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La passion des pauvres (fin XIVe-début XVIIe siècle)

Les passions des pauvres, instruments créatifs pour Giulio Cesare Croce (1550-1609)

Florence Alazard
p. 345-363

Résumés

Chanteur de rue dans la Bologne de la seconde moitié du xvie siècle, Giulio Cesare Croce chante la vie quotidienne des petits métiers urbains, comme des paysans. Les pauvres – ceux qui ne parviennent pas à vivre de leur travail, comme ceux qui tombent dans la pauvreté par excès de vices – forment la première matière de son œuvre. Affectés de passions contraires, ils permettent à Croce d’éprouver de nouvelles formes d’expression.

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Texte intégral

  • 1 B. Geremek, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, [1978], tr. (...)
  • 2 Si Michel Foucault associait le Grand Renfermement à la fondation, en 1656, de l’Hôpital général d (...)

1Depuis quelques années (peut-être même depuis une, voire deux décennies), les chercheurs s’attachent à montrer la face sombre de la Renaissance. Dans l’ombre des fêtes, des fastes, de l’humanisme et de la floraison artistique, les pauvres constituent un objet d’étude susceptible de renouveler notre compréhension d’une période qu’il n’est plus possible de regarder aujourd’hui comme un tout homogène. En réalité, les travaux sur cette population sont déjà anciens : dès le début des années 1970, Bronislaw Geremek, Jean-Pierre Gutton, Michel Mollat ou Brian Pullan avaient contribué à faire des pauvres une catégorie historique à part entière1. Donc une catégorie affectée par l’histoire : il s’agissait d’abord d’une histoire sociale et politique qui permettait d’interroger la notion de Grand Renfermement et de penser cette période des xve, xvie et xviie siècles dont on pensait qu’elle avait vu le regard sur les pauvres se modifier2.

  • 3 A. Gueslin, D’ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le M (...)
  • 4 R. Chartier, « Les élites et les gueux. Quelques représentations (xvie-xviie siècle) », Revue d’Hi (...)
  • 5 G. Ricci, « Naissance du pauvre honteux : entre l’histoire des idées et l’histoire sociale », Anna (...)
  • 6 N. Elias, La civilisation des mœurs, [1939], tr. fr., Paris, Calmann-Lévy, 1973. On notera toutefo (...)

2Histoire du « gouvernement des pauvres », ensuite complétée par une histoire sociale de la pauvreté3, ou encore une histoire des représentations de la pauvreté4, elle s’est trouvée très vite confrontée à deux questions épistémologiques qui ont construit sa légitimité et sa centralité dans le champ historique. D’une part, les historiens ont dû réfléchir aux sources nécessaires à la construction de cette histoire et ont interrogé le rapport des pauvres à la production de la documentation les concernant, si bien qu’on évite désormais de « confondre l’histoire des pauvres avec l’histoire des sources concernant les pauvres5 ». D’autre part, il a fallu préciser l’objet même de l’histoire des pauvres et la distinguer, par exemple, d’une histoire des couches populaires : faire l’histoire des pauvres, entre xve et xviie siècle, est-ce faire l’histoire de 90 % de la société ? Ces interrogations ont favorisé l’émergence de nouvelles approches qui, pour résoudre les possibles conflits entre la situation objective des individus et leur sentiment d’appartenance à un groupe, examinent ce qui permet à certains de se reconnaître comme pauvres. Passions et émotions apparaissent alors comme les marqueurs de la pauvreté : si les élites – selon le schéma éliassien cependant contestable6 – sont occupées à limiter et à tempérer leurs passions, ces dernières, et leur expression supposée débridée, semblent désormais qualifier les pauvres. Aussi l’examen attentif des passions des pauvres est-il l’occasion d’interroger non seulement la fabrique culturelle du pauvre, mais aussi, et plus largement, la société des xve-xviie siècles toute entière.

  • 7 G. Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, Paris, PUF, 2000, p. 49.
  • 8 Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, p. 184. L’auteure ajoute toutefois que la joie fai (...)
  • 9 B. H. Rosenwein, « Worrying about Emotions in History », The American Historical Review, CVII/3, 2 (...)
  • 10 Emotions, Passions and Power in Renaissance Italy, éd. F. Ricardelli et A. Zorzi, Amsterdam, Amste (...)
  • 11 Sur ces objets, la littérature est immense. On se limitera à : Y.-M. Bercé, Fête et révolte. Des m (...)

3Depuis Aristote, la passion se définit comme « une qualité altérable, […] ce qu’on éprouve, ce qu’on subit, et qui produit dans le sujet une modification7 ». Pour les hommes de la Renaissance, la passion n’est rien d’autre que altération, émotion forte, mouvement vif, si bien que « émotions, affections, passions, quasi indifférenciées, restent affectées du signe négatif en tant que perturbations et dérèglements8 ». Grâce aux travaux pionniers de Barbara Rosenwein, on sait que l’histoire des émotions donne accès au monde social des époques médiévales et modernes9. Plus récemment, la place centrale de l’Italie dans cette histoire des émotions a été explorée, en même temps qu’était mis en évidence le rôle des passions dans la théorie et l’exercice du pouvoir10. Mais cette histoire des émotions a longtemps négligé les pauvres – si on veut bien excepter leurs éruptions festives ou colériques, qui se traduisent par les carnavals et les révoltes11. Aussi cherchera-t-on ici non seulement à montrer la richesse et la diversité des passions des pauvres à la Renaissance, mais aussi à interroger leurs usages et à comprendre ce qu’elles révèlent des pratiques sociales d’alors.

  • 12 Il libro dei Vagabondi, éd. P. Camporesi, Turin, Einaudi, 1973.
  • 13 Cet inventaire a été réalisé à partir du catalogue web « edit16 » de l’ICCU (Istituto Centrale per (...)
  • 14 Par exemple : Ordini con i quali si sono dispensate le elemosine fatte à poveri di Verona da gli i (...)
  • 15 Geremek, Les fils de Caïn, p. 61-62.
  • 16 C. M. Cipolla, « The Economic Decline of Italy », Crisis and Change in the Venetian Economy in the (...)

4La péninsule italienne offre à ce titre un terrain d’observation privilégié. Comme ailleurs, la question de la pauvreté est au premier plan des réflexions morales, religieuses, politiques et sociales entre xve et xviie siècle12. Pour autant, les pauvres sont rarement, voire jamais, désignés comme tels : un rapide inventaire des titres imprimés au xvie siècle nous permet de récolter des termes comme vagabondi, sgombrini, furfanti, cingari, bagatilieri, ceratani, bravi qui tous désignent les activités sociales des pauvres et non leur statut dans la société, et qui tous font écho aux débats sur les « faux pauvres » et les ruses de ceux qui veulent profiter des formes nouvelles de l’assistance organisées par les villes13. Les pauvres (poveri) n’existent pas, sauf dans la littérature administrative, celle des bandi, ordini, editti, celle qui organise la prise en charge de la pauvreté, voire celle qui réprime ces pauvres14. La taxinomie est alors convoquée, comme en témoigne la quantité de publications qui cherchent à définir, à sélectionner, à trier : il faut distinguer le vrai pauvre, celui dont le métier ne parvient plus à le nourrir suffisamment, du faux pauvre, l’escroc qui profite de l’assistance aux pauvres, par la supercherie15. Comme ailleurs aussi, l’Italie connaît au xvie siècle – et surtout dans sa seconde moitié – une dégradation économique et sociale sans précédent, qui entraîne une explosion du nombre des pauvres16. Mais plus qu’ailleurs peut-être, en Italie, la littérature sur les pauvres prend les atours d’une littérature des pauvres. En effet, les nombreux textes qui ont pour objet la régulation sociale (bandi, etc.) ne semblent plus suffire à contenir la pauvreté et empêcher qu’elle ne gangrène toute la société. Aussi a-t-on recours à un procédé qui permet, en donnant fictivement la parole aux pauvres, de faire tenir un discours édifiant à ceux-là mêmes qui sont visés par ces propos. À cette occasion, les passions des pauvres – plus exactement : celles qu’on prête aux pauvres – sont particulièrement sollicitées : elles permettent d’abord d’incarner la pauvreté ; mais elles servent surtout à disqualifier les pauvres et à justifier une politique répressive qui ne dit pas toujours son nom.

