’empire et porte en conséquence le titre de roi des Romains.

  • 74 Reg. Vat. 138, no DCCCCLXXVIII, fol. 255v.
  • 75 Reg. Vat. 141, fol. 255v-256r, nn. 1349-1352 et fol. 288v, nn. 1430-1433.
  • 76 Reg. Vat. 141, fol. 246v, n. 1279.
  • 77 Reg. Vat. 145, fol. 142v ; littere responsionum.
  • 78 D. Wood, Clement VI. The Pontificate and Ideas of an Avignon Pope, Cambridge, Cambridge University (...)

42Guérin fait l’objet de multiples lettres de recommandation auprès des plus puissants : Philippe VI, en avril 134574 ; son épouse, la reine Jeanne de Bourgogne, en avril 134875 ; à Jean de Normandie puis à son épouse, Bonne de Luxembourg, le même mois76. Confiance politique, mais aussi personnelle. En décembre 1351 (n. s.), quelques jours avant sa mort, alors qu’il souffre d’une « tumeur maligne » à l’estomac, le pape annonce à Jean II que Guérin le tiendra informé de l’évolution de son mal. Il rend hommage au service dévoué et assidu du seigneur d’Apcher durant sa maladie et le recommande, une nouvelle fois, à la magnanimité du roi77. Le népotisme de Clément VI est un fait bien connu. Le nombre de cardinaux n’a jamais été aussi important que sous son pontificat, et cela n’est pas sans lien avec sa propension à nommer ses proches aux plus hautes fonctions : on dénombre vingt-six cardinaux, dont dix sont des parents plus ou moins éloignés78.

L’intervention de clément VI dans le procès de pépin

  • 79 Ideoque fraternitati tue per apostolica scripta mandamus quatenus processum habitum per te, seu de (...)
  • 80 Item citentur publice dominus Guillelmus Lordeti, canonicus Mimatensis, et Ramundus de Nogareto, cl (...)

43Quant à l’intervention de Clément VI dans les affaires de Guérin de Châteauneuf et de Pépin, elle concerne uniquement les intérêts du seigneur, non ceux de l’accusé lui-même. Il est logique que le pape ne se soit pas préoccupé du cas de Pépin, car celui-ci est le dénonciateur du seigneur d’Apcher, même s’il s’est rétracté par la suite. Il a compromis la réputation de Guérin, et la priorité du pape est de rétablir celui-ci dans sa bonne fama, quitte, sans doute, à laisser l’alchimiste et nigromancien aux mains de la justice épiscopale. De plus, dans une lettre du 17 décembre 1347, le pape manifeste une grande défiance envers Étienne Pépin : il recommande à l’évêque de Mende qu’il soit détenu fermement79. La réponse de l’évêque Bernard d’Albi à la supplique émise par le procureur de Pépin est la suivante : Laurent Savion, représentant de l’official de l’évêque de Mende qui a condamné le frère, est cité publiquement. Guillaume Lordet et Raymond de Nogaret, qui l’assistent, reçoivent quant à eux l’ordre de ne pas quitter le diocèse avant d’avoir fait leur déposition, sous peine d’excommunication, ce qui n’est pas une médiocre menace80. Clément VI fait donc pression sur l’évêque de Mende.

  • 81 Reg. Vat. 141, fol. 176, n. 996. Édition E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat.
  • 82 […] prefatus miles asserens se penitus de hoc innocentem ac te dictumque officialem tuum, pro eo qu (...)

44Sa première intervention a lieu dès le début du procès, en 1347 : le 17 décembre, le pape adresse une première lettre à l’évêque de Mende81. Il souhaite obtenir plus de renseignements au sujet du clerc incarcéré dans les geôles de l’official. Il sait alors que le nigromancien a avoué avoir envoûté Albert Lordet à la demande de Guérin de Châteauneuf. Dans la lettre du 9 janvier 1348 qu’il adresse à Albert Lordet, le pape explique que Guérin lui a adressé une supplique dans laquelle il proteste de son innocence, en dépit des accusations de Pépin82.

45Guérin de Châteauneuf aurait plaidé sa cause devant le pape, dénonçant la partialité de l’official, qui voudrait poursuivre en lui l’ennemi mortel de l’évêque. Clément VI souhaite même prendre en main l’affaire et demande à ce que l’accusé soit remis à un de ses sergents, puis déféré devant sa cour. Il semblerait donc que Pépin ait poursuivi son séjour carcéral dans les geôles pontificales, mais pour une durée inconnue, puisque l’on ignore le verdict finalement prononcé contre lui.

La lettre de rémission de Jean II le bon : l’immunité de Guérin de Châteauneuf

  • 83 Arch. nat., JJ 80, fol. 131r-131v, no 180.

46Datée de septembre 1350, la lettre a été émise par la chancellerie de Jean II, en faveur du seigneur d’Apcher et non d’Étienne Pépin83. Il s’agit de lever toutes les suspicions qui entachent la fama du seigneur d’Apcher. L’acte a été fait à la demande d’Albert Lordet lui-même, ce qui est révélateur de l’importance des appuis du seigneur d’Apcher. Il s’agit plus précisément d’une confirmation de lettre de rémission : Jean II ne fait qu’entériner ce qui avait déjà été décidé par son père Philippe VI. Les motivations de l’évêque de Mende réclament des éclaircissements : sa demande de confirmation d’absolution est une façon de mettre un terme aux règlements de compte entre Guérin de Châteauneuf et lui-même. C’est aussi la preuve d’une capitulation face à son ennemi, puisque, malgré sa culpabilité, non seulement il demeure impuni mais il est aussi blanchi. Le crime de Pépin est reconnu, mais la complicité de Guérin est niée. L’évêque signe donc sa capitulation face à un réseau quasi tout-puissant : le soutien du pape a joué, à n’en pas douter, un rôle majeur dans cette défaite épiscopale.

  • 84 R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, Droz, 1 (...)

47Alors que les premiers affrontements avec les Anglais ont commencé quelques années plus tôt, Jean II a certainement besoin de mobiliser toute sa noblesse. Or, les seigneurs infidèles ont reçu, dans les années 1340, les châtiments les plus cruels : la noblesse normande et bretonne a fait les frais de sa trahison envers la couronne de France, comme le montre l’exemple de Godefroi d’Harcourt, seigneur normand passé dans le camp anglais. En août 1350, Jean II fait condamner à mort Raoul de Brienne, comte d’Eu et connétable, qui a reconnu Edouard II d’Angleterre comme roi de France84. Au contraire, la lettre de rémission dont Guérin de Châteauneuf a bénéficié serait la preuve que le roi récompense ou pardonne les hommes fidèles. Guérin de Châteauneuf est un de ces barons qui ont participé aux campagnes militaires du début de la guerre de Cent Ans. Depuis les années 1290, les Apcher font partie de ces grandes familles gévaudanaises qui respectent les convocations à l’ost. Alors que la trahison de certains nobles a embarrassé et inquiété la monarchie, il est plus que nécessaire de s’entourer d’hommes dont la valeur et la fidélité ont été éprouvées. Cela est d’autant plus crucial que le conflit franco-anglais peut reprendre à tout moment, et que Philippe VI et son fils se sont montrés sous un jour guère reluisant au cours des précédents grands affrontements.

Conclusion

  • 85 Boudet, « Magie théurgique », p. 857-859.

48Le procès de Pépin est un témoignage précieux sur les modalités de la pratique savante de la magie. Le frère défroqué auvergnat peut apparaître comme un archétype : son parcours religieux, son appartenance à l’ordre franciscain sont des éléments que l’on retrouve chez certains adeptes des sciences occultes. On ne peut réduire la pratique des scientiae prohibitae à un antagonisme profond entre ses praticiens et l’Église : Pépin en est la preuve. L’accusé est un clerc, comme nombre des adeptes des arts interdits. Le grand intérêt de ce procès tient au fait que l’obscur alchimiste auvergnat semble avoir suivi une formation étonnamment riche : il aurait voyagé jusqu’en Espagne pour se procurer des écrits sur la magie, aurait étudié auprès d’un maître, Bérenger Ganell, dont on sait qu’il est l’auteur d’un (ou peut-être deux) ouvrage(s) de magie. Ce témoignage est d’ailleurs l’un des rares que l’on puisse trouver sur ce personnage dont la vie reste peu connue. La mention du Liber juratus est également inattendue dans un procès au retentissement modeste : il s’agit pourtant d’un ouvrage important dans la littérature magique, et dont on connaît mal l’origine85. Les déclarations de Pépin sont cependant cruciales et permettent de supposer que la version de l’ouvrage conservée dans les manuscrits de Londres a été écrite, au moins en partie, dans le sud de la France.