  • 17 L. Dal Pane, La vita economica a Bologna nel periodo communale, Bologne, Tinarelli, 1957 ; L. A. K (...)
  • 18 J. de Vries, Economy of Europe in an Age of Crisis 1600-1750, Cambridge, Cambridge University Pres (...)
  • 19 L. Degl’Innocenti et M. Rospocher, « Street Singers : An Interdisciplinary Perspective », Italian (...)
  • 20 Sur la pauvreté rurale et la pauvreté urbaine : Geremek, La potence et la pitié, p. 71-96.
  • 21 On trouvera, sur le précieux site web de la Bibliothèque Universitaire de Bologne, les textes manu (...)
  • 22 G. C. Croce, Grandezza della povertà. Opera morale, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1620 : « Notate pre (...)
  • 23 M. Rouch, « Diffusion orale, feuilles volantes, écrits populaires au xvie siècle : le cas de Giuli (...)
  • 24 F. Croce, « Giulio Cesare Croce e la realtà popolare », Rassegna della letteratura italiana, LXXII (...)

5Dans la péninsule italienne, Bologne occupe une place singulière : depuis le xiiie siècle considéré par les historiens comme l’âge d’or de la ville, cette dernière est réputée, malgré les crises qui ne manquent pas de l’affecter entre Moyen Âge et Renaissance, pour sa richesse économique et sociale, et en particulier pour la vitalité de son artisanat qui explique l’abondance des métiers qui y sont représentés17. Mais Bologne n’échappe pas au marasme économique qui frappe la péninsule à partir des années 1580. Qu’on la définisse, ou non, comme le prélude à ce que les historiens ont appelé – non sans en débattre – la « crise générale du xviie siècle18 », cette dépression fut à l’origine de profonds bouleversements sociaux à Bologne. Parce que la ville se trouvait au cœur d’une campagne densément peuplée mais dont les productions se faisaient désormais rares, elle accueillit un exode rural qui vint gonfler les rangs des laissés pour compte qui, déjà, envahissaient les rues de la ville après que les principales industries de cette dernière furent elles aussi touchées par la crise. Un témoin privilégié a rendu compte de ce climat social : Giulio Cesare Croce (1550-1609), chanteur de rue (cantastorie ou cantimbanco19), auteur de plusieurs dizaines de plaquettes imprimées, a rapporté les déboires et les aspirations d’une population – aussi bien urbaine que rurale20 – à l’appartenance sociale indécise (menu peuple déclassé, ou faméliques sans avenir21). On connaît mal la situation sociale de Croce lui-même : il décrivait les conditions de vie des petites gens de sa ville natale, il les apostrophait, mais appartenait-il lui-même à ce groupe social, comme il le prétend dans plusieurs de ses opuscules22 ? Rien n’est moins sûr, car Croce, comme tous les chanteurs de rue entre xve et xviie siècle, était un intermédiaire dont les pratiques sociales et culturelles échappaient à toute catégorisation23. Il est certain cependant que sa position est rarement celle de l’observateur extérieur, et plus souvent celle de l’allié : se présentant comme pauvre parmi les pauvres, il construit ainsi sa légitimité, en même temps qu’il justifie le discours moral fréquemment à l’œuvre dans ses productions. Des études nombreuses ont déjà montré comment Croce servait de caisse de résonnance à tout un monde de petites gens et comment ses textes pouvaient nourrir une histoire de la vie quotidienne à Bologne à la fin de la Renaissance24. Mais la littérature de Giulio Cesare Croce n’est pas seulement le reflet des conditions de vie du petit peuple bolonais : elle est aussi un lieu d’intervention dans lequel les pauvres expriment leurs passions, dans lequel ces dernières s’exacerbent et délimitent finalement un espace autonome, un espace d’expérimentations sociales, politiques et littéraires.

Contadini, villani, poveri : figures de pauvres chez Croce

  • 25 G. Accolti, Allegrezza de’ poveri sopra il crescimento del Pane. Ottave, Bologne, Vittorio Benacci (...)
  • 26 G. C. Croce, La Compagnia de’ Rappezzati Eretta nuovamente. Nella quale s’invitano à entrarvi tutt (...)
  • 27 On rencontre en effet, dans les textes de Croce, plus souvent des « poveretti » ou « poverelli » q (...)
  • 28 G. C. Croce, Canto d’alegrezza sopra l’ingrossamento del Pane in Bologna, il giorno della Santissi (...)
  • 29 G. C. Croce, Banchetto de’ Malcibati. Comedia dell’ Academico Frusto. Recitata dagli affamati nell (...)
  • 30 Croce, Banchetto de’ Malcibati, p. 3.
  • 31 Croce, Banchetto de’ Malcibati, p. 4 : « Trattando sol di famé, e di disagio / E’fatta per gli aff (...)
  • 32 Montanari, « La Città Grassa », Una città in piazza, p. 110.
  • 33 M. Montanari, Bologna Grassa. La costruzione di un mito, Bologne, CLUEB, 2004. On soulignera toute (...)

6Giulio Cesare Croce n’a pas peur des mots et ne craint pas d’appeler un pauvre un pauvre. On rencontre le terme dans plusieurs des titres de ses opuscules soit sous la forme d’un substantif au pluriel qui désigne la communauté des pauvres (Allegrezza de’ poveri sopra il crescimento del Pane, Lamento de’ Poveretti), soit sous la forme d’un substantif singulier qui évoque l’allégorie de la pauvreté (Grandezza della povertà, Lamento della povertà per l’estremo freddo25). Lorsqu’ils ne sont pas explicitement cités dans ses titres, les pauvres figurent en bonne place dans la plupart de ses textes. On découvre ainsi l’existence d’une véritable confrérie qui rassemble tous ceux qui sont tombés dans la pauvreté : la Compagnia de’Rappezzati, qui donne son titre à l’un des opuscules de Croce, associe « tutt’ i Falliti, i Frusti, i Strazzosi, & i Ruinati26 ». Construction littéraire, cette confrérie n’a vraisemblablement jamais existé, mais c’est par la voix du cantimbanco qu’elle s’incarne et qu’elle construit une entité collective, celle des pauvres rassemblés. Le refrain qui suit chaque quatrain et qui scande ainsi trente-six fois le texte permet de marteler le véritable sujet de l’œuvre : « Siamo i pover ». C’est encore aux poverelli – et on observe l’importance des suffixes diminutifs très fréquents chez Croce27 – que s’adresse le Canto d’alegrezza sopra l’ingrossamento del Pane, qui célèbre le retour d’Abondance et la défaite de Famine28 : l’écriture allégorique est au service des réalités sociales qu’elle expose tout autant qu’elle recouvre, et il faut sans doute voir dans cette publication la timide et très provisoire embellie économique et sociale qui touche les terres de Bologne dans les années 1600, entre le marasme des années 1580-1590 et les terribles décennies 1610-1630. Les pauvres de ces années-là – car le pauvre, chez Croce, est toujours historiquement situé, non pas dans une période de décennies incertaines, mais bien au cœur d’années précisément dénoncées comme celles « de l’âpre et insupportable nécessité29 » – sont d’abord confrontés à la première des calamités : la faim. Dans le Banchetto de’ Malcibati (Banquet des Malnourris), l’Appétit ouvre le prologue, s’adressant aux « Scrochi, Pitochi, Poveri, e Cercanti30 », et annonçant à ses auditeurs que l’œuvre à suivre, puisqu’elle ne traitera que de faim et de pauvreté, n’intéresse que les affligés et les mal-contents31. Dans une ville qui, depuis le xiiie siècle, est connue par le lieu commun de « Bologna la Grassa », et qui cultive l’idée qu’elle assure une subsistance de qualité à tous, la faim est bien plus que la seule absence de nourriture : puisque « Grasso est synonyme de sécurité, de protection, et de bien-être32 », la famine devient alors le signe de l’échec politique de la ville. Cette pauvreté conjoncturelle est plus qu’une anomalie : elle est l’antinomie de tout ce qu’est Bologne, et elle met à mal l’équilibre économique, social et politique d’une ville qui était parvenue à construire le mythe qu’elle permettait aux pauvres de vivre dans une certaine dignité33.