49Étienne Pépin n’a pas été victime d’une « chasse aux sorcières » : Albert Lordet n’a pas pour principale préoccupation la poursuite et la punition des nigromanciens, ne serait-ce que pour la simple raison que le Gévaudan n’est pas un foyer de la pratique des sciences occultes. Le zèle dont l’official fait preuve dans cette affaire est dû au fait que l’évêque dont dépend ce même tribunal est la victime de l’envoûtement. Le caractère potentiellement hérétique de l’affaire est simplement mentionné, mais il ne semble guère avoir eu d’importance dans le jugement rendu et la conduite du procès.

50En effet, il s’agit d’un procès politique, sans nul doute, mais dont la teneur politique est désamorcée : on ne condamne que l’intermédiaire, l’instrument du complot, sans incriminer le responsable, l’ennemi de l’évêque, évoqué dans les articles d’accusation. L’évêque de Mende se retrouvait bien démuni face aux appuis de Guérin : Philippe VI, qui l’avait déjà absous des divers délits commis dans les années 1330, et Clément VI, qui vole au secours de son parent lorsque celui-ci proteste devant lui de son innocence dans l’affaire. La culpabilité du seigneur d’Apcher semble crédible mais la justice est sous l’influence du puissant réseau de Guérin. Si l’on considère que Pépin a effectivement envoûté l’évêque dans le but de lui nuire, le procès de 1347 a dès lors un goût d’inachevé. Au contraire, s’il se trouve que Pépin dit vrai, et qu’il souhaitait rétablir la concorde entre l’évêque et le seigneur, ce procès prend une toute autre tournure. Albert Lordet aurait saisi l’occasion de se « venger » de son ennemi : ayant eu vent de l’envoûtement, il se serait empressé d’accuser son auteur d’avoir tenté de lui faire du mal. L’intention sous-jacente aurait été, bien sûr, de compromettre la fama du commanditaire, Guérin, l’ennemi contre lequel il n’avait pas de prise jusqu’alors.

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Notes

1 On entend par occulte ce qui échappe à la raison, ce qu’elle ne peut connaître en aucun cas. Chez Roger Bacon, il est davantage question de secret : ce que les hommes ne connaissent pas encore, mais qu’ils peuvent découvrir. Néanmoins, les ouvrages de magie ne font guère de distinction entre secret et occulte. Cette dernière notion n’est pas théorisée par les traités de magie, qui valorisent cependant constamment le secret, que tout nigromancien se doit de détenir pour contraindre les esprits. Voir J.-P. Boudet, « Des savoirs occultes et illicites ? Les textes et manuscrits de magie en Italie (xive-début du xvie siècle) », Frontières des savoirs en Italie à l’époque des premières universités (xiiie-xve siècle), J. Chandelier et A. Robert (dir.), Rome, EFR, 2015, p. 509-539, ici p. 528-530.

2 Au xive siècle, les procès en magie comptent 107 femmes accusées pour 127 hommes, sans compter les Templiers : voir J.-P. Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (xiiie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 485

3 Le procès se présente sous la forme de deux petits registres, cotés G 936 et G 937 aux Archives départementales de la Lozère, rédigés en latin. G 936 comprend 24 folios en papier.

4 Albert Lordet a pour neveu Guillaume Lordet, qui lui succède comme évêque de Mende en 1362.

5 A. Provost, Domus diaboli. Un évêque en procès au temps de Philippe le Bel, Paris, Belin, 2010. Il s’agit de l’étude la plus récente, complétant et approfondissant celle d’Abel Rigault (Le procès de Guichard, évêque de Troyes, Paris, Picard, 1896).

6 E. Albe, Autour de Jean XXII. Hugues Géraud évêque de Cahors ; l’affaire des poisons et des envoûtements en 1317, Toulouse, Privat, 1904. Il s’agit de la seule monographie dédiée à ce procès.