7Chez Croce, le pauvre est aussi celui qui a un métier, voire un statut social, mais qui ne parvient plus à en vivre et dont la pauvreté n’est pas seulement matérielle, mais également morale. Ainsi, il peut dire du paysan que :

Povero, e tristo, e pien d’acerbe voglie,
Per un quattrino venderia la Moglie.

8D’abord parce que :

  • 34 G. C. Croce, Alfabetto del villano, Bologne, Ferdinando Pifatti, [sd], p. 2.

Tutt’ i Villan son vili, e mal creati,
E devono aspramente esser trattati34.

  • 35 G. C. Croce, Astuzie sottilissime di Bertoldo dove si scorge un Villano accorto e sagace, il quale (...)
  • 36 P. Camporesi, La maschera di Bertoldo. Le metamorfosi del villano mostruoso e sapiente. Aspetti e (...)
  • 37 Camporesi, La maschera di Bertoldo, p. 77 : « Il potere dei deboli. »

9On ne saurait réduire la description du paysan chez Croce à ce sombre tableau : dans la comédie qui met en scène le paysan Bertoldo, Croce présente au contraire « un paysan fruste et affreux, certes, mais futé, dégourdi et vif d’esprit35 ». D’une certaine manière, ce Bertoldo est peut-être moins proche du paysan bolonais que du bouffon (voire du cantimbanco lui-même), figure hybride du métissage de cultures différentes36. Mais Bertoldo n’en demeure pas moins un vrai paysan et il alimente la figure paradoxale du villano chez Croce : il est pauvre par ses conditions de vie et ses manières, mais il est aussi l’expression d’un génie populaire qui sait tirer partie de sa pauvreté, incarnant ainsi « le pouvoir des faibles37 ».

  • 38 On trouvera la liste de ces « nouveaux pauvres » dans : G. C. Croce, La Barca de Ruinati, che part (...)

10Les pauvres de Giulio Cesare Croce ne sont donc pas seulement les victimes de la crise. Le propos édifiant du cantimbanco s’adresse aussi à ceux qu’il appelle les « ruinati », c’est-à-dire tous ceux qui sont tombés, par faiblesse morale, dans la pauvreté : joueurs invétérés, consommateurs de prostituées, fêtards dépensiers, tous découvrent la pauvreté à la faveur de leurs défauts et de leurs passions mal réglées, non contenues38. Ces pauvres sont invités à embarquer sur un navire lui-même composé de matériaux et d’objets adaptés à son chargement :

  • 39 Croce, La Barca, p. 4.

Prima la poppa è fatta di tormenti,
La Prua di pianto, l’Arbore di rabbia,
Il Bossol d’ira, l’Anchore di stenti39.

11La barque des ruinés est ainsi fabriquée de toutes les passions qui désormais affectent ceux que la Fortune a ruinés : les pauvres ne peuvent s’en débarrasser, y compris lorsque, par exemple, ils débarquent sur l’île du regret. À mauvais pauvres, mauvaises passions : le discours moral de Croce vise d’abord à rappeler que les comportements déviants, qui trouvent leurs sources dans des passions nocives, entretiennent ces dernières et obligent ceux qui ont contrevenu aux règles morales et sociales à supporter des passions qui deviennent autant de stigmates manifestant leur état.

  • 40 F. Alazard, Le lamento dans l’Italie de la Renaissance. « Pleure, belle Italie, jardin du monde »,(...)
  • 41 G. C. Croce, Lamento de’ mietitori, li quali non potevano mieter il grano, per la longa pioggia, c (...)
  • 42 Croce, Lamento de’ mietitori : « E così fin’à la sera / Ci ne stavam lietamente / Lavorando volont (...)
  • 43 Croce, Lamento de’ mietitori : « E gran doglia in noi s’invasa / Che le moglie & i figliuoli / Per (...)

12Chez Croce, les pauvres connaissent des émotions et des passions qui ne se disent pas seulement par l’interjection, signe du débordement des passions dont la littérature déplorative fait fréquemment usage dans l’Italie de la Renaissance40. Dans son Lamento de’mietitori, le cantimbanco livre une description idyllique du travail de la moisson, associé à un véritable âge d’or de la vie paysanne : les émotions des pauvres se disent par les détails très concrets de leurs journées de travail. Il est alors question du labeur colossal que représente cette activité, mais dont les moissonneurs savent qu’il leur procurera une récompense41. Car la description de l’ordinaire des moissonneurs permet d’accéder aux émotions que provoque l’activité qui organise leur vie toute entière : loin de déplorer une corvée sans répit, Croce met en scène une vie faite d’alternance de plaisirs et de travaux, que les moissonneurs érigent en modèle42. La joie et la sérénité qui se dégagent de ces strophes ont pour fonction, cependant, d’amplifier le désespoir et l’affliction provoqués par les pluies de l’année 1609, qui viennent ruiner ce bel ordinaire. Ainsi la quinzième strophe de l’opuscule se présente comme un tournant dans le récit de Croce : alors qu’elle commence par rappeler comment les moissonneurs rentraient ordinairement chez eux « così lieti e contenti », elle s’achève par le témoignage de la grande douleur qui touche désormais les travailleurs et leurs familles43. Qu’ils soient travailleurs, mendiants, ou gens de mauvaises vies, les pauvres de Croce éprouvent une vie de passions contraires et cet antagonisme des passions permet au cantimbanco de tenir un discours édifiant sur les pauvres et à destination des pauvres.

Passions contraires

  • 44 P. Grimaldi Pizzorno, The Ways of Paradox from Lando to Donne, Florence, Leo S. Olschki, 2007 ; M. (...)
  • 45 Croce, La Compagnia, p. 2. : « Perche à scorger ciascun vegna, / Ch’al Pallon siamo agguagliati. »
  • 46 Croce, La Compagnia, p. 2. : « Con colpi aspri, e smisurati. »

13Le xvie siècle italien voit se développer une littérature de paradoxe dont le représentant le plus emblématique, Ortensio Lando, connaît un succès européen, et qui inaugure de nouvelles modalités d’interventions philosophiques et de constructions morales44. Croce lui-même pratique à l’occasion une littérature de paradoxes, et surtout il joue, dans ses œuvres, avec des formules paradoxales, ou des couples antithétiques, opposant les bonnes passions du pauvre qui a faim aux mauvaises passions de celui qui triche, ou encore les passions heureuses (comme cette rare joie qui, parfois, touche celui qui échappe à sa dure condition par la danse, la musique ou tout autre divertissement) du petit peuple de Bologne – celui qui parvient à se maintenir à la limite du seuil de la pauvreté – à celles, malheureuses, de ce même peuple lorsqu’il sombre dans la misère et doit affronter la faim, le froid et leur cortège de désolations. Voilà qui le conduit à développer une esthétique du retournement et du renversement, qui n’est pas sans lien avec le lieu commun du monde à l’envers, mais qui s’en distingue toutefois par l’usage systématique de l’antithèse. Ainsi, dans La Compagnia, les pauvres rapportent qu’ils ont pour emblème un ballon, parce que chacun pourra constater, disent-ils, qu’ils sont à l’image de cet objet45 : ballotés, soumis aux caprices de l’air comme aux coups des hommes, ne décidant de rien, asservis même. Les pauvres sont alors décrits comme des êtres sans passion, mais qui subissent celles des autres, ceux qui s’acharnent sur eux, « avec des coups cruels et excessifs46 ».