7 J. Schatzmiller, Justice et injustice au début du xive siècle. L’enquête sur l’archevêque d’Aix et sa renonciation en 1318, Rome, EFR, 1999.

8 Étudié par J.-L. Biget, « Autour de Bernard Délicieux. Franciscanisme et société en Languedoc entre 1295 et 1330 », Mouvements franciscains et société française xiie-xxe siècles, Paris, Beauchesne, 1984, p. 75-94. Il existe également une traduction du procès faite par J. Duvernoy, Le procès de Bernard Délicieux (1319), Toulouse, Le Pérégrinateur, 2001.

9 J.-P. Boudet et J. Théry, « Le procès de Jean XXII contre l’archevêque d’Aix Robert de Mauvoisin (1317-1318) : astrologie, arts prohibés et politique », Jean XXII et le Midi, Cahiers de Fanjeaux, no 45, Toulouse, Privat, 2012, p. 159-235.

10 J. Chiffoleau, « Le procès comme mode de gouvernement », Le procès comme mode de gouvernement, 2007, Ascoli, Italie, Rome, Istituto storico italiano per il medioevo, 2007, p. 317-348.

11 Dans le cas spécifique de l’astrologie « judiciaire », où l’astrologue se fait le juge des destinées humaines, remettant ainsi en question la toute-puissance divine.

12 R. Kieckhefer, European Witch Trials. Their Foundations in Popular and Learned Culture, 1300-1500, Londres, Routledge, 1976.

13 A. Boureau, Le pape et les sorciers. Une consultation de Jean XXII sur la magie en 1320, Rome, EFR, 2004.

14 Bullarum privilegiorum ac diplomaticum Romanorum Pontificum, amplissima collectio, éd. C. Cocquelines, vol. III-2, Rome, 1741, p. 194-195 ; J. Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter, Bonn, 1901, p. 2-6.

15 Les différents manuels à l’usage des inquisiteurs, comme le Manuel de l’inquisiteur de Bernard Gui, rédigé dans les années 1320, ou le Directorium inquisitorum (1376) du catalan Nicolas Eymerich, indiquent cependant une tendance à considérer peu à peu la nigromancie comme hérétique. Du point de vue de la papauté néanmoins, l’inquiétude démonologique des successeurs de Jean XXII est sans commune mesure avec celle de ce dernier.

16 E. Falgairolle, Un envoûtement en Gévaudan, en l’année 1347, Nîmes, Catélan, 1892.

17 D. Fabrié, « Un procès de sorcellerie à Mende au xive siècle », Espaces religieux et communautés méridionales, Actes du 64e Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (Villeneuve-Les-Avignon, 15-17 mai 1992), Montpellier, 1994, p. 95-118, ici p. 112.

18 « Scientiae prohibitae » est l’expression récurrente employée dans le procès d’Étienne Pépin.

19 P. Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos, vicomte de Roda et de Perellos (v. 1350-apr. 1408), auteur du Viatge al Purgatori (1398) », Les pays de la Méditerranée occidentale au Moyen Âge. 106e Congrès national des sociétés savantes de Perpignan (1981), Paris, CTHS, 1983-1984, p. 213-223.

20 J. R. Veenstra, « Honorius and the Sigil of God : The Liber iuratus in Berengario Ganell’s Summa sacre magice », Invoking Angels. Theurgic Ideas and Practices from the Thirteenth to the Sixteenth Century, éd. C. Fanger, University Park, Penn State Press, 2012, p. 151-191. Voir également la transcription et la traduction du prologue de cet étonnant ouvrage par J.-P. Boudet et J. Véronèse, « La Somme de la magie sacrée de Bérenger Ganell », Le pouvoir des mots au Moyen Âge, éd. N. Bériou, J.-P. Boudet et I. Rosier-Catach, Turnhout, Brepols, 2014, p. 17-19.

21 Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos », p. 220. En outre, les archives départementales des Pyrénées Orientales conservent le testament, daté de 1352, d’un certain Barthélemy Ganell, curé de Tresserre et fondateur d’un bénéfice dans l’église du même lieu (Arch. dép. Pyrénées Orientales, G 901, cité dans le vol. III de l’Inventaire-sommaire des archives de ce département, Archives ecclésiastiques, Perpignan, 1904, p. 407b). Ce curé de Tresserre a de fortes chances d’être un parent de Béranger Ganell.

22 D. Gehr, « “Spiritus et angeli sunt a Deo submissi sapienti et puro” : il frammento del Magisterium eumantice artis sive scientiae magicalis. Edizione e attribuzione a Berengario Ganello », Aries, 11/2, 2011, p. 189-217.

23 A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII. Un pape hérétique ?, Paris, Payot et Rivage, 2003, p. 291-295.

24 G. Hedegård, Liber iuratus Honorii. A Critical Edition of the Latin Version of the Sworn Book of Honorius, Stockholm, 2002, p. 118 ; J.-P. Boudet, « Magie théurgique, angélologie et vision béatifique dans le Liber iuratus sive sacratus Honorii attribué à Honorius de Thèbes », Les anges et la magie au Moyen Âge, éd. J.-P. Boudet, H. Bresc et B. Grévin, Actes de la Table ronde organisée en décembre 2000 à l’Université de Paris X-Nanterre, Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, 114-2, 2002, Rome, p. 851-898, ici p. 883.

25 R. Kieckhefer, Forbidden Rites. A Necromancer’s Manual of the Fifteenth Century, Stroud, Sutton Publishing, 1997, p. 181-182.

26 Kieckhefer, Forbidden Rites, p. 181-182 et 309. Sur cet usage de la magie, voir J. Véronèse, « Les recettes magiques pour s’attirer les faveurs des grands », La cour du Prince, Cour de France, cours d’Europe, xiie-xve siècle, éd. M. Gaude-Ferrragu, B. Laurioux et J. Paviot, Paris, Champion, 2011, p. 321-338.

27 Veenstra, « Honorius and the Sigil of God », p. 151-191.

28 Hedegård, Liber iuratus Honorii, p. 60. Pour une traduction française du prologue, voir Boudet, « Magie théurgique », p. 856.

29 Interrogatus unde processit iste liber et quis eum condidit ; dixit quod quidam nominatus magister Pradellus reffert in quodam prologuo suo quod dudum in IIIIor studiis generalibus, videlicet Athenis, a Thebis, Neapolim et in Tholeto, publice legebatur heumancia […], Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 4v.

30 Boudet, « Magie théurgique », p. 861.

31 J.-P. Boudet et J. Véronèse, « Lier et délier : de Dieu à la sorcière », La légitimité implicite. Actes des conférences organisées à Rome en 2010 et en 2011 par SAS en collaboration avec l’École française de Rome, dir. J.-Ph. Genet, Paris-Rome, Publications de la Sorbonne-École française de Rome, 2015 (« Le pouvoir symbolique en Occident, (1300-1640) », I), vol. I, p. 87-119, ici p. 110-111.

32 Art. X : […] dictam ymaginam babtisando et exorcisando ; art. XIV : Item, pervenit quod dictus Stephanus predictam ymaginem, sic ut permittitur, per eum fabricatam et conjuratam et exorcisatam in certo loco reposuit […], Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 2v.

33 Voir le problème soulevé par le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, dans F. Chave-Mahir et J. Véronèse, Rituel d’exorcisme ou manuel de magie ? Le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich (début du xve siècle), Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2015, p. 115-116.

34 Boudet et Véronèse, « Lier et délier », p. 109.

35 Boudet et Véronèse, « Lier et délier », p. 111.

36 Dans le premier traité du Liber Iuratus, le chapitre intitulé « De compositione sigilli Dei vivi et veri » décrit la procédure à suivre pour réaliser le sigillum Dei, c’est-à-dire le talisman qui comporte les 72 noms de Dieu.

37 Boudet, Entre science et nigromance, p. 384.

38 Boudet, Entre science et nigromance, p. 383-388.

39 Explicit liber de vita anime rationalis, qui Liber sacer vel Liber angelorum vel Liber juratus nuncupatur, quem fecit Honorius, magister Thebarum, éd. Hedegård, Liber iuratus Honorii, p. 150.

40 J.-P. Boudet et J. Véronèse, « Le secret dans la magie rituelle médiévale », Il Segreto, Micrologus. Natura, Scienze e Società Medievali, XIV, 2006, p. 101-150, ici p. 119.