  • 47 Croce, Lamento della povertà, p. 4.

14Croce ne prive cependant pas les pauvres de toute forme de passions, les décrivant comme « affliti e lassi47 », seuls, abandonnés de tous, et souffrant, se désespérant de leur état :

  • 48 Croce, La Compagnia, p. 4.

Perche adesso al mondo s’usa,
Che color, che in povertade
Son caduti (ahi fiera etade)
Son da tutti discacciati.
Siamo ipover.
Anzi stan penando sempre,
Con tormenti, affanni, e guai48.

  • 49 Croce, La Compagnia, p. 4 : « E tu freddo aspro e crudele, / Che ci affliggi oltre misura, / Leva (...)
  • 50 Croce, La Compagnia, p. 4 : « Verrà un giorno chiaro e puro. »

15Le lieu commun de cette écriture – qui n’est pas le propre du cantastorie bolonais, mais qu’on retrouve dans toute la littérature de déploration du xvie siècle – c’est la présentation des passions contraires qui touchent les pauvres : il s’agit d’opposer un présent fait de malheurs et de désespoirs à un futur dont on espère qu’il sera construit sur la joie et la prospérité : en invitant l’hiver, et son lot de désolations, à quitter la région et le printemps, avec ses promesses, à s’installer, le Lamento della Povertà souligne aussi combien les pauvres sont soumis à un régime de passions qui les plonge dans une précarité autant morale que matérielle49. Mais cette versatilité, constitutive de la vie des pauvres, est aussi porteuse d’espoir puisqu’elle annonce la fin de leurs malheurs. La dernière strophe du Lamento della Povertà interpelle ainsi les pauvres (« Poverelli udite bene ») pour leur annoncer que puisque tout a une fin, cet hiver extrême, qui s’est prolongé plus que de raison et qui a ruiné les plus fragiles, prendra lui aussi prochainement fin et « viendra un jour clair et pur50 ».

16Dans le Canto d’alegrezza, Famine (Carestia) quitte en pleurant les rues de Bologne, suivie par tous les maux qui accablaient la ville durant son règne, et avec eux,

  • 51 Croce, Canto d’alegrezza, p. 2.

ogni pena, ogni dolore,
ogn’affanno, ogni clamore,
ogni danno, & ogni stento
ogni noia, ogni tormento,
ogni doglia, ogni tristezza51.

17Le texte est tout entier construit sur cette opposition entre les passions suscitées par Famine et celles qu’Abondance apporte désormais à la ville et qui saturent le refrain proféré dix-huit fois dans ce Canto :

Festa, giubilo, e alegrezza,
Gioia, Gaudio, e contentezza.

  • 52 Croce, Canto d’alegrezza, p. 6 : « E però voglio pregare / ciaschedun che voglia usare / gentilezz (...)
  • 53 Croce, Canto d’alegrezza, p. 6 : « E pregar sopra ogni cosa / il Signor che con pietosa / man ci v (...)
  • 54 Croce, Canto d’alegrezza, p. 7 : « Ne far giochi per le strade, / ne bagordi, ne pazzie. »

18Le récit de la chasse des passions tristes par les passions heureuses ne suffit cependant pas à l’œuvre crocienne, qui se veut aussi édifiante : les pauvres de Bologne n’en ont pas fini avec Famine qui, toujours, menace de revenir52. Le Canto s’achève donc par la seule passion qui convienne aux pauvres : celle qu’ils doivent éprouver pour Dieu, vers lequel Giulio Cesare Croce incite les pauvres à se tourner afin qu’il les libère de leurs misères53. Ainsi faut-il craindre et honorer ce Dieu qui protège. Mais il y a plus : c’est à une nouvelle morale de vie que Croce invite les pauvres à se plier. Il les enjoint en effet de ne plus jouer dans les rues, de ne plus se livrer aux plaisirs matériels et aux excès54. Si bien que la conclusion s’impose :

  • 55 Croce, Canto d’alegrezza, p. 7.

Honorar i Superiori,
i Padroni, & i Maggiori,
& usar in ogni lato
la modestia, & esser grato
à ogni sorte di persone
che con simil attione
dal Ciel sempre hauren favore,
e la terra con amore
ci darà la sua grassezza55.

  • 56 Camporesi, Il palazzo, p. 30 ; Rouch, « Diffusion orale », p. 47.

19Sans doute faut-il lire, dans cette célébration d’une pauvreté vertueuse, le conservatisme supposé de Croce56 qui fait du respect de l’ordre social la condition sine qua non à l’expression des passions des pauvres : tant qu’ils ne contrarient pas les fondements de la société d’Ancien Régime, les pauvres ont tout le loisir de s’épancher, dans la mesure où la démonstration de leurs passions sert finalement d’exutoire et de catharsis. Ainsi, la plainte des « poveretti mietitori » apprend d’abord à ses auditeurs à supporter les mauvaises passions : l’affliction, provoquée par la faim et le froid, ne doit pas faire oublier que l’espoir subsiste. Il faut donc continuer à vivre heureux, à jouir des passions joyeuses (« Dunque fin che torna il Sole/Sonarem la Citterina »), à prier, et à attendre que Dieu accomplisse son œuvre et ramène, avec le beau temps, la prospérité.

  • 57 Croce, Grandezza della povertà, p. 1 : « Poi che vuol la benigna mia fortuna, / Ch’io sia per pove (...)
  • 58 Croce, Grandezza della povertà, p. 1 : « Venite poverelli al cantar mio, / Et ascoltate di mie rim (...)
  • 59 Croce, Grandezza della povertà, p. 3 : « Fù il mondo tutto rovinato, e guasto. »
  • 60 Croce, Grandezza della povertà, p. 4 : « fumo, sogno et ombra ».

20Croce prend souvent son lecteur (qui est aussi un auditeur, faut-il le rappeler) à contre-pied. Ainsi, dans la Grandezza de la povertà, le cantimbanco se présente dès les premiers vers, comme un pauvre qui se satisfait d’une misère qui le rend heureux, si bien qu’il n’envie ni le Turc et son trésor, ni celui qui possède l’or le plus fin57. L’œuvre toute entière se présente comme une ode à une pauvreté heureuse qu’il convient de célébrer. Aussi le chanteur appelle-t-il tous les pauvres à le rejoindre et à communier dans l’écoute de ses vers58. Croce propose alors à ses auditeurs une histoire de l’humanité depuis l’âge d’or où ne régnaient que la paix et le parfait amour jusqu’au moment où « le monde se trouva entièrement ruiné et gâté59 », et où pauvres et riches commencèrent à se distinguer. Croce déplore alors la vanité des richesses qui ne sont que « fumée, songe et ombre60 » et finit par une sentence qui se présente comme un véritable programme politique et social :

  • 61 Croce, Grandezza della povertà, p. 4.

Onde quanto piu penso al fatto mio,
Ogn’hor più mi contento del mio stato,
Et assai più allegro, e lieton son, che’s’io
Fussi di sangue illustre, al mondo nato61.

  • 62 Pour n’en citer que quelques-uns dans la litanie développée par Croce : « La Solitudin’è la mia Nu (...)
  • 63 Croce, Grandezza della povertà, p. 9 : « Va per viaggio il povero felice / Senza temer nè ladro, n (...)
  • 64 Croce fait une liste bien longue des angoisses qui accablent les riches : ils ont peur au moment d (...)