41 Boudet et Véronèse, « Le secret », p. 119. Les auteurs notent (p. 123) que « l’enseignement » prodigué dans les textes magiques est considéré comme « une œuvre divine qui est le signe d’une élection ».

42 Et vocatur juratus quia nemini est tradendus, nisi fuerit probatus moribus per annum, nec etiam est tradendus mulieri, Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 5r.

43 G. Federici Vescovini, Le Moyen Âge magique. La magie entre religion et science aux xiiie et xive siècles, Paris, Vrin, 2011, p. 161.

44 Ponsich, « La bibliothèque de Ramon de Perellos », p. 222.

45 Voir P. Barthélémy, La Sedacina ou l’Œuvre au crible. L’alchimie de Guillaume Sedacer, carme catalan de la fin du xive siècle, Paris-Milan, SÉHA-Archè, 2002.

46 Corpus juris canonici, t. II, Decretalium collectiones, Liber sextus, vol. V, 2, 8, éd. A. L. Richter, Leipzig, 1881, réimpr. Graz, 1955, col. 1071-1072.

47 C’est volontairement que l’on devient hérétique : de nombreux décrétistes font de la volonté l’argument qui justifie de châtier l’hérétique. Si, dans bien des cas, les juristes considèrent qu’une mauvaise intention sans passage à l’acte ne constitue qu’un péché, et pas un crime, l’hérésie fait exception. Elle a quitté le ressort du for interne pour celui du for externe, en particulier dès le début du xiiie siècle. Voir à ce sujet J. Chiffoleau, « “Ecclesia de occultis non iudicat” ? L’Église, le secret, l’occulte du xiie au xve siècle », Il Segreto, p. 359-481.

48 A. Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval, 1280-1330, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 69.

49 Boureau, Satan hérétique, p. 20. Cette bulle n’est connue que par le manuel de l’inquisiteur de Nicolas Eymerich : voir Directorium inquisitorum Nicolai Eymerici, cum scholiis Francisci Pegnae, Venezia, 1607, secunda pars, quaestio XLIII (De invocantibus daemones), p. 341a-341b. L’hypothèse selon laquelle elle constituerait un faux fabriqué par Eymerich pour justifier son activité à l’égard des invocateurs de démons est envisageable, mais il se peut aussi qu’elle soit restée sous Jean XXII à l’état de projet sans être publiée.

50 Ce tableau statistique a été établi à partir du Bullaire de l’Inquisition française de Jean-Marie Vidal. La lettre pontificale de l’un des procès comptabilisé est absente du Bullaire, mais on la trouve dans les Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns, de Jospeh Hansen.

51 Reg. Vat. 109, fol. 133v, c. 550.

52 E. Peters, The Magician, the Witch, and the Law, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 112.

53 […] dictus dominus Apcherii dixit eidem loquenti quod magna discentio erat ad invicem inter dictum dominum episcopum et ipsum dominum de Apcherio », Arch. dép. Lozère, G 936, fol. 18r.

54 Fabrié, « Un procès de sorcellerie à Mende au xive siècle », p. 112.

55 Les études historiques sur cette région sont assez peu nombreuses : néanmoins, le peu de travaux que l’on recense contient une information très riche, comme c’est le cas des ouvrages de Charles Porée, au début du xxe siècle. Plus récemment, Philippe Maurice a consacré une thèse et plusieurs ouvrages à la société gévaudanaise.

56 I. Darnas, « Les châteaux de l’évêque de Mende dans la vallée du Lot en Gévaudan (xiie-xive siècles) », Archéologie du Midi médiéval, 11/1, 1993, p. 41-51.

57 R. Telliez, « Croz e sonnaills ». La souveraineté en Gévaudan 1161-1343, Mémoire de maîtrise de l’Université Paris IV, Paris, 1992, p. 132.

58 F. André, Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790, Lozère, tome I, Mende, Privat, 1882, p. 188.

59 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 132.

60 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 132.

61 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 131.

62 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 133.

63 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 134.

64 Telliez, « Croz e sonnaills », p. 119.

65 Reg. Vat. 141, fol. 176v, n. 997 ; Reg. Vat. 244 k, fol. 10, n. 13. Voir l’édition suivante : E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat (éd.), Clément VI : 1342-1352. Lettres closes, patentes et curiales se rapportant à la France, Paris, De Boccard, 1958.