21Fermement invité à se satisfaire de sa condition, le pauvre est également convié à observer la chance qui est la sienne. Certes, Pauvreté règne sur son ménage, où s’affairent également Nécessité, Calamité, Famine et d’autres compagnons tout aussi éloquents62. Mais le pauvre doit prendre conscience des avantages que lui apporte son statut : il n’a pas les craintes des riches, qui s’inquiètent toujours d’être volés et de perdre tout ce qu’ils ont accumulé63. Débarrassé de toute angoisse64, le pauvre s’avère finalement – plus que le riche – destiné à vivre heureux et à profiter de son passage sur terre :

  • 65 Croce, Grandezza della povertà, p. 13.

Dunque vivete lieti voi, che state
In cosi dolci, e delicate tempre,
E se pregate Dio, sol domandate,
Ch’in povertade vi mantenghi sempre65.

  • 66 P. Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 1983.

22Allégation sincère ou antiphrase ironique ? On manque d’éléments pour répondre, mais les indices du conservatisme de Croce n’empêchent pas de soupçonner que le cantimbanco se plaisait aussi à moquer une situation sociale qu’il déplorait. Passions et émotions des pauvres servent donc, chez Croce, un discours dont la complexité du contenu n’a d’égale que celle de la forme : l’expression des passions contraint le cantastorie à renouveler une écriture qui puisait jusqu’alors dans une tradition orale pluriséculaire66.

Expérimenter

  • 67 Sur le site de la Bibliothèque Universitaire de Bologne, déjà évoqué plus haut.
  • 68 R. Salzberg, « “Poverty Makes Me Invisible”: Street Singers and Hard Times in Italian Renaissance (...)
  • 69 G. C. Croce, Il lamento di tutte le arti del mondo, e di tutte le Citta e Terre d’Italia per le po (...)

23Les passions des pauvres se disent chez Croce à travers des formes singulières. Le lamento est sans doute la plus visible : il suffit de consulter l’index des œuvres de Croce67 pour en saisir le rôle dans l’écriture de Croce. Apostrophes, exclamations et interjections manifestent bruyamment les passions de ceux qui peinent. Rosa Salzberg suggère que la position d’intermédiaire des chanteurs de rue – y compris leur position physique : ils sont entre le palais et la rue, côtoient les élites et les plus pauvres – favorise l’expression forte des sentiments : le contraste des situations sociales auxquelles ils sont confrontés pousse les chanteurs de rue à développer les accords les plus pathétiques68. Le lamento, parce qu’il repose sur l’exacerbation des passions, devient au xvie siècle le genre privilégié des chanteurs de rue italiens. S’inscrivant dans la tradition franco-provençale de l’écriture déplorative, déjà renouvelée pendant les guerres d’Italie, Croce fait ici œuvre de subversion. Si on a souligné précédemment son probable conservatisme politique et social, force est de remarquer qu’il bouleverse les pratiques littéraires de ses contemporains. C’est à lui en effet qu’on doit l’évolution d’un genre qui, affrontant d’abord une matière sérieuse et tragique – c’est le lamento qui est privilégié pour déplorer la chute de Constantinople et, par la suite, les calamités des guerres d’Italie – a pris, dans la seconde moitié du xvie siècle, un tour parodique et ludique. Les lamenti de Croce exploitent cette dernière veine : le désespoir et l’affliction des pauvres sont mobilisés pour servir une écriture dont les ambitions peuvent s’avérer bien éloignées de la « défense et illustration des pauvres ». En témoigne le Lamento di tutte le arti del mondo69 : le texte porte la plainte des artisans de Bologne qui, en raison d’une conjoncture désastreuse, tombent dans la pauvreté. Mais très vite, le lecteur (et a fortiori l’auditeur) comprend que l’enjeu est tout autre. Le texte prend en effet une autre direction et se transforme en une véritable logorrhée qui a pour objet l’énumération des petits métiers de la ville.

  • 70 Croce, Il lamento di tutte le arti del mondo, p. 2.

Dolionsi anco i Stampatori
E librari. E Intagliatori.
Barilari. E Bocalari.
E Bottieri, Mastellari,
Marangone, e Segantini,
Condutieri, e nolezini70.

  • 71 Tomaso Garzoni, La piazza universale di tutte le professioni del mondo, éd. G. B. Bronzini, Floren (...)
  • 72 Voir, par exemple, mais ce n’est qu’une strophe, parmi une dizaine d’autres, Croce, Lamento di tut (...)
  • 73 On ne peut d’ailleurs se retenir de regarder les productions de Croce à la lumière des analyses dé (...)

24Cette strophe donne une idée de la douzaine d’autres qui forment l’ensemble du lamento et qui construisent ainsi un texte original fait du ressassement à la fois de la douleur et des noms de professions urbaines. L’œuvre n’est pas sans rappeler alors certains des grands textes de la fin du siècle qui ont pour objet, derrière la description du monde, l’érection de normes sociales contraignantes, dans le contexte de la Contre-Réforme71. Mais il ne faut pas sous-estimer la jubilation verbale qui s’exprime également ici et qui est la marque de fabrique de nombreux textes de Croce. Les passions des pauvres servent alors de prétexte à un exercice de style, proche de la logomanie, et qui consiste surtout à emplir l’espace (l’espace de la page imprimée du livre, mais aussi l’espace sonore que le cantimbanco occupe par la profération de son texte) et à jouir des effets produits par ce débridement de mots. Dans ce même Lamento di tutte le arti, ce ne sont finalement plus seulement les professions qui se plaignent, mais les villes de la péninsule, ce qui permet à Croce de s’engager dans une nouvelle profération qui se vide de tout sens, mais qui par la seule énumération des villes endolories par la dureté des temps, contribue à transmettre les passions par un effet de sidération qui affecte le lecteur-auditeur, accablé par la profusion verbale72. Pourrait-on aller jusqu’à soutenir que Croce contribue ainsi à la création d’un champ littéraire autonome, fondé sur l’expérimentation sonore et les jeux verbaux, et affranchi de la nécessité de produire un discours articulé ? Une telle proposition serait sans doute excessive. Il n’empêche : réduites à un inventaire de mots qui résonnent et frappent le lecteur-auditeur, les passions des pauvres sont autant d’instruments qui permettent ce travail du langage73.

  • 74 Croce, La Compagnia, p. 4 : « E però liberi, e sciolti / Ce n’andiam, come si vede, / De la testa (...)

25Ce serait oublier cependant que Croce, jamais, ne renonce à ce discours articulé. L’expérimentation verbale a en effet un équivalent dans l’ordre de la pensée : les passions des pauvres soutiennent un projet – qu’on n’osera pas qualifier de politique et/ou de social, mais qui emprunte à l’un et à l’autre domaine – de réappropriation de leur vie par les pauvres. Pour Croce, l’expression débridée de ces passions, surtout lorsqu’elles sont malheureuses, conduit à réveiller le sens du collectif chez une population dont l’hétérogénéité (et il n’a de cesse de rappeler combien ces poveri sont issus de milieux sociaux divers) pourrait faire obstacle non seulement à une conscience collective, mais aussi à la mise en pratique concrète d’un sentiment d’appartenance. La Compagnia de’ Rappezzati élabore ainsi ce nouveau programme de vie, fondé sur la communauté, cette confrérie des pauvres dont il est précisément question, et qui permet à Croce de rappeler que si les pauvres sont dans un état de misère incommensurable, ils sont cependant libres et autonomes74. Le texte s’achève d’ailleurs sur l’expression – qui prend valeur de manifeste – de la joie et du plaisir d’une vie simple où chacun fait ce qu’il veut, et où les pauvres se rassemblent pour jouir de la vie :

  • 75 Croce, La Compagnia, p. 5.

Qui non s’hà à durar fatica,
Ne à pensare à cosa alcuna ;
Basta sol, che ogn’un s’aduna75.

  • 76 Croce, La Compagnia, p. 6.

Quiui poi non s’hà à far altro,
Che dormir quando s’hà sonno ;
E passare il dì si ponno
Con piaceri honesti e grati76.

  • 77 Croce, Canto d’Alegrezza, p. 3 : « I Fratelli, & i Cugini/I parenti, & i vicini, / potran gire a r (...)

26À l’issue de la présentation de ce nouvel horizon, la condition des pauvres ne se trouve pas modifiée : pauvres ils sont, pauvres ils demeurent. Mais le conservatisme social et politique de Croce ne doit pas occulter son attention à la métamorphose des passions des pauvres. Car c’est finalement sur elles qu’il suggère d’agir. Le Canto d’Alegrezza propose la même ambition : se retrouver entre parents et amis, jouir de la vie, entre pauvres, mais entre pauvres libérés de la faim et des passions tristes qui l’accompagnent77.

  • 78 D. Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon, 2015, p. (...)

27Étudiant les « passions parisiennes » à la Renaissance, Diane Roussel a contribué à modifier notre représentation de la capitale du royaume : si le xvie siècle sonne le glas de la « bonne ville » médiévale, loin de se transformer en « pousse-au-crime », Paris serait en fait peut-être devenu « le lieu d’un système original d’encadrement et de moralisation des comportements au début des Temps Modernes, une matrice de “civilisation des mœurs” bien avant le système curial sous Louis XIV décrit par Norbert Elias78 ». La ville de la Renaissance ne serait plus alors le lieu de toutes les criminalités et de l’exacerbation des passions, mais au contraire un espace de pacification et d’encadrement des passions. Bologne pourrait nous aider à compléter ce tableau. À sa manière, Giulio Cesare Croce participe à cette nouvelle économie urbaine des passions des pauvres. Chanteur de rue, il exprime, en même temps qu’il libère sans doute, ces passions : elles emplissent les rues et les places de la cité ; leur profération/prolifération sonore expose les émotions et sentiments qui affectent les pauvres. Toutefois, le cantimbanco contribue aussi à les policer en leur proposant une issue en tant que productions culturelles.

  • 79 On trouvera sur le site web de la Bibliothèque de l’Archiginnasio la numérisation du fonds « Bandi (...)

28Tour à tour joyeuses ou tristes, ces passions des pauvres, sous la plume et dans la voix de Giulio Cesare Croce, servent finalement non seulement à décrire ces années si singulières de la fin du xvie siècle – années de crises et de famines – mais aussi à exposer une nouvelle façon de dire la pauvreté. Dans la ville par excellence des bandi79, dans la ville où l’administration gère et contrôle les pauvres, leur contestant toute passion, le cantimbanco n’est ni une simple caisse de résonnance, ni un outil de contrôle social : façonnant les passions, il participe à leur construction, en même temps qu’il les érige en piliers de son art.

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Notes

1 B. Geremek, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, [1978], tr. fr., Paris, Gallimard, 1987 ; J.-P. Gutton, La société et les pauvres : l’exemple de la généralité de Lyon (1534-1789), Paris, Les Belles Lettres, 1971 ; M. Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, Bruxelles, Complexe, 1978 ; B. Pullan, Rich and Poor in Renaissance Venice. The Social Institutions of a Catholic State, Londres, Basil Blackwell, 1971. Pour une mise en perspective historiographique : A. Kitts, « Mendicité, vagabondage et contrôle social du Moyen Âge au xixe siècle : état des recherches », Revue d’Histoire de la Protection Sociale, 1, 2008, p. 37-56.

2 Si Michel Foucault associait le Grand Renfermement à la fondation, en 1656, de l’Hôpital général de Paris, il notait toutefois que « c’était là la dernière des grandes mesures qui avaient été prises depuis la Renaissance pour mettre un terme au chômage ou du moins à la mendicité » (M. Foucault, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961, p. 63-64).

3 A. Gueslin, D’ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge, Paris, Fayard, 2013.

4 R. Chartier, « Les élites et les gueux. Quelques représentations (xvie-xviie siècle) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, XXI, 1974, p. 376-388 ; R. Chartier, Figures de la gueuserie, Paris, Montalba, 1982 ; B. Geremek, Les fils de Caïn. L’image des pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne du xve au xviie siècle, tr. fr., Paris, Flammarion, 1991 ; Pauvres et pauvreté en Europe à l’époque moderne ( xvie-xviiie siècle), éd. L. Torres et H. Rabaey, Paris, Garnier, 2016.

5 G. Ricci, « Naissance du pauvre honteux : entre l’histoire des idées et l’histoire sociale », Annales. ESC, 38/1, 1983, p. 171.

6 N. Elias, La civilisation des mœurs, [1939], tr. fr., Paris, Calmann-Lévy, 1973. On notera toutefois que la limitation des affects n’est, pour le sociologue, qu’un aspect du procès de civilisation. Pour une critique du schéma éliassien : H. P. Duerr, Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation, tr. fr., Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1998. Pour une autre approche du débat : D. Linhardt, « Le procès fait au Procès de civilisation. À propos d’une récente controverse allemande autour de la théorie du processus de civilisation de Norbert Elias », Politix, 14/55, 2001, p. 151-181.

7 G. Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, Paris, PUF, 2000, p. 49.

8 Mathieu-Castellani, La rhétorique des passions, p. 184. L’auteure ajoute toutefois que la joie fait exception, car elle est reconnue comme une passion bonne.

9 B. H. Rosenwein, « Worrying about Emotions in History », The American Historical Review, CVII/3, 2001, p. 821-845 ; « Histoire de l’émotion : méthodes et approches », Cahiers de civilisation médiévale, 49/193, 2006, p. 33-48 ; D. Boquet et P. Nagy, « Une histoire des émotions incarnées », Médiévales, 61, 2011, p. 5-24.

10 Emotions, Passions and Power in Renaissance Italy, éd. F. Ricardelli et A. Zorzi, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2015, en particulier les articles de B. H. Rosenwein (« The Place of Renaissance Italy in the History of Emotions », p. 15-30) et de S. K. Cohn Jr (« Renaissance Emotions : Hate and Disease in European Perspective », p. 145-170).

11 Sur ces objets, la littérature est immense. On se limitera à : Y.-M. Bercé, Fête et révolte. Des mentalités populaires du xvie au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1976, et E. Le Roy Ladurie, Le Carnaval de Romans. De la Chandeleur au Mercredi des Cendres, 1579-1580, Paris, Gallimard, 1979.

12 Il libro dei Vagabondi, éd. P. Camporesi, Turin, Einaudi, 1973.

13 Cet inventaire a été réalisé à partir du catalogue web « edit16 » de l’ICCU (Istituto Centrale per il Catalogo Unico) qui recense les éditions italiennes du xvie siècle conservées dans les bibliothèques de la péninsule. Sur la chasse aux faux pauvres, on pourra se reporter aux recherches sur l’espace français : J. Depauw, « Pauvres, pauvres mendiants, mendiants valides ou vagabonds ? Les hésitations de la législation royale », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, XXI, 1974, p. 401-418 ; B. Schnapper, « La répression du vagabondage et sa signification historique du xive au xviiie siècle », Revue d’histoire du droit français et étranger, 2, 1985, p. 143-157.

14 Par exemple : Ordini con i quali si sono dispensate le elemosine fatte à poveri di Verona da gli illustriss. signori rettori il sig. Pietro Gritti podestà, et il sig. Michele Foscharino capitanio ; descritti da m. Alessandro Canobbio acchioche possino servire in altre simili occasioni, Vérone, Girolamo Discepolo, 1589 ; Editto sopra la provisione de poveri mendicanti, Rome, Antonio Blado, [1563] ; Tassa delle chiese e beneficy di Roma per la soventione delli poveri alias Mendicanti, Rome, Antonio Blado, 1562.

15 Geremek, Les fils de Caïn, p. 61-62.

16 C. M. Cipolla, « The Economic Decline of Italy », Crisis and Change in the Venetian Economy in the 16th and 17th Centuries, éd. B. Pullan, Londres, Routledge, 1968, p. 127-145 ; M. Knapton, « City Wealth and State Wealth in Northeast Italy, 14th-17th Centuries », La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’État moderne ( xiie-xviiie siècles), éd. N. Bulst et J.-Ph. Genet, Paris, Éditions du CNRS, 1988, p. 183-210 ; J. C. Brown, « Prosperity or Hard Times in Renaissance Italy ? », Renaissance Quarterly, 42/4, 1989, p. 761-780.