66 Actes du Parlement de Paris : Parlement criminel règne de Philippe VI de Valois, Paris, Archives nationales, 1987, p. 271 : acte 4124 E, 5068 vo A.

67 D. C. Devic, D. J. Vaissète et alii, Histoire générale de Languedoc, Toulouse, Privat, 1872, t. IX. Voir aussi la lettre de rémission de Philippe VI (1339).

68 Voici la liste des plus intéressantes pour notre étude : Reg. Vat. 141, fol. 176r ; Reg. Vat. 141, fol. 176v ; Reg. Vat. 141, fol. 176r ; Reg. Vat. 141, fol. 176v ; Reg. Vat. 141, fol. 246r ; Reg. Vat. 142, fol. 77r ; Reg. Vat. 146, fol. 74v ; Reg. Vat. 146, fol. 75r ; Reg. Vat. 244, fol. 62r.

69 Reg. Vat. 145, fol. 142v ; littere responsionum.

70 Dilecte in Christo filie nobili mulieri Marie de Belloforti, uxori dilecti filii nobilis viri Garini de Apcherio, domicelli Mimatensis diocesis […], Reg. Vat. 144, fol. 142r ; littere de Camera.

71 Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, grands officiers de la Couronne, de la Maison du Roy et des anciens barons du royaume, Paris, La Compagnie des Libraires, 1726, t. 6, p. 317.

72 Reg. Vat. 138, no DCCCLXXXXVI, fol. 233v et Reg. Vat. 138, no DCCCCLXXVIII, fol. 255v.

73 Reg. Vat. 146, fol. 74v-75r ; littere missive.

74 Reg. Vat. 138, no DCCCCLXXVIII, fol. 255v.

75 Reg. Vat. 141, fol. 255v-256r, nn. 1349-1352 et fol. 288v, nn. 1430-1433.

76 Reg. Vat. 141, fol. 246v, n. 1279.

77 Reg. Vat. 145, fol. 142v ; littere responsionum.

78 D. Wood, Clement VI. The Pontificate and Ideas of an Avignon Pope, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 111.

79 Ideoque fraternitati tue per apostolica scripta mandamus quatenus processum habitum per te, seu de mandico tuo, contra clericum memoratum nobis sine aliqua dilacione transmittas ab omni interim contra eundem clerico habendo processum et qualis alia contra eum novitate noxia facienda, penitus abstinendo, ipsum custodiendo et custodiri faciendo, diligenter atque fideliter donec a nobis aliud super hoc receperis in mandatis, Reg. Vat. 141, fol. 176, n. 996.

80 Item citentur publice dominus Guillelmus Lordeti, canonicus Mimatensis, et Ramundus de Nogareto, clericus Mimatensis, ad prohibendum testimonium veritatis et mandetur eis quod non recedant de curia donec deposuerint, sub pena excommunicationis, Arch. dép. Lozère, G 936 (supplique), fol. 2r.

81 Reg. Vat. 141, fol. 176, n. 996. Édition E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat.

82 […] prefatus miles asserens se penitus de hoc innocentem ac te dictumque officialem tuum, pro eo quod, sicut dicit, inimici estis capitales ipsius, super hoc habere suspectos nobis humiliter supplicavit ut cum ipse coram nobis de innocencia sua super hoc fidem facere sit paratus, ne fama sua ex hujusmodi confessione indebite laceretur, providere super hoc ei de oportuno remedio dignaremur, Reg. Vat. 141, fol. 176v, n. 997 ; Reg. Vat. 244 k, fol. 10, n. 13. Édition E. Déprez, J. Glénisson et G. Mollat.

83 Arch. nat., JJ 80, fol. 131r-131v, no 180.

84 R. Cazelles, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, Droz, 1982, p. 131.

85 Boudet, « Magie théurgique », p. 857-859.

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Note de fin

i X = chiffre inconnu

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Pour citer cet article

Référence papier

Solène Baron, « Un procès de magie en Gévaudan et ses enjeux politiques (1347) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 385-417.

Référence électronique

Solène Baron, « Un procès de magie en Gévaudan et ses enjeux politiques (1347) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14831 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14831

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Auteur

Solène Baron

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