17 L. Dal Pane, La vita economica a Bologna nel periodo communale, Bologne, Tinarelli, 1957 ; L. A. Kotelnikova, Mondo contadino e città in Italia dall’ XI al XIV secolo. Dalle fonti dell’Italia centrale e settentrionale, Bologne, il Mulino, 1975 ; M. Giansante, « L’età comunale a Bologna. Strutture sociali, vita economica e temi urbanistico-demografici : orientamenti e problemi », Bulettino dell’Istituto Storico Italiano per il Medio Evo e Archivio Muratorio, 92, 1985-1986, p. 103-222 ; R. Greci, « Bologna nel Duecento », Bologna nel Medioevo, éd. O. Capitani, Bologne, Bononia University Press, 2007, p. 499-580 ; Una città in piazza. Comunicazione e vita quotidiana a Bologna tra Cinque e Seicento, éd. P. Bellettini, R. Campioni et Z. Zanardi, Bologne, Editrice Compositori, 2000.

18 J. de Vries, Economy of Europe in an Age of Crisis 1600-1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; The General Crisis of the Seventeenth Century, éd. G. Parker et L. M. Smith, Londres, Routledge, 1978 ; Early Modern Capitalism. Economic and Social Change in Europe 1400-1800, éd. M. Park, Londres, Routledge, 2001.

19 L. Degl’Innocenti et M. Rospocher, « Street Singers : An Interdisciplinary Perspective », Italian Studies, 71/2, 2016, p. 149-153.

20 Sur la pauvreté rurale et la pauvreté urbaine : Geremek, La potence et la pitié, p. 71-96.

21 On trouvera, sur le précieux site web de la Bibliothèque Universitaire de Bologne, les textes manuscrits et imprimés de Croce, sous une forme numérisée. Pour une première approche de la vie et de l’œuvre de Croce : O. Guerrini, La vita e le opere di Giulio Cesare Croce, Bologne, N. Zanichelli, 1879 ; La festa del mondo rovesciato : Giulio Cesare Croce e il carnavalesco, éd. E. Casali et B. Capaci, Bologne, Il Mulino, 2002 ; M. Rouch, Storie di vita popolare nelle canzoni di piazza di G. C. Croce. Fame, fatica e mascherate nel’500, Bologne, CLUEB, 1982 ; P. Camporesi, Il palazzo e il cantimbanco : Giulio Cesare Croce, Milan, Garzanti, 1994 ; Le stagioni di un cantimbanco. Vita quotidiana a Bologna nelle opere di Giulio Cesare Croce, éd. Z. Zanardi, Bologne, Editrice Compositori, 2009 ; Giulio Cesare Croce. Opere dialettali e italiane, éd. V. Fava et I. Chia, Rome, Carocci, 2009.

22 G. C. Croce, Grandezza della povertà. Opera morale, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1620 : « Notate prego quel ch’io vi ragiono, / Che tal quai sete voi mi trovo anch’io, / Povero, e nudo. »

23 M. Rouch, « Diffusion orale, feuilles volantes, écrits populaires au xvie siècle : le cas de Giulio Cesare Croce à Bologne », Autres Italies. La culture intermédiaire en Italie : les auteurs et leur public, Talence, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 1994, p. 31-53.

24 F. Croce, « Giulio Cesare Croce e la realtà popolare », Rassegna della letteratura italiana, LXXIII, 1969, p. 181-205 ; M. Rouch, Les communautés rurales de la campagne bolonaise et l’image du paysan dans l’œuvre de Giulio Cesare Croce (1550-1609), Lille, Atelier National de Reproduction des Thèses, 1984.

25 G. Accolti, Allegrezza de’ poveri sopra il crescimento del Pane. Ottave, Bologne, Vittorio Benacci, 1597 ; G. C. Croce, Lamento de’ Poveretti i quali stanno a casa a pigione, e la convengono pagare, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1614 ; G. C. Croce, Grandezza della povertà ; G. C. Croce, Lamento della povertà per l’estremo freddo del presente Anno MDLXXXVII, Bologne, Fausto Bonardo, 1587.

26 G. C. Croce, La Compagnia de’ Rappezzati Eretta nuovamente. Nella quale s’invitano à entrarvi tutt’i Falliti, i Frusti, i Strazzosi, & i Ruinati affatto. Del Croce, Bologne, Bartolomeo Cochi, 1611.

27 On rencontre en effet, dans les textes de Croce, plus souvent des « poveretti » ou « poverelli » que des « poveri ».

28 G. C. Croce, Canto d’alegrezza sopra l’ingrossamento del Pane in Bologna, il giorno della Santissima Assontione della Madonna, il dì 15 d’Agosto, Bologne, Gio. Batt. Bellagamba, 1601. Le procédé était déjà utilisé dans : G. C. Croce, Il solennissimo trionfo dell’Abbondanza per la sua fertilissima entrata nella Città di Bologna, il dì primo d’Agosto 1597. Con l’amaro Pianto, che fà la Carestia, nella dolorosa sua partita, in Dialogo, Bologne, Gio. Battista Bellagamba, 1597.

29 G. C. Croce, Banchetto de’ Malcibati. Comedia dell’ Academico Frusto. Recitata dagli affamati nella Città Calamitosa. Alli 15. Del Mese dell’Estrema Miseria, l’Annon dell’aspra, & insoportabile necessità, Ferrare, Vittorio Baldini, 1609 : « dell’aspra, & insoportabile necessità ». Sur cette comédie, voir : K. Cremonini, « G. C. Croce : un danzatore di linguaggi », La festa del mondo rovesciato, p. 139-156. Pour A. Battistini, cependant, « la topica sulla povertà, ancor più che dall’esperienza diretta, trae ispirazione, per un cantastorie quale Croce, da un apparato di temi popolari sedimenti e familiari », « Spunti intertestuali in Giulio Cesare Croce », La festa del mondo rovesciato, p. 51-67, ici p. 57.

30 Croce, Banchetto de’ Malcibati, p. 3.

31 Croce, Banchetto de’ Malcibati, p. 4 : « Trattando sol di famé, e di disagio / E’fatta per gli afflitti, & mal contenti. »

32 Montanari, « La Città Grassa », Una città in piazza, p. 110.

33 M. Montanari, Bologna Grassa. La costruzione di un mito, Bologne, CLUEB, 2004. On soulignera toutefois que Piero Camporesi analysait au contraire la façon dont les élites de certaines villes organisaient la famine et la malnutrition (en particulier à l’aide du fameux « pain de fève ») pour maintenir leur domination (P. Camporesi, Pain sauvage, l’imaginaire de la faim. De la Renaissance au xviiie siècle, tr. fr., Paris, Le Chemin Vert, 1981, p. 150-153).

34 G. C. Croce, Alfabetto del villano, Bologne, Ferdinando Pifatti, [sd], p. 2.

35 G. C. Croce, Astuzie sottilissime di Bertoldo dove si scorge un Villano accorto e sagace, il quale dopo varij e strani accidenti alla fine per il suo raro, ed acuto ingegno, vien fatto Uomo di Corte, e Reggio Consiliere. Con l’aggiunta del suo Testamento, ed altri detti sentenziosi, Bologne, Stamperia della Colomba, [sd], p. 2 : « un villano brutto, e mostruoso sì, ma accorto, astuto, e di sottilissimo ingegno ».

36 P. Camporesi, La maschera di Bertoldo. Le metamorfosi del villano mostruoso e sapiente. Aspetti e forme del Carnevale ai tempi di Giulio Cesare Croce, Milan, Garzanti, 1993, p. 77-89.

37 Camporesi, La maschera di Bertoldo, p. 77 : « Il potere dei deboli. »

38 On trouvera la liste de ces « nouveaux pauvres » dans : G. C. Croce, La Barca de Ruinati, che parte per Trabisonda, dove s’invitano tutti i falliti, consumati, & mal andati, et tutti quelli, che non possono comparire al mondo per i debiti, Bologne, Vittorio Benacci, 1592.

39 Croce, La Barca, p. 4.

40 F. Alazard, Le lamento dans l’Italie de la Renaissance. « Pleure, belle Italie, jardin du monde », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, en particulier p. 76-82.

41 G. C. Croce, Lamento de’ mietitori, li quali non potevano mieter il grano, per la longa pioggia, che è caduta il presente Anno, Bologne, Bartolomeo Cocchi, 1609 : « Questi altr’anni, o che allegrezza / Ci ne givam lavorando / Per i campi con dolcezza / Nostra forza dimostrando, / Col bottazzo rinfrescando / Le budella, mentre il Sole / Dispensava come suole / Sopra noi i gran calori. »

42 Croce, Lamento de’ mietitori : « E così fin’à la sera / Ci ne stavam lietamente / Lavorando volontiera / E bevendo allegramente, / Poi cantando dolcemente / Ce n’andavano à posare / La mattina à lavorare / Al spontare de i nuovi Albori. »

43 Croce, Lamento de’ mietitori : « E gran doglia in noi s’invasa / Che le moglie & i figliuoli / Per la fame havran gran duoli, / E s’udran gran cridi fuori. »

44 P. Grimaldi Pizzorno, The Ways of Paradox from Lando to Donne, Florence, Leo S. Olschki, 2007 ; M. C. Figorilli, Meglio ignorante che dotto. L’elogio paradossale in prosa del Cinquecento, Naples, Liguori, 2008.

45 Croce, La Compagnia, p. 2. : « Perche à scorger ciascun vegna, / Ch’al Pallon siamo agguagliati. »

46 Croce, La Compagnia, p. 2. : « Con colpi aspri, e smisurati. »

47 Croce, Lamento della povertà, p. 4.

48 Croce, La Compagnia, p. 4.

49 Croce, La Compagnia, p. 4 : « E tu freddo aspro e crudele, / Che ci affliggi oltre misura, / Leva ormai, leva le vele, / Va cercar altra pastura ; / E tu vien con tua verdura / A dipinger la rivera, / Cara e dolce primavera, / Che di fiori hai pieno il cesto », Lamento della povertà.

50 Croce, La Compagnia, p. 4 : « Verrà un giorno chiaro e puro. »

51 Croce, Canto d’alegrezza, p. 2.

52 Croce, Canto d’alegrezza, p. 6 : « E però voglio pregare / ciaschedun che voglia usare / gentilezza, e cortesia / che se ben la Carestia / è partita, non per questo / sian sicuri, cha noi presto / non ritorni a visitarci, / e di nuovo a castigarci. »

53 Croce, Canto d’alegrezza, p. 6 : « E pregar sopra ogni cosa / il Signor che con pietosa / man ci voglia liberare. »

54 Croce, Canto d’alegrezza, p. 7 : « Ne far giochi per le strade, / ne bagordi, ne pazzie. »

55 Croce, Canto d’alegrezza, p. 7.

56 Camporesi, Il palazzo, p. 30 ; Rouch, « Diffusion orale », p. 47.

57 Croce, Grandezza della povertà, p. 1 : « Poi che vuol la benigna mia fortuna, / Ch’io sia per poverta lieto, e felice, / Ringratio quel, che fece Sol, e Luna / L’Aer, la Terra, il Mar, e ogni pendice ; / E tanta, e tali letitia in me s’aduna, / Ch’io ne gioisco, e godo, e dir mi lice, / Ch’io non invidio il Turco pel tesoro, / Ne chi hà la vena del purissim’oro. »

58 Croce, Grandezza della povertà, p. 1 : « Venite poverelli al cantar mio, / Et ascoltate di mie rime il suono. »

59 Croce, Grandezza della povertà, p. 3 : « Fù il mondo tutto rovinato, e guasto. »

60 Croce, Grandezza della povertà, p. 4 : « fumo, sogno et ombra ».

61 Croce, Grandezza della povertà, p. 4.

62 Pour n’en citer que quelques-uns dans la litanie développée par Croce : « La Solitudin’è la mia Nutrice, / La Volontade, è Secretaria mia, / La Speranza stà meco, nè mi lice, / La Patienza, è mia Governatrice… » (G. C. Croce, Grandezza della povertà).

63 Croce, Grandezza della povertà, p. 9 : « Va per viaggio il povero felice / Senza temer nè ladro, nè assassino, / Cantando sempre. »

64 Croce fait une liste bien longue des angoisses qui accablent les riches : ils ont peur au moment de mourir car ils craignent que leurs proches se déchirent pour leur héritage, ils sont épuisés par les réceptions qu’ils donnent et les grands personnages qu’ils doivent héberger, ils doivent se battre contre leurs tailleurs lorsque ces derniers échouent à réaliser un bel habit, etc.

65 Croce, Grandezza della povertà, p. 13.

66 P. Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Le Seuil, 1983.

67 Sur le site de la Bibliothèque Universitaire de Bologne, déjà évoqué plus haut.

68 R. Salzberg, « “Poverty Makes Me Invisible”: Street Singers and Hard Times in Italian Renaissance Cities », Italian Studies, 71/2, 2016, p. 212-224.

69 G. C. Croce, Il lamento di tutte le arti del mondo, e di tutte le Citta e Terre d’Italia per le poche facende che si fanno alla giornata. Di Giulio Cesare Croce, Bologne, Ere. Del Cochi, [sd].

70 Croce, Il lamento di tutte le arti del mondo, p. 2.

71 Tomaso Garzoni, La piazza universale di tutte le professioni del mondo, éd. G. B. Bronzini, Florence, Leo S. Olschki, 1996.

72 Voir, par exemple, mais ce n’est qu’une strophe, parmi une dizaine d’autres, Croce, Lamento di tutte le arti, p. 8 « Son soggetti a simil guerra / Norsia, Narni Alba e Nochera / Luca Pisa, con Sarvaza / Castro caro, e Modigliana / Vi e ravena similmente / Macerata. Acqua pendente. »

73 On ne peut d’ailleurs se retenir de regarder les productions de Croce à la lumière des analyses développées par Paul Zumthor lorsqu’il réhabilita les Grands Rhétoriqueurs (P. Zumthor, Le masque et la lumière. La poétique des Grands Rhétoriqueurs, Paris, Seuil, 1978).

74 Croce, La Compagnia, p. 4 : « E però liberi, e sciolti / Ce n’andiam, come si vede, / De la testa fino al piede / Quasi nudi, e dispogliati. »

75 Croce, La Compagnia, p. 5.

76 Croce, La Compagnia, p. 6.

77 Croce, Canto d’Alegrezza, p. 3 : « I Fratelli, & i Cugini/I parenti, & i vicini, / potran gire a ritrovarsi / l’un da l’altro a recrearsi. »

78 D. Roussel, Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Seyssel, Champ Vallon, 2015, p. 9.

79 On trouvera sur le site web de la Bibliothèque de l’Archiginnasio la numérisation du fonds « Bandi Merlani » qui témoigne de l’importante activité imprimée du gouvernement urbain à la fin du xvie et au début du xviie siècle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Florence Alazard, « Les passions des pauvres, instruments créatifs pour Giulio Cesare Croce (1550-1609) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 33 | 2017, 345-363.

Référence électronique

Florence Alazard, « Les passions des pauvres, instruments créatifs pour Giulio Cesare Croce (1550-1609) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 août 2020, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/crmh/14811 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/crm.14811

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Auteur

Florence Alazard

Université François-Rabelais Centre d’études supérieures de la Renaissance (UMR 7323), Tours

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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